RÉPUBLIQUE TOGOLAISE Année
académique 2007 - 2008
UNIVERSITÉ DE LOMÉ Faculté de
Droit (F.D.D.)
Thème :
~~ON)YME PAR LES A TIONNAIRES
LE CONT~~LE DE LA SOCIETE
Mémoire de troisième cycle Pour
l'obtention du Diplôme d'Etudes Approfondies (D.E.A.)
Option : Droit Privé
Fondamental
Présenté et soutenu publiquement par :
Sous la Direction de :
Jacques Derthal ALBAS N° Tel : 00235 66 48
47 66 Email : derthal1@
yahoo.fr
|
M. Akuété Pedro SANTOS Professeur
Agrégé de Droit Privé Doyen de la Faculté de
Droit
Université de Lomé, TOGO
|
DEDICACE
A DIEU, Notre Créateur ; A mon père ;
A ma mère.
REMERCIEMENTS
Plusieurs personnes ont rendu possible la réalisation de
ce mémoire et méritent en conséquence notre
reconnaissance. A cet effet, nous remercions :
+ Le professeur Akuété Pedro SANTOS, Doyen de la
Faculté de droit de l'Université de Lomé qui,
malgré ses multiples charges, a accepté de diriger nos travaux.
Nous vous remercions, Monsieur le Doyen, pour votre rigueur, votre
disponibilité et votre particulière attention pour la
réalisation de ce travail ;
+ Monsieur Akrawati Shamsidine ADJITA qui, sans hésiter, a
mis à notre disposition ses propres documents en vue de parfaire ce
travail ;
+ Madame TSAKADI Awayavi dont les remarques et suggestions
pertinentes en droit des sociétés nous ont permis
d'améliorer la qualité de notre travail ;
+ Toute notre gratitude aux enseignants de l'Université de
N'Djamena, Tchad ;
+ Les membres du jury qui, en dépit de leurs multiples
charges, ont bien voulu porté sur ce travail une appréciation
critique en vue de parfaire la qualité de ce document ;
·. Monsieur KOUMAZAN Gabriel Kwami qui n'a aucunement
hésité à nous ouvrir les portes de son bureau et à
mettre à notre disposition un éventail d'informations en vue de
parfaire ce travail ;
+ Les enseignants de la Faculté de droit de
l'Université de Lomé qui ont, par la qualité de leurs
enseignements, participé à notre formation ;
+ Les enseignants de la Faculté de droit de
l'Université de N'Djamena qui nous ont fait découvrir et aimer le
Droit ; + Notre oncle TABE Eugène pour son soutien moral et
matériel pour l'achèvement de ce travail ;
+ Nos frères et soeurs Franck, Marie-Noëlle, Pamela,
Caroline, Jessica, Hermann, Dillah et Dylan ;
+ Nos camarades de promotion, en particulier Maître NABEDE
Paluki-Mondome et ALASSANE Abdoul Salami Touré ;
+ Tous nos amis, à savoir MAMGODIBAYE Benjamin, MASNAN
Madjiram, NDORADOUM Rogan, MBAIHASRA Eric, KOME Kodé, NGABA
Kamougué, MANCY Nadine, KOUMANKOI Victorien, Noussi Sual YAKOUMA.
+ Tous ceux qui de près ou de loin ont contribué
à la réalisation de ce mémoire.
AVERTISSEMENT
La faculté de droit n'entend donner ni
approbation, ni désapprobation aux opinions émises dans ce
mémoire. Elles doivent être considérées comme
propres à leur auteur.
PRINCIPALES ABREVIATIONS
A .J : actualités jurisprudentielles.
ADAM : association de défense des
actionnaires minoritaires.
Art : article.
AUCE : Acte uniforme portant organisation et
harmonisation des comptabilités des entreprises.
AUSCGIE : Acte uniforme relatif aux
sociétés commerciales et du groupement d'intérêt
économique.
BRVM : Bourse régionale des valeurs
mobilières (Afrique de l'ouest).
CLET : Centre de Librairie et d'Editions
Techniques.
CNTT : Confédération Nationale des
Travailleurs du Togo.
CREDA : centre de recherche sur le droit des
affaires (France).
Ibid : au même endroit d'un texte.
J.-cl.stés : juris-classeur des sociétés.
JCP : semaine juridique.
LGDJ : Librairie
Générale.de Droit et de
Jurisprudence.
LITEC : Librairie de la Cour de cassation.
OHADA : Organisation pour l'Harmonisation en
Afrique du Droit des Affaires
Op. Cit : opus citatum (ouvrage
cité). Rev. soc : revue des sociétés.
RSDA : revue sénégalaise de droit
des affaires.
RTDcom : revue trimestriel de droit
commercial.
SAGA-TOGO : société anonyme de
gérance et d'armements du Togo.
TGI : Tribunal de grande instance.
TIC : technologies de l'information et de la
communication.
TPI : Tribunal de première instance.
INTRODUCTION
« La confiance n'exclut pas le contrôle
». Cet adage populaire peut être appliqué aux
sociétés anonymes (SA)1 dans lesquelles les capitaux
confiés aux dirigeants sociaux par les actionnaires sont
indéniablement exposés aux risques liés à la
gestion. Cette interrogation reflète évidemment les
préoccupations du grand public que celles de la doctrine sur la question
de la bonne gestion de la société anonyme par les
dirigeants2. C'est dans cette logique que s'inscrit le thème
de notre mémoire : « Le contrôle de la
société anonyme par les actionnaires ».
« Merveilleux instrument juridique du capitalisme moderne
»3 selon la formule du doyen RIPERT, la société,
terme venant du latin sociétas ou socius, signifie
compagnon ou associé4. La société peut
être civile ou commerciale. La société anonyme étant
une société commerciale par la forme5, elle est
définie comme étant « une société dans
laquelle les actionnaires ne sont responsables des dettes sociales qu'à
concurrence de leurs apports et dont les droits des actionnaires sont
représentés par des actions. La société anonyme
peut ne comprendre qu'un seul actionnaire »6.
A ce titre, l'actionnaire étant « le pilier de la
société anonyme parce qu'il a contribué par son apport
à constituer le mécanisme juridique perfectionné qui a
été mis en place »7, il est
considéré comme une personne physique ou morale ayant
apporté à la société des espèces ou des
biens nécessaires à son financement8.
Le terme contrôle, de l'ancien français
contrerole, registre tenu en double, vient du verbe contrôler
qui signifie soumettre à un contrôle, à une
vérification minutieuse. Le contrôle est donc une
vérification minutieuse de l'état de quelque chose ou de
quelqu'un, ou une inspection attentive de la régularité d'une
action ou de la validité d'une espèce9.
Le contrôle qui s'exerce sur les organes
d'administration est susceptible de degré. Stricto sensu, le
contrôle des comptes concerne la régularité et la
sincérité des comptes sociaux. Lato sensu, le
contrôle de gestion englobe la régularité, et
l'opportunité économique et commerciale de la gestion.
La notion de contrôle présente en outre deux
acceptions. D'une part, le contrôle évoque l'idée de
domination. Etudier le contrôle de la société, c'est
rechercher entre les mains de quels hommes ou de quel groupe voire de quel
individu est le capital ; c'est aussi rechercher comment éventuellement
il est reparti, par qui et au profit de qui le droit de vote des
assemblées s'exerce ; c'est finalement déterminer qui
détient en droit ou en fait le pouvoir de décision. C'est ainsi
que le
1 Depuis l'Acte uniforme
relatif aux sociétés commerciales et du groupement
d'intérêt économique entré en vigueur le 1er janvier
1998, les sociétés anonymes sont les seules
sociétés de capitaux susceptibles d'être constituées
dans l'espace OHADA.
2 Effectivement, la
problématique de la gestion de la société anonymes par les
dirigeants est considérée comme l'une des clés de voitte
des principes de la corporate governance (gouvernement d'entreprise) et ses
exigences en matière de transparence. La corporate governance consiste
en une meilleure définition des pouvoirs au sein de l'entreprise dans le
but d'améliorer l'efficacité de la gestion de l'entreprise et de
protéger les actionnaires ainsi que les dirigeants. Elle permet une
redistribution des pouvoirs et la reconstruction de l'identité des
autres couches de l'entreprise (salariés...). D'après Jean
TAMALET, il s'agit d'une doctrine qui vise le rééquilibrage du
pouvoir entre l'actionnariat et le management au sein de l'entreprise, http://
www.afic.asso.fr/ Images/ Upload/ Partenariat/ ft
12_corporate_governance_0205.pdf
3 Georges RIPERT, « Les
aspects juridiques du capitalisme moderne », cité par Paul LE
CANNU, Droit des sociétés, Domat, Droit privé,
Montchrestien, Paris, 2002, n° 589, p. 332.
4 Chaput YVES, Droit des
sociétés, PUF, Paris, 1993, p. 18.
5 Voir art. 6 de
l'AUSCGIE.
6 Voir art. 385 de
l'AUSCGIE.
7 Georges RIPERT et
René ROBLOT par M. GERMAIN et L. VOGEL, Traité de droit
commercial, Tome 1, LGDJ, 17eme éd., Paris, 1998, p.
1106.
8 V. en ce sens art. 5 de
l'AUSCGIE.
9 Dictionnaire Le Petit
Larousse Illustré, Editions Larousse 2009, p. 246.
professeur J. PAILLUSSEAU définit le contrôle comme
« la détention d'une majorité de vote dans les
assemblées »10. Ce contrôle a
nécessairement une coloration patrimoniale11.
D'autre part, le contrôle évoque l'idée de
surveillance exercée à l'égard des détenteurs du
pouvoir. Ce contrôle figure parmi les attributions d'un certain nombre
d'organes. Il constitue également l'une des fonctions les plus
fondamentales des actionnaires. Cette dernière acception fera l'objet de
notre étude. Elle concerne la gouvernance de la société
anonyme.
A l'instar de l'Etat, société politique par
excellence, la société anonyme est organisée, en droit
français comme en droit OHADA12, sur le type de la
démocratie libérale où la souveraineté est
exercée par le peuple à savoir l'assemblée13.
Elle est conçue comme une démocratie où les organes sont
« non seulement hiérarchisés ; ils sont aussi strictement
spécialisés en fonction de leur finalité
»14. Le principe de la hiérarchie consacre la
prééminence de l'assemblée sur les autres organes, tandis
que celui de la spécialisation définit les pouvoirs de chaque
organe et empêche qu'un organe supérieur n'empiète sur les
prérogatives d'un autre organe. Cela fait de la société
anonyme une « organisation juridique unique »15.
Les actionnaires sont chargés du contrôle des
affaires sociales car toute activité commerciale engendre des risques.
C'est à la fois la contrepartie de la chance d'un gain et la mesure de
ce gain16. Ce contrôle vise à assainir la gestion
quotidienne des dirigeants et, par conséquent, à protéger
l'intérêt social. Pour parvenir à cette fin, le droit
français et, à sa suite, le droit OHADA qu'il a fortement
inspiré, se caractérise par un mouvement de renforcement du droit
d'information des actionnaires. Ce mouvement se traduit par une diversification
des procédés d'information et par une extension du domaine de
l'information. Subséquemment au renforcement du droit d'être
informé qu'ont les actionnaires, il s'observe dans les deux
systèmes juridiques l'affirmation du droit pour les concernés de
bénéficier d'une information efficace ; affirmation qui se fait
par le biais d'un renforcement du contrôle légal des comptes et de
l'octroi aux actionnaires de la possibilité d'exercer des recours
auprès de certaines autorités.
L'assemblée générale d'actionnaires est
titulaire de presque tous les pouvoirs au sein de la société
anonyme. Elle est ainsi en charge de l'ultime contrôle de la gestion des
affaires sociales. Ce contrôle est exercé par le droit de
participation et de vote17 lors des assemblées. Il s'agit
d'un « droit-fonction »18, pour exprimer l'idée que
l'actionnaire l'exerce dans l'intérêt de la société.
La Chambre civile de la Cour de cassation française, dans un arrêt
resté célèbre19, a pu estimer qu'il s'agit d'
« un
10 Jean PAILLUSSEAU, « La cession de contrôle
et la situation financière de la société
cédée », JCP G 1992, doctr, n° 3578, p. 187 ; voir
aussi art. 174 et 175 de l'AUSCGIE.
11 Yves CHARTIER, « La
gestion et le contrôle des sociétés anonymes dans la
jurisprudence », LITEC, Paris, 1978, p. 287.
12 L'OHADA est
l'Organisation pour l'Harmonisation en Afrique du Droit des Affaires qui
regroupe 16 pays africains et vise a terme l'harmonisation du droit des
affaires. A cet effet, huit (8) actes uniformes ont été
adoptés, entre autres, l'Acte uniforme relatif au droit des
sociétés commerciales et du groupement d'intérêt
économique.
13 Il existe plusieurs
sortes d'assemblées : d'abord, l'assemblée constitutive qui vote
les statuts et la nomination des premiers organes de la société ;
puis, l'assemblée générale ordinaire (AGO) qui approuve ou
désapprouve les comptes de l'exercice, statue sur la répartition
des bénéfices et élit les administrateurs ; ensuite,
l'assemblée générale extraordinaire (AGE) qui se
réunit pour modifier les statuts ; enfin, l'assemblée
générale spéciale (AGS) qui réunit des titulaires
d'actions d'une catégorie déterminée : actions de capital,
de jouissance ou de priorité. Elle est chargée d'approuver ou de
désapprouver les décisions des assemblées
générales modifiant les droits de leurs membres. Elle demeure
indispensable pour la sauvegarde de cette catégorie
d'actionnaires.
14 Jean LEBLOND, « Les
pouvoirs respectifs de l'assemblée générale, du conseil
d'administration, du Président-directeur général, et du
Directeur général adjoint, dans la doctrine institutionnelle
», Gaz. Pal 1957, 1, doctr, p. 29.
15 Jean PAILLISSEAU, « Le droit est aussi une
science d'organisation (et les juristes sont parfois des organisateurs
juridiques)», RTDcom 1989, n° 20, p. 10.
16 Patrick SERLOOTEN, «
De nouvelles structures de l'entreprise », D 1986, Chr, p. 187 cité
par KODOM Molonga, Le contrôle de la société anonyme
unipersonnelle , Mémoire de DESS Droit des Affaires, FDD,
Université de Lomé, 1999, p. 1.
17 V. en ce sens art. 1844 C.
civ qui est le texte général en la matière ; art. 537 de
l'AUSCGIE.
18 Georges RIPERT et
René ROBLOT, ibid., n°1606.
19 Cass. civ. 7 avr.1932 :
D.P 1933, I, p. 153, note P. CORDONNIER cité par Renée KADDOUCH,
« L'irréductible droit de vote de l'associé », Semaine
Juridique, Entreprise et Affaires, Tome I, 2008, n°1549 ; Affaire du
château d'Yquem,
Cass. com. 9
février 1999, JCP E 1999, p. 724 cité par Philippe MERLE, Droit
commercial, Sociétés commerciales, 12eme éd.,
Précis Dalloz, Paris, 2008, n° 306.
attribut essentiel de l'action ; si son exercice peut être
réglementé dans une certaine mesure par les statuts, il ne
saurait en aucun cas être supprimé ». En outre, il s'agit
d'un droit fondamental pénalement sanctionné20.
Le droit à l'information et le droit de participation
et de vote21 sont deux droits fondamentaux de l'actionnaire. Ils ne
peuvent être écartés ni par les dirigeants, ni par une
décision de l'assemblée22. Le droit de l'actionnaire
à l'information était considéré traditionnellement
comme un moyen d'éclairer le droit de vote de l'actionnaire.
Aujourd'hui, ces deux droits sont dissociés, puisque les actionnaires
porteurs d'actions à dividende prioritaire sans droit de vote et les
porteurs de certificats d'investissement possèdent le même droit
à l'information que les autres pour la défense de leurs
intérêts pécuniaires. Ces prérogatives reconnues aux
actionnaires représentent, pour la plupart du temps, de
véritables forces de dissuasion ou une source de contre-pouvoir aux
mains des actionnaires non dirigeants aussi bien en droit français que
dans l'espace OHADA. Elles permettent aux actionnaires de s'exprimer sur la
gestion sociale et favorisent le contrôle de la gestion et des comptes
sociaux.
Mais, cette vision des actionnaires maîtres de leur
affaire ne correspond pas à la réalité. En effet, la mise
en oeuvre de ces moyens de contrôle des affaires sociales ne va pas sans
soulever de difficultés. Ces difficultés ne seront pas
énumérées en fonction des mécanismes offerts aux
actionnaires. EIles seront évoquées suivant que les actionnaires
agissent individuellement ou collectivement.
Dans le premier cas, les actionnaires, pris individuellement,
éprouvent d'énormes difficultés lors de la mise en oeuvre
du contrôle de la gestion et des comptes sociaux. En effet, ces
difficultés varient suivant que l'information est quérable ou
portable ou encore selon la mise en oeuvre de certains mécanismes de
contrôle à savoir la procédure d'alerte et l'expertise de
gestion et bien d'autres. Il en est de même lorsque les actionnaires sont
dépourvus de compétences juridiques, comptables et
financières.
Dans le second cas, la collectivité d'actionnaires ne
parvient pas toujours à contrôler la gestion des affaires
sociales. D'ordinaire, cette situation est le résultat de leur
absentéisme et le jeu des pouvoirs en blanc renvoyés aux
dirigeants sociaux, deux phénomènes qui diluent l'effet «
démocratique »23 de la société anonyme.
Cette situation entraîne également son effacement en tant
qu'organe cardinal du contrôle des affaires sociales et une confiscation
de ses pouvoirs par la direction. En outre, cet état des lieux
découle aussi de leur passivité grandissante, leur
indifférence chronique à l'égard de l'activité
sociale, de la faible fréquence de la tenue des réunions et du
simulacre de contrôle dans les sociétés
familiales24.
Tous ces maux constituent un frein à la mise en oeuvre
de ce droit d'inspection25. Ils entraînent également de
risques sérieux aussi bien à l'égard de la
société qu'à l'égard des dirigeants sociaux.
D'abord, à l'égard de la société, la mise en oeuvre
du contrôle peut ternir son image et engendrer un découragement de
ses différents partenaires. Bien plus, elle peut faciliter l'immixtion
du juge dans la vie sociale. Ensuite, quant aux dirigeants sociaux, ils courent
le risque d'être révoqués ou de voir leur
responsabilité être engagée en cas de fautes de gestion ou
d'entraves à l'exercice de ce contrôle par les actionnaires.
De ce qui précède, il se dégage les
questions suivantes : les actionnaires peuvent-ils déclencher de
façon égalitaire les mécanismes de contrôle
prévus par le législateur ? De quelle manière peuvent-ils
contrôler de la marche des affaires sociales ? Le contrôle de
l'activité sociale qu'ils exercent ne présente-t-il pas des
difficultés ou des risques ? Dans ce cas, comment amener les
actionnaires à mieux participer à la vie sociale et, par
conséquent, à mieux s'exprimer sur la gestion et les comptes
sociaux ?
20Cf. art. 892 de
l'AUSCGIE.
21 Selon Michel JEANTIN,
il s'agit d des droits intangibles (Droit des sociétés,
Montchrestien, Paris, 1989, n°197, p. 104) ; les professeurs Georges
RIPERT et René ROBLOT considèrent qu'ils s'agit des droits
individuels (par M. GERMAIN et L. VOGEL, Traité de droit
élémentaire, Tome 1, 17e éd., LGDJ, Paris,
1998, n° 1597, p. 1173) ; les professeurs Francois ANOUKAHA,
Paul-Gérard POUGOUE, Abdoullah CISSE, Ndiaw DIOUF, Josette NGUEBOU
TOUKAM estiment que ce sont des droits politiques (Sociétés
commerciales et GIE, Bruylant, Bruxelles, 2002, n° 242, p. 161) ; le
professeur Paul LE CANNU considère que c'est un droit d'intervention de
l'actionnaire dans la structure sociale (Droit des sociétés,
Domat, Droit privé, Montchrestien, Paris, 2002, p. 520).
22 Toutefois, dans certaines
situations, les actionnaires peuvent etre exclus faute de n'avoir pas
libéré leurs actions.
23 Paul LE CANNU, Droit des
sociétés, ibid., p. 334.
24 Philippe MERLE, ibid.,
n° 456.
25 André TUNC, Le
droit américain des sociétés anonymes, Economica, Coll.
Etudes Juridiques Comparatives, Paris, 1985, p. 129.
Autrement dit, le contrôle de la gestion et des comptes
sociaux par les actionnaires, pris individuellement ou collectivement, est-il
efficace ?
En effet, face aux difficultés et risques que le
contrôle fait naître, le législateur de l'OHADA doit
réagir promptement et diligemment. En effet, il n'a eu de cesse de voler
à la rescousse des actionnaires en leur donnant la possibilité de
participer à la gestion sociale au moyen de droits d'information. Pour
atteindre ce but, il a prévu une gamme de mécanismes de
contrôle des affaires sociales26. Aussi, le recours aux moyens
d'ordre technique, financier ou comptable contribue nettement à
renforcer le contrôle de la gestion et des comptes sociaux.
En revanche, pour pallier l'ineffectivité du
contrôle exercé par la collectivité d'actionnaires, le
recours aux moyens reconnus expressément et implicitement par le
législateur s'avère indispensable. A ceux-ci s'ajoutent des
moyens issus de la pratique comme la présence d'une catégorie
particulière d'actionnaires aux assemblées et une politique
d'attraction des actionnaires minoritaires aux assemblées, notamment la
reconnaissance aux minoritaires d'une place au conseil d'administration et la
politique de distribution des dividendes ne sont pas à
écarter.
Ces divers moyens permettent de remédier à
l'inefficacité du régime du contrôle mis en oeuvre par les
minoritaires. A cet effet, M. Yves Bérenger MEUKE affirme que « si
l'on entend encourager l'actionnariat populaire et, par conséquent,
pousser vers la bourse ceux qui n'ont que des moyens modestes et qui seront
nécessairement de petits actionnaires minoritaires, il faut dans la
conjoncture africaine actuelle leur donner une sécurité
»27. Ainsi, le contrôle interne qui était
théorique devient réalité par leur participation active
dans la gestion sociale, ceci afin d'éviter que l'activité de la
société ne périclite suite à certaines fautes de
gestion des dirigeants.
« La société étant le siège
d'une multiplicité d'intérêts parfois divergents qu'il
importe de gérer au mieux pour un fonctionnement meilleur de
l'entreprise »28, il est tout à fait normal que ce
contrôle présente plusieurs intérêts. D'une part, il
permet aux actionnaires de connaître l'état des affaires sociales,
d'apprécier les performances de la société et de jouer
leur rôle essentiel de sentinelle de l'intérêt social.
D'autre part, ce contrôle vise à attirer et à retenir les
éventuels souscripteurs et investisseurs. Il permet en outre
d'éviter une confusion de patrimoines par les dirigeants, de
réajuster les pouvoirs au sein de la société et
d'élargir le droit d'intervention des actionnaires dans la vie
sociale.
Le contrôle de la gestion et des comptes sociaux est un
contrôle dit interne. Il est inclusif et met les actionnaires sur un pied
d'égalité. L'efficacité de ce contrôle varie selon
que les actionnaires agissent individuellement ou collectivement.
Ainsi, convient-il de préciser que dans le cadre de
notre étude, nous examinerons d'une part, le contrôle interne
individuel qui requiert l'intervention d'un seul actionnaire
(Première Partie) et, d'autre part, le contrôle
interne collectif mis en oeuvre par un groupe d'actionnaires
(Deuxième Partie).
PREMIERE PARTIE : LE CONTROLE INTERNE
INDIVIDUEL
L'actionnaire est citoyen de la société qui
représente sa cité29. Ce statut lui confère le
droit d'exercer un contrôle de l'activité sociale. Ce droit lui
permet de participer activement à la vie sociale car on ne peut admettre
qu'il en soit privé. Il s'agit d'un droit irréductible qu'un
statut ou un organe social ne peut restreindre
Le contrôle que l'actionnaire met en oeuvre revêt
plusieurs formes. Il s'exerce de façon générale par le
biais de l'information30 et de divers autres moyens de
contrôle consacrés par le législateur. Ce contrôle
dit contrôle interne individuel ne peut être effectif que si
l'actionnaire est parfaitement informé de la situation de la
société.
26 Ce contrôle se
réalise par le droit de communication, la procédure d'alerte,
l'astreinte et le déclenchement de l'expertise de gestion.
27 Bérenger Yves
MEUKE. B, « L'information des actionnaires minoritaires dans l'OHADA :
réflexion sur l'expertise de gestion » http : //
www.juriscope.org/actu_juridiques/doctrine/OHADA/
Ohada_20.pdf.pp. 1-13
28 Bérenger Yves
MEUKE. B, ibid.
29 Maurice COZIAN, Alain
VIANDIER et Florence DEBOISSY, Droit des sociétés,
17eme éd., LITEC, Paris, 2004, n° 295, p.
143.
Mais, la mise en oeuvre de ce contrôle est souvent
malaisée. EIle est confrontée à de multiples
difficultés (Chapitre Premier) qui entravent
généralement son efficacité. Toutefois, plusieurs
mécanismes légaux et certains moyens d'ordre financier, technique
ou juridique permettent de pallier ces difficultés et d'assurer de point
en point son renforcement (Chapitre Deuxième).
