Université Paris 1 Panthéon Sorbonne
Faculté de droit
Le caractère illicite des charges face à la
notion
d'acte anormal de gestion :
étude comparée entre la France et le Canada
Mémoire soutenu en vu de l'obtention du
Master 2 professionnel en
droit européen et international des affaires
Jamie-Ann MARTIN
Sous la direction de
Monsieur le professeur. C. LOPEZ
Année universitaire 2008-2009
Quand un postulant auprès de quelque office
comprend que sous le nom de présent,
de compliment, de pot-de-vin, ou autres synonymes,
on attend de lui quelque récompense
que la loi n'exige pas,
mais sans laquelle son affaire ne marchera point,
il faudrait que la demande fût bien
exorbitante
pour qu'il fût de son intérêt d'en faire
une plainte ouverte:
dans le cas le plus ordinaire, il trouve son profit à
se soumettre
Bentham (Traité des preuves) :
SIGLES ET ABRÉVIATIONS
C.T.C. Canadian Tax Cases
C.E. Conseil d'État
C.G.I. Code Général des Impôts
D.G.I. Direction Générale des Impôts
D.T.C. Dominion Tax Cases
L.I.R. Loi de l'Impôt sur le Revenu (Canada)
L.P.F. Livre de Procédure fiscal
L.R. Lois révisées du Canada
M.N.R. Ministre National du Revenu
O.C.D.E. Organisation de Coopération et
Développement Économiques
R.C.S. Recueil des arrêts de la Cour suprême du
Canada
R.J.F. Revue de jurisprudence fiscale
R.J.Q. Recueils de Jurisprudence du Québec
S.C. Statuts du Canada
S.R.C. Statuts révisés du Canada
SOMMAIRE
TITRE I LA DÉDUCTIBILITÉ DE LA CHARGE
ILLICITE ET SON TRAITEMENT FISCAL
Chapitre I : La déductibilité des
dépenses illicites en droits fiscaux français et canadiens
Section 1 : La dépense illicite en France et au
Canada
A La définition de la charge illicite en France
et au Canada
B La déductibilité de la charge illicite par le
biais de la gestion normale de l'entreprise
Section 2 : Le traitement fiscal des charges à
caractère illicite ou émanant d'un acte illicite en France et au
Canada
A Le traitement fiscal des pots-de-vin
B Le traitement fiscal des amendes et
pénalités
TITRE II LA RÉPRESSION ET LA PRÉVENTION
FACE À LA DÉDUCTIBILITÉ DES DÉPENSES ILLICITES
Chapitre II : La répression de la
déductibilité des dépenses illicites en droits fiscaux
français et canadiens
Section 1 : Les mécanismes de répression en
droits pénal et fiscal
A Le fardeau de la preuve
B Les sanctions
Section 2 : L'abus de droit et la fraude fiscale
A Les limites de l'acte anormal de gestion
B Les possibilités de diminution de la corruption par
le délit de fraude fiscale
INTRODUCTION
Peu nombreuses sont les études de droit comparé
en matière fiscale. Pourtant, nous savons que la nature des
règles fiscales adoptées dans un pays exerce une grande influence
sur le rendement économique de ses entreprises. Au-delà des
avantages fiscaux, l'interprétation des lois fiscales, la doctrine et la
jurisprudence sont les éléments qui distinguent le système
fiscal d'un pays. La France et le Canada (à l'exception du
Québec) possèdent une tradition juridique différente. Ils
sont de grands partenaires commerciaux mais se font aussi la lutte pour se voir
octroyer des marchés à l'échelle mondiale. Compte tenu de
ces considérations, il nous a semblé intéressant de
comparer le traitement fiscal des charges illicites, plus spécifiquement
celui des pots-de-vin.
En France, la déductibilité des dépenses
illicites sous l'égide de l'intérêt social, clé de
voûte de la théorie de l'acte anormal de gestion, est une
réalité qui, si elle nous laisse perplexe, nous entraîne
vers un débat. Èmerge alors un conflit délicat, mettant en
opposition des principes de toute première importance en droit
fiscal : le principe de non immixtion de l'Administration fiscale et la
liberté de gestion des entreprises se voient confrontés à
l'obligation de gestion efficace, à la morale des affaires et à
une imposition qui est d'ordre public et qui doit respecter les articles 38 et
39 du Code général des impôts (C.G.I.). C'est au croisement
de ces principes qu'apparaît la notion d'acte anormal de gestion en droit
fiscal français. On ne retrouve pas, en droit fiscal canadien, une
théorie comparable à celle de l'acte anormal de gestion. En tant
que construction jurisprudentielle du Conseil d'État, la théorie
de l'acte anormal de gestion n'en est pas moins basée sur des textes
légaux. Aux termes de l'art. 38, al.1er du C.G.I., le
bénéfice imposable s'entend « du bénéfice
net, déterminé d'après les résultats d'ensemble des
opérations de toute nature effectuées par les
entreprises ». Le même article, dans son 2e
alinéa, le définit comme « la différence entre
les valeurs de l'actif net à la clôture et à l'ouverture de
la période dont les résultats doivent servir de base à
l'impôt ». Quant à l'article 39.1 dudit code, il dispose
que « le bénéfice net est établi sous
déduction de toutes les charges ». C'est sur ces textes que
s'est fondé le Conseil d'État pour dégager la
théorie de l'acte anormal de gestion.
Au Canada, l'article 9 (1) de la Loi sur l'impôt et le
revenu (L.I.R.)1(*) sert de
point de départ dans l'analyse de la déductibilité des
dépenses. De l'avis du juge Jacobucci de la Cour suprême du Canada
dans l'affaire Symex2(*), « il est maintenant
généralement reconnu que c'est le par. 9 (1) qui autorise la
déduction des dépenses d'entreprise puisque le concept de
bénéfice au par. 9 (1) est en soit un résultat net qui
présuppose des déductions de dépenses
d'entreprise ». De son côté, l'article 18 (1) L.I.R., ne
joue qu'un rôle limitatif par rapport à l'admissibilité de
certaines dépenses. Cet article prévoit qu'aucune
déduction n'est permise lors du calcul du revenu à l'égard
d'une charge sauf dans la mesure où elle a été
effectuée dans le but de tirer ou de produire un revenu d'une entreprise
ou d'un bien. Le coeur de la polémique réside en effet, d'une
manière très générale, dans la définition du
bénéfice imposable : que peut-on considérer comme
« charges » déductibles du bénéfice
brut ? Dans un arrêt du 1er juillet 1983, le Conseil
d'État affirme que :
Pour l'application des dispositions de l'art. 38 du C.G.I.
[...] seuls peuvent ne pas être pris en compte les actes ou
opérations qui ont été réalisés à des
fins autres que celles de satisfaire les besoins ou, de manière
générale, servir les intérêts de l'entreprise et
qui, dans ces conditions, ne peuvent pas être regardés comme
relevant d'une gestion normale de celle-ci [...]3(*).
Ainsi, en France comme au Canada les entreprises pourront,
dans une certaine mesure, déterminer elles-mêmes l'assiette de
l'impôt qu'elles sont tenues d'acquitter. La liberté de gestion
est plus largement animée par les principes du droit commercial :
la liberté de choix dans la forme sociétaire, dans les techniques
de production, dans les investissements (etc.). Tout cela relève du
pouvoir de direction du chef d'entreprise, qu'il doit être en mesure
d'exercer en fonction de certaines contingences et contraintes fiscales. Un
« droit à l'erreur » lui est donc accordé, et
l'Administration ne pourra retenir contre lui une mauvaise gestion. Un
arrêt significatif du Conseil d'État du 7 juillet 1958 l'a
officiellement affirmé, jugeant que « le contribuable n'est
jamais tenu de tirer des affaires qu'il traite le maximum de profit que les
circonstances lui auraient permis de réaliser »4(*). Au Canada, de manière
générale, peu importe qu'il s'agisse d'une entreprise provinciale
ou fédérale, les tribunaux sont réticents à
intervenir dans les affaires de cette dernière. Les erreurs de jugement,
si absurdes et ridicules qu'elles soient sont rarement
sanctionnées5(*). Il
faut faire démonstration d'une faute lourde se rapprochant de la fraude
pour que la responsabilité des administrateurs soit
engagée6(*). Pour
être sanctionné, les administrateurs ne doivent pas seulement
poser une faute de gestion qui s'avère néfaste pour l'entreprise
mais connaître à l'avance les conséquences
défavorables de leur geste. Il a été établit par
l'arrêt Stubart7(*) que « sauf disposition contraire, le
contribuable à le droit d'organiser ses affaires dans le seul but de se
trouver dans une situation favorable sur le plan fiscal ». De fait,
rien n'empêche le contribuable ou l'entreprise d'optimiser sa situation
sur le plan fiscal à condition de respecter le droit mis en place.
Au regard de la déductibilité des
dépenses, en France comme au Canada, le problème est de savoir si
l'Administration fiscale est fondée à déterminer que
certaines opérations ne lui sont pas opposables car elle estime qu'elles
n'auraient pas dû être réalisées par l'entreprise.
À l'occasion des contrôles fiscaux qu'elle mène,
l'Administration fiscale française a fréquemment recours à
la théorie de l'acte anormal de gestion pour fonder ses redressements.
L'acte anormal de gestion est l'acte qui met une dépense à la
charge de l'entreprise ou qui prive cette dernière d'une recette sans
que l'acte soit justifié par l'intérêt social. Comme en
conclu le commissaire du Gouvernement M. Racine : « En droit
fiscal, l'acte anormal de gestion est un acte ou une opération qui se
traduit par une écriture comptable affectant le bénéfice
imposable que l'Administration entend écarter comme
étrangère ou contraire aux intérêts de
l'entreprise »8(*).
L'élément substantiel de l'acte anormal de
gestion est l'intérêt social de la société - et non
des actionnaires. Est également employé le terme de
l'intérêt direct de l'exploitation commercial de l'entreprise.
Lorsqu'une dépense est effectuée par l'entreprise, il s'agit de
se poser la question de savoir si cette dépense a été
effectuée dans l'intérêt de cette dernière en
opposition par exemple, avec l'intérêt du dirigeant ou d'une tiers
personne. Au Canada, cette question se pose différemment. Effectivement,
il s'agit de savoir si la dépense a été effectuée
dans le but de produire un revenu. Ce sont là deux approches
différentes qui induisent une logique distincte quant à
l'opération de redressement fiscal. Qu'en est-il des dépenses
illicites effectuées dans l'intérêt de l'entreprise ou dans
le but de produire un revenu ? Par exemple, le versement de pots-de-vin
est un acte illicite qui peut-être tout à fait favorable à
la gestion, mais il heurte des principes légaux ou moraux fondamentaux.
À cet égard, une décision rendue par le
Tribunal administratif de Lyon datant du 17 juin 1997 concernant des honoraires
versés à un bureau d'étude énonce que :
Considérant (...) que le versement de ces honoraires
était une condition imposée par les municipalités pour
l'obtention de marchés publics (...) que, dès lors, et alors
même que ces pratiques constitueraient des infractions aux lois et
règlements en vigueur, les charges correspondantes engagées dans
l'intérêt de la société ont le caractère de
charges déductibles9(*).
D'une part, cette jurisprudence semble difficile à
justifier car, s'agissant de pots-de-vin locaux, il ne peut être fait
référence au contexte de « guerre
économique » qui avait été avancé lors de
la discussion de la loi de finance rectificative pour 199710(*) afin de maintenir la
déductibilité des bakchichs internationaux. D'autre part, cette
affaire soulève une question ancienne et délicate qui sera
l'objet de ce travail, à savoir, si le caractère illicite des
dépenses supportées par les entreprises est de nature à
influer sur leur déductibilité.
À prime abord, nous serions tenter de croire que le
dirigeant d'une société qui déduit des dépenses de
nature illicite (par exemple, un pot-de-vin) commet une faute pour laquelle il
doit être sanctionné. Ceci est vrai en matière de droit
pénal. Effectivement, des infractions sont prévues à cet
effet : délits de corruption et de trafic d'influence d'une part,
abus de biens sociaux d'autre part. Mais du point de vu fiscal, les juges
français semblent fermer les yeux sur la déduction de ces
dépenses illicites. S'agit-il d'une incohérence du droit
interne français ? Plutôt, cela ne découlerait-il
pas d'une certaine logique à savoir que, toutes dépenses devant
être déclarées, il apparaît naturel que le juge
fiscal n'ait pas à se prononcer sur le caractère licite ou
illicite de celles-ci mais seulement sur le fait qu'elles aient
été effectuées ou non dans l'intérêt de la
société ? Au Canada, deux récents articles de la Loi
sur l'impôt et le revenu figurant sous le chapeau de l'article 67 L.I.R.
sur la restriction générale relative aux dépenses semblent
être clairs à propos de la déductibilité de ce type
de dépense.
D'une part, l'article 67.5 L.I.R. porte expressément
sur la non déductibilité des paiements illégaux tandis que
l'article 67.6 L.I.R. se penche sur la non déductibilité des
amendes et pénalités. L'article 67.5 L.I.R. a la
particularité de faire référence au Code criminel.
L'énumération d'une série d'infractions y paraît,
dont celle de versement de commission secrète. Le législateur est
donc intervenu de façon spécifique. Ce n'est pas le cas en
France : non seulement le législateur n'est pas intervenu de
façon spécifique quant à la non
déductibilité des dépenses illicites, mais la
jurisprudence constante du Conseil d'État confirme le fait que ces
dernières ne sont pas par essence non déductibles dès lors
qu'elles sont conformes à l'intérêt social11(*). Certes, certaines conditions
devront être remplies afin que l'entreprise bénéficie de la
déduction. En ce qui a trait au versement de pots-de-vin, la
justification de la réalité du service rendu par
l'intermédiaire s'avère difficile car aucune trace écrite
ne permet d'établir la nature exacte de l'intervention. Mais, dans le
même temps, le contribuable pourra toujours laisser à
l'Administration le fardeau de prouver que la dépense découle
d'un acte anormal de gestion.
En ce qui concerne l'article 67.6 L.I.R. portant sur la non
déductibilité des amendes et pénalités, il met un
terme à l'interprétation faite par les juges de la Cour
suprême dans l'affaire British Colombia Ltd. c. Canada (1999).
S'appuyant sur le texte de la Loi de l'impôt sur le revenu, la Cour
conclut que le seul critère applicable consiste à
déterminer si la dépense a été encourue dans le but
de tirer un revenu et que, dans un tel cas, à moins d'une disposition
expresse à l'effet contraire, la dépense doit être
déductible, le rôle des tribunaux n'étant pas de
créer des distinctions là où la loi est silencieuse. Dans
cette affaire, la Cour a déterminé sur la base de la preuve
versée au dossier que la décision du contribuable d'outrepasser
son quota en était une purement commerciale, prise effectivement dans le
but de gagner un revenu, et puisque aucune disposition expresse
n'empêchait sa déduction, cette dépense devait être
déductible. Les juges ne pouvaient être plus explicite : il
fallait qu'une loi soit adoptée afin que puisse être interdite la
déductibilité de certaines charges. En France, nonobstant le
principe général de déductibilité, la
déductibilité de certaines charges est toutefois
expressément exclue par les dispositions du 2 de l'article 39 du C.G.I..
Ceci dit, d'autres cas d'absence de déductibilité des sanctions
et pénalités s'ajoutent à cette liste fixée par le
législateur au même article, s'agissant des infractions qui
correspondent à des faits ne relevant pas de la gestion commerciale
normale de l'entreprise. La Direction générale des impôts
(D.G.I.) évalue à environ 20 millions d'euros le surcroît
annuel de recettes fiscales qui serait engendré par l'interdiction de
déduire certaines sanctions et pénalités des
bénéfices soumis à l'impôt12(*). Cette remarque à
caractère économique ne viendrait-elle pas renforcer l'argument
selon lequel, de manière générale, la déduction de
ces dépenses devrait être refusée car elle compromettrait
l'effet dissuasif recherché et ferait reposer sur l'ensemble des
contribuables le fardeau que devrait supporter seul le fautif ?
Bien entendu, l'intérêt social ne peut servir de
critère à la déductibilité de toutes les
dépenses effectuées par l'entreprise. La notion est
utilisée pour apprécier, non pas la régularité de
l'acte de gestion, mais son opportunité. L'entreprise qui se voit
reprocher un acte anormal de gestion ne commet pas une fraude fiscale à
proprement parler puisque ladite théorie repose sur une construction
jurisprudentielle. De surcroît, l'acte anormal de gestion ignore
l'intention frauduleuse du dirigeant. Celle-ci ne sera pas prise en compte
à moins que cet acte soit également constitutif du délit
de fraude fiscale. De façon générale, la procédure
de répression des abus de droit a pour objet de permettre à
l'Administration fiscale d'aller au-delà de l'apparence juridique qu'un
contribuable aurait pu conférer à une opération, et
d'appréhender sa véritable portée.
Or, lorsque le dirigeant déduit des dépenses
illicites du bénéfice réalisé par l'entreprise, il
ne dissimule aucun fait, il est probablement même de bonne foi. La
question se pose donc de savoir à partir de quand un acte devient
anormal ? Cette question est profondément pertinente puisque
l'Administration fiscale peut invoquer l'abus de droit13(*). Lorsque l'Administration
fiscale entend utiliser cette procédure, elle doit établir que
les actes en cause revêtaient un caractère fictif ou pouvaient
être regardés comme ayant pour seul but d'éluder les
impositions dont était passible l'opération
réelle14(*). Au
Canada, la fraude fiscale est également punie et la procédure de
sanction semble bien cadenassée avec l'ajout de l'article 245 L.I.R.
portant sur l'évitement fiscal. Le contribuable et l'entreprise n'ont
plus droit à l'erreur.
Au Canada, avant l'entrée en vigueur de l'article 67.5
L.I.R., la déductibilité des dépenses illicites telles que
les pots-de-vin ou les bakchichs a déjà été
acceptée par l'Agence du revenu du Canada (A.R.C.) sous certaines
conditions : que le nom du bénéficiaire soit divulgué
et que la dépense soit effectuée pour produire un revenu, le
montant devant être raisonnable dans les circonstances15(*). Aujourd'hui, la situation
semble avoir évoluée. Pour ces raisons et malgré le fait
que la théorie de l'acte anormal de gestion, pilier du droit fiscal
français, soit inconnue en droit fiscal canadien, il nous paraît
enrichissant de juxtaposer ces deux systèmes afin de suivre
l'évolution parallèle d'une réalité fiscale
à l'intérieur de deux systèmes juridiques
différents.
TITRE I LA
DÉDUCTIBILITÉ DE LA CHARGE ILLICITE ET SON TRAITEMENT FISCAL
CHAPITRE I LA DÉDUCTIBILITÉ DES DÉPENSES
ILLICITES EN DROITS FISCAUX FRANÇAIS ET CANADIENS
Afin d'aborder la question du traitement fiscal des charges
à caractère illicite ou découlant d'un acte illicite en
France et au Canada (SECTION II), il convient, dans un premier temps, de
définir ce qu'est la charge illicite en France et au Canada
(SECTION I).
SECTION I La dépense
illicite en France et au Canada
Afin de saisir ce que signifie la déductibilité
de la dépense illicite par le biais de la gestion normale de
l'entreprise (B), il convient d'en donner la définition (A).
A La définition de la
charge illicite en France et au Canada
a) Le régime
d'autodéclaration de l'impôt
En France comme au Canada, la perception des impôts
repose principalement sur l'autodéclaration. Ainsi, la tâche
d'estimer le montant d'impôt annuel payable et d'en informer les
autorités compétentes dans une déclaration de revenu
incombe aux contribuables. La franchise, l'honnêteté et
l'intégrité du contribuable, on le comprendra aisément,
apparaissent comme étant les jalons essentiels du système
d'imposition. Il peut arriver cependant que les contribuables tentent, pour
paraphraser la juge Wilson dans l'arrêt McKinlay Transport
(1990), de « tirer profit du régime
d'autodéclaration pour tenter d'éviter de payer sa pleine part du
fardeau fiscal en violant les règles énoncées dans la
Loi »16(*).
