Etude de la condition de la femme face à la violence du terrorisme intégriste dans le recueil de nouvelles « Oran, langue morte » d'Assia DJEBAR( Télécharger le fichier original )par Lamia AKERMOUN Université Saad Dahleb de Blida - Licence de français 2010 |
II-3-1-2) Voix confonduesDans L'attentat, Naima retrace les événements de la mort de son époux. Ce dernier étant journaliste condamné à mort par les intégristes d'avoir dénoncé leur barbarie. C'est donc son article qu'il a mis en danger et qu'il lui a coûté sa vie. De ce fait, Mourad symbolise tous les écrivains et journalises qui ont franchi le silence, afin de condamner la terreur qui régnait en Algérie : « Autour de Mourad, parmi ses amis et ses camarades de lutte, tant d'hommes sont tombés depuis : deux balles dans la tête pour les uns, lacérés par le couteau dans l'ombre pour les autres, pour de plus malchanceux encore... »125(*) En outre, les deux vois de Mourad et de Naima se confondent dans la nouvelle : Pourquoi te remets-tu à écrire ainsi à visage découvert ?- Je m'inquiétais au milieu de la nuit. -Laisse-moi donc ! Rétorque-t-il - Et bien quoi, tu mets ainsi en branle ta condamnation à mort, n'est ce pas ?...tu les nargues, bien sûr, tu vas le signer, ton article ?... Comme les autres ! Il fait oui en silence et il pose sur moi un regard soudain triste. 126(*) En ce sens, Naima relate l'histoire de Mourad, et rapporte les événements de l'Attentat, qui donne le titre à la nouvelle, ainsi Naima serait la voix porte parole de l'Histoire de son pays. Lorsque Mourad meurt, après qu'un jeune terroriste lui ait tiré dessus : « Un jeune homme quinze à seize ans [...] Je vois sa main, elle pointe un révolver [...] il tire une fois, deux fois. »127(*) Naima est vite entourée par de nombreuses femmes ayant vécues le même sort qu'elle : « Elles sont arrivées mes trois soeurs, ma mère, ma belle soeur [...] Les autres pas seulement les amies [...] une quinzaine de femme de tout âge- des jeunes, de moins jeunes, des directrices de collèges et de lycée. »128(*)
Isma ne se retrouve pas seule après la mort de son époux, mais avec ces autres femmes solidaires qui sont venues pour la soutenir. Les quarante jours de deuil musulman deviennent une expérience partagée par toutes ces femmes, de générations et de milieux différents La solidarité de ces femmes se réconforte par leur seule présence et le son de leur voix, ainsi le souligne Mina Ait Mbarek dans la citation ci-dessous : « La présence de ces femmes rend compte de l'importance d'un échange verbal entre elles entretenant et nourrissant leur voix. »129(*)
Dans La femme en morceaux, Assia Djebar traite un thème semblable aux précédents : celui de la voix de la résistance et la lutte contre le silence. En effet Atyka, née d'une manière symbolique l'année de l'indépendance, refuse la soumission. Révoltée contre celles qui sont conformes aux valeurs anciennes dictées par leur société, décide de faire face au malaise et à la terreur qui l'entourent, en enseignant la langue française « interdite par les intégristes » :« Un e langue qu'elle a choisi et qu'elle a plaisir d'enseigner. »130(*) Atyka est donc condamnée à mort, comme toutes celles qui ont osé transgresser les lois imposées par les intégristes, parce qu'elle racontait à ses élèves des histoires de Schéhérazade considérées, par les intégristes, comme étant subversives : « des histoires obscènes »131(*). Atyka voulait conter la dernière des Mille et une nuits, celle ou le sultan accorde « la vie sauve » à Schéhérazade, or elle a été décapitée avant de finir son conte. Cette torture nous renvoie à celles qui ne cessent de sévir en Algérie. Atyka devient elle-même femme coupée en morceaux : « Atyka, tête coupée, nouvelle conteuse, Atyka parle de sa voix ferme [...] Atyka femme en morceaux. »132(*)
En ce sens, Atyka se confond avec la femme coupée en morceaux dans le conte des Mille et une nuits : les deux passages ci-dessous soulignent la grande similarité entre les deux narrations, celle de Schéhérazade et celle d'Assia Djebar : « Djaffar et Massrour brisent la serrure, Trouvent la couffe. Coupent le fil de laine rouge. Déplient le tapis précieux. Entrouvrent le voile de lin blanc à peine taché. Découvrent le corps de la femme. La jeune femme coupée en morceaux. »133(*) De la même manière que cette ci, Atyka est enveloppée soigneusement dans un voile de lin à l'intérieur d'une couffe : Le corps et la tête d'Atyka dans deux voiles de lin à peine entaché. A peine ensanglanté. Voiles blancs. Les deux voiles, avec leur contenu, mis à l'abri dans deux couffes. Les deux couffes sont emportées. Seront cousues de fil de laine. De laine rouge de bonne qualité. Cousues vigoureusement. Les deux couffes seront placées à l'intérieur d'une caisse de bois d'olivier. Une caisse scellée. Une caisse lourde à la serrure ouvragée. Achetée chez le meilleur artisan de la Casbah [...] Dans la caisse le corps et la tête d'Atyka dormiront. Le corps de la femme coupée en morceaux.134(*) Nous remarquons qu'Assia Djebar s'attarde sur la description du linceul dans lequel est enveloppée Atyka, afin de rendre compte de la violence de la mort en Algérie. Cependant, même avec sa tête coupée, les intégristes ne parviennent pas à réduire Atyka au silence. Elle continue à raconter l'histoire jusqu'à sa fin : Atyka, tête coupée, nouvelle conteuse, Atyka parle de sa voix ferme. Une mare de sang s'étale sur le bois de la table, au tour de sa nuque. Atyka continue le conte [...] Cinq jour durant nous avons vécu avec Schéhérazade, la sultane, avec le mari qui a avoué son crime, [...] Atyka continue : C'est la fin de la mille et unième nuit que j'aurais voulu relater. Mille et unième qui apporte à la sultane enfin sa délivrance [...] La voix de Atyka commence à perdre souffle. 135(*) Ainsi les dernières pages de cette nouvelle insistent sur la question de la voix et son rôle en tant que moyen de résistance : « Le corps, la tête. Mais la voix ? Où s'est réfugiée la voix d'Atyka ? »136(*) Enfin, ces trois nouvelles témoignent de la résistance de ces femmes algériennes dans de différentes situations, où le fait de parler, de rêver ou de vouloir s'émanciper entraîne la mort. Cependant, malgré ce prix à payer, ces femmes, courageuses, refusent de déposer leurs armes, et insistent sur la nécessité de faire face à ces ennemis qui les veulent soumises. * 125 Idem, p 144 * 126 Idem, pp 143-145 * 127 Idem, pp 147-148 * 128 Idem, pp 151-154 * 129 C.Bonn, N.Redouane, Y.Bénayoun, SL, Algérie, nouvelles écritures. Op.cit, p 214 * 130 Assia, Djebar, Oran, langue morte. Op.cit, p 167 * 131 Idem, p 209 * 132 Idem, p 212 * 133 Idem, p 166 * 134 Idem, pp 213- 214 * 135 Idem, pp 212-213 * 136 Idem, p 214 |
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