Militer pour la décroissance. Enquête sur la genèse d'un "mouvement politique" de la décroissance en France( Télécharger le fichier original )par Mathieu ARNAUDET Université Rennes 1 - Master 1 Science Politique 2009 |
II) Réhabiliter la politique pour créer un « mouvement politique » de la décroissance.Vouloir changer la pratique du champ politique témoigne pour ces militants d'une croyance, malgré tout, dans la politique. S'y investir pour le changer c'est croire en sa capacité de changement et donc dans une possible meilleure politique. Comme on l'a vu, c'est la politique telle qu'elle se pratique par les acteurs présents dans le champ qui est rejetée. Si les militants de la décroissance prônent ce « faire autrement » c'est par défiance vis-à-vis de cette volonté de pouvoir mais c'est aussi parce que cette façon d'agir en politique sans faire de la politique est une condition nécessaire à l'instauration d'un « mouvement politique ». La décroissance pour ses militants est un projet de société qui se double d'un projet citoyen, dont l'enjeu est bien la constitution d'un mouvement politique et social. A) Un projet de société se doublant d'un projet citoyen.Même si les règles sont à revoir, jouer à un jeu nécessite tout d'abord de s'intéresser au jeu. Nous avons vu, dans la première partie, que les théoriciens de la décroissance avaient envisagé tout de suite le passage au politique et quelques uns d'entre eux imaginaient la théorie de la décroissance comme essentiellement politique (on peut penser à Paul Ariès). La politique dans les discours des intellectuels mais aussi des militants reste donc dans leur imaginaire un terrain où il est noble de s'engager. Néanmoins, on l'a vu, il ne s'agit pas de s'engager comme les autres, mais d'utiliser la visibilité que procure l'élection en particulier pour faire avancer les idées de la décroissance. Mais pour ceux ayant choisi de s'investir en politique comme les membres du PPLD, il est évident que ce projet de société doit être couplé à un projet citoyen, que cette façon de « faire autrement » doit impulser. Faire de la « politique autrement » c'est aussi essayer d'élargir le champ des possibles afin de créer des passerelles entre la politique et la « société civile ». Les militants que j'ai pu rencontrer tiennent en effet la politique comme un espace noble de débat qu'il est nécessaire de réhabiliter. Ceci est favorisé par le fait qu'ils détiennent tous, comme on l'a dit, des capitaux sociaux et culturels relativement élevés et qu'ils ont grandi et vieilli en s'intéressant à la politique et en respectant ses institutions. Stéphane, même s'il n'a jamais fait partie d'un parti, est quelqu'un de politisé, ayant toujours voté et se disant « quand même » de gauche : « J'ai un souvenir en 81, j'avais 11 ans, à l'école avec un copain, son père allait voter Mitterrand et le mien Giscard. On s'était engueulait... J'étais de gauche, très modéré donc quand j'étais jeune. De temps en temps je provoquais... Un peu PC » (...) Tu t'es déjà abstenu ? J'ai toujours voté moi. J'étais vraiment le petit... bien propre sur lui ! »144(*) De même Thierry explique que s'intéresser à la politique est quelque chose de « naturel » : « Vous êtes entré facilement dedans ? Ba moi, la politique ça m'a toujours intéressé, d'un point de vue familial, plutôt issu d'un milieu, on va dire droite, conservateur, toujours des débats politique assez virulents... C'est toujours un milieu qui m'a intéressé... »145(*). Pour ces deux personnes, leur investissement politique apparaît comme un engagement en réaction vis-à-vis de leur milieu familial ou de vie : ... « Il y avait ce côté un peu disciplinaire. Je ne me reconnaissais pas dans les manifs un peu... Manifs de profs quoi. Elles sont budgétisées par le gouvernement. On fait notre petite manif et demain rien, on demande presque l'autorisation si on peut faire la manif. Une manif, une vraie, on ne demande pas l'autorisation ! »146(*) Cette socialisation à la politique contribue à faire persister chez les militants un respect pour la politique, celle-ci étant entendue comme un engagement citoyen : « De manière qu'il y ait un maximum de citoyens qui s'emparent des questions politiques. Parce que plus y aura des citoyens qui s'empareront de ces questions, moins ça prendra des dimensions à chaque fois de pouvoir et tout ça... »147(*) C'était la première fois que tu côtoyais un milieu politique ? Ouais, enfin non c'est compliqué, ca dépend de ce qu'on entend par politique... Politique au sens action dans la Cité, action citoyenne, enfin citoyenne, action militante ou quoi, j'avais déjà les pieds dedans... »148(*). « Faire de la politique autrement », comme nous le verrons, équivaut aussi à élargir les domaines de politisation, c'est-à-dire élargir le champ politique. Et ceci, comme pour les Verts, dans une logique de responsabilisation des citoyens qui « constitue une étape indispensable à la transformation du social »149(*). Pour les militants politiques de la décroissance, la politique est à la fois le lieu de visibilité du thème de la décroissance et un lieu où l'engagement, s'il se réalise « autrement » - c'est-à-dire en n'étant pas électoraliste150(*), en rejetant la professionnalisation (corruptrice donc), et en élargissant l'espace des possibles du champ politique -, peut et doit aboutir à la création d'un véritable « mouvement politique » de la décroissance, qui s'inscrit aussi bien à l'échelle nationale qu'au niveau local, se manifestant ainsi comme un véritable mouvement social. * 144 Entretien SM, 16 janvier 2010. * 145 Entretien TB, 13 janvier 2010. * 146 Entretien SM, 16 janvier 2010. * 147 Entretien TB, 13 janvier 2010. * 148 Entretien MG, 21 décembre 2009. * 149 Faucher F, op cit, p192. * 150 Même si pour certains comme Thierry, être élu n'est pas le problème majeur et il dit bien que : « Si vous avez des élus par exemple ? Ba tant mieux, parce que ce sera des tribunes, c'est le principe de réalité. L'objection de croissance est ultra minoritaire, mais l'objectif c'est si il peut avoir des municipalités avec une majorité d'objecteurs de croissance, tant mieux... » (Entretien TB, 13 janvier 2010). |
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