Cependant, selon le principe à l'effet que tout contribuable est libre
d'arranger ses affaires de façon à entraîner le moins
d'impôt possible, il est permis de structurer n'importe quelle
transaction ou opération dans la mesure où une disposition
statutaire spécifique ne l'empêche. Conséquemment, il est
nécessaire que le ministre du Revenu du Canada, responsable de
l'administration de l'Agence du revenu du Canada et de l'application de la Loi
de l'impôt sur le revenu, dispose, en vue de la surveillance de ce
régime de réglementation, de larges pouvoirs de
vérification des déclarations des contribuables et de l'examen de
tous les documents qui peuvent en justifier le contenu déclaratif. En
France, l'article L 55 du Livre des procédures fiscales (L.P.F.) donne
à l'inspecteur des impôts la possibilité de vérifier
les déclarations déposées par le contribuable et ce
dernier est tenu de présenter tous les documents permettant de justifier
de l'exactitude des résultats indiqués dans sa
déclaration. De plus, les omissions totales ou partielles
constatées dans l'assiette de l'impôt, les insuffisances, les
inexactitudes ou les erreurs d'imposition peuvent être
réparées par l'Administration fiscale. Ce n'est autre que le
droit de reprise de l'Administration. Dans ce
contexte, il n'est pas improbable que certaines entreprises
inscrivent à leur déclaration quelques dépenses illicites
comme étant déductibles.
b) La dépense illicite, une
dépense non autorisée
Le mot « illicite » a été
emprunté au préfixe latin illicitus qui signifie tout
simplement « non autorisé »17(*). De manière
générale, en droits fiscaux français et canadien, les
charges illicites correspondent à celles qui ne sont pas
autorisées. Plus spécifiquement, il s'agit de charges pour
lesquelles la loi interdit expressément la déductibilité.
Tel est le cas en France de certains impôts et pénalités,
ainsi que des charges qualifiées de somptuaires selon le Code
général de l'impôt et des dépenses prévues
à l'article 67.5 et 67.6 de la Loi sur l'impôt et du revenu au
Canada.
Dès lors, lorsque de telles dépenses figurent en
comptabilité, leur montant doit être rapporté aux
bénéfices imposables de façon extra comptable. Il y a donc
une distinction à faire entre la nature illicite de la charge et le fait
de ne pouvoir déduire celle-ci car elle ne répond pas à
certaines conditions générales de déductibilité
énoncées par le Code général des impôts ou la
Loi de l'impôt et du Revenu. Ainsi, l'entreprise qui déclare une
dépense qui ne répond pas aux conditions générales
de déductibilité n'est pas une dépense illicite de ce
fait. Par exemple, au Canada, une compagnie n'a pu déduire des
dépenses qu'elle avait engagées au nom de sa filiale pour couvrir
d'importants frais de réparation d'une maison de campagne dont cette
dernière devait se servir pour donner des réceptions en l'honneur
de fonctionnaires en vue d'obtenir d'eux des contrats. Non seulement les
dépenses étaient de la nature du capital mais de plus elles
avaient été engagées en vu de produire un revenu non pas
pour la compagnie mais pour sa filiale, qui était une entité
indépendante18(*).
Il ne s'agissait point d'une dépense illicite mais d'une dépense
qui ne répondait pas aux conditions générales de
déductibilité.
Il en découle que, dans le calcul du revenu tiré
d'une entreprise ou d'un bien, les dépenses sont déductibles ou
non déductibles suivant les circonstances dans lesquelles elles sont
engagées. Ces circonstances sont liées en partie à la
nature de l'entreprise. Elles peuvent aussi être liées à la
manière dont le contribuable exerce son entreprise et à la
manière dont les dépenses ont été
occasionnées, par exemple, intentionnellement, sans motif ou par
l'intervention d'une tierce partie, y compris l'intervention gouvernementale.
L'organisation des règles fiscales en France et au Canada repose sur une
même idée : des règles générales et des
régimes particuliers (par exemple, la charge illicite se distingue en
France des dépenses somptuaires, au Canada, de celles qui ne sont pas
raisonnables.) Entre ce va et vient de règles, on trouve des principes
généraux qui apportent de la souplesse au droit fiscal, comme par
exemple, la notion de l'intérêt social. La complexité du
droit fiscal n'apparaît pas tant dans la technicité
qu'entraîne cette multitude de règles que par
l'interprétation de ces quelques principes généraux. Dans
tous les cas où la loi ne prévoit pas de dispositions
particulières en sens contraire, il convient de se référer
aux principes généraux pour considérer ou non la
déductibilité d'une dépense d'entreprise. C'est l'attitude
qu'adopte l'Administration fiscale lorsqu'elle effectue des contrôles des
différents types de dépenses.
Par conséquent, se pose la difficulté
liée à l'identification d'un paiement de nature illicite. Il
n'est pas facile de distinguer une facture frauduleuse d'une facture
réelle ou de détecter des versements à des salariés
fictifs ou des virements illicites sur des comptes bancaires extraterritoriaux.
Dans un premier temps, il s'agit de distinguer les commissions occultes des
autres commissions ou charges autorisées. Commission occulte,
Bakchich19(*) et
dessous-de-table20(*) sont
synonymes de pot-de-vin21(*). Il s'agit de sommes d'argent données
illégalement à une personne physique ou morale en échange
d'un service. Nul doute, le versement de pots-de-vin à un agent public
pour se voir octroyer un marché est constitutif d'une infraction
sanctionnée par le Code pénal en France et par le Code criminel
au Canada. La France et le Canada sont membre de l'organisation de
coopération et de développement économique (OCDE)22(*) et sont tous deux signataires
de la Convention sur la lutte contre la corruption d'agents publics
étrangers dans les transactions commerciales internationales
adoptées le 21 novembre 1997. Comme la France et le Canada, la plupart
des pays membre ont adopté dans leur législation nationale une
loi abolissant la déductibilité de ces commissions
secrètes versées à un agent public. En France, l'exclusion
de ces déductions est de portée générale et est
indépendante de la valeur de l'avantage, de son résultat, des
usages ou de la tolérance des autorités locales23(*). En outre, toute
présentation à un agent public des impôts de documents
attestant du versement d'un pot-de-vin à un agent public national en vue
d'obtenir une déduction fiscale conduira l'agent des impôts
à faire application de l'article 40 du Code de procédure
pénale (C.P.P.) en dénonçant cette infraction au
ministère public. De ce fait, dans la pratique, les commissions occultes
ne sont pas déductibles fiscalement.
Ensuite, on imagine difficilement que le dirigeant d'une
entreprise privée puisse déclarer à l'Administration
fiscale le montant se rapportant au versement d'un pot-de-vin qu'il aurait
effectué en faveur d'une autre société privée.. Au
Canada, la Loi de l'impôt sur le revenu interdit expressément le
versement de pots-de-vin. L'article 67.5 (1) L.I.R. énonce que :
Aucune déduction ne peut être faite dans le
calcul du revenu au titre d'une dépense engagée ou
effectuée en vue d'accomplir une chose qui constitue une infraction
prévue à l'article 3 de la Loi sur la corruption d'agents publics
étrangers ou à l'un des articles 119 à 121, 123 à
125, 393 et 426 du Code criminel, ou à l'article 465 du Code criminel
qui est liée à une infraction visée à l'un des ces
articles24(*).
On ne retrouve pas dans le Code général des
impôts français un article équivalent. L'article 39-2 bis
du C.G.I. fait uniquement allusion aux agents publics étrangers en
faisant état que les commissions versées depuis le 29 septembre
2000 à ces derniers en vue de les corrompre sont exclues des charges
déductibles. Que ce soit dans le secteur public ou privé, tous
les pots-de-vin sont illégaux. Toutefois, ce n'est pas toujours ainsi en
ce qui a trait au versement d'une commission.
c) Les types de dépenses
illicites
Évidemment, toutes les commissions versées par
l'entreprise ne sont pas illicites. Par exemple, au Canada, les commissions
payées lors de la vente de produits d'une entreprise sont des
dépenses faites dans le but de tirer un revenu d'entreprise et sont
déductibles dans la mesure où elles sont raisonnables. La
commission versée à une corporation pour l'assistance qu'elle a
apportée en obtenant des capitaux supplémentaires pour une tierce
corporation est jugée déductible25(*). Tout comme la commission égale à un
pourcentage des ventes, versée en contrepartie d'une aide
technique26(*). Toutefois,
en France, une société ayant pour activité l'impression
par photogravure n'a pu déduire de ses résultats les commissions
versées à un journaliste salarié d'une entreprise cliente
dès lors qu'en se bornant à alléguer qu'elle aurait perdu
cette clientèle à la suite du départ de ce salarié,
elle n'a pas justifié que les versements avaient une contrepartie
effective27(*).
Habituellement, les frais de représentation et les
cadeaux, effectués par les entreprises, sont déductibles au titre
de dépenses d'entreprise à condition qu'ils ne soient pas de
nature du capital ou à caractère social et soient d'un montant
raisonnable au Canada et qu'ils soient fait pour l'intérêt de
l'entreprise et ne constituent point un acte de gestion anormale en France. En
ce qui concerne les cadeaux effectués par des sociétés ou
des entreprises, il y a lieu de rappeler qu'en droit fiscal, les frais
généraux, soit toutes les dépenses de l'entreprise qui ne
trouvent pas leur contrepartie dans l'entrée d'éléments
dans l'actif du bilan, sont déductibles sous conditions du respect des
règles générales de déductibilité. En
revanche, les cadeaux ne peuvent en principe être déduits
lorsqu'ils sont illicites ou d'une valeur exagérée. C'est le cas
en France comme au Canada si la dépense est excessive et s'il n'est pas
prouvé qu'elle a été engagée dans
l'intérêt direct de l'exploitation. Pour apprécier le
caractère excessif ou non d'un cadeau, l'Administration fiscale examine
les usages en cours dans la profession, la taille de l'entreprise, son
activité et son développement28(*). Ainsi, sont déductibles, au Canada, les frais
pour cadeaux et frais de représentation engagés par les gens
d'affaire pour tirer un revenu de leur entreprise29(*). En France, le Conseil
d'État a admis la déduction de cadeaux offerts dans le cadre
d'une opération commerciale en infraction avec la législation
économique, tout en précisant que cette circonstance ne
permettait pas de considérer la remise des cadeaux comme un acte de
gestion anormale30(*). En
ce sens, la jurisprudence française actuelle, ne considère plus,
semble-t-il, la licéité de la cause comme une condition
obligatoire ou déterminante à la déductibilité de
la dépense.
En ce qui concerne les services professionnels, tel que les
frais de gestion, les inspecteurs des impôts doivent accorder la plus
grande attention aux pièces justificatives correspondant à ces
prestations. Ils devront procéder à leur ventilation et
vérifier leur exactitude. Toute variation inhabituelle doit susciter la
curiosité de l'inspecteur des impôts. Certaines de ces
dépenses passées en charge peuvent en effet masquer des
enveloppes versées à titre de pots-de-vin. L'existence de volumes
importants d'honoraires à des cabinets ou sociétés de
conseil peut être un premier indice pour démasquer un pot-de-vin.
Ainsi, les honoraires qu'une corporation prétend avoir versés
pour les soi-disant services de gestion de deux corporations qu'elle
contrôle ne sont pas déductibles si elle ne peut pas
démontrer les avoir vraiment versé à ces fins ou qu'il
existait même une entente à cet effet. Les montants
réclamés étaient aussi disproportionnés par rapport
aux revenus31(*). De
même, les commissions versées par une entreprise de travail
temporaire à un intermédiaire en relations publiques
relèvent d'une gestion commerciale normale dès lors que
l'entreprise justifie de la réalité de la contrepartie dont elle
a bénéficié à la suite de l'opération
d'entremise32(*).
L'illicéité se réfère donc à une
dépense réelle. Il ne s'agit pas du domaine de la
fictivité ou de la simulation mais de celui de l'interdit. Ceci
étant dit, est-il possible que la jurisprudence permette ce que la loi
interdit ?
Selon M. Cozian, on peut supposer comme à priori qu'un
acte sanctionné sur le plan juridique comme contraire à
l'intérêt social constitue par-là même un acte
anormal de gestion et qu'à l'inverse un acte qualifié d'anormal
sur le plan fiscal implique qu'il soit contraire à
l'intérêt social33(*). De ce fait, peu importe alors le caractère
illicite de l'acte si celui-ci présente un intérêt pour la
société, il ne constitue pas un acte anormal de gestion.
B La déductibilité
de la charge illicite par le biais de la gestion normale de l'entreprise
a) La théorie de l'acte
anormal de gestion
Cela est connu, que ce soit en France ou au Canada, dans
certains secteurs d'activités, les entreprises n'ont plus le choix pour
décrocher des marchés publics locaux soit elles acceptent de
verser des pots-de-vin, soit elles perdent des marchés au profit d'une
concurrence plus accommodante. D'un point de vue fiscal, la jurisprudence
française fait preuve d'une permissivité qui, pour certains, sera
considérée comme frôlant l'immoralité. En effet, si,
pour obtenir un marché public, une entreprise doit verser une
commission, les charges correspondantes, et même les sanctions encourues
(à l'exception des sanctions pénales), ne sont pas
considérées comme des actes anormaux de gestion. Autrement dit,
malgré son caractère illicite, le pot-de-vin est alors
déductible du bénéfice imposable de l'entreprise qui le
verse34(*).
Tout d'abord, la notion d'acte anormal de gestion est à
l'origine d'une construction jurisprudentielle du Conseil d'État. Elle
trouve à s'appliquer, pour l'essentiel, en matière de
fiscalité des entreprises et d'impôts sur les
bénéfices ou le revenu. L'acte anormal de gestion se
définit comme étant celui qui met à la charge de
l'entreprise une dépense ou une perte, ou bien qui la prive d'une
ressource, sans trouver de justification dans les intérêts de
l'exploitation commerciale. A contrario, relève d'une gestion normale,
la dépense effectuée dans l'intérêt direct de
l'entreprise. Parmi les exemples d'actes anormaux de gestion, on retrouve entre
autres, les dépenses qui auraient bénéficiées
à un dirigeant d'entreprise ou à l'un des membres du personnel
sans être la contrepartie de services rendus. Conséquemment, selon
les principes du droit fiscal, tout acte ayant pour cause exclusive la
satisfaction d'un intérêt non conforme à
l'intérêt social est présumé révéler
l'anormalité de la gestion. Il s'agit d'une présomption simple
mais la preuve contraire n'est pas toujours facile à apporter. De la
sorte, cette théorie constitue une exception au principe de non
immixtion de l'Administration fiscale dans la gestion des entreprises.
Ensuite, la théorie de l'acte anormal de gestion est
singulière au droit fiscal français. On ne retrouve pas, en droit
fiscal canadien, pareille théorie. Donc, la construction
prétorienne de la notion de l'acte anormal de gestion ne peut se
comprendre sans évoquer différentes notions du droit fiscal
français tel que le principe de non immixtion de l'Administration
fiscale dans la gestion des entreprises, l'intérêt social et le
lien entre ce dernier et l'acte anormal de gestion.
b) Le principe de non
immixtion
Assurément, le pouvoir de vérification de
l'Administration fiscale française ne fait pas d'elle un
contrôleur de gestion. De telle sorte que l'Administration fiscale ne
peut se substituer aux dirigeants pour apprécier ce qui aurait le mieux
convenu à leur entreprise, « elle n'a pas à s'immiscer
dans la gestion interne des entreprises »35(*). Ainsi, l'exploitant est seul
juge de l'opportunité de sa gestion. Ce principe de non immixtion de
l'Administration fiscale dans la gestion des entreprises a été
affirmé à plusieurs reprises par le Conseil
d'État36(*). En
conséquence, ni l'Administration, ni les tribunaux ne sont juges de
l'opportunité des décisions de gestion des entreprises, sauf
à y déceler des fraudes ou des irrégularités,
puisqu'ils n'assument pas les risques de l'exploitation37(*). De la même
manière, au Canada, l'article 67 L.I.R. applique ce principe et se base
sur une notion intéressante : celle de l'homme d'affaire
raisonnable : « Il ne s'agit pas, pour le ministre ou cette
cour, de substituer leur jugement à ce qui constitue une somme
raisonnable à payer mais plutôt, d'en arriver à la
conclusion qu'aucun homme d'affaires raisonnable ne se serait engagé
à payer une telle somme en ayant seulement le facteur commercial de
l'appelant à l'esprit »38(*). Dans Ankrah (2003), la déduction des
dépenses Amway a été accordée, la Cour
précisant que l'article 67 ne devrait pas être appliqué
pour refuser la déduction de dépenses sur la base d'un mauvais
jugement commercial lorsque les dépenses ont été
engagées alors que le contribuable croyait honnêtement qu'elles
finiraient par produire des bénéfices. Dans les circonstances, il
est convenable de se poser la question de savoir si un homme d'affaire
raisonnable verserait un pot-de-vin afin que son entreprise obtienne un contrat
lui assurant des bénéfices. Le terme
« raisonnable » dans l'expression « homme
d'affaire raisonnable » semble d'emblée supprimer toutes
activités qui pourraient représenter un risque pour la
pérennité de l'entreprise. De façon opposée et
même paradoxale, en France, la notion de l'intérêt social
semble permettre de telles activités représentant un risque pour
l'entreprise car dans un premier temps, le pot-de-vin est versé dans le
but d'octroyer à l'entreprise un avantage donc il est
théoriquement justifié. Néanmoins, à l'égard
de l'entreprise, quelles seront les conséquences à court et
à long terme de ce genre de pratiques ? Ce genre de risque semble
déraisonnable.
Ainsi, au Canada, pour que la dépense soit
déductible, celle-ci doit avoir été effectuée dans
le but de produire un revenu. Or, pour déterminer si une dépense
a été encourue dans le but de gagner un revenu, il faut que les
dépenses aient été engagées légitimement
dans le cours ordinaire des affaires et dans le but qu'il découle
ultérieurement un revenu imposable pour l'entreprise39(*). Il en ressort que, le fait
que la dépense doive être engagée légitimement dans
le cours ordinaire des affaires semble indiquer, dès lors, que la
déductibilité de dépenses illicites ne soit pas
envisageable. L'article 67 L.I.R. établit qu'une dépense n'est
déductible que dans la mesure où elle est raisonnable eu
égard aux circonstances. Le mot « raisonnable »
semble référer au montant et à l'importance de la
déduction réclamée. Le but de cet article étant
d'empêcher les occasions d'évitement fiscal qui se
présenteraient le plus souvent lorsqu'une société octroie
des salaires, commissions ou frais ou autres formes de paiement à ses
employés ou à ses actionnaires. Ainsi, l'application de l'article
67 L.I.R. ne sanctionne pas une fraude fiscale mais le manque de jugement du
contribuable en ce qui a trait au montant versé. De même, la
complexité qui réside dans l'acte anormal de gestion est que le
contribuable ne viole directement aucune prescription de nature fiscale ;
il ne commet donc pas une fraude fiscale : le critère
n'étant pas fiscal, mais le critère juridique de
l'intérêt social40(*).
À cette fin, la définition de l'acte anormal de
gestion a notamment été rappelée par M. Fouquet,
Commissaire du gouvernement à l'occasion d'un arrêt du Conseil
d'État du 27 janvier 1989 ; « (...) il va au-delà
de la simple erreur de gestion et implique une intention consciente (donc
subjective) dont l'existence est présumée »41(*). De ce fait, il faut
préciser que l'acte anormal de gestion n'est pas le dépassement
de l'objet social, ni un acte effectué en violation d'une clause
statutaire limitative de pouvoir ni l'erreur comptable
délibérée mais un acte accomplit en méconnaissance
de l'intérêt social. Au Canada, l'intérêt social
transposé au droit des sociétés est un sujet peu
exploré42(*),
contrairement à la France où l'on retrouve plusieurs
thèses portant sur cette notion, essayant d'en cerner le contour et d'en
définir l'objet. Ceci dit, la notion de l'intérêt social ne
produit pas, à elle seule, d'effets juridiques. Aussi, l'acte contraire
à l'intérêt social cause un préjudice à la
société et il ne procure aucun avantage à la
société. De ce fait, les éléments constitutifs de
l'acte anormal de gestion doivent être recherchés dans la
jurisprudence et la doctrine.