CHAPITRE PREMIER : LE CONTROLE INTERNE INDIVIDUEL : UN
CONTROLE DIFFICILE
Le contrôle interne individuel n'est possible que si
l'actionnaire dispose d'une information claire et précise. Mais tel
n'est pas toujours le cas. En effet, ce contrôle est confronté
à de multiples difficultés liées à l'information
des actionnaires et à certains mécanismes de contrôle qui
mettent à mal sa mise en oeuvre (section I). Toutes ces
difficultés découragent les actionnaires et freinent très
fortement son efficacité. Toutefois, lorsque ce contrôle est
déclenché et qu'il révèle des fautes de gestion des
dirigeants sociaux, il est de nature à engendrer risques aussi bien
à l'égard de la société qu'à l'égard
des dirigeants sociaux (section II).
SECTION I : LA DIFFICILE MISE EN OEUVRE DU CONTROLE
INTERNE INDIVIDUEL
Plusieurs difficultés inhérentes à la
mise en oeuvre de certains mécanismes de contrôle empêchent,
d'une part, les actionnaires de bien contrôler la gestion des affaires
sociales (paragraphe I). D'autre part, des difficultés
liées à la qualité des actionnaires paralysent fortement
ce contrôle (paragraphe II).
Paragraphe I : Les différentes difficultés
du contrôle interne individuel
Les difficultés de contrôle de la
société peuvent résulter de la nature de l'information
(A) ou être liées à la mise en oeuvre des
mécanismes de contrôle prévus par le législateur
(B).
A- L'asymétrie de l'information des actionnaires
L'information est au centre du droit des sociétés.
Il s'agit d'un droit reconnu à l'actionnaire en vertu de l'action qu'il
possède et lui permettant de participer à la marche de la
société. Ce droit est inhérent à sa qualité
d'actionnaire.
Comment l'actionnaire exerce-t-il ce droit à l'information
?
L'actionnaire peut exercer ce droit de deux manières.
Il peut se rendre au siège social pour prendre connaissance des
documents qui sont tenus à sa disposition quinze jours avant la date de
la réunion. Il peut se faire assister par un expert ou un huissier. Il
peut aussi prendre copie de ces documents, sauf l'inventaire31.
C'est le droit de consultation32. De même, tout actionnaire
peut se faire envoyer ces documents et pièces comptables ainsi que les
procès-verbaux des délibérations des décisions
collectives lorsqu'il en fait la demande. Il s'agit du droit de communication.
Mais ce droit à l'information dont dispose l'actionnaire connaît
certaines vicissitudes selon que l'information soit
quérable33 ou portable34.
3° Le vocable
information vient du verbe informer qui dérive lui-même du latin
informere qui signifie instruire. Au sens de la loi, l'information
désigne un renseignement de caractere précis, particulier et
certain. Elle est définie comme un « renseignement
possédé et l'action de le communiquer a autrui (a une personne
déterminée ou au public)». Dans un autre sens, l'information
est un élément de la connaissance que l'on a. C'est aussi
l'action qui consiste a communiquer et l'élément de
connaissance.
31 Il faut noter que l'expression « prendre copie
» s'entend de faRon large et vise la prise de note, les photocopies,
l'utilisation du magnétophone. Ces procédés permettent a
l'actionnaire d'assurer la conservation des renseignements dont il a eu
connaissance. Mais cette expression exclut la faculté d'exiger de la
société la remise d'une copie et l'utilisation de ces
procédés quant a l'inventaire.
32 V. art. 525 et suivants de
l'AUSCGIE qui énumerent de faRon exhaustive la liste des documents que
l'actionnaire peut consulter au siege social.
33 L'information
quérable est celle que l'actionnaire va chercher au siege social ou
selon la formule de M. G. J. VIRASSAMY celle qui « suppose des
investigations dans les affaires de l'entreprise et implique le recours a des
enquêtes et des recherches a la licéité parfois
douteuses » Georges J. VIRASSAMY, « Les limites a l'information sur
les affaires d'une entreprise », RTDcom
D'une part, lorsque l'information est quérable, une
difficulté relative au lieu où l'actionnaire doit aller la
chercher se pose.
L'actionnaire doit-il aller chercher l'information au
siège social ou au lieu de la direction administrative ? Ou encore
l'actionnaire doit-il aller à la fois au siège social et à
la direction administrative ?
En effet, le dépôt des documents en un seul lieu
- au siège social ou à la direction administrative - comporte des
risques limités à condition, toutefois, qu'il ne soit pas de
nature, par la distance géographique entre ces deux lieux, à
interdire pratiquement l'exercice du droit d'information de n'importe quel
actionnaire. En outre, la dualité du lieu de consultation des documents
peut soulever des difficultés lorsque la direction administrative est
géographiquement distincte du siège social. Cela contraint bien
évidemment, la société à les établir en
double exemplaire et entraîne des frais lourds pour celle-ci. De
même, il paraît difficile d'exiger de l'actionnaire qu'il se
transporte fréquemment au siège social pour procéder aux
vérifications des documents lorsque ce siège est situé
dans différents pays. Il n'osera pas se déplacer à cause
des frais inhérents qui seraient plus élevés que les
dividendes qu'il recevra. D'ailleurs, l'actionnaire, dans la plupart des cas,
fait preuve d'une certaine désaffectation à l'égard de la
vie sociale. A cet effet, le professeur A. TUNC écrit que «
l'actionnaire, qui ne va pas à l'assemblée
générale, se dérange encore bien moins pour aller au
siège social »35.
D'autre part, plusieurs difficultés d'information
auxquelles est confronté l'actionnaire naissent du fait que
l'information est portable. En effet, cette information pose quelques
problèmes. D'un côté, le premier problème est
relatif à son imperfection car, l'information peut être quelque
peu imprécise en raison d'erreurs de saisies, d'omissions ou de
contrôles insuffisants. A cet effet, un actionnaire de la
société anonyme de gérance et d'armements du Togo
(SAGA-TOGO) également actionnaire à ECOBANK-TOGO, estime que
« les informations mises à la disposition des actionnaires par ces
deux sociétés ne sont pas toujours sincères. Les erreurs
de calculs des dividendes à servir sont courantes ». De l'autre,
l'une de ses principales difficultés réside dans sa
parcellisation. Elle n'est pas pondérée. Aussi, convient-il de
préciser que l'excès d'information n'est pas à
écarter car elle tue l'information quand l'essentiel est noyé
sous un flot de renseignements sans intérêt. C'est ce que les
médias appellent la désinformation, et la désinformation
juridique est certainement tout aussi redoutable que la désinformation
par voie de presse ou de la télévision36.
D'ailleurs, l'information livrée aux actionnaires est
dispendieuse car elle requiert des moyens financiers. Autrement dit, elle est
synonyme de contrainte et de frais. La doctrine souhaite donc que « les
dividendes ne soient pas trop entamés par les frais d'information
»37 car l'objectif premier d'une société est de
partager des bénéfices et non pas de diffuser l'information. Bien
plus, les dirigeants sont parfois hostiles à l'exercice du droit
à l'information par les actionnaires. Cette attitude peut se justifier
par le fait qu'ils craignent certaines indiscrétions émanant des
concurrents qui achèteraient simplement quelques actions pour se
renseigner à bon compte. L'information met ainsi en conflit
l'intérêt de l'actionnaire censé disposer d'informations
précises pour mieux apprécier la gestion de la
société et celui de la société qui tend à
éviter que les concurrents ne s'emparent d'informations pouvant nuire
à celle-ci. C'est ce qu'a pu observer M. C. BONNET : « Dans le
monde hostile de la concurrence, il importe de pouvoir se situer par rapport
aux autres concurrents et à cette fin, tout renseignement peut
être utilisé pour apprécier la fermeté ou la
faiblesse des positions adverses »38.
B- Les difficultés inhérentes à la mise
en oeuvre des mécanismes de contrôle prévus par le
législateur
La mise en oeuvre de la procédure d'alerte, de l'expertise
de gestion et bien d'autres mesures semble parfois difficile pour certains
actionnaires.
1988, n° 12, p. 189. Quant au professeur A. SAYAG,
c'est l'« information qu'il fallait autrefois aller chercher dans un
registre et notamment au registre du commerce et des sociétés
», Colloque du CREDA, 1er mars 1994, JCP E, 1994, 1, p. 427.
34 L'information portable est
« celle qui fait l'objet d'une publicité obligatoire en divers
lieux accessibles a tous »34. Georges J. VIRASSAMY, article
précité.
35 André TUNC, « L'effacement des organes
légaux de la société », D. 1952, n° 4, p.
74.
36 Colloque du centre de
recherche sur le droit des affaires (CREDA) de la chambre de commerce et
d'industrie, ibid., p. 426.
37 M.D. Gabare-Leibler, La
remise en cause de l'information du public et des actionnaires aux Etats-Unis,
These en droit, Paris, 1,1984 cité par Yves GUYON, ibid., p.
299.
38 C. BONNET, Le secret dans
la vie économique, These, Paris, 1970 cité par G .J. VIRASSIMY,
ibid., p. 184.
D'abord, dans les sociétés anonymes de petite
taille39, les actionnaires, aux termes de l'article 158 de
l'AUSCGIE, peuvent « deux fois par exercice, poser des questions au
président de conseil d'administration, au président-directeur
général ou à l'administrateur général, selon
le cas, sur tout fait de nature à compromettre la continuité de
l'exploitation. La réponse est communiqué au commissaire aux
comptes ». Seulement, ce mécanisme de contrôle qui procure
une grande sécurité aux actionnaires minoritaires se
révèle être insuffisant. En effet, les actionnaires ont la
possibilité de le mettre en oeuvre deux fois par an. Au-delà, ils
ne sont pas recevables. Cette limitation de pouvoirs de contrôle de la
société est curieuse quand on sait que dans certaines
sociétés, il n'existe pas de commissaires aux comptes
chargés d'assurer un contrôle suivi de comptes. A cet effet, le
professeur H-D MODI KOKO BEBEY affirme que « la seule limitation
prévue dans l'exercice du droit d'alerte est relative au nombre de fois
qu'un même associé est autorisé à donner l'alerte au
cours d'un exercice social »40. D'ailleurs, la loi
prévoit que les actionnaires ont la faculté et non le devoir de
déclencher l'alerte. Ce caractère facultatif constitue une limite
au contrôle interne individuel.
Dans les sociétés anonymes de grande taille, c'est
l'inverse de la situation précédente qui se produit. En effet,
« la gestion de la société risquerait d'être
paralysée si tous les actionnaires, qui sont parfois très
nombreux, entendaient exercer ce droit »41.
Ensuite, l'article 159 de l'AUSCGIE dispose qu'« un ou
plusieurs associés représentant au moins le cinquième du
capital social peuvent, soit individuellement, soit en se groupant sous quelque
forme que ce soit, demander au président de la juridiction
compétente du siège social la désignation d'un ou de
plusieurs experts chargés de présenter un rapport sur une ou
plusieurs opérations de gestion ». Seulement, l'accès
à l'information par le truchement de l'expertise de gestion semble
être un réel « parcours semé d'embûches
»42. Plusieurs facteurs militent en ce sens. Parmi ceux-ci, on
peut citer-la liste n'est pas exhaustive- la fraction du capital exigée
pour son déclenchement, le contexte jurisprudentiel43 ou
encore la difficulté de sa mise en oeuvre dans les
sociétés faisant appel public à l'épargne.
Concernant la fraction du capital exigée pour son
déclenchement, il faut remarquer que le seuil de cinq pour cent, sans
doute significatif aux yeux du législateur de l'OHADA, est une condition
impérative. Mais, le juge admet difficilement la demande de
désignation de l'expert44. D'ailleurs, l'expression «
s'il est fait droit »45 de l'article 160 de l'AUSCGIE
témoigne de la rigueur ou de la sévérité de la
recevabilité de la demande de désignation de l'expert. En plus,
il est demandé aux actionnaires d'épuiser les autres moyens
d'information avant de déclencher l'expertise de gestion46.
Cela ne facilite aucunement l'information des actionnaires, donc le
contrôle des affaires sociales. A cet effet, la doctrine française
estime que « le fait d'imposer aux actionnaires une information
préalable auprès des organes sociaux risque d'être un
leurre et d'avoir un effet paralysant »47. En pratique, les
actionnaires étant le plus souvent dirigeants de la
société, on voit mal comment ils pourraient demander une
expertise sur leur propre gestion48.
39 Les petites
sociétés anonymes sont par définition des
sociétés dont les membres se connaissent. Ces membres ne
désirent pas normalement qu'un étranger puisse s'immiscer dans
leurs affaires ; V. André TUNC, Le droit américain des
sociétés anonymes, Economica, Coll. Etudes Juridiques
Comparatives, Paris, 1985, n° 158, p. 311.
5 Henri Désiré MODI KOKO BEBEY, « La
réforme du droit des sociétés commerciales de l'OHADA
», Rev. soc (2) avril- juin 2002, p. 261.
41 Yves GUYON, Droit des Affaires, Tome 1, Droit
Commercial Général et Sociétés, 12eme
éd., Economica, Paris, 2003, p. 298.
42 A. CERATI-GAUTHIER, note
sous
Cass. com. 11
oct. 2005, 6 déc. 2005, 17 janv. 2006 et 14 févr. 2006, RTDcom
2006, p. 570.
43 MBAIHASRA Eric,
L'expertise de gestion dans l'Acte uniforme relatif au droit des
sociétés commerciales et du groupement d'intéret
économique, Mémoire de DEA-Droit Privé Fondamental,
Université de Lomé, FDD, 2007, p. 37.
44 V. en ce sens CA Abidjan,
5e ch., 2 janv. 2001, arret n° 10,
www.ohada.com
(ohadata J-02-113).
45 V. en ce sens Rennes,
22 mai 1973, Gaz. Pal. 1973, 2, 700, note PEISSE dans laquelle la demande de
désignation de l'expert s'est heurtée a un refus de la part du
président du tribunal ou pour un exemple d'un refus confirmé en
appel cité par Jean-Pierre SORTAIS, « Rapport sur l'expertise de
l'article 226 », Gaz- Pal., 2, doctr, p. 28.
46 Claude CHAMPAUD et Didier
DANET, note sous Paris, 14e ch. A, 12 nov. 2003, Dumeylet c/ SA Sté
Dallages Industriels Brunet, n° 6, p. 314.
47 Yves Chartier, JCP 1972,
I, n° 20 cité par Laurence BOY, « Réflexions sur
l'expertise de minorité », D.S 1980, Chr, p. 79, p. 85.
48 Cabinet Gouache, « La
protection des actionnaires minoritaires dans la zone OHADA », p. 3,
http://
www.gouache.fr/dist/gouache/Fichesthematiques/la%20protectionn°%20des%actionnaires%20minoritaires%20
S'agissant du contexte jurisprudentiel, on peut dire que la
jurisprudence en la matière est caractérisée par sa
rareté depuis la mise en oeuvre de l'AUSCGIE49. Cette
situation est due à la psychose qu'ont les actionnaires de voir leurs
demandes être systématiquement rejetées. Cette peur se
justifie aussi par le fait que le juge de l'OHADA s'inspire des
décisions rigoureuses des juridictions françaises pour rendre les
siennes.
Un arrêt de la Chambre commerciale de la Cour de
cassation du 14 février 2006 semble être très
illustratif50. En l'espèce, le sieur Amat, actionnaire
minoritaire de la société anonyme La Hauterive Saint-James, avait
adressé des courriers au président de son conseil
d'administration. Dans ces courriers, celui-ci, dénonçant des
« retards aberrants dans le suivi des factures », avait posé
les questions suivantes : « qui contrôle la comptabilité du
Saint-James ? », « doit-on considérer que notre
société ne peut s'approvisionner qu'auprès de la
société Borechal quels que soient les prix pratiqués par
cette dernière ? »
N'ayant pas obtenu de réponses satisfaisantes, le sieur
Amat avait demandé en justice la désignation d'un expert de
gestion. Il fut débouté aussi bien par le tribunal de commerce
que par la Cour d'appel de Bordeaux. La chambre commerciale de la Cour de
cassation, devant laquelle il s'était pourvu en cassation, avait
approuvé les juges du fond d'avoir rejeté la demande aux motifs
que : « (...) dans les courriers adressés préalablement
à la demande d'expertise, M. Amat n'avait fait que s'interroger de
façon générale sur la politique de gestion de la
société, sans demander de façon précise des
explications sur les actes de gestion clairement identifiés (...)
».
Cet arrêt présente plusieurs enseignements. En
effet, ce refus de faire droit à la demande au seul motif d'une
rédaction imprécise paraît trop sévère,
surtout lorsque les actes pour lesquels l'expertise était
sollicitée apparaissaient (retards importants dans le recouvrement des
créances, relation ambiguë avec une société dont le
dirigeant est également le dirigeant de la société).
Concernant les grandes sociétés, notamment
celles faisant appel public à l'épargne, les titres sont
très largement dispersés dans le public51, le
déclenchement de l'expertise ne s'avère pas facile. A cet effet,
le professeur Y. CHARTIER affirme que« plus la société sera
importante, plus il sera difficile à la minorité de réunir
le pourcentage requis »52. Ce qui explique le peu
d'intérêt manifesté par les actionnaires à
l'égard de cette institution depuis son introduction dans l'espace
OHADA. Toutes ces difficultés montrent combien la tâche du juge
est malaisée dans l'appréciation de la demande en
désignation de l'expert de gestion.
Enfin, avec l'avancée des technologies de l'information
et de la communication, les actionnaires peuvent à distance
contrôler les affaires sociales. Seulement, la mise en oeuvre de ce
systèmes ne sera pas facile car elle nécessite des installations
coûteuses. Aussi, au-delà du fait qu'elles constituent un «
potentiel risque spécifique »53, le risque de piraterie
et de sabotage des locaux de la société n'est pas à
écarter. A cet effet, M. R. GASSIN observe que « la plupart des
grandes découvertes technologiques ont engendré, à
côté des progrès économiques, sociaux et culturels
qui en sont une finalité sociale, des retombées négatives
diverses, parmi lesquelles figure au premier chef la délinquance
»54.
Il faut cependant souligner que l'expertise de gestion engendre
des conséquences à l'égard des actionnaires. En
effet, l'expertise est un acte perturbateur qui devrait demeurer
exceptionnel et ne pas être demandée à la
légère. Elle n'a pas été conçue pour
permettre aux minoritaires de gérer la société ou imposer
leur conception de son administration à ceux qui en ont
49 MBAIHAISRA Eric, ibid.,
p. 38 ; V. notamment quelques rares décisions : CA Abidjan, 25
fév. 2000, NACI SA c/ WIN SARL,
www.juriscope.org
; Cotonou n° 256/ 2000, 17 aotat 2000, Affaire Société
Continentale des Pétroles et d'Investissement, M. Sefou Fagbohoun,
SONACOP, M. Cyr Koty c/ Etat béninois, www.juriscope.org/
50
Cass. com. 14
février 2006, RTDcom 2006, p. 570.
51 Paul LE CANNU, note sous
Trib. Com, Paris,
27 juin 2002, Rev. soc 2002, p. 719 cité par MBAIHASRA Eric,
précité, p. 45.
52 Yves CHARTIER, «
L'expertise de l'article 226 de la loi du 24 juillet 1966 », JCP G 1972,
I, 2506 cité par Laurence BOY, ibid., p. 82.
53 Convention sur la
cybercriminalité, rapport explicatif,
http://
www.conventions.coe , int / treaty / fr / Reports /
html // 185.htm.
54 Raymond GASSIN, « Le
droit pénal de l'informatique », D.S 1986, Chr, p. 35.
la charge55 ; seront également
condamnés, les actionnaires ayant succombé à la tentation
de solliciter cette mesure d'instruction dans l'intention de harceler les
dirigeants en place56.
Toutes ces difficultés entravent considérablement
le contrôle interne individuel. A celles-ci s'ajoutent d'autres
difficultés fortement liées à l'incompétence des
actionnaires.
Paragraphe II : L'incompétence des actionnaires,
un frein au contrôle interne individuel
L'incompétence des actionnaires constitue un obstacle
à l'efficacité du contrôle interne individuel. Elle est
d'ordre juridique d'une part (A) et, d'ordre financier et
comptable (B) d'autre part.
A- L'incompétence juridique des actionnaires
Normalement, tout actionnaire, s'il possède quelques
connaissances juridiques, dispose d'une quantité de renseignements
importants lui permettant de se prononcer en connaissance de cause et de porter
un jugement éclairé sur la gestion de la
société.
Mais cette réalité est purement
théorique. En effet, l'incompétence juridique ne permet pas aux
actionnaires de bien contrôler la gestion et les comptes sociaux car,
très souvent, ceux-ci sont dans l'incapacité ou dans
l'impossibilité de cerner la portée des informations qui leur
sont livrées par la société ou qu'ils vont chercher au
siège social. Ils n'arrivent pas à « jouer le moindre
rôle dans la gestion »57. Cette situation résulte
du fait que le droit semble être une matière
ésotérique, voire hermétique. A cet effet, certains
auteurs prétendent en le caricaturant que « c'est la langue de
Brid'oison »58. Par conséquent, la mise en oeuvre du
contrôle interne individuel est faussée d'avance.
A titre illustratif, dans une espèce rendue par la Cour
d'appel de Paris le 13 octobre 200659, un actionnaire
ultra-minoritaire (il détient une action sur les 75.000 composant le
capital social) demande à bénéficier des dispositions de
l'article L. 225-115 du Code de commerce, lequel prévoit que « tout
actionnaire a le droit, à toute époque, d'obtenir communication
des documents visés à l'article L.225-115 et concernant les trois
derniers exercices, ainsi que les procès-verbaux et feuilles de
présence des assemblées tenues au cours de ces trois derniers
exercices ». L'article 144 du décret du 23 mars 1967 prévoit
par ailleurs que l'actionnaire qui exerce ce droit de consultation peut se
faire assister « d'un expert inscrit sur une des listes établies
par les cours et tribunaux ».
Fort de ce droit de communication, l'actionnaire minoritaire
convient d'un rendez-vous au siège de la société. Il s'y
présente assisté de son avocat. La société met les
documents demandés à la disposition de l'actionnaire mais refuse
que son avocat soit présent lors de la consultation au motif qu'il n'est
pas inscrit sur la liste mentionnée à l'article 144. De sa propre
initiative, l'actionnaire renonce alors à consulter les documents ou
à en prendre copie. Il engage une action en référé
devant le président du tribunal de commerce de Paris qui accueille sa
demande et désigne un mandataire ad hoc. La Cour d'appel
infirme l'ordonnance dans toutes ses dispositions soulignant qu'il n'existe
aucun dommage imminent et que le trouble caractérisant une telle mesure
n'est pas démontré.
Même si cette décision dénote d'un
développement inquiétant de l'activisme des actionnaires
minoritaires et une certaine immixtion du juge dans les affaires d'une
entreprise alors qu'aucune atteinte n'a été portée aux
droits des actionnaires minoritaires, il convient de préciser, par un
raisonnement a contrario, que cet arrêt montre combien les
actionnaires manquent cruellement des connaissances juridiques. Si cet
actionnaire connaissait les dispositions du décret, il n'allait en aucun
cas se présenter au siège social avec un avocat non inscrit sur
la liste de la société.
55 Cotonou, n° 256/
2000, 17 aotit 2000. Ohadata J-06-10,
www.ohada.com;
Abidjan, n°376, 2 mars 2004, ohadata J-04-489,
www.ohada.com.
56
Trib. Com. Paris,
11 mai 2004, JCP E 2004, 1154, Alain VIANDIER : pour la condamnation pour abus
d'un actionnaire minoritaire ayant harcelé les dirigeants par ses
questions.
57 Galbraith cité par
Camille JAUFFRET-SPINOSI, « Assemblée générale
d'actionnaires dans les SA, réalité ou fiction? (Etudes
comparatives) », Etudes offertes a René RODIERE, Dalloz 1981, p.
128.
58 R. Linton, Le style et
l'éloquence judiciaire, éd. Albin Michel, cité par
Jean-Louis BERGEL, Théorie générale du droit, 4eme
éd., Dalloz, Paris, 2004, p. 237.
59 Claude CHAMPAUD et Didier
DANET, note sous Paris, 14e chambre, 13 octobre 2006, RTDcom 2007,
n° 4, p. 375.
Au vrai, dans l'espace OHADA, sans faire preuve
d'euphémisme, la plupart d'actionnaires ne connaissent pas le droit
OHADA. Ils sont souvent laissés à la merci des dirigeants
sociaux. Plusieurs raisons sous-tendent ce phénomène. Parmi
celles-ci, on peut citer le manque de sensibilisation des actionnaires sur les
possibilités qu'offre le droit OHADA et la jeunesse de ce droit. La
preuve en est qu'il n'existe que peu de décisions relatives à
l'application de l'AUSCGIE60. Autrement dit, le droit OHADA est peu
éprouvé. A côté de cette incompétence
juridique figure l'incompétence comptable et financière.
B- L'incompétence financière et comptable des
actionnaires
L'incompétence financière et comptable s'entend
du manque des connaissances dans le domaine financier et comptable. En effet,
les actionnaires éprouvent de sérieuses difficultés en
matière comptable et financière. Très souvent, ils ne
parviennent pas à cerner la portée des informations
financières et comptables qui leur sont livrées par les
dirigeants. Cette incompétence les empêche d'appréhender la
bonne marche des affaires sociales et fragilise le contrôle de
l'activité sociale, car ils ne sont pas toujours nantis d'un
éventail d'outils visant à découvrir les carences ou les
irrégularités de gestion susceptibles de compromettre la survie
de la société. C'est ce que souligne le professeur Y. GUYON
lorsqu'il affirme que les « renseignements communiqués sont
techniques et complexes, donc difficiles à utiliser pour celui qui n'a
pas des connaissances comptables »61 et ajoute encore que
« malgré les progrès d'information, l'actionnaire - on
serait tenté de dire l'actionnaire de base - ne sait pas tout et n'est
pas toujours capable d'apprécier la manière dont la
société est gérée »62.
