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Des glaciers au vignoble : gestion de l'eau et stratégies d'irrigation dans les "terroirs" vitivinicoles de l'oasis de Valle de Uco (Mendoza, Argentine)

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par Joris Robillard
Université Paris 1 Panthéon Sorbonne - Master 1  2008
  

Disponible en mode multipage

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Institut de Géographie

Master 1 PED

Année universitaire 2008-2009

 

Des glaciers au vignoble :

gestion de l'eau et stratégies d'irrigation dans les

« terroirs » vitivinicoles de l'Oasis de Valle de Uco

(Mendoza, Argentine)

Mémoire de recherche de MASTER 1 présenté par :
Joris ROBILLARD

Sous la direction de :
Étienne Cossart

Et de :
Bernard Tallet

Membre du jury :
Julie Le Gall

Remerciements

Pour commencer, je remercie vivement mes deux directeurs de recherche : Étienne Cossart pour m'avoir confié ce sujet sur mesure et en avoir accepté les évolutions, Bernard Tallet pour s'être joint à nous et nous avoir fait partager son expérience de ruraliste. Messieurs, un grand merci à vous !

Ensuite, je tiens à remercier tous les producteurs qui ont su m'accorder un peu de leur temps pour répondre à mes questions et me permettre de mener à bien ce travail.

Je remercie également toutes les personnes qui m'ont aidé dans mes recherches : José Morábito (Responsable du Programme « Irrigation et Drainage » à l'INA), Gloria Zamorano et Richard Jorba (Professeurs de géographie à l'UNC), Mario Boni (Chef interne du département « Gestion hydrique » à la Subdelagación de Agua Río Tunuyán Superior), Daniel Pizzolato et Italo Asid (respectivement directeurs de l'INTA à La Consulta et Tupungato), Mario Rosas (tomero à l'Inspección de Cauces Margen Derecha) et Cécile Faliès (Doctorante en géographie à l'Université Paris I Panthéon-Sorbonne).

De même, je remercie toutes les personnes qui m'ont aidé dans la vie de tous les jours : Ida Leone bien sûr, mais aussi Lili Cobos et sa fille, Josefina, ainsi que la famille Pares.

Je tiens enfin à saluer mes parents qui m'ont accompagné et supporté pendant ce long, très long semestre qui ne fut pas toujours un long fleuve tranquille...

Sommaire

REMERCIEMENTS 3

SOMMAIRE 4

LISTE DES ABBRÉVIATIONS 6

INTRODUCTION 7

PREMIÈRE PARTIE : PRÉSENTATION DU CADRE D'ÉTUDES 14

I. La province de Mendoza : une province au climat aride où l'eau des glaciers a permis de « transformer un désert en oasis » 15

II. L'Oasis Centre ou Valle de Uco : un espace « d'interactions homme-milieu » privilégié menacé ? 36

DEUXIÈME PARTIE : PRINCIPES ET ACTEURS DE LA GESTION DE

L'EAU DANS LE SYSTÈME D'IRRIGATION TRADITIONNEL 50

I. Les grands principes d'une gestion par l'offre 51

II. Une gestion décentralisée et participative de la ressource en eau 74

TROISIÈME PARTIE : LE TOURNANT DES ANNÉES 90 ET LE

DÉVELOPPEMENT D'UNE « HYDRAULIQUE INDIVIDUELLE » 92

I. La reconversion du vignoble oasien et l'apparition de nouvelles stratégies d'irrigation 93

II. Les transformations socio-économiques issues de la reconversion du vignoble : quels « gagnants » pour quels « perdants » ? 120

CONCLUSION 137

GLOSSAIRE 145

BIBLIOGRAPHIE 149

FILMOGRAPHIE 157

SITOGRAPHIE 158

TABLE DES ILLUSTRATIONS 159

TABLE DES MATIÈRES 162

« Dans les conditions de l'agriculture préindustrielle (...), cette configuration naturelle influença de manière décisive le comportement de l'homme économique et social. S'il voulait cultiver des terres sèches mais potentiellement fertiles de manière permanente et rentable, il lui fallait assurer une agriculture régulière. De toutes les tâches imposées par le milieu naturel, celle qu'imposait une situation de pénurie d'eau poussa d'une façon décisive l'homme à instaurer des méthodes hydrauliques de contrôle social » (WITTFOGEL, K., 1957, Oriental despotisme, a Comparative Study of Total Power, Yale Univ. Press, éd. française utilisée : Le despotisme oriental, éditions de Minuit, 1977, pp. 25-25.

« Si la théorie de l'expansion politique par l'hydraulique est aujourd'hui remise en cause dans les différentes régions du monde où Wittfogel voit des foyers de civilisation hydraulique, il reste important de noter à quel point le mécanisme de sujétion des agriculteurs à des pouvoirs bureaucratiques a pu exister comme le décrit précisément Wittfogel, non pas au plan des jeux de pouvoirs entre despotes orientaux, mais dans toutes les régions irriguées actuelles qui ont connu des transformations hydrauliques fortement influencés par des modèles occidentaux » (RUF, Th., 2000, « Du passage d'une gestion par l'offre en eau à une gestion par la demande sociale. Ordre et désordre dans les questions d'irrigation et des conflits d'usage de l'eau », RIVIERE-HONEGGER, A., RUF, Th. (dir), Territoire en mutation, Vol. 7, Université Paul Valéry, Montpellier III, p. 14.

Liste des abréviations

EAP : Exploitación Agropecuaria

DEIE : Dirección de Estadísticas e Investigaciones Económias DGI : Departamento General de Irrigación

DPV : Dirección Provincial de Vialidad

IERAL : Instituto de Estudios de la Realidad Argentina y Lationoamérica GYTT : Generación Y Transferencia de Tecnología

ICAT : Inspecciones de Cauces Asociadas de Tupungato

INA : Instuto Nacional del Agua

INDEC : Instituto Nacional de Estadísticas y Censos

INTA : Instituto Nacional de de Tecnología Agropecuaria

INV : Instituto Nacional de Vitivinicultura

NBI : Necesidades Básicas insatisfechas

PCSI : Programme Commun Système Irrigués

SIPH : Sistema de Información para la Planificación Hídrica

UNC : Universidad Nacional de Cuyo

Introduction

« "Mendoza doit surveiller ses réserves en eau qui s'amenuisent" » (Los Andes, 23/06/2002) ; « Le réchauffement climatique se répercute sur les glaciers mendocins » (Los Andes, 03/02/2007) ; « "Dans les prochaines années, l'eau aura autant de valeur que l'or" » (Los Andes, 09/09/2007), tels sont les titres récurrents de la presse dans la province de Mendoza. Tous posent la question de la durabilité de la ressource en eau issue des glaciers andins.

Cette question de la durabilité mérite d'être posée à plus d'un titre. D'abord, parce que la province de Mendoza, située dans l'ouest argentin entre 70 et 67° de longitude Ouest et 32 et 37° de latitude Sud, est caractérisée par un contexte d'aridité : les 300 mm annuels de précipitations, qui arrosent les 2/3 de la province (CAPITANELLI R.G., 1999), ne suffisent pas à combler les besoins en eau. Il faut alors chercher un apport d'eau externe, soit par pompages dans les nappes phréatiques, soit par dérivation des cours d'eau superficiels dont les débits sont tributaires de l'eau de fonte nivo-glaciaire (MILANA J.P., 1998). Ensuite, parce que ces besoins sont en constante augmentation du fait de la multiplication des usages de l'eau, ce qui conduit à une exploitation toujours plus intensive de la ressource en eau et à des conflits d'usages (LAVIE E., 2007). Car, en dernier lieu, le réchauffement climatique et le retrait des glaciers, mis en évidence par plusieurs études, pourraient avoir des conséquences sur la disponibilité de la ressource en eau glaciaire : les cours d'eau andins, en passant d'un régime glaciaire à un régime nival, verraient leur pic des hautes eaux atténué et la période des hautes eaux devenir plus précoce (COSSART E., LE GALL J., 2008). Or, jusqu'à présent la période des hautes eaux est centrée sur la période végétative. Une avancée de celle-ci vers la fin de l'hiver (septembre) ou même le printemps (octobre-novembre) engendrerait un décalage entre la disponibilité en eau et les besoins hydriques des cultures qui pourrait à terme remettre en question la pratique de l'agriculture dans cette province aride (DROCOURT, Y., 2008).

Pour toutes ces raisons, la disponibilité de la ressource en eau dans la province de Mendoza est une question d'actualité qui passionne les foules tant scientifiques que profanes. L'eau y est perçue comme une « culture » (Los Andes, 19/11/2008) grâce à laquelle « le peuple mendocin est parvenu à transformer un désert en oasis » (Los Andes, 06/11/2008). Au nombre de trois, ces oasis concentrent 98% de la population sur moins de 3% de la superficie provinciale et contribuent à structurer l'espace selon une dichotomie zone irriguée/zone non-irriguée (MONTAÑA, E., 2003). En effet, l'eau étant le principal facteur limitant, le développement des oasis était conditionné, jusqu'à récemment, par la possibilité de capter les cours d'eau ou ríos qui descendent de la Cordillère. Pour cette raison, les oasis se sont installées sur les cônes de déjection des cours d'eau dont les dépôts sédimentaires ont engendrés des conditions édaphiques favorables à une mise en cultures (COSSART E., LE GALL J., 2008). Ainsi, l'Oasis Nord, où se situe l'agglomération de Mendoza, est irriguée par le Río Mendoza et est surtout occupée par la vigne qui représente les 2/3 des cultures (BUSTOS R., TULET J.-C., 2005) . L'Oasis Centre, hébergeant le Valle de Uco qui est aujourd'hui la partie agricole la plus dynamique, est irriguée par la Río Tunuyan (Ibid). Quant à l'Oasis Sud, qui possède la superficie cultivable la plus étendue, il est irrigué par les Ríos Diamante et Atuel (Ibid).

Malgré la multiplication des usages de l'eau avec la construction d'infrastructures hydrauliques1, l'irrigation agricole représente 84% des usages, 62% de l'eau superficielle disponible et 89% de l'eau souterraine extraite annuellement (RETA, J., s.d.). L'irrigation agricole repose sur un réseau de canaux (acequias) hérité de l'époque pré-colombienne. Avant l'arrivée des Espagnols, les Indiens Huarpes, aidé en cela par les Incas2, avaient mis en place un système d'irrigation qui consistait à dériver les eaux du Río Mendoza en mettant à profit la pente

1 La construction de barrages de retenue a favorisé de nouveaux usages tels que les loisirs et l'hydroélectricité qui se sont ajoutés au triptyque irrigation agricole-approvisionnement domestique-usage industriel.

2 Á noter que la participation des Incas à la construction du système d'irrigation mendocin est sujette à caution mais comme le rappelle PONTE J.R (2006) : « Etant donné l'avance des Incas en matière d'hydraulique, il est permis de penser qu'ils auraient aider les Indiens Huarpes à tirer le meilleur parti de la ressource en eau disponible sur leur territoire ».

du cône de déjection afin d'irriguer leurs cultures par inondation : « Pour s'approvisionner en eau potable et irriguer leurs cultures, les indigènes utilisaient un bras de l'actuel Río Mendoza qui, à la sortie de la gorge des monts de Cacheuta, bifurquait vers le Nord. Ce canal improvisé suivait une faille géologique menant jusqu'au cône de déjection sur lequel s'est construite l'actuelle conurbation mendocine » (PONTE, J.R, 2006). Ce système d'irrigation fut consolidé et élargi au cours du temps dans le but d'augmenter la superficie irriguée qui passa de 11 107 hectares en 1761 à 32 945 en 18963 (Ibid). L'augmentation de la superficie irriguée se poursuivit au XXe siècle, grâce notamment à l'utilisation des eaux souterraines qui permit d'incorporer à l'agriculture des zones arides que les canaux d'irrigation n'atteignaient pas (COSSART E., LE GALL J., 2008). C'est ainsi que le développement rural fut constamment articulé au système d'irrigation, associant le parcellaire au maillage des canaux d'irrigation ou à la nécessaire exploitation de la pente et ce indépendamment de la source d'approvisionnement en eau (Ibid).

Bien qu'aujourd'hui la superficie irriguée de la province dépasse les 350 000 hectares (ARAUJO E.D., BERTRANOU A., 2004), le système d'irrigation gravitaire initié par les populations pré-colombiennes fonctionne toujours dans ses grandes lignes qui ont été codifiées par la Ley General de Aguas (1884) et institutionnalisées par la Constitution provinciale (1894). L'eau, relevant du domaine public, est gérée par une institution autonome, le Departamento General de Irrigación (DGI), qui la concède aux usagers sous forme de droits à l'irrigation. Ces droits à d'irrigation sont, en vertu du « principe d'inhérence », indissociables de la terre pour laquelle ils ont été concédés. La distribution de l'eau s'effectue par tours durant lesquels chaque usager reçoit une quantité d'eau proportionnelle à la superficie qu'il est censé irriguer grâce à son droit à l'irrigation. La clé de voûte du système d'irrigation réside, en effet, dans le « coefficient d'irrigation » qui, issu du rapport entre la quantité d'eau disponible (retenue par un barrage ou dérivée d'un cours d'eau) et la superficie totale à irriguer, fonde sa prétention à garantir un accès équitable de la ressource en eau entre des usagers partageant un même capital hydrique.

3 Cf. Annexe I

Á l'inverse, l'accès à l'eau souterraine ne semble pas obéir aux mêmes critères d'équité. Depuis les années 1990 et l'ouverture de la province aux capitaux étrangers, l'usage de cette ressource tend à en favoriser l'accès aux acteurs dont le pouvoir économique leur permet de faire face aux coûts élevés de la perforation d'une part, et de l'énergie requise par le pompage d'autre part. L'investissement dans un « capital hydraulique propre » (RUF Th., 2004) s'est accompagné chez ces acteurs de stratégies d'irrigation visant à rentabiliser au mieux la ressource extraite des nappes phréatiques grâce à l'introduction de technologies modernes. Cette évolution vers un usage toujours plus intensif de l'eau souterraine est particulièrement représentée dans la vitiviniculture dont la reconversion vers la qualité depuis une vingtaine d'années a fait de l'optimisation des ressources en eau une priorité. Dès lors, les acteurs de la reconversion du vignoble se sont tournés vers l'irrigation au goutte à goutte afin de s'affranchir des contraintes de la gravité qui pèsent sur le système d'irrigation traditionnel et pouvoir repousser la frontière agricole sur le piedmont andin, se rapprochant ainsi des réserves d'eau que constituent les glaciers.

Ecrire un mémoire qui s'intitule « Des glaciers au vignoble », c'est donc se poser la question de la durabilité de la ressource en eau qui, parce qu'elle est au coeur de l'actualité, se situe à la croisée des chemins scientifique et médiatique : la crainte d'une pénurie d'eau est-elle scientifiquement fondée ou bien est-elle surévaluée par la médiatisation du réchauffement climatique ?

C'est également se poser la question de sa gestion dont il est indispensable d'en connaître les limites pour l'améliorer : dans quelle mesure une gestion de l'eau basée sur l'offre peut-elle continuer à fonctionner alors que cette dernière pourrait, à l'avenir, diminuer ?

La gestion de l'eau d'irrigation est cruciale pour l'agriculture dont le poids croissant dans le PIB de la province4 repose en grande partie sur le secteur vitivinicole, « pivot autour duquel s'organise toute la vie politique, sociale, culturelle de la région de Mendoza » (BUSTOS R., TULET J.-C., 2005). Selon la Bolsa de Commercio de Mendoza et l'IERAL5 (2007), celui-ci représente la moitié de la production agricole et 39 % de ses exportations (contre 20 % en 2001). Il participe ainsi pleinement à l'insertion de la province dans les échanges internationaux et ce, particulièrement depuis les années 1990 et la politique néo-libérale menée par le président Carlos Menem. La « décentralisation compétitive » qu'il mit en place contraignait, en effet, l'État à se retirer des affaires ainsi qu'à « laisser le marché organiser le déploiement spatial de l'économie » (VELUT, S., 2002). Ne pouvant plus compter sur l'État, la province dut s'ouvrir aux capitaux étrangers pour financer la modernisation et la reconversion de son vignoble vers un vin de qualité. Cette ouverture aux capitaux étrangers s'est traduite par l'arrivée de nouveaux acteurs dont les stratégies d'irrigation leur ont permis de recréer, sur le piedmont, les conditions du « terroir » européen et d'y produire des vins de qualité qu'ils exportent sous l'appellation « Vin du Nouveau Monde ». En outre, il s'agit également de se poser la question des conséquences de la mondialisation sur l'agriculture irriguée d'un pays émergent : le développement d'une activité créatrice de richesses, en liaison avec les marchés mondiaux, diminue t-elle les inégalités entre les habitants, anciens et nouveaux, d'un même territoire, ou au contraire les exacerbe t-elle ?

Car, comme tous les territoires qui « gagnent » au jeu de la mondialisation, la province de Mendoza compte des « gagnants » mais aussi des « perdants » (MESCLIER É., CHALÉARD J.-

L., 2006). Il y a, en effet, ceux qui ont réussi à prendre le train avant qu'il ne démarre, ceux qui l'ont pris en marche et ceux qui sont restés sur le quai, obligés d'attendre le prochain. Partant du principe que Mendoza est une province aride dans laquelle l'eau est un facteur limitant et son accès un facteur de réussite, il s'agit ici de retrouver les « gagnants » et les « perdants » à travers

4 Cf. Annexe II

5 Instituto de Estudios de la Realidad Argentina y Lationoamérica

leur accès à la ressource en eau afin d'appréhender les défis que posent le réchauffement climatique et la mondialisation à la gestion de la ressource en eau. Les hypothèses de travail qui en découlent sont les suivantes :

· Les « gagnants », seraient les nouveaux habitants de l'oasis. Leur investissement dans un « capital hydraulique propre », qui s'est accompagné de stratégie d'irrigation visant à optimiser l'eau souterraine, a donné lieu à un nouvel accès à l'eau qui, détaché des lois de la gravité, leur permit de faire table rase du « principe d'inhérence » de l'eau à la terre et de conquérir, sur les pentes du piedmont, une « liberté économique et de conduite de l'irrigation » (FALIÈS, C., VELUT, S., 2008).

· Les « perdants », quant à eux, seraient les anciens habitants de l'oasis. N'ayant pas eût les moyens financiers d'investir dans un « capital hydraulique propre » et l'opportunité de se doter des nouvelles technologies d'irrigation, sont restés « prisonniers » des lois de la gravité qui pèsent sur le système d'irrigation traditionnel où l'eau est inhérente à la terre et son accès fondé sur la proximité physique du cours d'eau.

· Entre les « gagnants » et les « perdants », il serait possible de distinguer un troisième type d'acteur, majoritairement composé d'anciens habitants de l'oasis. Ces derniers ont investi dans un « capital hydraulique propre », mais sont restés dans le système d'irrigation traditionnel. Ils irriguent donc leurs parcelles avec de l'eau souterraine ainsi qu'avec l'eau de leur « droit à l'irrigation » recueillis dans des réservoirs. Ils ont, néanmoins investi dan les nouvelles techniques d'irrigation pour s'affranchir des lois de la gravité qui pèse sur le système d'irrigation traditionnel afin d'étendre leurs superficies cultivées selon un modèle d'accumulation capitaliste caractérisé par la mondialisation de l'agriculture.

A partir de ces hypothèses de travail, il s'agira de montrer que ce passage d'un accès à l'eau traditionnel et gravitaire à un accès technologique et décomplexé des lois de la gravité

constitue le moteur de la recomposition spatiale de l'Oasis de Valle de Uco. Pour ce faire, trois parties sont proposées au lecteur.

La première partie a pour objectif de présenter le cadre d'études. La description des caractéristiques physiques de la province devrait permettre de comprendre les enjeux autour de la ressource en eau (en premier lieu celui de l'irrigation) et la manière dont elle contribue à structurer l'espace autour d'oasis dont celui de Valle de Uco. Une brève histoire du développement de cet oasis devrait aider à en éclairer les dynamiques actuelles. Celles-ci ne doivent cependant pas faire oublier que la majorité de la superficie cultivée reste irriguée par des cours d'eau dont les débits ne sont pas régulés, ce qui, dans le cas du réchauffement climatique actuel, pose la question de la disponibilité de la ressource en eau nivo-glaciaire et donc de sa gestion.

La seconde partie se propose de présenter les principes et acteurs de la gestion de l'eau dans le système d'irrigation traditionnel. Que l'on ne s'y méprenne pas : il ne s'agit pas ici de faire le procès du système d'irrigation traditionnel, mais plutôt de comprendre dans quelle mesure les modalités de gestion de la ressource en eau ont contribué à l'émergence d'une « hydraulique individuelle » (RUF, Th., 2004). Le fait qu'à un moment donné certains acteurs aient préféré investir dans un « capital hydraulique propre » plutôt que de maintenir un « capital social » dans une organisation commune n'est pas anodin et demande un examen attentif des modalités de la gestion de l'eau afin d'en identifier les facteurs de blocage.

La troisième partie a pour but de resituer le développement de cette « hydraulique individuelle » dans son contexte, celui de la reconversion du vignoble oasien vers un vin de qualité dans les années 1990 dont elle aborde les transformations territoriales et socioéconomiques. Il s'agit en outre de montrer comment l'innovation technologique en matière d'irrigation a engendré un nouveau type d'accès à l'eau qui redessine les limites de l'oasis et reproduit dans une large mesure la ligne de partage entre les « gagnants » et les « perdants ».

PREMIÈRE PARTIE : PRÉSENTATION DU

CADRE D'ÉTUDES

D'une superficie totale de 148 827 km2, la province de Mendoza représente la moitié de celle de Buenos Aires (source : site internet de l'INDEC6, 18/05/2009) et près du quart de la France métropolitaine (DROCOURT, Y., 2008). De même, la distance séparant la capitale provinciale, Mendoza, de Malargüe, située plus au sud, est équivalente à celle séparant Paris de Lyon, soit environ 400 km (calculs de l'auteur). Malgré l'étendue de la province, la grande majorité de la population se concentre dans les oasis qui représentent moins de 3 % de la superficie provinciale (MONTAN A, E., 2003). Irriguées par les cours d'eau qui descendent de la Cordillère (BUSTOS, R., TULET J.-C., 2005), ces oasis se présentent comme des « espaces d'interactions homme-milieu » (LAVIE, E., 2007). Par conséquent, l'exposé des « interactions » (II) doit nécessairement être précédé d'une présentation du milieu (I).

6 Instituto Nacional de Estadística y Censos

I- La province de Mendoza : une province au climat aride où l'eau des glaciers a permis de « transformer un désert en oasis »

Comme le montrent certains auteurs, le milieu a joué un rôle fondamental dans la construction de l'identité provinciale : « L'identité mendocine est le résultat d'une construction historique combinant plusieurs facteurs (...) parmi lesquels se distingue ce qui peut rétrospectivement être considéré comme un mode de vie, à savoir l'organisation de la société autour d'une cause commune : « vaincre le désert ». Les mendocinos sont, en effet, très fiers de la façon dont ils ont su « domestiquer » ce milieu hostile et le modeler selon leurs nécessités » (ABRAHAM, E. et alii, 2005). La présentation de ce milieu « hostile » s'appuiera, en outre, sur la description des caractéristiques physiques de la province, topographiques d'abord, climatiques ensuite7. Cette description ensuite permettre de comprendre les enjeux autour de la ressource en eau, notamment celui de l'irrigation, et la manière dont elle contribue à structurer l'espace de manière polycentrique autour des oasis irriguées.

A) Une province située aux pieds des Andes

La province de Mendoza est située au pied de la Cordillère des Andes qui lui sert de frontière « naturelle » avec les Vème et VIème régions chiliennes. Si le tracé de cette frontière fut l'objet de tractations8, notamment en Patagonie où les réserves en eau stockées dans les glaciers constituent toujours un enjeu géopolitique majeur, à Mendoza elle ne semble pas avoir été source de litiges (MONTAÑA, E., 2003).

7 Les climats de la province de Mendoza étant « incompréhensibles sans la connaissance préalable des unités géomorphologiques qui la composent » (CAPITANELLI, R.G., 1999)

8 Tractations entre les tenants argentins d'une délimitation territoriale basée sur la ligne des hauts sommets et ceux, chiliens, d'une délimitation fondée sur la ligne de partage des eaux (GRENIER, Ph., 1988).

1) Un relief dominé par les montagnes

D'après les profils topographiques transversaux réalisés par DROCOURT, Y., (2008)9, le relief de la province de Mendoza est constitué de trois unités que sont les montagnes, les plaines et le « plateau Nord-patagonique » (MONTANA, E., 2003), plus connu sous le nom de la Payunia.

a) Des montagnes imposantes

A l'ouest de la province se dresse la Cordillère des Andes qui abrite le Cerro Aconcagua (6 959 mètres d'altitude), point culminant des Amériques. D'après CAPITANELLI R.G. (1999), elle occupe près du tiers de la superficie provinciale. L'altitude de la Cordillère oscille entre 2 000 et 7 000 mètres selon un gradient altitudinal décroissant du nord vers le sud et l'altitude moyenne avoisine les 3 000 mètres (DROCOURT, Y., 2008). Le relief andin est découpé par de nombreuses vallées au fond desquelles coulent des cours d'eau (Ríos), ce qui fait dire à MONTAÑA, E. (2003) que la Cordillère n'est pas constituée d'une seule et unique chaîne mais de plusieurs formations qui s'articulent entre elles : la Cordillère principale, la Cordillère frontale et la Pré-Cordillère.

Située à l'extrême ouest, la première, qui fait office de frontière avec la République du Chili, est constituée d'un ensemble de montagnes dont l'orogenèse est encore en action (DROCOURT, Y., 2008). Son altitude moyenne est de 3 985 mètres (Ibid). D'abord étroite (20 à 25 km) et très élevée (de 6 900 mètres à 5 300) jusqu'au Río Atuel, cette bande de montagne a ensuite tendance à s'élargir (50 à 70 km) et devenir moins imposante (de 5 000 mètres à 3 000) vers le sud (CAPITANELLI, R.G., 1999). La seconde, plus à l'est, est un massif ancien rajeuni par l'érosion et est constituée par des montagnes élevées mais ne formant pas une chaîne continue (Ibid). Son altitude moyenne est de 3 535 mètres tandis qu'en valeur absolue elle oscille entre 6 000 et 1 500 mètres (DROCOURT, Y., 2008). Sa façade orientale se présente comme une « muraille » qui domine le piedmont de près de 3 000 mètres (CAPITANELLI, R.G., 1999). La

9 Cf. Annexe III

troisième et dernière formation, quant à elle, est un massif ancien dont le relief est beaucoup plus doux (2 265 mètres d'altitude moyenne) et les vallées plus larges (DROCOURT,Y., 2008) : celle d'Uspallata, par exemple, s'étend sur à peu près 40 km de long et entre 2 et 9 km de large (MONTAÑA, E., 2003).

b) La plaine et le piedmont : des espaces au relief moins accidenté

A l'est, les montagnes laissent place à une vaste plaine qui recouvre approximativement les deux tiers de la province (DROCOURT, Y., 2008). Son altitude oscille entre 200 et 1 000 mètres (Ibid). Il s'agit d'un profond bassin sédimentaire creusé entre la Cordillère à l'ouest et le relief ancien de San Luis à l'est (MONTAÑA, E., 2003). Légèrement incliné vers l'est, ce bassin est essentiellement rempli par des sédiments fluviaux-éoliens (CAPITANELLI, R.G., 1999). En raison du captage des eaux qui descendent de la Cordillère pour irriguer les espaces agricoles, la plaine présente un manque d'écoulement superficiel : c'est la raison pour laquelle y prédominent des modelés désertiques et éoliens (DROCOURT, Y., 2008).

La plaine est également surmontée par le glacis du piedmont, de pente est-ouest, qui assure la transition entre le relief montagnard et le relief de plaine (DROCOURT, Y., 2008). L'altitude moyenne de l'ensemble composé par le piedmont et la plaine est de 939 mètres et oscille en valeur absolue entre 1 500 mètres, pour les hauteurs du piedmont, et 500 mètres pour les zones basses de la plaine (Ibid). A noter que le contact « relativement brutal » (SALOMON, J-N., PRAT, M.C., 2005) entre la montagne et les glacis du piedmont font de Mendoza un espace à risque sismique important10. Ainsi, le 5 août 2006, la province enregistra un tremblement de terre de 5,7 sur l'échelle de Richter dont l'épicentre se situait à moins de 50 km en aval du barrage de Potrerillos (LAVIE, E., 2007)...

10 Cf. Annexe IV

c) Le « plateau Nord-patagonique » : une région volcanique aux paysages de « Bad lands »

Au sud de la province, s'étend le plateau de la Payunia qui appartient au domaine géographique patagonien (MONTAÑA, E., 2003). Ce plateau se caractérise par le manque de drainage, la faible couverture végétale et la prépondérance des formes volcaniques (CAPITANELLI, R.G., 1999). Ravinées par l'érosion, ces dernières ont donné lieu à la formation d'un paysage de « Bads lands », Huayquerias en argentin (DROCOURT, Y., 2008). L'altitude moyenne y est de 1 400 mètres, mais elle peut être bien plus élevée comme en témoignent les sommets des volcans Cerro Nevado et Cerro Payun qui culminent respectivement à 3 800 et 3 680 mètres (Ibid). Cette distribution des grands ensembles de relief est résumée dans la carte cidessous.

Carte 1 : Les unités de relief dans la province de Mendoza (source : élaboration propre d'après MONTAÑA, E., 2003 et CAPITANELLI, R.G., 1999)

2) Des glaciers en retrait

Le relief de la province de Mendoza est donc largement dominé par les montagnes de la Cordillère des Andes. Cette chaîne de montagne attire chaque année des touristes venus du monde entier pour escalader ses plus hauts sommets. Toutefois les glaciers qui les recouvrent ont amorcé un important retrait depuis les années 1970.

a) Des glaciers andins qui battent en retraite

Perchés sur le toit du monde, les glaciers andins, de par leur taille et les particularités

de leurs processus évolutifs, sont des indicateurs particulièrement sensibles du réchauffement climatique (FRANCOU B., VINCENT Ch., 2007). En effet, depuis la fin du Petit Âge Glaciaire (PAG) et l'entrée dans une nouvelle phase de réchauffement global, les glaciers ont tendance à voir leur front reculer, laissant derrière eux des moraines. L'analyse de ces matériaux a permis d'affirmer que la décroissance de plusieurs glaciers de la Cordillère des Andes s'est accélérée à partir du milieu des années 1970, provoquant la diminution des superficies englacées (COUDRAIN A., FRANCOU B., KUNDZEWICZ Z.W., 2005) : « Au Pérou (...) on estime que la superficie glaciaire des 18 cordillères englacées serait passée de 2 041 km2 en 1970 à 1 595 km2 en 1997, soit une réduction de 27 % en 22 ans » (FRANCOU B., POUYAUD B., 2008).

b) Vers une disparition des grands organismes glaciaires dans les Andes mendocines

Dans les Andes mendocines, la tendance au retrait des glaciers correspond à une élévation de la Ligne d'Équilibre Glaciaire (LEG) de l'ordre de 100 mètres, passant de 4 475 mètres en 1975 à 4 560 mètres en 2000 (COSSART E., LE GALL J., 2008). De même, la comparaison des images satellite de 1975 et 2000 (cf. figure ci-dessous) montre une diminution des superficies englacées de l'ordre de 40 % dans les massifs de l'Aconcagua et de 30 % dans le massif du Juncal (Ibid).

