La redistribution doit-elle rendre le travail payant ? étude des modalités de conciliation entre redistribution des revenus et incitation monétaire au retour à l'emploi.( Télécharger le fichier original )par Elie Chosson Université Pierre Mendès-France (Grenoble II) - Master 2001 |
III. Le Revenu de Solidarité Active (RSA).La France a elle aussi cherché à rendre le travail payant, en fustigeant l'assistanat et l'oisiveté que subventionnerait une redistribution trop généreuse. La citation de N.Sarkozy mise en exergue au début du mémoire illustre bien la conception de la redistribution qui a pris le dessus et qui est devenue aujourd'hui « incontestable » et consensuelle. La mise en place du RSA est symptomatique de cette évolution des mentalités. Nous verrons que des réformes visant à rendre le travail payant en articulant mieux travail et redistribution ont émergé bien avant le RSA, mais jamais dans une même ampleur, et toujours sans remettre en cause la structure des transferts existants. Le RSA constitue donc une rupture importante dans le paysage socio-fiscal français. Nous en présenterons les caractéristiques, et, ensuite, nous en réaliserons un bilan en évaluant son impact sur la pauvreté, sur l'incitation à l'emploi, et, plus globalement sur le marché du travail. A. L'incitation au travail avant le RSA.La volonté de rendre le travail payant ne date pas, en France de l'instauration du RSA. L'intéressement proposé aux RMIstes, puis la Prime Pour l'Emploi (PPE) visaient déjà à accroître l'incitation à la reprise d'emploi. L'intéressement est une procédure qui a accompagné certains minima sociaux (le RMI et l'Allocation Spécifique de Solidarité (ASS) notamment). Elle vise à permettre un cumul entre revenu d'activité et minimum social temporairement, pour atténuer l'effet du TMEI important appliqué à la transition du non-emploi vers l'emploi. Appliqué au RMI, l'intéressement permettait de cumuler intégralement le revenu d'activité et l'allocation durant trois à six mois après la reprise d'activité63(*). Ensuite, le cumul n'est plus que de 50% (seul 50% du revenu d'activité est déduit du RMI), et ce jusqu'à 12 à 15 mois après la reprise d'activités (c'est-à-dire jusqu'à la quatrième DTR suivant la reprise d'activité). Plusieurs arguments peuvent justifier que, contrairement aux dispositifs de l'EITC ou du WFTC, et comme nous le verrons du RSA, l'intéressement ne proposait qu'un cumul temporaire entre allocation et salaire. Ainsi, on peut considérer tout d'abord que la phase de reprise d'activité sera suivie par une hausse de la qualification et de l'expérience, donc une hausse de la probabilité de trouver par la suite un emploi mieux payé, ce qui justifie que le soutien financier ne soit que temporaire. Mais surtout, le cumul temporaire se justifie par le fait que les coûts liés à la reprise d'un emploi ne sont pas permanents et interviennent à un moment donné. Ainsi, le gain au retour à l'emploi, déjà faible en raison du haut TMEI, est encore affaibli par ces dépenses nécessaires à l'obtention d'un emploi (61,4% des anciens allocataires déclarent avoir fait face à des frais dans leur recherche d'emploi). Ces dépenses sont temporaires (par exemple équipement en moyens de communications, achat d'une voiture, achat de vêtements), et se résorbent peu après l'entrée en activité. Il n'est donc pas légitime de verser de façon indéfinie une aide à la reprise de l'emploi. Outre l'intéressement, la Prime Pour l'Emploi (PPE) constitue aussi un moyen qui a été mis en oeuvre dans le but d'inciter financièrement au retour à l'emploi. Et c'est avec cette exclamation que T.Piketty saluait, en janvier 2001 sa mise en place64(*): « L'impôt négatif est né! ». La logique est en effet toute différente de l'intéressement, puisque la PPE est un crédit remboursable calculé sur l'IRPP, à l'image des mesures anglo-saxonnes, qui s'appliquent pour tous les travailleurs payés aux alentours du SMIC. La prime est calculée en appliquant au revenu fiscal de référence un taux de prime. Le calcul est d'abord réalisé en équivalent temps-plein, puis le montant de la prime est rapporté au temps de travail effectif en prenant en compte une majoration