Ces difficultés sont dues à la complexité
de la comptabilité et des finances, deux matières difficiles
à appréhender pour un actionnaire profane. Ainsi l'actionnaire
n'est pas en mesure de juger par lui-même des résultats obtenus
par la société à travers la lecture des documents sociaux
mis à sa disposition, car il lui faudrait savoir interpréter les
chiffres, connaître les règles de la gestion commerciale,
s'assurer de la réalité des opérations
relatées63.
A titre d'exemple, dans l'espace OHADA, selon un membre du
syndicat des actionnaires de SAGA-TOGO, « la plupart des actionnaires ne
comprennent pas la portée des informations rarement mises à leur
disposition par les dirigeants. Cela entrave considérablement le
contrôle exercé sur la gestion sociale ». En dépit des
difficultés auxquelles sont confrontés les actionnaires dans
l'exercice de leur droit d'inspection, lorsque ce contrôle
révèle des infractions relatives à la gestion sociale, il
peut entraîner de graves risques aussi bien pour la société
que pour les dirigeants sociaux.
SECTION II : LES RISQUES LIES AU CONTROLE INTERNE
INDIVIDUEL
Les risques64 inhérents au contrôle
interne sont des deux ordres : il peut s'agir des risques à
l'égard de la société (Paragraphe
I) ou des risques pouvant mettre en cause les
dirigeants sociaux (Paragraphe II).
Paragraphe I : Les risques du contrôle à
l'égard de la société
La mise en oeuvre du contrôle interne peut affecter le
crédit de la société (A) et
décourager les éventuels souscripteurs de ses titres
(B).
A- L'atteinte au crédit de la société
anonyme
60 Benoit LEBARS et Boris MARTOR, « Management et
financement de la société anonyme de droit OHADA », JCP
2004, n°5, supplément a la Semaine Juridique n° 44, p.
12.
61 Yves GUYON, Droit des Affaires, Tome 1, Droit
Commercial Général et Sociétés, 12eme
éd., Economica, Paris, 2003, p. 298.
62 Yves GUYON, ibid., p.
377.
63 Hervé CHASSERY,
« Les attributions du conseil de surveillance », RTDcom 1976, n°
1, p. 452.
64 Le terme risque est
emprunté de l'italien risco qui veut dire d'origine obscure. Il
désigne un évènement dommageable dont la survenance est
incertaine quant a la réalisation ou a la date de cette
réalisation. Le risque s'entend aussi de la valeur garantie ou objet de
l'assurance (personne ou chose assurée) ou encore est emplo yé
pour caractériser la responsabilité extracontractuelle de
l'administration dans l'hypothèse oil celle-ci est engagée en
dehors d'une faute, l'expression responsabilité pour risque étant
synonyme de responsabilité sans faute. Le risque, c'est en outre un
danger, un inconvénient plus ou moins probable auquel on est
exposé.
En droit des sociétés, il faut entendre par
crédit la « renommée commerciale de la société
qui résulte de la bonne marche de l'entreprise, de l'importance de ses
capitaux et de son chiffre d'affaires »65.
Mais quand peut-on savoir que le crédit de la
société est affecté ?
En effet, lors de l'exercice du contrôle interne par
l'actionnaire, le crédit de la société peut être
considérablement atteint. Cette atteinte du crédit se manifeste
souvent lors de la mise en oeuvre de certains mécanismes de
contrôle de gestion et des comptes sociaux à savoir l'alerte ou
l'expertise de gestion. Le déclenchement de ces mécanismes de
contrôle interne a un élément perturbateur pour la
société. Il est de nature à engendrer des rumeurs de
faillite de la société et à nuire à celle-ci. Il
peut éveiller la conscience de certains partenaires du fait d'une
indiscrétion coupable. A cet effet, le professeur D. VIDAL a
relevé que « la procédure d'alerte a pour effet de provoquer
la perte de confiance dans l'entreprise de la part de ses partenaires
commerciaux et financiers »66 . Il s'agit ainsi d'un
contrôle avancé qui peut attiser les soupçons d'une
probable faillite de la société lors des investigations et
compromettre ainsi son crédit.
De même, le déclenchement de l'expertise de
gestion peut affecter le crédit de la société surtout
lorsque celle-ci est cotée en Bourse. Ainsi en est-il des demandes
intempestives émanant des actionnaires qui peuvent entraîner une
dépréciation de ses titres sur le marché boursier.
Il convient de souligner que l'expertise de gestion comporte
également des dangers pour les actionnaires. En effet, la
réussite de la demande est donc hasardeuse, et les minoritaires
impulsifs doivent se méfier, car certains ont été
condamnés pour abus d'action en justice67. Ce qui conduit la
doctrine à admettre parfois la phase préalable pour éviter
ce risque68. De plus, elle entraîne une certaine
juridicisation ou immixtion du juge dans les affaires sociales. Toutefois,
suite à la mise en oeuvre du contrôle, la société ne
court pas seulement le risque de voir son crédit être
affecté. Cela peut aussi décourager ses éventuels
partenaires ou souscripteurs.
B- Le découragement des éventuels
souscripteurs des titres de la société.
Le souscripteur est une personne qui prend part à une
souscription. Le vocable souscription vient du verbe souscrire qui
dérive du latin subscribere et signifie s'engager à
contribuer financièrement à quelque chose, à prendre sa
part à une dépense commune.
Le terme souscription vient du latin subscriptio qui
signifie un « acte juridique de nature controversée par laquelle
une personne s'engage à faire partie d'une société par
actions en apportant une somme en principe égale au montant nominal de
son titre »69. La souscription est une opération
indispensable pour la société, surtout lorsque son
activité périclite. Elle constitue un nouveau souffle pour la
société car elle lui permet de bénéficier d'une
perfusion financière ou d'un apport en nature.
Les premiers souscripteurs des titres de la
société sont les actionnaires. Ceux-ci bénéficient
d'un droit préférentiel de souscription qui leur est reconnu par
la loi70. A ceux-ci s'ajoutent les créanciers sociaux ou
certains investisseurs. Ces souscripteurs sont en principe les premiers
partenaires capables de voler à la rescousse de la société
lorsqu'elle est confrontée à des difficultés d'ordre
économique ou financier. Or, si le crédit de la
société est atteint, cela pourrait créer un mouvement de
panique chez les souscripteurs qui ne vont en aucun cas souscrire à une
augmentation du capital social, le cas échéant, bien que la
société se trouve vraiment dans le besoin. Ils seront
assurément découragés et ne feront pas de gestes
salvateurs à l'égard de cette dernière.
65 Jacques MESTRE et
Christine SEBASTIEN-BLANCHARD, Lamy Sociétés Commerciales,
éd. Lamy SA, Paris, 2001, p. 306.
66 Dominique VIDAL, Manuel
droit des sociétés, 5eme éd., LGDJ, Paris, 2006, p.
359.
67 Paul LE CANNU, Droit des
sociétés, Domat, Droit privé, Montchrestien, Paris, 2002,
p. 531.
68 Paul LE CANNU, ibid., p.
531.
69 Raymond GUILLIEN et Jean
VINCENT, Lexique des termes juridiques, 16eme éd., Dalloz,
Paris, 2007, p. 615.
70 C'est ce qui ressort de
l'article 573 al 2 de l'AUSCGIE aux termes duquel « les actionnaires ont,
proportionnellement au montant de leurs actions, un droit
préférentiel a la souscription des actions de numéraire
émises pour réaliser une augmentation de capital. Ce droit est
irréductible ».
Plusieurs raisons sous-tendent de façon remarquable
cette réaction, excepté la mise en cause du crédit de la
société. Il peut s'agir, entre autres, du fait que la plupart des
sociétés qui rencontrent des sérieuses difficultés
tant économiques que financières sont soumises aux
procédures collectives. A cet effet, le professeur F. M. SAWADOGO a
indiqué que « des entreprises en difficultés, on en trouve
un peu partout en Afrique ; des entreprises en difficultés qui se
redressent, on en cherche »71. Par conséquent, si une
société rencontre de sérieuses difficultés
économiques et financières, il est rare qu'elle recouvre sa
santé puisque, à la longue, il ne restera que sa
dépouille. Cette situation n'est pas de nature à encourager les
souscripteurs qui sont a priori les actionnaires, les
créanciers sociaux ou les tiers.
Cependant, en dehors des risques qui peuvent affecter la
société, il faut souligner que les dirigeants sociaux ne sont pas
non plus épargnés. Ils courent comme la société de
graves risques.
Paragraphe II : Les risques du contrôle à
l'égard des dirigeants sociaux
Plusieurs risques pèsent sur les dirigeants sociaux lors
de la mise en oeuvre du contrôle interne. Ils peuvent être
révoqués (A) ou voir leur responsabilité
être engagée par les actionnaires (B).
A- La révocation des dirigeants sociaux
La révocation72 des dirigeants est
prévue par l'AUSCGIE73. Elle nourrit un abondant
contentieux74. En effet, considérée comme une
séquelle de l'analyse qui voyait dans leurs fonctions un
mandat75, la révocation des dirigeants relève de la
compétence de l'assemblée d'actionnaires. La Cour d'appel
d'Abidjan a récemment rappelé à ce sujet et
conformément aux articles 546 et 551 de l'AUSCGIE que « l'organe
compétent pour révoquer le président directeur
général et son équipe dirigeante est l'assemblée
générale (...) »76. Cette révocation
ad nutum selon la formule latine qui veut dire « au moindre signe
de la tête » reste d'ordre public77. La révocation
est le résultat de la mise en oeuvre du contrôle de la gestion et
des comptes sociaux, sanction à l'égard des dirigeants
sociaux.
La révocation ad nutum peut être
prononcée à tout moment par la décision souveraine d'une
seule personne ou de l'organisme habilité à cet effet. Seuls les
dirigeants sociaux peuvent être révoqués à tout
moment par décision de l'assemblée d'actionnaires. Cette
révocation est possible même si elle n'a pas été
inscrite à l'ordre du jour78, cela en vertu de la
théorie des incidences79. A cet effet, le tribunal
régional hors classe de Dakar a ainsi décidé qu' «
(...) il n'est non plus utile de fixer dans l'ordre du jour le point sur la
révocation du gérant, ce dernier peut être discuté
dans les questions diverses »80. Cette
71 Paraphrase d'une
formule celèbre au Burkina-Faso relative aux chercheurs (Des chercheurs
qui cherchent, on en trouve ; des chercheurs qui trouvent, on en cherche) cite
par Michel Filiga SAWADOGO in « commentaires de l'Acte uniforme portant
procedures collectives » in Traite et Actes uniformes commentes et
annotes, p. 811.
72 Le vocable revocation
vient du verbe latin revocare qui signifie rappeler. Il designe le fait, pour
une personne, de retirer les pouvoirs accordes a une autre.
73 Il s'agit de la revocation
de l'administrateur a l'article 433 al.2 ; du PDG a l'article 469; du DG a
l'article 492 ; de l'administrateur general a l'article 509 et de
l'administrateur general adjoint a l'article 515 de l'AUSCGIE.
74 Sur la question voir en
ce sens CA Paris, (3e Ch. Sect. A) 4 avr. 2006, Rev. soc juill-sept. 2006, p.
667 ; L. GODON, note sous CA Versailles, 5 juin 2003, Rev. soc 2004, p. 108 ;
CA Paris, 21 nov. 1991, Sonatra c/ Bon : JCP 1992, ed. E, I, 145, n° 8,
Obs. A. VIANDIER et J. J. CAUSSAIN ; CA Abidjan, arrêt n° 1247 du 28
nov. 2003,
www.ohada.com
(ohadata J-03-347).
75 Paul LE CANNU, op.cit, p.
386.
76 CA Abidjan, 23 oct. 2003, arrêt n° 1161.
Ste ASH Internationale c/ Maurice Kacou ;
www.ohada.com
(ohadata J-03-317).
77 Dans un vieil
arrêt du 30 avril 1878, la chambre civile de la Cour de cassation a
precise que la revocation ad nutum est « une règle d'ordre public a
laquelle il n'est pas permis de deroger, notamment par des clauses qui, en
enlevant a la societe le droit absolu de revoquer ses mandataires,
confèreraient aux tribunaux le pouvoir de contrôler les causes de
revocation et d'allouer des dommages-interêts au mandataire revoque, a
leur estime, sans motifs legitimes», D.P 1878, 1, 314 ; V. notamment Cass.
civ. 9 janv. 1964, D. 1964, p. 519.
78 V. art. 522 al 2 de
l'AUSCGIE.
79 Il s'agit de la theorie
selon laquelle les actionnaires decident au cours d'une assemblee de demettre
le dirigeant quand bien même cette resolution n'aurait pas ete inscrite a
l'ordre du jour.
80 Trib. reg. hors classe de
Dakar, jugement n° 327 du 19 fevr. 2003, Pèdre DIOP c/ Oumar SECK
et BAG SARL ;
www.ohada.com
(ohadata. J-03-180).
situation est aussi transposable dans les
sociétés anonymes. Elle concerne tout dirigeant81. Les
conventions qui lui portent atteinte sont formellement interdites. Il en est
ainsi de l'interdiction d'une clause subordonnant la révocation du
directeur général à l'attribution d'une fonction
salariée au sein de la société82.
En principe, aucune motivation ni indemnité n'est
exigée et due à l'administrateur lors de cette révocation.
Mais cette règle est protégée aujourd'hui par le principe
du contradictoire qui atténue sa brutalité. Ce principe signifie
que soient respectés les droits de la défense. Dans un
arrêt rendu le 3 janvier 1996, la Cour de cassation française
affirme solennellement que « la révocation d'un directeur
général peut intervenir à tout moment et n'est abusive que
si elle a été accompagnée de circonstances ou a
été prise dans des conditions qui portent atteinte à la
réputation ou à l'honneur du dirigeant révoqué ou
si elle a été décidée brutalement sans respecter le
principe de la contradiction »83. Ce principe signifie que le
dirigeant puisse préparer sa défense et présenter ses
observations. Il doit, par conséquent, être informé du
projet de révocation et invité à se justifier. Certes, la
mesure de ce droit reste à préciser : suffit-il qu'il soit
informé de la volonté des actionnaires de le révoquer ou
faut-il également lui communiquer les griefs ?
La doctrine84 estime que l'évolution de la
jurisprudence devrait logiquement conduire la Cour de cassation à
consacrer cette obligation, qui seule semble correspondre à la
philosophie du contradictoire. Si la révocation s'est
réalisée dans les circonstances portant atteinte à
l'honneur ou à la réputation des dirigeants sociaux ou encore si
elle est entourée des circonstances injurieuses et vexatoires et sans
possibilité de défense pour l'administrateur
révoqué85, la théorie de l'abus de
droit86 justifie la réparation du préjudice subi par
le dirigeant ainsi « traîné dans la boue
»87.
En droit OHADA, il n'existe aucune décision en la
matière. C'est pourquoi, la doctrine estime qu'il convient de ne pas
s'empresser pour appliquer de facto le principe du contradictoire en
cas de révocation ad nutum. La vigilance s'impose en la
matière afin d'apprécier les évolutions convergentes ou
divergentes du droit uniforme au regard des pratiques constatées en
droit français88. Par surcroît, il faut remarquer que
la plupart des dispositions de l'AUSCGIE sont d'ordre public. Toutefois, le
principe du contradictoire étant un principe général de
droit, il sied de le respecter.
Mais la révocabilité n'est pas le seul risque
auquel sont exposés les dirigeants sociaux. Ceux-ci peuvent voir leur
responsabilité être engagée lors de ce contrôle.
B- La mise en jeu de la responsabilité des
dirigeants sociaux
Janus à deux têtes, la
responsabilité89 des dirigeants de droit ou de
fait90 peut être engagée lors du contrôle
interne, soit sur le plan civil, soit sur le plan pénal.
81C'est-a-dire toute personne
physique ou morale qui assure la direction ou l'administration totale ou
partielle, de droit ou de fait de la société.
82 Soc, 4 janvier 1974,
RTDcom 1975, p. 114, obs. R. HOUIN.
83
Cass.com, 3
janvier 1996, n° 94-10.765 ;
Cass. com. 26
avril 1994, Pesnelle c/société Autoliv Klippan cité par
Paul LE CANNU, ibid., p. 441.
84 Alain LIENHARD, note sous
Cass. com. 10 mai
2006, D 2006, Tome 2, p. 1533.
85 Claude CHAMPAUD et
Didier DANET, note sous Paris, 25e ch., 7 juill. 2006 ;
3e ch. B, 13 oct. 2006 ; 3e ch. B, 6 juill. 2006, RTDcom
2007, n°8 ; V. en ce sens Roger HOUIN, note sous
Cass. com. 21
juillet 1969, RTDcom 1970, p. 534, n° 8 ;
Cass. com. 15 mai
2007, D 2007, A J, p. 1511, .Alain LIENHARD.
86
Cass. com. 27
mars 1990, JCP 1990. II. 21537, note Yves GUYON.
87 Maurice COZIAN et alii,
Droit des sociétés, 17eme éd., LITEC, Paris,
2004, n° 450, p. 214.
88 Benoit LEBARS et Boris
MARTOR, « Management et financement de la société anonyme de
droit OHADA », JCP 2004, n°5, supplément a la Semaine
Juridique n°44, p. 14.
89 La
responsabilité est une obligation de répondre d'un dommage devant
la justice et d'en assurer les conséquences civiles, pénales,
disciplinaires etc. En matière civile, il s'agit de toute obligation,
pour l'auteur d'un dommage causé a autrui, de le réparer. En
matière pénale, c'est l'obligation de répondre des
infractions commises et de subir la peine prévue par le texte qui le
réprime.
90 Comme les dirigeants de droit, la jurisprudence
retient la responsabilité pénale des dirigeants de fait,
c'est-à-dire, des « personnes qui, sans titre, exercent sans
entrave et sans indépendance une activité positive de direction
des affaires sociales », Jacques MESTRE et Christine SEBASTIEN-BLANCHARD,
ibid., n° 595.
Sur le plan civil91, les dirigeants sociaux sont
responsables, individuellement ou solidairement des infractions, commises
envers les actionnaires ou les tiers, soit des infractions aux dispositions
législatives ou règlementaires, soit des violations des statuts,
soit des fautes commises dans leur gestion. Cette responsabilité est de
nature contractuelle envers les actionnaires et la société et, de
nature délictuelle envers les tiers. Pour que cette
responsabilité soit mise en jeu, trois conditions doivent être
réunies à savoir une faute, un dommage et un lien de
causalité.
Les dirigeants sociaux ne peuvent être
déclarés responsables que sur la base d'une faute prouvée.
Cette faute n'a pas à être dolosive ou lourde. On distingue
plusieurs fautes : lors de la constitution de la société, de la
cessation des fonctions, indépendamment de la gestion des dirigeants ou
dans le cadre de la gestion de la société. Dans ce dernier cas,
la faute réside dans la violation des lois et règlements. Il peut
s'agir de la méconnaissance des exigences légales d'information
concernant des actionnaires92, de la négligence des affaires
sociales, du défaut de surveillance du personnel, du
désintérêt pour la gestion ou le fait de concurrencer la
société dirigée.
Ensuite, il faut un dommage direct, certain et personnel, pour
que la responsabilité civile des dirigeants soit retenue. Enfin, la
responsabilité civile des dirigeants est subordonnée à la
constatation par les juges que le préjudice subi par les actionnaires ou
la société trouve sa source dans la faute du dirigeant
poursuivi.
Les actionnaires, qui ont subi un dommage personnel, peuvent
engager la responsabilité individuelle ou collective des dirigeants. Il
s'agit de l'action individuelle93. Lorsqu'ils se substituent aux
organes sociaux défaillants, ils exercent l'action sociale ut
singuli94. Toutefois, il faut souligner que les actionnaires ne
sont guère enclins à exercer l'action sociale ut singuli
car ils n'en tireront aucun avantage financier personnel, mais seulement la
satisfaction d'avoir oeuvré pour le bien commun de la
société et de ses associés95. Lorsque la
société agit parce qu'elle a subi personnellement un
préjudice dû à la faute du dirigeant, elle exerce l'action
sociale96. Cette action est, lorsqu'elle est intentée, de la
compétence des tribunaux de commerce dans le silence de la loi. Le
dirigeant coupable sera condamné à des
dommages-intérêts. Il faut aussi noter que le délai de
prescription de ces deux actions est de trois (3) ans à compter du fait
dommageable ou, s'il a été dissimulé, de sa
révélation97. Cette prescription est de dix (10) ans
pour les crimes98. La loi prévoit que les frais et honoraires
de cette action sont à la charge de la
société99.
Sur le plan pénal, la responsabilité des
dirigeants est engagée en cas d'infractions susceptibles d'être
commises personnellement. Il s'agit d'infractions à la
réglementation spéciale liée à l'activité
propre de l'entreprise ou celles applicables à toute entreprise. Ainsi,
en est-il de la présentation de bilans falsifiés pour obtenir des
avances ou des prêts100, du délit d'abus de confiance,
de la remise de fausses listes d'actionnaires101 ou de la
publication des états financiers de synthèse ne donnant pas une
image fidèle de la situation financière ou patrimoniale de la
société102. Il en est de même des infractions
relatives à l'émission des valeurs
mobilières103 qu'à la négociation
d'actions104.
D'ailleurs, pour mieux lutter contre les comportements
susceptibles de nuire gravement à l'essor des activités de
l'entreprise, le législateur a consacré plusieurs articles
à la banqueroute et aux infractions assimilées105. La
possibilité pour les actionnaires de déclencher les poursuites
judiciaires constitue un moyen supplémentaire de contrôle de la
gestion sociale.
91 L'article 1850 C. civ. est le texte general relatif a
la responsabilité civile du dirigeant.
92
Cass. com. 17 mai
1965, n° 63-12347 cite par Jacques MESTRE et Christine
SEBASTIEN-BLANCHARD, Lamy Sociétés Commerciales, ed. Lamy SA,
Paris, 2001, n° 639, p. 284.
93 V. art.162 de
l'AUSCGIE.
94 V. art.167 de
l'AUSCGIE.
95 Maurice COZIAN et alii,
Droit des sociétés, 17eme ed., LITEC, Paris, 2004, p.
127.
96 V. art.166 de
l'AUSCGIE.
97 V. art.164 al 2 et 170 de l'AUSCGIE.
98 V. art. 164 in fine et 170
in fine de l'AUSCGIE.
99 V. art. 171 de
l'AUSCGIE.
100 Cass. crim. 14 décembre 1981, n°
81-91.106.
101 V. art. 887 de l'AUSCGIE.
102 V. art. 890 de l'AUSCGIE.
103 V. art. 886 de l'AUSCGIE.
104 V. art. 888 de l'AUSCGIE.
105 V. art. 226 a 246 de l'AUSCGIE. A cet effet,
l'article 313 du Code penal tchadien punit les banqueroutiers frauduleux d'un
emprisonnement de cinq(5) a dix (10) ans et les banqueroutiers simples d'un
emprisonnement d'un mois a deux ans.
Seulement, la lenteur et les coûts de la justice sont de
nature à fragiliser les droits des actionnaires. De plus, la plupart des
actionnaires préfèrent avoir en main une action, une valeur
mobilière qu'une action en responsabilité.
Cependant, même si la mise en oeuvre du contrôle
interne individuel paraît difficile pour les actionnaires et engendre de
nombreux risques aussi bien à l'égard de la société
que des dirigeants sociaux, plusieurs moyens de divers ordres permettent
d'accroître de point en point son renforcement.
CHAPITRE DEUXIEME : LE CONTROLE INTERNE INDIVIDUEL : UN
CONTROLE RENFORCE
Actuellement, on assiste à une nette avancée du
rôle des actionnaires dans la vie sociale car, le contrôle interne
qu'ils exercent sur la gestion sociale est renforcé par de
mécanismes nouveaux leur permettant d'assainir et de rationaliser la
gestion et les comptes sociaux. Il s'agit de la procédure d'alerte qui
présente une utilité considérable, de l'astreinte et de
l'expertise de gestion (Section I). A côté de ces
mécanismes figurent d'autres moyens d'ordre comptable, juridique ou
technique (Section II) visant à garantir de
façon notable l'exercice de ce contrôle.
SECTION I : LE RENFORCEMENT DU CONTROLE INTERNE
INDIVIDUEL PAR DES NOUVEAUX MECANISMES
Plusieurs mécanismes prévus par le
législateur de l'OHADA contribuent au renforcement du contrôle
interne individuel. Cette évolution est liée à ce qu'un
auteur a appelé « un droit élargi d'apprendre
»106. Il se manifeste principalement par le
déclenchement de la procédure d'alerte qui est d'une
utilité notable (Paragraphe I) et d'autres moyens de
contrôle comme l'astreinte et l'expertise de gestion (Paragraphe
II).
Paragraphe I : La procédure d'alerte, gage d'un
contrôle interne renforcé
La procédure d'alerte est un outil indispensable de
contrôle et d'information aux mains des actionnaires. Pour des raisons
d'ordre pratique (B), il constitue un moyen renforcé de
contrôle (A).
