École des hautes études en sciences de
l'information et de la communication Université de Paris-Sorbonne
(Paris IV)
MASTER 1 - Option JOURNALISME - Mention :
Information et Communication Spécialité et Option :
Journalisme
"Chroniqueur culturel à la télévision : un
journalisme de marque"
Préparé sous la direction de Madame le
Professeur Véronique Richard
Nom : Walter
Prénom : Benjamin
Promotion : 2009 - 2010
Soutenu le : Mention :
Note du mémoire : /20
REMERCIEMENTS
A Mme Véronique Richard, directrice du Celsa,
A Mme Adeline Wrona, rapporteur universitaire de ce
mémoire,
A M. Eric Naulleau, rapporteur professionnel de ce
mémoire,
A M. Thierry Devars, pour son éclairage indispensable
à l'écriture de ce mémoire,
A Philippe Besson et Jean-Jérôme Bertolus pour
leur intelligence, leur ouverture d'esprit et leur sensibilité,
A David Lynch.
SOMMAIRE
Introduction pp 4-9
I-Le temps de la promotion pp 10-17
1) La marque : du signe au label pp 10-14
a. Le signe : tous les chroniqueurs ne sont que des
signifiants pp 10-12
b. L'apposition du label « chroniqueur » pp
12-14
2) Le chroniqueur-marque ou la «
déterritorialisation » accomplie pp 15-17
II-Le temps de la scénographie pp
18-28
1) Le plateau télévisé
comme supermarché des marques p 18-21
a. La vitrine des marques pp 18-20
b. La loi de l'offre et de la demande de chroniques p
21
2) Le plateau télévisé
comme club des marques pp 22-24
3) Le plateau télévisé
comme théâtre des marques pp 25-28
III-Le temps de la survivance pp 29-35
1) La marque après la chronique
télévisée pp 29-30
2) Le « clash » ou l'instantané
télévisé des marques sur internet pp 31-32
3) Personal branding et reterritorialisation de la marque pp
33-35
Conclusion pp 36-38
Bibliographie pp 39-40
Annexes pp 41-45
Résumé p 46
Mots-clés p 47
INTRODUCTION
« Ce n'est pas d'un jugement, de sa
solidité, de sa justesse qu'on se préoccupe [...] ce n'est pas
non plus de l'autorité et de la compétence de l'homme qui va le
prononcer. A moins pourtant que le nom de cet homme ne rende le bruit de son
jugement plus grand : alors, c'est là-dessus qu'on spécule
».
Barbey d'Aurevilly in « Lettre à
M.Gregory Ganesco », Le Nain jaune (30 dec 1865)
Qu'on le dénonce ou qu'on le porte aux nues, le
chroniqueur culturel est aujourd'hui « à la mode » à la
télévision. Sous des formes différentes, avec des discours
différents, dans des cadres différents. Des émissions ont
même été bâties uniquement autour de la fonction de
chroniqueur culturel. De la revue culturelle critique de Ça balance
à Paris (Paris Première) au télé-crochet le
plus en vue, la Nouvelle Star (M6). Le grand journal de Canal
+ incarnant à lui seul l'émission de chroniqueurs branchés
par excellence.
Cinéma, musique, mode, littérature : la figure
du spécialiste venant proposer une critique argumentée d'une
oeuvre culturelle est aujourd'hui au centre de la plupart des contenus de la
télévision proposant un discours sur elle-même. Il n'y a
qu'à voir le buzz (emballement médiatique) produit par les
récents « clashs » de chroniqueurs tels que Eric Naulleau au
sein de l'émission de divertissement de Laurent Ruquier, On n'est
pas couché. Lorsqu'il devient chroniqueur, le passé de
celui-ci importe peu. On se rend compte que s'il a été romancier
(Philippe Besson), éditeur (Eric Naulleau), journaliste (Philippe
Manoeuvre), acteur (Virginie de Clausade) ou même chanteur (Lio), son
discours critique et argumenté de chroniqueur peut se rapporter à
une certaine forme de journalisme.
La chronique n'est toutefois pas un exercice de style
récent. Elle existe dès la naissance de la presse, avec qui elle
entretient un rapport de contiguïté comme le rappelle Ana Filipa
Prata, professeur à l'Université de Lisbonne :
« La chronique est un genre qui oscille entre
le domaine de la littérature et celui de la presse. Sa
nature indéfinissable advient de ses complexes origines
qui sont également lointaines et diverses. Presque tous les grands
auteurs ont exercé le métier de chroniqueur dans la presse
quotidienne. »1
Mais avant de se demander si la chronique est genre
littéraire ou journalistique, il faut rappeler qu'elle fut avant tout,
selon Ana Filipa Prata, du domaine de l' « historiographie », avec
cette idée que, dès le départ, elle avait pour fonction de
raconter une histoire :
« En vérité, le mot chronique est
associé tout de suite aux proses médiévales des historiens
comme Froissart. La chronique était au Moyen Age un texte d'histoire.
Pas celle que l'on peut aujourd'hui appeler de macro Histoire, mais celle des
événements particuliers et datables. La chronique racontait donc
les succès ou défaites d'un roi, de la vie quotidienne du pays et
de la cour, les découvertes maritimes et les accomplissements des
individus exceptionnels. La frontière entre ce qui est la
réalité ou la fiction est par conséquent difficile
à établir [...]. Car la chronique est avant tout - et pour
expliquer cela l'étymologie du mot ne serait que suffisante -
l'écriture du
temps (cronos). »2
Si l'on s'en tient à une simple définition
télévisuelle, le chroniqueur est la personne venant raconter un
événement, ou donner son avis, de manière
régulière sur un même ou plusieurs plateaux de
télévision. Raconter une histoire, c'est le résultat de
toute une Histoire, de l'imbrication du journalisme et de la littérature
parisienne du début du siècle comme le rappelle Ana Prata :
« La chronique, telle qu'on la connaît aujourd'hui,
a aussi héritée de certaines des caractéristiques du
1 PRATA Ana Filipa, Genre littéraire ou
paralittéraire : les enjeux de la chronique, 2e congrès du
Réseau Européen d'Etudes Littéraires Comparées
(REELC).
2 Ibid.
feuilleton et du fait divers, parus avec le
développement de la presse de la grande ville. En fait, la chronique est
le genre de la ville par excellence. C'est une forme qui permet, d'un
côté, aux romanciers tels que Balzac, d'exploiter des
possibilités pour ses romans, et par ailleurs écrire
l'expérience du quotidien et de sa complexité temporelle.
»3
Sur le fond, on a vu aussi passer à la
télévision une forme de journalisme née aux
côtés de la chronique, celle de critique, comme le rappelle
Rémy Rieffel :
« La critique en tant que telle, existe quasiment depuis
la création des premiers journaux et périodiques du XVIIe
siècle et a d'abord été reconnue comme une activité
réservée aux écrivains et aux artistes. »4
Les deux sont tellement liées qu'aujourd'hui un
chroniqueur alterne entre un discours de promotion d'une oeuvre et celui,
argumenté, de critique. Dans tous les cas, le chroniqueur existe dans un
cadre plus large, celui du plateau télévisé. Il n'est donc
ni l'animateur, ni le journaliste présentant l'émission. En cela,
Guillaume Durand (L'objet du scandale sur France 2), Philippe Lefait
(Des mots de minuit, sur France 2) ou François Busnel (La
grande librairie, sur France 5), si tant est qu'ils soient amenés
à donner leur avis, ne sont pas des chroniqueurs dans la mesure
où l'émission est la leur. On peut donc affirmer que le
chroniqueur est le produit d'une émission, non son moteur. D'où
l'analyse du sociologue Pierre Bourdieu selon laquelle les débats
culturels à la télévision sont « faussement vrais
»5 car ils sont dirigés par le présentateur. :
« c'est lui qui impose le sujet, la problématique [...], il
distribue la parole, il distribue les signes d'importance
»6.
C'est dans ce contexte où le chroniqueur existe sous la
forme d'un produit, créé à la fois par
3 PRATA Ana Filipa, Genre littéraire ou
paralittéraire : les enjeux de la chronique, 2e congrès du
Réseau Européen d'Etudes Littéraires Comparées
(REELC).
4 RIEFFEL Rémy, « L'évolution du
positionnement intellectuel de la critique culturelle » in
Quaderni n°60, « La critique culturelle : positionnement
journalistique ou intellectuel ? », printemps 2006, p 55.
5 BOURDIEU Pierre, Sur la
télévision, Liber, Paris, 1996, p 33.
6 Op. Cit.p 34.
l'émission et le présentateur, qu'émerge
la notion de marque. En effet, il n'y a marque que s'il y a produit. Si l'on
fait le parallèle avec le champ d'étude du marketing, Georges
Lewi définit la marque ainsi :
« La marque est le nom et l'ensemble des
signes d'un produit, d'un service, d'une
entreprise qui ont pour vocation de s'imposer par leur notoriété,
leur part de marché et leur valeur ajoutée sur
un segment de marché défini. Ce nom et ces signes sont
généralement juridiquement protégés. La marque
s'impose comme un des repères de ce marché sur
lequel elle agit en s'appuyant sur des valeurs tangibles et intangibles. Cet
ensemble hétérogène provoque des résonances
profondes dans l'esprit des consommateurs et des clients.
»7
Existe-t-il alors une autonomisation progressive des
chroniqueurs culturels en tant que marque et ainsi reprise sur
différents plateaux et différents médias grâce
à leur seul nom ? Tout en ayant commencé sa carrière de
chroniqueur en tant que journaliste d'un magazine spécialisé, le
chroniqueur viendra faire le tour des plateaux du PAF8, pour parler
de tout. Mais tout en faisant oublier sa provenance ? Ce ne serait donc plus
parce qu'il est cinéphile et travaille dans un magazine de critiques de
cinéma qu'un journaliste sera désormais visible ? Ne donne-t-il
alors son avis sur toute chose culturelle, plus au nom de lui-même et de
sa propre perception, qu'au nom de la chaîne sur laquelle il
apparaît ? Toutes ces questions seront au coeur de ce mémoire
avec, en fond, toute l'ambiguïté que la notion de marque porte en
elle : gage de qualité ou au contraire enfermement dans un
rôle.
