Militer pour la décroissance. Enquête sur la genèse d'un "mouvement politique" de la décroissance en France( Télécharger le fichier original )par Mathieu ARNAUDET Université Rennes 1 - Master 1 Science Politique 2009 |
B) Contre la politique politicienne : une suspicion à l'égard de la volonté de pouvoir.« Faire de la politique autrement » pour les militants ne veut pas seulement dire essayer de s'organiser autrement, c'est aussi rejeter le principe même du champ politique, à savoir la conquête du pouvoir. Cette dernière, par les partis politiques n'a jamais été perçue d'un très bon oeil par les citoyens français - éduqués dans le culte de l'intérêt général -, qui ne voient depuis longtemps en eux que des sortes de factions131(*). Ainsi, ici il s'agit plus que de la simple mal-représentation, mais bien de la remise en cause de leur fonction même, celle consistant à obtenir le pouvoir donné par les institutions. Les militants de la décroissance, encore une fois, se placent parfaitement dans cette optique et marquent une véritable défiance vis à vis de la volonté de pouvoir, qu'elle soit personnelle - à l'intérieur de l'organisation, ce qui équivaudrait à un besoin de domination qui, au regard de ce que nous avons vu avant, est stigmatisé -, mais aussi et peut être surtout collective - c'est-à-dire essayer d'être élu et ainsi, jouer le jeu du champ politique et de ses institutions. Le moteur du fonctionnement du champ politique est la possibilité de prendre le pouvoir, or c'est ce principe même que les militants de la décroissance rejettent. Facilement corrupteur (« c'est pour ça que moi je démissionne de mon mandat parce que je pense, et je vois que ça fonctionne bien le système, c'est-à-dire que quand on met le doigt dedans, si on n'a pas une éthique personnelle et puis un travail en groupe qui met les garde fou hé bien on met le doigt dedans... »132(*)), le simple engagement dans le champ est problématique : « après ce qui est différent c'est sur la façon d'investir le champ politique, institutionnelle ou pas, dans le cadre actuel ou pas... »133(*). Mais l'engagement pour certains a eu lieu, et il s'agit bien d'agir différemment et d'utiliser les institutions d'une autre manière que celle pour laquelle elle est d'ordinaire pensée. Pour ces militants, il s'agit en effet, avant tout, de ne pas s'afficher comme « électoraliste ». Conformément à cette idée de faire du champ politique un « moyen supplémentaire », celui-ci doit être utilisé pour la cause et non pas être le lieu d'accomplissement et donc de la dégénérescence de celle-ci. Cet « accomplissement » craint est tout aussi personnel que collectif. Ainsi, hormis dans le discours des militants, j'ai pu observer durant l'AG, que le lieu du politique ne devait pas être l'endroit où chacun devait se réaliser personnellement. C'est à replacer dans le contexte de tensions qui était le leur pendant l'AG : en accord également avec cette volonté de transparence citée plus haut, plusieurs voix se sont élevées pour faire remarquer la volonté de pouvoir de quelques uns. Plus largement, pour ces militants le PPLD comme l'AdOC ne doivent pas se corrompre dans « la course à l'échalote », 134(*) la course au pouvoir et aux postes, qu'ils soient locaux ou nationaux. Cette suspicion à l'égard de la volonté de pouvoir, on a pu la voir à l'oeuvre dans les préparatifs des élections régionales. Le processus de création de l'AdOC prenait du temps aux militants et peu de gens se sont intéressés tôt aux élections qui allaient venir. Une poignée de militants ont ainsi pris les devants et ont signé un accord cadre avec le NPA. De là naîtront nombre de tensions à venir et l'épisode résume bien les doutes des militants mais également illustre bien le propos tenu dans ces deux dernières sous parties. Ainsi, pour certains membres du PPLD cette initiative représente le « mauvais état d'esprit » dans lequel il ne faut pas tomber. « Mauvais état d'esprit » qui témoigne