A- La procédure d'alerte, un mécanisme
renforcé de contrôle
L'institution de l'alerte constitue une innovation majeure en
droit OHADA. Elle est prévue par les articles 150 et suivants de
l'AUSCGIE. Ce mécanisme de « signes et de clignotants »
constitue une des prérogatives des actionnaires relevant de la gestion
normale de la société.
Ainsi que doit-on entendre par procédure d'alerte ? En
quoi constitue-t-elle un mécanisme renforcé de contrôle
?
« Le terme d'alerte, selon le professeur Y. CHAPUT, est bien
choisi. Ce n'est pas encore le temps des alarmes ou même des conflits. Il
ne s'agit que de prévenir les dirigeants des écueils
prévisibles... »107.
La procédure d'alerte consiste à
découvrir les indices de difficultés afin d'organiser rapidement
et discrètement une résistance efficace108. Pour le
professeur Y. CHARTIER, la procédure d'alerte « a pour objet
d'attirer l'attention de ses destinataires sur le sérieux, voire sur la
gravité de la situation »109. Cette tâche de
dépistage des difficultés et leur révélation aux
instances dirigeantes sont confiées aux actionnaires. Selon les
professeurs M. JEANTIN et P. LECANNU, « le droit d'alerte vise ainsi
106 Jacques MESTRE, in Manuel de droit commercial, cite
par Y. CHARTIER, Droit des affaires, 3/ Entreprises en difficulté,
Prevention- Redressement- Liquidation, PUF, Paris, 1989, p. 73.
107 Yves CHAPUT, Droit de la prévention et du
reglement des difficultés des entreprises, PUF, 1986, n° 40 cite
par Filiga Michel SAWADOGO, Droit des entreprises en difficultés,
Bruylant, Bruxelles, 2002, n° 40, p. 36.
108 Yves GUYON,Droit des
affaires, Tome 2, Entreprises en difficultés- Redressement judiciaire-
Faillite, 9eme éd., Economica, Paris, 2003, n° 1044, p.
51.
109 Yves CHARTIER, Droit des
affaires, 3/ Entreprises en difficultés,
Prevention-Redressement-Liquidation, PUF, Paris, 1989, p. 83.
à provoquer une discussion interne à
l'entreprise, dont l'objet sera à la fois de prendre la mesure la plus
exacte possible des difficultés rencontrées ou sur le point de
survenir, de proposer à la suite de cette discussion les solutions les
plus appropriées à résoudre ces difficultés
»110 ; pour le professeur M. COZIAN, « l'alerte permet la
détection des premiers signes de faiblesse et l'activation d'une
défense immunitaire »111.
La procédure d'alerte est un moyen de contrôle et
d'information aux mains des actionnaires. Sa consécration dans l'espace
OHADA vise à prévenir les difficultés des entreprises et
vient matérialiser dans le nouveau paysage juridique africain la
naissance d'un véritable droit d'information des actionnaires. Aucune
condition relative à la détention d'une fraction du capital n'est
requise pour sa mise en oeuvre. Son déclenchement est subordonné
à l'existence de tout fait de nature à compromettre la
"continuité de l'exploitation". Cette expression s'inspire
clairement du droit comptable qui exige que la société
établisse ses comptes dans une optique de continuité de son
activité prévisionnelle.
La continuité de l'exploitation demeure un
critère fondamental auquel les actionnaires doivent se
référer pour déclencher l'alerte. Cette notion est
principalement fondée sur la situation financière de l'entreprise
et sur les faits objectifs pouvant survenir dans un avenir prévisible.
Parmi les faits de nature à compromettre la continuité de
l'exploitation, peuvent être retenus les faits relatifs aux
activités de la société comme les conflits sociaux ou les
transactions à des conditions anormales. Il peut s'agir en outre de
faits concernant la structure financière à savoir une
insuffisance des moyens de financement ou la perte de la moitié du
capital112.
Les actionnaires doivent en effet bénéficier des
informations précises sur l'entreprise, seul moyen permettant de
contrôler l'activité sociale. L'efficacité de ce
mécanisme relevant de la gestion normale dépend du moment de son
déclenchement, car plutôt l'alerte est donnée, plus grande
est la chance de guérison de la société113.
Cela permet de se préparer à temps pour affronter les
difficultés de la société car, ne dit-on pas, selon un
adage populaire que "mieux vaut prévenir que guérir".
Par ailleurs, il a été observé que si un
fait grave nouveau intervient, il ne leur est pas imposé de se taire.
Mais ils informeront les dirigeants en dehors du mécanisme
légal114. Associés à la marche de l'entreprise
et détenteurs d'information dont la divulgation risque de nuire à
la collectivité à laquelle ils appartiennent, les actionnaires
doivent faire preuve d'un minimum de discrétion et de secret pour
éviter tout risque pouvant affecter le crédit de la
société et susciter une crainte souvent raisonnée chez les
souscripteurs. Cette arme renforcée d'information et de contrôle
constitue une véritable force de dissuasion aux mains des actionnaires.
Il présente en outre une utilité pratique considérable.
B- L'utilité pratique de la procédure
d'alerte
La procédure d'alerte est un moyen renforcé
d'information et de contrôle de la gestion sociale aux mains des
actionnaires. Il présente une utilité remarquable tant pour la
société et que pour les actionnaires.
D'abord, la mise en oeuvre de la procédure d'alerte est
utile pour la société. Elle permet d'éviter les questions
orales fastidieuses qui peuvent être posées par les actionnaires
aux dirigeants sociaux. Ces questions écrites visent aussi à
éviter que les actionnaires abondent dans les couloirs de la
société. Cela constituerait un obstacle au fonctionnement normal
de la société. C'est pourquoi certains auteurs estiment qu'il est
souhaitable que la société désigne un responsable
chargé de l'accueil des actionnaires qui ont des informations à
demander ou des observations à formuler115.
Ensuite, l'alerte consacre une égalité manifeste
entre les actionnaires car la détention d'une fraction du capital n'est
pas exigée pour sa mise en oeuvre116. Elle permet
d'éviter que les dirigeants ne donnent des réponses ambigües
aux actionnaires par le truchement des questions orales. Autrement dit, les
actionnaires peuvent obtenir par ces questions écrites des
réponses
110 Michel JEANTIN et Paul LE
CANNU, Droit commercial, Instruments de paiement et de crédit,
Entreprises en di~ficulté, Précis Dalloz, 5eme
éd., Paris, 1999, n° 444, p. 286.
111 Maurice COZIAN et alii,
Droit des sociétés, 16eme éd., LITEC, Paris, 2003, p.
159.
112 V. art. 371 ou 664 de
l'AUSCGIE.
113 Maurice COZIAN et alii,
ibid., p. 159.
114 Yves CHAPUT, ouvrage
précité, n°40 cité par Filiga Michel SAWADOGO, ibid.,
n° 41.
115 Yves GUYON, Droit des
Affaires, Tome 1, Droit Commercial Général et
Sociétés, 12eme éd., Economica, Paris, 2003, n° 299,
p. 303.
116 Voir art. 158 de
l'AUSCGIE.
plus complètes que par le jeu des questions orales
posées en cours d'assemblées117. « Ce droit
à la curiosité, selon certains auteurs, est crucial pour les
nouveaux actionnaires, anxieux de mieux connaître le navire sur lequel
ils ont embarqué ainsi que son équipage »118.
Encore faut-il que les actionnaires posent ces questions avec exactitude,
c'est-à-dire, celles relatives aux "faits de nature à
compromettre la continuité de l'exploitation" selon la formule de
la loi et que les réponses aux questions qui leur sont destinées
soient rédigées dans un style accessible aux
non-spécialistes.
D'ailleurs, la procédure d'alerte montre à
suffisance que la recherche de la transparence dans la gestion des affaires
sociales est une nécessité pour les pays africains. Tout ceci
participe du souci réel du législateur de l'OHADA de faire de
l'information sur la gestion sociale, une priorité. Il pourrait s'agir
selon les termes du texte d'un recours ouvert aux actionnaires en cas de
situation de risque. A ce moyen de contrôle s'ajoutent divers autres
nouveaux moyens.
Paragraphe II : Le renforcement du contrôle
interne individuel par d'autres nouveaux moyens
Le contrôle interne individuel est renforcé par
d'autres moyens prévus par le législateur. Il s'agit d'une part
de l'astreinte (A) et, d'autre part de l'expertise de gestion
(B).
A- L'astreinte : un moyen favorisant le contrôle
L'astreinte119 est un moyen d'action mis à la
disposition de l'actionnaire confronté au refus de communication des
documents sociaux opposé par le dirigeant.
Comment l'actionnaire peut-il exercer ce droit ?
En effet, l'astreinte est exercée à
l'égard du dirigeant qui refuse de communiquer les documents sociaux
à un actionnaire qui en fait la demande. En ce cas, l'actionnaire peut
saisir le président de la juridiction compétente pour qu'il
statue à bref délai. Il s'agit du juge des
référés, c'est-à-dire, celui qui statue en cas
d'urgence. Le juge des référés peut ordonner aux
dirigeants de la société cible de communiquer les documents
à l'actionnaire. C'est ce qui ressort de l'article 528 de l'AUSCGIE qui
dispose que « si la société refuse de communiquer tout ou
partie des documents visés aux articles 525 et 526 du présent
Acte uniforme, il est statué sur ce refus, à la demande de
l'actionnaire, par le président de la juridiction compétente
statuant à bref délai. Le président de la juridiction
compétente peut ordonner à la société, sous
astreinte, de communiquer les documents à l'actionnaire dans les
conditions fixées aux articles 525 et 526 du présent Acte
uniforme ». Ainsi, la reconnaissance expresse d'un droit à
l'information au profit des actionnaires constitue l'une des innovations
importantes de la loi.
La jurisprudence française s'est exprimée en ce
sens. Dans une ordonnance rendue par le Tribunal de grande instance de Nanterre
le 15 mars 1983, un associé d'une société civile
immobilière avait demandé au gérant la communication de
deux séries de documents : une assignation reçue par la
société aux fins d'immatriculation et deux rapports d'expertise
établis au cours d'une information pénale120. N'ayant
pas obtenu satisfaction, il assigne la société et son
gérant, en référé, procédure admise en
matière d'information.
Le président du tribunal condamne la
société, sous astreinte, à donner connaissance au
demandeur de l'assignation dont la communication est réclamée.
Par ailleurs, se retranchant derrière les principes
généraux de la procédure pénale, il rejette la
demande formée aux fins de prise de connaissance des rapports de
l'expertise liés à l'instance pénale. Ce rejet des
rapports de l'expertise se justifie par le fait qu'il n'y a pas eu
d'inculpation. Cette décision, bien qu'elle soit applicable en
matière civile, est également transposable en matière
commerciale, notamment dans les sociétés anonymes.
Les juges de l'OHADA se sont aussi clairement fixés en
ce sens. Dans une ordonnance rendue le 06 février 2001, le
Tribunal de première instance de Yaoundé a souligné
qu'en cas de refus de communiquer à l'actionnaire les documents requis,
celui-ci
117 Philippe MERLE, Droit
commercial, Sociétés commerciales, 12eme éd,
Précis Dalloz, Paris, 2008, n°476, p. 571.
118 Maurice COZIAN et alii,
ibid., n° 633, p. 290.
119 Le mot astreinte vient du verbe astreindre qui
dérive du latin astringere qui signifie serrer. L'astreinte est une
condamnation pécuniaire accessoire et éventuelle,
généralement fixée a tant par jour de retard, qui s'ajoute
a la condamnation principale pour le cas oil celle-ci ne serait pas
exécutée dans le délai prescrit par le juge et tend a
obtenir du débiteur, par la menace d'une augmentation progressive de sa
dette d'argent, l'exécution en nature d'une obligation supposant son
fait personnel (peut être provisoire ou définitif). Il s'agit
d'une contrainte financière.
120 Michel JEANTIN, note sous TGI de Nanterre, 15 mars
1983, D.S 1983, p. 514.
peut saisir le juge des référés qui peut
ordonner à la société, le cas échéant, sous
astreinte, la communication de ces documents121.
L'astreinte favorise l'accès à l'information au
profit des actionnaires. Une fois l'information obtenue, elle devient un moyen
renforcé de contrôle des affaires sociales aux mains des
actionnaires. Ainsi, elle assure la protection des actionnaires minoritaires.
Encore faut-il que l'on soit en présence d'un actionnaire diligent.
L'astreinte est une injonction de faire. Au cas où elle
aboutit, son paiement ne se fait pas aux frais de la princesse. Les dirigeants
supportent les charges de celle-ci et les frais de procédure. Elle est
toujours dirigée contre les dirigeants pris en leur nom personnel et non
contre la société qu'ils représentent122. Elle
est aussi considérée comme un succédané de la
sanction pénale et très prisée par le législateur.
Mais, à côté de l'astreinte se trouve un autre
mécanisme de contrôle à savoir l'expertise de gestion.
B- L'expertise de gestion : un moyen accru de
contrôle
La réforme de l'OHADA renforce justement les droits des
actionnaires. Cette réforme, qui vise à compléter
l'information de ces derniers, se traduit par la possibilité qui leur
est désormais accordée de demander l'expertise de gestion. C'est
ce qui ressort de l'article 159 de l'AUSCGIE qui dispose qu'« un ou
plusieurs associés représentant au moins le cinquième du
capital social peuvent, soit individuellement, soit en se groupant sous quelque
forme que ce soit, demander au président de la juridiction
compétente du siège social la désignation d'un ou de
plusieurs experts chargés de présenter un rapport sur une ou
plusieurs opérations de gestion ».
Autrefois appelée expertise de minorité,
l'expertise de gestion, comme le souligne le professeur H-D MODI KOKO BEBEY,
est l'une des innovations les plus marquantes de la réforme du droit des
sociétés commerciales en Afrique123. Elle
désigne « une action par laquelle la minorité
révèle son aptitude à intervenir en qualité
d'organe social subsidiaire de contrôle »124.
La consécration de l'expertise de gestion par le droit
OHADA s'inscrit dans le mouvement d'harmonisation du droit des affaires en
Afrique dont l'objectif est de garantir la sécurité juridique des
activités dans le but d'encourager les investisseurs. C'est pourquoi il
est de nos jours très difficile d'appliquer un texte qui ne garantit
aucune information minimale aux actionnaires minoritaires, c'est-à-dire
« des actionnaires qui ne font pas partie du groupe dirigeant
»125. M. TIGER fera d'ailleurs observer que l'un des objectifs
prioritaires de cette nouvelle législation est l'amélioration de
l'information et la sécurité des acteurs sociaux126.
Selon le professeur Y. GUYON, c'est une procédure dont « le but
n'est pas de donner au demandeur une information générale »
mais « qui tend seulement à faire toute la lumière sur une
ou plusieurs opérations déterminées, à propos
desquelles -mais à propos desquelles seulement-, le demandeur aura des
renseignements aussi complets et aussi précis que possible
»127.
Cette procédure sort du contexte traditionnel de
l'information et s'intègre dans une procédure judiciaire. Il
s'agit là, sans aucun scepticisme, d'un moyen de faire respecter les
droits des actionnaires minoritaires par une action judiciaire128.
Par surcroît, l'expertise de gestion permet à l'actionnaire qui
souhaite être renseigné sur la gestion de la société
d'obtenir le maximum d'informations sur des faits que les dirigeants ont
tendance à dissimuler en s'abritant derrière le secret des
affaires.
121 TPI de Yaoundé,
Ord. Réf. n° 494/0, 06 février 2001, NDJEUDUI Thaddée
contre Continental Business Machines S.A in AUSCGIE, p. 452.
122
Cass. com. 1er
juillet 2008, D 2008, A J, Tome 2, p. 1994.
123
Henri-Désiré MODI KOKO BEBEY, « La réforme du droit
des sociétés commerciales en Afrique », Rev. soc avril-juin
2002, p. 255.
124 D. Schmidt, Les droits de
la minorité dans la société anonyme, SIREY 1970,
n°283 cité par Dominique VIDAL, Manuel droit des
sociétés, 5eme éd., LGDJ, Paris, 2006, n° 749, p.
376.
125 D. Schmidt, Les droits de
la minorité dans la société par actions, These en droit,
Strasbourg ,1970 cité par Raphael CONTIN et Henri HOVASSE, «
L'expert de minorité dans les sociétés par actions »,
D.S 1971, p. 75.
126 M.P. TIGER, Le droit
des affaires en Afrique, Que sais-je ? PUF, cité par Bérenger
Yves MEUKE, « L'information des actionnaires minoritaires dans l'OHADA :
réflexion sur l'expertise de gestion », http : //
www.juriscope.org/ actu_juridiques/ doctrine/ OHADA/
Ohada_20.pdf.pp.1-13
127 Yves GUYON, «
Expertise de gestion », Jurisclasseur des Sociétés 1985,
fasc. 134-D, pp 1-13.
128 Alain FENEON, « Les
droits des actionnaires minoritaires dans les sociétés
commerciales de l'espace OHADA », Revue Penant, 2002 cité par
Bérenger Yves MEUKE.B, ibid., p. 3.
Cette institution traduit évidemment une «
mutation fondamentale de la fonction de l'information économique dans
l'entreprise »129. Elle limite les conséquences d'une
gestion désastreuse et permet de lutter contre les dirigeants qui se
montrent rétifs à la transparence, pour des raisons
d'inégale valeur130. Elle peut en effet permettre la
découverte de faits nouveaux et l'utilisation des mesures
appropriées. Elle est donc une mesure d'information et donc de
transparence131. Contrairement au droit
français132, le législateur de l'OHADA prévoit
qu'un actionnaire ou un groupe d'actionnaires n'a pas à préciser
qu'il a épuisé toutes les voies d'information pour
déclencher l'expertise de gestion133. Son souci est de
privilégier le contrôle de la gestion sociale qui s'effectue par
le biais de cette institution majeure du droit africain.
De cette disposition découle une volonté
affirmée du législateur de renforcer l'information des
actionnaires car la détention de la fraction du capital exigée
pour la demande de cette importante institution a été
considérablement réduite. De plus, il est permis aux actionnaires
minoritaires de se réunir afin de mettre en oeuvre ce mécanisme
de contrôle surtout à un moment où la société
traverse une crise. Ainsi l'expertise de gestion constitue un des nombreux
volets de la protection des minoritaires134. Elle élargit le
périmètre d'information des actionnaires minoritaires et
rééquilibre les forces au sein de l'entreprise. Elle permet
ensuite aux minoritaires de se renseigner sur la nature, la portée et
les conséquences de questions susceptibles de leur porter
préjudice et, par conséquent, d'exercer effectivement le
contrôle des affaires sociales. Tel est le cas de conventions
réglementées qui peuvent faire l'objet de
l'expertise135.
Ce mécanisme d'information et de contrôle permet
de bien veiller sur la gestion sociale. La doctrine souhaite que les
actionnaires fassent recours à la lettre recommandée avec
accusé de réception afin de laisser une trace écrite de la
question posée136. Cette procédure facilite
l'information des actionnaires. Mais, il convient de souligner que l'expertise
de gestion n'est pas un moyen pour faire procéder à un audit, car
l'expert de gestion n'est pas un commissaire aux comptes. D'ailleurs, à
la lecture de l'AUSCGIE, il semble que c'est le dernier mécanisme
d'information et de contrôle aux mains de ces derniers137.
Toutefois, les actionnaires peuvent éviter les
pièges de l'article 160 de l'AUSCGIE et recourir au droit commun de la
procédure civile, c'est-à-dire, à l'expertise de l'article
145 du nouveau code de procédure civile (NCPC) encore appelée
expertise préventive ou référé
probatoire138. Cette expertise peut être obtenue du
président du tribunal avant tout procès. Bien plus, les
actionnaires ne remplissant pas les conditions de l'expertise de gestion ou
même ceux qui la remplissent peuvent y trouver un moyen de contrôle
efficace139. Cependant, d'autres moyens légaux de
contrôle permettent de renforcer davantage le contrôle interne
individuel.
SECTION II: LE RENFORCEMENT DU CONTROLE INTERNE
INDIVIDUEL PAR DES MOYENS DE DIVERSES NATURES
Le renforcement du contrôle interne individuel est rendu
possible grâce aux moyens d'ordre financier et
comptable (Paragraphe I) qui permettent de donner une image
fidèle de la santé financière de la société.
Il s'agit d'une obligation
129 Michel JEANTIN, «
La loi du 1er mars 1984... », Dr. Soc, nov. 1984, p. 604
cité par MBAIHASRA Eric, L'expertise de gestion dans l'Acte uniforme
relatif au droit des sociétés commerciales et du groupement
d'intéret économique, Mémoire de DEA-Droit Privé
Fondamental, Université de Lomé, FDD, 2007, p. 47.
130 Paul LE CANNU, Droit des sociétés,
Domat, Droit privé, Montchrestien, Paris, 2002, n° 877.
131 Yves REIHNARD, RTDcom
janv-mars 1988, n° 6.
132 Mais contrairement a la
procédure de l'AUSCGIE, la loi subordonne l'expertise de gestion dans la
SA a une demande amiable d'information présentée au
président du conseil d'administration ou du directoire.
133 Tribunal
régional de Niamey, ordonnance de référé n°
245 du 22 oct. 2002, Abbas Hammoud C/ Jacques Claude Lacour et Dame Evelyne
Dorothée Flambard,
www.ohada.com
(ohadata J-04-489) ;
http://
www.juriscope.org /
actu_juridiques/doctrine/OHADA_24.pdf
134 François ANOUKAHA
et alii, Sociétés commerciales et GIE, Bruylant, Bruxelles, 2002,
p. 161.
135 CA Paris, 20 mai. 1998 :
Dr. sociétés 1998, n°127, obs. D. VIDAL cité par Paul
LE CANNU, ibid., p. 531.
136 Alain VIANDIER, «
Sociétés et loi NR E - Les réformes de la loi «
nouvelles régulations économiques », éd. F. Lefebvre
2001, cité par Jean-Philippe DOM, « La protection des minoritaires
», Rev. soc juil.-sept. 2001, p. 550.
137 Sur l'exhaustivité
de la question, voir MBAIHASRA Eric, L'expertise de gestion dans l'Acte
uniforme relatif au droit des sociétés commerciales et du
groupement d'intéret économique, Mémoire de DEA-Droit
Privé Fondamental, Université de Lomé, FDD,
2007.
138
Trib. com. Paris,
2 mai 2002 : JCP E 2002, pan, p. 1220 cité par M. COZIAN et alii, Droit
des sociétés, 17eme éd., LITEC, Paris, 2004, p.
300.
139 Yves GUYON, Droit des
Affaires, Tome 1, Droit Commercial Général et
Sociétés, 12eme éd., Economica, Paris, 2003, p.
490.
comptable applicable à tous les commerçants,
personnes physiques ou morales, qui postule l'élaboration de divers
documents mis à la disposition des actionnaires. En outre, ce
renforcement se traduit par un développement croissant d'une bonne
politique d'information des actionnaires (Paragraphe II).
Paragraphe I : Le recours aux moyens à
caractère comptable et financier
Le contrôle des résultats des dirigeants sociaux
ne peut être renforcé que si l'associé dispose
d'informations précises et claires à caractère financier
et comptable sur la situation de la société. Parmi les documents
qui composent les comptes annuels et permettent de contrôler les affaires
sociales figurent un document central qu'est l'annexe des comptes
(A) et une clef de voûte du contrôle à
savoir le rapport de gestion (B).
A- L'annexe des comptes : un document central
Chaque année, la société établit
les comptes annuels à la clôture de chaque exercice. Ces comptes
annuels ou comptes sociaux donnent une image instantanée du patrimoine
social et du résultat constaté, au cours de l'exercice
écoulé, de l'activité de l'entreprise sociale (ou de
l'exécution du contrat de société). Ces comptes
comprennent le bilan140, le compte de résultat141
et une annexe. Ils forment un ensemble indissociable. Cette dernière,
c'est-à-dire, l'annexe permet aux actionnaires de mieux s'informer sur
la santé financière de l'entreprise.
L'annexe est définie comme un « document
composé d'une suite de tableaux dont l'objectif est d'expliquer le
contenu du bilan et du compte de résultat »142.
En quoi l'annexe constitue-t-elle un document central
d'information et de contrôle de l'activité sociale ?
L'annexe des comptes apporte au bilan et au compte de
résultat les compléments et commentaires par lesquels les comptes
sociaux sont réguliers et sincères et donnent une image
fidèle du patrimoine, de la situation financière et du
résultat de l'entreprise.
Elle a pour but d'éclairer la lecture du bilan et du
compte de résultat par des explications, des ventilations et des
compléments appropriés143. Ainsi, l'annexe est un
document important mis à la disposition des actionnaires car il leur
permet d'avoir d'amples informations sur la santé financière de
la société. Lorsqu'elle est établie selon les
règles comptables, elle répond au souci d'éliminer «
les pots de vin »144. EIle doit aussi permettre aux
actionnaires d'avoir une influence significative sur le jugement. Mme M. TELLER
a souligné à cet effet que « dans l'élaboration d'une
image fidèle des états financiers, l'annexe devient alors un
auxiliaire indispensable »145. Les bilans et comptes de
résultat ne peuvent remplir leur rôle que s'ils sont
accompagnés des notes annexes pertinentes, précisant et
expliquant les choix faits par les dirigeants.