« Signes », « produit », « valeur
ajoutée », « repères », « consommateurs
» sont des mots-clés utilisés par Georges Lewi qui
s'appliquent très bien à la marque du chroniqueur au centre de
l'émission culturelle. Ainsi, la chercheuse Camille Brachet explique
comment, pour exister, une émission culturelle doit se construire une
identité. Une définition de la marque télévisuelle
s'appliquant tout aussi bien au chroniqueur :
7 LEWI Georges, La marque, Vuibert, 2003, pp
6-7.
8 Paysage Audiovisuel Français
« Le principe de construction d'une identité forte
repose sur une idée simple : fournir des repères au
téléspectateur, bien sûr dans le but de transmettre une
information, mais surtout dans l'objectif toujours sous-jacent que les
programmes soient regardés ; le téléspectateur restant
essentiellement une cible à atteindre [...]. Les logiques à
l'oeuvre semblent d'ailleurs répondre à une démarche
marketing très classique ; dans une certaine mesure, la construction de
l'identité d'une émission de télévision
répond aux mêmes critères que celle d'un espace marchand :
il est en effet question d'un positionnement stratégique face à
des cibles à atteindre ».9
Dorénavant, cette fonction de « construction
identitaire » passe par les chroniqueurs eux-mêmes : un chroniqueur
deviendra un « repère » que les téléspectateurs
écouteront avant l'achat d'un objet culturel. Et derrière
l'idée d'une « construction identitaire » de la marque du
chroniqueur, établie conjointement par l'émission et le
chroniqueur lui-même, une part de mise en scène, qu'elle soit
voulue ou non, intervient.
Nous répondrons donc à la
problématique suivante : Dans quelle mesure l'espace
culturel à la télévision est-il scandé, voire mis
en scène, autour de personnalités devenues des marques et
identifiables sur leur seuls noms ? Qu'il se construise comme tel tout au long
d'un parcours télévisuel bien rôdé ou, au contraire,
soit utilisé par la télévision, dans les deux cas comment
le chroniqueur culturel est-il devenu une marque, une autorité à
qui on fait appel et qui nous laisse croire en son récit afin de
l'adouber ?
Nous sommes partis des hypothèses de
départ suivantes :
-Les émissions de chroniqueurs se multiplient et
créent le buzz dorénavant grâce à leurs
chroniqueurs.
-Les chroniqueurs alternent les plateaux
télévisés, on les retrouve dans beaucoup de lieux
médiatiques (ou pour reprendre « l'impression de départ
» de Camille Brachet : « les mêmes, partout, tout le temps
»).
9 BRACHET Camille, Peut-on penser à la
télévision, la culture sur un plateau, coll. INA, Paris,
2010, p55.
La place spécifique du chroniqueur culturel à la
télévision ayant été peu abordée de
manière frontale par un ouvrage, ce mémoire s'appuiera sur un
corpus fait avant tout des dernières recherches
universitaires sur la figure de la posture de l'écrivain sur les
plateaux télévisés ou sur la question de l'émission
culturelle (Patrick Tudoret, Camille Brachet, David Réguer). Nous
prendrons aussi appui sur des essais sociologique plus anciens et
théoriques (Pierre Bourdieu). Notre travail s'appuiera aussi sur
beaucoup d'articles de fond issus de Télérama
détaillant sous toutes les coutures les émissions comme
Ça balance à Paris ou On n'est pas couché.
Le gros du corpus se fera enfin à partir de l'étude
sémiologique des émissions culturelles elles-même.
Afin de répondre à la problématique
posée, notre étude du chroniqueur en tant que marque sera
divisée selon trois parties d'un processus défini. Un cycle
auto-entretenu de trois temps dans lequel la marque nait, vit et se
perpétue. Chaque temps correspondant par ailleurs à une
période précise dans la chronologie de diffusion de
l'émission culturelle.
Dans un premier temps, nous verrons, grâce à une
analyse sociologique et marketing, comment se définit le «
temps de la promotion ». Un temps lors duquel la marque du
chroniqueur se crée dans un double mouvement. Si, pour exister, le
chroniqueur doit refléter l'air du temps, il sera aussi utilisé
comme point d'ancrage personnalisé dans le flux de la
télé. Il devient alors un label.
L'analyse deviendra ensuite sémiologique, quand nous
aborderons le temps diégétique de l'émission culturelle,
soit le « temps de la scénographie ». Ou
comment s'organisent concrètement géographie et dramaturgie de
l'action du chroniqueur culturel. Ou comment exister au sein du lieu factice
qu'est le plateau de télévision.
Nous terminerons enfin par le « temps de la
survivance », soit la marque du chroniqueur à
l'épreuve du futur. Ou comment la marque des chroniqueurs à la
télévision doit beaucoup au net et permet à la
télévision de survivre, par bouts, sur le web. Comment le nom
d'un chroniqueur devientil un mot-clé dans la promotion de son propre
discours et dans la publicité de son émission sur internet.
I LE TEMPS DE LA PROMOTION
La « valeur tangible » d'une marque pour Georges
Lewi, c'est sa « qualité objective » : « l'aptitude d'un
produit ou d'un service à satisfaire les besoins exprimés ou
potentiels des utilisateurs. La marque doit sans cesse rechercher la
satisfaction totale de ses clients »10. Et pour rechercher la
satisfaction totale de ses clients, il faut coller à l'air du temps. Ce
qui nous renvoie à cette phrase de Frédéric Taddeï,
prononcée il y a trois ans sur le plateau de Ça balance
à Paris, à l'occasion de la première de Ce soir
(ou jamais), émission bâtie autour d'un débat
d'experts culturels et non de chroniqueurs pour donner un avis : « Les
chroniqueurs télé sont devenus la maladie de l'époque, un
peu comme l'étaient les chanteurs en play-back dans les émissions
de variétés des années 70 »11. Comme toute
marque est le reflet de la tendance du moment, la marque du chroniqueur est
forcément à la mode. D'un point de vue formel avant tout.
Comparés par Frédéric Taddéï aux chanteurs en
play-back, ils ne sont en fait que le fruit de la « hype
»12 du moment, de l'air du temps.
1) La marque : du signe au label
a. Le signe : tous les chroniqueurs ne sont que des
signifiants
Si l'on s'arrête maintenant sur le choix du mot «
signe » par Georges Lewi comme révélateur de la marque, on
peut ainsi dire que dès sa création, la marque du chroniqueur
nait d'un référent formel. Voire uniquement physique dans le cas
des chroniqueurs culturels. Prenons une fois de plus l'exemple du Grand
journal de Canal +. Le choix de Tania Bruna-Rosso, par ailleurs DJette des
« Putes à frange », est révélateur de la
proximité aujourd'hui ostentatoire entre chroniqueurs, mode et musique.
La chaîne, puis l'émission, choisissent donc un chroniqueur non
pas à l'identité formelle propre mais correspondant à
l'esprit du temps. On pourrait tout aussi bien citer l'exemple de Ariel Wizman,
chroniqueur pour L'Edition spéciale, toujours sur Canal +.
L'homme étant aussi bien chroniqueur culturel, l'un des DJ les plus
courus de Paris et l'un des tenants de la mode du moment : il représente
la marque de vêtements The Kooples. Sur ce même Ariel Wizman, les
propos de l'éditorialiste économique d'i<Télé
Jean-Jérôme Bertolus nous éclairent :
10 LEWI Georges, La marque, Vuibert, 2003, pp
6-7.
11 in « Paris balance-t-il encore ? » in
Télérama n°2992, 16 mai 2007.
12 Mot anglo-saxon signifiant « être
branché »
« En une dizaine d'années il y a eu
l'arrivée des talk-shows. La télé s'est demandée ce
qui marchait. Le fond, mais surtout la forme. Les journalistes culture
deviennent des marques commerciales [...]. La télé c'est un
média d'images. Ça veut dire que l'image, il faut la remplir
»13
Si nous avons pris comme exemple des référents
ultra-connotés, il est évident que le phénomène est
certes plus complexe dans le choix d'un chroniqueur-marque mais ne se
réfèrera toujours qu'à une seule chose : l'air du temps.
Le chroniqueur littéraire de la Matinale de Canal +, Christophe
Onodit-Bio, lui, ne s'en cache même pas :
« A Canal, plus on est aiguisé, plus on a de
l'humour et un sens de l'époque, de l'air du temps, plus on est le
bienvenu. C'est cette culture là que je défends »14
En se plaçant dans une tradition d'analyse
sémiologique, on comprendra que les chroniqueurs sont ainsi les
signifiants, au sens de Ferdinand de Saussure15, d'un unique
signifié, qui serait celui de la mode. Le Grand journal est en cela
très révélateur en jouant à fond la carte de la
« hype » pour ce qui est du style vestimentaire de ses chroniqueurs.
Chacun rentre ainsi plus dans un rubricage digne de la presse mode que dans une
émission culturelle.
A Tania Bruna-Rosso, la touche « glamour » :
13 Cf annexe 2, entretien avec
Jean-Jérôme Bertolus, pp 43-44.
14 Cf annexe 1, entretien avec Christoophe
Ono-dit-Bio, pp 41-42.
15 SAUSSURE (de) Ferdinand, Cours de linguistique
générale, éd. Payot, 1995.