Alors, le juge se trouve partagé entre deux
impératifs contradictoires : celui de la neutralité d'une
part, celui du contrôle qu'il doit exercer d'autre part, pour s'assurer
de la contribution sincère des entreprises à l'effort fiscal
national. Dans cette optique, par une construction totalement
prétorienne, le Conseil d'État a apporté une exception au
principe de non immixtion de l'Administration fiscale dans la gestion des
entreprises : la théorie des actes anormaux. Si l'administration ne
peut s'immiscer dans la gestion commerciale de l'entreprise, il résulte
d'une jurisprudence constante du Conseil d'État que
l'appréciation par cette Administration du caractère normal ou
anormal des actes de gestion n'excède pas les pouvoirs habituels de
contrôle qui lui sont reconnus. Lorsqu'il répond à des buts
fiscaux, l'acte anormal de gestion peut être écarté par
l'Administration fiscale. Encore faut-il savoir à partir de quand un
acte est anormal. Conséquemment, les juges français se retrouvent
donc confronté à la question de savoir ce qui est normal et ce
qui ne l'est pas.
c) La condition d'une contrepartie
effective
La définition qui semble être donnée
à la notion de « normalité » réside
dans l'idée qu'un acte accomplit seulement dans un but fiscal est
anormal tandis qu'un acte effectué dans l'intérêt de
l'entreprise est normal. D'une manière générale, la
jurisprudence qualifie d'acte anormal de gestion non seulement les
opérations qui se traduisent par des dépenses non conformes
à l'intérêt de l'exploitation mais également le fait
pour l'entreprise de renoncer anormalement à une recette. En revanche,
relève d'une gestion normale, les opérations dans lesquelles
l'entreprise justifie d'une contrepartie43(*). Par exemple, une
entreprise d'imprimerie et de fournitures de bureau avait versé diverses
rémunérations au cours de plusieurs exercices à des
salariés de sociétés clientes, occupant des fonctions
telles qu'agent commercial, chef de publicité, magasinier etc. Le
Conseil d'État a considéré qu'en produisant un tableau
d'où il ressortait que le chiffre d'affaire réalisé avec
les sociétés concernées avait, pour la plupart de
celles-ci, progressé de manière significative au cours des
années en litige. L'entreprise justifiait que, compte tenu des fonctions
exercées par les bénéficiaires des
rémunérations, lesquelles étaient proportionnelles au
montant des affaires traitées et comportaient donc une contrepartie
effective, cette pratique était de nature à entraîner un
comportement favorable pour elle. Les rémunérations
versées ont donc été admises en déduction des
résultats imposables44(*). Donc, il s'avère que la présence d'une
contrepartie soit la condition sine qua non à la gestion normale de
l'entreprise. Néanmoins, comme l'a rapporté le
Commissaire du gouvernement Monsieur Martin Laprade dans le cadre d'une affaire
d'un abandon de créance par une société mère au
profit d'une filiale en difficulté : « si le
caractère normal de l'acte de gestion est une condition
nécessaire de la déductibilité de la dépense
correspondante, celle-ci ne doit pas avoir pour contrepartie une augmentation
de l'actif net de l'entreprise »45(*). Ainsi, la contrepartie doit
référer à un service rendu et qui plus est appuyé
de preuves solides. La délicatesse de la théorie de l'acte
anormal de gestion se retrouve dans le lien entre l'acte anormal de gestion et
l'acte contraire à l'intérêt social.
d) Le lien entre l'acte anormal de
gestion et l'acte contraire à l'intérêt social
Effectivement, dans le cadre de l'acte anormal de gestion,
l'Administration fiscale ne conteste nullement la réalité et la
sincérité de l'acte passé ; elle n'invoque aucune
dissimulation. Elle prétend seulement que l'acte est contraire à
l'intérêt de l'entreprise et ne lui est pas opposable pour le
calcul de l'impôt46(*). Aussi, l'acte anormal de gestion doit être
caractérisé par rapport à la décision de gestion,
d'une part, et à la décision de gestion
irrégulière, d'autre part. La décision de gestion est
prise par le contribuable dans l'exercice d'une faculté juridique
d'option entre deux régimes fiscaux. La décision de gestion
régulière est opposable au contribuable qui ne peut en demander
la rectification, et est opposable à l'Administration qui ne pourra pas
révoquer les avantages fiscaux qui leur sont attachés. Pour sa
part, la décision de gestion irrégulière est celle par
laquelle un contribuable choisit délibérément dans le
cadre de ses écritures comptables d'ignorer la loi fiscale ou de
l'enfreindre. Ainsi, sont opposables au contribuable les erreurs volontaires ou
frauduleuses constitutives de décision de gestion
irrégulière. Enfin, il semble que l'acte anormal de gestion soit
celui qui est contraire à l'intérêt social. Faut-il pour
autant en déduire que tous les actes réalisés dans
l'intérêt de l'entreprise sont normaux ?
e) L'acte illicite
Naturellement, pendant plusieurs années la
jurisprudence a considéré un acte illicite comme forcément
un acte anormal de gestion47(*). Ce n'est plus le cas aujourd'hui. En effet, il
résulte de trois décisions du Conseil d'État rendues en
198348(*) qu'une
dépense illicite n'est pas nécessairement anormale si elle est
engagée dans l'intérêt de l'entreprise. Indubitablement, la
commission d'un acte illicite, par exemple, verser un pot-de-vin,
peut-être tout à fait favorable à la gestion de
l'entreprise, mais il heurte des principes légaux ou moraux
fondamentaux. Ainsi, dans un arrêt du 1er juillet 1983, le
Conseil d'État a mis fin à la confusion de
l'illicéité et de l'anormalité en ces termes :
Considérant que seuls peuvent ne pas être pris en
compte les actes ou opérations qui ont été
réalisées à des fins autres que celles de satisfaire les
besoins ou, de manière générale, servir les
intérêts de l'entreprise et qui, dans ces conditions, ne peuvent
pas être regardés comme relevant d'une gestion normale de
celle-ci ; que, par suite, ne relèvent pas nécessairement
d'une gestion anormale tous les actes ou opérations que l'exploitant
décide de faire, en n'ignorant pas qu'il expose ainsi l'entreprise, en
vertu d'obligations assorties de sanctions pécuniaires, à devoir
supporter de ce chef certaines charges ou dépenses ; que c'est
seulement si de telles opérations ont été
décidées à des fins étrangères aux
intérêts de l'entreprise qu'elles peuvent être
réputées relever d'une gestion anormale49(*).
Dès lors, il est aisé de dire que le
caractère illicite n'a donc aucune influence sur la
déductibilité de la dépense si elle est effectuée
dans l'intérêt de l'entreprise. En effet, le pot-de-vin
versé dans le but d'obtenir un contrat s'inscrit dans la droite ligne
d'un acte accomplit dans l'intérêt social. Est-il normal ?
Selon les circonstances cela est plausible. À savoir, si toutes les
sociétés appelées ont dû verser un pot-de-vin pour
que leur dossier soit étudié, il semble normal de répondre
à cette condition. Logiquement, si la dépense est engagée
dans l'intérêt de l'entreprise, qu'elle est
régulièrement comptabilisée et appuyée d'une
pièce justificative, pourquoi ne pourrait-elle pas être
déductible ? Il s'agit d'un raisonnement qui tient la route en
droit fiscal mais qui risque de provoquer des accidents de parcours aux
dirigeants qui ont une trop grande soif de réussite.
SECTION II Le traitement fiscal
des charges à caractère illicite ou découlant d'un acte
illicite en France et au Canada
Le traitement fiscal des charges à caractère
illicite tels que les pots-de-vin (A) est différent de celui
accordé aux charges découlant d'un acte illicite (B).
A Le traitement fiscal des
pots-de-vin
a) La déductibilité
possible des pots-de-vin
Selon la firme conseil Control Risks, une entreprise
française sur trois estime avoir perdu un contrat en 2006 au profit d'un
concurrent ayant versé un pot-de-vin50(*). Aux Etats-Unis, quatre entreprises sur cinq ont des
programmes pour lutter contre la corruption, par rapport à seulement 24%
des sociétés françaises51(*). Les pratiques de corruption utilisées
antérieurement par les entreprises françaises pour se voir
attribuer des marchés internationaux ont, semble t-il, laisser leurs
traces52(*).
Malheureusement, dans un contexte international, le versement de pots-de-vin
pour se voir octroyer un contrat ou une part de marché semble être
à certaines occasions une pratique inévitable pour les
entreprises qui souhaitent rester dans la course.. Au niveau de la corruption
d'agents étrangers, l'intervention de l'OCDE en la matière a fait
en sorte que la France et le Canada, comme plusieurs autres pays, ont
incorporé dans leur législation nationale des lois interdisant la
déductibilité fiscale des pots-de-vin versés à des
agents publics. Toutefois, au niveau du secteur privé, les droits
fiscaux français et canadiens ont une manière différente
d'aborder la déductibilité des dépenses illicites telles
que les pots-de-vin.
Curieusement, dans les années passées, la Cour
suprême du Canada a déclaré dans certaines décisions
rendues que les paiements ou dépenses illégales (pots-de-vin,
bakchichs etc.) effectués dans le but de gagner ou de produire un revenu
sont déductibles dans le calcul de l'impôt à condition de
ne pas être une dépense en capital et que leur déduction ne
soit pas interdite par un article spécifique de la Loi de l'impôt
sur le revenu. Manifestement, la documentation et les décisions qui
portent sur de telles affaires sont, on s'en doute, très rares. On ne
retrouve qu'une affaire inscrite au registre de la Cour fédérale
de l'impôt traitant de la déductibilité de pots-de-vin. Ces
derniers ont pu être déduits dans un cas où la preuve
démontrait qu'ils avaient profités grandement à
l'entreprise du contribuable et qu'il en réclamait un montant
raisonnable53(*). Bien
entendu, cette affaire remonte avant l'entrée en vigueur de l'article
67.5 L.I.R.. Il ne faut pas être naïfs, les affaires se rapportant
à la déductibilité de pots-de-vin sont embrouillées
et l'utilisation de montages financiers sert à dissimuler ce genre
d'opération. Le plus souvent, la différence entre la somme
reçue et le prix normal est par la suite reversée à un
intermédiaire après déduction du bénéfice de
l'entreprise concernée. Toute la difficulté tient à
l'identification de la personne intermédiaire qui n'apparaît
évidemment jamais nulle part dans les livres comptables. L'appel
à des bureaux de consultants ou bureaux d'étude semble être
la méthode préconisée pour l'entreprise qui souhaite
procéder à la déductibilité fiscale de pots-de-vin.
À cet effet, en France, dans une affaire datant de
199754(*), la Cour
administrative d'appel de Lyon déclarait que : « doivent
être regardées comme des charges engagées dans
l'intérêt de l'entreprise les honoraires versés par une
entreprise à des bureaux d'étude pour l'obtention de
marchés publics ». En effet, une société qui
avait pour activité l'enlèvement des ordures avait versé
des honoraires à des bureaux d'étude auxquels des communes
avaient confié le soin de négocier pour leur compte l'attribution
de marchés publics. Dans cette affaire, le versement des honoraires
constituait une condition imposée par la municipalité aux
entreprises. L'Administration fiscale avait réintégré le
montant de ces honoraires dans le calcul du montant imposable. À cet
égard, il est difficile de savoir si le tribunal d'appel de Lyon aurait
envisagé la même décision dans le cas où le montant
versé en guise d'honoraire n'avait pas été une condition
imposée à toutes les entreprises.
b) Les conditions de la
déductibilité des pots-de-vin
Cependant, si la jurisprudence au regard de cette affaire se
montre indulgente à l'égard du principe de déduction des
pots-de-vin, elle va se montrer plus exigeante quand aux conditions de cette
déduction. À ce jour, la jurisprudence requiert en principe,
l'identité du bénéficiaire mais aussi la preuve de la
réalité du service rendu par ce dernier. Dans ce domaine, la
justification de la réalité du service rendu par
l'intermédiaire s'avère difficile car il n'y a aucune trace
écrite afin d'établir la nature exacte de l'intervention. Pour sa
part, l'Administration fiscale canadienne, du temps où elle permettait
la déductibilité des pots-de-vin, n'exigeait pas de preuve
écrite sous conditions que le nom du bénéficiaire soit
connu et que la dépense ait été faite dans le but de
produire ou gagner un revenu. L'Agence du revenu du Canada adoptait cette
position dans la circulaire d'information 76-4R2 en date du 27 juin 1977. Cette
circulaire fût remplacée par une autre circulaire (Unvouchered
Expenditures) le 31 janvier 1986 dans laquelle on pouvait lire entre
autres :
1. The purpose of this circular is to set out the Department's
position regarding expenditures that are not supported by proper vouchers. It
applies to all transactions that affect the calculation of the payor's income
for taxes purposes or otherwise reduce the payor's net assets. These
transactions include kickbacks, bribes, etc. and expenses claimed but not in
fact made or incurred.
Les articles 5 et 6 de la circulaire d'information portaient
spécifiquement sur les pots-de-vin :
5. An unvouchered expenditure that may be described as an
«under-the-table» payment is not deductible unless de following
conditions are met:
a) The recipient thereof is identified and
b) the expenditure was made or incurred to earn income and the
amount was reasonable in the circumstances.
6. In the case of a corporation, where the recipient of a
payment remains unidentified consideration will be given to including the
amount of such payment in the income of the person who authorized it pursuant
to subsection (...) depending on the circumstance.
Bien que ces articles de la circulaire administrative ne
soient plus valides, leur analyse reste d'actualité. Elle nous permet de
mettre en perspective le changement d'orientation effectué par l'Agence
du revenu du Canada à l'égard de la déductibilité
des pots-de-vin.
Nul doute qu'un changement d'orientation de la part de
l'Administration fiscale -comme il s'est avéré au Canada - est
plus probable que le revirement de la jurisprudence constante du Conseil
d'État. En ce sens, il semble apparent que la voie empruntée par
le Conseil d'État mène vers une impasse. Dans la mesure où
la preuve matérielle des prestations effectuées est absolument
nécessaire, est-il pertinent de parler de pots-de-vin ? L'exigence
de la preuve des services rendus est primordiale. Il ne s'agit pas d'une
condition dite accessoire ou même faisant partie d'un faisceau d'indices.
En ce sens, il semble inapproprié, au regard du droit fiscal de discuter
de la déductibilité des dépenses illicite. D'une part, le
Code général des impôts n'interdit pas la
déductibilité de ce type de dépense, d'autre part, toutes
les conditions générales de la déductibilité
étant rencontrées, il est dans l'ordre des choses que la
dépense soit déductible. En effet, lorsque la dépense a
été régulièrement inscrite en comptabilité,
que l'on connaît l'identité du bénéficiaire et qu'il
y a preuve de la réalité du service rendu, il semble inopportun
d'invoquer l'existence d'une commission secrète.
c) La réalité des
versements et des prestations
Bien entendu, les honoraires ou les commissions versées
à des intermédiaires ne sont déductibles que si la
réalité des versements et des prestations peut être
établit dans la mesure où l'entreprise justifie l'état de
circonstances, de documents et qu'elle se fonde sur le résultat apparent
de l'intervention de l'intermédiaire en démontrant, par exemple,
une hausse du chiffre d'affaire ou l'obtention de nouveaux contrats. De telle
sorte que le juge va s'attacher à l'identité du
bénéficiaire, ses fonctions, ses pouvoirs de conclusion en
matière de contrat et de donneur d'ordre. Dans une affaire du Conseil
d'État datant du 5 décembre 200155(*), il est apparût que le paiement de la
commission, à supposer même qu'il soit constitutif d'un acte
anormal de gestion, ne pouvait être regardé comme un avantage
occulte au sens des dispositions du c de l'article 111 du code dès lors
que la commission litigieuse avait été comptabilisée par
la société Bernard Tapie Finance selon un libellé
permettant d'identifier l'objet de la dépense et son
bénéficiaire, la société Bernard Tapie Finance
GMBH. C'est dans ce sens que l'on peut dire que le caractère illicite
des dépenses supportées par les entreprises n'est pas de nature
à influencer leur déductibilité car lorsque la
déductibilité est permise, la dépense ne rencontre plus
les attributs qui la rendent illicite. Et non en raison de la jurisprudence
constante du Conseil d'État au terme de laquelle les dépenses
illicites ne sont pas par essence non déductibles dès lors
qu'elles sont conformes à l'intérêt social. Ainsi, ne
pouvait être admis en déduction les honoraires versés par
une société de travaux publics à un bureau d'étude
dès lors que la seule convention conclue entre les deux parties de
quelques correspondances échangées entre elles et de factures
faisant état de mission d'assistance commerciale ne permet pas
d'établir la matérialité des prestations effectuées
par le bureau en contrepartie des honoraires en cause56(*). Par ailleurs, dans cette
affaire, la société versante n'a pas établit que la
conclusion des marchés publics qu'elle aurait obtenu résulterait
de l'intervention du bureau d'étude.
La jurisprudence considère que
l'article
39-1 du Code général des impôts vise toutes les
dépenses exposées ou tout manque à gagner supporté
dans l'intérêt de l'exploitation. Effectivement, il ne suffit pas
que la dépense exposée ou le manque à gagner subi soit la
conséquence d'un engagement en bonne et due forme pour que le montant
puisse être déduit du bénéfice imposable. Si
l'engagement est contracté sans contrepartie utile à
l'exploitation, auquel cas il relève d'un acte de gestion anormal, les
charges susceptibles d'en résulter ne sont pas déductibles.
À cet égard, l'arrêt Sodame du 31 juillet 1992 donne une
bonne illustration, il énonce que : « la déduction
de tels frais n'est cependant admise que s'ils constituent une charge
effective, qu'ils ont été effectués dans
l'intérêt direct de l'entreprise et sont appuyés de
justifications suffisantes »57(*). De plus, un autre arrêt rendu le même
jour vient apporter une autre précision, en abordant l'idée de
contrepartie : « les voyages ainsi offerts constituaient la
contrepartie de l'activité et des efforts déployés par
ceux qui les avaient gagnés »58(*). C'est en quelque sorte un contrôle de
proportionnalité auquel se livre le juge de l'impôt avec cette
idée de contrepartie omniprésente.
En somme, la déductibilité des pots-de-vin n'est
pas tant une question qui relève de la notion de l'intérêt
social mais plutôt de la capacité à faire la preuve que les
versements sont la contrepartie de services effectivement rendus.
L'intérêt social ne devrait pas entrer en compte pour
établir la déductibilité des dépenses illicites.
Bien sûr, les juges ne peuvent faire fit de l'intérêt social
lorsqu'ils jugent les faits, ils utilisent cette notion comme faisant partie
d'un faisceau d'indices. Toutefois, la notion est trop large est fait en sorte
de scinder l'état du droit. En effet, comment expliquer que le droit
fiscal autorise ce que le droit pénal interdit ? Si pour certains
cela ne découle pas d'une mauvaise logique, il semble que cet
état des chose puisse avoir des effets pervers comme celui d'encourager
la corruption. Cependant, l'interdiction de la déductibilité des
charges illicites par l'ajout à la loi d'un article spécifique en
la matière, comme c'est le cas au Canada, ne semble pas pour autant
régler la question.
Effectivement, l'article 67.5 (1) L.I.R. s'applique uniquement
à une catégorie limitée de paiements illégaux. Par
exemple, certains paiements effectués par une entreprise dans le cadre
d'activités illégales (paiement pour les fournitures, services,
salaires, etc.) ne sont pas en tant que telles touchées et semblent
continuer à être déductibles selon la jurisprudence en
place. Ainsi, les dépenses d'un organisme de prostitution qui peuvent
être confirmées par des pièces justificatives sont admises
comme ayant été engagées dans le but de produire un revenu
et sont déductibles59(*). De la même façon, les paiements
illégaux effectués dans le cadre d'activités, qui sont
elles légales (achat d'inventaires illégaux, services etc.)
continueront à être déductibles à condition de ne
pas être constitutifs d'une infraction spécifique
mentionnée à l'article 67.5 (1) L.I.R. ou représenter un
montant devant servir à un complot au Canada ou à
l'étranger60(*).
Donc, selon la jurisprudence, est déductible la dépense
illégale facilitant une activité légale61(*).
Par conséquent, la France et le Canada se trouvent dans
une position diamétralement opposée au regard de la
déductibilité des dépenses illicites effectuées par
les entreprises : en France la règle générale est la
déductibilité des dépenses illicites tandis qu'au Canada
elle semble être l'exception. Cette divergence semble se renforcée
lorsque l'on aborde la question du traitement fiscal des amendes et
pénalités.
B Le traitement fiscal des amendes
et pénalités
a) L'évolution
jurisprudentielle
Les systèmes fiscaux français et canadien ont
tous deux eu à se pencher sur la controversée question de la
déductibilité des amendes et pénalités. Les amendes
et pénalités sont la conséquence d'actes illicites.
À cet effet, elles se distinguent des charges illicites telles que les
pots-de-vin et tous types de paiements illégaux. La jurisprudence
française illustre bien cette différence dans le cas des amendes
pénales : « Les amendes qui ont un caractère
pénal ne peuvent venir en déduction du bénéfice
imposable, « elles ne constituent pas une charge engagée dans
l'intérêt de l'entreprise mais la conséquence subie d'un
acte qui en lui-même était éventuellement conforme à
l'intérêt de l'exploitation »62(*). La question à se poser
est donc de savoir s'il est opportun d'admettre la déductibilité
de montants payés à titre d'amende ou de
pénalité ? Certes, si aujourd'hui au Canada, la Loi de
l'impôt sur le revenu et, en France, le Code général des
impôts, consacrent un article sur la non déductibilité des
amendes et pénalités, l'évolution commune de ces deux
législations diffère en de nombreux points.