Carte 2 : Évolution de l'englacement dans les Andes mendocines entre 1975 et 2000 (source : COSSART, E., LE GALL, J., 2008)

Cette décrue se caractérise par un morcellement généralisé de l'englacement : alors que le nombre de glaciers de plus de 10 km2 est passée de 13 à 10 entre 1987 et 2007, le nombre de glaciers dont la taille était comprise entre 1 et 10 km2 a plus que doublé (DROCOURT, Y., 2008). Cependant, si d'une manière générale, les glaciers des Andes mendocines semblent avoir connu une longue période de récession ces trente dernières années, dans le détail d'importantes disparités spatiales apparaissent. En effet, certains glaciers ont vu leur LEG s'élever plus modérément que d'autres, c'est le cas de ceux de la Cordillère principale dont la différence d'élévation avec ceux de la Cordillère frontale est de l'ordre de 20 mètres (COSSART E., LE GALL J., 2008). D'autres encore, ont vu leur front avancer de manière significative tel le Grande del Nevado dont le front a avancé de 3 km entre 1982 et 198511. Ces disparités spatiales reflètent l'existence de facteurs locaux qui, analysés par DROCOURT, Y. (2008), ont pour conséquence d'accroître ou de réduire la variabilité de la géométrie des glaciers.

11 Cf. Annexe V

c) Quelles perspectives pour les glaciers mendocins ?

Les perspectives pour les glaciers mendocins n'en sont pas moins alarmantes. Sur la base d'une augmentation de la température de l'ordre de 1°C d'ici à 2050, COSSART E., LE GALL J. (2008) ont simulé une élévation de 150 mètres des LEG reconstituées en 2000 : deux bassins versants seraient entièrement déglacés et la superficie des zones d'accumulation glaciaire potentielle dans le massif de l'Aconcagua diminuerait de 60 % entre 1975 et 2050. De la même manière, CABRERA, G.A., LEIVA J.C., LENZANO L.E. (2007), qui ont étudié les conséquences du réchauffement climatique sur le bilan de masse du glacier Piloto, en arrivent à la conclusion que « Si cette tendance se poursuit [celle d'un bilan de masse toujours plus négatif depuis 1988-1989] , ce petit glacier, dont la couche de glace atteignait 60 mètres d'épaisseur en 1979, risque de disparaître dans un futur proche, anticipant en cela ce qui devrait ce passer pour beaucoup d'autres petits glaciers des Andes centrales argentines ».

B) Un climat contraignant : l'eau, facteur limitant

L'amenuisement des réserves d'eau que constituent les glaciers mendocins est d'autant plus problématique pour une province dont la configuration topographique d'une part, et la situation par rapport aux principaux centres d'action climatiques d'autre part, ont créé des conditions d'aridité telles que l'eau y est, de fait, un facteur limitant.

1) Une province au climat aride

Avec 300 mm de précipitations annuelles (CAPITANELLI, R.G., 1999) contre une évapotranspiration potentielle de 782 mm (SALOMON, J-N., PRAT, M-C., 2005), le climat de la province de Mendoza peut, à juste titre, être considéré comme un climat aride.

a) Une province située dans un entre-deux climatique

La province se situe au coeur de la diagonale aride argentine qui, contrairement à la plupart des grandes zones arides du monde qui suivent une distribution latitudinale, suit une

direction méridienne, traversant la partie sud du continent de la côte Pacifique au nord du Pérou jusqu'aux côtes Atlantiques de la Patagonie.

Carte 3 : La diagonale aride argentine (source : MARGARITA, M., LOYARTE, G., 1995)

D'après la carte ci-dessus, Mendoza (n°10) se situe dans la « ligne d'aridité maximale où le gradient pluviométrique s'inverserait et qui représenterait l'axe d'épuisement des pluies à partir des climats humides voisins » (MARGARITA, M., LOYARTE, G., 1995). En d'autres termes, la province de Mendoza se situerait dans un « entre-deux climatique » où les masses d'air de l'anti-cyclone semi-permanent du Pacifique, pas plus que celles de l'anti-cyclone semipermanent de l'Atlantique ne sont en mesure de l'atteindre directement. Car, si l'Océan Pacifique est relativement proche (170 km), la province en est séparée par la Cordillère des Andes, particulièrement élevée à cette latitude. Dès lors, les masses d'air humides sont en grande partie précipitées sur le versant chilien, tandis que sur le versant argentin l'air, en descendant, se

réchauffe et s'assèche donnant lieu à un vent de type foehn appelé zonda. Quant aux masses d'air provenant de l'Océan Atlantique, éloigné de quelques 1 000 km, elles ont perdu une grande partie de leur humidité lorsqu'elles arrivent jusqu'à la plaine de Mendoza (DROCOURT, Y., 2008).

Carte 4 : L' entre-deux climatique mendocin (source : MARGARITA, M., LOYARTE, G., 1995)

L'aridité qui caractérise la province de Mendoza s'explique donc à la fois par « effet de continentalité » par l'éloignement de l'Atlantique et « situation d'abri » par rapport au Pacifique (SALOMON, J-N., PRAT, M-C., 2005).

b) Des précipitations faibles et inégalement réparties

Cette situation de la province par rapport aux principaux centres d'action climatiques induit une répartition très inégale des précipitations. La majeure partie de la province (les 2/3) reçoit des précipitations inférieures à 300 mm (CAPITANELLI R.G., 1999).

L'amplitude des isohyètes sur la plaine (cf. Carte ci-dessous) semble, en effet, traduire la sécheresse des masses d'air présentes (DROCOURT, Y., 2008). A noter cependant que les précipitations sont relativement plus importantes à l'extrémité orientale de la plaine du fait de l'influence des masses d'air venant de l'Atlantique, d'où un gradient pluviométrique négatif de l'est vers l'ouest. Or, celui-ci a tendance à s'estomper au contact des montagnes qui, en provoquant l'ascendance orographique des masses d'air, augmentent leur potentiel à émettre des pluies (Ibid). La partie couverte par la Cordillère des Andes (environ 1/3 de la province) bénéficie donc d'une plus grande abondance pluviométrique (jusqu'à 1 000 mètres dans le sud) puisqu'elle reçoit les précipitations estivales des masses d'air venant de l'Océan Atlantique et celles, hivernales, des masses d'air venants de l'Océan Pacifique.

Carte 5 : Précipitations moyennes annuelles dans la province de Mendoza (source : CAPITANELLI, R.G., 1999)

c) Des températures fraîches en montagne, élevées en plaine

Tout comme les précipitations, les températures varient beaucoup d'un endroit à l'autre de la province et présentent un gradient thermique négatif est-ouest12.

Dans les zones de plaines, les températures moyennes annuelles avoisinent les 17°C : c'est le cas pour la ville de Mendoza (704 m d'altitude) mais aussi pour celle de La Paz (500 m d'altitude) située plus à l'est. D'une manière générale, les températures moyennes maximales peuvent y atteindre 25°C et les minimales 7°C. Quant au nombre de jours au cours desquels des gelées sont possibles, ils concernent en moyenne une trentaine de jours par an.

A San Carlos, sur le piedmont, les températures sont un peu plus fraîches qu'en plaine : les températures moyennes annuelles y sont de 13°C, dont à peu près 20°C pour les maximales et 4°C pour les minimales. De même, le nombre de jours propices aux gelées est plus élevé, concernant une centaine de jours par an.

Dans les zones de montagnes, les températures sont beaucoup plus fraîches du fait de l'altitude : -1,6°C à Cristo San Redentor (3 824 m d'altitude) ; 7,2°C à Puente del Inca (2 720 m d'altitude) et 12,3°C à Uspallata (1 891 m d'altitude). Ainsi, les températures moyennes maximales y oscillent entre 4°C et 20°C, tandis que les températures moyennes minimales varient entre -7°C et 6°C. Le nombre de jours propices aux gelées ne descend, quant à lui, jamais audessous de 100.

2) Un déficit hydrique particulièrement prononcé dans certains secteurs

L'aridité du climat de la province de Mendoza a pour conséquence un déficit hydrique annuel compris entre 560 et 660 mm selon les années (SALOMON, J-N., PRAT, M-C., 2005). Néanmoins, l'inégale distribution des précipitations et des températures affectent certains secteurs plus que d'autres.

12 Cf. Annexe VI

a) Les zones de montagnes : un régime des précipitations qui dépend
de la position des montagnes par rapport aux masses d'air humide

Dans les zones de hautes montagnes, et tout particulièrement dans la Cordillère principale, l'influence de l'Océan Pacifique engendre un régime de précipitations nivales : les masses d'air de l'anti-cyclone semi-permanent du Pacifique se précipitant en hiver, le maximum pluviométrique est hivernal. C'est donc à cette période que les glaciers sont le plus alimentés et affichent des bilans de masse positifs.

Figure 1 : Diagramme ombrothermique de Cristo San Redentor (source : élaboration propre à partir des données de CAPITANELLI, R.G., 1999)

Par contre, si le déficit hydrique en période estivale est inexistant aux altitudes les plus élevées, il est nettement plus prononcé au niveau des fonds de vallée.

Figure 2 : Diagramme ombrothermique de Puente del Inca (source : élaboration propre à partir des données de CAPITANELLI, R.G., 1999)

Dans les zones de basses montagnes, notamment dans la Pré-Cordillère, les précipitations sont moins importantes et les températures plus élevées que dans les zones de hautes montagnes. Surtout, le régime de précipitations y est inversé. Car, malgré une plus grande régularité des

précipitations au cours de l'année, l'influence des masses d'air de l'anti-cyclone semi-permanent de l'Océan Atlantique y prédomine et donne lieu à un pic pluviométrique estival.

Figure 3 : Diagramme ombrothermique de Uspallata (source : élaboration propre à partir des données de CAPITANELLI, R.G., 1999)

b) Les zones de plaines : un déficit hydrique permanent

Dans les zones de plaines, également situées dans l'aire d'influence de l'anti-cyclone semi-permanent de l'Océan Atlantique, le maximum pluviométrique estival ne parvient pas à compenser un déficit hydrique qui touche en moyenne huit mois dans l'année : c'est le cas à La Paz qui, en raison de sa position plus à l'est, reçoit plus de précipitations en début d'été que Mendoza.

Figure 4 : Diagramme ombrothermique de Mendoza (source : élaboration propre à partir des données de tutiempo, 01/06/09)

Figure 5 : Diagramme ombrothermique de La Paz (source : élaboration propre à partir des données de CAPITANELLI, R.G., 1999)

c) Le piedmont : un déficit hydrique estival

Sur le piedmont, en revanche, le déficit hydrique est moins accusé du fait de l'ascendance orographique des masses d'air venant de l'Océan Atlantique. Néanmoins, ici encore, le maximum pluviométrique estival ne suffit pas à compenser le déficit hydrique à cette période.

Figure 6 : Diagramme ombrothermique de San Carlos (source : élaboration propre à partir des données de CAPITANELLI, R.G., 1999)

C) L'obligation de recourir à l'irrigation

L'aridité de la province de Mendoza, caractérisée par l'association de températures élevées et d'une pluviométrie faible, se traduit, dans les zones de plaines et le piedmont, par des déficits hydriques particulièrement prononcés y compris lors de la période estivale. Or cette période coïncidant avec le démarrage de l'activité végétative, le recours à l'irrigation devient nécessaire. Il faut alors chercher un apport d'eau externe, soit par pompage dans les nappes

phréatiques, soit par dérivation des cours d'eau superficiels dont les débits sont tributaires de l'eau de fonte nivo-glaciaire (MILANA J.P., 1998).

1) Des cours d'eau tributaires de l'eau de fonte nivo-glaciaire

Le système d'irrigation dans la province de Mendoza est un héritage de l'époque précolombienne (PONTE, J.R, 2006). Il consiste à capter l'eau des cours d'eau qui descendent de la Cordillère, pour ensuite la dériver vers les espaces agricoles au moyen d'un vaste réseau de canaux dans lequel elle s'écoule par gravité en suivant la pente des cônes de déjection (Ibid). Ces cours d'eau, ou ríos, dont l'essentiel des bassins-versants s'étend dans la Cordillère principale13, sont en grande partie alimentés par les eaux de fonte nivale ainsi que par l'eau produite par l'ablation s'opérant au sein des glaciers (DROCOURT, Y., 2008). En effet, les précipitations, tombées en hiver et stockées à l'état solide dans les glaciers, sont libérées lors de la fusion glaciaire. Les apports liés au déstockage de ces réserves d'eau solide aboutissent à des débits maximaux en saison chaude, soit au moment de la saison végétative où les besoins hydriques des cultures sont les plus importants (COSSART, E., LE GALL, J., 2008).

Figure 7 : Coefficients Mensuels de Débits des ríos Tunuyán (Valle de Uco) et Mendoza (Guido) entre 1956 et 2003 (source : élaboration propre d'après les données de Estadística Hidrológica 2004, 24/04/09)

Dès lors, le rôle joué par les glaciers dans la pratique de l'irrigation est à la mesure de leur contribution aux débits des cours d'eau qui peut dépasser 75% de l'écoulement total en

13 Cf. Annexe VII

période de sécheresse (MATURANO, A., MILANA, J.P., 1997). Cependant, le réchauffement climatique et le recul des glaciers, amorcé depuis le milieu des années 1970, pourraient avoir des conséquences sur la disponibilité de la ressource.

2) Le changement de régime hydrologique des cours d'eau : une conséquence prévisible du réchauffement climatique qui entraînerait un décalage entre la disponibilité de la ressource et les besoins hydriques des cultures

Une des conséquences prévisibles du réchauffement climatique et du retrait des glaciers, car « classique dans l'ensemble des secteurs en cours de déglaciation », serait le changement de régime hydrologique des cours d'eau andins qui passeraient d'un régime glaciaire à un régime nival (COSSART, E., LE GALL, J., 2008). En outre, le pic des hautes eaux s'atténuerait, la superficie englacée se réduisant, et la période des hautes eaux deviendrait plus précoce, l'élévation des températures provoquant un raccourcissement de la saison hivernale d'une part, et une augmentation des précipitations liquides au détriment des précipitations solides d'autre part (LÓPEZ, P.M., SCHUMACHER M.C., VICH, A.J., 2007).

Jusqu'à présent la période des hautes eaux était centrée sur la période végétative. Une avancée de celle-ci vers la fin de l'hiver (septembre) voire même le début du printemps (octobrenovembre) engendrerait un décalage entre la disponibilité de la ressource en eau et les besoins hydriques des cultures. Ce décalage est illustrée dans la figure ci-dessous, réalisée à partir de VILLALBA, R., « Cambio Climático y Oferta Hídrica en el Oesta Argentino ». Ce travail, qui fut présenté le 4 décembre 2008 lors des IV Jornadas de Actualización en Riego y Fertiriego14, montre le changement de régime hydrologique du Río Atuel au cours du XXème siècle : la courbe bleue (régime glaciaire) correspondant aux débits compris entre 1906 et 1920 et la courbe rouge (régime nival) à ceux compris entre 1988 et 2002.

14« IVème Journées d'Actualisation de la Pratique de l'Irrigation »

Figure 8 : Un régime hydrologique désormais en décalage avec la saison végétative (source : élaboration propre d'après le travail de VILLALBA, R.)

D) La structuration de l'espace autour d'oasis : l'eau, facteur structurant

Le recours à l'irrigation par dérivation des cours d'eau superficiels a permis la mise en en valeur et donc l'appropriation d'un espace aux conditions difficiles. L'expérimentation de ces conditions aurait donné lieu à un savoir-faire hydraulique qui a rendu possible le développement d'oasis. Installées au contact de « deux mondes complémentaires »15, la montagne exempte de maladies mais peu apte à l'agriculture et la plaine aux limons fertiles mais bien trop secs, les oasis se présentent comme des « espaces d'interactions homme-milieu » (LAVIE, E., 2007).

1) Une structure spatiale polycentrique

Au nombre de trois, ces oasis structurent l'espace de manière polycentrique. Car, si l'eau dans la province de Mendoza est le facteur limitant, elle en est aussi le facteur structurant, chaque oasis étant irriguée par un ou plusieurs cours d'eau. L'Oasis Nord, surtout occupée par la vigne, est irriguée par le Río Mendoza (BUSTOS R., TULET J.-C., 2005). L'Oasis Centre, hébergeant le Valle de Uco qui est aujourd'hui la partie la plus dynamique, est irriguée par le Río

15 Citation extraite de l'avant-propos du numéro 239 des Cahiers d'Outre-Mer (cf. Bibliographie)

Tunuyán (Ibid). Quant à l'Oasis Sud, qui possède la superficie cultivable la plus étendue, elle est irriguée par les Ríos Diamante et Atuel (Ibid). Encore faut-il signaler la présence de petites oasis de montagne comme Uspallata et Malargüe, respectivement irriguées par les Ríos Mendoza et Malargüe.

Carte 6 : Les oasis de la province de Mendoza (source : élaboration propre d'après la carte
« Oasis y zonas no irrigadas en Mendoza » réalisée par MONTAÑA, E., 2007)

De même, chaque oasis possède au moins une ville pôle ou une ville relais qui la rattache à l'agglomération du Gran Mendoza, plaque tournante commerciale où transitent de très

nombreux camions qui assurent un va-et-vient continu entre l'agglomération et les grandes villes du Chili, du Brésil et de l'Argentine (LAVIE E., 2007).

2) La concentration des hommes et des activités dans les oasis

Bien que les oasis ne représentent que 3 % de la superficie provinciale, elles concentrent près de 98% de la population (MONTAÑA, E., 2003)16. Les plus fortes densités se retrouvent, en effet, dans les trois principales oasis où elles peuvent atteindre plusieurs milliers d'habitants au km2, contrastant avec une densité provinciale moyenne à peine supérieure à 10 hab/km2 (source : site internet de la DEIE17, 06/06/2009). Il en est ainsi dans l'Oasis Nord où l'agglomération du Gran Mendoza18 comptait, en 2001, 986 361 habitants, soit les 2/3 de la population totale (Source : Ibid). Il n'est donc pas étonnant de constater que près de 80 % de la population provinciale est urbaine (source : site internet de l'INDEC, 18/05/2009).

Or, les oasis concentrent également la majeure partie des établissements industriels : 65 % d'entre eux se localisent dans l'Oasis Nord (MONTAÑA, E., 2003), notamment l'industrie pétrochimique dont il n'est pas rare que les fumées polluantes, déplacées par les vents de direction Nord et Nord-Est, atteignent l'agglomération mendocine (SALOMON, J-N., PRAT, M-

C., 2005). Surtout, les oasis concentrent l'essentiel de la superficie cultivée et donc irriguée de la province. La superficie dédiée à l'agriculture peut, en effet, représenter jusqu'à 96 % de la superficie dans le cas de l'Oasis Sud (DGI, 2006). Se pose alors un double problème : celui du risque sismique, et celui de voir l'urbanisation s'étendre au détriment des zones agricoles. Le premier est d'autant plus important que la population est concentrée. Quant au second, il est en passe d'être résolu, le Sénat ayant récemment approuvé une Loi d'Occupation du Sol, la Ley de Ordenamiento Territorial y Uso del Suelo, dont l'application a été confiée au Secrétariat de l'Environnement.

16 Cf. Annexe VIII

17 Dirección de Estadísticas e Investigaciones Económias

18 L'agglomération du Gran Mendoza est composée de six départements que sont : Guaymallen, Godoy Cruz, Las Heras, Mendoza, Maipu et Lujan de Cuyo.

Toutefois, si la presse est unanime pour saluer « une des lois les plus attendues depuis le retour de la démocratie dans la province » (Los Andes, 31/12/2008), le secteur scientifique, qui est à l'origine de la proposition de loi, en a dores et déjà condamné « l'ambiguïté des concepts utilisés, le manque de prise en compte des spécificités du territoire mendocin, l'attention excessive portée aux zones urbaines et l'avantage accordé aux investissements privés » (Los Andes, 31/12/2008). Mais le principal point de conflit entre les scientifiques et le pouvoir reste dans l'autorité chargée de faire appliquer la loi : « "Il s'agissait, au départ, d'encourager un mode de gouvernance dans lequel l'action de l'État était soumise au contrôle de différents acteurs. Ceci ayant été éliminé de la loi, c'est tout le travail scientifique effectué en amont qui résulte inutile" assure María Elina Gudiño, coordinatrice du travail académique de la Universidad Nacional de Cuyo » (Los Andes, 31/11/2008).

Toujours est-il que l'objectif principal de la loi reste de « promouvoir un développement équitable dans toute la province, depuis les zones urbaines, rurales et naturelles des oasis aux zones non-irriguées des différents bassins et régions existants » (Los Andes, 05/05/2009). Car, dans la province de Mendoza, la dichotomie qui permet de comprendre l'espace mendocin n'oppose pas villes et campagnes, mais bien zones irriguées et zones non-irriguées.

3) Zones irriguées/zone non-irriguées : une dichotomie au coeur des représentations de l'espace

Comme il l'a été dit plus haut, le milieu a joué un rôle fondamental dans la construction de l'identité provinciale qui s'est forgée en opposition avec le désert (ABRAHAM, E. et alii, 2005). Celui-ci est constamment décrit comme un milieu hostile qu'il faut combattre pour survivre. En témoigne la lettre écrite par le gouverneur de la province à Barack Obama pour le féliciter de sa victoire et, au passage, lui présenter Mendoza : « "Notre province est le meilleur exemple de la lutte contre les adversités, contre le désert et contre le manque d'eau" » (Los Andes, 06/11/2006). Ce « discours de l'adversité » (BUNEL, J., PRÉVÔT-SCHAPIRA, M-F.,

1994) est également utilisé par le Departamento General de Irrigación pour valoriser la « culture » de l'eau (Los Andes, 19/11/2008) grâce à laquelle « le peuple mendocin est parvenu à transformer un désert en oasis » (Los Andes, 06/11/2008) et dont il s'estime l'héritier19.

Cependant, la partie cachée de cette identité est qu'elle a laissé en dehors les habitants des zones non-irriguées. Renouvelant les approches de Pour une géographie du pouvoir (RAFFESTIN, Cl., 1980) certains géographes argentins ont proposé une explication séduisante de la configuration territoriale de la province dans laquelle les zones non-irriguées sont des « espaces subordonnés au pouvoir de l'oasis » (MONTANA, E., 2003). Selon eux, la pratique de l'irrigation dans les zones irriguées a permis de territorialiser l'espace, tandis que dans les zones non-irriguées l'espace en est resté au stade de matière première. Ils en concluent que l'irrigation s'inscrit dans le « champ du pouvoir » (RAFFESTIN, Cl., 1980) et sépare les territoires que sont les zones irriguées des zones non-irriguées, « véritables espaces invisibles qui n'ont pas leur place dans l'imaginaire des mendocins, ni font pas partie de leur identité, ni ne figurent parmi les priorités d'une grande partie de la société locale » (ABRAHAM, E. et alii 2005).

Le milieu de la province de Mendoza est donc considéré comme un milieu « hostile » contre lequel il faut « se battre ». Or la seule arme dont disposent les mendocins pour en venir à bout est une ressource dont l'avenir paraît bien incertain. Car, s'il faut rendre hommage aux hommes qui ont su « transformer un désert en oasis » (Los Andes, 06/11/2008), il ne faut pas oublier pour autant que ces oasis ne sont que des « îles vertes au milieu d'un océan désertique » (ABRAHAM, E. et alii, 2005) et dont le développement reste conditionné au captage des cours d'eau qui descendent de la Cordillère. Ainsi, dans quelle mesure le réchauffement climatique contemporain pourrait-il remettre en question la gestion de l'eau qui est à la base du développement de ces espaces « d'interactions homme-milieu » (LAVIE, E., 2007) ?

19 Cf. Annexe IX

II- L'Oasis Centre ou Valle de Uco : un espace « d'interactions homme-milieu » privilégié menacé ?

La présente étude se concentre sur l'oasis de centre, appelé également Valle de Uco, qui se situe à un peu mois de 100 km de l'agglomération du Gran Mendoza (MONTAÑA, E., 2003). Délimité à l'Ouest par la Cordillère principale et à l'Est par la plaine, il se déploie sur les départements de Tunuyán, Tupungato et San Carlos. Les raisons qui président au choix de ce terrain d'études sont multiples. Cela dit, il ne convient pas ici d'en dresser une liste in extenso. La présentation de l'oasis devrait y pourvoir en montrant dans quelle mesure il se présente comme un « espace d'interactions homme-milieu » (LAVIE, E., 2007) privilégié et donc particulièrement intéressant dans le cadre de ce mémoire. Dès lors, cette présentation insistera sur la description du développement agricole de l'oasis depuis le modèle agropastoral et céréalier traditionnel jusqu'à l'actuelle agriculture méditerranéenne irriguée de type huerta. Seront ensuite présentées les modalités d'irrigation et le fonctionnement hydrique de l'oasis afin d'appréhender le défi que pose le réchauffement climatique, et l'hypothèse d'une changement de régime hydrologique des cours d'eau, à la gestion de la ressource en eau.

A) Une oasis présentant une large gamme de cultures

La dérivation des eaux du Río Tunuy«n, situé au centre de la province, a engendré le développement de deux oasis distinctes : le Tunuy«n Superior correspondant à l'Oasis Centre, et le Tunuy«n Inferior qui forme une partie de l'Oasis Nord20. D'après les études historiques, la pratique de l'irrigation dans l'Oasis Centre remonterait au milieu du XVIIème siècle pour semer de la luzerne (CHAMBOULEYRON, J.L., 2002).

20 Cf. Annexe X

1) Du modèle agropastoral et céréalier à une agriculture méditerranéenne irriguée de type huerta

Car, si de nos jours la province de Mendoza doit son insertion dans les échanges commerciaux à son vignoble, elle la devait à l'époque aux 20 000 têtes de bétail qu'elle exportait chaque année vers ce qui s'appelait encore la Capitainerie Générale du Chili (CHAMBOULEYRON, J.L., 2002).

a) La mise en place du modèle agropastoral et céréalier

L'exportation du bétail se faisant à pied, l'oasis de Valle de Uco fut choisi pour être le centre de gravité de ce modèle agropastoral, économisant ainsi plusieurs journées de marche aux troupeaux (CHAMBOULEYRON, J.L., 2002). Ce modèle assura la prospérité de la province jusqu'à la création du Vice-Royaume de la Plata en 1776 qui se traduisit par une diminution des échanges avec la Capitainerie Générale du Chili et leur réorientation vers le littoral atlantique et Nuestra Señora Santa Maria de Buenos Aires, plus connu aujourd'hui sous le nom de Buenos Aires (Ibid). Á cela s'ajoute le développement de l'élevage dans la Pampa qui concurrence le modèle agropastoral mendocin, obligé de se reconvertir dans une agriculture céréalière. Au cours des XVIIIème et XIXème siècles, des moulins font leur apparition sur les lits des cours d'eau, posant les premiers jalons d'une agriculture industrielle (PÉREZ ROMAGNOLI, E., 2007).

b) L'émergence d'une agriculture méditerranéenne irriguée de type huerta

A partir du XIXème siècle, se développa un nouveau modèle économique grâce à la construction de voies de chemin de fer qui permirent l'arrivée dans la province de plusieurs milliers d'immigrants européens21. En provenance d'Espagne, d'Italie et de France, ces immigrants amenèrent avec eux les principales composantes de l'agriculture méditerranéenne : la vigne, l'olivier et les arbres fruitiers (MONTAÑA, E., 2007). Dans ce changement de modèle

21 Ces flux migratoires, qui débutent dans les années 1860 avec l'épidémie de phylloxera en Europe, sont au plus fort entre la fin du XIXème et le début du XXème siècle, puis commencent à diminuer à partir des années 1930 (MONTAÑA, E., 2007).

productif, l'Etat joua un rôle de « promoteur » (RICHARD-JORBA, R.A., 2006) : en même temps qu'il encourageait la venue d'immigrants, envoyant des agents recruteurs à l'arrivée des bateaux dans le port de Buenos Aires, il facilita l'accès au crédit par la création d'une Banque provinciale et développa le système d'irrigation pour mettre en valeur de nouvelles terres (BUNEL, J., PRÉVÔT-SCHAPIRA, M-F., 1994). Ainsi, de nombreux immigrants purent racheter les parcelles qu'ils cultivaient en tant que salariés ou métayers. D'après RICHARDJORBA, R.A. (2004), ceci eut pour conséquence d'accroître le nombre de petites (moins de 5 ha) et moyennes exploitations (moins de 30 ha)22. Et, pour définitivement entériner le changement de modèle productif, l'État exempta d'impôts les nouvelles plantations de vignes, d'oliviers et d'arbres fruitiers. Cette agriculture méditerranéenne irriguée de type huerta est aujourd'hui celle qui prévaut dans la province de Mendoza et plus spécifiquement dans l'oasis de Valle de Uco.

2) Permanence et évolution de la superficie cultivée

D'après la figure ci-dessous, la superficie cultivée est restée étonnamment stable depuis 1988, alors que la répartition des cultures a évolué.

Tableau 1 : Évolution de la superficie cultivée entre 1988 et 1999 dans l'Oasis de Valle de Uco (source : CHAMBOULEYRON, J.L., 2002)

ÉVOLUTION DE LA SUPERFICIE CULTIV E

VALLE DE UCO

1988

1996

1998

1999

ha

%

ha

%

ha

%

ha

%

Totale

54 169

100

54 370

100

54 226

100

54 085

100

Fruits

17 304

32

22 599

42

23 622

44

19 192

35

Vignes

10 526

19

8 129

15

8 401

15

10 972

20

Forêts

6 224

11

-

-

-

-

6 053

11

Légumes

11 359

21

-

-

14 363

26

15 225

28

Fourrages et Céréales

8 756

16

-

-

-

-

2 695

5

D'une manière générale, les seules cultures dont les superficies cultivées ont diminué entre 1988 et 1999 sont les fourrages et céréales (- 69 %), définitivement relégués au rang de

22 A noter que l'ascension des immigrants fût strictement sociale, la politique restant la chasse gardée de la vieille oligarchie mendocine (BUNEL, J., PRÉVÔT-SCHAPIRA, M-F., 1994).

vestiges du modèle agropastoral et céréalier. Leur déclin a surtout profité aux superficies cultivées en légumes (34%), en fruits (11 %), et dans une moindre mesure en vignes (4 %). En revanche, la vigne est la culture dont la superficie à la plus augmenté (31 %) entre 1998 et 1999, rattrapant ainsi le retard qu'elle avait pris sur les fruits et les légumes pendant les années 1980.

Figure 9 : Répartition de la superficie cultivée selon les cultures dans l'Oasis de Valle de Uco
entre 1988 et 1999 (source : élaboration d'après les données de la figure 18)

Répartition de la superficie cultivée selon les cultures

Forêts, fourrages et céréales Légumes

Vignes

Fruits

%

100% 80% 60% 40% 20% 0%

 

1988 1998 1999

Années

La vitiviniculture mendocine connaît, à cette période, une grave crise de surproduction qui s'explique par la baisse du pouvoir d'achat et par un changement dans les habitudes de consommation (BUNEL, J., PRÉVÔT-SCHAPIRA, M-F., 1994). Le succès des boissons gazeuses contribue largement à la baisse de la consommation interne de vin qui passe de 90 litres annuels par habitant dans les années 1970 à 54 litres au début des années 1990 (BUSTOS R., TULET J.-C., 2005). Pour sortir de la crise, les solutions divergent : alors que les politiques nationales préconisent de rompre avec la monoculture, le gouvernement de Mendoza, soucieux de protéger les petits producteurs, opte pour une reconversion à la fois fruitière et légumière. Le gouvernement se met alors à subventionner chaque nouvel hectare planté en fruits ou en légumes, d'où l'augmentation des superficies de ces deux cultures entre 1996 et 1998. Et pour rembourser leur emprunt à l'État, les producteurs devaient lui livrer une partie de la récolte : « Tant de kilos de pommes pour tant d'hectares plantés en pommiers, tant de kilos de poires pour tant d'hectares plantés en poiriers. Ce système nous convenait car pour rembourser notre crédit nous n'avions

qu'à récolter : si tu récoltais, tu remboursais, et si tu ne récoltais pas, tu ne remboursais pas » (Entretien n°1). En outre, le remboursement du prêt en nature permettait aux producteurs de conserver un certain capital pour investir.