16 Le Grand journal (Canal +) :
générique de mi-émission, saison 2009-2010
A Mouloud Achour la caution « urbaine » :
17
A Yann Barthes le style « preppy » :
18
b. L'apposition du label « chroniqueur »
Mais, paradoxalement, si la sélection du chroniqueur
qui deviendra marque s'effectue selon le signifiant qu'est « l'air du
temps », celui-ci sera par la suite utilisé par l'émission
télévisée selon un modèle de
référent, un socle pour ne pas se perdre dans les tendances
actuelles. Le chroniqueur devient donc un label, non en tant que
spécialiste d'un sujet mais en tant que « personnalité forte
»19 pour Christophe Ono-dit-Bio.
17 Le Grand journal (Canal +) :
générique de mi-émission, saison 2009-2010
18 Ibid
19 Cf annexe 1, entretien avec Christophe Ono-dit-Bio,
pp 41-42.
Le mot « label » est un anglicisme apparaissant en
France en 1900 grâce aux travaux de Paul de Rousiers qui, analysant la
vie des prolétaires américains définit le terme ainsi :
« Le label, ou étiquette, est une marque
apposée par les syndicats ouvriers sur les marchandises
fabriquées dans les ateliers et usines où on reconnaît leur
existence ».20
Dans cette définition originelle et pragmatique du
label, il y a donc l'idée que le label est une marque dès lors
qu'elle est apposée. Un chroniqueur ne deviendra donc chroniqueur que si
son émission choisit de lui apposer un label. Et si la
télévision crée des labels, c'est en réaction
à la tendance du flux médiatico-culturel. La marque du
chroniqueur devient une sorte de point d'ancrage, de référent
culturel pour tous les téléspectateurs, transformés
dès lors en clients de la marque du chroniqueur. Christophe Ono-dit-Bio
le résume ainsi :
« La télé c'est une forme de nomadisme
éditorial. On a besoin de repères, on aime bien identifier une
parole donnée, un personnage pour se repérer dans une masse de
produits culturels [...] Je me définis comme un missionnaire de la
culture. J'occupe mon temps de parole à expliquer une oeuvre qui
décode l'époque. Je le fais de manière très
pédagogique, j'ai été prof de lettres. Je viens avec mon
projecteur pour éclairer un aspect. Ça recoupe ma mission du
Point : être une sorte de casque bleu de la sphère culturelle.
»21
C'est ce que Georges Lewi nomme la « marque-caution
»22, dont la force est sa « signalétique »
:
« elle donne un crédit aux produits [...], c'est
un gage de garantie, presque un contrat ». Ce contrat, c'est la solution
au paradoxe posé plus haut : si la marque-chroniqueur doit se conformer
avec l'air du temps, elle en est aussi un guide. Le chroniqueur en tant que
marque s'inscrit alors dans ce que
20 ROUSIERS (de) Paul, La vie américaine :
l'éducation et la société, Firmin-Didot et cie,
Paris, 1900, p312.
21 Cf annexe 1, entretien avec Christophe Ono-dit-Bio,
pp 41-42.
22 LEWI Georges, La marque, Vuibert, 2003, pp
68-69.
Lewi nomme un « double branding »23 : «
une marque-produit innovante et une marque-caution rassurante ».
Reste alors à savoir si le discours de cette marque
nouvelle va changer par rapport à celui d'origine du chroniqueur ou si,
au contraire, il n'y aura qu'un transfert vers la sphère
télévisée d'un discours similaire. C'est là toute
la question de l'identité propre revendiquée par le chroniqueur
qui se pose, derrière le label apposé par l'émission.
23 LEWI Georges, La marque, Vuibert, 2003, pp
68-69.
2) Le chroniqueur-marque ou la «
déterritorialisation »
accomplie
La « déterritorialisation » consiste, selon
la pensée de Gilles Deleuze, à « quitter une habitude, une
sédentarité. Plus clairement, c'est échapper à une
aliénation, à des processus de subjectivation précis
»24. A amener un discours dans une autre sphère,
à déplacer un objet culturel sur un autre terrain. Dès le
début d'une marque, cela devient donc la façon d'opérer
pour tous les chroniqueurs culturels, à commencer par le premier
supporter auto-proclamé de Deleuze, André Manoukian. Toutes les
semaines, par de brillantes mises en abîme, le compositeur-juré de
la Nouvelle Star, déclame des hommages absurdes à de
grands noms de la philosophie moderne dont Gilles Deleuze en étendard.
Il en aura fallu peu pour que « le décalé de service se
fasse traiter de philosophe du PAF »25 selon ses propres mots.
Ici, nous sommes dans une marque télévisée construite sur
un paradoxe de fond. Un paradoxe « situationniste »26,
selon les mots de l'intéressé, qui consiste pour la marque
à se démarquer de l'émission dans laquelle elle existe.
Cela nous renvoie beaucoup plus loin quand on sait qu'à la base de ces
phrases, il y a le duo de chroniqueurs télévisés de
Libération, Garrigos-Roberts.
Voici l'explication d'André Manoukian :
24 DELEUZE Gilles et GUATTARI Félix,
L'Anti-OEdipe, Editions de Minuit, Paris, 1972, p162.
25 MANOUKIAN André, Deleuze, Sheila et
moi, Calmann-Lévy, Paris, 2010.
26 Ibid.
27 Chronique Ecrans-Médias, Libération
du 9 juin 2009
« Ainsi commençait avec le duo Garrigos-Roberts un
jeu de piste situationniste : ils posaient leurs instructions dans le journal
et je découvrais le jour même les citations improbables que je
devais glisser le soir en direct. Je m'acquittais joyeusement de cette
tâche avec, en prime, le sentiment d'accomplir une [double] mission :
détournement et transmission ».28
C'est à la fois ce qui fait sa personnalité
(avant ce premier « dédéfi » de 2006, la
popularité n'avait clairement pas explosé), son label, mais aussi
ce qui le fait rentrer paradoxalement dans le moulemême de la
déterritorialisation, partagée par tous ses confrères,
à savoir apporter son background culturel hyperspécialisé
dans le media simplificateur qu'est la télévision. Et surtout
développer sa marque télévisée est un moyen de
déterritorialiser le discours de Garrigos et Roberts. Au final, ce sera
toujours le « média télévision » qui l'emportera
par sa faculté de déterritorialiser tout discours en faisant d'un
chroniqueur une marque.
Tout chroniqueur culturel est donc interchangeable dans la
mesure où il n'est que le véhicule de ladite
déterritorialisation. Qui peut le plus, peut le moins. C'est le cas pour
l'émission hebdomadaire de cinéma de Canal +, Le
cercle29, qui, si elle fait appel à des chroniqueurs
récurrents (Aurélien Ferenczi de Télérama
ou Marie Sauvion du Parisien), n'hésite pas à faire
tourner son équipe chaque semaine. Les chroniqueurs sont donc
interchangeables dès lors qu'ils rentrent dans une fonction bien
définie de la dramaturgie de l'émission. A savoir, pour Le
cercle, les critiques de cinéma « grand public » (Le
Figaro, Le Parisien, ...) s'opposent aux « pointus » (Les
inrocks, Télérama, ...).
Le risque, avec ce nouveau label, faussement personnel et
entièrement télévisuel, étant pour les
émissions de trop anihiler les origines et les particularismes de
chacun. Et donc d'orchestrer une impression, pour le public, d'un brouhaha
diffus. Le romancier Philippe Besson, devenu chroniqueur pour Ça
balance à Paris, évoque ainsi son statut nouveau :
« Notre origine se dilue peu à peu, dans l'esprit
du
28 Ibid.
29 Emission diffusée sur Canal + Cinéma
le vendredi à 22h20 et présentée par
Frédéric Beigbeder.
téléspectateur ou de l'auditeur. On devient celui
qui donne son avis sur un livre, un film. »30
D'où l'importance capitale de la mise en scène
de l'émission dans l'instauration d'une marque. Le label devient en
effet une marque à partir du moment où elle est choisie par
l'émission pour tenir un rôle, dès lors qu'il y a prise de
conscience, aussi bien de la part de la chaîne que du journaliste que
celui-ci est devenu un label. Ainsi, une des marques-label de chroniqueurs les
plus intéressantes à analyser est celle de Thierry Cheze.
Journaliste au mensuel de cinéma Studio Cine Live à la base,
l'homme s'est progressivement autonomisé pour devenir un label
identifiable sur son seul nom. S'il intervient aussi bien sur TPS Star
(Starmag), sur Paris Première (Ça balance à Paris), sur
France 2 (Le ciné-club) et sur i<Télé (la chronique
cinéma de la matinale du week-end), aucune chaîne (à
l'exception de TPS Star) pourtant ne mentionne sa provenance de presse
écrite.
31
32
33
Preuve, si elle en est, que la distinction entre les marques
de chroniqueurs s'opère au coeur de l'émission, au centre de son
action filmée, plus que sur le terrain uniquement marketing de la
recherche de nouveaux labels susceptibles d'attirer des
téléspectateurs-clients.
30 Cf annexe 3, entretien avec Philippe Besson, p
45.
31 Thierry Cheze dans Starmag (TPS Star),
émission du 15 juin 2010
32 Thierry Cheze dans Ça balance à
Paris (Paris Première), émission du 24 avril 2010
33 Thierry Cheze dans le Ciné-club de
France 2 en 2006
II LE TEMPS DE LA SCENOGRAPHIE
Lorsque arrive le temps de la diégèse de
l'émission, celui dans lequel la marque se retrouve immergée au
coeur de l'événement, le chroniqueur joue sur trois terrains de
l'ordre de la représentation. Celui du supermarché, celui du
club, et celui du théâtre. C'est là qu'interviennent les
« qualités subjectives » de la marque définies par
Georges Lewi34 : « tout ce qui donne une perception de la
marque et la distingue de ses voisines ». Car, si les marques de
chroniqueurs se retrouvent ensemble, c'est pour mieux se démarquer les
unes des autres, afin de se construire une identité. En cela, une marque
se définit négativement. Avec, dans tous les cas, la
primauté du jeu, de la mise en scène, du factice, « de la
réalité mise en scène là où il n'y a qu'un
plateau de télé, soit un non-lieu, un topos » selon les mots
de Patrick Tudoret35. Une télévision qu'il qualifie de
« surtélévision ».