Au Canada, l'évolution jurisprudentielle marquée
par d'importants jugements, s'est échelonnée sur une trentaine
d'années avant que le législateur n'intervienne de manière
spécifique tandis qu'en France, l'article 39-2 C.G.I. qui prévoit
la non déductibilité de certaines amendes et
pénalités était issu pour l'essentiel d'une loi du 23
février 1942 avant d'être tout récemment modifié par
la loi 2007-1822 du 24 décembre 2007. Antérieurement à
1976, les tribunaux canadiens refusaient généralement de
permettre aux contribuables de porter leurs amendes et pénalités
en déduction de leur revenu d'entreprisse63(*). La plupart d'entre eux
rejetaient d'emblée la question en affirmant que la déduction des
amendes et pénalités était à l'encontre de
l'intérêt public. Durant de nombreuses années les tribunaux
adoptaient un raisonnement à l'effet que permettre la déduction
d'amendes et pénalités imposées à titre d'acte
punitif ou dissuasif réduirait l'effet escompté et irait à
l'encontre de l'ordre public64(*). Cependant, dans certains cas, les amendes ou
pénalités imposées pour des infractions relativement
mineures ont été considérées déductibles
dans la mesure où elles résultaient des opérations
journalières de l'entreprise, étaient indispensables ou
inévitables et constituaient une dépense nécessaire. C'est
ce qui en ressort de l'affaire Day & Ross (1976)65(*) lorsque le tribunal a
donné au contribuable la permission de déduire des amendes
versées au titre des contraventions de la route comme le poids
excédentaire, la perte de plaque d'immatriculation etc.. Le tribunal a
admis la déduction pour deux motifs : les amendes et
pénalités avaient été imposées lorsque
l'entreprise poursuivait ses activités commerciales (le critère
d'objet) et les contraventions ne représentaient pas des violations
outrageuses à l'intérêt public (le critère du
caractère offensif)66(*). Cette affaire marque les premiers pas vers ce qui
semble être une certaine ouverture de la part des tribunaux en ce qui a
trait à la déductibilité des amendes et
pénalités.
Ensuite, l'affaire TNT Canada inc. (1988)67(*) libéralise sensiblement
la règle exposée en l'affaire Day & Ross. En effet,
la Cour fédérale a rejeté les prétentions du
ministre relativement à l'existence d'une politique
générale rejetant l'admissibilité de toutes les amendes et
pénalités dans le calcul du revenu d'entreprise. Le juge Cullen a
déclaré : « (...) je constate qu'il n'existe
aucune autorité adéquate pour une politique
générale de rejet de la déduction de toutes les amendes et
pénalités »68(*). Ainsi, le rejet de la politique
générale contre la déduction des amendes constitue une
nouvelle direction de la loi telle qu'elle était avant 1976. De telle
sorte que la déduction des amendes et des pénalités n'est
plus contraire à l'intérêt public. Mais, comme tout ne peut
être claire du premier coup, le tribunal se réserve le droit de
rejeter des dépenses en vertu de la règle générale
de l'atteinte à l'intérêt public, sans toutefois
élaborer sur les circonstances dans lesquelles il peut y avoir atteinte
à cet intérêt.. Malgré une certaine évolution
de la réflexion sur la question, le contribuable reste devant
l'incertitude. Le critère de l'atteinte à l'intérêt
public reste comme une épée de Damoclès au-dessus de la
tête du contribuable. Néanmoins, le tribunal reconnaît que
son approche entraînera de l'incertitude quant à la loi, mais
préfère l'incertitude de sa vague formulation à
l'alternative qui est d'admettre la déduction de toutes les amendes et
pénalités qui rencontrent le critère d'objet commercial et
sont encourues dans le cadre de l'exploitation légale d'une entreprise.
À cette époque, en France, en l'absence de
dispositions particulières dans le Code général des
impôts, toutes les sanctions autres que celles relatives aux impôts
et à la réglementation économique sont, en principe,
déductibles. Cependant, ce principe trouve une limite dans la
règle jurisprudentielle selon laquelle doit être refusée la
déduction des amendes qui sanctionnent un manquement de l'entreprise
à une disposition d'ordre public ou qui constituent une peine
personnelle pour l'auteur de l'infraction69(*). Au Canada, à ce stade le tribunal
reconnaît qu'il n'y a pas de principe général de non
déductibilité mais hésite à pousser plus loin la
réflexion et se contente d'adopter une solution intermédiaire. Il
aura fallut l'avènement de l'affaire 65302 British Columbia Ltd. C.
Canada (1999)70(*)
pour que le tribunal pousse à terme la réflexion et adopte une
position annonciatrice de changement. Dans cette affaire, la Cour suprême
du Canada a conclu que le prélèvement sur dépassement de
quota payé par le contribuable à l'égard de ses poules
pondeuses constituait une dépense déductible71(*). S'appuyant sur le texte de la
Loi de l'impôt sur le revenu, la Cour conclut que le seul critère
applicable consistait à déterminer si la dépense avait
été encourue dans le but de tirer un revenu et que, dans un tel
cas, à moins d'une disposition expresse à l'effet contraire, la
dépense devait être déductible, le rôle des tribunaux
n'étant pas de créer des distinctions là où la loi
est silencieuse. Ainsi, la Cour détermina sur la base de la preuve
versée au dossier que la décision du contribuable d'outrepasser
son quota en était une purement commerciale, prise effectivement dans le
but de gagner un revenu et puisque aucune disposition expresse
n'empêchait sa déduction, cette dépense devait être
déductible. En France, les tribunaux auraient peut-être
affirmé qu'il s'agit là d'un acte illicite mais
« normal », effectué dans l'intérêt de
l'entreprise.
Dans l'affaire British Columbia, la décision
prise par le producteur de dépasser son quota de production constitue un
acte illicite (il a agit à l'encontre de la réglementation)
à la suite duquel il a dû payer des taxes compensatoires.
Toutefois, la Cour suprême a retenu qu'il s'agissait « d'une
décision purement commerciale prise dans le but de gagner un
revenu ». Afin de motiver la déductibilité des
pénalités imposées, au même titre que le
critère fondamental de l'acte normal de gestion est celui de
l'intérêt de l'entreprise, le critère retenu a
été celui de « décision prise dans le but de
gagner un revenu ». À ce stade, l'analogie avec le droit
fiscal français est intéressante. Il est à observer qu'en
dépit de l'absence de la théorie de l'acte anormale de gestion en
droit fiscal canadien, les tribunaux canadiens se sont appuyés sur un
critère de base différent de celui de l'acte normal de gestion
mais ayant la même finalité : permettre la
déductibilité de la pénalité. Cependant, là
s'arrête l'analogie car la position adoptée par la Cour72(*) dans l'affaire British
Columbia Ltd. mettait en lumière une proposition devant enfin
clarifier la situation : le législateur devait intervenir. La Cour
suprême du Canada a rappelé aux autorités en place
qu'à la faculté de légiférer se rattache la
responsabilité de le faire d'une façon claire, elle a
invité le Parlement à légiférer expressément
de façon à rendre non déductibles les
pénalités et amendes si telle était vraiment son
intention.
b) L'interdiction de
déduction par la loi
En France, malgré le fait que le législateur
soit intervenu de manière spécifique, la
déductibilité des amendes et pénalités
relève d'une gymnastique entre le principe général de la
déductibilité des charges exposées au 1 de l'article 39 du
Code général des impôts et le principe de non
déductibilité énoncé au 2 dudit article. Avant la
modification toute récente au 2 de l'article 39 du code
général des impôts, la déductibilité de
certaines charges étaient expressément exclue73(*). Il s'agissait donc
d'exceptions au principe général de déductibilité.
L'article 39-2 du G.G.I. énonce que « les sanctions
pécuniaires74(*) et
pénalités75(*) de toute nature mise à la charge des
contrevenants à des obligations légales ne sont pas admises en
déduction des bénéfices soumis à l'impôt. Par
conséquent, la situation semble étrange puisque deux principes
généraux se confrontent. Effectivement, le fait par le
législateur de ne plus énumérer expressément les
charges non admises à déduction permet à l'expression
« de toute nature » de prendre toute son emphase et ainsi
d'élargir le champ d'application du 2 de l'article 39 du C.G.I..
Serait-ce l'évincement annoncé de la théorie de l'acte
anormal de gestion en ce qui concerne la déductibilité de
certaines amendes et pénalités ? En effet, étaient en
principe déductibles les amendes et pénalités : qui
n'étaient pas expressément visées par le 2 de l'article 39
du C.G.I. et qui, ne procédaient pas d'une gestion anormale telle
qu'énoncée dans le 1 du même article. À cet effet,
si l'intention du législateur est d'interdire la
déductibilité des sanctions pécuniaires et
pénalités « de toute nature », il semble
inopportun d'envisager que le principe de la gestion normale interfère
dans le processus décisionnel de ce que doit être une
dépense déductible. Les modifications portées au 2 de
l'article 39 C.G.I. sont récentes, il faudra qu'il s'écoule un
certain temps avant d'en connaître les tenants et les aboutissants. Il
est intéressant de constater que le même phénomène
s'est présenté au Canada.
En l'espèce, les entreprises canadiennes n'auront pu
profiter que de quelques années pour tenter de déduire les
amendes et pénalités de leur bénéfice net.
L'affaire British Columbia Ltd. a portée ses fruits et suite
à celle-ci le législateur est intervenu par l'entremise de
l'ajout de l'article 67.6 L.I.R.76(*) portant sur la non déductibilité des
amendes et pénalités. De la sorte, l'article 67.6 L.I.R. vient
réformer la décision rendue dans l'affaire British Columbia
Ltd. en instaurant un régime général de non
déductibilité des amendes et pénalités. Ledit
article énonce que :
Aucune déduction ne peut être faite dans le
calcul du revenu au titre de toute amende ou pénalité (sauf
celles visées par règlement) imposées sous le
régime des lois d'un pays ou d'une des subdivisions politiques -
notamment un État, une province ou un territoire - par toute personne ou
tout organisme public qui est autorisé à imposer pareille
amende ou pénalité77(*).
De ce fait, l'article 67.6 L.I.R. propose que, sauf deux
exceptions78(*), toutes
les amendes et pénalités imposées par un gouvernement
fédéral ou provincial, par une administration municipale au
Canada ou par un pays étranger ne soient pas déductibles. Ceci
comprend toutes les amendes et pénalités imposées par un
gouvernement, une agence gouvernementale, un organisme réglementaire,
une cour ou autre tribunal, ou toute autre personne qui a l'autorité
légale d'imposer des amendes et des pénalités. Par
conséquent, les pénalités imposées aux termes d'un
contrat (par exemple, les pénalités pour exécution
tardive) seront toujours déductibles si elles sont conformes aux
règles générales de la Loi sur l'impôt et le revenu.
Cependant, les pénalités qui ne sont pas assujetties aux
restrictions de l'article 67.6 L.I.R. parce qu'elles sont visées par
règlement ne sont pas nécessairement déductibles79(*).
En somme, il est simple de comprendre que la démarche
de l'Administration fiscale est de rechercher le résultat comptable et
qu'elle n'a pas la compétence pour se prononcer sur l'intention
frauduleuse. Toutefois, lorsqu'il s'agit d'une illicéité
objective, c'est-à-dire, ne supposant aucune appréciation
particulière ni recherche d'un élément intentionnel, tel
le versement d'un pot-de-vin pour obtenir un contrat, le juge fiscal devrait
refuser la déductibilité des charges illicites. Admettre la
déductibilité des charges illicites revient à faire
supporter le poids de la réparation ou de la sanction par l'État
et donc sur la collectivité des contribuables, tandis qu'il
supprime le coût financier pour le contrevenant, ce qui est pour le moins
curieux et peu à même d'inciter les citoyens à respecter
les lois.
Enfin, en France comme au Canada, le législateur a
opté pour un régime établissant un principe
général de non déductibilité des amendes et
pénalités. Le message lancé par les législateurs
semble assez clair. Par conséquent, la place laisser à
l'interprétation sera réduite. Néanmoins, comme il y a
toujours des exceptions au principe, il faudra suivre avec attention les
arrêts et décisions rendus sur le sujet.
TITRE II LA RÉPRESSION ET LA PRÉVENTION FACE
À LA DÉDUCTIBILITÉ DES DÉPENSES ILLICITES
CHAPITRE II LA RÉPRESSION DE LA
DÉDUCTIBILITÉ DES DÉPENSES ILLICITES EN DROITS FISCAUX
FRANÇAIS ET CANADIEN
L'abus de droit et la
fraude à l'impôt ne semblent pas pouvoir empêcher la
déductibilité des dépenses illicites par le biais de
l'acte normal de gestion (SECTION II). Toutefois, que ce soit en France ou au
Canada, des mécanismes de répression en droits fiscal et
pénal ont été mis en place pour contrer le
déductibilité de dépenses illicites (SECTION I).
SECTION I Les
mécanismes de répression des droits fiscal et pénal
En France et au Canada, les mécanismes de
répression des droits fiscal et pénal en matière de
déduction de dépenses illicites diffèrent. Toutefois, ces
mécanismes se basent sur une même réalité, à
savoir qu'il ne peut y avoir de sanction appliquée (B) sans avoir
apporté la preuve du délit (A).
A Le fardeau de la preuve
a) Le pouvoir exorbitant de
l'Administration fiscale française
Inévitablement, la question du fardeau de la preuve,
soit à qui il revient de démontrer le bien-fondé des faits
allégués au soutien de sa position, est inhérente à
tout litige. À cet égard, le droit fiscal ne fait pas exception.
La déductibilité des dépenses illicites pose un double
problème à l'égard des exigences de la preuve. D'une part,
la preuve matérielle du pot-de-vin est évidemment la plupart du
temps inexistante. Aussi, il ne suffit pas d'inscrire en comptabilité
certaines dépenses pour qu'elles soient automatiquement
déductibles des résultats imposables. Ces dépenses doivent
correspondre à une charge réelle et être appuyées de
justifications suffisantes. Le plus souvent une facture en bonne et due forme
servira de justification nécessaire et suffisante. Encore faut-il que
l'on ne soit pas en présence d'une fausse facture. D'autre part, il peut
être difficile pour l'Administration fiscale d'affirmer que le pot-de-vin
n'a pas été versé dans l'intérêt de la
société lorsque tous les éléments démontrent
le contraire et que les conditions générales de
déductibilité des dépenses sont rencontrées. En ce
sens, la théorie de l'acte anormale de gestion permet à
l'Administration fiscale de contrôler la déductibilité des
dépenses effectuées par l'entreprise.
En effet, en matière d'acte anormal de gestion, seule
l'Administration fiscale peut agir d'office. Elle a le pouvoir, mais uniquement
pour le calcul de l'impôt d'écarter les actes anormaux de gestion.
L'Administration fiscale est ainsi dispensée de recours judiciaire.
Toutefois elle doit apporter la preuve que l'acte de gestion n'a pas
été accomplit dans l'intérêt de la
société comme il en est fait état dans cet
arrêt :
La théorie de l'acte anormal de gestion est une
exception au principe selon lequel le service ne peut contester les
décisions de gestion prises par une entreprise. Elle constitue ainsi la
limite au principe de la liberté de gestion des exploitants, limite qui
trouve son fondement et sa justification dans le fait que la base imposable ne
peut être artificiellement réduite par des écritures
retraçant des dépenses qui n'ont pas été
exposées dans l'intérêt direct de l'exploitation ou
témoignant d'une renonciation anormale à une recette. C'est la
raison pour laquelle l'Administration qui entend se prévaloir de cette
théorie doit, en principe, démontrer que l'acte de gestion a
été accomplit dans l'intérêt exclusif d'un tiers et
non dans celui de la société80(*).
Cependant, comme cette preuve est difficile à
administrer, le législateur est intervenu. L'article 39-4 du C.G.I. a
institué ce qui pourrait être appeler des actes anormaux par
détermination de la loi81(*). Ledit article interdit la déduction, pour le
calcul de l'impôt, de dépenses qui sont présumées
présenter un caractère somptuaire. Par conséquent,
l'Administration fiscale est ainsi déchargée du fardeau de la
preuve. Cela rétablit en quelque sorte l'équilibre entre les
parties. Dès lors, en France comme au Canada, le système d'auto
cotisation et les spécificités du droit fiscal telle que la
présomption de validité des avis de cotisation émis par le
ministre du revenu national sont à l'origine de plusieurs
questionnements relatifs au fardeau de la preuve : à savoir,
à qui il revient, du contribuable ou du ministre, de l'assumer.
b) La présomption
d'exactitude de la déclaration
Alors que dans un litige civil, les deux parties ont une
connaissance personnelle des faits, le ministre n'a aucune connaissance
personnelle des faits qui soutiennent une cotisation. Ces informations sont
obtenues du contribuable ou de tiers au cours du processus de
vérification. C'est pourquoi il est dit que le ministre base sa
cotisation sur des présomptions de faits. Puisque le contribuable est
celui qui a une connaissance personnelle des faits, c'est à lui que
revient l'obligation de démontrer selon la balance des
probabilités que les éléments sur lesquels s'appuie la
décision du ministre ne sont pas fondés. Il est facile de
comprendre que d'imposer au ministre le fardeau de démontrer l'existence
de faits dont il n'a pas connaissance relève de l'impossible. Le
contribuable peut se décharger de son fardeau de démontrer que la
cotisation n'est pas fondée en établissant que le ministre n'a
pas appuyé sa décision sur les faits allégués, que
les faits allégués ne sont pas pertinents ou encore en
détruisant les présomptions de faits du ministre. Les tribunaux
canadiens ont confirmé qu'il appartient au contribuable dans le contexte
d'un appel à l'encontre d'une cotisation d'établir selon la
balance des probabilités, une preuve capable de soulever à tout
le moins un doute sur le bien-fondé de la cotisation82(*). De même, en France, la
charge de la preuve qui incombe à l'Administration fiscale, en vertu de
la présomption d'exactitude de la déclaration, est aussi d'une
portée limitée. En effet, il semble inexact de soutenir que
l'ensemble de la déclaration se serait vu conférer une
présomption d'exactitude. À vrai dire, pour les
éléments que le contribuable entendra déduire, c'est lui
qui alléguera avoir droit à cette déduction et la preuve
lui reviendra sans qu'il puisse exciper d'une prétendue
présomption d'exactitude de la déclaration. Cependant, la charge
de la preuve de l'acte anormal de gestion s'avère délicate.
c) L'appréciation
souveraine de l'Administration fiscale
En France, le juge administratif n'exerce qu'un contrôle
a posteriori des actes anormaux de gestion83(*). Le renversement de la charge de la preuve par une
juridiction (par exemple, une commission départementale) ne saurait
contrevenir aux dispositions qui fixent l'attribution de cette charge. De plus,
l'Administration n'est pas liée par les décisions des tribunaux
judiciaires. Autrement dit, même si cela parait choquant au regard de la
hiérarchie des normes, la jurisprudence du Conseil d'État n'est
appliquée que sous réserve de l'appréciation souveraine de
l'Administration fiscale84(*). Cela expliquerait en partie les divergences de
position entre le Conseil d'État, l'Administration fiscale et la Chambre
criminelle de la Cour de cassation. Ce qui n'est pas sans compliquer la
procédure au regard du fardeau de la preuve en matière d'acte
anormal de gestion.
A cet égard, une décision rendue par le Conseil
d'État datant du 7 novembre 1979 est explicite :
La circonstance que le juge pénal a relaxé les
dirigeants d'une société du chef d'abus de biens sociaux
n'implique pas que ceux-ci ont agi dans le cadre d'une gestion commerciale
normale, dès lors que le juge pénal s'est fondé sur
l'absence d'intention frauduleuse dans les actes incriminés des
dirigeants mais n'a procédé à aucune constatation de fait
de nature à établir que ces actes entraient dans le cadre d'une
gestion normale au sens et pour l'application de la loi fiscale85(*).
d) La divergence de solutions
entre le droit pénal et le droit fiscal en France
La divergence de solutions entre le droit pénal et le
droit fiscal est plus nette lorsqu'il s'agit de se poser la question de savoir
si un acte illicite est ou non contraire à l'intérêt de la
société. Selon la Chambre criminelle de la Cour de cassation, une
dépense illicite est contraire à l'intérêt
social86(*). Pour sa part,
le Conseil d'État apprécie au cas par cas si l'acte illicite
heurte ou non l'intérêt social, et a estimé à
plusieurs reprises qu'un acte illicite pouvait être conforme à
l'intérêt de l'entreprise87(*). Dès lors, il semble plutôt fastidieux
pour un dirigeant de société de comprendre cette curieuse
alchimie judiciaire. Il serait opportun, ne serait-ce qu'au regard du principe
de la sécurité juridique, que cet état des choses change.
