Fêtes de village et nouvelles appartenances. Les fêtes rurales en Hainaut occidental (Belgique)( Télécharger le fichier original )par Etienne Doyen Université Catholique de Louvain - Licence en Sociologie 2007 |
La croissance démographique des villagesCette population rurale importante est en augmentation. Le rural du Hainaut occidental est un chantier permanent : de tous les villages que nous avons parcourus pour les besoins de ce travail, il n'en est pas un seul qui ne compte une ou plusieurs maisons récemment construites ou en cours de construction. Cette tendance n'est pas propre à la région qui nous intéresse : Bodson57(*) a souligné le même phénomène pour l'ensemble de Wallonie et Poncin58(*) l'a montré, chiffres à l'appui, pour la province du Luxembourg. L'exode rural est révolu et les campagnes sont désormais en croissance démographique. Pour illustrer cette réalité, nous avons réalisé un graphique montrant l'évolution de la population de l'ensemble des villages d'une commune du Hainaut occidental, Leuze-en-Hainaut, entre 1890 et 2004. Figure 2 : Évolution démographique des villages de la commune de Leuze-en-Hainaut entre 1890 et 200459(*). Le graphique montre que la majorité des villages de l'entité suit une même tendance : une baisse de population sur la période allant du début du siècle aux années 1970, avec un minimum généralement obtenu en 1977, pour connaître ensuite une augmentation de la population, jusqu'à nos jours. Le village de Gallaix (dernière courbe du graphique) en est l'illustration parfaite : en 1900, il comptait 308 habitants, nombre qui descend à 187 en 1950, pour atteindre son minimum en 1977, avec 138 habitants. Par la suite, la population réaugmente à 233 habitants en 2004. Il est frappant de constater que cette évolution n'est pas contingente et peut être généralisée à la majorité des villages de l'entité. Cette tendance peut être appliquée à l'ensemble du Hainaut occidental, où les minima de population ont été atteints dans les années 1970, pour ensuite réaugmenter de façon continue jusqu'à aujourd'hui. Il s'agit du phénomène de résidentialisation qui voit des populations nouvelles s'installer à la campagne, devenue aujourd'hui un cadre de vie prisé. L'existence d'un sentiment d'appartenance à la régionIl nous semble important d'aborder un dernier point pour terminer cette brève présentation du Hainaut occidental. Nous l'avons dit plus haut, nous n'avons pas observé, dans le chef des différents acteurs des fêtes sur notre terrain, la référence à une région plus large que le village ou la commune, qui serait le Hainaut occidental. Cela ne veut pour autant pas dire que cette région ne peut pas être une entité qui fait sens, dans une certaine mesure. Deux faits importants, entre autres, laissent à penser qu'elle peut précisément être une catégorie opératoire. Il y a, d'une part, l'intervention d'autorités extérieures sur le territoire de la région qui peut amener les individus à se percevoir comme habitant un même périmètre et partageant un destin commun. Ceci est d'ailleurs le cas de l'ensemble du Hainaut, dont la mauvaise santé économique permet de jouir de subsides extérieurs importants. Ainsi existe, par exemple, le programme « Objectif 1 Hainaut », financé par l'Union Européenne et la Région Wallonne, qui a pour but de soutenir le développement économique de la province. Ce genre d'initiative valorise le niveau local comme un « espace d'action et de gestion qui jouerait un rôle actif dans le développement, comme espace de mobilisation des ressources par rapport à un univers délocalisé de marchés économiques et de décisions politiques »60(*). Mormont montre comment la délocalisation des décisions peut, paradoxalement, renforcer le niveau local en le réinstaurant comme une catégorie qui fait sens. Dans le cas du Hainaut occidental, la région devient un espace d'action car c'est à ce niveau que les subsides sont disponibles - la décentralisation des décisions est ici visible dans le sens où le village ou la commune sont de plus en plus dépendants d'instances décisionnelles lointaines, comme la Région Wallonne et l'Europe, pour se gérer. Ceci implique la coordination des actions à un niveau régional, au-delà des particularismes locaux. Pour apprécier complètement cette dynamique, il faut également prendre en compte le rôle joué par certains hommes politiques locaux, qui insistent sur « le caractère dynamique » du Hainaut occidental et les « nombreuses ressources » qu'il possède, soulignant alors la nécessité pour la région de « se prendre en main autour d'un projet collectif ». Finalement, l'intervention