B. Tâches courantes.
A côté des fonctions qui leur sont
imposées, les doyens ruraux détiennent des pouvoirs en
matière de juridiction gracieuse et contentieuse. La plupart d'entre eux
sont connus par des actes à l'élaboration desquels ils ont
participé, à titre d'auteurs ou, le plus souvent, à titre
de témoins. Pourtant, cette facette importante de leur activité a
rarement été étudiée. Seuls deux historiens s'y
sont intéressés : Hubert Nélis261 et Emile Brouette.262 Le
premier a publié, en 1924, une analyse de la juridiction gracieuse
rendue par les doyens du Moyen Âge, dans les limites de la Belgique
actuelle. Or, le choix du cadre géographique est totalement
incohérent car de nombreuses différences apparaissent entre le
développement du décanat rural liégeois et
cambrésien. Dans le diocèse de Liège, les doyens ruraux
jouissent de pouvoirs beaucoup plus étendus, notamment en matière
de justice synodale et conciliaire.263 En un mot, Nélis croit pouvoir
appliquer à toutes les régions du royaume des conclusions qui, en
fait, ne sont valables que pour l'évêché de Cambrai. Emile
Brouette a le mérite de prendre enfin en considération le
diocèse de Liège. Malheureusement, il utilise toujours les propos
de Hubert Nélis comme base pour ses recherches.
Durant tout le XIIIe siècle, les doyens ruraux entrent
régulièrement dans l'élaboration d'actes consignant des
donations et des décisions arbitrales relatives, pour la plupart, aux
dîmes. Pour Hubert Nélis, une décrétale non
datée du pape Alexandre III (1159-1181), qui reconnaît la valeur
juridique des actes munis d'un sceau authentique, serait à l'origine de
ces pratiques.264 Dans le diocèse de Liège, l'activité
législatrice des conciles décanaux, inconnue à Cambrai,
fait du doyen rural un personnage de référence en matière
juridique.
261. NELIS, H., les Doyens de chrétienté, dans
R.B.P.H., t. 3, Bruxelles, 1924, pp. 59-73, 251-278, 509-525, et 821-840.
262. BROUETTE, E., Regeste des doyens de la
chrétienté de Jodoigne aux XIIe et XIIIe siècles, dans
Leod., t. 46, Liège, 1959, pp. 27-38.
263. v. chapitre 5A, §2 et §6.
264. NELIS, H., Ibid., p. 60. Le texte de la
décrétale stipule ceci : Scripta vero authentica, si testes
inscripti decesserint, nisi per manum publicam factam fuerint, ita quod
appareant publica aut authenticum sigillum habuerint, per quod possint probari,
non videntur nobis alicuius firmitatis robur habere (Corpus Iuris Canonici,
éd. FRIEDBERG, E.A., 2e éd., Graz, 1959, p. 344).
A partir de la fin du XIIe siècle, les doyens ruraux,
réputés pour la connaissance approfondie des lois et des coutumes
locales, font régulièrement partie d'un comité
d'arbitrage. La première décision arbitrale rendue par un doyen
rural remonte à 1183 : Hermann, doyen du concile de Fleurus,
déclare que les religieux de Frasnes-lez-Gosselies ne sont pas
obligés de fournir de la nourriture aux membres du concile lorsqu'ils
siègent à Frasnes.265 Très rapidement, les doyens ruraux
sont appelés à rendre la justice en dehors des activités
conciliaires. Vers 1202, Baudouin, doyen de Gembloux, accompagné de
l'abbé de Malonne, et l'écolâtre du chapitre de Fosses
prononcent une sentence pour mettre un terme à une querelle opposant
l'abbaye de Floreffe et le prieuré de Sart-les-Moines au sujet de la
propriété du bois de Dampremy.266 Les doyens ruraux ont nettement
devancé les prêtres de paroisse en matière juridique
puisque le premier jugement connu rendu par un curé remonte seulement
à 1224.267
En général, les conflits arbitrés par les
doyens se caractérisent par leur portée locale et leur importance
moindre, alors que le haut clergé prend en charge les conflits de plus
grande ampleur.268 Les doyens de concile jugent essentiellement des affaires
ayant trait aux dîmes.269
Contrairement à l'avis d'Emile Brouette, nous ne
croyons pas en la naissance de bureaux d'écriture, placés sous la
direction du doyen.270 En dehors des tâches imposées,
l'activité juridique des doyens ruraux reste assez faible durant tout le
XIIIe siècle, puis s'amenuise rapidement, probablement en raison du
développement de l'officialité et du notariat public. Au
début du XVIe siècle, Henri Van der Scaeft note, dans son
Registrum, que les doyens ruraux
265. DE MARNEFFE, E., Cartulaire d'Affligem et des
monastères qui en dépendent, Louvain, 1896, pp. 249-250.
266. BARBIER, V. Histoire de l'abbaye de Floreffe, t. 2
(documents), Namur, 1892, p. 51.
267. BOUCHAT, M., l'Arbitrage dans le diocèse de
Liège aux XIIe et XIIIe siècles, mémoire de licence
présenté à l'Université de Liège en 1987, p.
146.
268. BOUCHAT, M., Ibid., p. 145.
269. Par exemple : A.G.R., cartulaire de l'abbaye
d'Heylissem, f° 47. A.E.N., cartulaire de Waulsort, t. 5,
f° 128 v° et 129 v°. REUSENS,
Documents relatifs à l'abbaye norbertine de Heylissem, dans A.H.E.B., t.
27, Louvain, 1898, p. 189. La plupart des contestations relatives aux
dîmes sont traitées, non pas par un comité d'arbitrage,
mais par le concile décanal. A.E.L., chartrier du chapitre de
Saint-Lambert (8 janvier 1230). PAQUAY, J., Records ecclésiastiques de
l'ancien concile de Tongres, archidiaconé de Hesbaye, dans B.S.S.L.L.,
t. 25, Tongres, 1907, pp. 247-251).
270. BROUETTE, E., Ibid., pp. 27-28.
sont parfois sollicités pour sceller des actes qui leur
sont tout à fait étrangers pour deux raisons : les parties
contractantes ne possèdent pas toujours elles-mêmes un sceau et
celui du doyen permet de garantir l'authenticité de l'acte.271 Une
formule, issue d'un acte de 1268 , illustre clairement la valeur du sceau
décanal en matière juridique : Nos avons pendut nostre sael avech
le sael de Raoul, vestit de Montenaeken et doyen del concille de Saint tron en
tesmoignage de veriteit.272 En fait, dès la seconde moitié du
XIIe siècle, le doyen peut être assigné comme seul
témoin d'un acte.273
271. Registrum I, f° 114-116. Registrum II,
f° 75-76. CEYSSENS, J., Ibid., p. 107.
272. A.E.H., chartrier du Val-Notre-Dame.
273. A.E.H., ibid. (1268). D'autres exemples nous sont
parvenus : en 1290, le chevalier de Bokstel et son frère demandent au
doyen du concile de Woensel d'authentifier de son sceau un acte de renonciation
(BARBIER, V., Ibid., p. 200). En 1244 déjà, le doyen de
Hozémont authentifie, avec le vestit de Fexhe, une donation qui ne les
concerne pas (A.E.L., chartrier de l'abbaye du ValSaint-Lambert).
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