À cet effet, la situation qui prévaut au Canada semble
attrayante.
e) La convergence de solution
entre le droit pénal et le droit fiscal au Canada
Au Canada, puisque la Loi de l'impôt sur le revenu
interdit la déductibilité des paiements illégaux et que,
pour ce faire, elle fait référence au Code criminel,
l'Administration fiscale ne pourrait accepter la déductibilité de
telles dépenses, et ce même si les conditions
générales de déductibilité étaient
rencontrées. À ce propos, il faut souligner que le droit fiscal
travaille de concert avec le droit pénal, ce qui n'est pas le cas en
France. Certes, la logique qui prévaut en France repose sur le fait que
le juge pénal examine l'intention frauduleuse, alors que
l'Administration fiscale, elle, s'intéresse au résultat
comptable. Cela est bien, mais de prévenir les infractions n'est-il pas
mieux ? De plus, il semble approprié de se demander de quelle
manière l'acte anormal de gestion pourrait concerner le droit
pénal.
Bien sûr, au Canada, en matière d'infraction
prévue par la loi, les règles générales de preuve
et de procédure prévues par le Code criminel s'appliquent. Ainsi,
il reviendra à la Couronne de prouver hors de tout doute raisonnable les
éléments constitutifs de l'infraction de versement d'une
commission secrète. Avant d'en arriver à cette étape, les
inspecteurs de l'impôt auront certainement effectué un travail de
vérification et d'enquête ardu. À cet égard, il est
crucial en matière fiscale de faire la distinction entre une
vérification et une enquête. Alors que la première a pour
but de s'assurer du respect des lois fiscales, la seconde vise à
traduire les fraudeurs devant la loi. Donc, en fonction de la nature du
stratagème en question et des montants en cause, le rapport de
vérification va servir de tremplin à une enquête. Par
conséquent, il n'est pas évident pour le vérificateur de
déterminer à quel moment un dossier devrait être
envoyé aux enquêteurs. Par ailleurs, il sera intéressant de
constater dans quelles circonstances l'article 67.5 L.I.R. sera
appliqué.
Ceci dit, en France, le versement de pots-de-vin consiste
également en une infraction sanctionnée par le Code pénal.
De même, en droit pénal, le principe est que la preuve doit
être rapportée par le parquet ou par la victime si elle se
constitue partie civile. Ainsi, c'est la partie poursuivante qui doit
établir les éléments constitutifs de l'infraction.
D'ailleurs, de la garantie essentielle de la présomption d'innocence
découle que, si un doute subsiste quant à la culpabilité
du prévenu, la relaxe s'impose. En cas d'accusations retenues, la
situation semble incohérente : les magistrats français
reprennent en effet d'une main en matière pénale ce qu'ils
donnent de l'autre en matière fiscale.
Cependant, la Chambre criminelle de la Cour de cassation
semble renverser la charge de la preuve en posant une présomption de
culpabilité du dirigeant dans le cas de prélèvements
occultes. En effet, de deux décisions88(*), il ressort clairement que dès lors qu'il est
établi que des fonds de nature sociale ont été
prélevés clandestinement, c'est au dirigeant qu'il incombe de
prouver qu'ils ont été employés pour le compte et dans
l'intérêt de l'entreprise. Ainsi, il impartit au dirigeant de
démontrer qu'il a utilisé la « caisse noire »
dans l'intérêt commun de tous les associés. Il semble que
dans cette situation, le dirigeant n'avait qu'à satisfaire aux exigences
légales tracées par la loi comptable, qui impose non seulement
une inscription des recettes et des dépenses, mais encore des
justificatifs sérieux de la réalité des opérations.
Dans cette perspective, la non immixtion dans la marche de l'entreprise
étant le principe général, il en découle qu'il
appartient à celui qui invoque la gestion anormale d'en justifier.
f) La preuve difficile de l'acte
anormal de gestion
La gestion des entreprises doit être
présumée normale. Mais de la loi fiscale, de la procédure
d'imposition et de la nature des écritures comptables découlent
d'autres règles de preuve. La charge de la preuve de l'existence d'un
acte anormal de gestion a donné lieu à une jurisprudence
abondante et complexe89(*)
selon laquelle il n'incombe pas au contribuable de prouver que les avantages
accordés lorsqu'il s'agit d'une écriture concernant l'actif du
bilan sont des actes anormaux de gestion. Le contribuable est tenu des
éléments de la preuve (d'acte normal de gestion) quand les
écritures mises en cause par l'Administration fiscale concernent le
passif du bilan. Selon les dispositions de l'article L 192 du L.P.F., la charge
de la preuve du bien-fondé des redressements incombe, sauf cas
particuliers, à l'Administration quel que soit le sens de l'avis de la
commission départementale des impôts directs et des taxes sur le
chiffre d'affaires. La décision du Conseil d'État du 20 juin 2003
société Établissement Le Breton, semble faire le point en
ce qui concerne la charge de la preuve devant le juge administratif en
matière d'acte anormal de gestion :
En vertu des règles gouvernant l'attribution de la
charge de la preuve devant le juge administratif, applicables sauf loi
contraire, s'il incombe, en principe, à chaque partie d'établir
les faits nécessaires au succès de sa prétention, les
éléments de preuve qu'une partie est seule en mesure de
détenir ne sauraient être réclamés qu'à
celle-ci. Il appartient, dès lors, au contribuable, pour l'application
des dispositions précitées du code général des
impôts, de justifier tant du montant des créances de tiers,
amortissements, provisions et charges qu'il entend déduire du
bénéfice net défini à l'article 38 du code
général des impôts que de la correction de leur inscription
en comptabilité, c'est-à-dire du principe même de leur
déductibilité. En ce qui concerne les charges, le contribuable
apporte cette justification par la production de tous éléments
suffisamment précis portant sur la nature de la charge en cause, ainsi
que sur l'existence et la valeur de la contrepartie qu'il en a retirée.
Dans l'hypothèse où le contribuable s'acquitte de cette
obligation, il incombe ensuite au service, s'il s'y croit fondé,
d'apporter la preuve de ce que la charge en cause n'est pas déductible
par nature, qu'elle est dépourvue de contrepartie, qu'elle a une
contrepartie dépourvue d'intérêt pour le contribuable ou
que la rémunération de cette contrepartie est excessive90(*).
En fait, lorsque l'Administration fiscale invoque le
caractère anormal d'un acte de gestion à l'appui d'un
rehaussement, elle doit apporter la preuve que cet acte n'a pas
été accomplit dans l'intérêt du contribuable ou de
la société. Toutefois, dans le cas où, du fait de la
procédure d'imposition, le contribuable apporte la charge de la preuve,
il doit démontrer l'intérêt que revêt pour lui ou la
société l'opération contestée91(*). Cependant, par un arrêt
de principe du 21 mai 2007 Sté Sylvain Joyeux92(*), le Conseil d'Etat est revenu
sur cette exigence en établissant une véritable dialectique de la
charge de la preuve. Dès lors, se pose la question de savoir si le
contribuable établit suffisamment la validité de sa charge
comptable par la production de la facture régulièrement
émise. De telle sorte que si l'Administration fiscale entend contester
la réalité ou l'intérêt social de cette charge,
c'est à elle d'apporter des éléments en ce sens et non au
contribuable de prouver le contraire. Cet arrêt semble être un
rappel envers l'Administration fiscale de ne pas s'immiscer dans la gestion de
l'entreprise vérifiée. Par ailleurs, la tâche du
vérificateur des impôts est délicate en matière de
recherche d'éléments de preuve. Néanmoins, il est à
se demander si le cadre juridique actuel ne les restreint pas au niveau de leur
pouvoir d'investigation.
Enfin, si en France les juges ferment les yeux sur la
déductibilité fiscale des pots-de-vin, les dirigeants
d'entreprises ne doivent surtout pas s'illusionner et croire que cette
permissivité en droit fiscal les exonère de leur
responsabilité en matière pénale. Bien au contraire, les
sanctions sont doublement lourdes.
B Les
sanctions
a) La
personne morale
Indéniablement, en France, l'intérêt
social, est une des notions fondamentales dans l'essence même de
l'organisation et de la gestion de l'entreprise. Il est par ailleurs,
très difficile de donner une définition satisfaisante de cette
notion, car le législateur ne l'a jamais prévue. S'agit-il de
l'intérêt de l'entreprise mère, de l'entreprise et ses
filiales ou celui des associés ? Cette notion protéiforme de
l'intérêt social est perçue différemment selon le
juge pénal ou le juge fiscal, car ils n'ont pas la même
finalité : d'un côté, le juge sanctionne au nom de la
Société, de l'autre, le juge va tenter de
réintégrer des sommes qui ont été inscrites en
diminution du bénéfice imposable. Il est intéressant de
constater que la France qui n'est pas comme le Canada un pays de Common Law se
retrouve dans une situation ou la jurisprudence joue un très grand
rôle et par surcroît est basée sur la notion de
l'intérêt social qui demeure floue jusqu'à ce jour.
Dans un premier temps, la répression de l'acte anormal
de gestion frappe la personne morale coupable. En effet, le préjudice
subi par l'État, en raison de la déduction d'une charge anormale
ou en raison d'une renonciation anormale d'un profit faite par l'entreprise,
est corrigée par l'Administration fiscale, et par le juge administratif
respectivement, par le refoulement de la charge anormale ou par la
réintégration du manque à gagner. Le refus de
l'Administration de la déduction d'une charge anormale est soit total,
si la charge est considérée comme anormale dans son principe,
soit partiel, si la charge est estimée en partie anormale dans son
montant. Par exemple, les sommes versées par une entreprise (un
pot-de-vin) à une collectivité municipale pour l'obtention d'un
marché : pour caractériser cette prise en charges de
dépenses, l'Administration et le Conseil d'État se posent la
question de savoir si la dépense a été effectuée
dans l'intérêt de l'entreprise ? De telle sorte, la charge
sera considérée anormale ou non dans son principe. De même,
l'exemple des rémunérations des dirigeants ou des salariés
de l'entreprise est d'autant plus pertinent que le juge administratif
procède à une double démarche : il recherche d'abord,
l'existence de la contrepartie et, ensuite, son étendue. Ainsi, le juge
administratif apprécie, tout d'abord, le travail effectif afin de voir
si la charge n'est pas anormale dans son principe. Tel serait le cas si le
dirigeant ou le salarié fournissait un travail fictif, du moins, non
effectif. Ensuite, le juge administratif apprécie le caractère
normal de la rémunération. Dans cette dernière recherche,
il est amené à estimer la normalité de la charge dans son
montant.
Dans un arrêt du 31 juillet 199293(*), le Conseil d'Etat a
jugé que des commissions versées à des salariés
d'entreprises clientes correspondaient à des charges déductibles
« eu égard à leur montant qui n'était pas
exagéré compte tenu de la contrepartie qu'en attendait la
société ». Toutefois, l'article 1759 du C.G.I. pose des
contraintes afin de bénéficier de cette faveur. Toute
société soumise à l'impôt sur les
sociétés qui verse de tels revenus à des personnes dont
elle refuse de révéler l'identité à
l'administration fiscale est passible d'une pénalité égale
à 100% des sommes en cause. Ce montant est ramené à 75% si
la société mentionne spontanément dans sa
déclaration de résultat qu'elle a versé des
rémunérations occultes, sans désigner pour autant les
bénéficiaires. C'est à ce moment qu'entre en jeu les
pseudos bureaux d'études destinés à blanchir les
commissions occultes. Or, il ne faut pas confondre les infractions de nature
criminelle prévue par la loi avec les pénalités.
Au Canada, la Loi sur l'impôt et le revenu traite des
pénalités dans la section I de la partie I et des
infractions aux articles 238 à 240 de la partie XV. Toutefois, la
distinction n'est pas toujours facile à faire, car les actes du
contribuable ou de l'entreprise qui constituent une infraction contiennent
fréquemment des éléments qui justifieraient
également l'imposition de pénalités. La loi prévoit
cependant des allégements à cet égard. Ainsi, lorsqu'une
personne a été déclarée coupable d'infraction sous
l'article 239, elle n'encourre pas une pénalité prévue aux
articles 162 et 163 à moins que cette pénalité lui ait
été imposée avant qu'ait été
déposée ou faite la dénonciation ou la plainte donnant
lieu à la déclaration de culpabilité. L'arrêt La
Reine c. Caseley94(*)
a traité de l'application simultanée des articles 239 et 163, en
établissant qu'elle n'équivalait pas à être
poursuivi deux fois pour la même infraction, comme l'empêche le
paragraphe 11(h) de la Charte canadienne des droits et libertés. En
effet, en appliquant les critères établis par la Cour
suprême dans l'arrêt R. c. Wigglesworth95(*), il faut distinguer les
articles 239 et 163, puisque le premier traite d'une infraction criminelle
tandis que l'autre ne vise qu'une pénalité administrative. De la
sorte, l'application de l'article 67.5 L.I.R. dans le cas de versements de
pots-de-vin pourra entraîner des pénalités de nature
pénales, administratives et l'accusation à une infraction
criminelle pour le dirigeant de l'entreprise. .Pour sa part, le redressement
d'actes anormaux de gestion entraîne un phénomène de double
taxation. Cette sanction lourde semble justifiée lorsque l'acte anormal
de gestion a été animé par une intention coupable. Dans ce
dernier cas, l'acte anormal de gestion constitue probablement un abus de biens
sociaux.
b) Le
cumul des sanctions
La répression en matière d'acte anormal de
gestion tend à redresser une gestion anormale de l'entreprise. Donc, en
principe, aucun cumul de sanctions ne semble possible. Pourtant, dans le cas
où, à partir des même faits, un acte anormal de gestion est
reproché à l'entreprise et un délit d'abus de biens
sociaux est retenu contre un de ses dirigeants, ce dirigeant pourrait
être imposé sur le montant de l'avantage injustifié qui lui
a été octroyé et être condamné à une
sanction pénale. Dans les cas où l'article 1759 du C.G.I. trouve
à s'appliquer, les dirigeants de l'entreprise sont solidairement
responsables du paiement de la pénalité (égale à
100% des sommes versées ou distribuées) qui est établie et
recouvrée comme en matière d'impôt sur le revenu. En ce qui
concerne le « bénéficiaire complice » de
l'acte anormal de gestion, il peut être soit une personne physique, soit
une personne morale. D'une manière générale, le
bénéficiaire de l'acte anormal de gestion est imposé sur
le montant de l'avantage injustifié qui lui a été
octroyé. Par contre, si l'avantage s'est traduit par une économie
de charges pour le bénéficiaire - ce qui a corrélativement
entraîné une augmentation des bénéfices imposables -
l'Administration ne taxe pas cet avantage une deuxième fois.
Or, comme il l'a été exposé
précédemment, le redressement d'un acte anormal de gestion
aboutit à une double taxation. Donc, il est envisageable de
considérer que le redressement du dirigeant a un caractère de
sanction fiscale. Dans cette perspective, il y aurait un cumul de sanctions
fiscales et pénales. Si ce raisonnement ne suit pas avec rigueur
l'orthodoxie juridique, le résultat du précédent cumul ne
semble pas conforme à la règle non bis in idem.
Cependant, selon une décision du 20 juin 199696(*), cette règle de droit
ne trouve à s'appliquer que pour les infractions relevant en droit
français de la compétence des tribunaux statuant en
matière pénale et n'interdit pas le prononcé de sanctions
fiscales parallèlement aux sanctions infligées par le juge
répressif. Par ailleurs, les versements occultes sont
réintégrés dans le bénéfice imposable
lorsqu'ils sont découverts. Lorsqu'au cours d'un contrôle,
l'Administration fiscale découvre l'existence de
rémunérations ou de distributions occultes, elle rehausse le
bénéfice imposable de la société (articles 238 et
240 du C.G.I.). Par conséquent, les entreprises perdent le droit de
déduire de leurs résultats imposables les commissions, honoraires
et autres rémunérations de même nature qu'elles n'auraient
pas déclarés à l'Administration fiscale. Enfin, il faut
garder à l'esprit que l'Administration fiscale française peut
contester la réalité ou la sincérité de l'acte
juridique passé qui a pour but de faire échapper à
l'impôt des sommes normalement imposables.
SECTION II L'abus de droit et la
fraude fiscale
Ni l'abus de droit (A) ni la fraude fiscale (B) ne semblent
être efficaces pour contrer la déductibilité des
dépenses illicites par le biais de l'acte normal de gestion.
A Les limites de l'acte anormal de
gestion
a) La notion d'abus de droit en
droit fiscal français
Malgré le fait que les dirigeants d'entreprises
bénéficient d'une grande liberté de gestion, celle-ci ne
saurait être sans borne. Les limites de la liberté de gestion sont
dictées par l'intérêt national, la loi, ou rappelées
par la doctrine administrative et la jurisprudence. L'existence d'un principe
absolu de la liberté de gestion des entreprises irait, sans contredit,
à l'encontre des intérêts financiers et de
sécurité de l'État. Ceci dit, la
déductibilité possible de pots-de-vin en France n'est-elle pas
l'illustration parfaite d'un système juridique qui ne réussit pas
à imposer des limites ? Surtout, lorsque l'on constate que ni
l'abus de droit ni les délits d'évasion ou de fraude fiscale ne
peuvent être invoqués par l'Administration afin d'enrayer la
déductibilité de certaines dépenses illicites.
Tout d'abord, il est à souligner que l'abus de droit
des juristes n'est pas celui des fiscalistes. Pour les premiers, c'est l'art
d'« exercer son droit sans intérêt pour soi même
et dans le seul dessein de nature à autrui97(*). Au contraire, pour les
seconds, l'abus de droit est un opération intéressée. Il
s'agit, par un procédé juridique et fiscal, de ne pas payer ou de
payer moins d'impôts. L'abus de droit ne pénalise donc pas
l'entreprise, au contraire de l'acte anormal de gestion. Bien qu'elle ait
reçu une traduction législative, la notion d'abus de droit reste
avant tout d'essence jurisprudentielle. Le Conseil d'État a
contribué à en forger la théorie, notamment par un
arrêt de Plénière du 10 juin 1981, confirmé par un
avis d'Assemblée du 8 avril 1998, Société de distribution
de chaleur de Meudon et Orléans98(*). L'article L64 du L.P.F. permet à
l'Administration fiscale de contester la réalité ou la
sincérité de l'acte juridique passé qui a pour but de
faire échapper à l'impôt des sommes normalement imposables.
Toutefois, la frontière est ténue entre l'acte licite qui, tout
en concrétisant une opération, permet de diminuer le montant de
l'impôt, et l'acte illicite qui n'avait d'autre but que de réduire
ou d'éliminer l'impôt. Conséquemment, si l'acte dissimule
la véritable finalité d'un contrat dans le seul but
d'échapper à l'impôt ou d'en réduire son montant,
l'Administration fiscale est donc en droit de restituer sa véritable
finalité à l'opération litigieuse. L'Administration
fiscale peut alors entamer une procédure en invoquant l'abus de droit
qui lui permettra de rendre à l'opération son véritable
caractère fiscal.
b) La requalification de
l'acte
Dans ces hypothèses, l'Administration fiscale peut
restituer à un acte juridique effectué par un contribuable sa
véritable nature, appréhender la nature réelle de l'acte
et en tirer les conséquences fiscales qui s'imposent. Comme l'a
observé M. Cozian, « La répression de l'abus de droit
se traduit par une déqualification (celle de la portée apparente
de l'acte) suivie d'une requalification (celle de la portée
réelle de cet acte) »99(*). Ce double mouvement de
« déqualification-requalification » illustre la
possibilité offerte à l'Administration de remettre en cause,
contrairement à la théorie de l'acte anormal de gestion, la
nature juridique d'un acte réalisé par l'entreprise. Par
ailleurs, il est également possible de les opposer sur un autre
point : l'acte anormal de gestion, conclu en contravention avec
l'intérêt social, appauvrit indûment l'entreprise et
enrichit corrélativement un tiers. À l'inverse, l'abus de droit
enrichit fiscalement l'entreprise puisqu'il se traduit par une économie
d'impôt ; il est alors difficile de considérer qu'il est
contraire à l'intérêt social. Comme il a été
mentionné auparavant, bien que l'Administration ne soit pas
autorisée à s'immiscer dans la gestion des entreprises, elle peut
cependant, conformément à une jurisprudence constante du Conseil
d'Etat, remettre en cause les dépenses qui ne se rattacheraient pas
à une gestion normale ou n'auraient pas été
exposées dans l'intérêt direct de l'entreprise. Dans ce
cadre, la limite au principe de liberté de gestion des entreprises est
l'acte anormal de gestion.
c) L'abus de droit et l'acte anormal de
gestion
Ainsi que le notait M. Racine, Commissaire du gouvernement,
à propos de l'arrêt du Conseil d'Etat du 27 juillet 1984100(*), l'acte anormal de gestion
ne peut pas se confondre avec l'abus de droit : celui-ci, d'après
la définition devenue classique qu'en a donné l'arrêt
d'Assemblée Plénière du 10 juin 1981, se définit
comme : « soit un acte fictif, soit un acte qui n'a pu
être inspiré par aucun motif autre que celui d'éluder ou
d'atténuer les charges fiscales que l'intéressé, s'il
n'avait pas passé ces actes, aurait normalement supporté eu
égard à sa situation et à ses activités
réelles »101(*). Par conséquent, si l'on fait abstraction du
caractère frauduleux qui se rattache à l'abus de droit, il faut
alors reconnaître qu'un abus de droit, dès lors qu'il a pour seul
objet de minimiser l'impôt, est un acte normal de gestion ou, tout au
moins, un acte conforme à un certain intérêt social. En ce
sens, pourquoi les charges illicites ne pourraient-elles pas être
déductibles puisque la société cherche de manière
légitime à minimiser ses impôts ?