Néanmoins, avec le tournant libéral des années 1990, ces conditions de remboursement changèrent et le prêt passa en valeur dollar : le remboursement du prêt n'en devint que plus difficile et la production de fruits et de légumes moins rentable. C'est dans ce contexte que la vigne fait son grand retour : « Nous autres, les vignerons et les viticulteurs, étions ruinés. Année 1980 : complètement ruinés ! Alors, nous avons décidé de cultiver la pomme de terre sur de nouvelles terres, dans le département de Tupungato où le climat autorise jusqu'à deux récoltes par année. C'est comme cela que nous avons pu nous en sortir. Nous avons produit énormément de légumes et pas seulement que de la pomme de terre. Aujourd'hui, quasiment tout est de nouveau planté en vignes » (Entretien n°13).

Le retour de la vigne et ses conséquences sur les modalités d'irrigation seront analysés dans la troisième partie de ce mémoire, l'essentiel ici étant de garder en tête que l'évolution de la superficie cultivée de l'oasis ne modifie pas fondamentalement l'ordre des cultures : les fruits occupent toujours la première place, les légumes la seconde et la vigne la troisième. En cela, l'Oasis de Valle de Uco se différencie des Oasis Nord et Sud où la vigne occupe plus de la moitié de la superficie cultivée.

3) La répartition spatiale des cultures

De plus, il semblerait que la répartition spatiale des cultures au sein de l'oasis n'obéisse pas aux mêmes logiques tant les superficies cultivées en vignes et en fruits paraissent concentrées par rapport aux superficies cultivées en légumes.

Carte 7 : Occupation des sols au début des années 2000 dans l'Oasis de Valle de Uco (source : élaboration propre d'après la carte « Cultivos por grupos » réalisée par le SIPH sur la base du recensement effectué par l'INA en 2002)

Carte 8 : Présentation de l'Oasis de Valle de Uco (source : élaboration propre d'après les fonds de cartes « BASEUCO » de l'INA et « Red Vial Zona Centro » de la DPV)

Les superficies cultivées en fruits se retrouvent, en effet, au centre de l'oasis, dans le département de Tunuyán, et ce qui est communément appelé le « Corridor productif » (Vista Flores, Los Sauces, Villa Seca et Los Arboles). De même, les superficies cultivées en vignes forment deux pôles : l'un Sud, à cheval entre les départements de Tunuyán et San Carlos, l'autre au Nord, dans le département de Tupungato, décrivant un arc de cercle autour de la Route Provinciale N°89 qui ne manque pas de figurer sur toutes les cartes de la « Route des vins ». A l'inverse, la répartition des superficies cultivées en légumes est nettement plus hétérogène, ces dernières se rencontrant de manière équivalente dans les trois départements. D'une manière générale, les superficies cultivées en fruits et en vignes sont surtout présentes à l'ouest, sur les hautes terres du piedmont, tandis que les superficies cultivées en légumes se situent plutôt à l'est, occupant les basses terres de l'oasis qui sont traversées par la Route Nationale N°40.

Dès lors, quelles sont les logiques qui déterminent la répartition spatiale des cultures : comment, par exemple, expliquer le fait que le département de Tupungato, dont le climat fut si propice à la culture de la pomme de terre dans les années 1980, soit aujourd'hui presque entièrement voué à la viticulture ? S'il est encore trop tôt pour répondre à cette question, il est néanmoins possible d'affirmer que, comme dans tout espace aride, les modalités d'irrigation contribuent grandement à la répartition spatiale des cultures.

B) Les modalités d'irrigation : le fonctionnement en vase-clos de l'oasis

Car, même si l'Oasis de Valle de Uco reçoit des précipitations plus abondantes que la plaine le total pluviométrique annuel ne suffit pas à maintenir une agriculture sous pluie. Les cultures sont alors irriguées par l'eau des cours d'eau qui descendent de la Cordillère et par l'eau présente dans le sol qui, malgré les apparences, constituent une seule et même ressource.

1) L'eau superficielle

Les cours d'eau qui descendent de la Cordillère forment un réseau hydrographique dense mais aux débits non-régulés : le seul barrage de retenue (El Carrizal23), situé à l'aval, alimente en eau le Tunuyán Inferior, de sorte que l'Oasis de Valle de Uco ne possède que des barrages de dérivation : Las Tunas, Yaucha, Aguanda et surtout Valle de Uco qui dérive 17% des eaux du Río Tunuyán, principal cours d'eau et collecteur du réseau.

Carte 9 : Réseau hydrographique de l'Oasis de Valle de Uco (source : élaboration propre d'après le fond de carte « BASEUCO » de l'INA et la carte « Caudales superficiales » réalisée par le SIPH)

23 Ce barrage, construit en 1971, possède une capacité de stockage de 360 hm3 (DGI, 2006). Il s'agit du seul barrage situé en aval d'une oasis ce qui le rend, de fait, plus vulnérable aux problèmes de contamination anthropique (LAVIE, E., 2007).

Si la majeure partie des cours d'eau prennent leur source dans la Cordillère, certains sont alimentés par l'affleurement de l'aquifère : c'est notamment le cas des arroyos Negro, Claro et De La Casa Pintada.

2) L'eau souterraine

L'eau souterraine constitue, en effet, une cuvette en forme d'éventail dans laquelle elle suit un mouvement radial dirigé vers l'extrémité orientale de l'oasis24.

Carte 10 : Circulation de l'eau souterraine dans l'Oasis de Valle de Uco (source : élaboration propre d'après CHAMBOULEYRON, J.L., 2002)

24 Cf. Annexe XI

D'ouest en est, trois zones peuvent être distinguées (CHAMBOUEYRON, J.L., 2002). La première, située sur le piedmont, présente un aquifère libre et se caractérise par une infiltration rapide : c'est la zone de recharge (Ibid). La seconde, de moindre taille, présente un aquifère libre et un aquifère confiné dont le toit imperméable permet à certains endroits des résurgences : c'est la zone de transit (Ibid). La troisième et dernière zone présente un aquifère libre que le dénivellement fait affleurer : c'est la zone de décharge (Ibid).

3) L'eau superficielle et l'eau souterraine : une même ressource

En apparence, l'eau superficielle et l'eau souterraine semblent être deux ressources distinctes. En réalité, elles sont une seule et même ressource : l'eau de fonte nivo-glaciaire des cours d'eau andins.

Figure 10 : Corrélation entre les débits du Río Tunuyán et la recharge de l'aquifère libre entre 1974 et 2001 (source : réalisation propre d'après les données de l'INA et celle de Estadística Hidrológica 2004, 24/04/09)

D'après la figure ci-dessus, la recharge de l'aquifère libre apparaît étroitement corrélée au débit du Río Tunuyán. Ce sont, en effet, les pertes par infiltration de l'eau de fonte nivo-glaciaire des cours d'eau et des canaux d'irrigation qui alimentent l'aquifère libre : l'eau s'infiltre et rejoint l'aquifère libre dans lequel elle s'écoule jusqu'à atteindre la zone de décharge où elle donne naissance à des petits cours d'eau qui se jettent ensuite dans le Río Tunuyán. Le fonctionnement

hydrique de l'oasis est donc celui d'un fonctionnement en vase-clos25, subordonné à la disponibilité en eau de fonte nivo-glaciaire des cours d'eau andins.

C) Vers un changement de régime hydrologique du Río Tunuyán ?

Or, le réchauffement climatique actuel et l'hypothèse d'un changement de régime hydrologique des cours d'eau pourraient engendrer un décalage entre la disponibilité de la ressource en eau de fonte nivo-glaciaire et les besoins hydriques des cultures. Cependant, la comparaison des débits du Río Tunuyán entre 1954 et 2004 ne permet pas de déceler un tel changement étant donné la quasi-superposition des courbes de débits des décennies 1954-1964 et 1994-2004. En revanche, la courbe de débits 1954-2004 montre des débits anormalement élevés au mois de janvier.

Figure 11 : Comparaison des débits du Río Tunuyán à Valle de Uco entre 1954 et 2004 (source : élaboration propre d'après les données de Estadística Hidrológica 2004, 24/04/09)

D'après la figure ci-dessous, les débits anormalement élevés (plus de 100 m3/s) concernent plus particulièrement les années 1963, 1972, 1982, 1986, 1987 et 2001 pendant lesquelles ont eût lieu des évènements ENSO (El Niño Southern Oscillation).

25 Cf . Annexe XII

Figure 12 : Débits mensuels du Rio Tunuyán à Valle de Uco entre 1954 et 2004 (source : élaboration propre d'après les données de Estadística Hidrológica 2004, 24/04/09)

Ces oscillations climatiques dans l'Océan Pacifique entraînent une augmentation des précipitations qui se traduit dans le cas des glaciers par des bilans de masse positifs26 (DROCOURT, Y., 2008). Ainsi, lorsque qu'intervient la fusion glaciaire, la quantité d'eau libérée est plus importante d'où des pics des hautes eaux prononcés.

Figure 13 : Impact du phénomène ENSO sur le régime hydrologique du Rio Tunuyán à Valle de Uco (source : élaboration propre d'après les données de Estadística Hidrológica 2004, 24/04/09)

Sur la figure ci-dessus, sont comparés les débits des périodes estivales postérieures aux évènements ENSO de 1972 (été 1973-1974), de 1982 (été 1982-1983) et de 1986-1987 (été 1987- 1988) avec les débits des périodes estivales succédant à des années « normales » du point de vue climatique (étés 1970-1971, 1980-1981 et 1990-1991). Les débits des périodes estivales

26 Cf. Figure 7 en annexes

postérieures aux évènements ENSO y apparaissent en moyenne quatre fois plus élevés que ceux des périodes estivales succédant à des années sans événement ENSO. L'augmentation des débits estivaux provoquée par les phénomènes ENSO introduit donc un biais dans la recherche d'un changement de régime hydrologique du Rio Tunuyán : alors que la courbe de tendance de la figure 24 , ne prenant pas en compte le phénomène ENSO de 1962, est négative, celle de la figure 26, qui le prend en compte, est positive. En outre, cela signifie que la variabilité des débits liée aux phénomènes ENSO est supérieure à celle du réchauffement climatique et du retrait des glaciers, empêchant de déceler le moindre changement de régime hydrologique du cours d'eau.

D) Vers une remise en cause de la gestion de la ressource en eau

Néanmoins, cela ne signifie pas pour autant que le Rio Tunuyán soit à l'abri d'un changement de régime hydrologique, peut-être même déjà en cours ! Dès lors, l'atténuation du pic des hautes eaux et l'avancée dans le temps de la période des hautes eaux, en engendrant un décalage avec la saison végétative, pourraient à terme remettre en question la gestion de l'eau dans l'Oasis de Valle de Uco qui ne possède pas de barrages de retenue pour assurer la redistribution temporelle de la ressource.

L'eau de fonte nivo-glaciaire est donc un élément essentiel de la présence humaine dans la province de Mendoza. Jusqu'à présent, les glaciers andins ont toujours rempli leur rôle de pourvoyeurs d'eau, libérant la ressource au moment où les cultures en ont le plus besoin.

Toutefois, l'important retrait qu'ils ont amorcé depuis le milieu des années 1970 pourrait se traduire par un changement de régime hydrologique des cours d'eau qui sont susceptibles de passer d'un régime glaciaire à un régime nival, engendrant un décalage entre la disponibilité de la ressource et les besoins hydriques des cultures. Le changement de régime hydrologique des cours d'eau se présente comme un défi de plus, celui de la disponibilité de la ressource, à relever pour

les oasis provinciales y compris pour l'Oasis de Valle de Uco dont le fonctionnement en vaseclos en fait un « espace d'interactions homme-milieu » (LAVIE, E., 2007) privilégié.

Car, si, de par sa position géographique, cette oasis est la plus à même de capter l'eau des cours d'eau qui descendent de la Cordillère, elle ne possède pas de barrages de retenue pour assurer la redistribution temporelle de la ressource ce qui la rend, de fait, plus « vulnérable » (BRKLACICH, M., 2006) que les autres aux effets du réchauffement climatique. Plus généralement, la question de la disponibilité en eau de fonte nivo-glaciaire amène à se poser la question de la gestion de cette ressource. Dès lors, la présentation des acteurs qui y participent et des principes qui la régissent devrait permettre de voir dans quelle mesure la gestion de l'eau dans l'Oasis de Valle de Uco a les capacités de répondre au défi posé par le réchauffement climatique et le retrait des glaciers.

DEUXIÈME PARTIE :

PRINCIPES ET ACTEURS DE LA GESTION

DE L'EAU DANS LE SYSTÈME

D'IRRIGATION TRADITIONNEL

Dans l'Oasis de Valle de Uco, les cultures sont irriguées avec l'eau des cours qui descendent de la Cordillère (l'eau superficielle) et l'eau présente dans le sol (l'eau souterraine) qui constituent une seule et même ressource : l'eau de fonte nivo-glaciaire des cours d'eau andins. Une seule ressource, donc, mais qui a donné lieu à deux accès : un accès traditionnel qui s'inscrit dans un système d'irrigation hérité et un accès moderne s'inscrivant dans les logiques de la mondialisation. C'est l'accès traditionnel qui fait l'objet de cette seconde partie dans laquelle sont présentés les modalités de la gestion de l'eau (I) ainsi que les acteurs qui y participent (II).

I- Les grands principes d'une gestion par l'offre

Le système d'irrigation dans l'Oasis de Valle de Uco, et plus généralement dans la province de Mendoza, est un système hérité des Indiens Huarpes. Ces derniers, avec ou sans l'aide des Incas, développèrent un système d'irrigation qui consistait à dériver les eaux des cours d'eau andins en mettant à profit la pente du cône de déjection afin d'irriguer leurs cultures27 par inondation (PONTE, J.R, 2006).

Ainsi, lorsque les Espagnols arrivèrent dans la province vers 1551 et fondèrent Mendoza en 1561, ils découvrirent environ 15 000 hectares de terres irriguées grâce à ce système (PINTO, M., s.d.). Le premier contact entre les Espagnols et les populations du Nouveau Monde fut pacifique, mais très vite l'installation de la domination hispanique se traduisit par un processus d'exportation de la main d'oeuvre indienne vers le Chili. Les Espagnols s'approprièrent les oasis irriguées et se mirent à cultiver des céréales et des fourrages pour nourrir le bétail destiné à l'exportation (MONTAÑA, E., 2007). Néanmoins, ils conservèrent le système d'irrigation mis en place par les Indiens Huarpes et s'efforcèrent de construire de nouveaux canaux d'irrigation (acequias) afin d'étendre la superficie cultivée : au XVIIIème siècle 83 canaux secondaires sont alimentés par les eaux des ríos Mendoza et Tunuyán (ARAUJO E.D., BERTRANOU A., 2004).

Le système d'irrigation connût également une importante extension entre la fin du XIXème et le début du XXème siècle grâce à l'action de l'État qui, pour garantir l'accès à la terre aux immigrants, augmenta de manière significative les superficies irriguées (BUNEL, J., PRÉVÔT-SCHAPIRA, M-F., 1994).

Le système d'irrigation de l'Oasis de Valle de Uco repose aujourd'hui sur un vaste réseau de canaux d'irrigation qui irrigue quelques 41 601 hectares (DGI, 2006) grâce à l'eau de fonte nivo-glaciaire des cours d'eau andins dont les débits, non-régulés, dépendent des précipitations neigeuses qui alimentent les glaciers de la Cordillère en saison hivernale : la gestion de l'eau dans

27 D'après PONTE, J.R. (2006), maïs, pommes de terre, fèves et courges, constituaient alors la base de leur alimentation.

le système d'irrigation est donc une gestion de la ressource basée sur l'offre. Encore faut-il souligner que ce système d'irrigation est un héritage de celui initié par les Indiens Huarpes. La codification du système d'irrigation pré-colombien par la Ley de Agua (1884) et son institutionnalisation par la Constitution Provinciale de 1894 peuvent, avec le recul, être considérées comme autant de tentatives du gouvernement mendocin pour rompre avec un passé indien « qui ne passe pas » et légitimer son pouvoir sur la ressource : la gestion communautaire des Indiens Huarpes est alors remplacée par une gestion administrative et étatique. Seulement, les lois édictées en haut, ne sont pas toujours suivies des effets en bas. Car, selon RUF, Th., (2000), « les règles locales actuelles de la gestion collective de l'eau restent très marquées par les règles passées ».

A) Une gestion de la ressource basée sur l'offre

Parce que l'Oasis de Valle de Uco ne dispose pas de barrage de retenue permettant la redistribution temporelle de la ressource en eau, la gestion de cette dernière dans le système d'irrigation traditionnel est fondamentalement une gestion basée sur l'offre en eau de fonte nivoglaciaire. Or, l'offre en eau de fonte nivo-glaciaire dépend des précipitations neigeuses qui tombent sur la Cordillère des Andes pendant la saison hivernale et alimentent les glaciers.

1) L'offre en eau de fonte nivo-glaciaire : une offre considérée comme suffisante mais dont la répartition temporelle n'est pas toujours en adéquation avec les besoins hydriques des cultures

Tous les usagers rencontrés au cours de l'enquête de terrain connaissent le fonctionnement hydrique de l'oasis. Ils savent exactement d'où provient l'eau qui leur sert à irriguer leur parcelle : « De la Cordillère, évidemment ! S'il ne neige pas, tu n'as pas d'eau : c'est aussisimple que cela » (Entretien n°1) ; « S'il neige beaucoup sur la Cordillère, nous avons suffisamment d'eau ; s'il neige peu, nous manquons d'eau » (Entretien n°3) ; « Plus il fait chaud,

plus les glaciers fondent et plus il y a d'eau » (Entretien n°5). Les usagers ont également conscience du réchauffement climatique actuel et de la menace qu'il fait peser sur les réserves en eau de la province : « Les glaciers fondent à cause de la chaleur » (Entretien n°5) ; « Les réserves d'eau, qui sont stockées dans les glaciers, diminuent » (Entretien n°1) ; « Chaque année, il tombe de moins en mois de neige sur la Cordillère. Or, d'après le DGI, les réserves en eau des glaciers sont à peine suffisantes pour nous permettre d'irriguer deux années sans qu'il tombe le moindre flocon. Nous en avons déjà passé une. Si jamais il ne neige pas l'année prochaine...nous allons sûrement manquer d'eau » (Entretien n°14). Cependant, ils affirment ne pas avoir noté une diminution de l'eau apportée par les cours d'eau et semblent d'avantage préoccupés par la qualité de cette dernière que par sa quantité : « Jusqu'à maintenant, nous n'avons pas eu à déplorer des problèmes de contamination. Mais, si jamais l'industrie minière s'installe en amont, je crains le pire... » (Entretien n°3) ; « Pourquoi faire venir l'industrie minière ici : elle te détruit l'eau en la contaminant alors que toi tu en a besoin pour irriguer. Et tout ça au bénéfice de qui ? De quatre ou cinq, pas plus » (Entretien n°1)28.

Tous, sans exception, s'accordent pour dire qu'ils « dépendent de la nature », autrement dit du cycle de l'eau : depuis le stockage des précipitations hivernales dans les glaciers de la Cordillère, jusqu'à leur libération par la fusion glaciaire en été. Montrant le rapport entre les quantités de neige précipitées sur la Cordillère et les Coefficients Mensuels de Débits (CMD) du Río Tunuyán, les figures ci-dessous semblent leur donner raison : les années où les quantités de neige précipitées sont importantes donnent lieu à des débits estivaux plus élevés que ceux des années où les quantités de neige précipitées sont moindres. Quant à l'accentuation du pic des hautes eaux 2001-2002, il s'explique avant tout par l'évènement ENSO de 2001.

28 En novembre dernier, la présidente Cristina Kirchner posa son veto à une loi approuvée par le Parlement et qui prévoyait de protéger les glaciers andins contre les activités extractives. Depuis lors, les manifestations se multiplient pour réclamer le retrait du décret présidentiel.

Figure 14 : Accumulation neigeuse à la station nivométrique de Palomares (2 900 mètres

d'altitude), dans le bassin du Río Tunuyán entre 2000 et 2003 (source : élaboration

propre d'après le Boletín de Información Hidronivometeorológica publié par le DGI

le 23/10/2008)

Figure 15 : Coefficients Mensuels de Débits du Río Tunuyán à Valle de Uco entre 2000 et 2003 (source : élaboration propre d'après les données de Estadística Hidrológica 2004, 24/04/09)

Les usagers sont donc dépendants de l'offre en eau de fonte nivo-glaciaire stockée par les glaciers, mais aussi de sa répartition temporelle : « L'inconvénient c'est que l'eau ne nous arrive qu'en été avec la fonte des glaces. En outre, nous ne disposons pas du débit adéquat quand on en aurait le plus besoin : tout dépend de la fonte estivale » (Entretien n°14). Car, si dans le régime glaciaire la période des hautes eaux correspond effectivement à la saison végétative, il arrive qu'en dehors de celle-ci certaines cultures dont l'ail, principale culture hivernale qui se récolte entre les mois d'octobre et de novembre, manquent d'eau : « Le problème c'est que l'eau n'arrive

en quantité suffisante qu'à partir du mois de novembre tandis que l'ail commence à demander une irrigation régulière dès la fin du mois d'août » (Entretien n°3). Ainsi, parce que les cultures n'ont pas les mêmes besoins hydriques, le changement de régime hydrologique des cours d'eau et l'avancée de la période des hautes eaux profiterait essentiellement aux cultures hivernales dont la récolte s'effectue au début de la saison estivale. Cela dit, la répartition temporelle de la ressource affecte surtout les producteurs qui utilisent l'eau de petits cours d'eau : « La majorité des ruisseaux du piedmont connaissent des difficultés. Car l'eau commence à manquer dès le mois d'avril, voir la fin du mois de mars, pour ne revenir en quantité suffisante qu'à partir de la minovembre. Cela fait donc entre 6 et 7 mois pendant lesquels les cultures ne sont pas irriguées » (Entretien n°14). A l'inverse, les usagers qui utilisent l'eau des cours d'eau plus importants sont moins exposés au problème de la répartition temporelle de la ressource. Il en est ainsi de ceux irriguant leurs cultures avec les eaux du Río Tunuyán dont la taille du bassin-versant lui permet d'être alimenté par les eaux de fonte nivo-glaciaires d'une multitude de glaciers et de collecter les eaux de ruissellement issues des précipitations hivernales. Cependant, il semblerait que le volume apporté par les cours d'eau au printemps parvienne tout juste à combler les besoins hydriques des cultures qui sortent de leur repos hivernal et ce, y compris pour le Río Tunuyán (Entretiens n°9 et 12).

2) Stocker les eaux du Río Tunuyán : le projet de barrage de retenue Los Blancos

Un projet de barrage en amont de l'oasis, le projet Los Blancos qui date du début des années 1970, serait sur le point de voir le jour, la province en étant rendu à sélectionner l'entreprise chargée de sa construction (Los Andes, 04/02/2009). Le futur barrage, qui se situera à une quarantaine de kilomètres de la ville de La Consulta, possédera une retenue à vocation hydroélectrique de 85 Hm3 grâce à laquelle il devrait réguler le débit du Río Tunuyán et ainsi remédier au problème de la répartition temporelle de la ressource. Néanmoins, la construction du barrage devra nécessairement s'accompagner d'un programme d'imperméabilisation des canaux

qui constitue le réseau d'irrigation. Le barrage risque, en effet, de retenir les sédiments contenus dans l'eau de fonte nivo-glaciaire et ainsi favoriser son infiltration qui bénéficierait à ceux qui disposent d'une perforation pour capter l'eau souterraine. En attendant la construction d'un tel barrage, les eaux du Río Tunuyán sont seulement dérivées par un barrage de dérivation, celui de Valle de Uco.

3) Dériver les eaux du Río Tunuyán : le barrage de dérivation Valle de Uco, un exemple des rapports entre irrigation et pouvoir

Le barrage de Valle de Uco est le barrage de dérivation le plus important que compte l'oasis, et pour cause : il dérive 17 % des eaux du Río Tunuyán soit 153 hm3 chaque année. Comme le montre la carte ci-dessous, le barrage structure l'essentiel du réseau d'irrigation. D'après CHAMBOULEYRON, J.L. (2002), les eaux qu'il dérive irrigueraient pas moins de 17 400 hectares de terres, soit 1/3 de la superficie cultivée de l'oasis en 1999. Ceci expliquerait que le réseau d'irrigation soit plus développé dans les départements de Tunuyán et San Carlos que dans le département de Tupungato qui n'est traversé que par un cours d'eau majeur, le Río Las Tunas, dont le débit est, du reste, inférieur à celui des principaux cours d'eau de l'oasis29. Car, l'eau s'écoulant par gravité dans les canaux, l'irrigation est avant tout une pratique de proximité. Ainsi, le réseau d'irrigation s'est d'abord développé là où l'offre en eau superficielle était suffisante pour garantir un accès équitable à la ressource. Là où elle ne l'était pas, comme dans la majeure partie du département de Tupungato, il a fallu recourir à l'eau souterraine et creuser des perforations. Il en est de même sur le piedmont où l'offre en eau des petits cours d'eau n'est pas suffisante pour y développer le réseau d'irrigation. Toutefois, certains usagers se sont organisés pour dériver, sans la moindre infrastructure, l'eau de ces petits cours et irriguer leurs cultures. Ce sont ces usagers qui sont les plus exposés au problème de la répartition temporelle de la ressource étant donné que

29 Cf. Carte 9

le volume d'eau apporté par ces petits cours d'eau ne parvient à combler les besoins hydriques des cultures qu'entre le mois d'avril et le mois de novembre (Entretien n°14).

Carte 11 : Réseau d'irrigation de l'Oasis de Valle de Uco (source : élaboration propre d'après le fond de carte « BASEUCO » de l'INA et la carte « Red de riego » réalisée par le SIPH)

Comme le rappelle la stèle sur le terre-plein central du camping de Valle de Uco, le barrage fut construit entre 1940 et 1941 et inauguré en 1942. La stèle mentionne, en effet, les noms des Gouverneurs et Vice-gouverneurs de l'époque, mais sans indiquer le nom de l'ingénieur qui a supervisé les travaux de construction du barrage. De même l'ordre dans lequel apparaissent les noms peut surprendre : sont d'abord cités les noms des Gouverneurs et Vice-gouverneurs, et

ensuite seulement le nom du Superintendant qui est pourtant à la tête du DGI, organe principal de la gestion de la ressource en eau dans la province.

Photographie 1 : Photo du Río Tunuyán prise en amont du barrage de Valle de Uco, le 20/02/2009 vers 13h30 (source : auteur)

Photographie 2 : Photo du barrage de Photographie 3 : Photo d'une stèle

Valle de Uco prise le 22/02/2009 vers dans le camping du barrage de Valle

13h30 (source : auteur) de Uco prise de 22/02/2009 vers

13h30 (source : auteur)

Plus qu'un simple monument, cette stèle se présente donc comme une démonstration de pouvoir : celle d'une société en lutte permanente contre le désert et qui assimile les ouvrages de contrôle des ressources hydriques et celles d'extension du réseau d'irrigation à des victoires lui permettant de réaffirmer son identité collective (MONTANA, E., 2003). Or, comme il l'a été démontré précédemment, l'irrigation est une pratique de proximité : les eaux du Río Tunuyán sont dérivées par le barrage Valle de Uco, s'écoulent dans des canaux jusqu'aux espaces à irriguer, puis sont récupérées par d'autres canaux, les desagües, une fois l'irrigation effectuée. Ce faisant, l'accès à la ressource dans le système d'irrigation traditionnel où l'eau s'écoule par gravité repose essentiellement sur la proximité du cours d'eau. Ainsi, la question est désormais de savoir jusqu'à quelle distance l'accès à la ressource peut-il être équitable dans un système d'irrigation gravitaire basé sur la proximité physique du cours d'eau.

4) Répartir les eaux Río Tunuyán : « La médiation de l'eau n'est pas une science exacte ! »

La gestion de l'eau dans le système d'irrigation traditionnel étant une gestion basée sur l'offre, elle consiste à repartir la ressource de manière équitable entre les usagers et ce, indépendamment de sa quantité. En effet, quelle que soit la quantité d'eau dérivée par le barrage de Valle de Uco, celle-ci est systématiquement divisée par la somme des superficies à irriguer pour en déduire le « coefficient d'irrigation » (coeficiente de riego). A titre d'exemple, le 12 janvier 2009, soit en plein été, le débit des eaux dérivées par le barrage était de 11,72 m3/s et la superficie à irriguer de 16 873 hectares : le « coefficient d'irrigation » était donc de 0,694 l/s/ha30. Cela signifie, en outre, que le moindre hectare de terre était censé recevoir 0,694 litres d'eau par seconde. En hiver, le « coefficient d'irrigation » est cependant mois élevé : le 7 juillet 2008, il était d'à peine 0,359 l/s/ha. La quantité d'eau disponible pour irriguer un hectare de terre peut donc varier du simple au double entre la saison hivernale et la saison estivale. De ce fait, s'il existe une « culture » de l'eau (Los Andes, 19/11/2008), celle-ci est à mettre à l'actif des usagers

30 Pour rappel : 1 m3 = 1 000 L

Figure 16 : Répartition de la superficie à irriguer par canal d'irrigation (source : élaboration propre d'après les données fournies par la Subdelagación de Agua Río Tunuyán Superior)

du système d'irrigation qui doivent employer des techniques d'irrigation rentabilisant au mieux la ressource lorsque celle-ci parvient tout juste à combler les besoins hydriques des cultures.

La figure 17 illustre la circulation de l'eau dans le système d'irrigation traditionnel, souvent appelé « système des volumes proportionnels » (ARAUJO E.D., BERTRANOU A., 2004), le débit de chaque canal devant être proportionnel à la superficie qu'il est censé irriguer. Le débit de chaque canal d'irrigation est, en effet, calculé en fonction du « coefficient d'irrigation » que multiplie la superficie à irriguer par le canal concerné. Ainsi, le 12 janvier 2009, le canal Quiroga, qui était censé irriguer 2 051 hectares, devait avoir un débit de 1, 424 m3/s, soit 12,2% de l'eau présente dans le système d'irrigation, mais aussi 12,2% de la superficie totale à irriguer (cf. Figure 16).

Figure 17 : Circulation de l'eau dans le système d'irrigation traditionnel le 12 janvier 2009 (Ibid)

Le débit de chaque canal d'irrigation est régulé par un « régulateur » (partidor) qui laisse entrer plus ou moins d'eau selon qu'il est ouvert ou fermé : pour soutenir un débit de 1, 424 m3/s, l'ouverture du « régulateur » du canal Quiroga doit être de 1, 25 mètres.

Figure 18 : Circulation de l'eau dans le canal secondaire Quiroga
(source : élaboration propre)

Comme le montre la figure ci-dessus, le réseau d'irrigation est fortement hiérarchisé puisque l'eau doit passer dans toute une série de canaux avant d'atteindre les parcelles à irriguer : les canaux primaires (margenes) alimentent les canaux secondaires (ramas), qui à leur tour alimentent les canaux tertiaires (hijuelas). Dès lors, il est possible qu'avec la distance les canaux

tertiaires les plus éloignés d'un canal secondaire reçoivent proportionnellement moins d'eau que ceux qui en sont les plus proches, et ce pour plusieurs raisons. Tout d'abord, parce que la pente, celle-là même que les Indiens Huarpes mettaient à profit pour irriguer leurs cultures, n'est pas prise en compte lors du calcul des débits. Il s'agit pourtant d'un élément non-négligeable sur les glacis d'un piedmont, car plus elle est accentuée, plus la vitesse de l'eau est importante et plus la section mouillée est grande. De ce fait, les canaux tertiaires situés dans les secteur à forte pente, à l'ouest, seront sujets à des « à-coups hydrauliques » dont ne bénéficieront pas forcément ceux situés dans des secteurs à pente plus faible, à l'est. Ensuite, parce que la majorité du réseau d'irrigation n'est pas imperméabilisé. Ainsi, plus l' « itinéraire » (ALVAREZ, P., 2005) que doit suivre l'eau pour arriver jusqu'à la parcelle est long, plus les pertes par infiltration sont importantes et diminuent d'autant le débit du canal. En dernier lieu, parce qu'une simple erreur de mesure dans l'ouverture ou la fermeture d'un régulateur de débit peut faire varier le débit du canal : si l'ouverture du « régulateur » du canal Quiroga mesure 1, 24 mètre au lieu de 1, 25, le débit diminue de 1 %, soit 8 litres par seconde en moins qui, selon le « coefficient d'irrigation » du 12 janvier 2009, auraient pu servir à irriguer 12 hectares de terres.

