ÉTHIQUE ET CITOYENNETÉ :
TRANSFORMATION DE LA
SOCIÉTÉ, TRANSFORMATION DE L'ENTREPRISE.
Notre société qui change.
A l'ère des nouvelles technologies, des modèles
de communication qui se transforment, le monde du travail est remis en question
par les salariés, par les managers, jusqu'à la gouvernance la
plus haute de la pyramide hiérarchique des entreprises.
La pyramide de Maslow est mise en doute, de nouveaux
concepts de management et d'architecture socioprofessionnelle voient le jour :
management des idées, horizontalité des échanges,
transversalité de l'information,... La société se
transforme, évolue, avec des populations occidentales de plus en plus
critiques envers leurs politiques mais aussi dans leur rapport au monde :
bien-être, achat durable, éthique de consommation,
responsabilité envers les générations futures...
Le monde du travail, constitué de ces hommes et femmes,
est lui aussi impacté par ces changements. L'explication
générationnelle est souvent mise en première
position quand il s'agit de définir une nouvelle perception du monde du
travail. Sylvain Hudelot, CIO chez Orange, affirme que les jeunes
générations, qui représentent les nouveaux entrants de
l'entreprise, ont une idée de la carrière professionnelle, une
approche de leur implication envers le groupe, (l'entité travail)
très différentes de celles de leurs parents et grands-parents.
Pour lui, l'affirmation de soi a travers le travail n'est plus une condition
sine qua non de leur bien-être ; l'acceptation de règles
et de normes de conduite, d'exécutions de tâches, n'est donc plus
un dogme et peut être remise en question a tout moment.
Aujourd'hui on s'attache donc moins a notre personne en tant
que bon salarié d'une société, qu'à notre
être qui se demande ce que peut lui apporter concrètement
l'entreprise, les possibilités d'action qu'elle lui laisse et son
adhésion a celles ci. Autre problématique nouvelle pour l'homme :
mon train de vie personnel est-il en accord avec mon train de vie
professionnel ? (et non l'inverse).
Bien sûr il s'agit ici d'idéal, pas
forcément formulé par tous, mais c'est une tendance qui se
développe massivement et qui est parfois en conflit avec la vision
classique des dirigeants sur ce que doit être un
salarié.
Éthique et Responsabilité Sociale et
Environnementale.
Ainsi, si l'on considère ces nouveaux questionnements,
ces nouveaux moteurs qui relient le personnel et le professionnel autour d'une
réalisation, d'une valorisation de l'être, coïncidant avec
ses nouvelles volontés d'étant, au sein d'une
globalité, connectée d'abord avec des valeurs fondamentales de
bien-être, de respect de son existence et de celle des autres, on
comprend le retour en force du concept d'éthique. Et ce, autour des
produits de consommation (nourriture, habillement, produits d'entretien ou
même tablettes de chocolat) mais aussi dans l'entreprise. Ce
nouveau rapport à soi et au monde qui croît au sein de
l'opinion publique pousse les Chefs d'états à formaliser
dès 2002 (Sommet de la Terre de Johannesburg), La Responsabilité
Sociétale ou Responsabilité Sociale et Environnementale.
A l'origine Soft Law (pas de sanctions juridiques
clairement énoncées pour les entreprises qui ne respectent pas la
RSE*) mais néanmoins nouveau guide pour les entreprises
désireuses d'entrer dans une logique éthique a plusieurs niveaux
(l'environnement, le citoyen, le monde des affaires), la RSE s'intègre
en 2010 aux lois environnementales du Grenelle de l'environnement qui en
découlent. Les entreprises du Cac 40 se voient alors dans
l'obligation de respecter la RSE. Elle devient alors Soft Law
en interne :«Les chartes, codes de conduite, et pactes sociaux sont des
«formes de régulation» appelées communément
Soft Law. En effet, par ces documents, des acteurs d'entreprises se
placent en responsabilité face à la communauté sociale.
Les acteurs se positionnent en situation de devoir faire ce qu'ils ont compris
qu'on attendait eux. Il s'agit donc d'acteurs qui se constituent en sujets
responsables de leurs actes. C'est une initiative unilatérale oi les
acteurs se placent sous la contrainte de leur propre parole» (R. Huet,
L'éthique en communication, 2010).
En France, elle engage les entreprises du territoire à
respecter un certain nombre de valeurs dites éthiques autour de
thématiques telles que l'environnement, l'environnement au travail, le
salarié citoyen ou encore la responsabilité de l'employeur face a
ses salariés,...