De même que la théorie de l'acte anormal de
gestion est venue apporter des limites au principe de non immixtion de
l'Administration fiscale dans la gestion des entreprises, la théorie de
l'abus de droit est venue limiter le principe de liberté des choix
fiscaux par le contribuable. La jurisprudence française a souvent eu
l'occasion de rappeler le principe du libre choix de la voie la moins
imposée. Cependant, l'habileté fiscale ne doit pas
dégénérer en fraude. Compte tenu de la définition
qu'en a donné la jurisprudence, l'article L64 du L.P.F. ne fait que
reprendre, tout en instituant des garanties pour le contribuable, les principes
généraux du droit qui sont la théorie de la simulation et
la théorie de la fraude à la loi. Aussi, l'abus de droit ne
constitue pas une simple intention frauduleuse. Il suppose une intention de
dissimulation et un véritable montage, apparemment régulier. De
la sorte, sont visés les actes à caractère fictif ou non
fictif, réalisés dans le but exclusif de se soustraire à
l'impôt. Enfin, le champ d'application de l'abus de droit est
limité (art. L. 64 du L.P.F.)102(*).
d) L'abus de droit avec ou sans
simulation
Classiquement, l'abus de droit par simulation se distingue de
l'abus de droit par fraude à la loi. C'est cette seconde branche de la
théorie de l'abus de droit qui peut être soumise à
certaines critiques : comment reprocher à un chef d'entreprise la
gestion fiscale la moins onéreuse ? L'abus de droit ne viole aucune
prescription légale, sa qualification restera toujours en partie
subjective. D'ailleurs, le Code général des impôts ne
mentionne pas l'abus de droit, il ne figure explicitement qu'à l'article
L64 du L.P.F. La pratique distingue cependant deux types majeurs de
manipulations juridiques : la simulation et la fraude à la loi.
D'une part, il s'agit de dénoncer les actes qui dissimulent la
portée véritable d'un contrat ou d'une convention. L'exemple le
plus courant étant la dissimulation d'une donation
déguisée en vente. D'autre part, il s'agit de démontrer
qu'il y a eu une volonté expresse d'éluder ou d'atténuer
les charges fiscales que l'intéressé aurait normalement
supportées. À cet égard, les crédits d'impôt
fictifs constituent un exemple de but exclusivement fiscal.
Par ailleurs, l'abus de droit sans simulation est une question
délicate pour l'Administration fiscale. Ainsi, en l'absence de
simulation et en cas de fraude à la loi, il n'y a aucun acte fictif.
Toutes les opérations sont juridiquement correctes, aucun texte fiscal
n'est donc violé. Or, la société qui inscrit à son
bilan des montants se référant à une charge illicite n'use
d'aucune stratégie de simulation pas plus qu'elle n'agit dans un but
exclusivement fiscal. Donc, l'abus de droit ne peut être utilisé
par l'Administration pour sévir vis-à-vis la
société qui agit de telle sorte. Bizarrement, selon le droit
fiscal français, le versement de pots-de-vin est certainement un acte
illicite mais sa déductibilité ne consiste pas en un acte
frauduleux. Le Conseil d'État a repris dans plusieurs arrêts
récents très importants103(*) la définition de fraude à la loi
dégagée dans l'arrêt Janfin104(*) et l'a appliqué
à l'abus de droit prévu à l'article L64 du L.P.F.. Il
ressort de ces arrêts que la définition légale de l'abus de
droit est identique à celle de la fraude à la loi, retenue en
dehors du champ d'application de cet article. Toutefois, la
déductibilité de certaines dépenses illicites ne saurait
constituer une fraude car aucune loi ne l'interdit. Ainsi, la notion de l'abus
de droit ne rejoint, ni la définition donnée pas l'Agence du
revenu du Canada de la planification fiscale abusive105(*) ni celle de
l'évitement fiscal.
e) L'évasion et
l'évitement fiscal
Au Canada comme en France, l'évasion fiscale est le
fait d'ignorer délibérément une partie précise de
la loi. Par exemple, les personnes se livrant à l'évasion fiscale
peuvent ne déclarer qu'en partie des recettes imposables ou demander des
dépenses non déductibles ou surévaluées. Ces
personnes peuvent également tenter d'éviter de payer des
impôts en refusant volontairement de se conformer aux exigences
légales en matière de déclaration. Par ailleurs,
l'évasion fiscale, contrairement à l'évitement fiscal, a
des conséquences sur le plan criminel. En effet, les fraudeurs fiscaux
peuvent être poursuivis devant la Cour criminelle.
L'évitement fiscal est le résultat de mesures
prises pour réduire au minimum l'impôt et qui, bien que conformes
à la lettre de la loi, vont à l'encontre de l'objectif et de
l'esprit de la loi. L'article 245 L.I.R contient la règle
générale anti-évitement introduite dans le cadre de la
réforme fiscale. Il s'agit d'une mesure de dernier ressort, applicable
après toutes les autres dispositions de la loi. Cette règle vise,
selon le ministre des Finances du Canada, à réduire ce que la
Cour suprême du Canada a décrit de manière succincte dans
l'affaire Stubart Investments Ltd. c. La Reine (1984)106(*) comme « l'effet
incessant d'action et de réaction produit par des mesures fiscales
complexes et précises qui visent des pratiques commerciales
compliquées d'une part et la réaction inévitable, experte
et tout aussi spécialisée du contribuable »107(*).
De manière générale, cette disposition
prévoit, au paragraphe 245 (2) L.I.R., qu'en cas d'opération
d'évitement, les attributs fiscaux d'une personne doivent être
déterminés de façon raisonnable dans les circonstances,
indépendamment de l'opération d'évitement. Une
opération d'évitement est une opération qui entraîne
un avantage fiscal pour le contribuable au sens du paragraphe 245 (1) L.I.R.,
soit une réduction, un évitement ou un report d'impôt ou
d'un autre montant payable en application de la loi. L'alinéa 245(3)a)
et le paragraphe 245(4) L.I.R. limitent la portée très large des
termes employés au paragraphe 245(2) L.I.R. L'alinéa 245(3)a)
L.I.R. précise qu'une opération dont, en l'absence de l'article
245 L.I.R., découlerait directement ou indirectement, un avantage
fiscal, est une opération d'évitement, sauf s'il est raisonnable
de considérer que l'opération est principalement effectuée
pour des objets véritables autres que l'obtention de l'avantage fiscal.
La plupart des transactions commerciales, familiales ou de placements sont de
ce fait exclues du champ d'application de l'article 245 L.I.R.. Enfin, le
paragraphe 245(4) L.I.R. est la disposition la plus importante de l'article 245
L.I.R.. Il exempte de son application une opération d'évitement,
même lorsqu'un avantage fiscal en découle, directement ou
indirectement, s'il est raisonnable de considérer que l'opération
n'entraîne pas, directement ou indirectement, un abus eu égard
à l'ensemble des dispositions de la loi.
L'ajout d'un tel article au Code général de
l'impôt serait-il une solution pour déjouer la possibilité
de déduire les dépenses illicites par l'entremise de la
théorie de l'acte anormal de gestion ? Tout porte à croire
que cela ne représente pas une solution efficace. En effet, la
déductibilité des dépenses illicites ne s'inscrit pas dans
le contexte de l'évitement fiscal. À moins qu'il ait
été prouvé le contraire, le dirigeant qui inclut une
dépense illicite au bilan de l'entreprise le fait curieusement en toute
bonne foi, à l'intérieur d'un contexte commercial. Il ne cherche
pas directement ou indirectement à retirer un avantage fiscal, il se
soumet simplement à l'obligation comptable de déclarer toutes les
dépenses engagées par l'entreprise. Par conséquent, il
semble évident que l'Administration fiscale française se doit de
réagir en adoptant une position ferme face à la situation car
elle ne peut se permettre d'encourager la corruption.
B Les possibilités
de diminution de la corruption par le délit de fraude fiscale
a) Le versement de pots-de-vin, un
délit de corruption
La corruption est universelle et elle se pratique tant du
côté de l'offre que de la demande. Malgré le fait qu'il est
reconnu que la corruption présente une menace à la règle
de droit, à la démocratie et aux droits de la personne, qu'elle
mine la saine gestion des affaires publiques et privées, qu'elle freine
le développement économique, il ne lui est attribuée
toutefois pas de définition unique. La plus courante, celle de la Banque
mondiale (BIRD), énonce que la corruption est « l'abus d'une
charge publique en vue d'obtenir un avantage privé ». Par
conséquent, cette définition laisse entendre que la corruption
est un problème relevant surtout du domaine public. En revanche, la
définition donnée récemment par le Conseil de l'Europe en
élargit la portée au secteur privé :
La corruption (...) comprend les commissions occultes et tous
autres agissements qui impliquent des personnes investies de fonctions
publiques ou privées, qui auront violé indépendant ou
d'une autre relation de ce genre, en vue d'obtenir des avantages illicites de
quelque nature que ce soit, pour eux-mêmes ou pour autrui108(*).
Ainsi, la corruption englobe un ensemble d'activités
illicites (malversation, fraude, extorsion) qui sont, par définition,
assujetties aux lois - efficaces ou non -, auxquelles s'ajoutent des
activités (favoritisme, trafic d'influence, etc.) qui, elles, sont mal
ou aucunement définies par la loi.
Tout d'abord, la corruption se caractérise par le fait
que les deux parties en cause y prennent part. Car, si l'une d'entre elles est
dissuadée d'agir, le marché ne se conclura pas. Le versement de
pots-de-vin s'apparente à la corruption sauf que, dans ce cas, c'est le
représentant public ou qui est à l'origine de l'échange et
demande de l'argent ou d'autres rétributions du public pour remplir ou
ne pas remplir ses fonctions officielles. Au Canada, la corruption et les
pots-de-vin relèvent du même article du Code criminel (article 121
) et il est parfois difficile de les distinguer..
Ensuite, le Code criminel de certains pays (c'est le cas pour
la France, au Canada les termes directe et indirecte étant
employés) distingue la corruption « active » de la
corruption « passive ». La première implique
d'offrir ou de chercher à obtenir de l'argent, une garantie ou un
avantage en contrepartie de services rendus. La corruption est
« passive » lorsque quelqu'un reçoit un cadeau,
argent, garantie ou avantage pour lequel il accepte d'abuser de sa charge en
vue d'avantager la personne qui est à l'origine de la tractation. La
corruption « active » est sanctionnée en ces termes
par l'article 433-1 du Code pénal français :
Est puni de dix ans d'emprisonnement et de 150 000 euros
d'amende le fait, par quiconque, de proposer, sans droit, à tout moment,
directement ou indirectement, des offres, des promesses, des dons, des
présents ou des avantages quelconques à une personne
dépositaire de l'autorité publique, chargée d'une mission
de service public ou investie d'un mandat électif (...), qu'elle
accomplisse ou s'abstienne d'accomplir un acte de sa fonction, de sa mission ou
de son mandat.
En fait, ce texte ne concerne pas que le corrupteur actif, il
vise également le dirigeant de société obligé de
passer à la caisse, puisqu'est puni des mêmes peines le fait de
céder à l'une des personnes susvisées. La corruption
« passive » ne sanctionne certes que la personne corrompue
mais le dirigeant d'entreprise risque d'être poursuivi pour
complicité.
Cela est connu, le secteur privé n'est pas moins
concerné par le phénomène de la corruption, ainsi que
l'ont notamment souligné les Etats membres de l'Union européenne,
dans une décision-cadre du 22 juillet 2003109(*) aux termes de laquelle il
est rappelé que la corruption introduit une distorsion de la concurrence
et représente un obstacle à un sain développement
économique. Cette décision-cadre prévoit notamment
d'ériger en infraction pénale les actes de corruption active et
passive effectués délibérément dans le cadre des
activités professionnelles et de permettre la mise en cause de la
responsabilité des personnes morales. La France a donc été
conduite à adapter son droit interne en créant une infraction
générale de corruption dans le secteur privé, introduite
dans le Code pénal par la loi n° 2005-750 du 4 juillet 2005 portant
sur diverses dispositions d'adaptation au droit communautaire dans le domaine
de la justice. Malheureusement, il n'existe pas au Canada une telle
disposition. Néanmoins, le dirigeant d'entreprise qui verse un
pot-de-vin pourra faire l'objet d'accusation pour l'infraction de versement de
commissions secrètes paraissant à l'article 426 (1) du Code
criminel.
Fait intéressant, en France, le secteur privé
est défini aux articles 445-1 et 445-2 du Code pénal110(*) par opposition au secteur
public. Ainsi, s'expose aux sanctions du délit de corruption dans le
secteur privé, toute personne « qui, sans être
dépositaire de l'autorité publique ou chargée d'une
mission de service public, exerce, dans le cadre d'une activité
professionnelle ou sociale, une fonction de direction ou un travail pour une
personne physique ou morale, ou un organisme quelconque ». Par
ailleurs, les deux nouvelles incriminations des articles 445-1 et 445-2 du Code
pénal reprennent la distinction traditionnelle entre corruption passive
et corruption active. De même, un avantage offert par corruption se
qualifie de « détournement » alors qu'on appelle
« extorsion » un avantage exigé par le même
moyen. En général, la personne qui soudoie est celle
perçue comme la partie active et le fonctionnaire, la partie passive. En
réalité, dans bien des circonstances, la situation est
inversée. De plus, cette distinction entre corruption active et
corruption passive, entre l'extorsion et le versement de pots-de-vin, est assez
dénuée de sens puisque les tractations nécessitent de
toute manière l'accord des deux parties. Il est donc plus utile de se
demander si la personne qui a reçu un avantage en échange de
paiement y avait légalement droit.
Dès lors, en ce qui a trait à la
déductibilité des dépenses illicites, il ne s'agit plus de
se positionner sur le terrain de l'intérêt social mais sur celui
de la légalité. De cette façon, un acte effectué
dans l'intérêt de la société ne devrait pas
être illégale. Dans un arrêt du 27 octobre 1997, la Cour de
cassation énonce que :
Quels que soient les avantages à court terme qu'elle
procure, l'utilisation des fonds sociaux est contraire à
l'intérêt de la société lorsqu'elle a pour seul
objet la commission d'un délit et qu'elle expose la personne morale au
risque anormal de sanctions pénales ou fiscales et porte
nécessairement atteinte à son crédit et à sa
réputation.111(*).
Par ailleurs, pour la Cour de cassation, « à
moins qu'il ne soit justifié de leur utilisation dans le seul
intérêt de la société » (ce qui n'est donc
désormais pas le cas s'il s'agit de verser un pot-de-vin)
« les fonds sociaux prélevés de manière occulte
par les dirigeants l'ont été nécessairement dans leur
intérêt personnel »112(*). Reste à voir si les juges continueront
à combattre la corruption par l'infraction d'abus de biens sociaux ou si
l'adoption du nouvel article 445-1 du Code pénal remettra les pendules
à l'heure. Il apparaît inadéquat, dans un contexte de lutte
contre la corruption, que l'Administration fiscale admette la
déductibilité de dépenses illicites sous le couvert de la
théorie de l'acte anormal de gestion.
En France, le droit pénal semble prendre les
dispositions nécessaires pour combattre la corruption de manière
plus efficace. Qu'en est-il du droit fiscal ? Pourquoi continue-t-il
à admettre la déductibilité des dépenses illicites
tel que les pots-de-vin ? Le combat contre la corruption est celui de tous
les domaines du droit. En ce sens, un revirement de la jurisprudence du Conseil
d'État est souhaitable. Par ailleurs, au Canada, l'interdiction de la
déductibilité des paiements illégaux énoncée
à l'article 67.5 L.I.R. ne prévient certes pas à lui seul
la corruption. Toutefois, cet article de loi à comme avantage d'envoyer
un signal cohérent aux dirigeants d'entreprises : ni le droit
pénal ni le droit fiscal n'admet la déductibilité de
pots-de-vin. De telle sorte que le contribuable canadien qui ne respecte
pas l'article 67.5 L.I.R. risque de commettre un délit de fraude
fiscale.
b) L'infraction de fraude
fiscale
Le Code général des impôts ainsi que la
loi sur l'impôt et le revenu ne mentionnent pas, à proprement
parler, une infraction de fraude fiscale. En France, le délit de fraude
fiscale est défini à l'article 1741 du C.G.I. qui punit
« quiconque s'est frauduleusement soustrait ou a tenté de se
soustraire frauduleusement à l'établissement ou au paiement
partiel de l'impôt », tandis qu'au Canada, on retrouve
plutôt un ensemble d'infractions regroupées sous certains
paragraphes. Ces dispositions couvrent plusieurs actions ou omissions ayant une
connotation frauduleuse, tel que le fait de faire des déclarations
fausses ou trompeuses, le fait de faire des inscriptions fausses ou trompeuses
à l'intérieur des livres et registres, le fait d'éluder
volontairement le paiement d'un impôt. Selon le Ministère du
revenu canadien, la fraude fiscale est le fait de poser un acte sciemment,
intentionnellement en toute connaissance de cause, dans le but de tromper le
Ministère, permettant ainsi de réduire les droits à payer
ou à remettre ou d'obtenir un remboursement indu113(*). La fraude vise aussi la
conspiration ou la complicité de commettre un tel acte. Que ce soit en
France ou au Canada, il y a fraude lorsqu'un contribuable, de façon
délibérée, viole les prescriptions de la loi fiscale. En
somme, la fraude est la volonté de se soustraire à l'impôt
normalement dû en recourant à des procédés
illégaux. Elle est donc déterminée par trois
éléments cumulatifs : l'irrégularité de
l'opération et la mauvaise foi du contribuable, dans le but de
réaliser une économie d'impôt. Aussi, la fraude fiscale est
concrète pour l'Administration fiscale. Elle aboutit à la
dissimulation de tout ou partie de la base imposable ; il y a donc un
manque à gagner pour le Trésor public. Donc, s'agissant d'une
infraction, l'Administration doit s'assurer de retrouver
l'élément matériel et l'élément intentionnel
constitutifs de la fraude.
c) L'élément
matériel et intentionnel de la fraude fiscale
L'élément matériel consiste donc à
augmenter les charges et/ou à réduire les recettes de
l'entreprise. Cet élément matériel, comme nous l'avons vu
précédemment, doit cependant être démontré
par les services des impôts en cas de contrôle. Plus difficile
à prouver, l'élément intentionnel revêt une grande
importance car il ne pourrait y avoir fraude en l'absence d'une intention
frauduleuse. L'infraction est constituée lorsque le contribuable
à qui l'on reproche la fraude l'a fait de manière
délibérée, de manière intentionnelle. À ce
niveau, il y a lieu de faire la différence (comme l'a du reste fait le
Code général des impôts français) entre l'acte
volontaire, donc frauduleux et l'acte involontaire. Il s'agit alors de
distinguer, dans l'application de la loi fiscale, la bonne ou la mauvaise foi
du contribuable, la bonne foi étant l'erreur involontaire (on parle
également de simple erreur) et la mauvaise foi étant l'acte
frauduleux. Cependant, il n'est pas nécessaire de rechercher si, en
dehors de l'infraction proprement dite, le contribuable à eu recours
à des manoeuvres destinées à tromper
l'Administration114(*).