Pour toutes ces raisons, il est permis d'affirmer que les canaux tertiaires les plus éloignés d'un canal secondaire reçoivent moins d'eau que ceux qui en sont les plus proches. Les premières mesures de débits des canaux tertiaires du canal Quiroga, effectuées à l'aide d'un flotteur31 entre le 26 mars et le 8 avril 2009, semblent le confirmer. En revanche, la dernière mesure, effectuée le 14 avril 2009 avec un courantomètre généreusement prêté par la Subdelegación de Agua Río Tunuyán, le confirme : ce jour là, le débit du canal Biscontin était 30 % inférieur à ce qu'il aurait dû être, alors que celui du canal Appon était 50% supérieur à la normale.

31 Cf. Figure 8 en annexes

Photographie 8 : Photo de la mesure du débit du canal Appon prise le 14/04/2009 vers 12h (source: auteur)

A priori, la faiblesse du débit du canal Biscontin viendrait d'une erreur de mesure dans l'ouverture des « régulateurs » de débits des canaux Furlotti (14 cm au lieu de 12) et Colovati (27 cm au lieu de 24). Quant au trop plein d'eau dans le canal Appon, il s'explique essentiellement par l'apport du desagüe. Ce canal est, en effet, chargé de collecter les eaux qui ne se sont pas infiltrées lors de l'irrigation des parcelles situées en amont, son débit étant utilisé pour renforcer celui des canaux tertiaires les plus éloignés d'un canal secondaire. Or, le débit de ce canal est maximum à cette période de l'année puisque les producteurs, et notamment les viticulteurs, sont plus occupés par la récolte que par l'irrigation et laissent filer l'eau qui leur sert habituellement à irriguer leurs parcelles jusqu'au desagüe.

Dès lors, faut-il en conclure que l'accès à l'eau dans le système d'irrigation traditionnel est inéquitable ? En plus d'être sévère, cette conclusion pourrait, à tort ou à raison, être considérée comme un jugement de valeurs. Retenons simplement les paroles du chef du département « Gestión Hídrica » à la Subdelagación de Agua Río Tunuyán Superior qui, évoquant le « l'itinéraire de l'eau » (ALVAREZ, P., 2005) dans les canaux d'irrigation, finit par conclure :

« La médiation de l'eau n'est pas une science exacte. C'est généralement ce que je tente de faire comprendre à l'usager qui me signale qu'il manque quelques litres à son tour d'eau. En revanche s'il me signale qu'il lui manque la moitié de son tour d'eau, je me déplace, je mesure la quantité d'eau qui entre dans sa propriété et prend les décisions qui s'imposent ... » (Entretien n°9). Ajoutons que la clé de voûte du système d'irrigation traditionnel réside dans le « coefficient d'irrigation » qui en fonde la prétention à garantir un accès équitable de la ressource en eau entre des usagers partageant un même « capital hydrique ». Autrefois communautaire, la gestion de ce capital hydrique est aujourd'hui une gestion administrative et étatique dont les modalités sont quelque peu rigides.

B) Une gestion administrative et étatique quelque peu rigide

Le système d'irrigation de l'Oasis de Valle de Uco et, a fortiori, celui de la province de Mendoza est un héritage des Indiens Huarpes. C'est seulement à la fin du XIXème siècle que le système d'irrigation pré-colombien fut codifié et institutionnalisé et que la gestion communautaire de la ressource fut remplacée par une gestion administrative et étatique.

1) La codification et l'institutionnalisation du système d'irrigation précolombien

Mendoza n'était alors qu'une jeune province cherchant à s'affirmer dans un pays qui en comptait 22 depuis 1853 et l'adoption d'une première constitution fédérale. Elle devait donc se doter des structures nécessaires à l'encadrement de sa population qui commençait à augmenter avec l'arrivée des premiers immigrants. En un mot, il s'agissait pour le gouvernement mendocin de légitimer son pouvoir, et notamment celui sur la ressource en eau, à la base de la configuration spatiale de la province. Ainsi, l'enjeu était de remplacer la gestion communautaire de l'eau des Indiens Huarpes par une gestion administrative et étatique. Pour ce faire, le gouvernement remis en doute la paternité du système d'irrigation mendocin aux Huarpes en invoquant qu'ils furent aidés par les Incas. Ce faisant, le gouvernement de Mendoza fit démarrer l'histoire hydraulique de

la province en 1884 avec la Ley General de Aguas. Cette loi, en codifiant le système d'irrigation pré-colombien, le dota d'une existence juridique puis institutionnelle, dès 1894, lorsqu'elle fut inscrite dans la Constitution Provinciale. La gestion de la ressource en eau dans la province de Mendoza est désormais une gestion administrative et étatique, confiée au DGI qui est chargé de faire appliquer les grands principes de la Ley General de Aguas.

2) Les grands principes de la Ley General de Aguas

Véritable « jurisprudence de l'eau d'irrigation », la Ley General de Aguas est aujourd'hui toujours en vigueur et incontournable pour qui souhaite étudier la gestion de l'eau dans la province de Mendoza dont elle fait la spécificité. Trois de ses grands principes ont été retenus pour illustrer cette spécificité : les « droits à l'irrigation », le « principe d'inhérence » et la distribution de l'eau par « tours ».

a) Les « droits à l'irrigation » : essai de typologie

L'eau relevant du domaine public, elle est seulement « concédée » aux usagers sous forme de « droits à l'irrigation » (derechos de riego). Ces droits servaient de base au recensement agricole à l'époque où la seule source d'approvisionnement en eau était superficielle : la superficie irriguée grâce à ces droits était alors dite « empadronada » (« recensée »). Malgré le recours de plus en plus fréquent à l'eau souterraine, le vocabulaire est resté et la superficie empadronada désigne toujours la superficie irriguée par des « droits à l'irrigation », un padron désignant une parcelle et le droit qui lui correspond.

Les « droits à l'irrigation » peuvent être définitifs (definitivos), temporaires (eventuales) ou précaires (precarios). Les premiers sont dits « définitifs » dans la mesure où ils continuent d'être exercés même lorsque l'offre en eau est déficitaire, notamment pendant la saison hivernale. A l'inverse, les seconds ne peuvent être exercés que lorsque l'offre en eau, excédentaire, a permis l'exercice des droits « définitifs », principalement pendant la saison estivale. Les premiers comme les deuxièmes ne peuvent être révoqués d'aucune manière sinon par expropriation, ce qui les

différencie des troisièmes pouvant être annulés sans la moindre justification, d'où leur précarité. Ces « droits à l'irrigation » ont néanmoins une caractéristique en commun : ils sont indissociables de la terre pour laquelle ils sont été concédés.

b) L'eau, indissociable de la terre : le « principe d'inhérence »

Contrairement au Chili où ils constituent deux marchés distincts, l'eau et la terre dans la dans la province de Mendoza sont indissociables en vertu du « principe d'inhérence » (principio de inherencia) : « tout terrain possédant un droit à l'irrigation ne peut être vendu ou céder sans le droit à l'irrigation qui lui correspond. De la même manière, toute saisie ou aliénation d'un droit à l'irrigation ne peut avoir lieu sans qu'il y ait saisie ou aliénation du terrain auquel il correspond » (source : site internet du DGI, 17/02/2009). En outre, qui veut acheter une parcelle doit nécessairement l'acheter avec son « droit à l'irrigation » et ce, même si l'intéressé ne compte pas l'utiliser, préférant irriguer sa parcelle avec de l'eau souterraine. Le « principe d'inhérence » fit écrire à Pierre Gourou que l'eau dans la province de Mendoza « est mal utilisée parce que trop souvent reçue comme un droit attaché à la propriété foncière » (1976). Attachée à la propriété, l'eau comme droit est, en effet, ce qui lui confère toute sa valeur sur le marché foncier. Ainsi, il n'est pas rare de voir certains producteurs, qui irriguent leurs cultures avec de l'eau souterraine, continuer à exercer leur « droit à l'irrigation » afin de ne pas le « perdre »32 et déprécier la valeur de leur terre (Entretien n°6). L'exercice d'un « droit à l'irrigation » se réalise pendant un tour d'eau dont la durée et la périodicité dépendent de plusieurs variables.

c) La distribution de l'eau par « tours »

Dans la province de Mendoza, l'eau est, en effet, distribuée par « tours » (turnos) durant lesquels chaque usager reçoit une quantité d'eau proportionnelle à la superficie qu'il est censé irriguer grâce à son « droit à l'irrigation ». La durée du « tour » (tiempo efectivo de turno) dépend du débit du canal tertiaire, produit du « coefficient d'irrigation » et de la superficie à irriguer par

32 Selon la Ley General de Agua, le « droit à l'irrigation » se perd s'il n'est pas exercé pendant plus de cinq années (source : site internet du DGI, 17/02/2009).

le canal. Dès lors, plus la superficie à irriguer par un canal est grande, plus le débit de ce canal est important et plus la durée de « tour » est courte : une exploitation de 5 hectares située sur le canal Collovati, qui est chargé d'irriguer une superficie de 113 hectares, aura une durée d'irrigation plus courte que la même exploitation située sur le canal Guerci dont la superficie à irriguer est deux fois moins importante.

La périodicité d'un tour d'eau (tiempo de rotación) peut-être d'une ou de deux semaines33 : auparavant le canal Rebon recevait l'eau la première semaine et les canaux Appon et Combes la semaine suivante, jusqu'à ce que les usagers décident de leur approvisionnement simultané (Entretien n°5). De même, l'eau s'écoulant par gravité, les premiers usagers à recevoir leur tour d'eau sont toujours les mêmes, seuls les horaires changent de manière à ce que les usagers ayant irrigué leur parcelle de nuit la semaine précédente, l'irriguent de jour la semaine en cours.

Pour exercer leur tour d'eau, les usagers n'ont qu'à relever, en temps et en heure une petite porte (compuerta) située à l'entrée de leur propriété.

Photographie 9 : Photo de compuertas prise le 25/02/2009 vers 13h (source : auteur)

33 En réalité le tiempo de rotación est de 6 ou 12 jours, le dimanche étant un jour de repos, même pour l'eau qui arrête alors de s'écouler dans les canaux d'irrigation.

Lorsque c'est leur « tour » d'irriguer, les usagers utilisent le mot « tocar » qui signifie « être le tour d'eau » mais aussi « frapper » à la porte ce qui contribue à personnifier la ressource en eau qui vient « toquer » à leur compuerta.

3) La Ley General de Aguas vue par les usagers du système d'irrigation traditionnel

L'opinion des usagers du système d'irrigation traditionnel sur la Ley General de Aguas est cependant mitigée. Pour certains, la loi est « bonne » (Entretien n°5) et n'a plus à faire ses preuves : « Il y a beaucoup de gens qui la considèrent comme mauvaise, mais moi non. Je ne pense pas qu'elle le soit puisque nous ne manquons pas d'eau » (Entretien n°1) ; « Plusieurs pays s'en sont inspirés car il s'agit d'une loi très intelligemment pensée (Entretien n°2).

Pour d'autres, elle est perfectible car elle concentre les pouvoirs entre les mains du DGI dont la gestion de l'eau n'est pas toujours aussi transparente que la ressource qu'il entend administrer : « La Ley de Aguas est considérée, dans la province de Mendoza en tout cas, comme la meilleure du monde. Mais, comme toute loi, elle n'est pas exempt de failles, notamment dans le maniement des fonds. Par exemple, c'est le DGI qui décide des travaux à entreprendre sur les canaux d'irrigation. Or, bien souvent, les travaux sont effectués sur des canaux qui ne sont pas nécessairement ceux qui en auraient le plus besoin, ceux que lesquels transitent les volumes d'eau les plus importants » (Entretien n°6) ; « La politique de l'eau dans la province est défaillante. Il se fait de plus en plus de perforations à n'importe quelle profondeur car l'argent versé pour l'obtention des permis est détourné » (Entretien n°14).

Pour d'autres, encore, il faut différencier la loi de son application « qui dépend de personnes clés pouvant agir avec conviction ou au contraire se laisser aller à des malversations... Nous ne sommes que des êtres humains, après tout ! » (Entretien n°2).

Les remarques des usagers à l'égard de la Ley General de Aguas s'adressent toutes au DGI dont il est l'enfant prodige autant que le gardien. Dès lors, il est possible de voir dans ces remarques une critique de l'omnipotence du DGI ainsi qu'une remise en cause de sa légitimité à

gérer la ressource en eau : « D'après la Ley de Aguas, l'usager est le maître de l'eau. Tout ce qu'est censé faire le DGI est d'exercer la souveraineté que nous lui avons déléguée pour administrer la ressource en eau et contrôler les usages qui en sont faits » (Entretien n°2). De même, les usagers s'accordent pour dire que l'accès à l'eau dans le système d'irrigation traditionnel est loin de l'équité garantie par la Ley General de Aguas : « certains canaux sont avantagés par rapport à d'autres » (Ibid). Ce manque d'équité tiendrait, selon eux, davantage à la nature gravitaire de l'irrigation qu'à des malversations : « S'il arrive plus d'eau par ici, c'est avant tout parce que les conditions ne permettaient pas de l'acheminer par là (...) Malgré les défauts que comporte le système d'irrigation, je pense qu'il existe une réelle volonté de desservir tous les usagers de la même manière » (Ibid).

C) Le décalage entre la Ley General de Aguas et les pratiques des usagers

Néanmoins, si les usagers du système d'irrigation traditionnel sont les premiers à distinguer la loi de son application, ce ne sont pas les derniers à s'en écarter de par leur pratiques qui leur permettent de s'accommoder de ses principes les plus rigides. L'approche territoriale devant « refléter les différentes conceptions des systèmes irrigués » (RUF, Th., 2000), il désormais temps de prendre le chemin inverse de celui suivi jusqu'à présent et de partir des pratiques locales pour en « déduire une gestion plus flexible et plus adaptée à une économie agricole libérée de sa tutelle agro-directoriale » (Ibid).

1) Le non-respect du « principe d'inhérence »

Le « principe d'inhérence », sans doute le plus important et le plus contesté de la Ley General de Aguas qui postule que l'eau est indissociable de la terre, est très peu appliqué par les usagers. Il arrive, en effet, fréquemment que ces derniers se prêtent l'eau d'un « tour » pour combler les besoins hydriques de leurs cultures. C'est le cas de ce producteur d'ail qui s'en fait prêter pour irriguer en hiver : « Quand arrive l'hiver l'eau commence à me manquer. J'utilise

donc le tour d'eau d'un de mes voisins qui me le prête et que je lui rendrai au début de l'été car après la récolte je n'en ai plus besoin alors que lui si » (Entretien n°2). De même, l'usager se doit d'être à pied d'oeuvre chaque fois que c'est son « tour » d'irriguer, car, s'il le laisse passer le voisin n'a qu'a relever sa compuerta pour l'utiliser : « Il faut toujours être prêt lorsque le tour d'eau arrive et ne pas le laisser passer sinon un autre peut l'occuper. Il y a toujours un voisin prêt à occuper ton tour d'eau » (Entretien n°6). Mieux vaut donc être en bons termes avec ses voisins sachant que « La distribution de l'eau est une question qui se règle généralement entre voisins » (Entretien n°6)...

2) Les chapardages d'eau

Le système d'irrigation traditionnel étant un système à ciel ouvert, les chapardages d'eau sont choses communes : « Il ne s'agit pas à proprement parlé de « vols », mais plutôt de branches ou de pierres qui augmentent le débit par-ci et le diminuent par-là... » (entretien avec Mario Boni). Ces chapardages sont pourtant interdits par la Ley General de Aguas : « Il est interdit de d'obstruer l'écoulement de l'eau dans les canaux d'irrigation. Tout contrevenant s'expose à une amende forfaitaire de 20 à 100 pesos34 » (source : site internet du DGI, 17/02/2009).

34 De 3,75 à 18,89 euros

Photographie 10 : Photo d'un « chapardage » d'eau sur le canal Collovati prise le 26/03/2009 vers 9h30 (source : auteur)

Les chapardages ne sont toutefois pas dénoncés, si bien qu'il n'existe pas de registres qui pourraient donner une idée de leur évolution dans le temps. Ici encore, le problème se règle entre voisins selon la Loi du Talion : « branche pour branche, pierre pour pierre ». Quoi qu'il en soit, cette attitude de certains usagers peut surprendre dans la mesure où tous affirment que la quantité d'eau reçue par « tour » est « suffisante » et que le principal problème réside dans la répartition temporelle de la ressource.

3) L'appropriation d'un bien public

Autre problème, moins répandu que les deux premiers mais symboliquement plus fort : celui de l'appropriation de la ressource en eau par certains acteurs. Malgré le caractère public de l'eau, des acteurs s'approprient la ressource et le canal par lequel elle transite en bornant leur propriété avec des clôtures en fil barbelé (cf. Photographie 11). Il s'agit généralement d'acteurs économiques importants qui irriguent leur propriété grâce à l'eau superficielle de leur « tour » et l'eau souterraine qu'ils pompent dans la nappe phréatique, peu profonde dans cette partie de

 
 
 

35 Cf. Carte 10

 

l'oasis35. Ces acteurs stockent l'eau dans un réservoir ou represa (cf. Photographie 12) qui leur permet d'irriguer en dehors des horaires d'irrigation. Des pompes (cf. Photographie 13) aspirent l'eau du réservoir, la filtrent et l'envoient vers un système de goutte à goutte (cf. Photographie 14). Comme son nom l'indique, ce système d'irrigation consiste à pulvériser l'eau, goutte par goutte, au pied des cultures afin d'en réduire les pertes par infiltration et ainsi optimiser la ressource. Or, cette optimisation de la ressource, rendue possible par les technologies modernes d'irrigation, n'est pas prise en compte dans le calcul du tour d'eau. Ces acteurs reçoivent, en effet, autant d'eau que ceux qui irriguent leurs cultures par inondation alors qu'ils en consomment moins. L'excédent d'eau dans les réservoirs est donc évacué vers le desagüe et, ce faisant, bénéficie aux canaux tertiaires les plus éloignés d'un canal secondaire au préjudice des plus proches.

Photographie 11 : Photo d'une clôture entourant une grande propriété prise le 24/02/2009 vers 11h (source : auteur)

Photographie 12 : Photo d'une represa prise le 2 4 / 0 2 /2 0 0 9 v e r s 1 1 h (source : auteur)

Photographie 13 : Photo des pompes qui alimentent le système d'irrigation prise le 24/02/2009 vers 11h (source : auteur)

Photographie 14 : Photo du système d'irrigation par goutte à goutte prise le 24/02/2009 vers 11h30 (source : auteur)

D) Une ressource, deux gestions : le poids de l'héritage huarpe

Le détour par les pratiques locales fut bénéfique puisqu'il a permis de montrer le décalage entre les règles édictées en haut et les pratiques des usagers du système d'irrigation traditionnel. Ce décalage semble refléter la coexistence de deux gestions de la ressource en eau : l'une administrative et étatique, l'autre communautaire. La première, instaurée par la Ley General de Aguas, se caractérise par la rigidité de ses modalités : l'eau y est un droit attaché à la propriété foncière et est distribuée par « tours » durant lesquels chaque usager en reçoit une quantité proportionnelle à la superficie qu'il doit irriguer. La seconde, héritée des Indiens Huarpes, se distingue par la souplesse de ses modalités : l'eau y est toujours un droit mais celui-ci n'est plus attaché à la propriété foncière et peut, par conséquent, servir à irriguer une autre terre que celle pour laquelle il a été concédé. Dans la première, l'eau est une affaire publique et donc d'État,

dans la seconde, il s'agit surtout d'une affaire de voisinage. La codification et

l'institutionnalisation du système d'irrigation pré-colombien ne semblent pas avoir eu les effets escomptés sur les pratiques des usagers qui réhabilitèrent la gestion communautaire des Indiens Huarpes pour flexibiliser les principes les plus rigides de la Ley General de Aguas. Coexistent donc deux gestions de l'eau qui se complètent plus qu'elles ne s'opposent : la gestion administrative et étatique misant sur le développement des relations verticales qui relèvent d'une organisation globale, la gestion communautaire misant sur celui des relations horizontales qui relèvent d'une organisation locale.

Dans un tel contexte, les règles de la gestion de l'eau dans l'Oasis de Valle de Uco se révèlent être des combinaisons de règles sociales locales tacites, des quotas administrés et d'échanges d'eau par le jeu de réciprocités, de dons, de compensations, d'arrangements divers et de marchés de l'eau officiels ou officieux, admis ou tolérés selon les cas. Se pose alors la question de la pertinence du cadre juridique. Il s'agit là d'une « question d'échelle géographique, une question d'interface dans le réseau hydrographique entre ce qui relève d'une organisation locale et d'une organisation globale » (RUF, Th., 2004).

II- Une gestion décentralisée et participative de la ressource en eau

Pour être efficace, la gestion de l'eau doit s'effectuer dans espace juridique qui soit exigeant en terme de sécurité du droit et flexible pour s'adapter aux diverses situations. En d'autres termes, les droits doivent être clairement définis, applicables et opposables à l'État. A Mendoza, les droits de la gestion de l'eau sont clairement définis depuis la fin du XIXème siècle par la Ley General de Aguas. Ils l'ont été par des ingénieurs des services de l'État qui concevaient leur vision de la gestion de l'eau sur la régulation hydraulique et évaluaient les règles de

prélèvement sur des années moyennes. Ces règles, qui justifient l'emprise de l'État sur les ressources hydriques « créées », se révèlent excessivement rigides pour des usagers n'ayant pas les mêmes besoins en eau. Les « différences de savoirs » (RUF, Th., 2004) entre les théoriciens et les praticiens de l'agriculture irriguée ont conduit ces derniers à réhabiliter la gestion communautaire des Indiens Huarpes pour en déduire des règles d'approvisionnement plus flexibles. Cependant, la coexistence de deux gestions de l'eau sur un même espace ne contribue-telle pas à opacifier le cadre juridique établi par la Ley General de Aguas, rendant licite l'illicite et entretenant la confusion des rôles entre les différents acteurs ?

Seront donc présentés les acteurs de la gestion de l'eau ainsi que leur rôle. La gestion de la ressource en eau dans la province de Mendoza étant décentralisée et participative, l'approche privilégiée ne saurait être autre que spatiale. Quant à leur rôle, il sera analysé à l'aune du processus de décentralisation de la gestion de l'eau dans les années 1990. Pour exercer leurs compétences de manière légitime, certains de ces acteurs sont élus et disposent d'un budget propre. Or, le jeu électoral de cette démocratie de l'eau en fait une démocratie particulièrement fragile. De même, les budgets sont financés à travers un impôt sur l'irrigation dont le montant doit être approuvé par les usagers : si jamais ces derniers optent pour une réduction maximale des charges et le désapprouvent, leur capital hydraulique n'est plus amorti. En d'autres termes, le système d'irrigation traditionnel se met à souffrir d'un manque d'investissements qui nuit à son efficacité. Dès lors, la question qui se pose est celle de sa recapitalisation.

A) Des acteurs qui interviennent selon l'échelle spatiale à laquelle l'eau est répartie

La gestion de l'eau dans la province de Mendoza fait intervenir une multitude d'acteurs tant publics que privés36. Chacun de ses acteurs se voit attribuer une zone de compétences sur

36 Cf. Annexe XV

laquelle il se réserve le droit d'intervenir et qui correspond à une échelle spatiale dans la « médiation » de l'eau qui en compte trois : la « conduite », la « distribution » et l' « application ».

1) Le DGI : la « conduite »

Le Département Général de l'Irrigation (Departamento General de Irrigaciòn) est le principal organisme de la gestion de l'eau dans la province de Mendoza. Créé par la Constitution Provinciale de 1894, il s'agit d'un organisme décentralisé (descentralizado) et autonome (autárquico) disposant d'un budget propre financé par un impôt sur le droit à l'irrigation. Le DGI est chargé d'administrer tout ce qui relève de la ressource en eau dans la province de Mendoza tout en jouant le rôle de police de l'eau (policía del agua). Or, ce cumul de la fonction économique et de la fonction d'arbitrage entretient la confusion des rôles. Bien souvent, en effet, le DGI se retrouve juge et partie dans les affaires qu'il traite, c'est pourquoi certains auteurs n'hésitent pas à l'accuser d'omnipotence (LAVIE, E., 2007, SALOMON, J-N., 2007). Ces mêmes auteurs ne manquent pas de dénoncer l'étendue des pouvoirs du Superintendant (Superintendente) qui est responsable de la gestion de la ressource en eau et de l'application de la Ley General de Aguas : « Son superintendant, élu pour cinq ans, est plus important que le Gouverneur de la Province » (LAVIE, E., 2007).

Figure 19 : Organigramme du DGI (élaboration propre d'après PINTO, M., s.d. et RETA, J., s.d.)

Comme le montre la figure ci-dessus, la gestion de l'eau du DGI est une gestion par bassins versants (cuencas), voire par sous-bassins versants (subcuenca) comme pour le Río Tunuyán. Car, si les grandes décisions sont prises à la capitale provinciale par le Superintendant, elles sont exécutées dans les bassins par les subdélégations (subdelegaciones). Celles-ci interviennent sur les cours d'eau et leurs barrages ainsi que sur le réseau de canaux primaires : c'est la « conduite » (conducción) de l'eau. Première échelle spatiale de la « médiation », la « conduite » consiste à dériver les eaux du cours d'eau vers le réseau de canaux primaires. La dérivation des eaux se fait au moyen d'un barrage. Le débit des eaux dérivées est alors mesuré de manière à calculer le « coefficient d'irrigation », puis le débit dont devrait bénéficier chaque canal primaire. En fonction de ces calculs, les « régulateurs » sont réouverts ou refermés de manière à soutenir le débit adéquat pour garantir un accès à la ressource qui soit équitable entre les usagers du système d'irrigation traditionnel. Cette première échelle spatiale de la « médiation » de l'eau est donc celle qui influe le plus sur l'équité de l'accès à l'eau. Une erreur de mesure dans l'ouverture ou la fermeture d'un « régulateur » situé sur un canal primaire n'aura évidemment pas les mêmes conséquences sur la disponibilité de la ressource que la même erreur sur le « régulateur » d'un canal secondaire ou tertiaire qui relève de la compétence des « associations d'usagers » : c'est la « distribution » de l'eau.

2) Les « associations d'usagers » : la « distribution »

Les « associations d'usagers » (Inspecciones de Cauces) sont, à l'instar du DGI, des entités politiquement et financièrement autonomes. Elles représentent les intérêts des usagers du système d'irrigation traditionnel en leur permettant de participer à la gestion locale de l'eau au travers deux « assemblées » (asembleas) annuelles où sont présentés les comptes et discutées les dépenses de l'association (presupuesto). De même, tous les quatre ans, les usagers sont appelés aux urnes pour élire le chef de « l'association d'usagers », l' « Inspecteur des canaux d'irrigation » (Inspector de Cauces) qui ne peut être qu'un usager. L' « inspecteur » joue un rôle

de premier plan dans la « distribution » (distribución) de l'eau puisqu'il est le seul habilité à manoeuvrer les « régulateurs » de débits des canaux secondaires et tertiaires. Il est néanmoins assisté par trois délégués (delegados) qui sont, comme lui, élus par les usagers et qui l'aident à établir le calendrier de l'irrigation où sont fixés les différents travaux à effectuer sur le réseau de canaux tertiaires et secondaires ainsi que leur durée. Car, qu'il s'agisse de travaux de construction, d'imperméabilisation ou de nettoyage des canaux, ce sont autant de jours d'irrigation en moins pour les usagers, c'est pourquoi le calendrier est soumis à leur approbation. Les « associations d'usagers » se présentent donc comme des « ministères locaux de l'eau » fondés sur la participation des usagers. L'oasis de Valle de Uco en compte 20 comme le montre la carte ci-dessous.

Carte 12 : « Associations d'usagers » de l'Oasis de Valle de Uco (source : site internet du DGI, 26/06/2009)

Les « associations d'usagers » se sont implantées là où l'offre en eau superficielle était suffisante pour y développer le réseau d'irrigation37. Il en existe donc très peu dans le département de Tupungato où l'essentiel des espaces cultivés sont irrigués avec de l'eau souterraine. Quant au piedmont, bien qu'il n'existe pas de réseau d'irrigation, des usagers se sont organisés pour dériver l'eau des petits cours : « Sur le piedmont, à Manzano Histórico, il n'existe pas d' "associations d'usagers". La dérivation des eaux du cours d'eau relève de nous et de nous seuls. Nous [les propriétaires fonciers] nous sommes donc mis d'accord pour organiser la distribution de l'eau en tours et nous l'avons confié à un tomero38 » (Entretien n°14). Calquées sur le modèle des « associations d'usagers », ces organisations n'ont pas d'existence juridique, c'est la raison pour laquelle elles ne figurent pas sur la présente carte.

3) Le cas particulier des « fédérations d'associations d'usagers »

Sur les 20 « associations d'usagers » que compte l'oasis, 11 sont « fédérées » (associadas) au sein de deux « fédérations d'associations d'usagers ». Issues de la décentralisation de la gestion de l'eau des années 1990, les « fédérations d'associations d'usagers » (associaciones de Inspecciones de Cauces) constituent un cas particulier puisque leur zone de compétences s'étend sur deux échelles spatiales : la « conduite » et la « distribution ». Les « fédérations d'associations d'usagers » ont, en effet, la compétence pour intervenir sur l'ensemble du réseau de canaux d'irrigation : primaires, secondaires et tertiaires, la gestion des barrages demeurant dans la zone de compétences du DGI. Il existe deux « fédérations d'associations d'usagers » dans l'Oasis de Valle de Uco : Arroyos y Vertientes et Inspecciones de Cauces Asociadas de Tupungato (ICAT) qui sont responsables de l'approvisionnement de eau, et donc du réseau de canaux d'irrigation, de la moitié de la superficie irriguée par des droits à l'irrigation.

37 Cf. Carte 11

38 Employé de l' « association d'usagers », le tomero est chargé de veiller à la bonne marche de l'approvisionnement en eau. Au contact avec les usagers, il est leur interlocuteur privilégié.