La responsabilité sociétale (le terme
avait été initialement choisi pour éviter la connotation
française du terme sociale, ndlr ) est donc adoptée en 2010, par
86 pays, et fait alors l'objet d'une norme, la norme ISO 26000 :
«Inquiets des conditions de travail des salariés face aux pratiques
de certains grands groupes» (wikipédia), des groupes de travail
internationaux, fortement organisés autour de représentants
d'entreprises, formaliseront la norme.
Cette prise de conscience est donc érigée en loi
par nos institutions et engage des chantiers dans nombre de grandes
entreprises, qui auront aujourd'hui tendance a dire qu'elles ont pensé
le changement bien avant la RSE. On parlerait donc d'un courant éthique
global qui a miraculeusement investi toutes les strates de la
société, depuis la tablette de chocolat jusqu'à la
gouvernance des multinationales.
Quel lien alors avec l'outil Réseau Social
d'Entreprise ? Pourquoi, mis à part la similarité du sigle RSE,
devrait-on faire un parallèle entre l'éthique et l'instauration
du Réseau Social d'Entreprise, nouvel outil de centralisation des
communications et des échanges pour l'entreprise ?
Le social comme concept novateur.
Qu'en est-il du concept de social ou
societal que l'on retrouve dans la norme ISO 26000 et dans le sigle
RSE ? On aura compris que les entreprises tentent de redéfinir leur
propre système en le basant sur les mécaniques sociales (nous
utiliserons ce terme, plutôt que celui de societal largement
abandonné dans les discours d'aujourd'hui) des sociétés
elles-mêmes (nous parlons des sociétés occidentales
basées sur des principes démocratiques, capitalistes), au vu des
transformations que celles-ci vivent. «Les exigences des consommateurs,
des investisseurs, des salariés et plus globalement des citoyens, font
apparaître une demande sociale croissante en faveur d'une plus grande
intégration de l'éthique dans la vie des entreprises. Cette vague
éthique est accompagnée par la transformation des pratiques de
management : l'apparition, dans les grandes entreprises, de plusieurs
mécanismes éthiques témoigne de l'importance des
innovations introduites dans les systèmes de gestion» (Mercier,
2004).
Social et Management.
C'est donc en redéfinissant leurs principes de
management internes et externes que les entreprises tentent de
réconcilier éthique citoyenne et éthique d'entreprise. Le
management qui se veut nouveau, comme le management des
«idées», -ou SMI (Système de Management des
Idées) -concept mis en lumière par un dirigeant d'entreprise
viennois, Siegfried Spahl, en 1974, (et que l'on retrouve dans l'interview
d'IBM) repose sur le fait que l'innovation participative est
bénéfique pour l'entreprise. Pour la mettre en marche, il faut
que le manager collecte les idées de chacun, les mettent au jour et
reconnaisse pour chaque idée novatrice, l'auteur de celle-ci au sein de
l'organisation. Le simple fait d'ajouter idée à
management permettrait aujourd'hui de saisir, voir justifier, la
dématérialisation des savoirs et de fait, de rebooster
une dynamique qui viendrait non plus de processus cloisonnés et
linéaires car : «une organisation bien rôdée, c'est
toujours l'aménagement d'une routine. La routine permet l'action
automatique, dégagée des interrogations superflues, des remises
en questions lourdes d'hésitations. La routine éloigne le besoin
d'analyse» (Rodin, 2011)-. Mais cette dynamique viendrait de
l'intelligence collective, portée par l'innovation technologique, au
service de l'individu puis de l'entreprise. « Tous deux, March comme
Mintzbergh, se demandent si la théorie des organisations ne devraient
pas viser a une théorisation de l'activité collective
plutôt qu'à une théorisation de la décision,
l'organisation apparaissant comme un système d'action coopérative
et une création dialogique continue» (Lorino, Sciences du
Management, p.69). Le concept va jusqu'à décrier des
systèmes managériaux plus classiques, forcément
obsolètes de par leurs principes de hiérarchisation,
sectorisation, découpage de l'entreprise en silos hermétiques,...
Tout cela est gommé -et c'est, a priori, une révolution positive
dans l'évolution de l'architecture de l'entreprise- pour être
remplacé par une architecture plus humaine, qui permet la
transversalité des échanges, l'innovation collective, la
concentration des connaissances, le décloisonnement des métiers
et enfin, le respect de l'individu en tant que citoyen de l'entreprise.
D'oi la formalisation explicite des ces principes
managériaux dans les chartes d'éthiques.