des vieilles méthodes politiciennes, que ce soit dans la façon de faire ou dans le but à atteindre : « Un beau matin, je tombe sur ma boite mail : meaning listes construites dans le cadre de l'adoc, dans lequelles on a mis nos contacts ; moi j'ai mis mes potes, qui y croient quand je leur dis ce qu'on fait dans l'adoc, et un beau matin, ils reçoivent un mail : les objecteurs de croissance partent avec le NPA ! Ca va à l'encontre de tout ce que je leur dit depuis des mois ! C'est une trahison ! Humainement on ne peut pas travailler dans ces conditions là ! C'est la méthode ! Et comment faire la politique autrement avec ce genre de méthodes... » « C'est une erreur politique si on ne part pas avec le NPA » et c'est la politique à papa, quand je suis convaincu d'avoir raison, toutes les méthodes sont bonnes pour y arriver ! »135(*) « ... ce texte là qui est sur le site, je l'ai quand même mis sur le site de l'AdOC, il s'appelle Sans illusion Sans attendre, il est bien, y a un super fond, il dit... En gros, il reprend le projet et puis à la fin, il cadre une éventuelle alliance, donc y avaient des conditions sur le second tour, appel à... Est-ce qu'on fait des accords pour le 2nd tour... Et là on comprenait pas pourquoi il disait ça ! Mais en fait, c'était un texte qui était signé avec le NPA, et on a pas aimé que le texte circule dans les boîtes mails sans savoir à quoi il servait. On est confronté à ça depuis qu'on est avec ces mecs là... »136(*). Bien sûr, je n'entends pas prendre parti, et je tiens à montrer ceci pour donner un exemple des problèmes possibles que sont amenés des militants qui essayent de créer une politique autrement. De l'autre côté - si je peux dire -, celui du MOC, bien sûr le son de cloche est différent et la démarche ne se veut pas « politicienne »137(*) : « Ba le fait que le MOC lance un appel commun avec le NPA, ça n'a pas été apprécié par les gens du PPLD qui ne sont pas sur cette stratégie là, qui veulent, eux, des listes 100% décroissance. Ce qui est bizarre, c'est qu'ils reprennent le « 100% à gauche de la LCR », c'est le côté un peu... Alors que le NPA est plutôt en train d'essayer de travailler collectivement, y en a qui essayent de refaire le purisme... »138(*). Ces tensions permettent de percevoir les difficultés d'être en politique tout en se gardant d'y entrer pleinement. Les trajectoires des militants et leur défiance vis-à-vis du politique, comme nous l'avons vu, sont sources de conflit potentiel. Malgré l'absence de concertations autour des élections des régionales lors de la création de l'AdOC et cet épisode brouillant un peu plus les gens entre eux et les idées, des militants se présenteront quand même aux élections régionales soit dans des listes uniquement « décroissantes »139(*) ou intégrées dans des listes se revendiquant de plusieurs sensibilités.140(*) Pour ceux qui partirent aux élections, le choix d'intégrer ou pas des listes était libre : « Oui, ba on a conclu hâtivement (à Beaugency), pas d'alliance nationale, expérimentation régionale ! »141(*). La décision appartenait aux militants qui, ainsi, jugeaient la situation à l'aune de critères idéologiques et les moyens humains disponibles. Ainsi, une liste uniquement « décroissante » en Ile-de-France a été obligée d'abandonner dans les derniers jours faute de candidats. Dans d'autres régions, quelques militants tentèrent de s'intégrer dans d'autres listes mais se retirèrent pour cause de différends idéologiques142(*). Ainsi, les militants purent expérimenter une relocalisation régionale de la politique, celle-ci apparaissant, au vu des péripéties relatées, comme subie - alors que bon nombre de militants, comme nous le verrons, entendent relocaliser la politique de façon volontaire. Les différentes initiatives régionales furent relayées principalement par le site Internet de l'AdOC même si quelques relations entre régions se nouèrent143(*). « Faire de la politique autrement » revient comme un