Tableau 2 : Les « Fédérations d'associations d'usagers » de l'Oasis de Valle de Uco (source : DGI, 2006)

« Fédérations d'associations
d'usagers » et « associations
d'usagers » non-fédérées

Nombre d' « associations
d'usagers » par
« fédérations »

Superficie irriguée par des
droits à l'irrigation (ha)

Arroyos y Vertientes

6

13 598

ICAT

5

6 106

Nombre d' « associations d'usagers » fédérées

11

19 604

Nombre d' « associations d'usagers » non-fédérées

9

21 997

Total

20

41 601

La gestion de l'eau de ces « fédérations » est une gestion publique de la ressource, seul le statut juridique de leurs employés relèverait du secteur privé (Entretien n°9). En revanche, il est clair qu'étant donné le contexte de libéralisation que connaît l'Argentine dans les années 1990, le processus de décentralisation visait plus à réduire les coûts de la gestion publique de l'eau en réalisant des économies d'échelles qu'à réellement impliquer les usagers dans la gestion de la ressource. C'est la raison pour laquelle BUSTOS, R.M (s.d.) est plus encline à parler de privatisation plutôt que de décentralisation : « La décentralisation avait deux objectifs principaux. D'un côté, il s'agissait d'atteindre une plus grande efficacité dans la gestion de l'eau en prenant davantage en compte les intérêts des usagers. De l'autre, il s'agissait de diminuer les dépenses publiques à travers une privatisation de la gestion de la ressource en eau. Cette privatisation consistait à attribuer une valeur marchande à l'eau et à s'assurer du consensus des usagers en leur octroyant des « expériences participatives » dans la gestion de celle-ci. D'un point de vue purement politique, cela revient à faire passer un pouvoir de l'État dans le giron du secteur privé en proclamant la plus grande participation des usagers dans la gestion de l'eau ». Simple décentralisation ou privatisation, il ne convient pas ici de trancher mais plutôt de montrer que les « fédérations d'associations d'usagers », dont la zone de compétences s'étend sur les deux premières échelles spatiales de la « médiation » de l'eau, constituent une nouvelle forme

d'organisation permettant de concilier intérêts globaux et intérêts locaux : une organisation « glocale » en somme.

4) Les usagers : l' « application » ou l'irrigation

La troisième et dernière échelle spatiale de la « médiation » de l'eau incombe aux usagers qui doivent irriguer leurs cultures : c'est l' « application » (aplicación) dans la langue technocratique du DGI, l' « irrigation » dans celle des usagers.

Pour l'irrigation gravitaire, deux techniques sont utilisées. La première consiste à creuser de petites « rigoles » (surcos) le long des rangs de cultures afin que l'eau les irrigue en s'écoulant (cf. Figure 20 et Photographie 15). La seconde, quant à elle, consiste à faire s'écouler l'eau à travers des bandes de terre aplanies et surmontées deux bords (melgas, cf. Figure 21 et Photographie 16). De ces deux techniques, la première est la plus couramment utilisée par les usagers car sa surface mouillée, plus réduite, diminue les pertes par infiltration. A l'inverse, les usagers préfèrent utiliser la seconde pour irriguer des jeunes cultures dont les besoins en eau sont plus importants, les pertes par infiltration qu'elle occasionne permettant d'humidifier les sols plus durablement.

Pour l'irrigation sous-pression, deux techniques sont également utilisées : le goutte à goutte (goteo, cf. Photographie 14) et la micro-aspersion (microaspersión). Contrairement aux techniques d'irrigation gravitaire, les techniques d'irrigation sous-pression ne requièrent pas de travail du sol préalable et optimisent la ressource en eau, mais elles exigent un certain capital de départ que la plupart des usagers ne disposent pas : « L'idéal serait d'installer un système de goutte à goutte pour irriguer nos cultures, mais cela demande un investissement que, dans l'état actuel des choses, nous ne pouvons réaliser » (Entretien n°6). Surtout, ces techniques d'irrigation permettent de s'affranchir des contraintes de la gravité et d'augmenter la superficie cultivée.

Photographie 15 : Photo de la technique d'irrigation par surcos (source : site internet du Bureau argentin pour l'amélioration de la coopération avec la Communauté européenne dans les domaines de la science, de la technologie et de l'innovation, 18/07/2009)

Photographie 16 : Photo de la technique d'irrigation par melgas (source : Ibid)

 
 

La gestion de l'eau repose donc sur une multitude d'acteurs qui interviennent en fonction de l'échelle spatiale à laquelle la ressource est distribuée (cf. Figure 22). Cette segmentation de la « médiation de l'eau » empêche toute interaction entre les acteurs que suppose une gestion intégrée de la ressource, plus à même de garantir l'efficacité et l'équité du système d'irrigation

traditionnel. De plus, ces dernières sont mises à mal par le jeu électoral duquel sont sortis les acteurs de la gestion de l'eau dont la démocratie n'est pas aussi transparente que la ressource qu'ils entendent administrer.

Figure 22 : Acteurs et échelles spatiales de la « médiation » de l'eau (source : élaboration propre d'après PINTO, M., s.d. et RETA, J., s.d.)

B) Une « démocratie de l'eau » fragile

Le superintendant, à la tête du DGI, et l' « Inspecteur des canaux d'irrigation », à la tête de l' « association d'usagers », sont les deux acteurs de la gestion de l'eau qui tirent leur légitimité des urnes.

L'eau relevant du domaine public, le Superintendant est nommé par le Gouverneur de la

Province et confirmé par le Sénat provincial, comme c'est le cas pour tous les fonctionnaires des

organes décentralisés du gouvernement provincial (RETA, J., s.d.). Sa nomination peut alors rapidement devenir un casse-tête pour le gouverneur ne disposant pas d'une majorité au Sénat. De plus, le mandat du Superintendant dure cinq ans soit plus que celui du Gouverneur de la Province, d'une durée de quatre, ce qui fait de la Superintendance un « État dans l'État » (Los Andes, 19/07/2009) selon l'expression de Lucio Duarte, Superintendant de 2002 à 2007. L'eau dans la province de Mendoza est donc moins une affaire d'hydraulique que de politique...

L' « Inspecteur des canaux d'irrigation » est, quant à lui, élu par les usagers. Toutefois, le vote, qui a lieu tous les quatre ans est obligatoire sous peine d'amende39, se réalise sur la base de la superficie irriguée par des « droits à l'irrigation ». Ainsi, plus la superficie que l'usager irrigue avec des « droits à l'irrigation » est grande, plus sa voix pèse dans l'élection de l' « Inspecteur » : le rapport des voix pouvant aller de un à huit.

Tableau 3 : Pondération des votes en fonction de la superficie irriguée par des « droits à l'irrigation » (source : site internet DGI, 20/07/2009)

Superficie irriguée par des « droits à

l'irrigation »

Votes pondérés

de 1 000 m2 à 5 ha

1

de 5 à 10 ha

2

de 10 à 20 ha

4

de 20 à 30 ha

6

plus de 30 ha

8

Dès lors, ce système avantage clairement les usagers dont la superficie irriguée par des « droits à l'irrigation » est grande. Il avantage, en outre, les usagers irriguant leurs cultures avec les techniques d'irrigation sous-pression qui, détachées des contraintes de la gravité, permettent d'augmenter les superficies cultivées. Les modalités de cette « démocratie de l'eau » pourraient ainsi expliquer le relatif désintérêt des usagers pour la gestion de l'eau. Selon l' « association d'usagers » Canal Matriz Valle de Uco Margen Derecha, très peu d'usagers assistent aux deux assemblées annuelles (Entretien n°4). Les entretiens réalisés avec quelques-uns d'entre eux contredisent cette affirmation, les usagers affirmant s'y rendre aussi souvent que possible.

39 Le montant de l'amende est égal à trois fois le prix de l'irrigation d'un hectare de terre à la date de l'élection

L'assistance à ces assemblées est, en effet, perçue comme un devoir par les usagers : « Nous assistons aux assemblées non-seulement pour approuver ou solliciter des travaux, mais aussi pour exercer notre droit de regard sur la gestion de l'eau. Car, aussi bien le DGI que « l'association d'usagers » sont des organismes autonomes qui fonctionnent grâce à l'argent qu'ils nous prélèvent pour le service d'approvisionnement en eau » (Entretien n°2).

Cependant, lorsque ce devoir a lieu en même temps que leur « tour d'eau », les usagers n'ayant pas les moyens de contracter un tiers pour irriguer à leur place ne peuvent le remplir : « Si je suis en train de travailler, je ne peux pas y aller car je n'ai pas les moyens de déléguer mon travail à quelqu'un d'autre. En plus, je ne peux pas me permettre de perdre un " tour" d'eau car, ici, l'intervalle entre deux " tours" est de 12 jours. Donc, "au revoir" l'assemblée ! » (Entretien n°3). Pour ce qui est des motivations des usagers pour assister aux assemblées, elles sont essentiellement financières : « J'assiste à ces assemblées car on y apprend généralement beaucoup de choses sur la gestion de l'eau : comment est calculé le budget de l' "association d'usagers", combien coûte l'irrigation... » (Entretien n°6) ; « J'y vais pour savoir quels sont les travaux à venir et combien va être dépensé sur ce que je paye » (Entretien n°2) ; « Ces assemblées sont organisées pour calculer le budget de l' " association d'usagers". On décide des travaux à réaliser, on évalue leurs coûts et on décide du prix de l'irrigation » (Entretien n°3). Très peu d'usagers déclarent assister aux assemblées pour l'élection de l'Inspector de Cauces (Entretiens n°1 et 14) ou pour les coupures d'eau en hiver (cortas de agua, Entretien n°5). Les usagers se préoccupent donc davantage des questions financières que des autres, car c'est sur eux, à travers le prix de l'irrigation qu'ils payent aux différents acteurs de la gestion de l'eau, que repose le financement du système d'irrigation traditionnel : « le système est entièrement financé par l'usager » (Entretien n°9).

C) L'économie de l'eau et l'économie d'eau : faire payer pour moins gaspiller ?

L'eau étant considérée comme un bien public, l'usager ne l'achète pas, il ne fait que payer l'usage qu'il en fait. Le prix à payer pour utiliser l'eau est appelé canon et diffère selon les usages de l'eau. Malgré la multiplication des usages ces dix dernières années, l'usage agricole demeure le plus répandu et sert de base tarifaire : les prix des usages industriels, urbains et récréatifs sont indexés sur celui de l'irrigation. Le prix de l'irrigation (canon de riego) est calculé en fonction des coûts induits par le service d'approvisionnement en eau. Or, les acteurs qui interviennent dans la prestation de ce service sont nombreux. Le prix de l'irrigation est alors réparti entre ces acteurs selon l'échelle spatiale à laquelle ils sont intervenus.

Tableau 4 : Répartition du canon de riego entre les acteurs intervenant dans la prestation du service d'approvisionnement en eau (source : site internet du DGI, 21/07/2009)

Montant à Payer

Pour une parcelle
d'un hectare dans
chaque bassin-
versant

Maintenance
(en peso)

DGI
(en peso)

« Association
d'usagers »
(en peso)

Total
(en $/ha/an)

Siège du
DGI

Subdélégation,
barrages et réseau
télémétrique

R. Mendoza

4,51

10,79

4,96

23,40

43,66

R. Tunuyán Inferior

4,51

9,13

4,96

10,78

29,38

R. Tunuyán Superior

4,51

11,42

4,96

16,57

37,46

R. Diamante

4,51

9,91

4,96

4,80

24,18

R. Atuel

4,51

9,96

4,96

7,85

27,28

R. Malargue

4,51

16,50

4,96

9,00

34,97

R.Tupungato

4,51

10,67

4,96

16,57

36,71

Comme le montre la figure ci-dessus, environ la moitié du prix de l'irrigation revient au DGI où elle se répartit entre le siège (Sede Central) à Mendoza et les subdélégations dans les bassins-versants. L'autre moitié va au l'« association d'usagers » qui, dans le cas où elle est fédérée, doit en reverser une partie à la « fédération d'associations d'usagers ». A noter que le prix de l'irrigation facturé par l' « association d'usagers » est plus variable, d'un bassin-versant à l'autre, que celui facturé par le DGI. Cette variabilité s'explique par le « droit de regard » (Entretien n°2) qu'exercent les usagers sur les comptes des « associations d'usagers » et la

possibilité qui s'offre à eux de discuter les dépenses lors des assemblées annuelles. De plus, le budget de l' « association d'usagers » reposant sur les usagers, si jamais ces derniers optent pour une réduction maximale des charges, leur capital hydraulique n'est plus amorti. De même, le prix de l'irrigation est facturé à l'hectare et non par litre, principe d'inhérence oblige. L'usager peut alors consommer toute l'eau de son « tour », n'en consommer qu'une partie, ou ne pas la consommer du tout, il payera toujours le même prix l'irrigation : celui du service d'approvisionnement. Ainsi, en séparant le service de la consommation, cette économie de l'eau ne favorise pas l'économie d'eau et inciterait même, selon certains auteurs , au « gaspillage » : « il serait plus judicieux qu'elle [l'eau] fût payée par l'utilisateur, qui cesserait alors de la gaspiller » (GOUROU, P., 1976).

Faire payer l'eau, en plus du service d'approvisionnement, pour ne plus la « gaspiller » est-elle une solution envisageable ? Pour attribuer à l'eau une valeur marchande qui serait basée sur la consommation, il est indispensable de passer d'une gestion par l'offre à une « gestion par la demande sociale » (RUF, Th., 2000). Au-delà même de la construction d'un barrage en amont de l'oasis, il s'agirait « d'intégrer la notion de communautés d'irrigants, établir des conventions nouvelles, entrer dans une économie de contrats et de conventions, reconnaître des instances de régulation et d'arbitrage, certaines relevant de l'autorité de l'État avec sa légitimité démocratique, d'autres relevant des collectivités rurales dûment représentatives de la société » (Ibid). Dans ce type de gestion, l'irriguant serait un usager autant qu'un consommateur qui payerait la prestation d'un service et la rareté d'une ressource contribuant ainsi à la recapitalisation du système d'irrigation.

D) Le problème de la recapitalisation du système d'irrigation

Le système d'irrigation souffre, en effet, d'un sous-investissement car trop peu de canaux d'irrigation sont encore imperméabilisés (cf. Figure 23). Ce sous-investissement concerne particulièrement le réseau de canaux tertiaires où seuls 5 % des canaux sont imperméabilisés (Cf.

Figure 25). La faible imperméabilisation des canaux d'irrigation a pour conséquence d'importantes pertes par infiltration qui, en alimentant la nappe phréatique, bénéficient aux usagers qui utilisent l'eau souterraine pour irriguer leurs cultures. La construction d'un barrage en amont de l'oasis, comme cela est prévu40, pourrait accentuer le phénomène d'infiltration : les eaux libérées par le barrage, appelée « eaux claires » (aguas claras), s'infiltreraient plus facilement dans sol dans les eaux dérivées des cours d'eaux, les « eaux troubles » (aguas turbias), du fait de leur moindre charge sédimentaire.

Figure 23 : Pourcentage de canaux imperméabilisés dans le linéaire de canaux d'irrigation (source : élaboration propre d'après les données fournies par la Subdelagación de Agua Río Tunuyán Superior)

Figure 24 : Pourcentage de canaux imperméabilisés dans le linéaire de canaux primaires et secondaires (source : Ibid)

Figure 25 : Pourcentage de canaux imperméabilisés dans le linéaire de canaux tertiaires (source : Ibid)

Ces pertes par infiltration se traduisent par une efficacité globale du système d'irrigation de 41% en 2008 (calculs de l'auteur41). Cela signifie, en outre, que sur 100 litres d'eau dérivés par le barrage, seuls 41 parviennent jusqu'à la parcelle à irriguer. Il n'empêche que l'efficacité globale du système d'irrigation de l'oasis est en augmentation (cf. Tableau 5) grâce à l'investissement de plus de 30 millions de pesos42 dans des travaux d'imperméabilisation par les différents acteurs de la gestion de l'eau depuis 2002 (cf. Figure 26).

40 Le projet « Los Blancos » prévoit, en effet, la construction d'un barrage hydroélectrique en amont de l'oasis. La province serait actuellement en train de présélectionner les entreprises ayant répondu à son appel d'offre.

41 Calculs effectués à partir des efficacités des trois phases de la « médiation de l'eau » renseignées par la Subdelagación de Agua Río Tunuyán Superior.

42 Soit 5, 6 millions d'euros !

Tableau 5 : Efficacités des systèmes d'irrigation des différents oasis de la province de Mendoza (source : site internet du DGI, 21/07/2009)

Efficacité

1998

2005

2010

Oasis Nord

34

%

40

%

44

%

Oasis Centre ou Valle de Uco

37

%

40

%

44

%

Oasis Sud

25

%

35

%

40

%

Figure 26 : Sommes investies par les différents acteurs de la gestion de l'eau dans le système d'irrigation de l'Oasis de Valle de Uco depuis 2002 (source : élaboration propre d'après les données fournies par la Subdelagación de Agua Río Tunuyán Superior)

Toutefois, cet effort d'investissement pour recapitaliser le système d'irrigation repose en grande partie sur les usagers puisque le coût de chaque ouvrage, quel que soit l'acteur qui l'effectue et quel que soit le réseau de canaux concerné, est systématiquement répercuté sur le prix de l'irrigation. Ce faisant, les sommes que l'usager paye aux différents acteurs de la gestion de l'eau pour recapitaliser le réseau de canaux d'irrigation sont autant de capitaux qu'il aurait pu investir dans un système d'irrigation sous-pression. Car, de toutes les échelles spatiales de la « médiation » de l'eau, c'est bien la dernière, l' « application », et notamment l'irrigation gravitaire, qui a la plus faible efficacité (58 %).

Que dire, finalement, du système d'irrigation traditionnel si ce n'est qu'il fonctionne...tant bien que mal ! Certains objecteront que le système d'irrigation, mis en place à l'époque précolombienne par les Indiens Huarpes, n'a plus à faire ses preuves. D'autres, considéreront ce jugement comme trop sévère, voire même déplacé, du simple fait qu'il ait été émis par un individu accoutumé à une gestion de l'eau par la demande. A ces remarques, il est possible de répondre : 1) qu'il ne s'agit pas ici d'un jugement mais plutôt d'un constat, dont le but n'est autre que de comprendre dans quelle mesure les modalités de gestion de la ressource en eau ont contribué à l'émergence d'une « hydraulique individuelle » (RUF, Th., 2004) ; 2) que l'efficience d'un système d'irrigation, quel qu'il soit, se mesure peu ou prou à sa longévité ; 3) que l'ambition de ce travail est, entre autres, de dépasser cette vision binaire de la gestion de l'eau qui oppose de manière systématique l'offre à la demande en proposant une « gestion par la demande sociale ».

Certes, le système d'irrigation fonctionne. Les eaux des cours d'eau andins sont dérivées par des barrages qui la répartissent dans des canaux d'irrigation en fonction du « coefficient d'irrigation », chaque canal devant faire recevoir un volume d'eau proportionnel à la superficie qu'il est censé irriguer. L'eau est ensuite distribuée par « tours », chaque « tour » correspondant à l'exercice d'un « droit à l'irrigation » qui est indissociable de la terre pour laquelle il a été concédé. La durée et la périodicité de ces « tours » dépendent du débit du canal en question qui est également calculé à partir du « coefficient d'irrigation », véritable clé de voûte du système d'irrigation dont il fonde la prétention à garantir un accès équitable à la ressource entre les usagers.

Néanmoins, l'eau s'écoulant par gravité, l'équité du système d'irrigation ne peut s'apprécier qu'à la mesure de l' « itinéraire » qu'elle doit suivre jusqu'à atteindre la parcelle à irriguer. Les embûches y sont si nombreuses qu'il est difficile de croire que la quantité d'eau reçue par hectare est conforme à celle obtenue par le calcul du « coefficient d'irrigation ». De même, si la coexistence de deux gestion de l'eau contribue à flexibiliser les principes les plus rigides de la Ley General de Agua et donc à s'affranchir de sa « tutelle agro-directoriale », elle

contribue également à rendre caduque le cadre juridique établi par la loi et favoriser la confusion des rôles entre les différents acteurs. Or, les acteurs de la gestion de l'eau sont nombreux et interviennent selon l'échelle spatiale à laquelle la ressource est répartie : chaque acteur se voit, en effet, attribuer une portion du réseau d'irrigation dont il est censé améliorer l'efficacité par des travaux d'imperméabilisation. Ceci revient, en outre, à segmenter la « médiation » de l'eau et à l'éloigner des conditions d'une gestion intégrée de la ressource qui suppose non seulement une concertation de l'ensemble des acteurs ainsi qu'une coordination des actes d'aménagements et de gestion. Une gestion intégrée de la ressource en eau est pourtant nécessaire pour faire face à l'hypothèse d'un changement de régime hydrologique du Río Tunuyán. C'est donc de l' « application » et de sa capacité à optimiser la ressource que dépend la majeure partie de l'efficacité globale du système d'irrigation traditionnel.

Certains acteurs l'ont compris en investissant dans un « capital hydraulique propre » (RUF, Th., 2004). Nul doute que la rigidité des modalités de la gestion de l'eau dans le système d'irrigation traditionnel ainsi que la faiblesse de son efficacité globale ont contribué à leur refus de maintenir un « capital social » dans une organisation commune. Il s'agit désormais de resituer l'émergence de cette « hydraulique individuelle » dans son contexte et d'en mesurer les conséquences sur l'accès à l'eau.

TROISIÈME PARTIE :

LE TOURNANT DES ANNÉES 90

ET LE DÉVELOPPEMENT D'UNE

« HYDRAULIQUE INDIVIDUELLE »

L'investissement de certains acteurs dans un « capital hydraulique propre » (RUF, Th., 2004) ainsi que l'émergence d'une « hydraulique individuelle » (Ibid) ont donné lieu à un nouvel accès à l'eau. Contrairement à l'accès traditionnel, fondé sur la proximité physique du cours d'eau et s'inscrivant dans un système d'irrigation hérité, ce nouvel accès à l'eau est le produit des logiques de la mondialisation : celle d'ouverture aux capitaux étrangers et celle de diffusion des technologies. C'est, en effet, la combinaison de ces deux logiques qui a permis de « reconvertir » le vignoble de l'Oasis de Valle de Uco vers un vin de qualité. Dès lors, il s'agira dans cette troisième et dernière partie de présenter la reconversion du vignoble oasien en essayant de déterminer dans quelle mesure la combinaison de ces logiques a contribué à l'apparition de nouvelles stratégies d'irrigation (I), puis d'en analyser les conséquences socio-économiques (II).

I- La reconversion du vignoble oasien et l'apparition de nouvelles stratégies d'irrigation

A partir du milieu des années 1970, la vitiviniculture mendocine connût une grave crise de surproduction par suite d'une baisse de la consommation, jusqu'alors seul exutoire de la production. Les entreprises régionales entrèrent en crise ainsi que tous les garde-fous mis en place par l'État provincial lors de la première crise de surproduction dans les années 1920. De plus, ce dernier ne put jouer son rôle de « promoteur » (RICHARD-JORBA, R.A., 2006) du fait de la « décentralisation compétitive » instaurée par l'État fédéral et qui contraignait « les provinces à abandonner peu à peu un certain nombre d'activités qui ne paraissaient plus essentielles et à laisser le marché organiser le déploiement spatial de l'économie » (VELUT, S., 2002). A partir de ce moment « l'orientation vers la qualité, si longtemps préconisée, mais jamais mise véritablement en application parce qu'elle était finalement moins rémunératrice que la production de masse » (BUSTOS R., TULET J.-C., 2005)., devint une des seules alternatives pour sortir de la crise.

Afin de financer la reconversion du vignoble mendocin vers un vin de qualité, l'État provincial entreprit d'ouvrir la province aux capitaux étrangers. L'arrivée d'acteurs aux nouvelles stratégies d'irrigation permit de tenir le pari de la qualité, mais engendra un nouveau type d'accès à l'eau qui, détaché des contraintes de la gravité, fut le moyen pour ces acteurs de mettre en valeur des espaces situés en périphérie de l'oasis, sur le piedmont, avec l'intention d'en faire le « nouveau coeur de la vitiviniculture mondiale » (Entretien n°8). Rêve ou réalité, il n'est reste pas moins que ce nouvel accès à l'eau, engendré par les logiques de la mondialisation, constitue le moteur de la recomposition spatiale de l'oasis dont il tend à dualiser l'espace et qui pourrait permettre de distinguer les « gagnants » des « perdants » (CHALEARD J.-L., MESCLIER E., 2006) de la reconversion du vignoble oasien.

A) Un double contexte favorable à la venue d'investissements vitivinicoles

L'arrivée des acteurs de la reconversion du vignoble est la conséquence d'un double contexte : le « menemisme », favorisant l'investissement en Argentine, et le « bordonisme » qui favorise l'investissement à Mendoza.

1) Le contexte argentin : le « menemisme » et la « décentralisation compétitive »

« Il faut en terminer avec les provinces converties en mendiantes face au pouvoir central, le suppliant pour l'obtention de fonds, qui, de fait, leur appartiennent de par la loi et de par le juste droit » (cité par PREVÔT-SCHAPIRA M.-F., BUNEL J., 1994) : voici comment, dès 1988, Carlos Menem43 et Eduardo Duhalde44 définissaient l'objectif de la « décentralisation compétitive » dans leur ouvrage intitulé La revolucíon productiva. Le retour à la démocratie avait alors relancé le débat sur le fédéralisme et les provinces qui avaient été pénalisées sous la dictature (1976-1983) profitèrent de la faiblesse du pouvoir central pour obtenir plus de fonds. Elles obtinrent gain de cause en 1988 avec le vote d'une loi qui augmenta la part des recettes fiscales transférées depuis l'État fédéral vers l'État provincial. C'est justement sur ce système de transfert vers les provinces, mécanique et sans obligation de résultats, qu'entend revenir Carlos Menem en instaurant la « décentralisation compétitive ».

Lorsque ce dernier arriva au pouvoir en 1989, le pays paraissait être dans une impasse politique, économique et sociale, laissant « planer la désagréable question de l'impuissance de la démocratie, retrouvée en 1983, à redresser le cap » (VELUT, S., 2002). Sur le plan politique, le procès des dirigeants de la junte militaire s'enlisait45 et les mères des « disparus » (desaparecidos) continuèrent de défiler sur la Plaza de Mayo. Sur le plan économique, la lutte

43 Candidat du péronisme (parti justicialiste). La politique qu'il met en oeuvre (péroniste puisqu'elle repose sur une large base électorale populaire) est radicalement opposée au péronisme de Perón du point de vue économique puisqu'elle prône une ouverture à l'international du point de vue commercial et financier.

44 Président de l'Argentine de 2002 à 2003, il est vice-président sous Menem de 1989 à sa démission en 1991

45 Les lois d'amnistie, punto final et obedencia debida, exonérèrent de leurs responsabilités les exécutants des hautes et basses oeuvres commises pendant la dictature, contribuant à saper le travail collectif de mémoire.

contre l'hyperinflation s'avérait infructueuse, la dette du pays ne cessait d'augmenter (elle atteignait 63,3 milliards de dollars en 1989) tandis que le pouvoir d'achat des Argentins diminuait (pour autant que les données agrégées mesure quelque chose en période d'hyperinflation, le PIB aurait diminué de 20 % au cours des années 1980). Sur le plan social, en dernier lieu, la dégradation des conditions de vie se traduisit par l'éclatement d'émeutes de la faim à Buenos Aires et dans d'autres grandes villes.

Pour sortir de l'impasse, Menem signa un plan de convertibilité mis en avant par les ÉtatsUnis, le plan Brady, qui prévoyait l'annulation partielle de la dette des pays du Tiers-Monde et le rééchelonnement de la dette restante. En échange, le président argentin s'engagea à mener un plan d'ajustement structurel qu'il confia à son ministre de l'économie et des finances, Domingo Cavallo46. Ce plan reprenait en grande partie les mesures préconisées par le Consensus de Washington aux économies en difficultés et notamment celles d'Amérique latine. Il s'agissait, en outre, de stabiliser la monnaie, libéraliser le commerce extérieur et déréguler le marché. La stabilisation de la monnaie fut obtenue en instaurant une parité fixe avec le dollar américain. Le commerce extérieur fut libéralisé en diminuant les barrières douanières et en exemptant de droits de douane les biens de capital. Quant à la dérégulation du marché, elle fut réalisée en éliminant les principaux mécanismes de contrôle de l'État ainsi qu'en privatisant certaines entreprises publiques. L'ensemble de ces mesures ont été menées dans le cadre de la « décentralisation compétitive » qui consistait, pour l'État fédéral, à se défaire de certaines tâches trop coûteuses pour les confier aux provinces dont il attendait une plus grande efficacité, grâce à une meilleure connaissance du terrain et à une plus grande proximité de la demande. A l'instar de l'aide des institutions financières internationales, l'aide aux provinces est désormais conditionnée aux compétences, services et fonctions qu'elles assurent. Car c'est bien des provinces et de leur capacité à se vendre pour attirer les investissements que doit venir le redémarrage de l'économie

46 Économiste ultra-libéral, formé aux États-Unis (Harvard), ministre de l'économie sous le gouvernement Menem de 1991 à 1996, il avait été président de la Banque Centrale en 1982, pendant la dictature militaire.

argentine. Il en ressort un « nouveau fédéralisme » (PREVÔT-SCHAPIRA M.-F., BUNEL J., 1994) dans lequel les provinces sont abordées en termes de compétitivité et d'avantages comparatifs.

2) Le contexte mendocin : le « bordonisme » et la construction d'un projet provincial où le territoire devient ressource

Face à la crise de la vitiviniculture, Mendoza dû se résoudre à appliquer des politiques d'ajustement avant celle décrétée au niveau national. Arrivé au pouvoir en 1987, le gouverneur José Bordón47 s'entoura d'universitaires, d'économistes et de sociologues proches de la fundación mediterr·nea48, « une association d'entrepreneurs qui avait pour vocation de réfléchir aux problèmes économiques et de chercher à influencer les politiques publiques » (VELUT, S., 2002). L'équipe de Bordón instaura une politique d'ajustement fiscal et de privatisation des entreprises provinciales déficitaires : la bodega49 GIOL, provincialisée en 1954 pour protéger les petits producteurs en leur achetant leur récolte à un prix garanti, fut privatisée en 1988 alors qu'elle contrôlait 16 % du marché et rassemblait la récolte de plus de 4 000 producteurs (PREVÔT-SCHAPIRA M.-F., BUNEL J., 1994). Persuadée que la solution à la crise passait par l'exportation, l'équipe entreprit également d'ouvrir la province aux capitaux étrangers pour financer la reconversion du vignoble vers un vin de qualité. Dès lors, fut mis en place un véritable « marketing territorial » pour vanter les immenses étendues de terres de la province auprès des investisseurs (cf. carte ci-dessous).

47 Professeur de Sociologie à la UNCuyo, il est choisi pour représenter le parti justicialiste de Mendoza à la Chambre des députés (1983-1987) avant d'être élu gouverneur de la province en (1987-1991).

48 Fondée en 1977, l'association se dote d'une organisation fédérale, décentralisée et très enracinée localement. Á partir de Córdoba, elle a essaimé dans les autres provinces. La première succursale est celle de Mendoza créée en 1982.

49 « Établissement où s'élabore le vin à partir du raisin acheté ou produit par le propriétaire de la bodega » (PREVÔT-SCHAPIRA M.-F., BUNEL J., 1994). Se reporter au glossaire pour une définition plus précise.

Carte 13 : « Mendoza, des terres pour croître », carte extraite de l'annuaire des exportateurs de Mendoza, édité par le gouvernement de la province, 1993 (source : PREVÔTSCHAPIRA M.-F., BUNEL J., 1994)

Cependant, comme tout territoire qui s'ouvre à la mondialisation et qui craint pour son identité, ce « marketing territorial » s'accompagna de discours emprunts de localisme50. Ainsi, le « discours de l'adversité » (PREVÔT-SCHAPIRA M.-F., BUNEL J., 1994) faisait de l'identité mendocine le produit des conditions historiques et naturelles de la conquête d'un territoire perçu comme particulièrement difficile : les mendocins y étaient présentés comme de bons éléments humains et des gens courageux, jamais vaincus, toujours prêts à recommencer pour faire face à l'adversité du milieu. De même, le « discours de l'opposition au centre » (Ibid), en opposant deux Argentines que tout sépare à l'aide de binômes spatiaux temporels (Argentine

50 Local corporatism chez les anglo-saxons, « désigne les formes spécifiques d'intégration des organisations socioprofessionnelles au processus de conduite de politiques publiques à l'échelon provincial et les formes de concertation et de compromis entre les différents acteurs locaux face au gouvernement central » (PREVÔTSCHAPIRA M.-F., BUNEL J., 1997).

sèche/Argentine humide, Argentine de la vieille oligarchie/Argentine des pionniers, Argentine de l'élevage/Argentine de l'agriculture) contribuait à la fabrique d'un « nous » mendocin : celui des pionniers et des travailleurs qui luttent contre le désert, créent des oasis fertiles et produisent des richesses à partir d'un désert. En « réinventant la tradition », ces discours n'avaient d'autre finalité que de s'appuyer sur le localisme pour construire une image séduisante de la province qui la distingue des entités voisines dans un territoire national de plus en plus fragmenté.