1) Le plateau télévisé comme
supermarché des marques
a. La vitrine des marques
Le lieu où se retrouvent toutes les marques est par
définition le supermarché. Le client est attiré par ses
produits en vitrine et y entre afin d'acheter l'un d'entre eux. C'est à
peu près le même mécanisme qui se produit avec les marques
de chroniqueurs. Une fois que chaque chroniqueur a été
placé sur le plateau, autour de la table, mais surtout après
qu'il ait pu faire ses armes et se construire une image, une identité,
un label, au fil des émissions précédentes, « le
packaging doit permettre au consommateur de reconnaître une marque au
premier coup d'oeil, sans même avoir besoin de lire son nom
»36. Il n'a désormais plus besoin de parler, mais de
paraître et de laisser libre cours à l'inconscient de chaque
téléspectateur. Cette fonction visuelle de la marque, à la
fois première et subjective, c'est le « logotype »
défini par Georges Lewi :
« Le logotype est le premier signe visuel de la
34 LEWI Georges, La marque, Vuibert, 2003, p
25.
35 « La surtélévision, c'est quoi ? » in
Médialogues, Radio Suisse Romande, émission du 29
septembre 2009.
36 « Analyser le marché », Guide de travaux
pratiques de l'Office de la Formation professionnelle et de la Promotion du
Travail du Maroc.
marque. Il est caractérisé par sa typographie,
sa couleur et son graphisme. Il permet d'identifier et de caractériser
une marque. Souvent, la seule vue du logotype d'une marque permet de la situer
dans son univers de référence »37
Jean-Jérôme Bertolus tisse la métaphore du
chroniqueur avec l'image du produit de supermarché le plus banal qui
existe, le yaourt :
« Une marque c'est du storytelling. Une marque, ça
vous raconte une histoire. Les chroniqueurs culturels sont comme les yaourts.
On achète Danone, pour l'histoire derrière que la marque raconte
depuis des années »
La marque du chroniqueur s'apparente donc au pot de yaourt
original de Danone qui, sur sa simple photographie dans son pot de verre, nous
renvoie à toute une histoire, celle de la fabrication artisanale du
produit. Georges Lewi, lui, théorise la « saga » de la marque,
ravivée dans notre esprit grâce à une seule image. Dans son
article sur la machine promotionnelle qu'est le Grand
journal38, la journaliste de Télérama
Isabelle Poitte écrit :
« Qu'importe puisque tout est noyé dans les
paillettes. Les chroniqueurs maison ne sont même pas obligés de
poser des questions, il leur suffit d'être là, béats de
contentement : Mouloud, le fan de rap, a serré la main de Jay-Z, Ariane
a plaisanté avec Jude Law, Elise a souri à Martin Scorsese. On
est heureux pour eux »39
C'est pour cette raison que le Grand journal ouvre ses pauses
publicitaires par des « coming-next » (génériques de
mi-émission) ne faisant ni plus ni moins que de mettre en scène
ses chroniqueurs dansant sur une bande-son au goût du jour. Peu de
place pour le discours, mais l'image est là, le
37 LEWI Georges, La marque, Vuibert, 2003, p
26.
38 Emission quotidienne diffusée sur Canal +
à 19h05 et présentée par Michel Denisot.
39 POITTE Isabelle, « Le grand journal ?
Météo, promo, dodo » in Télérama
n°3143, 8 avril 2010.
40
« logotype » s'imprime dans nos têtes :
Cette non-nécessité de développer sa
chronique entraîne par conséquent un appauvrissement du fond et,
tout en cabotinant, délivre un enchaînement d'à
peu-près et de clichés que certains sites continuent à
relever de façon hebdomadaire. C'est le cas, notamment, du blog «
New Wave Hooker » qui par exemple, à propos de la chronique d'Ariel
Wizman sur le nouvel album de Depech Mode, avait intitulé son papier
« Faut-il brûler les chroniqueurs musicaux en France ?
»41.
Mais ce qui est notable dans cet inter-générique
du Grand journal, c'est la façon dont chaque chroniqueur porte devant
lui le visage d'un autre camarade. Preuve de l'aspect interchangeable des
chroniqueurs-marques mis en vitrine de l'émission
télévisée. Pour reprendre Saussure42, chacun
est le « signifiant » de cet air du temps.
40 Le Grand journal (Canal +) :
générique de mi-émission, saison 2009-2010
41
http://www.newwavehooker.com/2009/04/faut-t-il-executer-les-chroniqueurs.html
42 SAUSSURE (de) Ferdinand, Cours de linguistique
générale, éd. Payot, 1995.
b. La loi de l'offre et de la demande de chroniques
Un supermarché répond à la loi de l'offre
et de la demande. Ainsi, nous sommes passé d'une tendance de
marché où c'était l'offre qui influait sur la demande,
où la marque des chroniqueurs se créait indépendamment des
téléspectateurs, à une offre, au sens capitaliste du
terme, qui gouverne les marques de chroniqueurs. Une offre fondée sur
les calculs d'une demande a priori. Et le chroniqueur devient ainsi ce que
Michel Mathien appelle un « guetteur du désirable
»43. Ou, comme le synthétise le journaliste, et
chroniqueur chez Michel Drucker, Claude Sérillon :
« Dans une émission magazine ... il faut
séduire, c'est-à-dire plaire, c'est-à-dire devancer
l'opinion, c'est-à-dire vendre un produit. »44
Le risque est donc double : que la marque-chroniqueur, afin de
ne pas décevoir ses clientstéléspectateurs, tombe dans sa
propre caricature pour ne plus se vendre que comme l'image d'ellemême et,
ainsi, ne plus créer le buzz45 au final, à force de
trop user les vieilles techniques. Comme le dirait le conseiller en
communication, auteur, et professeur au Celsa, David Réguer :
« Moi, délibérément, je n'ai aucune
conviction ou seulement a posteriori, si elle rencontre son public. »46
« Trouver son public » : telle est la mission
essentielle pour toute marque souhaitant survivre. Mais paradoxalement, cela ne
peut avoir lieu que si une marque se déploie dans un univers
élitiste, où, par définition, la concurrence, bien que
qualitativement plus rude, est quantitativement moins forte.
43 MATHIEN Michel, Les journalistes : Histoire,
pratique et enjeux, Ellipses, Paris, 2007, p 205.
44 In Le Monde, 14 février 1992.
45 Emballement médiatique, ramdam.
46 REGUER David, Tout sauf anonyme, Anabet,
Paris, 2009.
2) Le plateau télévisé comme club
des marques
Le marché des marques de chroniqueurs culturels est
donc oligopolistique. Quelques vendeurs, face à une multitude
d'acheteurs. En revenant à notre idée que les chroniqueurs
culturels sont interchangeables, le fait est qu'ils sont surtout un cercle
restreint. Ils forment donc un club avec toute la connotation élitiste
que possède le mot. En effet, depuis les clubs sportifs jusqu'aux
boîtes de nuit, en passant par les clubs mondains, il y a toujours cette
idée d'une sélection à l'entrée. Il y a aussi
sélection des marques de chroniqueurs à la
télévision par les émissions.
Le Cercle est d'ailleurs le titre de
l'émission de cinéma qui pousse ce constat de club le plus loin.
Dans le Cercle, les critiques se font face autour d'une table,
ambiance tamisée. Les spectateurs sont eux dans des gradins,
derrière un muret. Les critiques se font face et surtout « jouent
» ensemble dans la mesure où la table est une table de poker. Le
bluff d'un chroniqueur fait donc partie du jeu.
47
47 Le Cercle (Canal +) : émission du 11 juin
2010
48
Il y a surtout dans Le Cercle une mise en scène qui
rappelle l'époque de la prohibition et de clubs tels que l'on peut en
voir dans les films noirs américains des années 40. Cette
architecture visuelle, ce topos bien précis, va de pair avec ce qui est
le discours élitiste revendiqué du film : ne seront
présents que les marques jusqu'au-boutistes de la critique.
Ce sont les mêmes marques que l'on retrouve entre
Ça balance à Paris49,
Starmag50 et Le cercle, les trois seules
émissions constituées uniquement de chroniqueurs. Ce que
relève Christophe Ono-ditBio : « On a l'impression de voir un peu
les même noms partout. D'ailleurs c'est peut-être un peu
préjudiciable. »51 Ainsi, les chroniqueurs Thierry
Cheze, Eric Naulleau, Mazarine Pingeot et Virginie de Clausade ont longtemps
partagé leur temps entre les émissions de Paris Première
et TPS Star, étant présent sur les deux plateaux dans la
même semaine. Dans Ça balance à Paris aussi la
disposition des chroniqueurs est révélatrice : en petit
comité, dans une pièce ressemblant à un salon. Chacun
prend place sur un cube. Chacun est ici chez lui. Ce sont les signes d'un
entre-soi évident.
52
48 Le Cercle (Canal +) : émission du 11 juin
2010
49 Emission diffusée sur Paris Première
le samedi à 17h40 et présentée par Pierre Lescure.
50 Emission quotidienne diffusée sur TPS Star
à 19h40 et présentée par Eric Naulleau et Valérie
Amarou.
51 Cf annexe 1, entretien avec Christophe Ono-dit-Bio,
pp 41-42.
