CONCLUSION
La condition des étrangers est donc à la fin une
situation qui oscille entre les « consécrations
théoriques et [les] hésitations politiques
».200 D'abord, les consécrations théoriques
ou juridiques, à la différence de ce qui est remarqué sous
d'autres cieux comme en Union Européenne, montrent une extrême
prudence du législateur en ce qu'il ne consacre des libertés
qu'en direction des personnes précises et limitativement
énumérées. Bien plus, certaines consécrations des
libertés reconnues aux ressortissants communautaires font l'objet de
beaucoup de légèreté dans la formulation si bien qu'on
pourrait conclure à une consécration dans le seul but de
s'arrimer à la nouvelle donne mondiale sans réelle volonté
de conférer aux ressortissants communautaires une situation confortable.
Pour ce qui est des hésitations politiques, elles concernent les
réticences étatiques et leur manque de volonté de suivre
le mouvement initié par le législateur, et constituent de ce fait
même le plus grand blocus remarqué en matière
d'intégration personnelle. Ceci dit, on remarque que, par exemple, la
libre circulation telle que voulue par le législateur communautaire
n'est prévue qu'en la faveur des catégories précises de
personnes : agents économiques, étudiants, chercheurs,
enseignants et formateurs. Le Marché Unique communautaire en
matière d'intégration personnelle est alors un marché
restreint, du moins en l'état actuel du droit communautaire.
Pourtant, si le problème de l'intégration
personnelle en CEMAC se trouve dans la prudence législative et la non
volonté étatique quant à l'application des droits
reconnus, il reste qu'il existe en la matière une absence de
sensibilisation qui aurait pour but et conséquence de mettre au courant
des droits consacrés et de tous leurs implications les citoyens
bénéficiaires des libertés consacrées. En effet, on
peut reprocher à la CEMAC d'initier un processus d'intégration
trop politique qui laisse de côté les citoyens sans les
intégrer d'une manière comme d'une autre dans le processus de
prise de décisions, mais aussi en ne mettant pas en place des
mécanismes nécessaires pour leur sensibilisation. Le fait est que
beaucoup de ressortissants de la CEMAC ne se sentent pas concernés par
le processus d'intégration personnelle initié dans la
Communauté et ne sont même pas au courant des droits
consacrés en leur faveur.
200 Pour reprendre les termes de GNIMPIEBA TONNANG (E) : Op.
cit.
Ceci explique aussi l'extrême pauvreté, sinon la
quasi inexistence du contentieux relatif à ces libertés. En
effet, on remarque un rôle trop passif de la CJC en matière de
libertés communautaires dû à l'ignorance des individus de
leurs droits qui ne sauraient dès lors saisir le juge. Il faut aussi
accuser le laxisme du juge communautaire qui, à travers son pouvoir
d'auto saisine notamment en matière d'interprétation, devrait
préciser les contours des droits et veiller ipso facto à
leur application correcte. Par ailleurs, il est à déplorer la
pauvreté tout aussi frappante du droit dérivé en ces
matières, alors que celui-ci joue un rôle très important
dans la protection des droits à travers une précision qui rend
impossibles les dérives étatiques. Les textes primaires sont
souvent formulés en des termes trop génériques qui
nécessitent des précisions par des textes du droit
dérivé, ainsi que la définition de certaines notions
floues. En Union Européenne, par exemple, le droit dérivé
est abondant et joue un rôle prépondérant dans la
confection du droit communautaire dans l'ensemble et des règles
relatives à l'intégration personnelle en particulier. En CEMAC
par contre, les règlements qui sont prévus par les traités
et conventions en application des libertés consacrées sont pour
la plupart non encore pris, ce qui rend peu fluide le dispositif communautaire
en la matière.
Par ailleurs, il importe de mentionner que l'intensité
des flux migratoires entre les Etats de la zone CEMAC est conditionnée
par certains facteurs comme l'ouverture ou non à la mer de certains
pays, ou la présence ou non dans ceux-ci des matières
premières procuratrices d'emplois. C'est pourquoi on assiste à
des flux migratoires d'une densité en deux temps : une densité
intense en direction des pays ouverts sur la mer et témoignant de
nombreuses ressources naturelles comme le Cameroun, le Gabon, le Congo et
depuis peu la Guinée Equatoriale ; et une autre légère en
direction des pays enclavés et en retard de croissance économique
par rapport aux autres que constituent le Tchad et la RCA. Il importe de
relever aussi la proximité de certains pays comme le Nigeria avec le
Cameroun et la RDC avec le Congo qui oriente la perméabilité des
frontières en direction des espaces étatiques non communautaires
en ce sens que le Cameroun et le Nigeria d'une part, et le Congo et la RDC
d'autre part entretiennent des flux transfrontières plus intenses que
ceux qui existent entre ces Etats et d'autres Etats de la
Communauté.201
Enfin, il faut tout de même reconnaître que les
flux transfrontières remarquables entre les pays de la CEMAC demeurent
plus ou moins intenses en raison de la porosité des frontières
due aux dynamismes marchands illégaux et aux proximités des
peuples des
201 NDAME (J-P) : « Dynamismes marchands illégaux,
perméabilité des frontières et intégration
régionale en Afrique Centrale. L'UDEAC : Bilan critique de ses 35
années d'existence » in Dynamiques d'intégration en
Afrique Centrale. Intégration Afrique, Tome 1 Novembre 2001,
p.429.
différents pays. En effet, s'il est accordé que
les frontières en Afrique Noire et particulièrement en Afrique
Centrale ont parfois été instituées ex nihilo et
recoupent parfois les peuples unis, la conséquence reste que ces peuples
conservent le réflexe des échanges entre eux. C'est le cas des
Haoussa au Nord du Cameroun et au Sud du Tchad, et des Fang qui sont
partagés au Sud Cameroun, au Gabon et en Guinée Equatoriale et
dont « les solidarités lignagères facilitent le passage
des frontières »202. C'est dire qu'il existe des
échanges interétatiques inévitables entre ces Etats et qui
relèvent davantage de l'informel que de ce qui est prévu par les
textes communautaires. C'est une situation pas forcément néfaste
qui devrait inspirer le travail du législateur et le pousser à
consacrer des droits qui opèrent un brassage effectif de toutes les
populations de la Communauté sans en oublier les autres, et par ce fait
même, marquer un pas décisif en direction de l'accomplissement de
l'espace CEEAC dont la CEMAC constitue un élément catalyseur.
202 Ibid., p. 435.
|