Ce « marketing territorial » fut payant puisque de nombreux investisseurs investirent dans la province : en 2003, le total cumulé de vingt d'entre eux s'élevait à 145 millions de dollars (BUSTOS R., TULET J.-C., 2005). D'autres sources proposent des montants nettement plus élevés51, de l'ordre de ceux qui auraient déjà été investis au Chili mais où l'essentiel des investissements demeure d'origine nationale.

B) Les acteurs de la reconversion du vignoble

En effet, les acteurs de la reconversion du vignoble oasien vers un vin de qualité sont, pour la plupart, des étrangers qui ont été attirés par les prix des terrains viticoles et par les opportunités que leur offrait le marché argentin.

1) Des acteurs issus de la mondialisation du vin et de son goût

En provenance du Chili52, des États-Unis, d'Italie, d'Espagne, des Pays-Bas et de France, ces acteurs sont issus de la mondialisation du vin et de son goût. Vingt ans après la reconversion du vignoble vers un vin de qualité, des chercheurs s'interrogent pour savoir si ces acteurs sont les héritiers des immigrants européens des XIXème et XXème siècles ou bien des nouveaux acteurs aux capitaux étrangers. En outre, il s'agit de déterminer si la reconversion du vignoble constitue

51 Pour MONTAN A, E. (2003) les montants investis dans la vitiviniculture mendocine entre 1995 et 2000 auraient été de l'ordre de 450 millions de dollars.

52 La présence d'investisseurs chiliens à Mendoza illustre le dynamisme du secteur vitivinicole dans ce pays qui, depuis les années 1990 et sa « restructuration » (PAEGELOW, M., TORO BALBONTIN, D.E., 2008), s'est lancé à la « conquête du monde » (SCHIRMER, R., 2005).

plutôt un rupture ou une continuité dans l'histoire vitivinicole de la province. Pour RICHARDJORBA R.A. (2006), « tout n'est pas capital » et le pari de la qualité n'aurait pu être tenu sans « l'existence de bases solides ». La « réorientation » vers la qualité s'inscrit donc dans un « processus de maturation » du vignoble : « alors que semble se profiler une nouvelle division internationale du travail, la réorientation du vignoble correspondrait à une renaissance de l'"ancien"à l'échelle internationale avec un rôle plus important joué par le capital étranger ; quant au "nouveau", qui apparaît à l'échelle locale et régionale, il peut être considéré comme une seconde modernisation [la première ayant fait suite à la première crise de surproduction dans les années 1920] ayant pour but de s'adapter aux tendances du présent ». Á l'inverse, pour MONTAÑA, E. (2007), la reconversion du vignoble vers la qualité constitue l'acte de naissance d'une « nouvelle vitiviniculture » dont les acteurs ont peu en commun avec les immigrants européens des XIXème et XXème siècles : « Bien qu'ils se rapprochent, par leurs origines, des immigrants du début du siècle, ils s'en détachent de par leur condition de "non-pauvres", condition qu'ils mettent en valeur en rappelant que leur arrivée à Mendoza est un choix avant d'être une issue de secours ». Ainsi, les acteurs de la reconversion du vignoble vers la qualité sont des « capitaux étrangers », au mieux des « nouveaux immigrants » qui « profitent des valeurs qu'ils ont apporté avec eux : la sécurité de disposer d'un capital économique constitué avant d'avoir investi dans la province, la technologie que leur procure ces ressources financières, les savoirs-techniques ainsi que les positions gagnées sur les marchés internationaux ». Rupture ou continuité : au lecteur de se faire un avis en poursuivant la lecture du mémoire. Maintenant posés les termes du débat autour de la reconversion du vignoble, il est désormais temps de construire une typologie de ces acteurs issus de la mondialisation du vin et de son goût pour qui l'ouverture de la province aux capitaux étrangers fut une opportunité à saisir : celle de profiter d'une législation peu contraignante pour commencer une nouvelle vie, de diversifier sa production en se positionnant sur le marché des « Vins du Nouveau Monde », de tirer profit des faibles coûts de production pour réduire son coût de revient ou encore celle

d'apporter sa caution à la reconversion du vignoble vers un vin de qualité. Il s'agit donc, à partir des entretiens réalisés avec ces acteurs, de retrouver les opportunités qui les ont conduits à investir dans la province pour en déduire leurs stratégies d'investissement d'une part, et le degré de volatilité de leurs investissements d'autre part. Trois acteurs ont ainsi été identifiés : les vignerons, les entrepreneurs du vin et les « flying winemakers » (NOSSITER, J., 2004) ou, plus modestement, les oenologues. Qu'ils disposent toujours ou non des propriétés dans leur pays d'origine, les vignerons sont ceux dont le rapport à l'activité vitivinicole s'inscrit dans un héritage familial et se présente comme leur principale source de revenus. Contrairement aux vignerons, les entrepreneurs du vin n'ont pas toujours la vigne dans le sang, et, quand ils l'ont, elle n'est pas leur principale source de revenus loin s'en faut, mais ceci ne les empêche pas de posséder les propriétés les plus prestigieuses dans leur pays d'origine. En dernier lieu, les « flying winemakers » (NOSSITER, J., 2004), ces oenologues qui, dès le début de la reconversion du vignoble vers la qualité, ont fait valoir la légitimité de leur discipline pour s'en imposer comme les « chefs d'orchestre ».

a) Les vignerons

Parmi les acteurs de reconversion du vignoble, les vignerons sont ceux dont le rapport à la vigne s'inscrit dans un héritage familial : ce sont des fils, voire des petits fils de vignerons, ascendance qu'ils ne manquent pas de rappeler pour se différencier des entrepreneurs du vin et mettre en avant leur authenticité. Dans leur bouche, l'authenticité de leur lignée devient une garantie de la qualité du vin qu'ils produisent. Ce faisant, ils font de la vigne un produit culturel et du vin un nectar dont la dégustation revient à déguster un savoir-faire transmis de génération en génération. Il est néanmoins possible de distinguer deux types de vignerons : ceux qui ont vendu les propriétés qu'ils possédaient dans leur pays d'origine pour venir s'installer à Mendoza et ceux qui les ont conservés.

Pour les premiers, l'ouverture de la province aux capitaux étrangers fut l'opportunité de faire table rase du passé et de commencer une nouvelle vie. C'est du moins que laisse à penser

l'entretien réalisé avec ce vigneron qui, à cinquante ans, décida de vendre les 120 hectares de vignes qu'il possédait en Languedoc-Roussillon pour investir sur le piedmont du département de Tupungato : « En France, je ne faisais que travailler, je n'avais pas de vie. Je travaillais comme un fou pour produire un vin de mauvaise qualité qui ne se vendait pas. Aujourd'hui c'est différent, j'ai des conditions de vie que je n'aurais jamais pu avoir en étant resté en France et je produis un vin de qualité que j'exporte dans le monde entier » (entretien avec Jean Bousquet). Quitter la France pour commencer une nouvelle vie, donc, mais aussi contourner une législation française, perçue comme contraignante : « Avant, je ne pouvais produire que ce que l'on m'autorisait. Moi, j'ai toujours rêvé de produire du champagne. En France, je ne le pouvais pas, mais ici, qui m'en empêche ? Sûrement pas les Champenois en tout cas... » (Ibid).

Pour les seconds, qui possèdent toujours des propriétés dans leur pays d'origine, l'ouverture de la province fut l'opportunité de diversifier leur production et ainsi de mieux coller aux attentes des consommateurs. Comme l'explique ce vigneron français originaire de la région de Bordeaux, dont 1/3 des propriétés se situent à l'étranger (au Japon sur le Mont Fuji, au Chili dans la région de Maipo et en Argentine, à Mendoza, dans le département de Lujan de Cuyo) : « Les amateurs de vin recherchent maintenant une singularité. Ils cherchent à faire des découvertes, à s'étonner, à avoir de nouvelles émotions. En fait, ils flattent leur ego vis-à-vis de leurs amis en montrant qu'ils ont su découvrir tel ou tel type de vin » (site internet de BFM Radio, 02/08/2009). Dès lors, investir dans la province de Mendoza revenait, pour ces derniers, à se positionner sur le marché des « Vins du Nouveau Monde ». Leur stratégie est donc une stratégie commerciale, plus proche de celle des entrepreneurs du vin que de celle des vignerons qui ont vendu les propriétés qu'ils possédaient dans leur pays d'origine pour venir s'installer dans la province.

b) Les entrepreneurs du vin

Contrairement aux vignerons, entrepreneurs du vin n'ont pas toujours la vigne dans le sang, et quand ils l'ont, elle n'est pas leur principale source de revenus loin s'en faut, mais ceci ne les empêche pas de posséder les propriétés les plus prestigieuses dans leur pays d'origine. L'auteur a conscience que la différence entre les vignerons et les entrepreneurs du vin est ténue et ne peut que renvoyer le lecteur à la vidéo réalisée par l'AFP sur Le Clos de los Siete, cette bodega de plus de 800 ha d'hectares de vignes située à Vista Flores, dans le département de Tunuyán, et qui appartient à six grandes familles françaises53. Pour ces hommes et ces femmes d'affaires, actionnaires de multinationales cotées en bourse, investir à Mendoza fut l'opportunité de « rentabiliser nos actions à l'étranger », comme en témoigne l'une des propriétaires de la bodega citée ci-dessus : « parce qu'il y a de bons terroirs, parce qu'il y a de bons vins, parce qu'il y a une diversité et parce qu'il faut que les coûts soient intéressants pour nous en prix de revient, sachant que malheureusement en France, on est toujours très haut en prix de revient » (site internet BFM Radio, 02/08/2009). Car, plus les coûts de production sont faibles, moins le coût de revient est élevé et plus grande est la possibilité de faire des bénéfices et ainsi rentabiliser une mise de fonds qui s'élèverait pour cette bodega à plus de 50 millions de dollars (RICHARD-JORBA R.A., 2006). Dès lors, si la vigne est une passion, comme ils aiment se le répéter, cette passion doit avant tout être rentable et ne peut être apprécié qu'à l'aune de leur stratégie purement industrielle qui consiste à tirer profit des faibles coûts de production pour faire un maximum de bénéfices.

c) Les « flying winemakers »

Pour les oenologues, l'ouverture de la province aux capitaux étrangers fut l'occasion d'apporter leur caution à la reconversion du vignoble vers un vin de qualité. Les plus renommés, mais aussi les plus critiqués d'entre eux, les « flying winemakers » (NOSSITER, J., 2004), jouèrent un rôle actif dans la prise de décision d'investir dans la province en vantant auprès de leurs réseaux la qualité des « terroirs » mendocins. Leurs signatures apposées sur l'étiquette des

53 Cf. Filmographie

bouteilles de vin est devenue un gage de qualité et leurs apparitions répétées dans les médias contribuent à créer un « paradigme de la qualité » (GOLDFARB, L.I., 2007). Interrogé par un périodique mendocin sur les dangers du succès que connaît le vin argentin, le « plus grand oenologue du monde », comme il se fait appeler, répond : « Je pense, en effet, que le succès du vin argentin comporte des dangers. Pour les éviter, la première chose à faire est de continuer à produire un vin de qualité » (Los Andes, 21/06/2009). Cependant, derrière ces oenologues les plus en vogue, se cachent de nombreux anonymes, Argentins pour la plupart, qui partent de plus en plus faire leurs études à Bordeaux, à Montpellier ou en Californie pour parfaire leur formation.

2) Des « acteurs conquérants » de par leur stratégies d'irrigation

Á leur arrivée dans la province de Mendoza, ces acteurs issus de la mondialisation du vin et de son goût se mirent à la recherche des terres les plus favorables à la production d'un vin de qualité. Grâce à des stratégies d'irrigation leur permettant d'optimiser la ressource en eau, ils purent repousser la frontière agricole sur le piedmont andin et mettre en valeur de nouvelles terres.

a) L'investissement dans un « capital hydraulique propre »

L'exploitation de l'eau souterraine n'est pas un fait nouveau à Mendoza. L'eau du soussol y fut toujours utilisée pour compléter l'eau dérivée des cours d'eau lorsque les débits de ces derniers étaient insuffisants. Il y aurait aujourd'hui plus de 2 000 perforations dans l'Oasis de Valle de Uco. La majorité d'entre elles furent creusées entre la fin des années 1960 et le milieu des années 1970, période qui vit se succéder trois sécheresses hydrologiques : 1968, 1969 et 1976. Lors de la dernière, le débit annuel du Río Tunuyán diminua de -36,5 %, passant de 1 016 hm3 en 1975 à 645 hm3 en 197654. C'est à cette époque, en 1974, que furent votées les lois régissant l'exploitation de l'eau souterraine (Ley de Aguas Subterráneas). Pour exploiter l'eau du sous-sol, il faut préalablement avoir obtenu un permis d'exploitation (permiso de exploitacion)

54 Cf. Figure 10

qui est « concédé », au même titre que les « droits à l'irrigation » par le DGI. La figure cidessous retrace l'évolution du nombre de permis d'exploitation concédés par le DGI entre 1960 et 2008 dans l'Oasis de Valle de Uco.

Figure 27 : Évolution du nombre de perforations dans l'Oasis de Valle de Uco entre 1960 et 2008 (source : élaboration propre d'après les données fournies par le DGI)

Les années 1960 et 1970 correspondent, en effet, à une augmentation du nombre de perforations. Devant la diminution des eaux apportées par le R½ o Tunuy«n, de nombreux producteurs se tournèrent vers l'eau souterraine pour sécuriser leur approvisionnement en eau. Les plus petits d'entre eux s'associèrent pour faire face aux coûts élevés de la perforation : « Nous étions onze en tout pour financer la construction du puit. Aujourd'hui, il ne reste plus que nous. Les autres se sont retirés car cela coûtait trop cher » (entretien avec Ricardo Appon). D'autres utilisèrent le permis d'exploiter l'eau souterraine pour augmenter la taille de leurs parcelles de vignes. Ce comportement spéculatif, encouragé par le groupe Greco qui rachetait de nombreuses bodegas avec l'appui des militaires, porta la superficie viticole de la province à son maximum historique, 252 928 hectares en 1978 (BUSTOS R., TULET J.-C., 2005). Toutefois, l'effondrement des prix du vin entre 1981 et 1982, en provoquant la chute de Greco qui représentait alors 1/5ème du marché du vin en vrac (PREVÔT-SCHAPIRA M.-F., BUNEL J., 1994), mit un terme à la spéculation autour de l'eau souterraine. Tout au long de la crise, le nombre de perforations resta stable, tandis que la superficie viticole de la province diminuait avec

185 000 hectares en 1988, 143 700 en 1998 et 141 000 en 2000 soit 112 000 hectares de moins qu'en 1978. Il fallut attendre le milieu des années 1990 et l'arrivée des acteurs de reconversion du vignoble pour voir le nombre de perforations augmenter de nouveau.

D'après la carte 14, les perforations creusées au cours des années 1990, furent utilisées pour mettre en cultures des espaces situés en périphérie de l'oasis, sur le piedmont, là où la nappe est la plus profonde55.Quant à la carte 15, qui représente l'occupation des sols, elle montre qu'au début des années 2000 ces espaces sont largement recouverts par de la vigne.

Carte 14 : Localisation des perforations creusées au cours des années 1990 dans l'Oasis de Valle de Uco (source : élaboration propre d'après les d o n n é e s f o u r n i e s par l e D G I )

Carte 15 : Lien entre les perforations creusées au cours des années 1990 et l'occupation des sols (source : élaboration propre d'après les données fournies par le DGI et la carte « Cultivos por grupos » réalisée par le SIPH sur la base du recensement effectué par l'INA en 2002)

55 Cf. Carte 10

Le regain de la vigne dans la superficie cultivée de l'oasis au cours des années 1990, tel qu'il a été mis en évidence dans la première partie de ce mémoire, s'explique donc par l'investissement des acteurs de la reconversion du vignoble dans un « capital hydraulique propre » afin de pouvoir irriguer leurs cépages fins avec de l'eau souterraine. Ainsi, entre 1996 et 1999, alors que la vigne augmentât de 5 points dans la superficie cultivée de l'oasis, passant de 15 à 20 %56, la superficie cultivée exclusivement avec de l'eau superficielle diminuait au profit de la superficie cultivée exclusivement avec de l'eau souterraine ainsi que la superficie cultivée avec de l'eau superficielle et de l'eau souterraine (usage mixte).

Tableau 6 : Évolution de la superficie cultivée selon les sources d'approvisionnement en eau entre 1996 et 1999 dans l'Oasis de Valle de Uco (source : CHAMBOULEYRON, J.L., 2002)

 

Années

1996

1999

V
A

Superficie cultivée totale

ha

54 370

54 082

L

 

%

100

100

L

Sup. cultivée exclusivement avec de l'eau superficielle

ha

21 899

20 010

E

 
 
 
 

%

40

37

 
 

D

Sup. cultivée exclusivement avec de l'eau souterraine

ha

18 773

19 470

E

 
 
 
 
 
 

%

35

36

U
C

Sup. cultivée avec de l'eau superficielle ET de l'eau

ha

13 696

14 602

souterraine (usage mixte)

O

 

%

25

27

b) L'apparition de stratégies d'irrigation permettant d'optimiser la ressource en eau

L'investissement de ces acteurs dans un « capital hydraulique propre » s'est également accompagné de stratégies d'irrigation visant à optimiser l'eau extraite du sous-sol. L'optimisation de la ressource en eau fut, en effet, l'une des priorités de la reconversion du vignoble vers un vin de qualité, car la vigne est une culture qui nécessite à certains moments d'être exposée à un stress hydrique. Dès lors, il s'avérait indispensable pour ces acteurs de maîtriser l'irrigation de leurs

56 Cf. Figure 10

pieds de vignes et ce, d'autant plus qu'il s'agissait de cépages fins : Cabernet Sauvignon, Syrah, Malbec et Merlot pour les vins rouges, Chardonnay pour les vins blancs. C'est pourquoi les acteurs de la reconversion du vignoble se tournèrent vers les techniques modernes d'irrigation que sont le goutte à goutte et la micro-aspersion. Optimisant la ressource en eau, ces techniques d'irrigation leur ont permis de s'affranchir des contraintes de la gravité qui pèsent sur le système d'irrigation traditionnel pour étendre leurs superficies cultivées.

Carte 16 : Carte des superficies cultivées au début des années 2000 dans l'Oasis de Valle de Uco (source : élaboration propre d'après les cartes « Cultivos por grupos » et « Parcelamiento » réalisées par le SIPH sur la base du recensement effectué par l'INA en 2002)

La carte ci-dessus montre que les espaces sur lesquels les acteurs de la reconversion du vignoble ont investi dans un « capital hydraulique propre » au cours des années 1990, sont devenus, au début des années 2000, des parcelles de plusieurs centaines d'hectares de vignes. Elle permet également d'apprécier la différence de taille entre les parcelles de la vallée qui sont irriguées par gravité, et les parcelles du piedmont irriguées par les techniques d'irrigation souspression.

Photographie 17 : Photo d'une propriété viticole sur le piedmont, prise depuis la R.P.N°8957 le 13/03/2009 vers 11h (source : auteur)

D'une manière générale, les cartes 14 à 16 montrent la dualité de la structure spatiale de l'Oasis de Valle de Uco entre le piedmont et la vallée. Bien que situé dans une périphérie géographique, le piedmont s'impose aujourd'hui comme le centre économique de l'oasis en accueillant de grandes voire de très grandes parcelles cultivées en vignes et en fruits et irriguées grâce aux techniques d'irrigation sous-pression. Quant à la vallée, autrefois centre économique, elle n'est plus qu'un centre spatial où les parcelles, irriguées par gravité, sont relativement petites et où malgré l'apparente diversité des cultures la vigne est peu représentée.

57 Cf. Carte 8

c) Le recul de la frontière agricole sur le piedmont

Ce bouleversement des hiérarchies territoriales est à mettre à l'actif des techniques d'irrigation sous-pression grâce auxquelles les acteurs de la reconversion du vignoble vers un vin de qualité purent faire reculer la frontière agricole sur le piedmont. Ainsi, à l'instar des acteurs de la culture de l'avocat dans la périphérie de Santiago du Chili qui, grâce au système d'irrigation par goutte à goutte, conquirent sur les pentes de la Cordillère de la Côte une « une liberté économique et de conduite de l'irrigation » (FALIÈS, C., VELUT, S., 2008), les acteurs de la reconversion du vignoble oasien vers un vin de qualité peuvent être qualifiés de « conquérants ».

Car, dans la conscience collective, les terres du piedmont étaient considérées comme arides et inadaptées à la culture de la vigne : « l'agence immobilière par laquelle je suis passé ne comprenait pas pourquoi je tenais tant à investir dans les terres du piedmont à Tupungato. Selon elle, ces terres étaient tout juste bonnes à la culture des pommes de terres et encore... » (Entretien n°15). En revanche, pour les acteurs de la reconversion du vignoble qui avaient les moyens techniques de les mettre en culture, ces terres réunissaient toutes les conditions pour produire un vin de qualité : des sols rocailleux, une forte amplitude thermique diurne, une bonne exposition solaire, des précipitations plus abondantes en été et surtout un micro-climat dont l'inversion thermique diminue le risque de gelées et de chutes de grêle. Aujourd'hui irriguées grâce aux techniques d'irrigation sous-pression, les terres du piedmont apparaissent aux yeux de tous comme les meilleures terres de l'oasis : « Les meilleures terres étaient là depuis le début et personne n'est venu s'y installer » (Entretien n°11); « Ceux qui irriguent leurs cultures avec les nouvelles techniques d'irrigation sont ceux qui disposent des meilleures terres et des meilleurs climats, sur le piedmont. Alors que nous ne pouvions investir dans ces techniques car elles coûtaient trop cher, eux si. Ils ont apporté l'argent de l'étranger et ils l'ont fait ! Maintenant, ils sont situés dans une zone vraiment excellente, du moins pour la vigne » (Entretien n°6).

L'arrivée d' acteurs conquérants d'une part et l'innovation technologique en matière d'irrigation d'autre part ont donc engendré un nouvel accès à l'eau, plus moderne que l'accès

traditionnel, et qui, détaché des contraintes de la gravité permis de repousser la frontière agricole sur le piedmont.

Carte 17 : Evolution des contours de l'Oasis de Valle de Uco entre 1975 et 2000 (source : élaboration propre à partir d'image satellite

Figure 28 : Evolution de la superficie viticole des départements de l'Oasis de Valle de Uco entre 1988 et 2002 (source : CNA, site internet de la DEIE, 04/04/2009)

La carte ci-dessus, montrant l'étendue des terres gagnées sur le piedmont entre 1987 et 2000, suggère que ce nouvel accès à l'eau est devenu le moteur de la recomposition spatiale de l'oasis. En effet, l'irrigation et la mise en culture de terres qui jusque-là étaient considérées comme des terres arides n'appartenant pas à l'oasis, s'apparentent à un processus de territorialisation qui suppose davantage l'élaboration d'un projet pour un espace que l'articulation des acteurs autour de ce projet. Ainsi, en investissant dans le piedmont et en y projetant leur rêve

d'en faire « le nouveau coeur de la vitiviniculture mondiale » (Entretien n°8), ces acteurs conquérants le territorialisent.

C) La « napafication » du piedmont, « nouveau coeur de la vitiviniculture mondiale » ?

Conquérant de par leurs stratégies d'irrigation, les acteurs de la reconversion du vignoble avaient également un « rapport pionnier à l'espace », dans la mesure où ils investirent un espace situé en périphérie de l'oasis avec l'idée d'en faire la « nouvelle Napa Valley ». Cette zone viticole, située en Californie, connaît un succès croissant depuis la fin des années 1970 et la production de l'Opus One, une cuvée américaine de style bordelaise issue d'un partenariat entre Mondavi et le Baron Philippe de Rothschild (NOSSITER, J., 2004).

1) Un « rapport pionnier à l'espace » : « Il fallait être fou pour venir s'installer ici car il n'y avait rien, c'était le désert. Tout ce que tu vois autour de toi, nous l'avons inventé »

Ce partenariat permis à la Napa Valley d'acquérir une plus grande reconnaissance internationale du potentiel de ses « terroirs » et marqua le début des investissements massifs en Californie dont la superficie viticole quadrupla entre 1970 et 2000 (NOSSITER, J., 2004). Un investisseur, voisin des Mondavi, témoigne : « Avant c'était sauvage ici. Chaque arbre, chaque buisson, chaque arbuste, on a tout fait venir. On a créé à partir de rien le meilleur de l'Italie et le meilleur de la Californie. On a créé cet espace merveilleux comme une vitrine » (Ibid). Ce discours de la création « à partir de rien » illustre le « rapport pionnier à l'espace » des investisseurs de la Napa Valley, un rapport qui se retrouve également chez les acteurs de la reconversion du vignoble mendocin : « Il fallait être fou pour venir s'installer ici car il n'y avait rien, c'était le désert. Tout ce que tu vois autour de toi, nous l'avons inventé. Même la route derrière toi n'existait pas ! C'est d'ailleurs pour cette raison que je me suis installé ici. Car, quand je suis arrivé à Tupungato, il n'y avait qu'une seule route et elle ne menait nulle part. Donc, les gens qui venaient à Tupungato venaient à Tupungato et pas ailleurs tandis que les gens

qui venaient à Tunuyán étaient seulement de passage pour aller vers San Rafaël. Mais maintenant que cette route mène aux bodegas, les gens qui l'empruntent l'emprunte pour se rendre aux bodegas » (Entretien n°15).

La route dont parle ce vigneron (et dont il se targue d'être « le seul vigneron...le monde du vin étant devenu ce qu'il est, un monde de business men »), est la R.P.N°89 qui fut construite au début des années 2000, à la suite d'un accord entre les gérants des bodegas et la Direction Provinciale des Routes (Dirección Provincial de la Vialidad). Cet accord prévoyait que chaque partie apporte les fonds nécessaires à sa construction (PEREZ, C., 2000). Comme le montre la carte suivante, la R.P.N°89 qui relie aujourd'hui Tupungato à Manzano Histórico fait partie des grands axes routiers de l'oasis.

Carte 18 : Infrastructures routières de l'Oasis de Valle de Uco (élaboration propre d'après la carte « Red Vial Zona entro » réalisée par la DPV)

La R.P.N°89 porte également le nom de « Camino a las nieves y del nuevo vino » qui postule un ancrage très fort du vin dans son espace. Ainsi, en associant la promotion des bodegas à un territoire, cette route contribue à territorialiser la vitiviniculture issue de la reconversion du vignoble vers un vin de qualité. Selon VANDERCANDELAERE, E. (2002), qui a analysé la signification territoriale de la « routes des vins » dans la province de Mendoza, ce processus de territorialisation reposerait sur deux dimensions importantes : « d'une part l'ancrage territorial qui autorise la valorisation des ressources locales, et d'autre part une approche en termes de club qui garantit une certaine homogénéité des membres et qualité des prestations aux consommateurs ainsi qu'une rente aux producteurs »58. Toutefois, cette forme de « marketing territorial » n'est pas dépourvue d'ambiguïtés et même d'une « certaine imposture » (BUSTOS R., TULET J.-C., 2005) puisque la valorisation du vin comme étant une émanation « naturelle » du terroir est ici encore une façon de « réinventer la tradition » pour faire « taire la nouveauté » qui pourrait passer pour suspecte, alors que bien souvent il s'agit de vins nouveaux dans leurs aspects qualitatifs.

2) Un espace de projets : la naissance d'une « marge »

Quoi qu'il en soit, le projet de faire du piedmont le « nouveau coeur de la vitiviniculture mondiale » (entretien avec Cristian) se poursuit et des acteurs issus de la mondialisation du vin et de son goût continuent d'affluer dans la province pour profiter de la niche économique découverte par les acteurs de la reconversion du vignoble dans les années 1990.

a) Un désert qui s'arrache à prix d'or

Dès lors, la conquête du piedmont continue et les terres piémontaises s'arrachent à prix d'or : « En 1997, un hectare de terre sur le piedmont valait 1 300 dollars. C'était déjà cher. L'année précédente ça en valait seulement 300. L'année suivante 3 000. Et aujourd'hui, si tu veux en acheter un, il te faudra en débourser pas moins de 15 000 » (Entretien n°15). Pas moins

58 Cç Annexe XVI

de 15 000 dollars, donc, pour un hectare de désert sur le piedmont (cf. Photographie 18), soit autant, sinon plus, qu'un qu'hectare de vignes avec droit d'irrigation dans la vallée. Car, une fois le terrain acheté, il faut encore le défricher, le terrasser et y creuser des perforations (cf. Photographies 19 et 20). La spéculation sur les terres piémontaises rend le marché foncier hautement sélectif. Ce marché, en plein essor, semble avoir de beaux jours devant lui au vu de la grande quantité de terres encore disponible sur le piedmont59.

Photographie 18 : Photo d'un hectare de désert Photographie 19 : Photo des travaux de

sur le piedmont, prise depuis la R.P.N°89 le terrassement d'une parcelle située sur le

13/03/2009 vers 11h (source : auteur) piedmont, prise le 05/03/2009 vers 13h30

(source : auteur)

Photographie 20 : Photo d'une foreuse creusant Photographie 21 : Photo d'un nouveau vignoble

une perforation sur une parcelle du piedmont, aux pieds des glaciers, prise le 14/03/2009 vers

prise le 14/03/2009 vers 12h (source : auteur) 12h (source : auteur)

59Cf. Carte 16

Avec la poursuite de la conquête du piedmont par des acteurs toujours plus conquérants et dont les stratégies d'irrigation leur permettent d'entretenir un « rapport pionnier à l'espace », la frontière agricole ne cesse de reculer de sorte que les nouveaux vignobles se rapprochent des réserves d'eau que constituent les glaciers (cf. Photographie 21).

b) Le projet de golf-bodega à Tupungato

S'il est difficile de dire si ces acteurs sont parvenus à faire du piedmont le « nouveau coeur de la vitiviniculture mondiale » (Entretien n°8), il est en revanche plus aisé d'affirmer qu'en l'investissant matériellement et conceptuellement, ils l'ont de fait territorialisé et en ont fait une « marge » au sens où l'entendent FALIÈS, C., VELUT, S. (2008) : « un espace de liberté où les acteurs privés peuvent projeter leurs intentions et leurs stratégies, leurs désirs et leurs espoirs suivant des critères variés et pas nécessairement compatibles (rentabilité de la production, conservation d'une identité rurale, création d'une utopie, loisirs etc.) ». Le piedmont est, en effet, devenu un centre économique dans une périphérie géographique, une exception territoriale et un espace de projets. Le dernier en date est la construction d'un golf-bodega à Tupungato, le long de la R.P.N°89.

Photographie 22 : Photo du golf-bodega de Tupungato, prise le 17/03/2009 vers 16h (source : auteur)

Photographie 23 : Photo des vignes du golfbodega de Tupungato, prise le 17/03/2009 vers 16h (source : auteur)

Le complexe, qui s'étend sur plusieurs centaines d'hectares (cf. Photographie 22) sera entièrement irrigué avec l'eau souterraine pompée à l'aide d'une douzaine de perforations. Il est même prévu d'y construire des habitations au milieu des vignes (cf. Photographie 23) dont les heureux propriétaires pourront élaborer leur vin, l'embouteiller et le faire étiqueter à la leur nom à la bodega du golf. Associer la vigne avec un sport réputé noble tel que le golf est, une fois encore, un moyen de promouvoir la qualité du vin produit par la bodega, mais c'est aussi un moyen de garantir l'homogénéité sociale de cet espace en triant sur le volet les futurs habitants.