52 Ça balance à Paris (Paris
Première) : émission du 17 avril 2010
53
Dans le cas du Cercle comme dans celui de Ça balance
à Paris, les marques-chroniqueurs sont choisis afin de s'intégrer
au mieux à l'esprit original de ces émissions, à savoir se
poser en dernier lieu de critique argumentée des oeuvres. Ainsi,
à l'entrée d'un club, il y a sélection, selon l'esprit de
l'émission. Du club de marques de critiques jusqu'au-boutistes au
théâtre de marques de polémistes, il n'y a qu'un pas, comme
le rappelle Camille Brachet :
« Ça balance à Paris est une
émission très appréciée des professionnels [comme
le raconte la manageuse d'un chanteur] : les propos tenus sont
argumentés, les chroniqueurs ont chacun une légitimité
dans leur domaine, et il n'y a jamais d'attaque personelle. En effet, On n'est
pas couché est perçue comme une émission polémique
».54
53 Ça balance à Paris (Paris
Première) : émission du 17 avril 2010
54 BRACHET Camille, Peut-on penser à la
télévision, la culture sur un plateau, coll. INA, Paris,
2010, p51.
3) Le plateau télévisé comme
théâtre des marques
Il est évident que la télévision met en
scène, ne serait-ce que dans la simple disposition du plateau
télévisé. C'est sûrement dans On n'est pas
couché55 que l'idée de Patrick Tudoret prend
toute sa force : « il y a tribunalisation du plateau de
télévision à l'heure de la surtélévision
»56. Dans l'émission de seconde partie du samedi soir de
France 2, le plateau prend la forme d'une arène où les
invités vont s'assoir sur un fauteuil pris en tenailles entre les autres
invités et les chroniqueurs Zemmour et Naulleau :
Une géographie du plateau qui va de pair avec le ton de
polémiste de ses deux chroniqueursmarques, Eric Zemmour et Eric
Naulleau. Une fonction de tribunal inhérente à l'histoire du
média télévision selon Christophe Ono-dit Bio :
« Les plateaux télé ressemblent beaucoup
à une arène. C'est la partie cirque romain qu'il y a toujours eu
à la télévision. »58
Après avoir montré que ce qui participe d'une
marque pour un chroniqueur est sa personnalité, on peut facilement
discerner le rapport fonctionnaliste de la télévision. Les
émissions de chroniqueurs sont ainsi le plus souvent
hétéroclites et rentabilisent à fond chacune de leurs
marques, procédant
55 Emission diffusée sur France 2 le samedi
vers 22h50 et présentée par Laurent Ruquier.
56 « La surtélévision, c'est quoi ? » in
Médialogues, Radio Suisse Romande, émission du 29
septembre 2009.
57 On n'est pas couché (France 2) :
émission du 6 octobre 2007
58 Cf annexe 1, entretien avec Christophe
Onon-dit-Bio, pp 41-42.
souvent à des conflit, ou « clash ». Isabelle
Poitte continue de disséquer le Grand journal et en tire cette
conclusion :
« A chaque chroniqueur sa fonction. A Ariane Massenet le
rôle de faire-valoir décomplexé, à Ali Baddou,
agrégé de philo et animateur à France Culture,
l'érudition qui rassure les intellectuels, à Mouloud Achour les
cultures urbaines (la caution « jeune »)... Et, pour lier le tout :
un Michel Denisot passe-plat, lisse et poli comme il se doit. »59
On peut donc clairement parler de mise en scène de
personnages, de créations de marques de chroniqueurs au sein même
de la dramaturgie de l'émission. C'est ce que Patrick Tudoret
définit comme étant la dimension prométhéenne de la
télévision :
« Un des éléments de la
télévision, c'est qu'elle a une dimension
prométhéenne, la télé usine, formate, ses propres
créatures, à la fois auteur et chroniqueurs »60
Le même Tudoret de s'attaquer avec rancoeur aux «
juges improvisés, érigés en critiques »61.
Mais qui « érige » ces marques de chroniqueurs-critiques ?
Difficile alors de dire si la marque se crée elle-même ou si elle
est réduite à sa simple utilisation par le média
télévision. Pour Jean-Jérôme Bertolus, il y a des
deux, la télé crée la marque et la marque demande à
la télé de l'entretenir :
« Les marques sont mises en scènes par le
réalisateur, le producteur mais vous aussi si vous êtes une
marque, vous allez demander à être mis en scène.
»62
L'émission arrivera aussi à s'approprier les
clivages entre marques. Clivages qui ne sont que de façade. Le bon et
le méchant n'étant que deux rôles d'une pièce de
théâtre, celle de l'émission
59 POITTE Isabelle, « Le grand journal ?
Météo, promo, dodo » in Télérama
n°3143, 8 avril 2010.
60 « La surtélévision, c'est quoi ? » in
Médialogues, Radio Suisse Romande, émission du 29
septembre 2009.
61 TUDORET Patrick, L'écrivain
sacrifié : vie et mort de l'émission littéraire, Bord
de l'eau, Paris, 2009, p 170.
62 Cf annexe 2, entretien avec
Jean-Jérôme Bertolus, pp 43-44.
culturelle. Jean-Jérôme Bertolus poursuit son
analyse :
« Si on applique le concept de marque commerciale
à un journaliste, qu'il soit pour, qu'il soit contre, qu'il soit dans le
sourire comme PPDA, qu'il soit dans l'agressivité comme Naulleau, si on
considère tout ça du point de vue des marques, ça veut
dire en fait qu'elles s'annulent. On peut être dans la critique, on peut
être dans la complaisance, à partir du moment où l'on
respecte le principe premier de la télé qui veut qu'on soit une
marque, dans quelque registre que l'on soit, on est tellement
fédérateur qu'au final, ça revient au même.
»63
La marque ne serait donc qu'un rôle participant du
système. On peut donc dire qu'il y a une marque «
anti-système ». Le risque étant que les chroniqueurs
s'enferment dans une vision simpliste et archétypale de leur marque, de
leur personnalité. Ce risque, c'est celui de « sublimation
»64 pour reprendre le concept politique de Bernard Lamizet,
pour qui un homme politique va se prendre en compte comme l'un des
protagonistes de l'histoire qu'il raconte et ainsi intégrer dans son
propre comportement public un rôle qu'il n'avait pas au début :
« Les acteurs de l'événement se pensent
eux-mêmes comme les acteurs de l'histoire qu'ils évaluent dans
leur intervention ... On peut parler, dans ces circonstances, de sublimation
des acteurs de l'événement, à la fois dans l'image qu'ils
se font d'eux-mêmes, dans leur propre pratique, et dans leurs relations
avec les autres. »65
En intégrant à son discours l'image de marque
qu'il voudrait avoir, un chroniqueur-marque cherche à « affirmer
sa propre personnalité, [...] et accéder à une forme de
célébrité » selon l'auteur
63 Cf annexe 2, entretien avec
Jean-Jérôme Bertolus, pp 43-44.
64 LAMIZET Bernard, Sémiotique de
l'événement, Lavoisier, 2006, p 116.
65 Ibid.
britannique David Lodge66. Il faudrait tout de
même relativiser en notant que ce duel entre marques de chroniqueurs
culturels vendues comme antagonistes existe depuis bien longtemps. Christophe
Ono-dit-Bio confirme :
« La télévision a toujours
créé des personnages. Souvenez-vous de Michel Chevalet, des
frères Bogdanov, Antoine de Caunes ... Il n'y a pas d'enfermement,
aujourd'hui on est tous polyvalents. »67
A la radio, l'émission qui fit triompher l'idée
de faire s'affronter des chroniqueurs culturels a toujours été
Le Masque et la Plume. Ainsi, Jean-Claude Raspiengas, pas encore
chroniqueur, se souvient :
« Au fil du temps, Georges Charensol et Jean-Louis Bory,
le réactionnaire et l'affranchi, comparses de comédie,
s'installèrent dans notre univers, peuplèrent de leurs querelles
l'habitacle de la voiture. La voix grave de l'un, vite outrée, les
emportements aigus de l'autre, farfadet provocateur qui attirait les rieurs de
son côté, figuraient un théâtre familier dont les
objets de dispute nous demeuraient opaques. »68
Certes, il s'agissait là d'un rôle, d'un
théâtre, mais à la nature visible au premier coup d'oeil.
Les faux affrontements étaient présentés dès le
début comme surjoués. Aujourd'hui, la démarche est devenue
commerciale et relève d'une conception égotique de mise en valeur
de soi aux ressorts cachés. Aujourd'hui, être une marque c'est
donner l'illusion d'un personnage de la manière la plus réaliste
et non, comme à la grande époque du Masque et de la
Plume, avec une certaine dérision. On en revient à
l'idée de Patrick Tudoret du plateau télévisé comme
lieu de « la réalité mise en scène
»69. C'est peut-être pour cette raison que l'on se
souvient plus des chroniqueurs de cette époque, moins interchangeables
qu'aujourd'hui, moins uniformisés.
66 LODGE David, Les quatre
vérités, Pocket, 2006, p 163.
67 Cf annexe 1, entretien avec Christophe Ono-dit-Bio,
pp 41-42.
68 GARCIN Jérôme et GARCIA Daniel, Le
masque et la plume, 10/18, 2005, p 273.
69 « La surtélévision, c'est quoi ? » in
Médialogues, Radio Suisse Romande, émission du 29 spetembre
2009.
III LE TEMPS DE LA SURVIVANCE
Nous venons de voir qu'un chroniqueur-marque, s'il veut
exister sur le marché, se doit de ne parler que du buzz, de l'air du
temps. Non pour le commenter, mais pour créer un nouveau buzz, notamment
grâce à une mise en scène de sa marque. Cela afin de faire
survivre sa marque, dans l'inconscient des publics, mais aussi surtout
grâce à l'outil internet.
1) La marque après la chronique
télévisée
La question sur les lèvres de tout chroniqueur
télévisé s'apparente à celle de la «
ménagère de cinquante ans » : « comment rester belle
à mon âge ? », ou plutôt dans notre cas, « comment
faire survivre sa marque dans la jungle du net ? ». Comme nous le verrons
plus loin, marque journalistique et internet vont de plus en plus de pair, la
logique étant de s'affranchir de tout média traditionnel afin de
fédérer des téléspectateurs et un lectorat sur son
simple nom. D'où cette interrogation fondamentale : une chronique
télévisée ... et après ?
