La redistribution doit-elle rendre le travail payant ? étude des modalités de conciliation entre redistribution des revenus et incitation monétaire au retour à l'emploi.( Télécharger le fichier original )par Elie Chosson Université Pierre Mendès-France (Grenoble II) - Master 2001 |
C. BilanUn certain nombre de critiques ont émergées, anticipant un certain nombre d'effets pervers potentiels, et pointant du doigt les fondements même de cette politique. Nous observerons, à la lumière des premières observations empiriques réalisées, si le RSA a tenu ses promesses, ou si les inquiétudes de certains se sont avérées fondées. Tout d'abord, le RSA envoie un signal clair aux employeurs : la collectivité se charge du financement du différentiel existant entre le « salaire de réserve » des inactifs et le salaire proposé par les entreprises (bien souvent le SMIC pour les RMIstes). Dès lors, rien n'empêche les employeurs de faire pression à la baisse sur les rémunérations : la prime versée par la collectivité modifie l'arbitrage des demandeurs d'emplois en rendant des salaires plus faibles plus attractifs. Dans la mesure où un arbitrage entre loisir et travail existe, et dans le cas où il repose sur des considérations de niveaux de salaires, alors on peut affirmer que le RSA va accroître l'acceptabilité des bas salaires par les allocataires. De même, il devient plus avantageux d'accepter un « petit boulot », à temps partiel. Pour J.Gadrey, le RSA constitue donc « un encouragement pour les employeurs à abuser du travail précaire78(*) ». Ce risque de « trappe à précarité » met donc fortement en doute l'efficacité du RSA à juguler le phénomène des travailleurs pauvres. Ensuite, le RSA repose sur une conception spécifique de la relation entre travail et assistance, proche de celle prévalant largement dans ce que Robert Castel appelait la « modernité libérale ». Le travail de l'individu, l'effort qu'il fournit, devient la justification de l'aide qu'on lui octroie, et l'oisif, l'inactif « volontaire » ne peut faire valoir son droit à l'aide. Il y a séparation entre le « bon » pauvre et le « mauvais » pauvre. D'où le système de contrôle de la recherche de travail dans le cadre du RSA, identique à celui des chômeurs et beaucoup plus strict que celui prévalant lors du RMI. Au-delà des problèmes moraux posés par cette conception de l'assistance, le poids donné au travail s'avère être fortement pénalisant pour les allocataires se trouvant dans l'incapacité de travailler (personnes en situation de handicap par exemple), qui ne pourront pas bénéficier de l'ensemble du dispositif. Une dualisation des allocataires est créée. Enfin, un troisième type de critique porte plus sur les limites du RSA, ses contours trop restreints. D'un point de vue quantitatif, beaucoup d'auteurs fustigent la faible ambition du dispositif, à l'image de D. Clerc qui note que s'« il y aurait mauvaise foi à contester que les travailleurs pauvres vont voir leur situation financière s'améliorer », à la question de savoir si cet effort est suffisant il répond: « A l'évidence, non 79(*)». De fait, il rappelle que l'instauration du RSA s'accompagne de la suppression d'un ensemble d'avantages et d'aides qui étaient accordés précédemment aux RMIstes. Par exemple, la mise sous condition de ressources des « aides connexes », garanties auparavant par le statut même de l'allocataire. Au final, les montants mis en oeuvre ne permettront pas d'atteindre le seuil de pauvreté de 60% du revenu médian, de 908 euros de revenu disponible en 2007, alors que le RSA « socle » pour une personne seule atteint en 2010 un peu plus de 460 euros. Pour les travailleurs pauvres, l'effort réalisé ne semble pas être non plus satisfaisant puisque, selon D.Clerc, un programme permettant à tous les travailleurs pauvres de passer le seuil de pauvreté coûterait environ 10 milliards d'euros80(*), contre un dispositif effectif d'environ 2 milliards aujourd'hui. De plus, selon lui, le RSA actuel ne va générer, en moyenne, que 50 euros supplémentaires pour chaque allocataire en emploi, ce qui semble insuffisant au regard des objectifs affichés. En outre, les contours du programme sont eux aussi critiqués. En effet, les conditions d'éligibilité au RSA sont strictes, avec notamment le fait d'avoir au moins 25 ans hormis pour des cas spécifiques c'est-à-dire s'il y a des enfants à charge dans le foyer, ou si la personne a travaillé déjà au moins une année les deux dernières années. Les premières évaluations réalisées, à la fois sur les expérimentations et sur la généralisation montrent des résultats contradictoires selon les études. Le bilan de l'expérimentation