Une décision rendue par la chambre criminelle de la
Cour de cassation française le 17 octobre 2007146 permet de
montrer l'importance de l'annexe des comptes. In casus, le
président d'une société d'assurance mutuelle a
été déclaré coupable de délit de
présentation des comptes annuels infidèles pour avoir soumis
à l'approbation des associés, le 22 juin 1992, les comptes de
l'exercice clos le 31 décembre 1991 qui faisaient apparaître un
résultat bénéficiaire de 240 millions de francs, faute de
constitution de provisions pour dépréciation des titres d'une
filiale. En effet, un rapport d'audit, qui constatait des pertes
considérables de la filiale et la nécessité de constituer
des provisions avait été présenté le 10 juin 1992,
date de la réunion préalable des comptes. Les risques justifiant
les provisions étant avérés, il appartenait au
président d'obtenir le report de l'assemblée si le traitement des
comptes nécessitait un délai. En outre, les
évènements significatifs susceptibles d'être intervenus
entre la date d'arrêt des comptes et celle de cette assemblée
devaient être mentionnés dans l'annexe au bilan. Or,
140 V.art. 29 et 30 de l'Acte
uniforme portant organisation et harmonisation des comptabilités des
entreprises (AUCE).
141 V.art. 31de
l'AUDC.
142 Béatrice et
Francis GRAND GUILLOT, Mémento LMD, Comptabilité
générale, 7eme éd., Gualino éditeur, Paris 2007, p.
19.
143 Jacques MESTRE et
Christine SEBASTIEN-BLANCHARD, op.cit, n° 2028, p. 897.
144 André TUNC, ibid., n° 109, p.
160.
145 Marina TELLER, «
L'information des sociétés cotées et non cotées :
une évolution certaine, de nouveaux risques probables », RTDcom
2007, p. 20.
146 Jean Louis NAVARO, note
sous Cass. crim. 17 octobre 2007, Semaine Juridique, Entreprise et Affaires,
A.J, Tome 2, n° 2265, p. 38.
de manière délibérée, aucune des
dispositions préconisées n'avait été prise, le
dirigeant ayant refusé la présentation d'un bilan
déficitaire et exigé que les pertes soient reparties sur
plusieurs exercices, au besoin par des manipulations comptables. Le
président, ayant présenté aux actionnaires des comptes
annuels ne donnant pas une image fidèle, pour chaque exercice, de
résultats des opérations de l'exercice, de la situation
financière et du patrimoine en vue de dissimuler la véritable
situation de la société, avait été condamné
à 15 mois d'emprisonnement avec sursis et 200.000 euros d'amende.
L'originalité de cette décision témoigne
de l'importance des informations contenues dans l'annexe des comptes et du
souci du législateur de privilégier la description et la
communication de ces informations. Le présent arrêt s'inscrit dans
la logique suivante : le dirigeant doit informer les actionnaires par une
mention dans l'annexe des évènements significatifs intervenus
depuis la clôture de l'exercice jusqu'à la date de
l'assemblée. Les informations recueillies par l'actionnaire dans ce
document lui permettront de bien contrôler la gestion et les comptes
sociaux. Le rapport de gestion joue également ce rôle.
B- Le rapport de gestion : une clef de voûte du
contrôle
Les dirigeants ont l'obligation de présenter des
documents à caractère comptable ou financier sur l'ensemble de la
gestion de la société. Parmi ces documents figure le rapport de
gestion. La présentation du rapport de gestion fait du droit des
sociétés un droit paperassier147.
Mais quel est l'objet de ce rapport ?
Le rapport de gestion est un document écrit
établi par les dirigeants d'une personne morale. Il doit contenir des
informations claires et précises permettant à l'actionnaire de
mieux contrôler la gestion de la société. Comme l'a si bien
observé le professeur A. TUNC, « une information complète
suppose donc, comme on l'a si bien compris aux Etats-Unis, qu'un certain nombre
de documents soient adressés aux actionnaires »148.
La présentation du rapport de gestion par les
dirigeants est de droit149. Les dirigeants doivent le
présenter dans les formes et les délais prescrits. Ils doivent le
communiquer à qui de droit et, le cas échéant, le lire
à l'assemblée générale ordinaire. C'est à
compter de la convocation de l'assemblée générale annuelle
que les actionnaires peuvent demander que le rapport leur soit
adressé.
Le rapport de gestion contient des informations très
variées150. L'exigence d'une certaine sincérité
et régularité dans son établissement s'impose aux
dirigeants. A partir de ce document, les actionnaires doivent être en
mesure d'appréhender la réalité économique et
financière de l'entreprise. C'est ce qui ressort de l'article 141 de
l'AUSCGIE qui dispose que « toute modification dans la présentation
des états financiers de synthèse ou dans les méthodes
d'évaluation, d'amortissement ou de provisions conformes au droit
comptable doit être signalée dans le rapport de gestion et, le cas
échéant, dans celui du commissaire aux comptes ».
En droit français, le rapport de gestion contient des
informations multiples et variées. Plusieurs lois151 ont
précisé son contenu. La présentation de ce rapport doit
être documentée sur l'activité, la performance et la
situation financière de l'entreprise : les dirigeants doivent permettre
une connaissance intrinsèque de l'entité qu'ils gèrent. Il
contient en outre des informations relatives à la
rémunération des dirigeants, les éléments fixes,
variables et exceptionnels composant ces
147 Maurice COZIAN, Alain
VIANDIER, Florence DEBOISSY, op.cit, n° 258, p. 556.
148 André TUNC, Le
droit anglais des sociétés anonymes, 2eme éd.,
Dalloz, Paris, 1978, n° 116, p. 176.
149 V. art 71 al 1 de l'Acte
uniforme du 24 mars 2000 portant organisation et harmonisation des
comptabilités des entreprises (AUCE) et 138 de l'AUSCGIE.
150 Selon l'article 71 de l'AUCE, le rapport de
gestion « expose la situation de la société durant
l'exercice écoulé, indiquer les perspectives de
développement ou son évolution prévisible, et, en
particulier, les perspectives de continuation de l'activité,
l'évolution de la situation de trésorerie et le plan de
financement. Les évènements importants, survenus entre la date de
cloture de l'exercice et la date a laquelle il est établi, doivent
également etre mentionnés. Tous ces documents ainsi que la liste
des conventions réglementées sont transmis aux commissaires aux
comptes, quarante-cinq jours, au moins, avant la date de l'assemblée
générale ».
151 Il s'agit de la loi
NRE du 15 mai 2001 créant un nouvel article L. 225-102-1 du Code de
commerce modifiée par la loi de sécurité financière
du 1er aofit 2003 et plus récemment encore par l'ordonnance
du 24 juin 2004 portant régime des valeurs mobilières, puis la
loi du 26 juillet 2005 pour la confiance et la modernisation de
l'économie qui accentuent davantage son contenu.
rémunérations et avantages, ou les engagements
de toutes natures pris par la société au bénéfice
de ses mandataires sociaux et les indemnités de toute nature
destinées aux dirigeants152. A cet égard, le rapport
de gestion est un vecteur privilégié de l'information entre
actionnaires et dirigeants. C'est en outre la pierre angulaire de l'information
mise à la disposition des actionnaires153. Ce document permet
à l'actionnaire de bien contrôler la santé
financière de la société.
Cette logique du législateur français est
louable et salutaire. Elle pourrait limiter la pratique des montants
élevés constatés dans l'actualité récente et
qui avaient suscité une vive émotion dans le
public154. Bien plus, en accentuant la transparence de l'octroi de
diverses rémunérations, au moins les actionnaires pourront-ils,
le cas échéant, réagir en conséquence s'ils
l'estiment utile155. Il est souhaitable que, lors des prochaines
réformes, le législateur de l'OHADA épouse cette logique
car elle permet de garantir le contrôle des affaires sociales. Elle vise
en outre à attirer les investisseurs dans l'espace OHADA, un des
objectifs majeurs que s'est fixé le législateur.
Le recours aux divers moyens d'ordre comptable ou financier
renforce de façon notable le contrôle exercé sur la gestion
sociale. Mais, un développement très net de l'information en
qualité, en quantité et surtout dans un délai raccourci
s'avère essentiel pour les actionnaires.
Paragraphe II : Le développement de
l'information des actionnaires, un moyen traditionnel de contrôle
Le développement de l'information se traduit par une nette
amélioration de la politique interne d'information des actionnaires
(A) et par un recours aux moyens techniques
(B) suite à l'essor fulgurant de la science ces
dernières décennies.
A- L'amélioration significative de la politique
interne d'information des actionnaires
L'amélioration de l'information des actionnaires a
toujours préoccupé le législateur car elle permet à
ces derniers de juger l'état ou l'évolution des affaires sociales
puisqu'ils sont les « maîtres de la société
»156.
Mais, en quoi consiste l'amélioration d'une politique
d'information des actionnaires ?
En effet, l'information est de droit pour les actionnaires.
«Ce droit à la curiosité, selon le professeur M. COZIAN, est
crucial pour les nouveaux actionnaires, anxieux de mieux connaître le
navire sur lequel ils ont embarqué, ainsi que son équipage
»157. Pour cela, cette information doit être claire et
exacte, car elle leur permet d'apprécier les performances, les chances
de la société et de connaître sa situation exacte. C'est ce
que confirment les célèbres déclarations du juge
américain Brandeis qui a déclaré que « le soleil est
le meilleur désinfectant, l'éclairage électrique, le
sergent de ville le plus efficace »158.
Le professeur Y. GUYON estime que la société
doit pratiquer « la politique de la maison de verre »159.
Abordant dans le même sens, Mme M. TELLER déclare que « les
obligations d'information à la charge des sociétés ont
profondément évolué : la société
-boîte noire- devient une -boîte de verre-, soumise aux contraintes
des marchés qui postulent plus d'informations, à la fois en
quantité et en nature, et dans un délai raccourci
»160. Cette politique postule l'existence d'une transparence
dans la gestion des affaires sociales. Par conséquent, elle vise
à renforcer le contrôle des activités sociales.
Pour atteindre cet objectif, l'information -qui est
essentiellement d'ordre comptable- doit présenter un certain nombre
de caractères161. D'abord, l'information doit être
rapide, car le contrôle exercé par les actionnaires lors de
l'approbation des
152 V. en ce sens art. L.
225-102-1
C.com. http: //
www.droitzoom.fr
153 Thierry GRANIER, «
Le rapport de gestion après l'ordonnance n° 2004-1382 du 20
décembre 2004 », Rev. soc n° 2, 2005, p. 315.
154 Il s'agit de l'affaire
Enron pour ne citer que la plus médiatisée.
155 Bernard SAINTOURENS,
« Les réformes du droit des sociétés par les lois du
26 juillet pour la confiance et la modernisation de l'économie et du 2
aolat 2005 en faveur des petites et moyennes entreprises », Rev. soc 2005,
n°5, p. 556.
156 Yves GUYON,
op.cit,
157 Maurice COZIAN et alii,
Droit des sociétés, 17eme éd., LITEC, Paris,
2004, n° 633, p. 290.
158 Brandeis, Other People's
Money and How the Banker Use It, 1914 cité par André TUNC, Le
Droit américain des sociétés anonymes, Economica, Coll.
Etudes Juridiques Comparatives, Paris, 1985, p. 8.
159 Yves GUYON, ibid.,
n° 294, p. 298. Cet auteur exige une certaine transparence en ce qui
concerne la gestion sociale.
160 Marina TELLER, op.cit, p. 17.
161 Yves GUYON, ibid.,
n° 412, p. 441.
comptes perd son utilité à mesure que le temps
passe. Puis, l'information doit être complète. En effet, les
dirigeants ont souvent tendance à passer sous silence la
réalité de l'entreprise. Même s'ils ne doivent pas
révéler toutes les informations relatives à la vie
sociale, ils ne doivent omettre l'information livrée aux actionnaires
car cela est toujours l'équivalent d'une fausse nouvelle, donc d'une
sanction. Ensuite, l'information doit être sincère,
c'est-à-dire, refléter autant que possible la
vérité. Autrement dit, l'information doit donner une image
fidèle de la santé financière ou économique de la
société. Enfin, l'information doit être utilisable. Elle
doit être adaptée aux actionnaires car ces derniers manquent de
compétences juridiques, financières et comptables requises. Cette
adaptation suppose, il est clair, d'assurer l'efficacité, donc la
lisibilité de l'information162. Ainsi, l'information doit
être rédigée dans un style accessible. Cette politique
participe de la recherche de l'image fidèle de la situation de la
société (true and fair view en anglais),
c'est-à-dire, selon M. F. Pasqualini « une vision réelle par
une traduction loyale de ce qu'est l'entreprise »163.
De même, dans les sociétés importantes, la
désignation d'un responsable chargé d'accueillir les actionnaires
s'avère indispensable. Bien plus, s'agissant de l'unicité ou de
la dualité du lieu du dépôt des documents, certains auteurs
ont estimé que la solution du double serait conforme aux objectifs du
législateur d'améliorer l'information des
actionnaires164. D'autres proposent que les informations soient
adressées au domicile des actionnaires, clairement
présentées et bien commentées. Il faut que les
actionnaires soient bien négligents pour ne pas les lire165.
A cela, il convient de souligner que l'accès à l'information est
facilité par des moyens d'ordre technique.
B- Le recours aux moyens techniques
En réalité, nous sommes au vingtième
siècle, c'est une banalité de le dire mais il faut ici le
répéter. Le vingtième siècle est le
théâtre d'un bouleversement technologique dont l'origine remonte
à quelques décennies. Ce bouleversement a entraîné
un essor remarquable et fulgurant des technologies de l'information et de la
communication (TIC)166. Parmi celles-ci figure
l'internet167.
Comment ces TIC contribuent-elles au renforcement du
contrôle interne individuel ? Ou encore, ces TIC permettent-elles aux
actionnaires de bien exercer ce contrôle ?
En effet, à l'heure actuelle, les TIC envahissent
considérablement les entreprises. C'est ce que corrobore M. J-C
SCIBERRAS lorsqu'il indique que « comme l'ensemble des
sociétés, développées ou émergentes, les
entreprises sont profondément et rapidement transformées par la
pénétration des technologies de l'information et de la
communication »168. Ces TIC constituent un facteur de
progrès considérable, tant en termes de délais que de
coûts. Elles permettent à la société de stocker et
de communiquer les informations de manière instantanée ou
presque, par envoi à distance. Elles évitent le
162 Colloque du centre de
recherche sur le droit des affaires de la chambre de commerce et d'industrie de
Paris organise le 1er mars 1994, JCP ed E, n° 39, p. 424.
163 F. PASQUALINI, Principe
de l'image fidele en droit comptable, LITEC, Paris,1992, n° 31, p. 27 cite
par Jean Louis NAVARO, « Le droit comptable », Semaine Juridique,
Entreprise et affaires, A J, Tome 2, 2008, n° 2265, p. 38.
164 R. HOUIN et GORE, D.1967, chr, p. 157. Il convient
aussi de signaler que cette solution s'inscrit egalement dans la droite logique
de la corporate gouvernance (gouvernement d'entreprise) qui vise a assurer une
meilleure information de l'actionnaire, donc une meilleure protection et un
meilleur controle de l'activite sociale.
165 Andre TUNC cite par
Richard Cesaire KPEOU-KONGOLI, La protection des actionnaires en cas
d'augmentation du capital, Memoire de DESS Droit des Affaires, Universite de
Lome, FDD, 2001, p. 42.
166 Les TIC peuvent
s'entendre, pour reprendre une definition donnee par le conseil des communautes
europeennes, de « l'ensemble des systemes, equipements, composants et
logiciels qui sont necessaires pour assurer la recherche, le traitement et le
stockage de l'information dans tous les domaines de l'activite humaine et dont
la mise en oeuvre fait generalement appel a l'electronique et aux technologies
similaires » (Decision du 22 dec. 1986 relative a la normalisation dans le
domaine des technologies de l'information et des telecommunications JO des
Communautes Europeennes) cite par Ndiaw DIOUF, « Infractions en relation
avec les nouvelles technologies de l'information et procedure penale :
l'inadaptation des reponses nationales face a un phenomene de dimension
internationale », RSDA, n°2-3-4, 2003-2004, p. 50.
167 L'internet a ete
defini comme « le reseau mondial...auquel plusieurs centaines de millions
d'usagers sont aujourd'hui connectes et qui permet de communiquer d'une machine
a une autre a travers le monde par des cibles intercontinentaux et des liaisons
par satellite au debit considerable », E. Tois, Internet et libertes,
quelques reperes, rapport de la
Cass.com 2001,
http://
www.courdecassation.fr /_rapport/ rapport01 /
etudes&dr / Tois.htm
168 Jean-Christophe
SCIBERRAS, « L'irrigation de l'entreprise par les nouvelles technologies
de l'information et de la communication : le point de vue d'un praticien
», Droit. social, 2002, p. 93.
déplacement des actionnaires au siège social
pour la consultation des documents sociaux qui constituent quelquefois une
paperasse difficile à manipuler car, il suffit d'un clic pour
les obtenir. A juste titre, le professeur N. DIOUF écrit que « dans
les sociétés modernes, nul ne songe à contester
l'intérêt que représentent, pour les individus, les
entreprises et les institutions, les technologies de l'information et de la
communication. On ne peut que se réjouir des possibilités
qu'offrent les moyens électroniques pour la collecte, le stockage, la
conservation et la transmission des informations »169. Il
s'agit de véritables « autoroutes de l'information
»170.
Pour atteindre ces objectifs, les dirigeants doivent penser
à multiplier les moyens d'information et d'amélioration de cette
information. L'utilisation des TIC permettra indéniablement de
moderniser et d'améliorer l'information afin d'avoir une vue sur les
affaires sociales. A cet effet, la société doit aménager
un site ouvert au public (publication d'informations concernant la
société sur internet) et un site fermé
(l'établissement des relations spécifiques entre les actionnaires
et la société sur intranet). L'internet facilite la diffusion des
informations aux actionnaires.
L'avènement de l'internet constitue ainsi un
soulagement voire une réponse aux préoccupations des
sociétés, notamment des actionnaires. Il permet aux actionnaires
d'envoyer leurs projets de résolution et de poser des questions
écrites aux dirigeants sociaux. Grâce à l'information
qu'ils reçoivent par un simple clic en restant chez eux, ils
peuvent contrôler les activités sociales. Ils deviennent ainsi
plus conscients de leur pouvoir de contrôle au sein de la
société lorsqu`ils sont mieux informés. En outre, le
recours à ces TIC permet aux actionnaires d'éviter les frais de
déplacement parfois coûteux.
Outre les difficultés qui affectent le contrôle
interne individuel et l'éventail des moyens qui viennent le renforcer,
les actionnaires peuvent aussi exercer en collectivité un contrôle
de la gestion des affaires sociales. Il s'agit du contrôle interne
collectif.
DEUXIEME PARTIE : LE CONTROLE INTERNE
COLLECTIF
Dans les sociétés anonymes, l'assemblée
générale171 d'actionnaires172 est toujours
considérée comme l'organe suprême173 ou le
peuple souverain174. Elle est titulaire de tous les pouvoirs et ne
les délègue que pour des raisons d'efficacité. Elle est en
outre en charge de l'ultime contrôle de la société. En
pratique, ce contrôle s'exerce par le droit de participation et de
vote175 aux assemblées. C'est un droit par lequel les
actionnaires participent directement à la vie sociétaire. Ce
droit est d'ordre public176.
Mais, la réalité est toute différente. En
effet, la plupart d'actionnaires ne viennent pas aux assemblées. Ils
s'absentent presque souvent et préfèrent remettre des mandats
en blanc aux dirigeants. Ils ne s'impliquent pas davantage dans la gestion de
la
169 Ndiaw DIOUF, article
précité, p. 83.
170 Ndiaw DIOUF, ibid., p.
60.
171 L'assemblée
générale désigne la réunion périodique de
tous les membres d'une association ou d'une société (civile ou
commerciale) pour approuver la gestion et prendre les décisions les plus
importantes. Il désigne, en outre, un conclave qui n'est pas ouvert au
public. M. COZIAN et alii, ibid., p. 293. Toutefois, l'auteur souligne qu'en
dehors des actionnaires, sont présents aux assemblées les
commissaires aux comptes, les journalistes financiers dans les
sociétés cotées ; ou en cas de crise, l'actionnaire peut
se faire accompagner par un huissier.
172 Par actionnaires, on
entend les titulaires d'actions au jour de la réunion, le
représentant de l'indivision, l'usufruitier en cas d'assemblée
ordinaire et le nu-propriétaire en cas d'assemblée
générale extraordinaire, sauf stipulation contraire. Maurice
COZIAN, Alain VIANDIER et Florence DEBOISSY, Droit des sociétés,
17eme éd., LITEC, Paris, 2004, n° 649.
173 Cf. art. 242 et s. de
l'AUSCGIE.
174 Francine MANSUY, «
Assemblées d'actionnaires », Jurisclasseur des
sociétés, 1990, n° 136, p. 4.
175 Le terme vote vient du
latin votum qui signifie vceu. Il désigne un acte par lequel un
actionnaire participe, en se prononcant dans un sens déterminé,
au choix de ses représentants ou a la prise d'une
décision.
176 Cass. civ. 7 avril 1932,
D. H 1933, I, 153 cité par Jacques MESTRE et Christine
SEBASTIEN-BLANCHARD, Lamy Sociétés Commerciales, éd. Lamy
SA, Paris, 2001, n° 720.
société comme le voudrait l'affectio
societatis177. En outre, la faible fréquence de leur
réunion et l'exercice de leur contrôle dans les
sociétés familiales rendent ce contrôle insuffisant
(Chapitre Premier).
En dépit de cette insuffisance, il convient de signaler
que grâce à certains moyens légaux prévus
expressément par le législateur comme la représentation et
la nullité et d'autres reconnus de façon implicite comme les
conventions, le contrôle interne collectif connaît une
réelle évolution. Bien plus, la présence de certains
organes aux assemblées et le recours à divers autres moyens
permettent aux actionnaires de rechercher l'efficacité du contrôle
interne collectif (Chapitre Deuxième).
CHAPITRE PREMIER: LE CONTROLE INTERNE COLLECTIF : UN
CONTROLE CLASSIQUE INSUFFISANT
En principe, l'assemblée d'actionnaires est l'organe
cardinal du contrôle des affaires sociales. Mais, cette
présentation idyllique est presque démentie par les faits, quelle
que soit la dimension de la société178. En effet, la
majorité des actionnaires ne se rend pas aux assemblées.
Très souvent, ils s'absentent massivement lors des réunions au
cours desquelles des grandes décisions déterminant la vie sociale
sont prises. Cet absentéisme est la principale raison de l'insuffisance
du contrôle interne collectif. Il peut engendrer de graves
conséquences à savoir son effacement en tant qu'organe de
contrôle et la confiscation de ses pouvoirs par la direction
(Section I).
A ces raisons réduisant considérablement son
rôle figurent d'autres causes, notamment la faible fréquence de la
tenue des réunions, le simulacre de contrôle dans les
sociétés familiales, le désintérêt à
l'égard de la vie sociale et la passivité des actionnaires. Tous
ces obstacles rendent davantage ce contrôle insuffisant (Section
II).
SECTION I : L'ABSENTEISME DES ACTIONNAIRES, LA
PRINCIPALE SOURCE D'INSUFFISANCE DU CONTROLE INTERNE COLLECTIF
L'absentéisme, en droit des sociétés, est
le fait pour un actionnaire de ne pas participer à la vie sociale lors
de la prise des grandes décisions en assemblée. Il est la
principale raison de l'insuffisance du contrôle interne collectif car il
fait de l'assemblée d'actionnaires un organe faible (Paragraphe
I). Au surplus, cet absentéisme peut engendrer des
conséquences fâcheuses telles que la confiscation du pouvoir de
l'assemblée par le conseil d'administration et entraîner son
effacement en tant qu'organe suprême (paragraphe II).
Paragraphe I : Les raisons de l'absentéisme des
actionnaires
L'absentéisme des actionnaires fait de
l'assemblée un organe faible. Il s'agit d'un des
phénomènes qui détourne les actionnaires de l'exercice
effectif de leurs attributions179 à savoir le contrôle
de l'activité sociale. Cette situation trouve sa source dans diverses
raisons dont les unes sont d'origine purement matérielle
(A), les autres d'origine essentiellement psychologique
(B).
A- Les raisons d'origine matérielle
Plusieurs difficultés empêchent les actionnaires
de mieux contrôler l'activité sociale. La première cause
matérielle tient à la difficulté d'avertir les
actionnaires de la tenue des assemblées. Les titulaires de titres
nominatifs sont connus et seront, par conséquent, avisés par
lettre. Malheureusement, la très grande majorité des titres sont
au porteur, obligeant ainsi les sociétés soit à s'adresser
aux banques pour obtenir le nom et l'adresse de leurs clients qui ont
déposé des actions chez elles afin de
177 L'affectio societatis
désigne l'intention qui doit animer les actionnaires, de collaborer sur
un pied d'égalité. Cette notion implique non seulement un esprit
de collaboration mais aussi le droit, pour chaque actionnaire, d'exercer un
controle sur les actes des personnes chargées d'administrer la
société.
178 Camille
JAUFFRET-SPINOSI, « Les assemblées générales
d'actionnaires dans les sociétés anonymes, réalité
ou fiction ? (Etudes comparatives) » Etudes offertes a René
RODIERE, Dalloz 1981, p. 125 cité par Philippe MERLE, Droit Commercial,
Sociétés commerciales, 12eme éd., Précis
Dalloz , Paris 2008, n° 456, p. 549.
179 Paul LE CANNU, Droit des
sociétés, Domat, Droit privé, Montchrestien, Paris, 2002,
n° 591.
leur envoyer une convocation, soit à des insertions dans
un journal d'annonces légales ou même dans la presse
d'information, deux moyens qui donnent de piètres
résultats180.