La difficulté à l'égard de la déductibilité
des dépenses illicites réside dans le fait qu'aucune fraude n'est
commise.
d) La difficulté de cerner
la fraude fiscale
La complexité de la fraude fiscale relève du
fait qu'elle possède plusieurs facettes. Il s'agit de cerner
convenablement l'ensemble des comportements de fraude qui, tendant à
minorer l'impôt, reposent sur des sous-estimations de prix ou de recettes
et des surestimations de charges déductibles, ainsi que sur des
dissimulations totales ou partielles d'activités lucratives ou
d'éléments du patrimoine. Il faut donc comprendre que, de par
cette approche, la déductibilité des
dépenses illicites ne peut être sanctionnée par le
délit de fraude fiscale. C'est pourquoi, l'ajout d'un article de loi au
Code général des impôts interdisant la
déductibilité des paiements illégaux semble être une
solution judicieuse. Car, on ne peut ignorer ce que la loi interdit (nemo
censetur ignorare legem). À partir du moment où la loi
interdit la déductibilité des paiements illégaux, ne
faut-il pas être de mauvaise foi pour inclure ces derniers à sa
déclaration d'impôt ? Plus, ne pourrait-il pas y avoir
fraude ? Il ne faut pas être naïf, la loi interdit une
multitude de choses et cela n'empêche pas le contribuable d'aller
à son encontre. Toutefois, dans un contexte qui est celui de la lutte
contre la corruption, il semble indiqué de prendre toutes les mesures
nécessaires afin de prévenir son étendu. Cela doit
commencer par l'adoption de lois sur le plan interne. Encourager des
comportements illicites par le biais de la déduction fiscale, n'est
certes pas le meilleur service à rendre aux entreprises,
« tout comme il est faut de penser que les encourager à
céder à la corruption dont elles peuvent être victimes est
conforme à long terme à leur intérêt : il faut
se garder du fétichisme économique ambiant auquel paraît
céder le Conseil d'État. » 115(*)
Par conséquent, il semble que l'application de la
théorie de l'acte anormal de gestion au regard de la
déductibilité de dépenses illicites, tels que les
pots-de-vin, soit un non sens au point de vu moral et juridique. Enfin, si la
théorie de l'acte anormal de gestion est garante de la protection de
l'intérêt de l'exploitation commerciale, elle ne doit pas, par un
effet de ricochet, aller à l'encontre des intérêts de
l'État.
CONCLUSION
Tout d'abord, dans le secteur privé, il semble que le
monde de l'entreprise ne s'accommode pas de la corruption, et ce pour plusieurs
raisons. La première est que le versement de commissions et les
pratiques corruptives créent un surcoût pour l'entreprise et
handicapent cette dernière. De plus, les actes délictueux font
peser sur les sociétés des risques considérables :
d'une part des risques juridiques, mais aussi des risques commerciaux ou de
réputation. Dès lors, permettre la déductibilité de
dépenses, sans prendre en compte leur caractère illicite, semble
aller à l'encontre des idéaux d'une société
prônant une éthique des affaires et s'engageant dans un combat
contre la corruption. Par ailleurs, que ce soit en France ou au Canada,
l'Administration fiscale ne doit pas jouer un rôle de moralisateur
auprès des entreprises. Ainsi, en France, l'acte anormal de gestion est
souvent critiqué par les praticiens car pour eux, les
vérificateurs l'utilisent alors qu'ils ne maîtrisent pas dans la
globalité la gestion de l'entreprise. Aussi, l'intérêt
social considéré par l'Administration fiscale a toujours
été emprunt d'un certain opportunisme. Se méfiant de
certaines charges venant réduire en une peau de chagrin le
bénéfice imposable, l'Administration fiscale s'est alors
trouvée un nouveau rôle de protecteur des intérêts de
l'entreprise.
Cela étant, l'état actuel du droit en France
démontre que le caractère illicite de la dépense n'a pas
d'influence sur sa déductibilité si l'identité du
bénéficiaire est connue, qu'il existe une preuve de la
réalité du service rendu et que la dépense a
été effectuée dans l'intérêt social. Par
ailleurs, il paraît insensé de se poser la question de savoir si
la dépense illicite a été engagée dans
l'intérêt social. Ainsi, comme il en est au Canada, dès que
la dépense est illicite, elle ne devrait être déductible,
et ce même dans le but de gagner un revenu ou, parallèlement,
même si elle a été effectuée dans
l'intérêt de l'entreprise. Par conséquent, il paraît
évident que les divergences de traitements des dépenses illicites
créeront des différends au niveau international. Effectivement,
si la France admet la déductibilité de certaines dépenses
illicites, cela n'équivaut-il pas à encourager ses entreprises
à commettre des délits afin de se voir octroyer des contrats ou
des parts de marché sur le plan international ? Cela pourrait,
à la limite, se traduire comme étant de la fausse concurrence.
Subsidiairement, comment expliquer la divergence de traitement qui existe entre
le droit pénal et le droit fiscal en France ? Il semble qu'il
soit temps pour l'Administration fiscale de prononcer son mea culpa de
l'acte anormal de gestion.
Ensuite, ce qui peut sembler désolant, c'est que la
théorie de l'acte anormal de gestion a toujours été floue
étant donné qu'elle s'est développée sur des cas
d'espèce et selon la subjectivité des juges, ce qui va à
l'encontre de la sécurité juridique. De même, la notion de
l'intérêt social, clé de voûte de l'acte anormal de
gestion, demeure la problématique majeure : il n'existe pas de
définition positive. Dès lors, il ne semble pas raisonnable de
laisser aux juges le soin de définir l'intérêt social
puisque le législateur ne l'a jamais prévu. Par
conséquent, ce sont les entreprises qui doivent définir leur
propre intérêt social. Par ailleurs, l'adoption d'un article de
loi interdisant la déductibilité des paiements illégaux
permet de tracer des limites entre lesquelles l'intérêt social
pourrait se définir. Ainsi, comme le disait Montesquieu,
« pour que l'on ne puisse pas abuser de pouvoir, il faut que par
disposition des choses, le pouvoir arrête le pouvoir ». Ceci
dit, il semble que les critères employés pour caractériser
l'acte anormal de gestion ne reposent pas sur des critères objectifs.
Enfin, le Conseil d'État ne devrait-il pas, non plus se
placer du côté de l'entreprise, mais mettre en avant de
manière explicite l'objet de l'acte anormal de gestion,
c'est-à-dire, défendre les intérêts
pécuniaires de l'État ? De la sorte, l'acte anormal de
gestion pourrait se révolutionner en un acte étranger aux
intérêts de l'État. Cela justifierait son existence. Ainsi,
la déductibilité des dépenses illicites telle que les
pots-de-vin serait, comme au Canada, un phénomène
relégué au annales du droit fiscal.
ANNEXES
CODE PÉNAL FRANÇAIS
Article 433-1
Modifié par
Loi
n°2007-1598 du 13 novembre 2007 - art. 1 JORF 14 novembre 2007
Est puni de dix ans d'emprisonnement et de 150 000 euros
d'amende le fait, par quiconque, de proposer, sans droit, à tout moment,
directement ou indirectement, des offres, des promesses, des dons, des
présents ou des avantages quelconques à une personne
dépositaire de l'autorité publique, chargée d'une mission
de service public ou investie d'un mandat électif public, pour
elle-même ou pour autrui, afin :
1° Soit qu'elle accomplisse ou s'abstienne d'accomplir un
acte de sa fonction, de sa mission ou de son mandat, ou facilité par sa
fonction, sa mission ou son mandat ;
2° Soit qu'elle abuse de son influence réelle ou
supposée en vue de faire obtenir d'une autorité ou d'une
administration publique des distinctions, des emplois, des marchés ou
toute autre décision favorable.
Est puni des mêmes peines le fait de céder
à une personne dépositaire de l'autorité publique,
chargée d'une mission de service public ou investie d'un mandat
électif public qui sollicite, sans droit, à tout moment,
directement ou indirectement, des offres, des promesses, des dons, des
présents ou des avantages quelconques, pour elle-même ou pour
autrui, afin d'accomplir ou de s'abstenir d'accomplir un acte visé au
1° ou d'abuser de son influence dans les conditions visées au
2°.
Article 432-11
Modifié par
Loi
n°2007-1598 du 13 novembre 2007 - art. 1 JORF 14 novembre 2007
Est puni de dix ans d'emprisonnement et de 150 000 euros d'amende le
fait, par une personne dépositaire de l'autorité publique,
chargée d'une mission de service public, ou investie d'un mandat
électif public, de solliciter ou d'agréer, sans droit, à
tout moment, directement ou indirectement, des offres, des promesses, des dons,
des présents ou des avantages quelconques pour elle-même ou pour
autrui :
1° Soit pour accomplir ou s'abstenir d'accomplir un acte
de sa fonction, de sa mission ou de son mandat ou facilité par sa
fonction, sa mission ou son mandat ;
2° Soit pour abuser de son influence réelle ou
supposée en vue de faire obtenir d'une autorité ou d'une
administration publique des distinctions, des emplois, des marchés ou
toute autre décision favorable.
Article 445-1
Modifié par
Loi
n°2007-1598 du 13 novembre 2007 - art. 1 JORF 14 novembre 2007
Est puni de cinq ans d'emprisonnement et de 75 000 euros
d'amende le fait, par quiconque, de proposer, sans droit, à tout moment,
directement ou indirectement, à une personne qui, sans être
dépositaire de l'autorité publique, ni chargée d'une
mission de service public, ni investie d'un mandat électif public
exerce, dans le cadre d'une activité professionnelle ou sociale, une
fonction de direction ou un travail pour une personne physique ou morale ou
pour un organisme quelconque, des offres, des promesses, des dons, des
présents ou des avantages quelconques, pour elle-même ou pour
autrui, afin d'obtenir qu'elle accomplisse ou s'abstienne d'accomplir un acte
de son activité ou de sa fonction ou facilité par son
activité ou sa fonction, en violation de ses obligations légales,
contractuelles ou professionnelles.
Est puni des mêmes peines le fait, par quiconque, de
céder à une personne visée au premier alinéa qui
sollicite, sans droit, à tout moment, directement ou indirectement, des
offres, des promesses, des dons, des présents ou des avantages
quelconques, pour elle-même ou pour autrui, afin d'accomplir ou de
s'abstenir d'accomplir un acte visé audit alinéa, en violation de
ses obligations légales, contractuelles ou professionnelles.
Article 445-2
Modifié par
Loi
n°2007-1598 du 13 novembre 2007 - art. 1 JORF 14 novembre 2007
Est puni de cinq ans d'emprisonnement et de 75 000 euros
d'amende le fait, par une personne qui, sans être dépositaire de
l'autorité publique, ni chargée d'une mission de service public,
ni investie d'un mandat électif public exerce, dans le cadre d'une
activité professionnelle ou sociale, une fonction de direction ou un
travail pour une personne physique ou morale ou pour un organisme quelconque,
de solliciter ou d'agréer, sans droit, à tout moment, directement
ou indirectement, des offres, des promesses, des dons, des présents ou
des avantages quelconques, pour elle-même ou pour autrui, afin
d'accomplir ou de s'abstenir d'accomplir un acte de son activité ou de
sa fonction ou facilité par son activité ou sa fonction, en
violation de ses obligations légales, contractuelles ou
professionnelles.
LIVRE DE PROCÉDURES FISCALES FRANÇAIS
Article L64
Modifié par Ordonnance 2004-281 2004-12-25 art. 27 JORF 27
mars 2004 en vigueur le 1er juin 2004
Ne peuvent être opposés à l'administration
des impôts les actes qui dissimulent la portée véritable
d'un contrat ou d'une convention à l'aide de clauses :
a) Qui donnent ouverture à des droits d'enregistrement
ou à une taxe de publicité foncière moins
élevés ;
b) Ou qui déguisent soit une réalisation, soit
un transfert de bénéfices ou de revenus ;
c) Ou qui permettent d'éviter, en totalité ou en
partie, le paiement des taxes sur le chiffre d'affaires correspondant aux
opérations effectuées en exécution d'un contrat ou d'une
convention.
L'administration est en droit de restituer son
véritable caractère à l'opération litigieuse. En
cas de désaccord sur les rectifications notifiées sur le
fondement du présent article, le litige est soumis, à la demande
du contribuable, à l'avis du comité consultatif pour la
répression des abus de droit. L'administration peut également
soumettre le litige à l'avis du comité dont les avis rendus
feront l'objet d'un rapport annuel.
Si l'administration ne s'est pas conformée à
l'avis du comité, elle doit apporter la preuve du bien-fondé de
la rectification.
CODE CRIMINEL CANADIEN
Commissions
secrètes
Article 426 (1)
Commet une infraction quiconque, selon le cas :
a) par corruption, directement ou indirectement, soit
donne ou offre, ou convient de donner ou d'offrir, à un agent ou
à toute personne au profit de cet agent, soit, pendant qu'il est un
agent, exige ou accepte, ou offre ou convient d'accepter de qui que ce soit,
pour lui-même ou pour une autre personne, une récompense, un
avantage ou un bénéfice de quelque sorte à titre de
contrepartie pour faire ou s'abstenir de faire, ou pour avoir fait ou
s'être abstenu de faire un acte relatif aux affaires ou à
l'entreprise de son commettant, ou pour témoigner ou s'abstenir de
témoigner de la faveur ou de la défaveur à une personne
quant aux affaires ou à l'entreprise de son commettant ;
b) avec l'intention de tromper un commettant, donne
à un agent de ce commettant, ou étant un agent, emploie avec
l'intention de tromper son commettant, quelque reçu, compte ou autre
écrit :
(i) dans lequel le commettant a un intérêt,
(ii) qui contient une déclaration ou un
énoncé faux ou erroné ou défectueux sous un rapport
essentiel,
(iii) qui a pour objet de tromper le commettant.
'
Fait
de contribuer à l'infraction
(2) Commet une infraction quiconque contribue sciemment
à la perpétration d'une infraction visée au paragraphe
(1).
Peine
(3) Est coupable d'un acte criminel et passible d'un
emprisonnement maximal de cinq ans quiconque commet une infraction
prévue au présent article.
Définition
de « agent » et « commettant »
(4) Au présent article, « agent »
s'entend notamment d'un employé, et « commettant »
s'entend notamment d'un patron.
L.R. (1985), ch. C-46, art. 426 ; L.R. (1985), ch. 27
(1er suppl.), art. 56 ; 2007, ch. 13, art. 7.
Loi sur l'impôt et le revenu du
Canada
Article 67.5
(1) Non-déductibilité des paiements
illégaux -- Aucune déduction ne peut être faite
dans le calcul du revenu au titre d'une dépense engagée en vue
d'accomplir une chose qui constitue une infraction prévue à
l'article 3 de la Loi sur la corruption d'agents publics
étrangers ou à l'un des articles 119 à 121, 123
à 125, 393 et 426 du Code criminel, ou à l'article 465
du Code criminel qui est liée à une infraction
visée à l'un de ces articles.
(2) Nouvelle cotisation -- Malgré les
paragraphes
152(4)
à
(5),
le
ministre peut établir
les cotisations, nouvelles cotisations et cotisations supplémentaires
voulues concernant l'impôt, les intérêts et les
pénalités et déterminer ou déterminer de nouveau
les montants voulus pour rendre le paragraphe (1) applicable pour une
année
d'imposition.
[1994, c. 7, ann. II, art. 46 ; 1998, c. 34, art. 10].
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règlements annotés 2006, Canada, CCH Ltée,
35e éd., 2006.
LORD (G.) (et al.) - Les principes de
l'imposition au Canada. Montréal, Wilson & Lafleur, 13e
éd., 2002.
SHERMAN (D. M.) - La loi du praticien.
Toronto, Thomson Carswell, 16e éd., 2007.
ARTICLES
KRISHNA (V.) - La
déductibilité des amendes et des pénalités. CGA
Magazine, Sept. 1988, p. 35 à 37.
Non-Deductibility of Bribes. The Canadian Taxpayer,
Carswell, Vol. XVIII, No. 4, 13 févr. 1996, p. 30-31.
RAPPORTS - COLLOQUES
- Colloque du 19 mai 2005, organisé par
l'A.P.F.F. : Le top 100 : palmare`s des 100 de'cisions-cle's en
fiscalité.
- Colloque du 29 mai 2003, organisé par
l'A.P.F.F. : Fraude fiscale : Choix, conséquences et
solutions.
JURISPRUDENCES
Amway c. La Reine, 96 DTC 6135
Beeson v. Bentleys, Stokes and Lawless (1952) T.R.
239 ; No. 77, 53 DTC 27
Bennett & White Construction Co., 49 DTC 514
65302 British Colombia Ltd. c. La Reine, [1999] 3 R.C.S.
622
Bronson Homes Ldt. c. M.R.N., 93 DTC 710
Day & Ross Ltd. C. La Reine, [1976] C.TC 707
(C.F.)
Gabco Ltd., [1968] C.T.C.313 (C. de l'É.)
Gouin Lumber Co Ltd v MNR, 1964 37 Tax A.B.C 1
Hickman Motors Limited c. R., [1997]2 R.C.S. 336
Mattabi Mines Ltd. C. Ontario, 1984 1 R.C.S. 536
MNR v Olva Diana Eldridge, [1964] C.T.C. 545
No 227, 55 DTC 20
No 591, 59 DTC 55
Pétro-Canada, [2004] 3 C.T.C. 156 (C.A.F.)
Stubart Investments Limited c. La Reine [1984] 1 R.C.S.
536
Symex c. Canada, [1993] 4 R.C.S. 695 à la page
722
TNT Canada inc. c. La Reine, [1988] 2 C.T.C. 91
Turquand c. Marshall, [1869] L.R. Ch. App. 376
United color and chemicals Limited et al. 92 DTC 1259
90 DTC 6618
[1987] 2 R.C.S.541
DIVERS
Glossaires de L'OCDE. Corruption : Glossaire des normes
pénales internationales. OCDE, 2008.
TaxnetPRO. Banque de données
en droit fiscal canadien.
TABLE DES MATIÈRES
SIGLES ET ABRÉVIATIONS
1
SOMMAIRE
2
INTRODUCTION
4
TITRE I LA
DÉDUCTIBILITÉ DE LA CHARGE ILLICITE ET SON TRAITEMENT FISCAL
12
CHAPITRE I LA
DÉDUCTIBILITÉ DES DÉPENSES ILLICITES EN DROITS FISCAUX
FRANÇAIS ET CANADIENS.
13
SECTION I La dépense illicite en France et au
Canada.
13
A La définition de la charge illicite en France
et au Canada
13
a) Le régime d'autodéclaration de
l'impôt.
13
b) La dépense illicite, une dépense non
autorisée.
14
c) Les types de dépenses illicites.
17
B La déductibilité de la charge illicite
par le biais de la gestion normale de l'entreprise.
19
a) La théorie de l'acte anormal de gestion.
19
b) Le principe de non immixtion.
20
c) La condition d'une contrepartie effective.
22
d) Le lien entre l'acte anormal de gestion et l'acte
contraire à l'intérêt social.
23
e) L'acte illicite.
24
SECTION II Le traitement fiscal des charges à
caractère illicite ou découlant d'un acte illicite en France et
au Canada
25
A Le traitement fiscal des pots-de-vin.
25
a) La déductibilité possible des
pots-de-vin
25
b) Les conditions de la déductibilité
des pots-de-vin.
27
c) La réalité des versements et des
prestations.
28
B Le traitement fiscal des amendes et
pénalités.
31
a) L'évolution jurisprudentielle.
31
b) L'interdiction de déduction par la loi.
35
TITRE II LA RÉPRESSION
ET LA PRÉVENTION FACE À LA DÉDUCTIBILITÉ DES
DÉPENSES ILLICITES
38
CHAPITRE II LA RÉPRESSION DE
LA DÉDUCTIBILITÉ DES DÉPENSES ILLICITES EN DROITS FISCAUX
FRANÇAIS ET CANADIEN
39
SECTION I Les mécanismes de
répression des droits fiscal et pénal.
39
A Le fardeau de la preuve.
39
a) Le pouvoir exorbitant de l'Administration fiscale
française.
39
b) La présomption d'exactitude de la
déclaration.
40
c) L'appréciation souveraine de
l'Administration fiscale.
41
d) La divergence de solutions entre le droit
pénal et le droit fiscal en France.
42
e) La convergence de solution entre le droit
pénal et le droit fiscal au Canada.
42
f) La preuve difficile de l'acte anormal de gestion.
44
B Les sanctions
45
a) La personne morale.
45
b) Le cumul des sanctions.
48
SECTION II L'abus de droit et la fraude fiscale
49
A Les limites de l'acte anormal de gestion
49
a) La notion d'abus de droit en droit fiscal
français.
49
b) La requalification de l'acte
50
c) L'abus de droit et l'acte anormal de gestion.
51
d) L'abus de droit avec ou sans simulation.
52
e) L'évasion et l'évitement fiscal.
53
a) Le versement de pots-de-vin, un délit de
corruption.
54
b) L'infraction de fraude fiscale
58
c) L'élément matériel et
intentionnel de la fraude fiscale.