leitmotiv dans la bouche des militants. On a pu voir que sa définition - si tant est qu'il puisse en avoir une - n'était pas encore clairement définie. Et pour cause : c'est ce « flou artistique » qui peut faire office de caractéristique fondamentale dans la mesure où cette façon de faire est plutôt définie comme négativement, c'est-à-dire vis-à-vis d'une « politique traditionnelle et politicienne ». Néanmoins, essayer de créer une autre façon de faire de la politique doit pouvoir requalifier la politique - qui, bien sûr, n'est pas déqualifiée pour ces militants - afin de redonner le goût aux gens de s'investir en politique et ainsi instituer un « mouvement politique » mais aussi social de la décroissance. * 131 « Cette spécificité française (le peu d'adhérents dans les partis politiques) tient sans doute à la défiance que les français ont, depuis toujours, manifestée envers l'organisation partisane. Conséquence, à gauche, de l'anarcho-syndicalisme qui contestait aux partis socialistes tout pouvoir réel de transformation sociale, et, à droite, d'un discours qui tient les partis pour des éléments de division de la communauté nationale » (des grands leaders de la Troisième République à Raymond Barre, en passant par le Général de Gaulle) Ysmal C, « Transformations du militantisme et déclin des partis » in Perrineau P (sous la dir), op cit, p43-44. C'est moi qui note entre parenthèse. * 132 Entretien TB, 13 janvier 2010. Thierry est, rappelons-le, conseiller municipal à Saint Nazaire. * 133 Entretien MG, 21 décembre 2009. * 134 Expression utilisée par Rocca durant l'AG. C'est aussi une expression qu'on retrouve chez les Verts, même chez les dirigeants (Cécile Duflot par exemple l'emploie quelques fois sur les plateaux de télévision). * 135 Les deux citations viennent d'un même militant lors de l'AG du PPLD. * 136 Entretien SM le 16 janvier 2010. * 137 Et certains militants du PPLD veulent, bien sûr, essayer de le comprendre : « Il a sa stratégie, il pense qu'il faut passer par les accords nationaux, il pense que c'est le moment maintenant de passer par des accords nationaux pour éventuellement avoir quelques élus pour faire passer quelques idées dans les partis et que la décroissance avance... » (Entretien SM le 16 janvier 2010) * 138 Entretien TB le 13 janvier (qui a connu la décroissance politique par les militants du MOC et qui est lui-même membre du NPA) * 139 Les listes « Ecologie solidaire en Franche-Comté » et « Pour une écologie sociale, solidaire et décroissante » en Alsace. * 140 C'est le cas par exemple en Bretagne où six « objecteurs de croissance » étaient inscrits sur « La liste unitaire anticapitaliste et pour une écologie radicale » (Vraiment à gauche !) (NPA- membres du Parti de Gauche et donc MOC * 141 Entretien SM 16 janvier 2010. * 142 Il en fut ainsi en Pays-de-la-Loire où les divergences entre le PC, le PG et les quelques « objecteurs de croissance » furent trop importantes. Thierry en fit partie et à l'époque de l'entretien il me disait déjà : « Est-ce que tu penses que jouer le jeu politique avec le NPA va avec tout ce que vous prônez ? Ba justement, je dors mal en ce moment... En même temps, je me dis, je sais pas si vous avez lu les trois pieds de l'objection de croissance, je trouve vraiment intéressant... Enfin, moi, ca correspond vraiment à ma vision, c'est-à-dire que je le considère comme une expérimentation... (...)Faut être conscient que y des gens du NPA, ceux qui ne sont pas sensibilisés, qui ne lisent pas le Journal de La Décroissance, qui ne connaissent même pas Latouche... » Entretien TB 13 janvier 2010. * 143 Il y eut en effet quelques réunions d' « objecteurs de croissance » : Vous avez beaucoup de liens avec les autres régions ? Ba oui, on essaye... La réunion qu'on a faite ce week end, c'est la première et une deuxième dans 15 jours mais du côté de Lyon. Va y avoir Rhône Alpes, probablement PACA, Languedoc-Roussillon... » (Entretien TB 13 janvier 2010) |
|