Au surplus, les actionnaires vivent rarement du seul revenu de
leurs titres et ont, en conséquence, une activité professionnelle
qui ne leur laisse généralement pas le temps suffisant pour
assister aux assemblées, d'autant plus que ces réunions se
tiennent d'habitude à des endroits éloignés, ce qui
accroît les frais de déplacement. « De surcroît,
l'accès à une assemblée est subordonné à la
présentation d'une carte d'entrée. Son obtention, aisée
pour les propriétaires de titres nominatifs qui n'ont qu'à faire
la demande auprès de la société, ne l'est pas pour les
titulaires de titres au porteur qui sont assujettis à une
procédure plus lourde : ils doivent, en effet, joindre à leur
demande une attestation émanant d'un organisme bancaire certifiant
qu'ils ont bien des titres en dépôt, attestation qui
entraîne la perception d'une redevance proportionnelle au nombre
d'actions »181.
Il convient, enfin, de souligner que les assemblées ont
lieu habituellement aux mois de mai-juin, parfois le même jour et
à la même heure, ce qui oblige la plupart des actionnaires
à un choix et contribue à augmenter
l'absentéisme182. En outre, dans les sociétés
qui réunissent de nombreux actionnaires, notamment les
sociétés cotées, les assemblées apparaissent comme
des organes lourds, difficiles à manier183. Mais ces raisons
d'ordre matériel n'expliquent pas à elles seules
l'absentéisme des actionnaires, d'autres raisons de nature psychologique
peuvent s'y greffer.
B- Les raisons d'origine psychologique
Plusieurs raisons d'ordre psychologique augmentent davantage
l'absentéisme des actionnaires aux assemblées et réduisent
considérablement l'efficacité du contrôle interne
collectif. En effet, l'un des éléments du contrat de
société est la volonté d'entreprendre en commun. Or, les
grandes sociétés sont composées de personnes qui ne se
sentent guère concernées par l'objet social. Il s'agit
principalement des épargnants qui ont vu dans l'achat de quelques
actions un moyen de placer leurs économies et de
bénéficier ainsi de ressources supplémentaires et, des
financiers qui ont seulement l'intention de spéculer sur les
différences de cours et ne sont donc actionnaires que pour un temps
limité, le plus bref possible184.
D'ailleurs, les actionnaires ne détiennent, très
souvent, qu'un faible nombre de voix et sentent bien que leur vote dans un sens
ou dans l'autre n'aura pas de grande influence sur la décision
finalement prise. C'est ce qu'a pu observer le professeur Y. GUYON lorsqu'il
affirme que « les actionnaires ne se sentent guère impliqués
par la marche de la société, car ils ne disposent
individuellement que d'un nombre de voix insuffisant pour influencer le vote
»185. Certes, ils pourraient se réunir pour former un
groupe puissant dans l'optique de faire entendre leur voix, malheureusement il
convient de remarquer que ces derniers ne se connaissent pas. Ils ont ainsi un
sentiment de faiblesse ou sont conscients de leur incapacité. Ce qui
explique leur faible présence aux assemblées et conduit la
doctrine à les traiter de « fantômes »186.
Par conséquent, le contrôle qu'ils exercent sur la gestion et les
comptes sociaux connaît certaines vicissitudes.
En dépit de toute compréhension que l'on est
prêt à témoigner aux actionnaires pour leur
absentéisme, il ne faut pas moins constater que leur comportement peut
engendrer de graves conséquences.
Paragraphe II : Les conséquences de
l'absentéisme des actionnaires
Les conséquences de l'absentéisme des
actionnaires aux assemblées sont de deux ordres. Il s'agit d'une part de
l'effacement de l'assemblée d'actionnaires en tant qu'organe de
contrôle (A) et, d'autre part, de la confiscation de ses
pouvoirs par le conseil d'administration (B).
180 Hervé CHASSERY, « Les attributions du
conseil de surveillance », RTDcom 1976, p. 451.
181 Ibid.
182 M. VIGREUX, « Les
droits de l'actionnaire dans les sociétés anonymes,
théorie et réalité », Paris, 1953 cité par
Hervé CHASSERY, ibid., p. 451.
183 Paul LE CANNU, ibid.,
n° 782.
184 Georges RIPERT
cité par Hervé CHASSERY, ibid., p. 451.
185 Yves GUYON, Droit des
Affaires, Droit Commercial Général et Sociétés,
Tome 1, 12eme éd., Economica, Paris, 2003, n° 289, p.
291.
186 André TUNC, ibid.,
p. 74.
A - L'effacement de l'assemblée d'actionnaires en
tant qu'organe de contrôle
L'effacement de l'assemblée peut entraîner la
confiscation de son pouvoir par le conseil d'administration. Cet effacement est
l'une des conséquences majeures de l'absentéisme des actionnaires
aux réunions et la résultante d'un transfert des pouvoirs de
l'assemblée d'actionnaires aux mains des dirigeants. Cette
assemblée ne joue plus son rôle traditionnel qui consiste à
contrôler la gestion des affaires sociales. La plupart de ses
prérogatives lui sont presque retirées. Cet état de fait
inverse le modèle du pouvoir étant donné que ce sont les
dirigeants qui prennent les décisions touchant la substance de la
société. Ces propos sont renchéris par le professeur A.
TUNC qui estime que « l'assemblée générale est
aujourd'hui, dans la plupart des sociétés, et notamment dans
toutes les grandes sociétés, l'organe le plus inefficace
»187.
L'effacement de l'assemblée d'actionnaires en tant que
véritable organe de contrôle a attiré l'attention de la
jurisprudence. Il a été mis en lumière dans un arrêt
de la cour d'appel de Paris rendu le 9 janvier 1942 dans l'affaire du Bon
Marché188.
Les faits se résument de la façon suivante : le
conseiller financier, publicitaire et commercial de cette entreprise et le
président de son conseil d'administration ont pu, grâce à
l'inertie prolongée des autres administrateurs et aux mandats qu'ils
recevaient en blanc des actionnaires, jouir d'une entière maîtrise
sur la marche et la vie de la société. En deux ans, alors que la
société réalisait normalement un bénéfice de
40 millions, ils lui firent subir une perte de 168 millions ; après
avoir obtenu 500 millions de l'épargne publique et mobilisé 430
millions de réserves, ils durent déposer son bilan. Sans
décrire tous leurs agissements, on peut relever qu'ils achetèrent
des meubles fabriqués par le conseiller financier pour un montant de 52
millions et les revendirent avec une perte de 27 millions, à laquelle
s'ajoutent notamment les dépenses de publicité et le financement
à concurrence de 34 millions, d'une société chargée
d'écouler ces meubles ; qu'ils achetèrent des chaussures,
fabriquées par une société ou le conseiller financier
était directeur adjoint et le président du conseil,
administrateur, et les revendirent avec une perte de 18 millions ; qu'ils
donnèrent, à concurrence de 50 millions, la garantie du Bon
Marché à une société qui, à partir d'une
certaine date, fonctionna essentiellement au profit des fabriques de meubles et
de chaussures dans lesquelles était intéressé le
conseiller financier ; puis que, sans aucune autorisation, ils vendirent 50
millions du portefeuille du Bon Marché pour honorer leur signature ;
qu'enfin, sans que le conseil d'administration ne soit au courant de ces
manoeuvres, ils installèrent dans les locaux du Bon Marché une
société à responsabilité limitée
formée entre l'ami du conseiller financier et une société
dont il était président directeur général, et y
engagèrent plus de 200 millions pour les résultats toujours
déficitaires. En rémunération de cette activité,
ils se firent remettre du Bon Marché, l'un 22 millions et l'autre 17
millions, cette rémunération étant calculée sur le
chiffre d'affaires.
Plusieurs enseignements sont à tirer de cet
arrêt. En l'espèce, deux hommes ont ignoré la loi.
Autrement dit, ils ont agi sans que leurs collègues du conseil
d'administration, les commissaires aux comptes et surtout les actionnaires ne
se soient rendus compte de la gestion catastrophique des affaires sociales. Par
conséquent, cet arrêt confirme l'effacement de l'assemblée
d'actionnaires comme organe de contrôle de l'activité sociale.
Cette situation entraîne ainsi la confiscation de ses pouvoirs par la
direction.
B - La confiscation du pouvoir de l'assemblée
d'actionnaires par le conseil d'administration
La confiscation du pouvoir de l'assemblée
d'actionnaires par le conseil d'administration est le résultat de
l'absentéisme parfois excessif des actionnaires aux assemblées.
En effet, malgré un développement notable de l'information
organisée en leur faveur, ces derniers ne participent pas de
façon active à la vie sociale comme le voudrait l'affectio
societatis. Ils ne se sentent pas réellement impliqués dans
la marche des affaires sociales et n'ont pas une bonne mentalité
d'associés. Cette confiscation des pouvoirs s'effectue
fréquemment par le truchement des pouvoirs en blanc dont
bénéficient les dirigeants sociaux.
Dans les grandes sociétés, l'actionnaire qui ne
peut ou ne veut assister à l'assemblée ne connaît pas
d'autre actionnaire à qui donner procuration. C'est pourquoi les
sociétés demandent aux banques d'adresser à leurs clients,
moyennant commissions, une formule de procuration, signée par
l'actionnaire et renvoyée sans indication de nom de mandataire : c'est
la pratique des pouvoirs en blanc ou mandats en blanc189.
187 André TUNC, « L'effacement des organes
légaux de la société anonyme », D. 1952, p.
74.
188 Paris, 9 janvier 1942, D.
1952, p. 383.
189 Philippe MERLE, Droit commercial,
Sociétés commerciales, 12eme éd., Précis
Dalloz, Paris, 2008, n° 470, p. 563.
Cette pratique se traduit par la présence de quelques
dizaines ou centaines d'actionnaires aux assemblées190. Elle
peut entraîner des abus car elle renforce les pouvoirs des dirigeants qui
vont utiliser les voix des dizaines ou milliers d'actionnaires qui se
désintéressent de la vie sociale. Elle est un mode d'accaparement
des voix pour le conseil d'administration et rend illusoire l'omnipotence de
l'assemblée d'actionnaires. Autrement dit, le pouvoir de
l'assemblée est normalement confisqué par le conseil grâce
aux mandats qu'il reçoit et les dirigeants « sont en mesure de
conduire la société aussi aisément que le ferait un
entrepreneur individuel dans son entreprise »191.
Dès lors, c'est la direction qui fait la
majorité aux assemblées d'actionnaires, et le contrôle
capitaliste ne s'exerce plus véritablement192. Le pouvoir est
exercé sans partage par les dirigeants qui s'appuient sur une fraction
relativement élevée du capital pour diriger la
société. N'est-ce pas une insulte à la «
démocratie actionnariale »193. A cet effet, comme
l'écrivait M. Louis LOSS en 1961 : « Sans règlementation, le
mandat est une invitation ouverte à l'auto-perpétuation et
à l'irresponsabilité de la direction »194 et M.
D. E. MANGUELLE a justement relevé que « prenez n'importe lequel
d'entre nous, donnez-lui une parcelle de pouvoir et il deviendra suffisant,
arrogant, intolérant, jaloux de ses prérogatives qui ne souffrent
d'aucune délégation »195.
En pratique, ces pouvoirs sont utilisés par le
président qui les répartit entre les actionnaires présents
qui lui sont fidèles ; ce qui assure la stabilité de son pouvoir,
parfois même de manière abusive, en particulier en cas d'appel
public à l'épargne196. Ainsi l'assemblée se
trouve en marge de la gestion sociale. En conséquence, les
assemblées seraient donc une illustration de la théorie des trois
L : « litanie, liturgie, léthargie »197.
D'ailleurs, les pouvoirs en blanc remis aux dirigeants sociaux
qui les utilisent à leur guise pour orienter les décisions de
l'assemblée en leur faveur expliquent un chevauchement dans les
compétences de ces deux organes. Grâce à ces pouvoirs, les
dirigeants de la société deviennent « maîtres des
assemblées »198, car ils obtiennent plus facilement le
quorum. De plus, cela leur permet d'éviter les frais et retard d'une
seconde convocation199. Cet état des lieux consacre le
déclin de l'assemblée d'actionnaires et remet en cause la
théorie contractuelle de la société. Au total, il ne reste
que les bribes de la théorie démocratique200 de la
société anonyme. D'autres raisons rendent davantage le
contrôle interne collectif insuffisant.
SECTION II : LES AUTRES SOURCES D'INSUFFISANCE DU
CONTROLE INTERNE COLLECTIF
Le contrôle que l'assemblée d'actionnaires exerce
sur la gestion sociale s'avère quelquefois limité. Plusieurs
raisons sont à l'origine de cette situation. Parmi celles-ci, figurent
l'insuffisance du contrôle due à la faible fréquence des
assemblées et à certaines formes de sociétés
(paragraphe I). Les autres sources d'insuffisance de ce
contrôle sont inhérentes à la qualité d'actionnaire
(paragraphe II).
Paragraphe I : L'insuffisance du contrôle due
à la faible fréquence des assemblées et à certaines
formes de sociétés
190 Ainsi par exemple, lors de l'AG de la
société Air Liquide tenue le 12 mai 1999, il y avait 3900
actionnaires présents et 14200 actionnaires représentés,
les uns et les autres détenant pres de 47 % du capital.
191 Maurice COZIAN, Alain
VIANDIER, Florence DEBOISSY, Droit des sociétés, 17eme
éd., LITEC, Paris, 2004, n° 631, p. 289.
192 V. I. RENAUDIE, La
distinction des prérogatives financiers et de gouvernement des
sociétés, These de Doctorat en Droit, Paris X, 1988 cité
par Paul LE CANNU, ibid., p. 334.
193 Maurice COZIAN et alii,
ibid., n° 658, p. 299.
194 Louis LOSS cité
par André TUNC, Le droit américain des sociétés
anonymes, Economica, Coll. Etudes Juridiques Comparatives, Paris, 1985, n°
191.
195 Daniel Etounga MANGUELLE,
« L'Afrique a-t-elle besoin d'un ajustement culturel ? » Editions
Nouvelles du Sud, 1991 cité par Yacouba AGNINA, op.cit., p.
92.
196 Dominique VIDAL, Manuel
droit des sociétés, 5eme éd., LGDJ, Paris,
2006, n°1146, p. 549.
197 Yves GUYON, Droit des
Affaires, Droit Commercial Général et Sociétés,
Tome 1, 12eme éd., Economica, Paris, 2003, p. 311.
198 Camille JAUFFRET-SPINOSI,
« Les assemblées générales d'actionnaires dans les
sociétés anonymes, réalité ou fiction? (Etudes
comparatives) » Etudes offertes a René RODIERE, Dalloz 1981, p.
128.
199 Philippe MERLE, ibid.,
n° 481, p. 575.
200 Paul LE CANNU, Droit des sociétés,
Domat, Droit privé, Montchrestien, Paris, 2002, p. 335.
Les sources de l'insuffisance du contrôle interne
collectif découlent d'un coté de la faible fréquence de la
tenue des assemblées dans les sociétés anonymes
(A) et, de l'autre, d'un cas atypique à savoir le
simulacre de contrôle dans les sociétés familiales
(B).
A- La faible fréquence de la tenue des
assemblées
La fréquence de la tenue des assemblées
détermine l'efficacité du contrôle interne collectif. En
effet, lorsque cette fréquence est élevée, elle constitue
un moyen efficace de contrôle des affaires sociales. Or, il convient de
constater que la faible fréquence des réunions des actionnaires
ne permet pas à cette collectivité d'exercer le contrôle
des affaires sociales. Cette faible fréquence de la tenue des
réunions constitue une faiblesse de l'assemblée d'actionnaires et
affecte considérablement le contrôle qu'ils exercent sur la
gestion de la société201. Elle a été
mise en exergue par l'article 548 alinéa 1er de l'AUSCGIE qui dispose
que « l'assemblée générale ordinaire est
réunie au moins une fois par an, dans les six mois de la clôture
de l'exercice, sous réserve de la prorogation de ce délai par
décision de justice ».
D'ailleurs, l'assemblée d'actionnaires ne joue
véritablement pas son rôle d'organe de contrôle. Elle est
souvent considérée comme un roi fainéant, puisqu'il ne
travaille que quelques heures par an202. C'est ce qu'a pu observer
le professeur JEANTIN lorsqu'il affirme que « l'efficacité du
contrôle est limitée non seulement en raison de la
complexité grandissante des difficultés d'ordre technique ou
comptable, mais aussi en raison de la faible fréquence des
réunions »203. Bien plus, l'organe souverain de la
société ne peut exercer un contrôle tout à fait
efficace sur l'action quotidienne des dirigeants sociaux. L'inefficacité
de ce contrôle découle du fait que l'assemblée
d'actionnaires se réunit épisodiquement204.
Aussi, convient-il de souligner qu'à côté de
cette faible fréquence de la tenue des réunions des actionnaires,
source la plus évidente de l'inefficacité du contrôle, se
trouve le simulacre de contrôle dans les sociétés
familiales.
B- Le simulacre de contrôle dans les
sociétés familiales
Le contrôle des conventions et des comptes sociaux
relève de la compétence des actionnaires. En effet, seule
l'assemblée ordinaire est compétente pour exercer ce
contrôle. Mais, très souvent, l'efficacité de ce
contrôle est limitée en raison du fait que les actionnaires, dans
certaines sociétés familiales, simulent une approbation
sérieuse.
En principe, l'assemblée générale se
réunit une fois dans l'année pour approuver les comptes de la
société. A titre d'exemple, pour une société X qui
a clôturé ses comptes le 31 décembre 2006,
l'assemblée générale ordinaire doit se réunir le 30
juin 2007 au plus tard. L'approbation n'est pas automatique. Celle-ci peut les
approuver, les modifier ou les rejeter. Le rejet implique une sanction
infligée aux dirigeants sociaux et, au-delà de l'approbation des
comptes, c'est toute la gestion de la société qui est
contrôlée. Les actionnaires prendront la décision de
renouveler ou non leur confiance aux dirigeants. Tout se passe comme « une
assemblée politique qui censure ou approuve la politique du gouvernement
à l'occasion du vote du budget »205.
Or, en réalité, ce contrôle n'est pas pour
la plupart du temps effectif. Cette situation s'explique justement par le fait
que dans les sociétés anonymes, les dirigeants détiennent
très souvent une fraction importante du capital. En effet, il est tout
à fait normal que si les dirigeants des sociétés, qui
souvent ont engagé des sommes importantes dans la société
(même si cela ne représente qu'une faible partie du capital
social) détiennent sans contestation la majorité dans les
assemblées, en utilisant l'une des méthodes offerte par la loi
pour atteindre le quorum et majorité requis : mandat en blanc,
proxies, vote par les banques dépositaires, les
assemblées en tant que lieu de discussion et d'expression de la
volonté des actionnaires sont un simulacre206.
201 Selon un membre du
syndicat des actionnaires de SAGA-TOGO, une seule assemblée se tient par
an. Les assemblées extraordinaires se tiennent rarement.
202 André TUNC, Le
droit anglais des sociétés anonymes, 2e éd., Dalloz 1978,
Paris, n° 118.
203 Michel JEANTIN, Droit des
sociétés, Montchrestien, Paris, 1989, p. 142.
204 Gabriel GUERY, Droit des
affaires, 3eme éd., CLET, Paris, 1987, p. 715.
205 Yves GUYON, ibid.,
n° 411, p. 444.
206 Camille JAUFFRET-SPINOSI, article
précité, p. 127.
Au demeurant, dans les petites sociétés
familiales, lorsque le fondateur et sa famille détiennent la
quasi-totalité du capital social, la réunion d'une
assemblée est d'ordinaire jugée inutile. Elle est même
quelquefois remplacée par une délibération
écrite207. Mais une partie de la doctrine estime qu'un nombre
croissant d'Etats permettent de remplacer l'assemblée
générale par une consultation écrite des actionnaires,
certains du moins quand ils sont d'un avis unanime ; c'est une disposition qui
peut être réservée aux petites sociétés ou
qui, en tout cas, ne jouera guère pratiquement que pour
elles208.
Néanmoins, la faible fréquence des
assemblées et le simulacre de contrôle dans les
sociétés familiales ne sont pas les seules sources d'insuffisance
du contrôle interne collectif. Il existe bien d'autres difficultés
qui le paralysent davantage.
Paragraphe II : Les sources d'insuffisance du
contrôle inhérentes à la qualité des
actionnaires
La passivité des actionnaires (A) ne fait
pas de l'assemblée d'actionnaires un véritable organe de
contrôle de l'activité sociale. Il en est de même du
désintérêt qu'ils manifestent à l'égard de la
vie sociale (B).
A- La passivité des actionnaires aux
assemblées
La passivité est un impedimenta qui affecte
viscéralement le contrôle exercé par l'assemblée
d'actionnaires sur la gestion sociale.
En effet, la passivité est un mal sérieux qui
fait de l'assemblée d'actionnaires un organe indolent. Ici, les
actionnaires assistent certes aux réunions, mais ne réagissent
pas pour la plupart lors des débats. En vue de cela, le professeur Y.
GUYON souligne que « les actionnaires sont généralement des
moutons, parfois des lions, toujours des bêtes » et d'ajouter qu'ils
sont « des sacs d'écus qui délibèrent
»209. D'ailleurs, la passivité des actionnaires a
conduit la doctrine à les qualifier de « robots
»210, car ils donnent toujours quitus à la gestion de la
société par les dirigeants de quelque nature que soient les
rapports et communications qui leur sont soumis. Cette situation résulte
de l'attitude des actionnaires passifs qui se contentent de faire un placement,
en se réservant la possibilité de quitter la
société en vendant leurs titres si les dirigeants ne leur
inspirent plus confiance (ils « votent avec les pieds »,
c'est-à-dire en s'en allant)211.
Plusieurs raisons sont à l'origine de cette situation.
En effet, la plupart d'actionnaires manquent de connaissances en matière
juridique et comptable. Ce qui fait qu'ils interviennent rarement lors des
débats aux assemblées puisqu'ils ne cernent pas, dans la plupart
des cas, leur portée. Ainsi en est-il des actionnaires de la
société SAGA-TOGO qui préfèrent ne pas intervenir
lors des débats afin de « cacher leur ignorance, selon les termes
d'un membre du syndicat des actionnaires de la société SAGA-TOGO.
Ils viennent le jour où les dividendes sont distribués pour
applaudir et approuver, parfois à l'unanimité, la politique des
dirigeants ».
En outre, cette passivité demeure souvent une manoeuvre
des dirigeants sociaux. En effet, mêmes si les actionnaires posent des
questions lors des assemblées, ils n'obtiennent pas toujours des
réponses satisfaisantes. Ils sont, selon ce membre du syndicat,
renvoyés sur des sites web qui les obligent à se taire. Ainsi,
lors d'une assemblée, un actionnaire avait contesté les
honoraires du commissaire aux comptes qu'il avait jugé excessifs. Le
commissaire aux comptes avait répondu que cela se trouve dans les
textes, décrets et lois qu'il peut trouver sur un site web. Ce qui a
contraint l'actionnaire à ne plus poser de questions.
De plus, il faut mentionner la jeunesse du droit OHADA dont la
plupart d'actionnaires ne maîtrisent pas totalement les contours. Cela
décourage énormément les actionnaires et ne les exhorte
pas à poser des questions. A cet effet, un actionnaire
irrévérencieux a dit : « L'assemblée
générale, c'est la messe en latin. Là où on ne
comprend pas, on s'endort »212.
Par surcroît, il convient d'ajouter que, lorsque la
réunion se tient après le déjeuner par exemple, elle n'est
pas de nature à favoriser la participation des actionnaires aux
réunions et n'incite guère à la vigilance. Bien plus,
à un tel moment, certains
207 Philippe MERLE, Droit
commercial, Sociétés commerciales, 12eme éd.,
Précis Dalloz, Paris, 2008, n° 546.
208 André TUNC, Le
droit américain des sociétés anonymes, Economica, Coll.
Etudes Juridiques Comparatives, Paris, 1985, p. 308.
209 Yves GUYON, ibid., p.
311.
210 André TUNC, « L'effacement des organes
légaux de la société anonyme », D 1952, Chr, p.
74.
211 Paul LE CANNU, Droit des
sociétés, Domat, Droit privé, Montchrestien, Paris, 2002,
n° 782.
212 Yves GUYON, ibid, n°
302.
actionnaires particulièrement les retraités dont
l'âge a affaibli la combativité ou l'efficacité
s'abstiennent de parler ou interviennent mal213. Ainsi, ils sont
parfois qualifiés de membres d'une « société par
inaction »214 à cet effet. S'ils ne cernent pas la
portée des débats, comment peuvent-ils réagir valablement
? A cette passivité, il convient d'ajouter le
désintérêt que la majorité d'actionnaires manifeste
à l'égard de la marche des affaires sociales.
B- Le désintérêt des actionnaires de la
marche des affaires sociales
Le désintérêt est la perte de
l'intérêt qu'une personne éprouve à l'égard
de quelque chose. Dans le cas d'espèce, il s'agit d'une
indifférence manifeste à l'égard de la vie sociale.
Normalement, les actionnaires doivent porter une attention
particulière à l'évolution des affaires sociales puisque
ce sont eux qui ont fait des apports de diverses natures pour la
création de la société. Ils doivent vérifier la
destination de leur argent.