laissait envisager un programme performant avec des résultats significatifs. Selon la Direction Générale du Trésor et de la Politique Économique (DGTPE)81(*), l'expérimentation est en effet concluante : l'effet global du RSA est une diminution du taux de pauvreté pour chaque type de ménage en moyenne, avec un taux moyen diminuant de 0,8 point de pourcentages grâce au programme. Cet effet est le plus important pour les familles monoparentales en emploi, où le taux de pauvreté est inférieur de 3 points dans les zones tests par rapport aux zones témoins. L'effet sur le revenu est positif pour tous types de ménages, à la différence du RMI, notamment pour les personnes seules ou les familles monoparentales passant en emploi à quart-temps, où il y a un gain de revenu là ou il n'y en avait pas auparavant (sans prendre en compte les mesures d'intéressement et les aides connexes). Les premières estimations des effets du RSA sur le TMEI des bénéficiaires semblent aussi positives. D. Anne et Y. L'horty82(*) ont ainsi simulé quel pourrait être l'effet du RSA sur la « durée de réservation 83(*)»; le résultat est que pour toutes les catégories de ménages et pour toutes situations d'allocataires, c'est-à-dire en intégrant les droits connexes locaux et nationaux, le RSA permet que dès la première heure travaillée, le revenu du ménage supplante le revenu obtenu en restant dans l'oisiveté. La durée de réservation est donc ramenée à 0. A contrario, on peut se baser sur d'autres études qui tempèrent fortement l'efficacité du RSA. Tout en reconnaissant un impact sur la reprise d'activité du RSA, quoique très peu significatif (si 19,1% des allocataires ont repris un emploi durant l'expérimentation dans les zones tests, ils sont 17,6% dans les zones témoins), une étude de la DREES84(*), réalisée sur l'expérimentation montre que le dispositif a un réel impact sur la nature des emplois exercés par les allocataires. Ainsi, le nombre d'heures travaillées par les personnes passant à l'emploi dans les zones tests semble être généralement plus faible : la part des allocataires passant à l'activité et travaillant au moins 28 heures hebdomadaires diminue de presque 5 points dans les zones tests. Le nombre d'allocataires devenant actifs avec un travail de moins de neuf heures passe de 5,2% en zones témoins à 8,6% en zones tests. Ceci peut s'expliquer entre autres, par des préférences différentes des allocataires en termes d'emplois entre zones tests et zones témoins : on voit après enquête que 17% des allocataires cherchant un emploi recherchent un emploi à temps partiel en zone test, contre 14% en zone témoin. Il est probable que ceci résulte d'un « effet revenu » induit par l'augmentation du gain à l'emploi. D'un côté, le RSA semble modifier la nature des emplois vers plus de précarité et des emplois moins rémunérateurs (temps partiel), mais ceci peut résulter des préférences des allocataires pour ce type de contrat, qui seraient ainsi révélées par le RSA (il offre un protection et permet donc de révéler ses véritables préférences). Enfin, l'étude analyse l'impact des mesures d'accompagnement, et sur ce point, il n'y a pas de différences entre zones tests et témoins pour les personnes accédant à l'emploi durant l'expérimentation : dans chaque zone, 43% des personnes déclarent avoir été en contact avec un interlocuteur d'accompagnement. Au final, les premières expérimentations laissent entrevoir un impact très flou et peu significatif sur la pauvreté et l'activité des allocataires. Pour conclure, il est clair que les attentes suscitées par le RSA sont fortement tempérées, sur le principe même du dispositif autant que par les évaluations déjà réalisées. Si théoriquement l'effet en terme de réduction des désincitations au travail paraît clair, les premières estimations empiriques ne montrent pas de réussite significative sur les retours effectifs à l'emploi. De plus, le RSA semble porteur d'effets pervers, qu'il conviendra d'estimer par une analyse précise et dans la durée du dispositif. * 78 J.Gadrey, Partage n°203 * 79 In Clerc D., « RSA : le diable ou le bon dieu ? Un état des lieux », op.cit. * 80 Cité par J.Gadrey, op.cit. * 81 Reproduit in Partage n°205 * 82 Anne D., L'Horty Y., « Les effets du Revenu de Solidarité Active sur les gains du retour à l'emploi », Revue économique, vol. 60, 2009/3, pp.767-776. * 83 La durée de réservation se définissant comme le temps de travail hebdomadaire payé au SMIC qui permet d'obtenir un revenu supérieur au revenu qui serait obtenu en restant inactif. * 84 DREES, Document de Travail, n°87, Avril 2009. |
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