Si la plupart rétorqueront d'aller voir « sur
youtube, sur dailymotion, ... », force est de constater que la grosse
majorité des vidéos de chroniques télévisées
postées directement sur internet se limite aux « clashs
»70. A part sur le site de Canal +, qui met à jour
quotidiennement toutes les vidéos des émissions culturelles de la
chaîne. Et ce sans passer par aucun hébergeur de vidéo
externe. Les vidéos sont directement intégrées sur la page
du site. Mais le vrai renvoi aux noms des marques
télévisées réside sous les vidéos des dites
émissions.
On peut ainsi revoir « la story de Marie Colmant »,
chroniqueuse de l'Edition spéciale, sur un blog du même
nom : 71
70 Voir III-2) Le « clash » ou
l'instantané télévisé des marques sur internet.
71 « La story de Marie Colmant » : blog de la
chroniqueuse de L'édition spéciale, Marie Colmant
Ou alors découvrir les dernières sélections
musicales sur le blog de la chroniqueuse du Grand journal Tania
Bruna-Rosso, le « Tania's blog » :
72
Daphné Burki, chroniqueuse mode de l'Edition
spéciale, possède ainsi son propre blog, qui ne s'appelle ni
plus ni moins que le « Burkiblog ». Notez bien le renvoi direct
à son nom, mot-clé très important pour la marque.
73
Et la marque Burki de préparer dès son passage
télévisé son transfert vers internet, dans un processus
tout à la fois de fidélisation de sa clientèle sur son
propre nom et en même temps d'exploration de son contenu. Afin d'aller
plus loin, là où s'arrêtaient ses chroniques
télé. « Vous retrouverez les détails
supplémentaires sur le Burkiblog » ponctue ainsi
généralement la fin de chacune de ses chroniques de l'Edition
spéciale. Pour tous les chroniqueurs évoqués ici, la
survivance de leur marque se fait de manière directe, dans le but de
marteler leur slogan, sous une forme autre que télévisuelle, et
ainsi s'auto-promouvoir. Mais pour d'autres, le phénomène fait
intervenir le chroniqueur-marque de manière indirecte, par des fragments
télévisuels bien ciblés.
72 « Tania's blog » : blog de la chroniqueuse du
Grand journal, Tania Bruna-Rosso
73 « Burkiblog » : blog de Daphné Burki,
chroniqueuse mode de l'Edition spéciale
2) Le « clash » ou l'instantané
télévisé des marques sur
internet
Avec les blogs, le mot-clé qu'est le nom du chroniqueur
(on vient de le voir avec l'exemple de Daphné Burki) devient donc la
donnée centrale de la survie du chroniqueur-marque sur internet. En
termes de mot-clé, l'un des phénomènes les plus importants
de ces dernières années sur les plateformes vidéos du web
reste le « clash »74. On pourrait même parler
d'esthétique du « clash » tant le phénomène
s'est développé en peu de temps et à une allure
exponentielle pour avoir aujourd'hui le statut de passage obligé.
Le mot « clash » a longtemps été
associé à certaines confrontations
télévisées d'Eric Naulleau sur le plateau d' On n'est
pas couché. Face à Mickael Youn, Laurence Boccoloni, et
Francis Lalanne notamment, avec respectivement 125000, 31000 et 421000 vues. Le
nom de ces vidéos « clash » suit un processus semblable pour
tous. Très souvent, la vidéo est postée sur dailymotion
par un même utilisateur, à savoir Fullhdready, fournisseur
n°1 d'images de télévision sur dailymotion. Les
vidéos, elles, portent toutes la même appellation bâtie sur
ce modèle : « clash "nom du chroniqueur" vs "nom de
l'invité" ». Quatre mots-clés donc, avec au centre celui du
chroniqueur. La marque devient donc un substantif dans la grammaire
spécifique à internet.
75
74 Terme issu du vocabulaire du rap, désignant
un affrontement verbal violent entre un chroniqueur et un invité.
75 Vidéo dailymotion du « clash »
entre Mickael Youn et Eric Naulleau sur le plateau d'On n'est pas
couché (16 juin 2007)
76
Sur dailymotion, le mot « clash » devient un «
symbole » au sens linguistique de Saussure77 : en cherchant le
symbole du « clash », le spectateur, client, ou internaute, ne
recherche ni plus ni moins que le « signifié » d'une
pièce de théâtre. Grâce au « signifiant »
qu'est le néologisme « clash », on aboutira donc à
l'affrontement visuel sur le plateau d'un chroniqueur et d'un invité.
Mais avant d'atterir sur internet, le clash ne peut exister en tant que
symbole. En réalité c'est internet qui transforme cet
événement du théâtre des marques propre à la
« télé-prétoire »78 en symbole dans
la mesure où ce symbole reste gravé pour toujours, passant d'une
logique de flux (télévision) à une logique de stock
(internet).
76 Vidéo dailymotion du « clash »
entre Georges-Marc Benamou et Eric Zemmour sur le plateau d'On n'est pas
couché (29 mai 2010)
77 SAUSSURE (de) Ferdinand, Cours de linguistique
générale, éd. Payot, 1995.
78 TUDORET Patrick, L'écrivain
sacrifié : vie et mort de l'émission littéraire, Bord
de l'eau, Paris, 2009, p 168.
3) « Personal branding » et «
reterritorialisation » de la marque
Ce surdéveloppement de la marque des chroniqueurs
télévisés doit aussi être analysé sous le
prisme d'une des grandes tendances d'Internet : le « personal branding
». Fin 2009, on pouvait lire dans Le Monde l'un des seuls
articles de presse écrite ayant analysé cette tendance lourde qui
fait que de plus en plus de journalistes créent leur propre média
sur Internet, autour de leur propre identité. Une marque-internet en
somme. Voici ce qu'écrit Xavier Ternisien, son auteur :
« L'essor du journalisme multimédia a conduit les
éditeurs à mettre en avant le concept de marque de presse : dans
la jungle de l'information sur Internet, le titre d'un magazine ou d'un
quotidien, qui se décline sur plusieurs supports, devient un gage de
sérieux et de crédibilité pour l'internaute en mal de
repères.
Mais Internet, en tant que formidable outil de diffusion de
l'information - et aussi d'autopromotion -, pourrait bien contribuer à
transformer les grandes signatures de la presse en marques susceptibles de se
vendre toutes seules, sans le secours d'un support connu. »79
Dès lors, le rapport beaucoup plus proche avec les marques
de chroniqueurs télévisés devient évident. Dans un
article de la journaliste de Télérama, Emmanuelle
Anizon, on pouvait lire :
« Ce n'est pas nouveau : PPDA n'a jamais fait autre chose
que de décliner sa marque, tout comme ces journalistes chroniqueurs qui
squattent les plateaux télé et les studios radio. Mais la crise
économique alliée à l'explosion du Net transforme le
personal
79 TERNISIEN Xavier, « Les journalistes vont-ils
devenir des marques grâce à internet ? » in Le
Monde, 26 septembre 2009.
branding en un système
généralisé : "Il n'y a pas si longtemps, un
étudiant envoyait son CV, tapait à la porte des rédactions
pour obtenir un stage, proposer un sujet. Aujourd'hui, il a
intérêt à se construire un nom sur son blog, Facebook,
Twitter... avant même sa sortie de l'école", confirme Christophe
Deloire, directeur du Centre de formation des journalistes. »80
Mais l'erreur serait de limiter cette tendance aux apprentis
journalistes. L'analyse de Christophe Deloire vaut aussi pour tous les
journalistes et chroniqueurs télévisés. Eric Naulleau, par
exemple, envoie toutes les semaines sur Facebook le planning des
émissions Starmag à tous les membres de son groupe
« La vie est trop courte pour lire de mauvais livres ».
Autre chroniqueur de l'émission de TPS, Patrick Fabre,
fait vivre en temps réel l'enregistrement des émissions
grâce à son compte facebook :
82
Une bonne synthèse de cette idée de l'influence
réelle du fonctionnement des marques Internet sur les marques
télévisées est donnée par David Réguer :
« Le journaliste existe de plus en plus par
lui-même,
80 ANIZON Emmanuelle, « Journaliste à
louer » in Télérama, n°3135, 13 février 2010.
81 Programme de la semaine Starmag, envoyé par
Eric Naulleau, par inbox sur Facebook, le 8 novembre 2009
82 Pseudo Facebook du chroniqueur (Starmag) Patrick
Fabre du 21 juin 2010
indépendamment du support pour lequel il travaille.
Internet lui donne progressivement une valeur marchande propre, à tel
point qu'il pourrait à son tour basculer et devenir une marque
déclinable sur divers médias traditionnels et sociaux, mais aussi
monnayable au travers d'associations d'autres marques, d'opérations ou
de transactions. Une petite révolution culturelle, initiée par
les blogueurs. Les journalistes leur emboîtent le pas de la
"self-promotion", avec l'atout parfois supplémentaire d'être
déjà reconnu dans [les médias traditionnels]. »83
Le chroniqueur connu pour sa marque télévisuelle
et la faisant vivre sur internet afin de le retrouver à la
télévision : la boucle de la marque du chroniqueur est d'une
certaine manière bouclée dans la mesure où les trois temps
de la marque s'auto-entretiennent dans ce qu'on pourrait appeler un «
cercle vertueux »84 pour reprendre l'expression de
l'économiste John Maynard Keynes.
83
www.lepost.fr/article/2009/09/28/1716895_les-journalistes-sont-des-marques-en-devenir-bientot-people.html
84 KEYNES John Maynard, Les conséquences
économiques de la paix, nrf, Paris, 1919.