Mais cette réalité n'est pas effective. En
effet, il y a des sociétés qui ont des milliards du capital
social et dont les actionnaires se comptent par centaines de milliers. La
plupart d'entre eux décident, peut-être de leur propre gré,
de rester en marge des activités sociales. Ils ne s'évertuent
même pas à assister aux réunions, car ils n'ont ni les
moyens juridiques et judiciaires, ni même souvent l'intention de
s'immiscer dans la gestion, voire seulement de la contrôler. Cette
indifférence ne leur permet pas d'exercer un contrôle efficace sur
la gestion de la société. A cet effet, le professeur M. COZIAN a
relevé que « s'il est des cas où l'actionnaire, par ce qu'il
détient une part essentielle du capital social (et donc des droits de
vote), participe au gouvernement de la société par personne
interposée, il en est d'autres où, simple épargnant
n'ayant qu'en vue que la valorisation des titres, il demeure de son plein
gré à l'écart de la direction des affaires sociales, ne
prenant même pas la peine de participer aux assemblées
»215. Par conséquent, ce phénomène est de
nature à fragiliser la mise en oeuvre du contrôle interne
collectif.
Dans l'espace OHADA, notamment au TOGO, le contrôle des
affaires sociales échappe aux actionnaires. Il en est ainsi de « la
majorité d'actionnaires de la société SAGA-TOGO qui
préfèrent s'éloigner de la gestion sociale » selon un
actionnaire de la société.
Cependant, en dépit de cette insuffisance du
contrôle interne collectif, il convient de noter qu'une pléiade de
moyens légaux, conventionnels et autres permettent donc d'aller à
la recherche de son efficacité.
CHAPITRE DEUXIEME : LE CONTROLE INTERNE COLLECTIF : A
LA RECHERCHE DE L'EFFICACITE
La recherche de l'efficacité du contrôle interne
collectif est rendue possible grâce à l'effort sans cesse
croissant du législateur qui ne se lasse point de venir à la
rescousse des actionnaires, notamment minoritaires. Cette recherche se traduit
par la reconnaissance expresse ou implicite de plusieurs moyens prévus
par le législateur. Il s'agit des manifestations légales
permettant d'assurer une réelle évolution du contrôle
interne collectif (Section I).
Dans la même optique, le contrôle interne
collectif connaît certaines évolutions grâce justement
à la présence d'une catégorie particulière
d'actionnaires aux assemblées et le recours à diverses autres
pratiques aux assemblées facilitant l'exercice du contrôle des
affaires sociales. Il s'agit là des manifestations pratiques d'une
évolution certaine du contrôle interne collectif (Section
II).
SECTION I : LES MANIFESTATIONS LEGALES D'UNE
REELLE EVOLUTION DU CONTROLE INTERNE COLLECTIF
La possibilité de représentation de
l'actionnaire par un mandataire de son choix et la nullité des
assemblées irrégulièrement convoquées sont les
moyens reconnus expressément par le législateur africain
(Paragraphe I). En outre, de façon implicite, les
actionnaires peuvent recourir aux conventions et au vote à distance pour
améliorer ce contrôle. Il s'agit des virtualités de la loi
(Paragraphe II).
213 Yves GUYON, ibid, p.
310.
214 Yves GUYON, ibid., p. 291.
215 Maurice COZIAN, Alain
VIANDIER, Florence DEBOISSY, Droit des sociétés,
1Gerne éd., LITEC, Paris, 2004, n° 631, p. 289 ; Pierre
BEZARD, La société anonyme, Montchrestien, Paris, 1986, p.
265.
Paragraphe I : Les moyens légaux du
contrôle interne collectif
La recherche de l'efficacité du contrôle interne
collectif passe aussi par la représentation de l'actionnaire par un
mandataire de son choix (A) et la nullité des
assemblées générales irrégulières
(B) invoquées par les actionnaires.
A - La représentation de l'actionnaire par un
mandataire de son choix aux assemblées
La représentation désigne un «
procédé juridique par lequel une personne, appelée
représentant, agit au nom et pour le compte d'une autre personne,
appelée représenté »216.
La représentation présente une utilité
considérable pour les actionnaires. En effet, dans les
sociétés comportant des milliers d'actionnaires ou celles
cotées en Bourse, la plupart d'actionnaires n'assistent pas aux
assemblées générales. Pour ceux qui sont
empêchés du fait de l'éloignement ou d'un manque de
disponibilité, une possibilité leur est offerte : la
représentation. Il s'agit d'une « présence juridique
»217. La représentation permet de sauvegarder autant que
possible le caractère démocratique de la société
anonyme. A cet effet, le professeur M. COZIAN affirme qu' « il faut
compter avec les impotents, les incapables, les voyageurs, les occupés
et les agoraphobes, d'où l'idée de la représentation
»218.
Contrairement au droit français219 qui exige
que l'actionnaire soit représenté à l'assemblée
soit par un autre actionnaire, personne physique ou morale, soit par son
conjoint, le législateur de l'OHADA, quant à lui, prévoit
que l'actionnaire soit représenté par un mandataire de son
choix220. Cette représentation est d'ordre
public221.
Même si une partie de la doctrine
française222 estime que par cette restriction le
législateur a entendu éviter l'accès à
l'assemblée d'agitateurs, de maîtres chanteurs, et plus simplement
de cabinets d'affaires faisant profession de l'état des mandataires, il
convient de constater que la position adoptée par le législateur
de l'OHADA s'inscrit dans la droite logique de celle d'une partie de la
doctrine française qui souhaite que l'actionnaire choisisse
lui-même son mandataire223. Ce choix, qui mérite
d'être entièrement approuvé pour des raisons d'ordre
pratique, présente plusieurs avantages. Il permet à l'actionnaire
de donner des instructions à son mandataire ou de lui laisser une
liberté de décision. Bien plus, si l'actionnaire
représentant est nanti d'un éventail d'outils juridiques et
judiciaires, l'assemblée sera le lieu de débats fructueux
après la présentation des rapports par le conseil
d'administration et le commissaire aux comptes ; et celui-ci aurait
certainement recueilli une multitude d'informations car l'assemblée
constitue le moment privilégié pour les actionnaires de
s'informer sur la situation de la société et de s'exprimer sur sa
gestion.
Dans la même optique, dans un arrêt rendu par la
Chambre commerciale de la Cour de cassation française le 19 septembre
2006, il est reconnu à l'actionnaire la possibilité de
désigner deux mandataires224. Cette pratique présente
des avantages assez satisfaisants. En effet, les deux mandataires peuvent se
contrôler mutuellement ou s'épauler sur des questions techniques
ou juridiques. Ou encore, l'un peut suppléer l'autre en cas
d'empêchement de dernière minute, et ce ne sera pas alors une
substitution, celle-ci étant prohibée.
Nonobstant ces avantages, une telle ouverture pourrait
neutraliser la principale fonction de la loi de la majorité qui est de
faciliter la prise de décision. En outre, il peut arriver que
l'actionnaire répartisse ses votes de telle sorte qu'il accepte pour
partie, mais refuse pour l'autre ; ce qui, selon les majorités
exigées, pourrait changer l'issue du vote.
216 Raymond GUILLIEN et Jean
VINCENT, Lexique des termes juridiques, 16eme ed., Dalloz, Paris, 2007, p.
569.
217 Dominique VIDAL, op.cit,
n° 1146, p. 549.
218 Maurice COZIAN, Alain
VIANDIER et Florence DEBOISSY, ibid., n° 649, p. 295.
219 V. en ce sens art.
L.225-106
C. com.
220 Cf. art. 538 de l'AUSCGIE.
221 Crim, 26 mai 1994, JCP
1995, II, 644, H. Le NABASQUE.
222 Georges RIPERT et
René ROBLOT par M. GERMAIN et L. VOGEL, Traité de droit
élémentaire, Tome 1, 17eme ed., LGDJ, Paris, 1998,
n°1561, p. 1142.
223 Yves GUYON, Droit des
Affaires, Tome 1, Droit Commercial General et Sociétés, 12eme
ed., Economica, Paris, 2003, p. 307.
224 Paul LE CANNU, note sous
Cass.com, 19
septembre 2006, RTDcom janv-mars 2007, n° 8, p. 177.
Sauf erreur, la jurisprudence ne semble pas s'être
prononcée sur ce sujet. La doctrine225 estime qu'il se peut
qu'elle dise que ceux-ci doivent voter dans le même sens. Toutefois, le
recours au vote permet aussi de lutter contre l'absentéisme des
actionnaires, et donc de bien contrôler la gestion sociale. La
nullité des assemblées irrégulièrement
convoquées permet un retour au statu quo au sein de
l'entreprise.
B - La nullité des assemblées
générales irrégulièrement
convoquées
La nullité peut être un moyen permettant aux
actionnaires de bien contrôler la gestion et les comptes sociaux. Elle
est prévue par les dispositions impératives du droit des
sociétés et celles de droit commun.
Les actionnaires peuvent demander la nullité d'une
assemblée lorsque les dispositions impératives ont
été violées226, sauf si tous les actionnaires
étaient présents ou représentés227. Un
arrêt de la Chambre mixte de la Cour de cassation française a
précisé à propos de la violation d'une disposition
impérative du décret du 3 juillet 1978, relative à la
convocation d'un associé à une assemblée d'une
société civile, que la nullité n'est encourue qu'à
la condition que le demandeur en nullité puisse établir que
l'irrégularité qu'il invoque lui fasse grief,
c'est-à-dire, qu'il n'a pas pu jouir utilement du droit que lui
reconnaît la règle légale impérative. Cette solution
est également transposable aux sociétés
anonymes228. Il peut s'agir la nullité des assemblées
lorsque les dirigeants ont admis à tort dans les assemblées des
personnes qui n'avaient pas le droit d'y paraître, quand leurs actions et
leurs voix ont modifié le quorum ou ont donné une majorité
à la résolution qui ne l'aurait pas atteinte sans ces
voix229 ; ou de l'absence de feuilles de présences
nécessaires pour permettre de constater si le quorum a été
atteint et de contrôler l'exactitude du calcul des
majorités230 ; ou encore de la nullité de
l'assemblée irrégulièrement convoquée par le
conseil d'administration231.
L'Acte uniforme prévoit des cas de nullité des
délibérations232. Cette nullité constitue une
garantie de contrôle pour les actionnaires minoritaires lorsqu'on sait
que le contrôle de la société anonyme est basé sur
le principe capitaliste à savoir la majorité à
l'assemblée233. Il s'agit des nullités des
délibérations fondées sur un vice de consentement ou
l'incapacité d'un actionnaire234 ou des nullités des
délibérations fondées sur la violation des règles
de publicité235. Toutefois, ces nullités peuvent faire
l'objet d'une régularisation par toute personne y ayant un
intérêt. Il n'est pas nécessaire que le demandeur à
l'action en nullité soit actionnaire de la société
à la date de l'acte ou de la délibération dont il poursuit
l'annulation236. Ainsi en est - il des délibérations
fondées sur le consentement ou l'incapacité et celles
fondées sur la violation des règles de
publicité237. Les actions en nullité se prescrivent
par trois (3) ans à compter du jour où la nullité est
encourue.
Concernant les nullités de droit commun, il convient de
souligner que les actionnaires peuvent demander l'annulation des
assemblées ou de ses délibérations pour violation des
dispositions impératives régissant les contrats. L'article 242 de
l'AUSCGIE vise les contrats en général, c'est-à-dire, les
règles établies par les articles 1108 à 1117 du Code civil
concernant le consentement, la capacité, l'objet ou la cause. Bien que
le texte ne mentionne pas la fraude238 ou l'abus, il est admis que
la jurisprudence qui annule les décisions de l'assemblée
entachées d'abus ou de fraude continue à s'appliquer. Ainsi,
une
225 Paul LE CANNU, note
précitée.
226 V. art. 242 de
l'AUSCGIE.
227 TPI Abidjan, n° 1245, 21 juin 2001, Michel Jacob
et autres c/ Société Scierie Bandema Etablissements Jacob et
autres, Ecodroit juillet 2001, p. 43. www.juriscope.org/
228 Ch. Mixte, 16 décembre 2005, Rev. soc 2006, p.
327, Bernard SAINTOURENS cité par P. MERLE, Droit commercial, societes
commerciales, 12eme éd. Dalloz, Paris, 2008, p.
579.
229 Cass. civ. 31
décembre 1913, Gaz. Pal, 1914, 1, 187 ; Paris, 18 nov. 2003, Rev. soc
2004, p. 120, Paul LE CANNU. Il convient de préciser que l'existence
d'inexactitudes de la feuille de présence n'entraine pas la
nullité des délibérations.
230 Alençon, 13 juin 1933, Gaz. Pal. 1933, 2,
748.
231 V. art. 519 al 4 de
l'AUSCGIE ;
Cass. com. 9
juill. 2002, RTDcom 2002, p. 692, J.- P. CHAZAL et Y. REINHARD.
232 Les «
délibérations » sont les décisions prises par les
organes collectifs de la société : assemblée, mais
également le conseil d'administration.
233 V. art. 174 et 175 de
l'AUSCGIE.
234 V. art. 248 de
l'AUSCGIE.
235 V. art 250 de
l'AUSCGIE.
236
Cass. com. 4
juill. 1995, JCP 1995, II, 22560, Yves GUYON.
237 Cf. art. 248 et 250 de l'AUSCGIE.
238 La fraude peut se définir aussi comme un
« acte accompli dans le dessein de préjudicier a des droits que
l'on doit respecter ». Gérard CORNU, Vocabulaire Juridique,
Association Henri CAPITANT, 6eme éd., PUF, Paris, 2004, p.
401.
assemblée générale extraordinaire a
été annulée pour fraude au motif que les actionnaires (qui
représentaient 45% du capital) avaient été exclus de la
réunion « par ruse et artifice », le président de la
société ayant prétexté, pour les éliminer,
que le certificat délivré par la banque dépositaire de
leurs actions n'était pas valable239. Telle est l'application
de l'adage latin fraus omnia corrumpit (la fraude corrompt tout).
L'action en nullité des assemblées
irrégulièrement convoquées n'est pas recevable lorsque
tous les actionnaires étaient présents ou
représentés240. Cette nullité permet à
un actionnaire qui n'a pas assisté à l assemblée de
vérifier si une entrave n'a pas été mise en oeuvre par les
dirigeants dans le but de faire obstacle à l'existence d'un quorum. Il
en est de même en cas de fraude à ses droits.
Cependant, cette nullité est facultative. Son
prononcé est laissé au pouvoir d'appréciation du juge.
Ainsi en est-il du refus d'annuler une assemblée d'actionnaires
convoquée par un conseil d'administration ayant siégé
irrégulièrement241. A côté de ces moyens
expressément reconnus par le législateur africain et facilitant
le contrôle des affaires sociales, il convient de relever d'autres moyens
reconnus implicitement par le législateur de l'OHADA.
Paragraphe II : Les virtualités de la loi
Les virtualités de la loi sont de deux ordres : il s'agit
de la conclusion des conventions par les actionnaires minoritaires
(A) et du vote à distance prévu par le
législateur français (B) mais non exclu par le
législateur africain.
A- Le recours aux conventions par les actionnaires
minoritaires
Plusieurs pactes permettent aux actionnaires minoritaires de
mieux contrôler l'activité sociale. Parmi ceux-ci se trouvent les
conventions de vote et les clauses d'information.
D'abord, l'AUSCGIE donne la possibilité aux
actionnaires minoritaires de se réunir afin de mieux contrôler la
gestion sociale. C'est ce qui ressort de l'article 175-2 du même Acte qui
dispose qu'une personne physique ou morale est présumée
détenir le contrôle d'une société lorsqu'elle «
dispose de plus de la moitié des droits de vote d'une
société en vertu d'un accord ou d'accords conclus avec d'autres
associés de cette société ». Ces conventions
permettent aux actionnaires, notamment les petits porteurs, de s'unir afin
d'influencer la gestion sociale lors du vote aux assemblées. Ils forment
ainsi le groupe minoritaire car « l'assemblée est par excellence le
lieu où se font et se défont les alliances entre associées
»242.
La constitution d'un groupe minoritaire peut se
réaliser par l'établissement d'une convention de
vote243 entre des actionnaires qui se lient pour voter une
résolution ou en faveur d'un candidat déterminé à
un poste d'administrateur. Ces conventions de vote constituent ainsi de
véritables forces de dissuasion au sein des sociétés
anonymes. Elles permettent en outre aux actionnaires de former ce que l'on
appelle un syndicat de blocage. Les actionnaires qui en font partie remettent
leurs titres au siège du syndicat et donnent au gérant du
syndicat d'exercer le droit de vote d'actions dont ils n'ont plus la
possession, ce qui d'ailleurs leur interdit également de participer aux
assemblées.
Les syndicats de blocage encore appelés syndicats de
défense sont destinés à défendre les droits des
actionnaires contre le conseil d'administration ou le groupe majoritaire lors
du vote en assemblée. Ainsi, les conventions de vote donnent aux
actionnaires ultra-minoritaires la possibilité d'exercer un
contrôle sur la marche des affaires sociales. Elles leur permettent de
mettre en place des systèmes de nature à augmenter leur influence
lors des assemblées. Ils peuvent ainsi participer à la
239 C. A Grenoble, 30 juin
1988, JCP 1989, II, 15471, Oppetit et, sur le pourvoi,
Cass. com. 27
juin 1989, Bull. IV, n° 209 cite par Francis LEFEBVRE, Droit des affaires,
Sociétés commerciales, Memento pratique, ed. LEFEBVRE, Paris,
2002, n° 10735, p. 618.
240 TPI Abidjan, jugement
n° 1245 du 21 juin 2001, Ecodroit n°1 juil-aofit 2001, p. 49 (ohadata
J-02-19) ;
www.ohada.com;
Cass. com. 8
févr. 2005, Olivier SALES,
www.onb-france.com/economica/nulllité-d-une-assemblée-generale.htlm.
28 mars 2007.
241
Cass. com. 9
juill. 2002, JCP E 2003, 627, n° 9, obs. J.-J CAUSSAIN, FL. DEBOISSY et G.
WICKER cite par Maurice COZIAN et alii, ibid., p. 647.
242 Yacouba AGNINA, La
société unipersonnelle : une solution a la crise de l'entreprise
privée en Afrique, (Line lecture critique de l'Acte uniforme de l'OHADA
relatif au droit des sociétés commerciales et du GIE), These de
Doctorat en Droit Privé, FDD, Université de Lome, 2001, p.
71.
243 L'article 175-2 de
l'AUSCGIE reconnait implicitement aux actionnaires la possibilité de
recourir aux conventions de vote afin d'exercer un contrôle sur la
societe anonyme.
formation de la volonté sociale et, en tant qu' «
organe social subsidiaire »244 contrôler la
volonté majoritaire et exercer une pression non seulement sur les
dirigeants sociaux, mais aussi sur les actionnaires majoritaires.
Seulement, les minoritaires formant ce syndicat ne doivent pas
commettre d'abus lors de l'exercice de leurs droits sous peine de sanctions.
« Il y a abus de minorité lorsque, en exerçant leur vote,
les associés s'opposent à ce que des décisions soient
prises, alors qu'elles sont nécessitées par
l'intérêt de la société, et qu'ils ne peuvent
justifier d'un intérêt légitime »245. De
cette disposition, il faut que deux conditions cumulatives soient
réunies pour que l'abus soit retenu : une opération
envisagée et jugée essentielle pour la société
d'une part, et l'opposition des minoritaires contraire à
l'intérêt social d'autre part. Dans ce cas, les minoritaires
disposent d'un pouvoir de blocage qui peut nuire au bon fonctionnement de la
société.
Il existe deux sortes d'abus. L'abus peut se traduire par une
décision sociale obtenue par surprise ou par une action en justice
abusive, on parle d'abus positif. Mais l'abus qui risque d'être le plus
fréquent consiste à bloquer toute modification des statuts en
refusant, par exemple, de voter une décision d'augmentation du capital
ou de prorogation de la société, on parle d'abus négatif.
Il peut s'agir de l'attitude de celui qui, pour des raisons exclusivement
personnelles, prend le parti de ne pas voter à l'occasion
d'assemblée réunie pour décider du déplacement du
siège social d'une société qu'on espère «
sauver » par ce moyen ; ou de celui qui, inspiré par l'intention de
nuire, ne consent pas à la dissolution anticipée d'une
société dans les cas prévus par la loi, notamment lorsque,
du fait des pertes constatées dans les états financiers de
synthèse, les capitaux deviennent inférieurs à la
moitié du capital social246.
Ensuite, les pactes d'actionnaires peuvent permettre aux
actionnaires de développer leur actionnariat. Ces pactes peuvent
contenir des clauses ouvrant un droit de consultation (par exemple sur la
nomination du commissaire aux comptes), d'information ou de contrôle
complémentaire au profit de tel ou tel actionnaire le plus souvent
minoritaire.
Les clauses d'information doivent mettre la fourniture des
renseignements visés (situation comptable trimestrielle et
détaillée, états financiers prévisionnels, projet
de budget, plan d'investissement, rapport...) à la charge des dirigeants
sociaux. Elles ne sauraient imposer des obligations particulières aux
commissaires aux comptes qui ne sont pas parties aux pactes et qui, ne peuvent
donc être obligés par eux. Toutefois, une partie de la doctrine
estime que le commissaire aux comptes doit être autorisé par la
société à répondre aux questions des
actionnaires.
Ainsi, par la mise en oeuvre de ces clauses d'information,
l'assemblée d'actionnaires deviendra, à coup sûr, un organe
de contrôle des affaires sociales car l'assemblée est le lieu
idéal de discussion et d'expression des actionnaires notamment
minoritaires. Si les assemblées sont organisées de manière
à donner aux actionnaires minoritaires le moyen de se faire entendre,
elles joueront un rôle qui pourra être important, même si
elles ne le jouent que rarement dans la vie de la
société247. Ces actionnaires s'informeront davantage
de la marche des affaires sociales lors des assemblées et le
contrôle interne collectif connaîtra une nette évolution.
D'ailleurs, les assemblées sont nécessaires pour contrebalancer
le pouvoir des dirigeants par leur gestion. A ces conventions s'ajoute le
recours au vote à distance par les actionnaires.
B - Le recours au vote à distance par les
actionnaires
Le vote à distance est une originalité du droit
français. Il a été introduit par la loi n° 2001- 420
du 15 mai 2001 sur les nouvelles régulations économiques cette
loi fait entrer les sociétés anonymes dans l'ère de la
modernité technique. Elle
244 Dominique SCHMIDT, « Les actionnaires
minoritaires, un combat légitime ? » Http //
www.creda.ccip.fr
pp 58-60.
245 Cf. art. 131 de
l'AUSCGIE.
246 Sur l'ensemble, voir
Com. 15 juil. 1992, Bull. Joly sociétés, 1992, p. 1083, note P.
LE CANNU ; Rouen, 13 juin 2000, Bull. Joly sociétés, 2001, p.
258, note J.-F. BARBERI cités par Sylvain Sorel Kuaté TAMEGHE,
« Interrogations sur l'abus de minorité dans l'Acte uniforme
relatif aux sociétés commerciales du groupement
d'intérêt économique »,
www.afrilex.u.bordeaux4.fr,
p. 3.
247 Camille JAUFFRET-SPINOSI, « Les
assemblées générales d'actionnaires dans les
sociétés anonymes, réalité ou fiction ? (Etudes
comparatives) », Etudes offertes a René RODIERE, Dalloz 1981, p.
136.
instaure le vote à distance rendu possible grâce
à l'utilisation des moyens de télécommunication
électronique248 et par visioconférence249.
Il s'agit d'une « présence virtuelle »250.
L'utilisation de ces moyens n'est pas obligatoire. Les
sociétés, qu'elles soient cotées en Bourse ou non, ne sont
pas astreintes à recourir à ce vote. Celui-ci ne peut être
permis que par les statuts. La société doit aménager un
site à cette fin facultative pour les sociétés.
L'utilisation de ces moyens est également facultative pour les
actionnaires.
Le vote à distance est un moyen permettant aux
actionnaires de mieux contrôler les affaires sociales. En effet,
même si les actionnaires viennent rarement aux assemblées, ils
peuvent participer aux assemblées en votant à distance. Autrement
dit, ils peuvent intervenir dans les débats comme s'ils étaient
physiquement présents dans la salle des délibérations. Ce
mode de vote participe du réel souci du législateur de faire
évoluer le dispositif normatif pour répondre à des
attentes des milieux d'affaires ou à des interrogations venant largement
de l'opinion publique à l'heure des TIC. Il peut se concevoir de
diverses manières : soit chaque participant à distance est seul
dans une cabine de visioconférence, soit la société
organise en divers lieux des sites de retransmission où se
réunissent les actionnaires qui n'ont pas à se déplacer
jusqu'au lieu de la tenue principale de l'assemblée.
Le vote à distance vise à réduire
l'absentéisme des actionnaires. Cette innovation mérite une
certaine approbation car les assemblées les plus représentatives
sont le meilleur gage du fonctionnement démocratique des
sociétés anonymes251. D'ailleurs, si les actionnaires
participent de façon effective aux assemblées, l'assemblée
d'actionnaires jouera beaucoup mieux son rôle d'organe de contrôle
des affaires sociales vu qu'elle est le lieu par excellence de critique des
résultats des dirigeants.
En droit OHADA, le vote à l'aide des moyens modernes de
télécommunication ou par visioconférence n'est pas
prévu et organisé par le législateur. Cette
réticence du législateur pourrait trouver sa justification.
Celui-ci aurait peut-être voulu limiter le nombre de structures et de
modes de gestion disponibles en créant des règles simples et bien
identifiées s'imposant sans exception, pour éviter les
difficultés de mise en oeuvre et la pluralité
d'interprétation252.