D) Quand l'eau se met à couler vers l'amont : ce qu'il advient de l'aval

La poursuite de la conquête du piedmont par les acteurs conquérants de la reconversion du vignoble et son élargissement à des activités connues pour être de grandes consommatrices d'eau, soulève la question de l'approvisionnement de l'aval. Cette question se pose aussi bien que du point de vue quantitatif que du point de vue qualitatif.

Du point de vue quantitatif, une surexploitation de l'aquifère libre pourrait altérer les débits des cours d'eau en aval et notamment de ceux qui naissent par affleurement des aquifères, les arroyos. Le risque de surexploitation n'est pas à exclure du fait que le DGI accorde des permis d'exploitation sans réellement connaître l'état des aquifères puisqu'il ne dispose pas encore d'un modèle fiable60. D'autre par, le DGI ne peut exercer comme il se doit son rôle de police de l'eau, car il n'a pas les moyens de vérifier si les usagers de l'eau souterraine respectent effectivement le volume d'eau annuel qu'ils ont le droit de capter61. Aussi, les usagers, quel que soit le système d'irrigation qu'ils utilisent, n'ont pas toujours connaissance d'une telle restriction à l'exploitation de l'eau souterraine : « Il n'y a pas de limite. Je peux utiliser autant d'eau dont j'ai besoin. De toute façon, le DGI n'a pas les moyens de vérifier la quantité d'eau prélevée. La

60 Un modèle hydrologique élaboré par l'INA, le modèle SIMGRO, est actuellement à l'essai

61 Ce volume, inhérent la terre pour laquelle a été concédé le droit d'exploitation, est déterminé en fonction de trois paramètres : la superficie à irriguer, le type de cultures et le système d'irrigation utilisé. Ce faisant, la Ley de Aguas Subterráneas peut être considérée comme rentabilisant mieux la ressource que la Ley General de Aguas qui, elle, ne prend pas en compte les besoins hydriques des cultures.

seule chose qu'il fait lors des contrôles, c'est de regarder si je ne prête pas de l'eau à mes voisins » (Entretien n°6) ; « Ici, l'eau ne se paye pas au litre. C'est un droit d'exploitation que tu payes. Une fois ce droit payé, tu peux utiliser autant d'eau que tu veux » (Entretien n°15).

Du point de vue qualitatif, l'extension de la viticulture sur la zone de recharge des aquifères pourrait intensifier la recharge saline de l'aquifère libre et ainsi détériorer la qualité de l'eau des cours d'eau naissant par affleurement des aquifères (cf. Figure 29). Or, l'eau de ces cours est utilisée pour irriguer les basses terres de l'oasis qui verraient leurs sols se dégrader et devenir moins fertiles. De plus, ces cours d'eau se jetant dans le Río Tunuyán qui irrigue la partie occidentale de l'Oasis Centre62, le Tunuyán Inferior pourrait également souffrir de ce problème de contamination.

Figure 29 : Exploitation de l'eau souterraine dans l'Oasis de Valle de Uco (source :CHAMBOULEYRON, J.L., 2002)

62 Cf. Annexe XVII

L'ouverture de la province aux capitaux étrangers dans le but d'assurer la reconversion du vignoble oasien vers la qualité s'est donc traduite par l'arrivée d'acteurs issus de la mondialisation du vin et de son goût. Ces acteurs, plutôt que de maintenir un « capital social » dans le système d'irrigation traditionnel, ont préféré investir dans une « hydraulique individuelle » leur permettant d'entretenir un « rapport pionnier à l'espace ». Leur investissement dans un « capital hydraulique propre » s'est, en effet, accompagné de stratégies d'irrigation visant à optimiser la ressource en eau qui leur ont permis de repousser la frontière agricole sur le piedmont où l'offre en eau superficielle n'a jamais été suffisante pour y développer le réseau d'irrigation. Ainsi, une fois affranchis des contraintes de la gravité qui pèsent sur le système d'irrigation traditionnel, ces acteurs ont pu se lancer à la conquête le piedmont andin avec l'intention d'en faire la « nouvelle Napa Valley » ou encore le « nouveau coeur de la vitiviniculture mondiale » (Entretien n°8). Autrefois désertiques, les pentes du piedmont accueillent aujourd'hui des parcelles de plusieurs centaines d'hectares de vignes irriguées grâce à l'eau souterraine captée par des perforations et distribuée au goutte à goutte par les techniques d'irrigation sous-pression. En investissant le piedmont tant du point de vue matériel que conceptuel, ces acteurs l'ont, de fait, territorialisé en en faisant une « marge », c'est à dire un centre économique dans une périphérie géographique.

Néanmoins, ce processus de territorialisation est le fait d'acteurs privés qui avaient les moyens financiers de faire face aux coûts de la perforation et de l'énergie requise par le pompage qui sont d'autant plus élevés que l'aquifère est profond. Car, comme le constate ce viticulteur de la vallée qui fut contraint de s'associer avec ses voisins pour financer le creusement d'une perforation dans les années 1970 : « Une bouteille de vin vendue à l'étranger leur rapporte de quoi payer une semaine d'électricité pour pomper l'eau » (Entretien n°5). Ce constat est certes un peu exagéré, mais résume assez bien l'opportunité que fut, pour ces acteurs, l'ouverture de la province aux capitaux étrangers : celle de profiter des faibles coûts de l'eau et de la terre pour produire un vin de qualité dont le prix reste compétitif à l'international : la bouteille Clos de los

Siete, produit phare du groupe du même nom, se vend 20 dollars américains ce qui est relativement peu étant donné que l'étiquette comporte la signature du « plus grand oenologue du monde ». Á ces coûts de production incompressibles que sont l'eau et la terre, encore faudrait-il ajouter celui de la main d'oeuvre qui est moins élevée que dans les pays développés.

Dès lors, si, comme l'affirme RICHARD-JORBA R.A. (2006), la reconversion du vignoble oasien vers un vin de qualité ne correspond pas à une « nouvelle division internationale du travail », force est d'admettre qu'elle y ressemble beaucoup. Sa territorialisation par les acteurs de la mondialisation du vin et de son goût, en bouleversant les hiérarchies territoriales de l'oasis, a contribué à rendre duale sa structure spatiale. Auparavant centre économique de l'oasis, la vallée n'est plus qu'un centre spatial présentant une large gamme de cultures sont les parcelles de petite taille sont irriguées par les canaux du système d'irrigation traditionnel dans lequel l'accès à l'eau est gravitaire et fondé sur la proximité du cours d'eau. Quant au piedmont, bien que située dans une périphérie géographique, il est devenu le nouveau centre économique de l'oasis où prédominent de grandes voire de très grandes parcelles de vignes et de fruits irriguées grâce aux techniques d'irrigation sous-pression qui optimisent la ressource en eau et affranchissent sont accès des lois de la gravité.

Pour une seule et même ressource, l'eau de fonte nivo-glaciaire, il existe donc deux accès : un accès traditionnel, gravitaire et fondé sur la proximité physique du cours d'eau, et un accès plus moderne que l'innovation technologique en matière d'irrigation a affranchi de la gravité. Le passage de l'un à l'autre constitue bel et bien le moteur de la recomposition spatiale de l'Oasis de Valle de Uco. Reste maintenant à déterminer si ces accès à l'eau permettent de retrouver les « gagnants » et les « perdants » de la reconversion du vignoble oasien vers un vin de qualité dont il est désormais temps d'aborder les transformations socio-économiques.

II- Les transformations socio-économiques issues de la reconversion du vignoble : quels « gagnants » pour quels « perdants » ?

La province de Mendoza figure indiscutablement parmi les provinces qui s'en sortent le mieux depuis le tournant libéral pris par l'Argentine au cours des années 1990. Anticipant les politiques d'ajustement structurel menées au niveau national, la province s'est s'ouverte aux capitaux étrangers pour financer la reconversion de son vignoble vers un vin de qualité et ainsi rompre avec le paradigme de la production de masse qui favorise les crises de surproduction. Dès lors, elle entra précocement dans le « nouveau fédéralisme » argentin (PREVÔT-SCHAPIRA, M.-F., BUNEL J., 1994) dont les territoires sont désormais abordés en termes de compétitivité et d'avantages comparatifs. Ce faisant, le gouverneur José Bordón et son équipe durent mettre en place un véritable « marketing territorial » pour vanter auprès des investisseurs les immenses étendues de terres de la province et les inciter à y investir. Ce « marketing territorial » s'avéra payant puisque de nombreux acteurs de la mondialisation du vin et de son goût investirent dans la province où, à la recherche des meilleurs « terroirs », ils s'installèrent sur les pentes du piedmont de l'Oasis de Valle de Uco qu'ils conquirent grâce à des stratégies d'irrigation leur permettant d'optimiser l'eau souterraine captée à partir de perforations. En outre, l'arrivée de ces acteurs permit à la province de reconvertir son vignoble vers la qualité et d'exporter son vin dans le monde entier sous l'appellation « Vin du Nouveau Monde » : les exportations vitivinicoles63 dans le total des exportations de la province sont, en effet, passées de 20 % en 2000 à 39% en 2007 (Bolsa de Commercio de Mendoza, IERAL, 2007).

La province de Mendoza est donc un territoire qui « gagne » au jeu de la mondialisation. Cependant, comme tous les territoires qui « gagnent », elle compte des « gagnants » et des

63 Les exportations vitivinicoles sont composées par les vins, bien sûr, mais aussi par les moûts et les raisins. Ainsi, en 2007, les vins en représentent pas moins de 81 %, les moûts 18 % et les raisins 1 %.

« perdants » (MESCLIER É., CHALÉARD J.-L., 2006). Il y a, en effet, ceux qui ont réussi à prendre le train avant qu'il ne démarre, ceux qui l'ont pris en marche et ceux qui sont restés sur le quai, obligés d'attendre le prochain. La province de Mendoza étant une province aride où l'eau est le facteur limitant et son accès un facteur de réussite, il s'agit ici de retrouver les « gagnants » et les « perdants » de la reconversion du vignoble oasien vers la qualité à travers leur accès l'eau. Il s'agit également de comprendre, dans la mesure du possible, pourquoi les « gagnants » gagnent et pourquoi les « perdants » perdent. Pour ce faire, ils seront distingués non-seulement par leur accès à l'eau, mais aussi d'après les transformations socio-économiques issues de la reconversion du vignoble, le but étant de montrer comment, à partir d'un accès différencié à l'eau et à la terre, le développement d'une activité créatrice de richesses, en lien avec les marchés mondiaux, exacerbe plus qu'elle ne réduit les inégalités entre les habitants, anciens et les nouveaux d'un même territoire.

A) Une filière vitivinicole plus complète et diversifiée qu'auparavant : la construction d'un « paradigme de la qualité »

La reconversion du vignoble oasien vers la qualité fut menée par des acteurs issus de la mondialisation du vin et de son goût qui investirent dans la province de Mendoza. Á la recherche des meilleurs « terroirs » pour produire un vin de qualité, ils s'installèrent dans les départements de l'Oasis de Valle de Uco ainsi que dans celui de Lujan de Cuyo, sur les pentes du piedmont qu'ils conquirent grâce à des stratégies d'irrigation leur permettant d'optimiser l'eau souterraine captée à partir de perforations.

L'arrivée de ces acteurs provoqua la transformation de la filière vitivinicole pour répondre à leur demande de produits et de services de qualité orientés vers l'innovation technologique. Des pépinières firent leur apparition pour produire des plants de vignes de cépages fins qui soient plus résistants aux maladies et notamment au phylloxéra, vieille connaissance des immigrants du début du siècle, qui est bel et bien présent dans la province (entretien avec Emilio Giaquinta). La

conquête du piedmont par la vigne constitue une véritable rente pour ces pépiniéristes qui peuvent réaliser l'essentiel de leur chiffre d'affaires avec un seul et même client. Ces derniers peuvent diversifier leur production en fabriquant des piquets en bois pouvant servir à la construction de mailles anti-grêle et de palissades. Á noter également, que les traditionnelles palissades en parral (littéralement « treille ») furent progressivement remplacées par des palissades en espaldero qui se rapprochent davantage de l'organisation culturale européenne. La conduite de la vigne en espaldero est, en effet, plus commode pour faire passer des machines agricoles plus spécifiques à la culture de la vigne et dont l'usage tend à concurrencer celui du tracteur : il s'agit des soufreuses, des pulvérisateurs, des pré-tailleuses et autres rogneuses. De même, la récolte mécanique se diffuse lentement mais sûrement alors que de plus en plus de prestataires de services louent des machines avec chauffeurs.

Photographie 24 : Photo d'une palissade Photographie 25 : Photo d'une palissade en

en parral dans le village de Cafayate, au espaldero dans le village de Cafayate, au sud de la

sud de la province de Salta (source : province de Salta (source : Ibid)

STARCK, E., 2003-2004)

Cette modernisation touche bien entendu l'étape de la vinification avec l'importation des procédés les plus modernes : les cuves en ciment laissent place à celles en acier inoxydable, les températures sont désormais contrôlées par des chambres froides tandis que, pour la fermentation

sont utilisés des gaz inertes et des barriques de bois. Le coût de ces innovations, nécessaires pour tenir le pari de la qualité, facilita l'introduction du capital étranger, la plupart des entreprises locales n'étant plus capables d'assumer leur financement. Une fois n'est pas coutume, de nouveaux acteurs parmi lesquels beaucoup d'étrangers vinrent compléter les segments manquants de la filière vitivinicole et diversifier ceux qui existaient déjà. La filière vitivinicole s'en trouva plus complète et diversifiée qu'auparavant. Toutefois, en introduisant des produits et des services tournés vers l'innovation technologique, ces acteurs élevèrent les standards de qualité de la production nationale aux normes internationales. Ce faisant, ils firent de la qualité un nouveau « paradigme » (GOLDFARB, L.I., 2007) pour remplacer celui de la production de masse ayant conduit à la crise.

B) Les « gagnants » et les « perdants » de la reconversion du vignoble

Persuadés que la solution à la crise passait par l'exportation, les acteurs institutionnels de la filière vitivinicole, l'Institut National de Vitiviniculture (INV) en tête, approuvèrent le changement de paradigme. Dès lors, il ne s'agissait plus de produire des vins en quantité, des vins de soif, mais un vin de qualité qui réponde aux normes internationales en vue de l'exporter. Seulement, tous les producteurs n'avaient pas les moyens d'investir pour se conformer à ces standards de qualité. Or, le « paradigme de la qualité » inclut ceux qui sont parvenus à s'y conformer, les « gagnants », et en exclut ceux qui n'y sont pas parvenus, « les perdants ». Ces « gagnants » et ces « perdants » seront tout d'abord distingués d'après leur accès à la ressource en eau, considérée comme un facteur de réussite puisqu'il conditionne l'accès à la terre en milieu aride. Ils seront ensuite distingués d'après les transformations socio-économiques issues de la reconversion du vignoble afin de comprendre pourquoi les « gagnants » gagnent et pourquoi les « perdants » perdent.

1) Leur accès à l'eau et à la terre : une histoire de pieds...de vignes

Pour distinguer les « gagnants » et les « perdants » d'après leur accès à la ressource en eau, il est nécessaire de prendre en compte le pied de leur vigne qui va orienter leur choix telle technique d'irrigation plutôt qu'une autre.

a) Des « gagnants » aux pieds sur l'eau

Ainsi, les « gagnants » sont les nouveaux habitants de l'oasis. Il s'agit d'acteurs issus de la mondialisation du vin et de son goût arrivés dans la province au début des années 1990, soit au moment de son ouverture aux capitaux étrangers pour profiter des faibles coûts de l'eau mais aussi de la terre et produire un vin de qualité à un prix qui reste compétitif à l'international.

Aidés dans leur recherche des meilleurs « terroirs » par les oenologues, ils se sont installés sur les pentes du piedmont de l'Oasis de Valle de Uco qu'ils mirent en culture avec des vignes de cépages fins dont les pieds, « américains », sont plus résistants aux maladies que les pieds « francs ». Les terres piémontaises réunissaient, en effet, toutes les conditions pour produire un vin de qualité : des sols rocailleux, une forte amplitude thermique diurne, une bonne exposition solaire, des précipitations plus abondantes en été et la présence d'un micro-climat qui, favorisé par l'inversion thermique, diminue le risque de gelées et de chutes de grêles. Pour mettre en culture ces terres où l'offre en eau superficielle ne permit pas d'y développer le réseau d'irrigation, ils investirent dans des perforations pour capter l'eau souterraine64. Ce faisant, ils firent table rase du « principe d'inhérence » en vigueur dans le système d'irrigation traditionnel puisqu'ils s'installèrent sur des terres qui n'avaient pas de « droits à l'irrigation ».

De plus, leur investissement dans un « capital hydraulique propre » s'accompagna de techniques d'irrigation sous-pression leur permettant d'optimiser l'eau souterraine. Cette optimisation de la ressource en eau fut l'une des priorités de la reconversion du vignoble vers la

64 Cf. Cartes 14 et 15

qualité qui imposait la maîtrise des flux d'irrigation. En outre, elle permit aux « gagnants » de sécuriser leur approvisionnement en eau en les rapprochant d'un système de gestion par la demande et ainsi devenir moins « vulnérables » (BRKLACICH, M., 2006) à un éventuel changement de régime hydrologique des cours d'eau. Surtout, elle leur permit de s'affranchir des contraintes de la gravité afin d'augmenter de manière significative les superficies cultivées qui peuvent atteindre plusieurs centaines d'hectares65.

b) Des « perdants » aux pieds dans l'eau

Les « perdants », quant à eux, sont les anciens habitants de l'oasis qui, n'ayant pas eu les moyens financiers d'investir dans un « capital hydraulique propre » ni l'opportunité de se doter des nouvelles technologies d'irrigation sont restés « prisonniers » du système d'irrigation traditionnel. Ce faisant, ils sont demeurés dans la vallée où les terres, bien que plus riches en sédiments que celles du piedmont, sont moins favorables à la production d'un vin de qualité et où les accidents météorologiques, gelées et chutes de grêles, sont plus fréquents.

La gestion de l'eau dans le système d'irrigation traditionnel étant basée sur l'offre en eau de fonte nivo-glaciaire, leur approvisionnement est dépendant du régime hydrologique des cours d'eau qui descendent de la Cordillère. Jusqu'à présent, le pic des hautes eaux du régime glaciaire leur garantissait une eau abondante pour irriguer leurs cultures lors de la saison végétative. Cependant, l'hypothèse d'un changement de régime hydrologique des cours d'eau andins qui, en passant d'un régime glaciaire à un régime nival, verraient leurs pics des hautes eaux s'atténuer et devenir plus précoce, pourrait engendrer un décalage entre la disponibilité de la ressource en eau et les besoins hydriques des cultures66. Dès lors, en l'attente de la construction d'un barrage de retenue pour assurer la redistribution spatio-temporelle de la ressource, les « perdants » sont les plus vulnérables à l'hypothèse d'un changement de régime hydrologique des cours d'eau andins. De plus, la gestion de l'eau dans le système d'irrigation traditionnel est relativement

65 Cf. Carte 16

66 Cf. Figure 8

contraignante puisque l'eau est distribuée par « tours », chaque « tour » correspondant à l'exercice d'un « droit à l'irrigation » qui est indissociable de la terre pour laquelle il a été concédé. De même, l'eau circulant par gravité dans le réseau de canaux d'irrigation, son accès repose en grande partie sur la proximité physique du cours d'eau, ce qui peut porter préjudice à ceux dont l'approvisionnement en eau dépend des canaux tertiaires les plus éloignés d'un canal secondaire. Á cela s'ajoute les nombreuses embûches sur l'« itinéraire » (ALVAREZ, P., 2005) que doit suivre l'eau jusqu'à ce qu'elle atteigne les parcelles à irriguer. Les « perdants » peuvent ainsi recevoir plus d'eau ou, au contraire, moins d'eau lors d'un « tour ». Néanmoins, quelle que soit la quantité d'eau reçue, les techniques d'irrigation qu'ils utilisent ne leur permettent pas d'optimiser la ressource pour étendre leur superficie cultivée à la manière des « gagnants ».

Les « perdants » n'ont, en effet, pas pu se doter des nouvelles techniques d'irrigation parce qu'ils n'en avaient pas les moyens mais aussi parce qu'ils n'en n'ont pas eu l'occasion. Car irriguer avec les techniques modernes d'irrigation tel que le goutte à goutte suppose que le pied de la vigne soit « américain » pour mieux résister aux maladies, et en particulier au phylloxéra : « Pour irriguer un vignoble avec du goutte à goutte, il faut que les pieds des vignes soient "américains". S'ils ne le sont pas, s'il s'agit de pieds " francs", le vignoble est susceptible d'être attaqué par l'insecte du phylloxera qui peut le détruire » (Entretien n°13). C'est donc parce que les pieds de leurs vignobles sont « francs » que les « perdants » continuent de les irriguer avec les techniques d'irrigation gravitaire qui, en gorgeant la terre d'eau, empêche le phylloxéra de se développer : « Nous pourrions irriguer notre vignoble avec du goutte à goutte, mais en maintenant l'irrigation gravitaire. C'est la seule façon de ne pas avoir a changer les pieds du vignoble entier » (Entretien n°13).

c) Entre les « gagnants » et les « perdants » : des acteurs aux pieds dans et sur l'eau

Entre les « gagnants » et les « perdants », il est possible de distinguer un troisième type d'acteur, majoritairement composé d'anciens habitants de l'oasis. Ces derniers ont investi dans un « capital hydraulique propre » tout en restant dans le système d'irrigation traditionnel. Ils irriguent donc leurs cultures avec de l'eau souterraine ainsi qu'avec l'eau de leur « droit à l'irrigation » recueillies dans des réservoirs. Ils ont néanmoins investi dans les nouvelles techniques d'irrigation pour s'affranchir des lois de la gravité qui pèsent sur le système d'irrigation traditionnel afin d'étendre les superficies qu'ils cultivaient et sur lesquelles ils plantèrent des vignes de cépages fins et aux pieds « américains », les irriguant tantôt avec les techniques d'irrigation sous-pression, tantôt avec les techniques d'irrigation gravitaire. Ainsi, ces acteurs, qui gagnent moins que les « gagnants » sans perdre autant que les « perdants », sont parvenus à prendre le train en marche grâce à un accès à l'eau moins technologique que celui de ceux qui gagnent mais toujours plus moderne que celui de ceux qui perdent.

La reconversion du vignoble oasien vers la qualité a donc engendré des accès différenciés à l'eau et à la terre. C'est, en effet, la recherche des meilleurs « terroirs » pour y planter des vignes de cépages fins et aux pieds « américains » qui ont poussé les « gagnants » à se tourner vers l'innovation technologique en investissant dans un « capital hydraulique propre » et des techniques modernes d'irrigation. Á ces facteurs de production incompressibles que sont l'eau et la terre, s'en ajoute un autre, la main d'oeuvre dont l'accès est lui aussi nettement différencié entre les « gagnants » et les « perdants ».

2) Leur accès à la main d'oeuvre

La main d'oeuvre des « gagnants » est une main d'oeuvre permanente qui peut être locale ou étrangère. Les employés argentins sont, en règle générale, affectés à des tâches manuelles telles que l'entretien de l'exploitation ou la maintenance des machines agricoles et de

vinification. Leur niveau d'éducation est plus ou moins élevé car il peut également s'agir d'oenologues et d'ingénieurs agronomes. Quant aux employés étrangers, dont le niveau d'éducation est élevé, ce sont en général ceux qui travaillent dans les bureaux et participent au processus décisionnel de l'entreprise : il s'agit des experts comptables, des directeurs des ventes, des ingénieurs informatiques etc. Au moment de la récolte, il arrive que les « gagnants » fassent appel à une société d'intérim pour compléter leurs effectifs. Cette main d'oeuvre est alors une main d'oeuvre temporaire avec un contrat en bonne et due forme et rémunérée au prorata des heures de travail effectuées. Comme l'explique ce « gagnant », qui possède une exploitation d'une centaine d'hectare sur le piedmont de Tupungato, l'avantage d'effectuer la récolte à la main est de « faire plusieurs passages et ainsi trier les raisins en fonction de leur maturité. Cela demande beaucoup de travail, mais c'est mieux ainsi » (Entretien n°15). Beaucoup de travail, mais aussi beaucoup de temps. C'est pourquoi les « gagnants » qui possèdent les plus grandes exploitations combinent récolte à la main le jour et récolte mécanisée la nuit.

La main d'oeuvre des « perdants » est, dans une marge mesure, une main d'oeuvre familiale : les fils, les femmes et les filles aident le patriarche dans la gestion quotidienne de son exploitation. Les « perdants » peuvent également disposer de contratistas, ces travailleurs agricoles qui vivent sur l'exploitation dont ils ont la charge et qui, combinant la figure du petit entrepreneur avec celle du salarié, perçoivent un salaire mensuel ainsi qu'un pourcentage de la récolte67. Néanmoins, avec la reconversion du vignoble vers la qualité, de nombreux producteurs durent se séparer de leur contratista pour réduire leurs coûts de production et devenir plus compétitifs. Cette évolution est particulièrement représentée auprès des acteurs situés entre les « gagnants » et les « perdants » qui remplacèrent leurs anciens « contratistas » par des ouvriers journaliers. Le niveau d'éducation de cette main d'oeuvre dépasse rarement l'école primaire. Concernant la récolte, les « perdants » et ceux qui les précédent font appel à une main d'oeuvre

67 Le salaire, payé sur les dix mois de l'activité agricole (de mai à février) et en fonction des hectares travaillés, est fixé par des commissions paritaires et inclut le salaire annuel complémentaire. Le pourcentage de la récolte ne peut être inférieur à 18 %, déduction faite des coûts de la récolte et de toutes les activités normales résultant de la commercialisation des raisins (POBLETE, L., 2008).

temporaire essentiellement composée de Boliviens et d'Argentins des provinces pauvres du Nord68 qu'ils emploient au noir et qu'ils rémunèrent au sac : le porteur d'un sac de raisin rempli (tacho), se voit remettre un jeton (ficha) correspondant à une valeur en pesos. Rémunérée de la sorte, cette main d'oeuvre privilégie les exploitations de grande taille, plus à même de leur fournir du travail en quantité. Sont donc servis en premier lieu les acteurs dont l'investissement dans les techniques modernes d'irrigation leur a permis d'étendre les superficies cultivées, et ensuite seulement les « perdants ».

Ainsi, l'accès à la main d'oeuvre est aussi différencié que ceux à l'eau et à la terre. Son coût, moins élevé que celui des pays développés, avantage clairement les « gagnants » qui peuvent se permettre d'avoir une main d'oeuvre plus nombreuse et mieux formée aux outils issus de l'innovation technologique. Car, dans le « paradigme de la qualité », c'est de l'innovation que doit surgir la qualité et non l'inverse. Or, pour innover, il faut investir : dans le creusement de perforations, dans des pieds de vignes de cépages fins immunisés contre le phylloxéra, dans des techniques modernes d'irrigation sous-pression, ainsi que dans les procédés de vinification les plus modernes. De plus, pour investir, il faut avoir du capital et l'investir au bon moment. Ce capital, les acteurs de la filière vitivinicole ne le possédaient pas au moment de la crise. Á l'inverse, les « gagnants », qui sont arrivés dans la province avec un capital économique déjà constitué, ont pu investir dans l'innovation technologique et se placer à l'« avant-garde » de la qualité.

3) Leur accès au marché : quand les standards de qualité deviennent des mécanismes de contrôle de la production au profit des « gagnants » et déterminent l'accès des « perdants » au marché

Comme il l'a été dit précédemment, les innovations technologiques, qui furent encouragées par les acteurs institutionnels de la filière vitivinicole, avaient un coût que la plupart des entreprises locales ne pouvaient surmonter. Dès lors, certaines firent faillite, d'autres

68 Cf. Carte 8 en annexes

fermèrent, d'autres enfin furent rachetées soit par les « gagnants » soit par les acteurs situés entre les « gagnants » et les « perdants » qui investirent pour remplacer leur équipement obsolète. Néanmoins, dans l'Oasis de Valle de Uco plus que dans le département de Lujan de Cuyo, la plupart des « gagnants » firent construire leur propre bodega qu'ils équipèrent avec les procédés les plus modernes de la vinification. L'appareil productif fut ainsi transformé par et pour les « gagnants », dont les grandes entreprises transnationales contrôleraient aujourd'hui près du tiers de la production de raisins et bénéficieraient, par rapport aux maisons traditionnelles déjà en place, d'articulations complexes leur permettant d'obtenir des facilités de commercialisation, y compris dans la grande distribution nationale et internationale (BUSTOS R., TULET J.-C., 2005). L'accès des « perdants » au marché passe donc par les « gagnants » qui contrôlent les maillons terminaux de la filière vitivinicole.

En effet, le remplacement du paradigme de la production de masse par celui de la qualité ayant fait passer le contrôle de la production depuis les producteurs vers les phases de vinification et de commercialisation, ces derniers se sont retrouvés face à une offre atomisée et diversifiée qu'ils durent trier en imposant aux « perdants » des standards de qualité. Bien que ces standards diffèrent d'une bodega à l'autre, il est possible d'en énoncer quelques-uns pour permettre au lecteur de s'en faire une idée. Ainsi, pour ce qui est de la date de la récolte, les « gagnants » exigent des « perdants » qu'elle ne soit ni trop précoce ni trop tardive afin que les raisins profitent du soleil d'été pour devenir plus concentrés en sucres. Seulement, les « perdants » sont tributaires de la disponibilité de la main d'oeuvre temporaire qui, parce qu'elle est payée au rendement, préfère travailler pour les grandes exploitations. De même, à l'approche de la récolte, les « gagnants » leur prescrivent de moins irriguer dans le but d'exposer la vigne à un stress hydrique et ainsi augmenter le degré d'alcool des raisins. Néanmoins, diminuer l'irrigation n'est pas chose facile pour les « perdants » qui, n'ayant pas investi dans les techniques modernes d'irrigation, continuent d'irriguer leur vignoble par gravité, sans réelle maîtrise des flux d'irrigation. Plus récemment, certaines bodegas désireuses de se positionner sur le marché

des « vins biologiques »69 interdisent aux « perdants » l'utilisation de certains engrais ou herbicides. Ici encore, la moindre utilisation de produits phytosanitaires suppose toujours plus de travail et donc plus de main d'oeuvre que les « perdants » ne peuvent pas toujours embaucher faute de moyens.

C'est standards agissent donc comme des mécanismes de contrôle des « gagnants » sur la qualité de la production des « perdants » et de ceux qui, situés entre les « gagnants » et les « perdants », ne disposent pas de leur propre bodega. Les « perdants » et ceux qui les précédent doivent alors s'y conformer, sous peine de se voir refuser, par les « gagnants », la vinification de leur production de raisins qui constitue le gage le plus sûr d'accéder au marché. Dès lors, quelles solutions restent-il à ces acteurs pour ne pas être d'emblée exclus du « paradigme de la qualité » ?

C) Quelles solutions pour les « perdants » ?

Imiter les « gagnants » en investissant dans l'innovation technologique pour produire des vins de qualité, et s'associer au sein de coopératives pour faire contre-poids aux bodegas détenues par les « gagnants », telles semblent être les deux solutions qui s'offrent à eux.

1) Imiter pour gagner ?

Á défaut d'innover, les « perdants » et ceux qui les précèdent peuvent toujours imiter les « gagnants » en investissant dans l'innovation technologique : des pieds de vignes de cépages fins immunisés contre les maladies, des système d'irrigation sous-pression ou des machines agricoles spécifiques à la culture de la vigne. Ces innovations requérant un certain capital de départ, ils peuvent soit passer par les banques agricoles, soit solliciter les « gagnants » qui, sousréserve que la qualité oenologique du vignoble les intéresse, peuvent participer au financement de ces innovations contre le prélèvement d'un pourcentage sur la récolte de raisins (Entretien n°1).