Par quelles mécaniques le terme de
social est-il injecté ou réinjecté dans la
philosophie des entreprises ? Comment peut-on considérer le
social comme concept novateur au sein d'une organisation ? Comment le
RSE (Réseau Social d'Entreprise) permet cette mise en oeuvre
?
L'éthique comme concept porteur.
L'épistémologie de l'éthique et de la
morale, via la lecture et l'analyse du livre de Samuel Mercier (2004) qui
repose en partie sur la définition de l'éthique selon Jacqueline
Russ (Evidences et Ethique, 1994) et sur le travail
épistémologique de J.J. Wunenburger (19993), nous permet de
différencier l'éthique de la morale. La morale reflète un
concept d'éthique comme loi universelle érigée pour une
raisonnabilité de l'humain, alors que l'éthique serait
un cadre moral associé à un état, un groupe, une
communauté, donc périmétrée au sein d'une
organisation qui définit ses propres règles ou codes
éthiques selon ce qu'elle est/représente, en adéquation
avec la morale universelle (elle se différencie mais ne va jamais a
l'encontre de la morale universelle).
La RSE amène donc les entreprises à formaliser
les comportements dits éthiques en son sein, dans un principe de
«légitimité sociale» (Mercier, 2004), via une charte
d'éthique qui tend à définir les bons comportements et le
meilleur système de management qui permet de répondre à
ces bons comportements.
Comment le RSE permet a des entreprises d'organiser
une nouvelle vision éthique de son organisation auprès des
salariés ? Comment les technologies de l'information et de la
communication portées par le RSE contribuent-elles a porter le discours
d'éthique nouvelle que tente de mettre en place l'entreprise
?
Le design porteur de sens.
Ce qui frappe dans les discours qui accompagnent la conduite
du changement (c'est a dire la mission de transformation des usages quotidiens
liés aux métiers de l'entreprise en intégrant le RSE comme
nouvel outil de communication et d'information entre les salariés,
mission générée par la gouvernance -la Direction- et
portée par les «communicants» inter-métiers de
l'entreprise : les Top managers, les Community Managers, la Direction des
Services Informatiques ou DSI, les Ressources Humaines ou RH,...) c'est le peu
de valeur donnée au design de l'objet dans son ensemble.
Ce qui porte et sous tend l'ensemble des discours, insiste
principalement sur la finalité du RSE, mais rarement est fait
écho de la maniabilité, de la visibilité, de la
lisibilité. Tout ce qui permet de coordonner une finalité
réellement efficace.
Ce qui marque la transformation des échanges dans nos
sociétés hors cadre professionnel, est bien sûr la
naissance du Réseau, le World Wide Web, la «toile d'araignée
mondiale». Nous n'allons pas refaire l'histoire du web, mais il faut
néanmoins pointer l'évolution vers le web 2.0 défini
par Tim O'Reilly pour comprendre les principes fondamentaux de
l'entreprise 2.0, celle qui repose sur des principes d'interactions,
d'échanges, de partages de savoir, de productivité
dématérialisée et supportés par des TIC* tels que
le RSE. L'exemple le plus parlant est celui d'IBM. Je vous invite a lire
l'interview de Pierre Milcent et Muriel Blondin réalisée dans le
cadre de ce mémoire qui considère sa plateforme RSE comme l'outil
de travail principal des salariés de l'entreprise. Cela amène ses
concepteurs à penser déjà une prochaine version qui
intégrera le cloud-computing* avec l'intégralité des
outils bureautiques et administratifs utilisés pour toutes les
tâches liées à la productivité.
La plupart des personnes que nous avons pu interviewer
n'hésitent pas a faire un parallèle, en matière de design,
entre leur propre outil RSE et les RSP ou Réseaux Sociaux Privées
tels que Facebook, Twitter ou encore les RSPP ou Réseaux Sociaux
Privés Professionnels tels que LinkedIn ou Viadeo. Véritables
exemples, d'après les interviewés, en matières d'ergonomie
et d'architecture de l'information. Ils citent aussi les outils (ou web
parts*) qui contribuent à la centralisation et diffusion de
l'information, a la communautarisation, ou encore a la navigation
thématique, les systèmes RSS*, les principes de feedbacks
synchrones et asynchrones.
Quel design de l'information pour le RSE ? Comment
l'entreprise 2.0 prend-elle en compte le design de l'objet RSE ? Quels liens
entre le design de l'objet RSE et la volonté de transformation des
échanges de l'entreprise ? Quels sont les mécaniques
portées par le design de RSE qui participent à la transformation
du management, et donc aux changements du monde du travail ?
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