59
d) La difficulté de cerner la fraude fiscale.
59
CONCLUSION
61
ANNEXE
64
BIBLIOGRAPHIE
69
TABLE DES MATIÈRES
74
* 1 9. (1) Sous
réserve des autres dispositions de la présente partie, le revenu
qu'un contribuable tire d'une entreprise ou d'un bien pour une année
d'imposition est le bénéfice qu'il en tire pour cette
année.
* 2 Symex c. Canada,
[1993] 4 R.C.S. 695, p. 722.
* 3 CE 1er juill.
1983, RJF 1983, n° 10, p. 519.
* 4 CE 7 juillet 1958, n°
35.977, 7· s.-s., DF 1958, n° 44, com. 938, Dupont 1958, p. 575.
* 5 LACASSE (N.). Droit de
l'entreprise. Les éditions Narval, 5e éd., 2003,
p. 217.
* 6 Turquand c.
Marshall, [1869] L.R. Ch. App. 376.
* 7 Stubart Investments
Limited c. La Reine [1984] 1 R.C.S. 536.
* 8 CE 27 juill. 1984, RJF
10/84, p. 562. Conclusions de Monsieur le commissaire du Gouvernement Racine
* 9 TA Lyon 17 juin 1997, n°
88-11914 et 88-11915, 4e ch., Sté Rémoise de
nettoiement RJF 12/97 n° 1108, confirmé par CAA Lyon 10 avril 2003 n°
97-02550, 2e ch., Sté Rémoise de nettoiement.
* 10 Loi de finances
rectificative pour 1997 (n° 97-1239 du 29 décembre 1997),
parue au JO n° 302 du 30 décembre 1997.
* 11 CE 11 juill. 1983, RJF
1983, n° 10, p. 519.
* 12 La suppression de la
déduction de certaines sanctions et pénalités [En ligne].
Consulté sur Internet : http://www.senat.fr (15.08.2008).
* 13 Article L 64 du Livre
de procédures fiscales.
* 14 CE 10 juin 1981, RJF
9/81 n° 787 Cass. Com. 18 avril 1988, RJF 2/89 n°250.
* 15 Circulaire
d'information 76-4R du 27 juin 1977.
* 16 McKinlay Transport
Ltd., [1990] 1 R.C.S. 627.
* 17 REY (A.).
Dictionnaire historique de la langue française. Le Robert, p.
2016.
* 18 No 227, 55 DTC 20.
* 19 Emprunt au turc
bakîð « pourboire, don » : Centre
national des ressources textuelles et lexicales (CNRTL) [En ligne].
Consulté sur Internet :
www.cnrtl.fr/etymologie/bachich
(12.06.2008).
* 20 Il s'agit d'une somme
officieuse versée par l'acheteur au vendeur, qui vient s'ajouter
à la somme officiellement déclarée.
* 21 En
général se définit comme de l'argent touché
secrètement et illégalement, en échange d'une faveur
reçue, d'une préférence accordée en vue d'une
rémunération. Les conventions internationales (Convention de
l'O.D.D.E., Convention du Conseil de l'Europe et la Convention des Nations
Unies) décrivent le pot-de-vin comme un avantage indu. Ainsi, tous les
avantages ne sont pas interdits, seulement ceux qui sont indus : Glossaire
de l'OCDE, Corruption, glossaire des normes pénales internationales, p.
38.
* 22 Entrée en
vigueur de la Convention pour la France le 7 août 1961 et pour le Canada
le 10 avril 1961.
* 23 Dans le cadre des
directives aux vérificateurs d'entreprises, l'instruction
réservée aux services (4 C-1-00, n° 205 du 14 novembre 2000)
prévoit que le rejet des charges déductibles doit
systématiquement être accompagné d'une information du
Parquet, conformément aux dispositions de cet article 40 du CPP. Il
paraîtrait cependant que la non déductibilité fiscale des
pots-de-vin n'est pas garantie au sein de certains des territoires
français d'outre-mer disposant d'un statut fiscal autonome. Rapport du
GRECO sur la corruption [En ligne]. Consulté sur Internet :
http://www.coe.int/t/dg1/greco/default_FR.asp (10.05.2008).
* 24 Pour l'article 426 du
Code criminel (commission secrète), cf. Annexes.
* 25 No. 591, 59 DTC 55.
* 26 Bennett & White
Construction Co., 49 DTC 514.
* 27 CAA Paris 11 juill.
1989, n° 320, SA Triskel RJF 10/89 n° 1084.
* 28 Le Code
général des impôts prévoit que les cadeaux d'une
valeur supérieure à 3 000 euros par exercice doivent
figurer, sous peine d'amende, sur le relevé détaillé des
frais généraux à joindre à la déclaration de
résultats.
* 29 Beeson v. Bentleys,
Stokes and Lawless (1952) T.R. 239; No. 77, 53 DTC 27.
* 30 CE 11 juill. 1983, RJF
1983, n° 10, p. 519.
* 31 Bronson Homes Ldt.
c. M.R.N., 93 DTC710.
* 32 CE 20 fév. 1985
n° 41598, 7e et 9e s.-s. RJF 4/85n° 534.
* 33 COZIAN (M.). La
théorie de l'acte anormal de gestion. Defrénois 1994, n° 15,
p. 679.
* 34 CE 15 avril 1988, n°
58229, 9e et 7e s.-s. : RJF 6/88 n° 708.
* 35 CE 20 déc. 1963,
n° 52308, DF 1964, n° 13. Concl. Marcel Martin.
* 36 CE 7 juill. 1958, n°
35.977, 7· s.-s., DF 1958, n° 44, com. 938, Dupont 1958, p. 575; CE 22 mai
1963, n° 51.394.
* 37 CE 8 mars 1963, n°
59168, 9· s.-s. Concl. de M. Poussière.
* 38Gabco Ltd.,
[1968] C.T.C.313(C. de l'É.), approuvé dans Pétro-Canada,
[2004] 3 C.T.C. 156 (C.A.F.) (demande d'appel rejetée, 2004 CarswellNat
4109 (C.S.C.)).
* 39 Mattabi Mines Ltd.
C. Ontario, 1984 1 R.C.S. 536.
* 40 COZIAN (M.). Les
grands principes de la fiscalité des entreprises. Litec, 1983,
p. 43.
* 41 CE 27 janvier 1989,
n° 61422, Plén.
* 42 ROUSSEAU (S.) et
TCHOTOURIAN (I..). L'intérêt social en droit des
sociétés : Regards canadiens, Revue des
Sociétés (à paraître).
* 43 Documentation
administrative (DB 4C-11).
* 44 CE 15 avril 1988, n°
58229, 9e et 7e s.-s. : RJF6/88 n° 708.
* 45 CE 11 mars 1988, n°
16253 Plén.
* 46 COZIAN (M.). Les
grands principes..., op. cit., p. 43.
* 47 CE 10 déc. 1969,
7· et 9· ss, req. 73973, DF 70, n° 50, com.1429; CE 3 janv. 1973,
8· et 9· ss, req. 83240, DF 73, n° 27, com. 988.
* 48 CE 1er
juill. 1983, RJF 1983, n° 10, p. 519; CE 11 juill. 1983, RJF 1983, n° 10, p.
519; CE 5 déc. 1983, RJF 1984, n° 2, p. 62.
* 49 CE 1er
juill. 1983, RJF 1983, n° 10, p. 519.
* 50 Control Risks [En
ligne]. Consulté sur Internet : http://www.control-risks.com
(15.05.2008).
* 51 K. N.
Pot-de-vin...français. Les affaires [En ligne]. 1 juin 2007.
Consulté sur Internet : www.lesaffaires.com (23.06.2008).
* 52 S'agissant de la
corruption internationale, la France, de ce point de vue, a eu des pratiques
que l'on peut juger critiquables. En effet, au cours des années
soixante, pour développer les grands contrats, la France a
institué une procédure dite du confessionnal qui revenait
à légaliser la corruption internationale. Lorsqu'une entreprise
avait besoin de verser une commission non justifiée par un travail
réel correspondant à son montant, l'entreprise pouvait a priori
demander l'accord du Ministère des Finances pour que cette commission
soit déductible du bénéfice imposable. Après une
explication sur le nom du bénéficiaire (qui demeurait
confidentiel) et la vérification que la commission était d'un
montant raisonnable ne laissant pas présumer un retour d'une partie
à des nationaux, l'accord était donné, et quand le
contrôle des changes existait, les autorisations de transfert
étaient attribuées. Cette procédure avait un double
inconvénient : d'une part elle légalisait, si l'on peut
dire, la corruption des fonctionnaires étrangers ; d'autre part, en
obligeant à créer des circuits financiers pour les transferts de
fonds, elle créait un cadre juridique favorable à la corruption
de fonctionnaires et d'élus français. Ceci conduisit le Parlement
à la supprimer en 1993.
* 53 United color and
chemicals Limited et al. 92 DTC 1259.
* 54 TA Lyon 17 juin 1997,
n° 88-11914 et 88-11015, 4e ch., Sté-Rémoise de
nettoiement, RJF 12/97 n° 1108.
* 55 CE 5 déc. 2001,
n° 224350 publié au recueil Lebon.
* 56 CAA Douai 10-4-2001 n°
98-422 BIC-IX-18092.
* 57 CE 31 juill. 1992, n°
82802, Plén., Sodame, RJF 8/9 92.
* 58 CE 31 juill. 1992, n°
114895, Plén., Austin Rover France, RJF 8/9 92.
* 59 MNR v Olva Diana
Eldridge, [1964] C.T.C. 545.
* 60Taxnet Pro.
Non-Deductibility of Certain Illegal Payments [En ligne]. Consulté sur
Internet :
http://www.taxnetprofr.com
(16.02.2008).
* 61 Gouin Lumber Co Ltd
v MNR, 1964 37 Tax A.B.C 11 : Gouin Lumber Company Limited,
établie à Trois-Rivières depuis de nombreuses
années, vendait du bois d'arrimage dont se servent les navires pour
l'installation de leurs cargaisons. Ses deux principaux clients étaient
Three Rivers Shipping et J. C. Malone Limited, deux arrimeurs importants
à Trois-Rivières. Au cours de ses transactions avec ces deux
compagnies, il s'est exercé pendant des années une manigance ou
ni plus ni moins une fraude constituant en la remise d'une certaine somme
d'argent aux commandants des différents navires aux fins de rester dans
les bonnes grâces de ceux-ci et de conserver ses deux clients. Cette
fraude se pratiquait ainsi : lorsqu'un capitaine de navire achetait du
bois d'arrimage, il faisait en même temps la demande d'une somme
quelconque d'argent que l'appelante lui remettait par l'intermédiaire de
ses employés ; cet argent était pris à même la
réserve d'une petite caisse, garnie des montants des ventes au
comptant.
* 62 CE 8 juill. 1998, n°
158 891.
* 63 KRISHNA (V.). La
déduction des amendes et pénalités. CGA magazine,
sept. 1988, p. 35.
* 64 Amway c. La
Reine, 96 DTC 6135.
* 65 Day & Ross Ltd.
C. La Reine, [1976] CTC 707 (C.F.).
* 66 Par suite de la
décision dans la cause Day & Ross, Revenu Canada publiait,
le 5 juin 1978, le bulletin d'interprétation IT-104R dans lequel il est
précisé que les amendes et pénalités peuvent
être déduites dans le calcul du revenu dans les circonstances
suivantes :
a) si des amendes ou pénalités sont un risque
ordinaires à courir dans l'exploitation de l'entreprise et que
l'imposition de ces amendes et pénalités est inévitable et
hors du contrôle du contribuable et de ses employés même
s'il prend des précautions raisonnables pour les éviter ;
b) Le manquement ou l'infraction à la loi qui a
entraîné l'amende ou la pénalité ne résulte
pas de négligence, d'ignorance ni d'une violation volontaire de la loi,
ne menace pas la sécurité publique et n'est pas une faute de
turpitude morale.
* 67 TNT Canada inc. c.
La Reine, [1988] 2 C.T.C. 91.
* 68 Ibid.
* 69 MERCIER ( J.-Y.) et
PLAGNET (P.). Les impôts en France. Éd. Francis Lefebvre,
2004, p. 213.
* 70 65302 British
Colombia Ltd. c. La Reine, [1999] 3 R.C.S. 622.
* 71 Le contribuable, qui
exploitait une entreprise avicole, avait délibérément
décidé de produire au-delà de son quota, de façon
à répondre aux besoins de son principal client de peur de le
perdre, d'où le versement d'une taxe compensatoire pour
dépassement de quota d'environ 270 000,00$ qu'il déduisit de son
revenu. Il s'était par ailleurs évidemment imposé sur les
revenus provenant de la production excédentaire à son quota.
Revenu Canada contesta la position du contribuable en prétendant qu'il
irait à l'encontre de l'ordre public de permettre la
déductibilité de ladite amende. Cinq des sept juges du banc ayant
entendu cette affaire rejetèrent les arguments de Revenu Canada et
donnèrent raison au contribuable.
* 72 Les principes
généraux suivants sont énoncés dans les motifs de
la décision :
La caractérisation du prélèvement comme
« amende » ou
« pénalité » n'a pas d'incidence
(c'est-à-dire qu'elle ne rend pas le prélèvement moins
déductible) parce que le régime fiscal ne fait pas de distinction
entre les prélèvements (qui sont de nature essentiellement
compensatoire) et les amendes et les pénalités (qui sont de
nature punitive).
- La déduction d'une amende ou d'une
pénalité ne peut pas être refusée simplement parce
qu'il serait contraire à la politique publique de l'accorder.
- L'interdiction de déduire des amendes et des
pénalités est incompatible avec la pratique de permettre la
déduction des dépenses engagées en vue de tirer un revenu
illégal.
- Pour qu'une amende ou pénalité soit
déductible dans le calcul du revenu tiré de l'entreprise ou du
bien, l'alinéa 18(1)a) de la Loi exige qu'elle ait été
encourue en vue de tirer un revenu de cette entreprise ou de ce bien.
L'alinéa 18(1)a) n'exige pas qu'une amende ou une
pénalité soit inévitable pour être
déductible.
Même si une amende ou une pénalité peut
avoir été encourue en vue de tirer un revenu d'une entreprise ou
d'un bien au sens de l'alinéa 18(1)a), sa déduction peut
néanmoins être interdite par une autre disposition de la Loi de
l'impôt sur le revenu.
* 73 Ainsi, l'ancien 2 de
l'article 39 prévoyait-il que : « Les transactions,
amendes, confiscations, pénalité, de toute nature, mises à
la charge des contrevenants aux dispositions légales régissant la
liberté des prix et de la concurrence, le ravitaillement, la
répartition des divers produits, l'assiette et le recouvrement des
impôts, contributions et taxes ne sont pas admis en déduction des
bénéfices soumis à l'impôt. »
* 74 L'expression
« sanction pécuniaire » recouvre les transactions,
amendes et confiscations de l'ancien 2 de l'article 39 CGI.
* 75 Le terme de
« pénalité » vise les intérêts
et majoration de retard qui ont le caractère de réparation
pécuniaire et ne sont pas assimilables à des sanctions.
* 76 L'article 67.6 L.I.R. a
été ajouté par le budget de 2004. Il s'applique aux
amendes et pénalités imposées après le 22 mars
2004.
* 77 Article 67.6 de la Loi
sur l'impôt et le revenu.
* 78 Les
pénalités d'intérêts imposées en vertu de la
Loi sur l'accise, la Loi sur le droit pour la sécurité des
passagers du transport aérien et la partie de la Loi sur la taxe
d'accise concernant la TPS/TVH continueront à être
déductibles.
* 79 Les
pénalités de TPS exigibles en raison de la non-remise de la taxe
due sur la vente d'une immobilisation peuvent être de la nature du
capital. VIEWS doc. 2005-010972 IE5 in SHERMAN (D. M.). La loi du
praticien. Thomson Carswell, 16e éd., 2007, p. 467.
* 80 CE 17 juin 1994, n°
122 621, 8e et 9e s-s : Sté Nord
Éclair ; R.J.F. 8-(/ 1994, p. 518 conclusion Bachelier.
* 81 COZIAN (M.). Les
grands principes..., op. cit., p. 39.
* 82 Hickman Motors
Limited c. R., [1997]2 R.C.S. 336.
* 83 CE 6 mai 1996, n°
148572, Succession Devidal, RJF 96, n° 711 et n° 812.
* 84 COZIAN (M.). Les
grands principes..., op. cit., p. 15.
* 85 CE 7 novembre 1979, n°
6188, 7 et 9 ss, RJF 01/80, p. 15, n° 11.
* 86 Cass. crim. 6
févr. 1997; Bull Joly 1997 p. 291 Affaire Mouillot; Cass. crim. 27 oct.
1997 : JCP G1998, II, 10017, affaire Carignon.
* 87 CE 7 janv. 2000,
8e et 9e s.-sect., arrêt Philippe.
* 88 Cass. crim. 28 nov.
1994, Dr. pén. 1995, n° 70, obs. J.-H. Robert; D. 1995, Jur. p.506, note
J.-F. Renucci; Cass. crim. 20 juin 1996, D.1996, Jur. p.589, note Bernard
Bouloc.
* 89 CE 27 juill. 1984, n°
34588, Plén., Renfort Service, RJF 10/84, n° 1233 ; CE 8 janvier
1993, n° 87631, 9e et 8e s.-s., Bernard Spitaletto, RJF
3/93, n° 319.
* 90 CE 20 juin 2003,
n° 232832.
* 91 MERCIER (J.-Y.),
PLAGNET (R.). Les impôts en France. Francis Lefebvre, 2004. p.
145.
* 92 CE 21 mai 2007,
n°284.719, Sté Sylvain Joyeux.
* 93 CE 31 juill. 1992, n°
79635, 8e et 9e s.-s., SARL Nordis RJF 11/92 n° 1467.
* 94 90 DTC 6618.
* 95 [1987] 2 R.C.S.541.
* 96 Cass. crim. 20 juin
1996, n° 94-85796, DF 97, n 15-16, com. 427.
* 97 COZIAN (M.). Les
grands principes..., op. cit., p. 42.
* 98
CE
8 avril 1998, n ° 192539, publié au recueil Lebon.
* 99 COZIAN (M.).
L'aménagement de la procédure de l'abus de droit, in
L'Amélioration des rapports entre l'Administration fiscale et
les contribuables, Colloque de la société française de
droit fiscal du 15-16 sept. 1988. PUF, 1989, p. 157.
* 100 CE 27 juill. 1984, n°
34588, Publié au recueil Lebon.
* 101 CE 10 juin 1981, n°
19079, publié au recueil Lebon.
* 102 L'article se limite
aux droits d'enregistrement, à la publicité foncière,
à l'impôt sur le revenu, à l'impôt sur les
sociétés, à la TVA, à l'impôt de
solidarité sur la fortune. Il ne s'applique pas s'agissant de la taxe
professionnelle et des taxes assises sur les salaires. De plus, l'abus de droit
ne s'applique pas aux contribuables qui ont respecté à la lettre
les termes d'une doctrine administrative. Pour consulter l'article, voir
Annexes.
* 103 CE 28 févr.
2007, n° 284565, min. c/ Persicot et n° 284566 ; CE 5 mars 2007, n° 284457
Chalonges.
* 104 CE 27 sept. 2006, n°
260050.
* 105 La planification
fiscale abusive désigne les arrangements qui « excèdent
les limites » d'une planification fiscale acceptable.
* 106 Stubart
Investments Ltd. c. La Reine, [1984] 1 R.C.S.536.
* 107 Ministère des
finances Canada, La réforme de l'impôt direct, 1987, p. 140.
* 108Le Conseil de
l'Europe. La corruption [En ligne]. Consulté sur Internet :
http://www.coe.int/DefaultFR.asp (17.03.2008).
* 109 Décision-cadre
2003/586/JAI du Conseil de l'Union Européenne qui abroge l'action
commune de l'Union Européenne du 22 décembre 1998 relative
à la corruption dans le secteur privé.
* 110 Pour les articles du
Code criminel mentionnés, cf. Annexes.
* 111 Cass. Crim., 27 oct.
1997, affaire Carignon n° 96-83.696.
* 112 Cass. Crim., 20 juin
1996, affaire Philippe n° 95-82.078.
* 113 Colloque du 29 mai
2003, organisé par l'A.P.F.F. : Fraude fiscale : Choix,
conséquences et solutions.
* 114 LOPEZ (C.).
Les pouvoirs d'investigation de l'administration fiscale en France et
au Canad. L'Harmattan, 1997, p. 203.
* 115 VIRASSAMY (G.J.).
Colloque des 29 et 30 novembre 2001 : L'entreprise et l'illicite.
L'Harmattan, 2003.
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