octroyée pour « temps incomplet »65(*). Des majorations sont aussi octroyées pour les ménages mono-actifs et pour les enfants à charge. Le taux de prime est fixe pour tous les revenus compris entre 0,3 et 1 SMIC, puis décroît ensuite avec la hausse du revenu, pour atteindre 0% lorsque le revenu est de 1,4 SMIC. Le taux de prime maximal (i.e. le niveau fixe du taux appliqué jusqu'à 1 SMIC) a fortement crû : il est passé de 4,4% en 2002 à 7,7% en 2008. Ainsi, ce dispositif n'a cessé de s'amplifier depuis sa création : le montant total de la PPE a doublé entre 2002 et 200866(*), à la fois sous l'effet d'un assouplissement des conditions d'octroi, et d'une plus grande générosité dans le calcul du montant de la prime. Outre l'évolution du taux, des facilités ont été introduites, notamment des versements anticipés versés dès la reprise d'emploi et avant le versement de la PPE afin de faciliter la passage du non-emploi vers l'emploi, ou encore une hausse de la majoration pour « temps incomplet ». L'effet de la PPE sur le gain à la reprise d'activité est réel, mais faible. Ainsi, la PPE permet de réduire de 6,6 points le TMEI67(*) pour les personnes gagnant entre 0,3 et 1 SMIC (c'est-à-dire y compris des bénéficiaires de minima sociaux qui ne travaillent pas suffisamment pour sortir définitivement de l'assistance). Les gains au passage du RMI au SMIC à mi-temps et à plein-temps sont augmentés grâce à la PPE : pour l'entrée dans l'emploi à mi-temps, la PPE permet d'augmenter en moyenne le gain mensuel à la reprise d'activité de 29,45 euros, en comparaison du gain sans PPE ni intéressement68(*). A titre de comparaison, l'augmentation du gain mensuel généré par l'intéressement pour la transition vers un emploi à mi-temps est, elle, de 71 euros. Pour le passage du RMI au SMIC à plein temps, la hausse du gain mensuel à la reprise d'activité est de 40 euros grâce à la PPE et est presque nulle pour l'intéressement. Au-delà de l'ampleur limitée de l'incitation générée par le PPE, il faut noter qu'elle est potentiellement génératrice de désincitations au-delà de 1 SMIC (c'est le même type d'effet que celui qui intervient à partir du plateau de l'EITC), en raison de la baisse continue du taux de prime qui intervient à ce moment-là. La PPE permet aussi de réduire la pauvreté et de jouer un rôle redistributif, mais ceci dans une ampleur très faible. En 2008, la PPE a permis de faire sortir 370 000 personnes de la pauvreté, dont 110 000 travailleurs69(*). Les ménages qui voient leurs revenus augmenter le plus grâce à la PPE sont les couples bi-actifs où les deux actifs sont à mi-temps (la PPE entraîne une hausse de 4,5% du revenu mensuel du ménage), ceux où un individu est à mi-temps et l'autre à plein-temps (hausse de 4,3%), et les couples où les deux sont à plein-temps (4,1%). A l'inverse, la PPE ne bénéficie ni aux ménages ayant des revenus trop importants, ni aux ménages totalement inactifs ou ne travaillant pas assez pour travailler un tiers-temps au SMIC (0,3 SMIC). Les inactifs et les très faibles temps partiels ne voient donc pas leurs revenus croître, alors que ce sont ceux qui sont les plus pauvres, et qui composent la majorité des individus vivant sous le seuil de pauvreté. * 63 Le cumul intégral intervient durant les deux premières Déclarations Trimestrielles de Ressources (DTR) après la reprise d'activités. Les DTR devant s'effectuer tous les trois mois, le cumul intégral est compris entre trois mois et six mois. * 64 Piketty T., « L'impôt négatif est né », Libération, Janvier 2001. * 65 L'objectif est d'inciter à reprendre un emploi. Les temps partiels n'apportant un gain à la reprise d'activité que très faible, voir nul compte tenu du TMEI, le PPE vise à les favoriser. * 66 Tandis que 2,1 milliards d'euros étaient versés en 2002, le montant atteint 4,5 milliards d'euros en 2008 * 67 Étude de Bargain et Terraz de 2002 basée sur un modèle de micro-simulation; citée in Sterdyniak H., Stancanelli E., « Un bilan des études sur la prime pour l'emploi », Revue de l'OFCE, janvier 2004 * 68 Ibid. * 69 Seules 220 000 personnes sont sorties de la pauvreté grâce à la PPE en 2002. |
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