d'instances extérieures permet, d'une première manière, de donner un sens à la catégorie Hainaut occidental. D'autre part, il semble possible d'identifier, en milieu rural, un sentiment d'appartenance à une région plutôt qu'à un village en particulier. Nous l'avons dit, le phénomène de résidentialisation est corollaire d'un nouveau rapport à l'espace rural, qui se vit désormais comme un cadre de vie. Dans ce contexte, le village dans lequel on habite est de moins en moins une entité qui fait sens et tend à devenir un village parmi d'autres. Il semble que dans le Hainaut occidental, cette logique d'appartenance à une région plutôt qu'à un village soit fortement présente. La logique d'installation de nombreux couples dans la région peut se décrire comme suit : les conjoints se décrivent tous deux comme étant « de la campagne », ayant habité dans leur jeunesse dans un village avec leurs parents. Pour eux, l'opposition ville-campagne est une véritable catégorie opératoire, et ils formulent un choix positif d'habiter à la campagne, pour une série de raisons qu'ils sont capables d'expliciter. Bien souvent, ils n'habitent pas le même village que leurs parents mais un village de la région, choisi en fonction de considérations pratiques : la distance avec le lieu de travail et le lieu de scolarité des enfants, et surtout, l'état du marché immobilier au moment de la recherche du logement. Dans la majorité des cas, le couple va s'installer dans le village où il a repéré la maison ou le terrain à bâtir qui lui convenait - l'existence d'un lien préalable avec le village en question ne jouant que peu. Cette dynamique peut se répéter pour les membres d'une même famille, qui vont habiter non plus dans un même village, mais dans une même région, comme le montre cet extrait d'entretien : « Euh, non, je vais dire, j'ai toute ma famille dans un rayon de... de 15 kilomètres quoi. Donc... oui, 15 kilomètres, c'est le plus loin, donc ça, c'est un de mes frères qui habite à Pipaix, j'ai un autre frère qui habite à Allain, mon père est au centre-ville et ma mère est à Havinnes. Donc c'est pas... je veux dire, c'est dans une région très proche. »61(*) Les villages se sont ouverts, avec pour conséquence le passage du village à la région rurale comme entité de sens pour un nombre important de ruraux, comme le montrent Mormont et Mougenot62(*). Cela est d'autant plus vrai en Hainaut occidental où l'espace rural est ramassé : la densité de population y est sans comparaison avec certaines régions rurales françaises ou certaines parties de la province du Luxembourg. Les différents villages de la région sont très proches les uns des autres et fortement peuplés. Si les villages de la région ont été un jour des ensembles fermés et auto-suffisants, ceci est donc loin d'être le cas à l'heure actuelle. La fusion des communes de 1977 a achevé de faire sauter les dernières frontières entre les villages, si bien que le rural du Hainaut occidental contemporain doit se percevoir comme une région, et non pas comme une addition de localités indépendantes. La mobilité à toute épreuve des ruraux y est pour quelque chose : combinée à un réseau routier dense et fonctionnel, elle permet d'affirmer qu'« on n'est jamais loin de rien ». Dans ce contexte, le choix d'un village ou d'un autre pour s'établir n'est pas crucial, puisque l'on peut rapidement rallier en voiture les différents villages de la région. La région rurale devient, in fine, une entité qui fait sens pour un nombre important de ruraux. C'est un espace dans lequel se situent bien souvent famille, amis, travail et activités, et dans lequel on se déplace aisément. Cette dimension du rural en Hainaut occidental ne doit pas être appréhendée d'une manière absolue. D'une part, il ne s'agit que d'une forme d'appartenance parmi d'autres, ne signifiant pas qu'il n'y a pas de ruraux qui se sentent appartenir en priorité à leur village plutôt qu'à une région. D'autre part, il est possible pour un individu de combiner un sentiment d'appartenance à son village et à sa région dans le même temps, à des niveaux différents. * 57 Bodson, op. cit., 1999, p. 17. * 58 Poncin A., Les « nouveaux » habitants de la province du Luxembourg, Louvain-La-Neuve, UCL-BSPO, 2006, pp. 20-27. * 59 Graphique réalisé par nos soins. Les données sont issues du site internet de la commune de Leuze-en-Hainaut, http://www.leuze-en-hainaut.be, consulté le 16/04/07. * 60 Mormont, op. cit., 1989, p. 346. * 61 Entretien réalisé à Ere le 25/05/06. * 62 Mormont, Mougenot, op. cit., pp. 98-102. |
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