CONCLUSION
Les chroniqueurs culturels à la télévision
sont des marques comme les autres. Au départ, ils sont choisis pour
incarner l' « identité » d'une émission en la
personnalisant :
« Dans le cadre des émissions de
télévision, le terme identité désigne les
éléments qui soumettent une émission en particulier au
principe d'individualisation, les éléments qui lui permettent de
se distinguer des autres ».85
Une fois labellisée par son émission de
télévision, la marque d'un chroniqueur devient
omniprésente et n'a plus besoin de son émission d'origine pour
exister. Si les chroniqueurs Thierry Cheze et Eric Naulleau se sont fait
connaître par leurs chroniques dans Ca balance à Paris, ils
alternent dorénavant les différents plateaux sur leurs seul nom
et leur seule image. En effet, la spécificité du chroniqueur
télévisé, c'est de posséder une image, ce que n'a
pas le chroniqueur en presse écrite, en radio ou sur internet. Et dans
l'ère de la « surtélévision »86,
l'image force le trait des émotions. A l'origine de cela, le format
télévisuel, « comprimant à l'extrême » le
discours :
« L'orateur n'a plus le temps de convaincre son
auditoire. Au lieu de convaincre, il doit s'efforcer de séduire,
c'est-à-dire de paraître plus et non d'être
».87
D'où cette assomption de Frédéric
Taddéï, consistant à affirmer que les chroniqueurs sont la
maladie de notre époque. Pire, ils constituent le reflet du triomphe de
l'image sur le discours. Ce n'est pas pour rien que, comme nous l'avons
souligné tout au long de ces recherches, la plupart d'entre eux viennent
de milieux autres que le journalisme pur. Être une marque, c'est avant
tout être une image. Ou comme l'écrit Florence Aubenas, «
passer à la télé est devenu une étape
acceptée pour qui veut aujourd'hui exister
»88.
85 BRACHET Camille, Peut-on penser à la
télévision, la culture sur un plateau, coll. INA, Paris,
2010, p 56.
86 « La surtélévision, c'est quoi ? » in
Médialogues, Radio Suisse Romande, émission du 29
septembre 2009.
87 COTTERET Jean-Marie, La magie du discours :
Précis de rhétorique audiovisuelle, Michalon, Paris, 2000, p
16.
88 AUBENAS Florence et BENASAYAG Miguel, La
fabrication de l'information : les journalistes et l'idéologie de la
communication, La découverte, Paris, 1999, pp 9-10.
Pour un chroniqueur, exercer sa marque est en cela doublement
paradoxal. Si une marque multiplie ses apparitions sur les plateaux, sur le
fond elle restera figée dans une seule et même case, dans un
rôle unique : le méchant/le gentil ou le branché/le
ringard. Quitte à parfois tomber dans la caricature d'elle-même
afin de répondre aux attentes de son public, transformé en
clients. Le paradoxe est identique dans sa forme : la marque est là pour
parler du buzz, tout en souhaitant en créer un. D'où une
recherche effrénée de l'événement là
où il n'y en a pas. Le risque étant de se limiter à une
série de phrases-choc aussi réductrices qu'erronées.
Les chroniqueurs sont les créatures de Frankenstein de
cette télévision qui leur a laissé de plus en plus de
pouvoir et de temps de parole. En déléguant, les
présentateurs et animateurs n'ont fait qu'accélérer la
fragmentation de l'espace télévisuel. Les chroniqueurs-marques
naissent donc tiraillés entre deux tendances : porter l'identité
de l'émission et exporter leur propre marque. Interchangeables et
presque toutes parisiennes, les marques se retrouvent dans un cercle incestueux
et officient un jeu de rôles amenant à une « starification
» d'eux-même. Et à un appauvrissement du discours. Le grand
tournant de la néo-télévision depuis une dizaine
d'années réside dans le fait que les marques de chroniqueurs sont
devenues plus importantes que celles des artistes invités dans les
émissions culturelles.
« Les journalistes devenaient les nouveaux auteurs, et
les écrivains qui souhaitaient encore être des auteurs devaient
passer par les journalistes, ou devenir leurs propres journalistes »89
Les marques télévisuelles de chroniqueurs font
face à un avenir incertain. Toutes les marques étant
interchangeables on débouche alors sur un phénomène de
goulot d'étranglement. Pour l'élite des marques de chroniqueurs,
la sélection naturelle est perçue comme le remède à
ces maux. C'est le constat de Christophe Ono-dit-Bio : « Des marques vont
survivre, se développer, d'autres, comme des produits mal ciblés,
vont se perdre ». Une fois de plus, l'analyse est économique et
prouve que la carrière d'un chroniqueur est avant tout de l'ordre du
marketing.
Mais pour quel discours ? C'est là que le bât
blesse. La vraie et la seule question qui compte est finalement celle de la
direction axiologique à donner à sa marque, quel rôle
prendre ? Certes, nous venons de voir que le système
médiatique avait intégré en lui sa propre opposition en
créant des
89 DELEUZE Gilles, « A propos des nouveaux
philosophes », in revue bimestrielle Minuit, n°24, mai
1977.
marques « anti-système ». Mais alors,
pourquoi ne pas prendre le problème dans l'autre sens et ne pas se
demander si en fait le système égocentrique de la marque, en tant
qu'identité définissant un individu associé à une
pensée, ne serait aussi pas un bon moyen de remettre en cause la
direction que prennent la plupart des marques de chroniqueurs aujourd'hui.
N'est-il pas utile qu'un chroniqueur culturel remette en cause
l'actualité chaude d'une oeuvre afin de la critiquer avec plus de recul
? Même s'il se place dans le rôle du « sniper » de
service, comme Eric Naulleau dans l'émission On n'est pas
couché.
Car le vrai débat idéologique au coeur de la
marque d'un chroniqueur culturel aujourd'hui oppose un système de
promotion systématique à un système de critique
argumentée d'une oeuvre. Le pari de cette décennie pour les
marques étant de se trouver une place là même où
l'on sait bien qu'un chroniqueur-promoteur peut toujours être
remplacé par une simple interview. Alors, pourquoi ne pas jouer la carte
de l'anti-système au sein-même du système et proposer un
discours critique en plein coeur d'émissions promotionnelles ?
BIBLIOGRAPHIE
Ouvrages
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l'information : les journalistes et l'idéologie de la
communication, La découverte, Paris, 1999.
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édition), Montchrestien, Paris, 2007.
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1996.
BRACHET Camille, Peut-on penser à la
télévision, la culture sur un plateau, coll. INA, Paris,
2010.
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d'elle-même, L'harmattan, Paris, 2000.
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plume, 10/18, 2005.
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télévision, Ellipses, Paris, 2007.
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télévision, Cahiers du cinéma, 2007. KEYNES John
Maynard, Les conséquences économiques de la paix, nrf,
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LAMIZET Bernard, Sémiotique de
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LEWI Georges, La marque, Vuibert, 2003.
LEWI Georges, Branding management, La marque de l'idée
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TUDORET Patrick, L'écrivain sacrifié : vie et mort
de l'émission littéraire, Bord de l'eau, Paris, 2009.
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in revue bimestrielle Minuit, n°24, mai 1977.
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« Paris balance-t-il encore ? » in Télérama
n°2992, 16 mai 2007.
LANDROT Marine, « La critique a-t-elle perdu tout sens
critique ? » in Télérama n°3132, 20 janvier
2010.
POITTE Isabelle, « Le grand journal ?
Météo, promo, dodo » in Télérama
n°3143, 8 avril 2010. TERNISIEN Xavier, « Les journalistes vont-ils
devenir des marques grâce à internet ? » in Le
Monde, 26 septembre 2009.
Sites web
DEHESDIN Cécile, « Ma marque, c'est moi. Ou pas ?
», Le Médialab,
http://blog.slate.fr/lemedialab-de-cecile
J., « Faut-il exécuter les chroniqueurs musicaux en
France ? », New Wave Hooker,
http://www.newwavehooker.com/2009/04/faut-t-il-executer-les-chroniqueurs.html
MAIRE Antoine, « Le journaliste doit apprendre à
relayer son information, pas sa marque personnelle »,
Télérama,
http://www.telerama.fr/techno/le-journaliste-doit-apprendre-a-relayer-linformation-pas-sa-marque-personnelle,52571.php
REGUER David, « Les journalistes : des marques en devenir
... bientôt people ? », Le Post,
http://www.lepost.fr/article/2009/09/28/1716895_les-journalistes-sont-des-marques-en-devenirbientot-people.html
Podcast
« La surtélévision, c'est quoi ? » in
Médialogues, Radio Suisse Romande, émission du 29 spetembre
2009.
ANNEXES
Annexe 1 : Entretien avec Christophe Ono-dit-Bio
(romancier, directeur du service cuture du Point, chroniqueur dans la
Matinale de Canal +)
-Quelles ont été vos motivations pour devenir
chroniqueur à la télévision ?
Je trouve que la télévision est un instrument
génial pour parler de culture, c'est un media de masse et il y a plein
de chose que l'on peut faire passer à l'image. C'est un traitement
complémentaire de ce que je fais au Point en presse écrite, une
autre forme de pédagogie. En télé on est interrompu, il
faut toujours rebondir. Et à Canal, plus on est aiguisé, plus on
a de l'humour et un sens de l'époque, de l'air du temps, plus on est le
bienvenu. C'est cette culture là que je défends.
-Avez-vous l'impression de devenir une identité
à part, autonome, qui ne serait plus là du fait de son origine de
presse écrite ?
Moi je suis aussi romancier et je me réfère
toujours à FOG. Son ADN est autant le Point que Giesbert romancier et
Giesbert présentateur. La télévision recherche des
signatures, des visages, des tons. Ce que j'aime dans mon métier, c'est
le côté « personnalité forte ». On dit signature
en presse écrite, on pourrait dire signature en
télévision. La presse écrite est un bon fournisseur de
chroniqueurs télé.
-Beaucoup de chroniqueurs viennent d'autres mondes que le
journalisme. Notamment ceux que l'on appelle les « chroniqueurs-snipers
» tel qu'Eric Naulleau. Que pensez-vous de cette tendance ?
