2. Résultats face aux hypothèses
L'hypothèse selon laquelle le secteur de travail aurait
une influence sur le lien entre pratique et représentations est
partiellement vérifiée. En effet, aucune des
catégories de professionnels n'est exclusivement constituée d'un
secteur. Cependant, certains secteurs sont plus ou moins
représentés dans les catégories. Ainsi, dans la
catégorie des acteurs de prévention, on rencontre beaucoup
d'acteurs du secteur social/insertion ; dans la catégorie des
professionnels relais, on retrouve uniquement le secteur éducation
nationale et social/insertion. Et enfin, quasiment tous les acteurs du
sanitaire/psychologique sont inclus dans la catégorie professionnels de
l'accompagnement.
Pour l'hypothèse selon laquelle la profession entrerait
en compte dans le lien représentation sociale/pratique, elle est elle
aussi partiellement vérifiée. En effet, les
psychologues, éducateurs/éducatrices, et infirmières se
retrouvent tous dans la catégorie professionnels de l'accompagnement, et
les animateurs dans la catégorie acteurs de prévention. Mais ces
catégories ne sont pas exclusivement composées de ces
professions.
On ajoute d'ailleurs à ce constat qu'il serait
intéressant de revoir la classification initiale des secteurs, en
différenciant le social de l'insertion car on constate des
différences dans les catégories de professionnels. Ainsi, les
professionnels de l'insertion se retrouvent exclusivement dans la
catégorie professionnels relais, tandis que ceux du secteur social sont
inclus majoritairement dans la catégorie acteurs de
prévention.
3. Discussion des résultats
On remarque que les représentations sociales des
acteurs de terrain sont en cohérence avec les théories de divers
auteurs étudiés dans la première partie de ce
mémoire. Les résultats obtenus sur l'organisation de la
représentation sociale de l'addiction chez les jeunes vont dans le sens
des résultats sur le « bien boire » (Lo Monaco, Gaussot, &
Guimelli, 2009) et le « bien
fumer » (Apostolidis & Dany, 2012). La perception du
jeune comme addict se construit de manière conditionnelle en fonction
des modes et contextes d'usage (fréquent/occasionnel,
festif/solitaire, souffrance/plaisir), aboutissant à un usage «
normal » que l'on pourrait appeler le « bien consommer
», et un usage « addict ». « De façon
analogue avec ce qui a déjà été mis en
évidence au sujet de l'alcool dans la société
Française, le « bien-fumer » apparaît comme une norme de
conduite à laquelle déroge celui qui fume trop et/ou seul,
passant ainsi de statut de quelqu'un de convivial à celui de
drogué potentiel. » (Apostolidis et Dany, 2012, p.9). On retrouve,
en outre, dans la représentation sociale de l'addiction les
éléments du système constitutif de la
déviance (systèmes social, contexte politique, sujet :
jeunes, groupe d'appartenance, agents sociaux : professionnels de terrain,
autres groupes) (Becker, 1963, cité par Abric, 1996).
A propos du lien entre représentations sociales et
pratiques, nous avons mis en évidence l'existence de pratiques diverses,
variant selon que l'usage serait perçu comme « addict » ou
non. Et on note que l'attribution de la conduite à des critères
externes (la fête, les pairs, l'adolescence) ou des critères
internes (souffrance) entraîne des pratiques différentes. «
La consommation d'une personne en contexte de consommation de groupe serait
davantage expliquée par des caractéristiques situationnelles
orientées sur un registre positif jouant dans la
déculpabilisation du consommateur. » (Lo Monaco, Gaussot, &
Guimelli, 2009, p.487). Les critères internes
étant repérés comme plus inquiétants et
risqués, ils entraînement le plus souvent la proposition
d'accompagnement ou d'orientation, tandis que les critères
externes induisent une pratique de prévention. Cela renvoie
également à l'étude de Truchot (1994, cité par
Abric 1996) sur la représentation de l'aide sociale : « les
travailleurs sociaux ont recours soit à l'attribution externe (sociale),
soit à l'attribution interne (individualiste), selon les
différentes solutions auxquelles ils sont confrontés. Cette prise
de position (interne ou externe) fonctionnant comme un moyen de définir
ceux qui doivent bénéficier de l'aide sociale. » (p.143).
Mais cela va aussi dans le sens de l'étude de Guimelli (1996) sur les
pratiques des policiers. Une représentation sociale du délinquant
centrée sur des déterminants internes entraîne la
répression tandis qu'une représentation sociale centrée
sur des déterminants externes engendre une pratique de
prévention.
Enfin, pour ce qui est des pratiques des professionnels, nous
avons vu qu'elles étaient partiellement influencées par le
métier et le secteur professionnel mais aussi par l'expérience
personnelle, le niveau de connaissance et la place donnée aux addictions
dans leurs missions.
Ceci pourrait être rapproché de la notion de
« distance à l'objet » (Abric, 2001; Dany & Abric, 2007,
p.79) « La distance à l'objet permet d'envisager le rapport
à l'objet à travers une élaboration composite qui prend en
compte diverses dimensions signifiantes du lien à l'objet : la
connaissance plus ou moins grande de l'objet, l'implication du groupe par
rapport à cet objet et le niveau de pratique de l'objet. La connaissance
renvoie à la plus ou moins bonne identification de l'objet par les
individus. L'implication peut s'apparenter au niveau auquel l'individu peut
avoir rapport à - se sentir concerné par - l'objet ou encore son
positionnement sur un axe «observateurs» / « acteurs»
vis-à-vis de l'objet. Enfin, le niveau de pratique concerne le type de
pratique (apparenté ici à des comportements) entretenu avec
l'objet. ». Nous pensons aussi à l'importance de l'émotion
et des expériences passées. Selon Damasio (2004, cité par
Channouf, 2006), dans les décisions importantes, la raison est
assistée par les processus émotionnels qui exploitent les
informations tirées des évènements passés. Jodelet
(2006), parle de relation dialectique entre vécus, expériences et
représentations sociales.
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