Mais cette réforme comporte également des
conséquences. En effet, le vote à distance pourrait se traduire
par des assemblées se limitant à la présence physique des
membres du bureau et l'établissement de la feuille de présence
risque d'être un simulacre. Bien plus, le recours à ce mode de
votation requiert d'importants moyens financiers. Ce qui induit que sa mise en
oeuvre sera peu usitée dans l'espace OHADA à cause de la taille
de nos sociétés anonymes comparées à celles
d'Europe253.
Néanmoins, à ces manifestations légales
permettant aux actionnaires minoritaires de contrôler la marche des
affaires sociales s'ajoutent des manifestations pratiques qui confèrent
au contrôle interne collectif une évolution certaine.
SECTION II : LES MANIFESTATIONS PRATIQUES D'UNE
EVOLUTION CERTAINE DU CONTROLE INTERNE COLLECTIF
A l'analyse de certains points de vue de la doctrine,
l'assemblée d'actionnaires apparaît comme un organe dont le
rôle n'est point négligeable sur la destinée de la
société. Cet état des lieux n'est rendu possible que
grâce à certains signes pratiques à savoir la
présence d'une catégorie particulière d'actionnaires aux
assemblées (Paragraphe I) d'un côté et,
aux autres moyens de contrôle de l'activité sociale
(Paragraphe II) de l'autre.
248 Le terme «
télécommunication électronique » est ambigu mais
semble viser uniquement l'internet et non la télécopie, Y. GUYON,
« Les dispositions du décret du 3 mai 2002 relatives aux
assemblées générales d'actionnaires », Rev. soc
juil.-sept 2002, p. 421. Cet auteur fait référence a l'article
119 de ce décret qui mentionne la nécessité
d'aménager un « site ».
249 Le terme «
visioconférence » suppose que l'actionnaire puisse voir et ne pas
seulement entendre, ce qui exclut la tenue d'assemblées par
conférences téléphoniques ou par télécopie
au motif qu'ils n'offrent pas des garanties de sécurité et de
fiabilité. Il s'agit, par exemple, des cybercaméras.
Barthélemy MERCADAL, Philippe JANIN, Droit des affaires,
Sociétés commerciales, Mémento pratique, éd.
LEFEBVRE, Paris, 2002, n° 10560.
250 Dominique VIDAL, Droit des sociétés,
5eme éd. LGDJ, Paris, 2006, p. 549.
251 Yves GUYON, Droit des
Affaires, Droit Commercial Général et Sociétés,
Tome 1, 12eme éd., Economica, Paris, 2003, p. 427.
252 Benoit LEBARS et Boris
MARTOR, « Management et financement de la société anonyme de
droit OHADA », JCP 2004, n° 5, supplément a la Semaine
Juridique n° 44, p. 12.
253 Il s'agit des grandes
sociétés comme Vivendi Universal de France qui font recours a ce
moyen moderne de votation aux assemblées.
Paragraphe I : La présence d'une
catégorie particulière d'actionnaires aux assemblées
La présence d'une catégorie particulière
d'actionnaires notamment les associations de défense d'actionnaires
minoritaires (A) et les investisseurs institutionnels
(B) aux assemblées semble être le signe d'une
évolution certaine du contrôle interne collectif.
A - La présence des associations de
défense d'actionnaires minoritaires aux assemblées
Les actionnaires minoritaires ont la possibilité de se
regrouper au sein d'une association destinée à représenter
leurs intérêts dans la société254 et, par
conséquent, mieux contrôler l'activité sociale.
Ces types d'associations constituent une source de
contre-pouvoir au sein des sociétés anonymes. En effet, depuis
peu, une révolution semble perceptible aux assemblées car les
associations de défense des actionnaires minoritaires ne cessent de
jouer un rôle considérable dans la gestion sociale. Elles
réunissent de ressources, des capacités et des compétences
d'un ensemble d'acteurs, plus ou moins actifs. Le contrôle qu'elles
exercent sur les affaires sociales est marqué par un activisme qui se
caractérise par un ensemble d'activités d'influence : actions
judiciaires systématiques et parfois
médiatisées255 . L'assemblée
générale d'Eurotunnel en date du 7 avril 2004 est un exemple
remarquable.
Les faits se résument de la manière suivante. En
effet, le 15 mai 2003, lors d'une assemblée générale
ordinaire, une association d'actionnaires minoritaires a demandé la
révocation du conseil d'administration en s'appuyant sur une
dégradation constante des comptes de la société depuis
plus de dix (10) ans. Elle n'a pas obtenu gain de cause. Alors, les
actionnaires minoritaires ont décidé de mettre à profit
les dispositions de la loi sur les nouvelles régulations
économiques, abaissant les seuils d'intervention des minoritaires, en
utilisant l'article L.225-103-II-2 du Code de commerce. Ils ont donc saisi le
Tribunal de commerce de Paris afin de demander la nomination d'un mandataire en
vue de convoquer une assemblée d'actionnaires. C'est par un jugement
rendu le 3 décembre 2003 que le Tribunal de commerce de Paris leur a
donné satisfaction256. Ainsi, ce « putsch des
minoritaires » remet en cause le théorème du
député Laignel qui avait lancé : « Vous avez
juridiquement tort car vous êtes politiquement minoritaires
»257.
D'ailleurs, la présidente de l'association de
défense d'actionnaires minoritaires (ADAM), Colette NEUVILLE, a
critiqué le salaire du président directeur général
de l'équipementier en difficulté Valeo, Thierry MORIN, estimant
que ce dernier ne respectait pas les recommandations du MEDEF258 en
la matière259. Par conséquent, ces associations ont
des pouvoirs accrus de contrôle des sociétés car la «
juridicisation » systématique de leurs contestations a conduit au
développement d'un activisme actionnarial. L'activisme croissant des ces
associations lors des assemblées générales leur a
donné une visibilité et une crédibilité qui leur
permettent aujourd'hui d'exercer une influence sur les pratiques
financières260.
Dans l'espace OHADA, il existe également des
associations de défense d'actionnaires minoritaires qui jouent le
même rôle que celles françaises. Il en est ainsi du syndicat
des actionnaires de SAGA-TOGO affilié à la
confédération nationale des travailleurs du Togo (CNTT) qui
défend les intérêts des actionnaires Togolais
détenant dix neuf pour cent (19 %) du capital social261.
Selon un membre de ce syndicat, le terme syndicat contrairement au terme
association est préférable puisqu'il inspire une certaine «
crainte ». Ce syndicat a mené plusieurs batailles judiciaires ou
revendications relatives à la gestion de la
société262. Il a ainsi assigné devant les
juridictions togolaises certains dirigeants pour une mauvaise,
désastreuse et opaque
254 V. en ce sens art L
225-120
C. com et 160
AUSCGIE.
255 Carine GIRAD, « Une
typologie de l'activisme des actionnaires minoritaires en France », p.
1-25, http //
www.ubourgogne.fr
256 Marie-Christine
Monsallier-Saint MEULX, note sous Trib com. Paris, 3 décembre 2003, Rev.
soc 2005, n° 4, p. 847.
257 Marie-Christine
Monsallier- Saint MEULX, ibid., p. 847.
258 Mouvement des Entreprises
De France.
259 A la une des Echos.fr le 17 janv. 2009 ; Dominique
SCHMIDT, « Les actionnaires minoritaires, un combat légitime ?
» Http //
www.creda.ccip.fr
pp 58-60.
260 Marc LAPOTRE, « L'action syndicale lors des
assemblées générales d'actionnaires »,
http://
www.marclapotre.fr, pp. 1-8.
261 Selon ce membre du
syndicat, la société SAGA-FRANCE détient 81% du
capital.
262 Selon un membre du
syndicat, plusieurs actions ont été intentées devant les
juridictions de Lomé. Elles sont, a l'heure actuelle, en
instance.
gestion de la société. Il a
procédé au retrait de confiance du président du conseil
d'administration qui est en cours. Seulement, ce membre affirme que « ces
revendications ou actions entreprises aboutissent rarement compte tenu de la
lenteur judiciaire ».
L'existence de telles associations d'actionnaires au sein des
sociétés mérite d'être approuvée car elles se
recommandent de l'utilité même du contrôle des affaires
sociales. En effet, celles-ci ne visent pas la seule protection des
minoritaires souvent à l'origine de la saisine du juge. C'est de
préférence l'intérêt de la société
qu'elles sont destinées à protéger. Cette situation
s'explique aussi par le recours sans cesse croissant des minoritaires à
ces associations263. Les investisseurs institutionnels jouent
également le même rôle que ces dernières.
B - La présence des investisseurs
institutionnels aux assemblées
Les investisseurs institutionnels sont des organismes
détenteurs de capitaux très importants, comme les
sociétés d'investissement, les fonds de pension, les compagnies
d'assurance, amenés par leurs activités à placer sur les
marchés des capitaux (bourse, marché monétaire,
marché des devises) les fonds qu'ils collectent264.
Ces investisseurs institutionnels sont, dans la plupart des
cas, actionnaires dans les sociétés anonymes. Ces professionnels
des placements financiers font, à côté des actionnaires
individuels ou minoritaires, des placements financiers et détiennent
très souvent des participations significatives.
Comme les associations de défense d'actionnaires
minoritaires, les investisseurs institutionnels contrôlent mieux la
gestion des affaires sociales. En effet, grâce à leur
présence aux assemblées, le contrôle interne collectif
connaît une évolution réelle et une transparence dans la
gestion sociale se dessine progressivement. Au début des années
quatre-vingt, ces investisseurs institutionnels étaient apathiques
à l'égard de l'activité sociale. Un activisme
émanant d'eux constituait une certaine hardiesse265. Mais, au
fil du temps, ces derniers sont devenus de véritables organes de
contrôle. Ainsi en est-il du fonds de pension américain
CalPERS266 qui décida d'accroître la surveillance de la
gestion des entreprises composant son portefeuille demeure un exemple
illustratif.
Depuis lors, ce fonds de pension n'hésite pas à
voter contre les résolutions proposées par la direction voire
à réaliser des contre-propositions. Leur activisme se fit plus
agressif à partir de 1992. Certains dirigeants dont les performances
seraient médiocres ou qui ont commis de fautes de gestion ont
été révoqués par ces derniers267. Bien
plus, ces investisseurs exercent une influence réelle et permanente sur
les décisions prises par le conseil d'administration. Ils
possèdent en outre un pouvoir de persuasion au sein de la
société anonyme. Ainsi, l'actionnariat traditionnel,
dispersé, inorganisé et incompétent est peu à peu
remplacé par des investisseurs institutionnels268. A cet
effet, le professeur P. LE CANNU affirme que « la résultante de
tous ces mouvements prend la forme d'une régénération des
assemblées »269.
Dans l'espace OHADA, plusieurs investisseurs institutionnels
détiennent une fraction importante du capital dans les
sociétés. Ainsi en est-il de la Caisse de sécurité
sociale du Ghana qui est actionnaire de la société ECOBANK
Transnational Incorporated (ETI), maison mère du groupe ECOBANK, qui au
moment de sa cotation à la Bourse régionale des valeurs
mobilières (BRVM), avait plus de 3.000 actionnaires270.
Seulement leur activisme n'est pas très perceptible au sein des
assemblées. Toutefois, avec l'internationalisation du droit, il convient
de noter que cet activisme sera notable dans l'avenir comme celui des pays
développés. A côté de ces actionnaires particuliers,
il sied de préciser que le recours à une multitude de moyens
permet de contribuer davantage à une évolution certaine du
contrôle interne collectif.
263 Paris, 14 févr.
2006, RTDcom 2006, p. 427, Paul LE CANNU.
264 Raymond GUILLIEN et Jean VINCENT, Lexique des termes
juridiques, 16eme éd., Dalloz, Paris, 2007, p.
370.
265 Nicolas CUZACT, « Le
vote des gestionnaires d'OPCVM », Rev. soc n° 3, 2006, p.
491.
266 Il s'agit de la
California Public Employees Retirement System, un fonds de pension
américain.
267 P. BISSARA, «
L'influence de la professionnalisation de l'actionnariat dans les
sociétés cotées sur le fonctionnement de ces
dernières », Mélanges VASSEUR, p. 11 cité par Yves
GUYON, Droit des affaires, Tome 1, Droit Commercial Général et
Sociétés, 12eme éd., Economica, Paris, 2003, p. 292. Il
s'agit, en outre, de la révocation des dirigeants d'IBM et d'American
Express.
268 André TUNC, «
Le gouvernement des sociétés anonymes, le mouvement de
réforme aux Etats-Unis et au Royaume-Uni », Rev. int. dr. comp
1994, 59 cité par Yves GUYON, ibid., p. 783.
269 Paul LE CANNU, ouvrage
précité, p. 469.
270 Http1/ www.ouestaf.com/
Ecobank-entre-en-bourse-par-un-triple-historique-a93.html. 5 févr.
2010.
Paragraphe II : Le recours à d'autres moyens du
contrôle interne collectif
Plusieurs autres moyens permettent d'aller à la
quête d'une efficacité du contrôle interne collectif. Il
s'agit, d'une part du recours aux clauses d'information (A)
et, d'autre part de divers autres moyens de contrôle des affaires
sociales (B) nés de la pratique.
A- La nomination des actionnaires minoritaires au conseil
d'administration
La nomination d'un minoritaire au conseil d'administration
permet de fidéliser les minoritaires. Elle vise à les
intéresser à la marche ou à l'évolution des
affaires sociales afin qu'ils puissent mieux contrôler la gestion sociale
est de leur faire une place au conseil d'administration271. En
effet, théoriquement, toute personne peut être administrateur
d'une société anonyme si elle est élue à cette
fonction.
Dans la pratique, le conseil d'administration est le plus
souvent composé d'actionnaires influents disposant de la majorité
du capital social. Dans cette optique et pour éviter que cette
entrée ne conduise les administrateurs à imposer un diktat aux
minoritaires, il est préférable que ces derniers, par le biais
d'un aménagement statutaire, puissent siéger en tant
qu'administrateurs272. Le conseil d'administration sera ainsi
composé d'actionnaires dans chacun des groupes selon une proportion
déterminée à l'avance dans les statuts. Les minoritaires
qui siègent au conseil d'administration représentent la voix des
autres et défendent leurs intérêts. Ils peuvent ainsi
suivre de près la politique menée par le groupe majoritaire
siégeant au conseil et, parfois, la contester. Cette nomination
rehausse, par conséquent, le rôle joué par les minoritaires
au sein de l'entreprise à savoir le contrôle des affaires
sociales.
Mais la jurisprudence estime que cette répartition
licite des sièges comporte des limites. En effet, une décision du
Conseil constitutionnel a fixé une limite, qui semble
raisonnable273 : la clause ne doit pas « avoir pour
résultat qu'une catégorie d'associés sera en tout
état de cause minoritaire dans ces conseils, quelle que soit la
proportion du capital qu'elle détient ». « Le caractère
général et absolu de cette disposition apporte au principe
d'égalité une atteinte qui dépasse manifestement ce qui
serait nécessaire pour faire droit à la situation
particulière de certaines catégories d'associés
»274. Il convient de noter en outre que la répartition
des sièges de telle ou telle partie de l'actionnariat fait l'objet d'une
préoccupation majeure du gouvernement d'entreprise. A ce moyen de
contrôle des affaires sociales, il existe bien d'autres moyens de
contrôle.
B - L'existence d'autres moyens concourant à
l'évolution certaine du contrôle interne collectif
Depuis quelques années, la collectivité
d'actionnaires joue un rôle de premier plan au sein des
sociétés anonymes. Un changement de mentalité des
actionnaires nettement perceptible aux assemblées se produit sous
l'impulsion aussi bien du législateur que de la doctrine. Cette
révolution qui permet un véritable contrôle des affaires
sociales est rendue possible grâce à divers moyens parmi lesquels
figurent la création des clubs d'actionnaires, la distribution
régulière des dividendes, la reconnaissance aux actionnaires
minoritaires de demander l'inscription des projets de résolution
à l'ordre du jour et la distribution des indemnités de
fonction.
D'abord, la participation des minoritaires à la gestion
sociale est rendue possible grâce à la création des clubs
d'actionnaires auxquels ils peuvent faire partie. Ces clubs permettent
d'éradiquer leur absentéisme et de lutter contre leur
désaffectation à l'égard de la vie de la
société275. En plus, ils visent la défense
d'actionnaires qui sont membres et leur facilitent un droit de regard de
l'activité sociale. Très souvent, ces clubs sont composés
de moyens humains, juridiques et judiciaires pour exercer
271 L'article 417 de
l'AUSCGIE ouvre déjà une brèche a la nomination des
personnes non actionnaires au conseil d'administration.
272 NODJILEMBAYE Dionkito
Léonie, La protection des actionnaires dans le cadre des offres
publiques sur le marché boursier de l'IlMOA, Mémoire de
DESS-Droit des Affaires, FDD, Université de Lomé, 2005, p. 46 ;
V. aussi Paul LE CANNU, Droit des sociétés, Domat, Droit
privé, Montchrestien, Paris, 2002, p. 469.
273 Paul LE CANNU, op. cit,
p. 371.
274 C. const., décision n° 87-232 DC du 7
janv. 1988, Rev. soc 1988, 229, note Y. GUYON cité par Paul LE CANNU,
ibid.
275 Ces « clubs »
ne peuvent pas avoir d'ambitions trop grandes, car il faut respecter
l'égalité entre les actionnaires, et éviter de fournir des
informations privilégiées. V. Paul LECANNU, ibid.
ce rôle qu'ils se sont assigné. Ils pourront ainsi
jouer le rôle d'agent de la légalité puisqu'ils sont mieux
placés pour attester la légalité des actions des
dirigeants276.
Ensuite, la politique de distribution régulière
de dividendes277 est un moyen de fidélisation des
actionnaires. Elle consiste pour les dirigeants à éviter la
pratique de mise en réserve systématique des
bénéfices privant ainsi les actionnaires minoritaires de leur
droit aux dividendes. Il ne signifie pas que chaque année l'actionnaire
a le droit d'exiger qu'une partie des bénéfices lui soit
attribuée, mais simplement qu'il ne peut en être indûment
privé de son droit sur les bénéfices et sur les
réserves278. Cette politique permet non seulement de
fidéliser les actionnaires mais de développer aussi
l'actionnariat. A cet effet, la doctrine estime que la politique de
distribution régulière des dividendes « est
déterminée par la politique financière de l'entreprise,
mais aussi par une politique de relations »279.
Enfin, l'attribution des indemnités de
fonction280 encore appelées jetons de présence sont
des moyens permettant aux actionnaires de bien contrôler la
société. Au début, ces sommes étaient
allouées aux dirigeants sociaux. Mais, elles ont fait l'objet d'une
extension aux actionnaires. En effet, de nos jours, les mentalités se
modifient. Les assemblées sont plus fréquentées,
peut-être parce que certaines sociétés attribuent une
indemnité de fonction aux actionnaires qui se sont
déplacés aux assemblées.
La mise en oeuvre de ces divers moyens peut nettement
contribuer à faire de l'assemblée l'occasion ou le lieu par
excellence du contrôle des affaires sociales. D'ailleurs, les
assemblées sont massivement fréquentées lorsque les
dirigeants organisent des journées portes ouvertes ou diffusent des
documents audiovisuels sur l'activité de la
société281. Cela permet un « face à face
» entre les actionnaires et les directeurs, rencontre à laquelle
les directeurs ne peuvent échapper même si elle leur est
désagréable, et que l'examen antérieur des comptes et
rapports par les actionnaires rend éventuellement très
vivante282. En outre, grâce à ces moyens, les
actionnaires minoritaires prennent conscience du poids que peuvent prendre
leurs interventions aux assemblées. Les assemblées deviennent de
véritables arènes où les dirigeants et les actionnaires
règlent leurs comptes. En venant aux assemblées, les actionnaires
pourraient exercer des pressions, soutenir une gestion responsable, proposer ou
soumettre au vote des préoccupations sociétales. Par
conséquent, grâce à ces moyens, on assiste à un
renouveau des assemblées d'actionnaires.
Malheureusement, ces pratiques sont très peu connues
dans les sociétés africaines, notamment celles de l'espace OHADA.
Selon un membre du syndicat des actionnaires de la société
SAGA-TOGO, également actionnaire à ECOBANK, « aucun de ces
moyens n'est mis en oeuvre par les dirigeants afin de promouvoir
l'actionnariat. D'ailleurs, ceux-ci ne s'intéressent pas souvent
à cet actionnariat ».
CONCLUSION
Le contrôle interne paraît perméable
puisqu'il est empreint de multiples difficultés qui affectent sans
conteste son régime. En effet, d'une part, les actionnaires mettent
difficilement en oeuvre les mécanismes de contrôle prévus
par le législateur à savoir la procédure d'alerte et
l'expertise de gestion. En plus, ils manquent cruellement de compétences
juridiques ou comptables pour critiquer les résultats de la
direction.
D'autre part, la plupart d'entre eux s'absentent lors des
assemblées générales. Ils ne manifestent aucun
intérêt à la marche des affaires sociales et
préfèrent ne pas réagir aux assemblées juste pour
dissimuler leur ignorance. Toutes ces difficultés ne leur permettent pas
de regarder de près la gestion normale de l'activité sociale et,
par conséquent, de protéger l'intérêt social.
276 Dominique SCHMIDT, « Les actionnaires
minoritaires, un combat légitime ? » Http //
www.creda.ccip.fr
pp. 58-60.
277 Les dividendes sont des
parts de bénéices distribuées aux actionnaires au prorata
des actions détenues.
http://
www.izf.net /u / load /BRVM /
glossaire_htm
278 Philippe MERLE, op.cit, n° 294, p.
352.
279 Dominique VIDAL, Droit
des sociétés, 5eme éd., LGDJ, Paris, 2006, p.
551.
280 V. art. 431 de l'AUSCGIE.
281 Yves GUYON, Droit des
affaires, Tome 1, Droit Commercial Général et
Sociétés, 12eme éd., Economica, Paris, 2003, p.
311
282 Maurice COZIAN et alii,
ibid., p. 300.
La mise en oeuvre du contrôle peut en outre attiser la
crainte des dirigeants sociaux car ils peuvent être
révoqués à tout moment ou voir leur responsabilité
être engagée par les actionnaires. Mais, le manque d'un
contrôle sérieux peut aussi engendrer de graves
conséquences. Il pourrait inverser le modèle du pouvoir au sein
de la société. Il en est ainsi de la pratique des pouvoirs en
blanc qui peut conférer aux dirigeants la majorité aux
assemblées au détriment des actionnaires, véritables
apporteurs des biens relatifs à la constitution de la
société.
Toutefois, un éventail de moyens prévus par le
législateur de l'OHADA ont permis de renforcer ce contrôle. Parmi
ces moyens, on peut citer, entre autres, les nouveaux mécanismes de
contrôle à savoir la procédure d'alerte, l'expertise de
gestion et les moyens d'ordre comptable ou financier. Il a aussi
renforcé l'information des actionnaires avant et après les
assemblées. Par contre, pour rendre efficace le contrôle interne
collectif, le législateur a donné la possibilité aux
actionnaires, notamment minoritaires, de se faire représenter aux
assemblées par un mandataire de leur choix ou de demander la
nullité d'une assemblée irrégulière. Il leur a
permis en outre de recourir aux conventions afin d'influencer la vie sociale
aux assemblées ou d'être nommés au conseil d'administration
pour bien contrôler la société. Tous ces moyens constituent
de véritables forces de dissuasion aux mains des minoritaires.
En dépit de ce renforcement, le contrôle de la
gestion et des comptes sociaux semble être limité. En effet,
l'Acte uniforme relatif aux sociétés commerciales et du
groupement d'intérêt économique recèle quelques
insuffisances. De même, le droit des affaires est en perpétuelle
évolution grâce à la naissance de nouvelles pratiques qui
remettent en cause certaines dispositions textuelles. A cet effet, le
professeur J. PAILLUSSEAU, conscient des difficultés d'application des
nouveaux Actes uniformes de l'OHADA, écrivait de façon
prémonitoire : « Un tel bouleversement va évidemment, poser
de nombreuses difficultés qu'il faudra résoudre dans les mois qui
viennent. Mais, c'est principalement au jour le jour qu'ils apparaîtront
et qu'il faudra les régler »283.
Face à ces insuffisances, le législateur
français a prévu une gamme de moyens permettant aux actionnaires
de contrôler davantage la société. D'abord, les
actionnaires peuvent faire recours aux nouvelles technologies de l'information
pour exercer ce contrôle. Ensuite, ils peuvent créer des clubs ou
associations en vue d'exercer ce contrôle.
La doctrine française n'est pas restée les bras
croisés face à cette situation. Elle a aussi plaidé la
cause des actionnaires minoritaires en proposant aux dirigeants de mettre en
oeuvre une politique d'attraction et de fidélisation des actionnaires. A
cet effet, elle a suggéré qu'ils pratiquent une politique de
distribution régulière de dividendes et attribuent des jetons de
présence aux actionnaires qui se rendent aux assemblées.
D'ailleurs, l'expansion de la corporate governance
aux Etats-Unis et en France semble être une solution aux mains des
actionnaires. Cette doctrine rééquilibre les pouvoirs au sein de
la société et permet aux minoritaires de bien contrôler
cette dernière. Par conséquent, elle assure un meilleur
fonctionnement de l'entreprise. A cet effet, sa prise en compte, son adaptation
et sa transposition en droit OHADA demeurent envisageables.
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