Ce sont des exceptions. Naulleau est éditeur et
critique les livres d'autres éditeurs, donc c'est un peu incestueux. Je
crois qu'il est là surtout pour dire du mal des invités, et on
attend ça de lui. Je crois qu'il est condamné à être
le méchant. Je ne sais pas quel est son travail, je dirai que c'est plus
une fonction de démolisseur de la télévision.
-La télévision ne simplifie-t-elle pas et
n'enferme-t-elle pas un chroniqueur ?
La télévision a toujours créé des
personnages. Souvenez-vous de Michel Chevalet, des frères Bogdanov,
Antoine de Caunes ... Il n'y a pas d'enfermement, aujourd'hui on est tous
polyvalent. On
a l'impression de voir un peu les même noms partout.
D'ailleurs c'est peut-être un peu préjudiciable. La
télé c'est une forme de nomadisme éditorial. On a besoin
de repères, on aime bien identifier une parole donnée, un
personnage pour se repérer dans une masse de produits culturels. Moi, je
n'ai pas peur de l'enfermement, je suis toujours identifié comme
quelqu'un du Point. Cette après-midi je vais tourner une vidéo
pour le site du Point : aujourd'hui les magazines vont faire de plus en plus de
télévision, sous la marque « Le Point ».
-Comment définiriez-vous votre rôle de
chroniqueur ?
Je me définis comme un missionnaire de la culture.
J'occupe mon temps de parole à expliquer une oeuvre qui décode
l'époque. Je le fais de manière très pédagogique,
j'ai été prof de lettres. Je viens avec mon projecteur pour
éclairer un aspect. Ça recoupe ma mission du Point : être
une sorte de casque bleu de la sphère culturelle.
-Que pensez-vous de la survivance des chroniqueurs par
l'esthétique du «clash » sur dailymotion notamment ?
On est là dans la dimension spectaculaire. Pour moi
c'est le combat de coqs. Il y a une plus grande personnalisation et
individualisation du monde contemporain. On est dans le domaine de
l'arène : les plateaux télé ressemblent beaucoup à
une arène d'ailleurs. C'est la partie cirque romain qu'il y a toujours
eu à la télévision.
-Comment voyez-vous l'avenir des chroniqueurs culturels
à l'ère d'internet ?
Je crois aux marques. On a peut-être l'impression que
tout se ressemble, mais tout va se décanter à l'avenir. Il y a
des marques comme certains réalisateurs tirent leur épingle du
jeu. On va voir le nouveau Woody Allen et on ne se souvient pas du titre du
film. Des marques vont survivre, se développer, d'autres, comme des
produits mal ciblés, vont se perdre.
Annexe 2 : Entretien avec Jean-Jérôme Bertolus
(éditorialiste économique à i<Télé,
ancien responsable du service Médias de La Tribune)
-Avez-vous l'impression que les chroniqueurs deviennent une
identité à part, autonome, qui ne serait plus là du fait
de son origine de presse écrite ?
Oui, tout à fait, la télévision, il y a
la forme et le fond. Il y a dix-vingt ans, il y avait des émissions
littéraires comme celle de Bernard Pivot, mais pas de chroniqueurs. En
une dizaine d'années il y a eu l'arrivée des talk-shows. La
télé s'est demandée ce qui marchait. Le fond, mais surtout
la forme. Les journalistes culture deviennent des marques commerciales. On veut
qu'ils fassent leur show. Le libraire le plus invité de la
télé sera donc Gérard Collard, reconnaissable avec sa
crête à l'iroquoise. Les journalistes culture, on veut qu'ils
« fassent la blague ». Ariel Wizman, très bon sur le fond,
fait aussi la blague sur la forme, car il a compris ce qu'était le
média télé : vous passez à la télé,
vingt secondes après votre passage on vous dira « tu as
été vachement bon, vachement souriant, vachement bien
habillé ». La télé c'est un média d'images.
Ça veut dire que l'image, il faut la remplir.
-Comment définiriez-vous le rôle de chroniqueur
culturel aujourd'hui ?
Vous êtes une marque et vous devez parler d'une marque.
En littérature, ce seront les prix et le nouveau BHL. Christophe
Ono-dit-Bio, par exemple, ne parlera jamais d'un truc qui n'est pas dans le top
20 de L'Express ou du Point. En presse écrite, c'est plus large. Les
marques sont mises en scènes par le réal, le producteur mais vous
aussi si vous êtes une marque, vous allez demander à être
mis en scène. Une marque c'est du storytelling. Une marque, ça
vous raconte une histoire. Les chroniqueurs culturels sont comme les yaourts.
On achète Danone, pour l'histoire derrière que la marque raconte
depuis des années. Quand Guillon s'attaque à la nouvelle
équipe d'Inter, ça part bien sûr d'un vrai sentiment, mais
c'est aussi un positionnement commercial. Ça continue à faire
vivre la marque Guillon, et d'une certaine manière la marque Inter.
-Beaucoup de chroniqueurs viennent d'autres mondes que le
journalisme. Notamment ceux que l'on appelle les « chroniqueurs-snipers
» tel qu' Eric Naulleau. Que pensez-vous de cette tendance ? Naulleau
et Zemmour, c'est des marques. Une marque commerciale, ça a une certaine
neutralité, il ne faut pas que ça choque. Si on applique le
concept de marque commerciale à un journaliste, qu'il soit pour, qu'il
soit contre, qu'il soit dans le sourire comme PPDA, qu'il soit dans
l'agressivité comme Naulleau, si on considère tout ça du
point de vue des marques, ça veut dire en fait qu'elles s'annulent. On
peut être dans la critique, on peut être dans la complaisance,
à partir du moment où
l'on respecte le principe premier de la télé qui
veut qu'on soit une marque, dans quelque registre que l'on soit, on est
tellement fédérateur qu'au final, ça revient au
même.
-La marque du chroniqueur culturel ne réside-t-elle pas
dans une niche ?
Il n'y a jamais de chroniqueur qui parle de tout. Quand vous
êtes chroniqueur culturel, vous êtes dans une case. Il y a une
dizaine de chroniqueurs culturels en France seulement.
Annexe 3 : Entretien avec Philippe Besson (romancier,
chroniqueur dans Ça balance à Paris sur Paris
première)
-Quelles ont été vos motivations pour devenir
chroniqueur à la télévision ?
C'est le hasard qui m'a conduit à devenir chroniqueur.
On m'a vu faire le malin dans une émission de télé. On m'a
proposé de rejoindre la bande de Ça balance à
Paris, émission à laquelle j'avais participé en
qualité de romancier invité, et que je trouvais intelligente et
singulière. La perspective de travailler avec Pierre Lescure, Eric
Naulleau, Elisabeth Quin ou Philippe Tesson a achevé de me convaincre.
Je crois que tout est affaire de rencontres, d'affinités.
-Avez-vous l'impression de devenir une identité
à part, autonome, une marque qui ne serait plus là du fait de son
origine de romancier ?
Oui, notre origine se dilue peu à peu, dans l'esprit du
téléspectateur ou de l'auditeur. On devient celui qui donne son
avis sur un livre, un film. Mais est-ce si grave ? Ce qui est grave, c'est le
chroniqueur qui donne son avis sur tout, tout le temps.
-La télévision ne simplifie-t-elle pas et
n'enferme-t-elle pas un chroniqueur ?
On peut essayer d'être un chroniqueur intelligent, qui
argumente, explique, donne envie ou dissuade. On peut aussi tenter de parler
aux gens sans les prendre de haut, sans leur laisser penser qu'on sait et
qu'eux ne savent pas. Dès lors, on ne s'enferme pas. Mais il faut savoir
partir, ne pas durer trop longtemps. Je crois que c'est la durée qui
enferme.
RESUME
Au départ, un constat : à la
télévision, très peu d'émissions de chroniqueurs et
pourtant les mêmes qui reviennent indéfiniment.
Ce mémoire décrypte la création du
chroniqueur en tant que marque dans tout ce que le mot comporte comme
présupposés économiques, et sa carrière sur un plan
aussi bien marketing que sémiologique. Si tous les chroniqueurs ne sont
que le fruit de l'air du temps, ils doivent aussi bien exister dans une
sphère économique que théâtrale, aussi bien sur le
marché de l'offre et de la demande de chroniques que sur le lieu
géographiquement délimité qu'est le plateau
télévisé.
Tout chroniqueur culturel, qu'il le veuille ou non, devient
très vite une marque à cause, ou grâce, au média
télévision. Son origine ne compte plus, dès lors que l'on
devient un chroniqueur-marque, on fait table rase de son passé. Le
chroniqueur culturel à la télévision nait donc par et pour
l'émission. Il se situe à la fois dans une position
d'autorité que de produit, d'intervenant extérieur que de
porteparole de l'émission.
Sur le plateau de l'émission, règnent mise en
scène et jeu. Le chroniqueur culturel doit être visible afin 1) de
faire exister son émission et 2) lui même d'exister. Pour cette
raison, émission et chroniqueurs-marques ont tous deux besoin l'un de
l'autre, sans qui ils ne pourraient survivre.
Dans les trois temps que sont la promotion de
l'émission (l'avant), la diégèse de l'émission (le
pendant), et la survivance de l'émission (l'après), la mission du
chroniqueur-marque est double. Le chroniqueur culturel à la
télévision comme marque se définit par un paradoxe :
être et paraître. Proposer et se vendre.
Si internet accélère le mouvement de concurrence
des marques, il n'en est toutefois pas la cause. Bien au contraire, aujourd'hui
internet est utilisé plus comme un outil de promotion de la marque
télévisée d'un chroniqueur que comme un concurrent
sérieux aux émissions culturelles. Internet fait survivre la
télévision par le relai du chroniqueur-marque.
MOTS-CLES
Chroniqueur
Clash
Culture
Déterritorialisation
Emission Marque Mise en scène
Personal branding
Plateau
Télévision
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