69Contrairement à ce que l'affirment ces bodegas, ces vins ne sont pas biologique au sens propre mais issu de l'agriculture biologique étant donné l'utilisation du sulfate de cuivre lors de la fermentation alcoolique.

Ce rapport entre viticulteurs et vignerons a fonctionné et fonctionne encore comme un élément diffuseur de la modernisation technologique des vignobles. Il se fait néanmoins de plus en plus rare, puisque très peu de « perdants » possèdent des vignobles qui intéressent les « gagnants » au point de les aider à financer des investissements aussi coûteux. L'aide apportée par les « gagnants » aux « perdants » consiste plus volontiers à mettre à leur disposition un ingénieur agronome ou oenologue pour assurer le suivi de leur vignoble, voire à leur fournir des produits phytosanitaires qui seront déduits au moment du paiement de la vendange. L'aide des « gagnants » est donc non-seulement conditionnée, mais mesurée pour ne pas remettre en cause l'intégration verticale de la filière qui leur permet d'externaliser les risques que comporte la production de raisins et de maintenir les « perdants » dans un environnement captif.

2) S'associer au sein de coopératives ?

Imiter les « gagnants » n'étant pas une solution viable, reste la solution coopérative. Cette solution fut encouragée par l'État provincial qui, lors de la reconversion du vignoble, entreprit la privatisation des coopératives déficitaires qu'il incita à se regrouper en fédérations pour protéger les petits producteurs en contre-balançant le poids des bodegas tenues par les « gagnants ». C'est à cette occasion que la coopérative GIOL fut privatisée. Elle fait aujourd'hui partie du groupe FECOVITA qui fédère 34 coopératives pour plus de 5 000 producteurs et contrôle 15 % du marché national de vins fins et communs (RICHARD-JORBA, R.A., 2006).

Ces coopératives constituent pour ceux qui en sont les membres un moyen d'accéder au marché sans passer par l'intermédiaire des « gagnants », du fait qu'elles ne peuvent refuser de vinifier la production de leurs membres. C'est pourquoi, interrogé sur l'avantage de travailler avec une coopérative plutôt qu'avec une bodega, ce vigneron et membre de la coopérative San Carlos Sur à La Consulta répond : « La continuité ! La bodega fait son commerce qui ne correspond pas toujours avec le tien, alors que la coopérative fait le commerce de tous ses membres » (Entretien n°1). Les membres de la coopérative (asociados ou socios) sont ceux qui

siègent à son conseil d'administration et participent au processus décisionnel. En échange, ils ont l'obligation d'apporter l'intégralité de leur production à la coopérative qui ne peut refuser de la leur vinifier. Ces « actionnaires » de la coopérative correspondent généralement aux « perdants » de la reconversion du vignoble oasien : la faible qualité oenologique de leurs raisins d'une part, et leur incapacité à se conformer aux standards de qualité exigés par les « gagnants » d'autre part, font qu'ils doivent se satisfaire de la « continuité » que leur offre la coopérative en leur garantissant la vinification de leur production.

Néanmoins, les membres de la coopérative ne sont pas les seuls producteurs à venir y faire vinifier leur production. En effet, les terceros peuvent également venir à la coopérative pour faire vinifier leur récolte de raisins mais, ne siégeant pas à son conseil, ils n'ont pas de compte à lui rendre ni l'obligation de lui apporter l'intégralité de leur production. La coopérative, quant à elle, n'est pas non plus obligée d'accepter de la vinifier. Les terceros sont souvent ceux dont l'investissement dans les techniques d'irrigation sous-pression leur a permis d'étendre les superficies qu'ils cultivaient et sur lesquelles ils ont planté des vignes de cépages fins aux pieds « américains ». Ainsi, ces grands producteurs correspondent aux acteurs situés entre les « gagnants » et les « perdants ». Ce sont eux qui font le commerce de la coopérative et, par conséquence, celui de ses membres : l'an dernier par exemple, sur les sept terceros que comptait la coopérative Cooperativa de Transformación y Comercialización Vitivinicolas de Vista Flores, trois ont apporté à eux seuls la moitié de la vendange, l'autre moitié ayant été apportée par les vingt-six membres de la coopérative et le reste de terceros (Entretien n°10). C'est également d'eux que dépend le budget de la coopérative, puisque le pourcentage de la vendange qu'elle a pour habitude de vinifier et commercialiser pour son compte, est plus élevé sur la vendange des terceros que sur celle de ses membres. La coopérative est donc davantage dépendante des terceros que les « terceros » de la coopérative.

De plus, ces derniers n'ayant pas l'obligation d'apporter l'intégralité de leur production à la coopérative, ils peuvent toujours essayer de la vendre aux bodegas dès lors que la qualité

oenologique de leurs raisins est souvent meilleure que celle des « perdants » et qu'ils se sont conformés aux standards de qualité exigés par les « gagnants ». Car, il est en effet plus rémunérateur pour les terceros de vendre leur récolte aux bodegas qui l'achètent immédiatement, que de l'amener à la coopérative qui leur paye le vin à la prochaine récolte : « L'avantage des bodegas, c'est qu'elles achètent le raisin en trois mois et beaucoup plus cher que nous, qui entre la vinification et la commercialisation, payons le vin de 2008 au moment de la récolte de 2009 » (Entretien n°10). Or, le budget des coopératives dépend essentiellement de la vendange des terceros sur laquelle est prélevé un pourcentage plus important que sur celle des membres de la coopérative. En outre, moins les terceros sont nombreux à venir faire vinifier leur production à la coopérative, moins le budget de cette dernière est élevé et moins elle peut investir dans les procédés de vinification les plus modernes.

C'est pourtant grâce à ces procédés que la coopérative pourrait améliorer la qualité du vin qu'elle produit, le vendre plus cher et ainsi mieux rémunérer ses producteurs pour les dissuader de vendre leur récolte aux bodegas. Tel est le plan d'action que voudrait mener le président de la coopérative de Vista Flores, dont la production de vin a enregistré une diminution de 50 % par rapport à l'année précédente : « Actuellement, ce que nous essayons de faire, c'est de produire un vin de meilleure qualité pour le vendre plus cher et engranger des bénéfices. Avec une partie de ces bénéfices, nous allons mieux rémunérer nos producteurs pour les dissuader de vendre ailleurs. Avec l'autre partie, nous allons investir dans du matériel pour nous permettre de produire un vin qui soit chaque fois de meilleure qualité. Entendons-nous bien, je sais pertinemment que je n'arriverai pas à produire un vin d'aussi bonne qualité que celui des étrangers, mais je ne vise pas non plus le même marché. Alors, j'essaye et la qualité de mon vin ne peut en être que meilleure. Car, « au royaume des aveugles, le borgne est roi » » (Entretien n°11).

Les « gagnants » et les « perdants » de la reconversion du vignoble vers la qualité ayant été retrouvés à travers leur accès à l'eau, puis distingués d'après les transformations socio-

économiques qui en sont issus, l'accès à la ressource en eau peut être considéré comme un critère pertinent pour aborder les conséquences de la mondialisation sur l'agriculture irriguée d'un pays en voie de développement. Toutefois, il ne s'agit pas ici de faire de l'accès à l'eau l'élément déterminant de la reconversion du vignoble oasien. En effet, si l'eau dans la province de Mendoza est le facteur limitant et son accès un facteur de réussite, elle demeure avant toute chose un facteur de production parmi tant d'autres. La problématique de l'accès à la ressource en eau s'inscrit donc dans celle plus large de l'accès aux facteurs de production que sont l'eau, la terre et la main d'oeuvre.

Ainsi, ce qui semble différencier les « gagnants » des « perdants » de la reconversion du vignoble oasien, c'est leur capacité à investir dans l'innovation technologique pour disposer d'un accès privilégié à ces facteurs de production. Seulement pour investir, il faut avoir du capital et l'investir au bon moment. À cet égard, nul doute que les « gagnants », de par leur capital économique constitué à l'extérieur de la province et la transparence de l'information dans leurs réseaux, avaient déjà une longueur d'avance sur les « perdants ». Ensuite, en investissant dans l'innovation technologique ils ont pu s'assurer un accès privilégié aux facteurs de production, et ce d'autant plus facilement que les coûts de ces facteurs étaient plus faibles que ceux en vigueur dans les pays développés. Ceci engendra un accès fortement différencié aux facteurs de production, dont les « gagnants » profitèrent pour prendre le contrôle des phases de vinification et de commercialisation.

Plus question, désormais, de produire un vin en quantité, mais un vin de qualité qui réponde aux normes internationales afin de pouvoir l'exporter. Ce passage du paradigme de la production de masse à celui de la qualité plaça les « gagnants » en position de force face aux « perdants » à l'offre de raisins atomisée et diversifiée. Les « gagnants » imposèrent donc aux « perdants » des standards de qualité pour mieux contrôler leur production et les maintenir dans un environnement captif en renforçant l'intégration verticale de la filière vitivinicole.

Cette intégration toujours plus verticale constitue une profonde remise en cause du « mythe du terroir européen » qui suppose l'intégration horizontale de la filière grâce au rôle joué par les coopératives. Pourtant, les « gagnants » n'hésitent pas à parler de « terroir » pour qualifier les terres qu'ils ont conquises sur les piedmont... Parmi ces « gagnants », nombreux sont français et connaissent parfaitement la notion de « terroir », alors pourquoi l'invoquer ici ? Ne serait-ce pas un moyen pour eux de territorialiser la vitiviniculture issue de la reconversion du vignoble oasien pour en promouvoir la qualité, et ainsi se défendre du « projet d'entreprise » dont parle ce producteur bourguignon resté en France : « Dans des pays de soleil, avec de l'irrigation à gogo, comme au Chili par exemple, on peut année après année faire des vins extrêmement honorables et tout à fait réguliers, mais qui n'ont absolument pas la notion d'exception des grands terroirs français. Je veux dire qu'il faut choisir et qu'il faut faire un projet d'entreprise : il y a des géants dans le monde qui font des dizaines de millions de caisses de vin industriel. Cela nous ne savons pas le faire et ce n'est pas du tout notre vocation » (site internet de BFM Radio, 02/08/2009) ?

Quoi qu'il en soit, il n'est pas étonnant de voir qu'au jeu de la mondialisation les « gagnants » gagnent et les « perdants » perdent. Les « gagnants » y jouent, en effet, selon des règles qu'ils ont eux-mêmes énoncées, les règles de la qualité, inconnues des « perdants » qui durent les adopter pour ne pas être exclus du jeu. Dès lors, il est possible de conclure que le développement d'une activité créatrice de richesses, en lien avec les marchés mondiaux, exacerbe plus qu'elle ne réduit les inégalités entre les habitants, anciens et nouveaux d'un même territoire.

Conclusion

Éloignée des masses d'air de l'Océan Atlantique par quelques 1 000 km et abritée de celles de l'Océan Pacifique par la Cordillère des Andes, la province de Mendoza est située dans un entre-deux climatique : « effet de continentalité » et « situation d'abri » (SALOMON, J-N., PRAT, M-C., 2005) se combinent pour produire des conditions climatiques particulièrement arides qui rendent nécessaire, sinon obligatoire, le recours à l'irrigation. En effet, l'association de températures élevées et de précipitations faibles se manifestant par des déficits hydriques prononcés, y compris lors de la période estivale qui correspond avec le démarrage de l'activité végétative, il faut alors rechercher un apport d'eau externe.

C'est ce que firent les Indiens Huarpes qui, avant même l'arrivée des Espagnols, mirent à profit la pente des cônes de déjection des cours d'eau andins, les ríos, pour en dériver les eaux et ainsi irriguer leurs cultures par inondation. Ce système d'irrigation à la gestion communautaire et basée sur l'offre, donna naissance à des oasis artificielles qui structurent aujourd'hui l'espace de manière polycentrique, l'eau étant à la fois le facteur limitant et le facteur structurant de la province. Installées au contact de « deux mondes complémentaires »70 : la montagne exempte de maladies mais peu apte à l'agriculture et la plaine aux limons fertiles mais bien trop secs, ces oasis se présentent comme des « espaces d'interactions homme-milieu » (LAVIE, E., 2007) dans la mesure où leur approvisionnement en eau dépend de l'eau de fonte nivo-glaciaire libérée par la fusion estivale des glaciers.

Or, les glaciers des Andes mendocines ont amorcé un important retrait depuis le milieu des années 1970, laissant planer la menace d'un changement de régime hydrologique des cours qui descendent de la Cordillère (COSSART, E., LE GALL, J., 2008). Ces derniers, en passant

70 Citation extraite de l'avant-propos du numéro 239 des Cahiers d'Outre-Mer (cf. Bibliographie)

d'un régime glaciaire à un régime nival verraient leur pic des hautes eaux s'atténuer, la superficie englacée se réduisant, et leur période des hautes eaux devenir plus précoce, l'élévation des températures provoquant un raccourcissement de la saison hivernale ainsi qu'une augmentation des précipitations liquides au détriment des précipitations solides (LÓPEZ, P.M., SCHUMACHER M.C., VICH, A.J., 2007). En outre, le changement de régime hydrologique des cours d'eau andins engendrerait un décalage entre les besoins hydriques des cultures et la disponibilité de la ressource en eau qui jusque-là coïncidait avec la saison végétative. Cette évolution pose avec insistance la question de la durabilité de la ressource en eau pour les oasis qui, comme celle de Valle de Uco, ne disposent pas de barrage de retenue pour en assurer la redistribution spatio-temporelle.

Malgré sa position géographique privilégiée pour capter l'eau du Río Tunuyán et des petits cours d'eau qui descendent de la Cordillère, l'Oasis de Valle de Uco est la seule oasis à se situer à l'amont d'un barrage de retenue. Il s'agit donc de l'oasis la plus « vulnérable » (BRKLACICH, M., 2006) à l'hypothèse d'un changement de régime hydrologique des cours d'eau qui affecterait tant l'eau superficielle que l'eau souterraine. Ces dernières constituent en effet une seule et même ressource, l'eau de fonte nivo-glaciaire, étant donné que la recharge de l'aquifère dépend des pertes par infiltration des cours d'eau superficiels. Une seule et même ressource donc, mais que se partagent deux accès à l'eau : l'un, gravitaire et fondé sur la proximité physique du cours d'eau, est un héritage du système d'irrigation mis en place par les Indiens Huarpes ; l'autre, que l'innovation technologique en matière d'irrigation a affranchi des lois gravité, est né de l'ouverture de la province à la mondialisation pour financer la reconversion de son vignoble vers un vin de qualité.

L'objet d'étude de ce mémoire étant la gestion de l'eau, il s'agissait d'appréhender les défis que posent le réchauffement climatique et la mondialisation à la gestion de la ressource en eau dans l'Oasis de Valle de Uco. En outre, il s'agissait de comprendre dans quelles mesure une gestion de l'eau basée sur l'offre peut-elle continuer à fonctionner alors que cette dernière

pourrait à l'avenir diminuer sous l'effet du réchauffement climatique. Car, si l'analyse statistique des débits mensuels du Río Tunuyán entre 1954 et 2004 n'a pas permis d'y déceler la moindre trace du passage d'un régime glaciaire à un régime nival, la variabilité des débits liée au phénomène ENSO étant supérieure à celle liée du réchauffement climatique et du retrait des glaciers, cela ne veut pas dire pour autant que ce cours d'eau soit à l'abri d'un changement de régime hydrologique dans les années à venir : les recherches menées par VILLALBA, R. sur le Río Atuel, présentées le 4 décembre 2008 lors des IV Jornadas de Actualización en Riego y Fertiriego71 , ont dores et déjà montré le changement de régime hydrologique de ce cours d'eau. Il s'agissait également de mesurer les conséquences de la mondialisation sur l'agriculture irriguée d'un pays en voie de développement, en se posant la question de savoir si le développement d'une activité créatrice de richesses, en liaison avec les marchés mondiaux, diminue ou exacerbe les inégalités entre les habitants, anciens et nouveaux, d'un même territoire. Pour ce faire, il fallut retrouver les « gagnants » et les « perdants » de la reconversion du vignoble vers la qualité à travers leur accès à l'eau et les distinguer d'après les transformations socio-économiques qui en sont issues pour saisir pourquoi les « gagnants » gagnent et pourquoi les « perdants » perdent (CHALEARD J.-L., MESCLIER E., 2006).

L'étude de la gestion de l'eau dans le système d'irrigation hérité des Indiens Huarpes a montré qu'il s'agissait d'une gestion administrative et étatique, basée sur l'offre en eau de fonte nivo-glaciaire, et dont les modalités d'un autre temps ne sont plus adaptées à une économie agricole qui, désormais libérée de sa « tutelle agro-directoriale » (RUF, Th., 2000), doit davantage économiser la ressource que la « gaspiller ».

La gestion de l'eau dans le système d'irrigation traditionnel est en effet régie par la Ley General de Aguas, véritable « jurisprudence de l'eau d'irrigation » élaborée au XIXème siècle par les ingénieurs des services de l'État pour justifier l'emprise de celui-ci sur les ressources

71 « IVème Journées d'Actualisation de la Pratique de l'Irrigation »

hydriques « créées ». D'après la loi, l'eau relève du domaine public et, par conséquent, ne peut qu'être concédée aux usagers du système d'irrigation sous forme de « droits à l'irrigation » (derechos de riego) qui sont, de par le « principe d'inhérence », indissociables de la terre pour laquelle ils ont été concédés et ne peuvent être exercés en dehors des « tours » d'eau. Ces modalités d'irrigation, instaurées au moment de la construction du pouvoir provincial, agissaient comme des structures d'encadrement de la population et permettaient à la province de contrôler la répartition spatio-temporelle de la ressource.

Néanmoins, elles se révèlent aujourd'hui excessivement rigides pour les usagers du système d'irrigation qui, n'ayant pas les mêmes besoins en eau, éprouvent le besoin de réhabiliter la gestion communautaire des Indiens Huarpes pour les rendre plus flexibles. Le décalage entre la loi et les pratiques des usagers, illustrant les « différences de savoir » (RUF, Th., 2004) entre les théoriciens et les praticiens de l'agriculture irriguée, contribue à opacifier le cadre juridique et favoriser la confusion des rôles entre les acteurs de la gestion de la ressource en eau. Ces derniers interviennent en effet selon l'échelle spatiale à laquelle l'eau est distribuée, ce qui tend à segmenter la gestion de la ressource en tronçons et ainsi à l'éloigner des conditions d'une gestion intégrée. Supposant une concertation de l'ensemble des acteurs ainsi qu'une coordination des actes d'aménagements et de gestion, une gestion intégrée de la ressource s'avère pourtant nécessaire pour faire face à l'hypothèse d'un changement de régime hydrologique du Río Tunuyán.

De plus, en faisant de l'eau un droit attaché à la propriété foncière, les modalités d'irrigation définies par la Ley General de Aguas n'encouragent pas l'économie d'eau, la ressource étant distribuée en fonction de la superficie de la parcelle à irriguer et non pas des besoins hydriques des cultures qui sont dessus. De même, l'usager ne paye pas l'eau qu'il consomme, seulement l'usage qu'il en fait dont le prix (canon) est calculé sur la base des coûts induits par le service d'approvisionnement en eau, ce qui inciterait au « gaspillage » : « il serait plus judicieux qu'elle [l'eau] fût payée par l'utilisateur, qui cesserait alors de la gaspiller »

(GOUROU, P., 1976). Á cela s'ajoute la faible efficacité globale du système d'irrigation traditionnel qui occasionne de nombreuses pertes par infiltration bénéficiant aux usagers disposant de perforations. Néanmoins, de toutes les échelles spatiales de la « médiation » de l'eau, c'est bien sur l' « application » que doit se concentrer l'effort d'investissement car les techniques d'irrigation gravitaire utilisées par la plupart des usagers optimisent très peu la ressource en eau.

Sur la base de ces remarques, il est possible d'énoncer quelques recommandations afin d'améliorer la gestion de l'eau dans le système d'irrigation traditionnel. Tout d'abord, la construction d'un barrage de retenue en amont de l'oasis. Prévu depuis le début des années 1970, le projet Los Blancos n'a toujours pas vu le jour et les usagers sont de plus en plus sceptiques quant à sa réalisation. Alors que la province serait actuellement en train de sélectionner l'entreprise qui sera chargée de sa construction, ce barrage pourrait permettre de stocker la ressource et assurer sa redistribution spatio-temporelle en cas de changement de régime hydrologique du Río Tunuyán. La construction du barrage Los Blancos serait alors un premier pas vers une gestion de l'eau par la « demande sociale » (RUF, Th., 2000), à condition qu'elle s'accompagne de travaux d'imperméabilisation des canaux d'irrigation. Le second pas vers ce type de gestion consiste à accorder davantage de poids aux « associations d'usagers » de manière à rendre effective la participation des usagers à la gestion de la ressource, ce qu'était censé accomplir le processus de décentralisation initié dans les années 1990, et ce afin de limiter l'omnipotence du Département Général d'Irrigation. Pour cela, il est nécessaire de changer les modalités de participation à l'élection de l' « Inspecteur des canaux d'irrigation » qui avantagent clairement les usagers ayant augmenté la superficie qu'ils cultivaient grâce aux techniques d'irrigation sous-pression, étant donné que les votes sont pondérés en fonction de la superficie irriguée par des « droits à l'irrigation ». Dans cette optique, l'usager serait à la fois un irriguant qui participerait à une « démocratie de l'eau » plus transparente et payerait la prestation du

service d'approvisionnement en eau, ainsi qu'un consommateur qui, en payant l'eau qu'il aurait consommée, contribuerait à la recapitalisation du système d'irrigation.

Les « gagnants » et les « perdants » de la reconversion du vignoble vers la qualité ayant été retrouvés à travers leur accès à l'eau, puis distingués d'après les transformations socioéconomiques qui en sont issues, l'accès à la ressource en eau peut être considéré comme une clé de lecture pour mesurer les conséquences de la mondialisation sur l'agriculture irriguée d'un pays en voie de développement. Car, même si l'eau dans la province de Mendoza est célébrée comme une « culture » (Los Andes, 19/11/2008) grâce à laquelle « le peuple mendocin est parvenu à transformer un désert en oasis » (Los Andes, 06/11/2008), elle n'en reste pas moins un facteur de production parmi tant d'autres dont l'accès est conditionné par un autre facteur de production, le capital.

Certes, le capital n'existe pas tout et le pari de la qualité n'aurait pu être tenu sans l'existence préalable d'une vitiviniculture aux bases solides. De même, il est vrai que les acteurs arrivés dans la province au moment de son ouverture à la mondialisation rappellent les immigrants du début du XXème siècle. Néanmoins, la venue de ces acteurs ne correspond pas à un choix subit mais raisonné. En effet, l'ouverture de la province constituaient pour eux l'opportunité de profiter des faibles coûts de production pour produire des « Vins du Nouveau Monde » qui soient de qualité mais dont le prix reste compétitif à l'international. Possédant un capital économique déjà constitué à l'extérieur de la province, ces acteurs ont pu investir dans l'innovation technologique pour bénéficier d'un accès privilégié aux facteurs de production et prendre le contrôle des phases de vinification et de commercialisation. Le contrôle de ces phases leur a ensuite permis de remplacer le paradigme de la production de masse par celui de la qualité en instaurant des standards qui renforcent l'intégration verticale de la filière vitivinicole puisqu'ils incluent ceux qui parviennent à s'y conformer et excluent ceux qui n'y parviennent pas.

Dès lors, si les « gagnants » gagnent au jeu de la mondialisation c'est parce que, contrairement aux « perdants », ils avaient le capital pour investir ; et parce que, contrairement aux acteurs situées entres « gagnants » et les « perdants », ils l'ont investi au bon moment. La métaphore du train, aussi naïve soit-elle, semble on ne peut mieux refléter la réalité de la « nouvelle vitiviniculture » mendocine (MONTAÑA, E., 2007) : les « gagnants » sont ceux qui ont pris le train avant qu'il ne démarre et en imposent la vitesse à ceux qui l'ont pris en marche, les acteurs situés entre les « gagnants » et les « perdants » ainsi qu'à ceux qui l'ont raté et doivent attendre le prochain, les « perdants ». Ainsi, le développement d'une activité créatrice de richesses, en liaison avec les marchés mondiaux, tend à exacerber les inégalités entre les habitants, anciens et nouveaux, d'un même territoire en créant de la distance, au sens propre comme au sens figuré, entre eux.

Car, comme il l'a été démontré, l'accès à l'eau des « gagnants » leur a permis de repousser la frontière agricole de l'oasis sur le piedmont qu'ils territorialisèrent en en faisant une « marge ». Le passage d'un accès traditionnel gravitaire et fondé sur la proximité physique du cours d'eau, à un accès moderne que l'innovation technologique a affranchi des contraintes de la gravité, constitue donc le moteur de la recomposition spatiale de l'Oasis de Valle de Uco. Bouleversant les hiérarchies territoriales au sein de l'oasis, ce nouvel accès à l'eau a en effet contribué à rendre duale sa structure spatiale, opposant le piedmont conquit par les « gagnants » et la vallée restée aux mains des « perdants ». Bien que situé dans une périphérie géographique, le piedmont s'imposerait aujourd'hui comme le nouveau centre économique de l'oasis en accueillant de grandes voire de très grandes parcelles cultivées en vignes et en fruits et irriguées grâce aux techniques d'irrigation sous-pression. Quant à la vallée, autrefois centre économique, elle n'est plus qu'un centre spatial où les parcelles, irriguées gravité, sont relativement petites et où malgré l'apparente diversité des cultures la vigne est peu représentée.

La reconversion du vignoble vers la qualité a donc permis à la vitiviniculture mendocine de sortir de la crise de surproduction dans laquelle elle s'enlisait depuis le milieu des années

1970, et de d'exporter ses vins dans le monde entier. En revanche, elle a davantage profité aux nouveaux habitants de l'oasis, les « gagnants » qui disposaient de capitaux pour investir, qu'aux anciens, « les perdants » et les acteurs situés entre les « gagnants » et les « perdants » qui n'en disposaient pas ou peu. Ces derniers s'estiment pourtant redevables à l'égard des « gagnants » : « En 1995, le groupe FECOVITA commercialisait 16 millions de litres de vins. Aujourd'hui, elle en commercialise près de 30 millions, et cela grâce aux étrangers qui ont apporté le capital dont nous avions besoin pour nous moderniser » (Entretien n°11) ; « L'arrivée des étrangers dans l'Oasis de Valle de Uco fut un avantage puisqu'ils ont ouvert le marché argentin sur le monde. Beaucoup disent qu'ils prennent la terre aux Argentins et occupent leur eau, ce qui n'est pas totalement faux, mais dans le même temps ils participent au développement de la province et ont aidé l'Argentine à se tailler une place de choix dans la vitiviniculture mondiale. Le problème serait que les Français, Lurton et Chandon, y soient installés ; que les Américains, Kendall & Jackson, y soient installés ; que les Hollandais, Salentein, y soient installés ??? Mais c'est gens ont fait connaître le argentin dans le monde entier... » (Entretien n°13).

Se pose alors la question du devenir de la « nouvelle vitiviniculture » mendocine (MONTAÑA, E., 2007) : va t-elle rester l'apanage des « gagnants », ou au contraire susciter de nouvelles vocations parmi les producteurs d'autres cultures, moins épargnées par la crise mondiale que le vin dont les exportations continuent d'augmenter en volume comme en valeur grâce à la demande des pays développés (Fincas, 28/03/2009) ? Dans le second cas, la récente Loi d'Occupation du Sol parviendra t-elle à éviter une nouvelle crise de surproduction en limitant la superficie viticole ?

Glossaire

Acequias : canaux d'irrigation hérités des Indiens Huarpes

Aplicación : troisième et dernière échelle spatiale de la « médiation » de l'eau. Il s'agit de l'irrigation. Elle incombe aux usagers qui peuvent irriguer leur parcelle avec les techniques d'irrigation gravitaire ou sous-pression.

Arroyos : petits cours d'eau

Asembleas : « assemblées » annuelles de l' « association d'usagers » où sont présentés les comptes et discutées les dépenses.

Associación de Inspecciones de Cauces : « fédération d'associations d'usagers ». Nées de la décentralisation de la gestion de l'eau dans les années 1990, elles peuvent regrouper jusqu'à une dizaine d' « associations d'usagers ».

Bodega : « établissement où s'élabore le vin à partir du raisin acheté ou produit par le propriétaire de la bodega. Généralement, il commercialise lui-même me vin qu'il élabore et qu'il peut aussi mettre en bouteilles. Quand le producteur de raisin commercialise directement le vin qui a été élaboré dans une bodega, il le fait en vrac » Le bodegero est le propriétaire-gérant de la bodega, l'industriel et le négociant en vin. Les viticulteurs qui peuvent être négociants sont souvent dans la dépendance des bodegeros » (PREVÔT-SCHAPIRA, M.-F., BUNEL J., 1994).

Canon de riego : prix de l'irrigation. Calculé en fonction des coûts induits par le service d'approvisionnement en eau, il est réparti entre les acteurs intervenant dans la prestation de ce service. La part revenant au DGI, qui représente l'autorité publique, peut être considérée comme un impôt.

Coeficiente de riego : « coefficient d'irrigation ». Rapport entre la quantité d'eau dérivée par le barrage et la somme des superficies à irriguer. Exprimé en l/s/ha, il détermine la quantité d'eau qu'est censé recevoir le moindre hectare de terre quel que soit sa position par rapport aux canaux d'irrigation. Il est donc la clé de voûte du système d'irrigation traditionnel dont il fonde la

prétention à garantir un accès équitable de la ressource en eau entre des usagers partageant un même capital hydrique.

Compuerta : petite porte située à l'entre des parcelles que les usagers doivent soulever en temps et en heure pour exercer leur « tour » d'eau.

Compartidor : « régulateur » de débit. Peut être fixe ou mobile. Il est chargé de répartir l'eau, s'écoulant par gravité, entre les canaux d'irrigation.

Conducción : première échelle spatiale de la « médiation » de l'eau. Elle relève du DGI qui doit dériver les eaux des cours andins vers le réseau de canaux primaires.

Constratistas : travailleurs agricoles qui vivent sur l'exploitation dont ils ont la charge et qui, combinant la figure du petit entrepreneur avec celle du salarié, perçoivent un salaire mensuel ainsi qu'un pourcentage de la récolte. Se font de plus en rares depuis la reconversion du vignoble vers la qualité.

Departamento General de Irrigación : Département Général de l'Irrigation (DGI). Il est le principal organisme de la gestion de l'eau dans la province de Mendoza. Créé par la Constitution Provinciale de 1884, il s'agit d'un organisme décentralisé et autonome disposant d'un budget financé par un impôt sur le droit à l'irrigation. Le DGI est chargé d'administrer tout ce qui relève de la ressource en eau dans la province tout en jouant le rôle de police de l'eau.

Derechos de riego : « droits à l'irrigation ». L'eau relevant du domaine public, elle est seulement concédée aux usagers sous forme de droits. Pouvant être « définitifs », « temporaires » ou « précaires », ces droits sont en principe indissociables de la terre pour laquelle ils ont été concédés et sont exercés lors d'un « tour » d'eau.

Desagüe : canal chargé de collecter les eaux après l'irrigation.

Distribución : seconde échelle spatiale de la « médiation » de l'eau. Elle relève de l' « association d'usagers » qui est doit dériver l'eau des canaux primaires vers les réseaux de canaux secondaires et tertiaires.

Ficha : jeton remis lors de la vendange au porteur d'un sac de raisin rempli. Correspond à une valeur en pesos.

Goteo : « goutte à goutte ». Technique d'irrigation sous-pression distribuant l'eau au « goutte à goutte » au pied de la plante.

Huarpe : premiers occupants de la province de Mendoza, ces indiens posèrent les bases du système d'irrigation traditionnel.

Huerta : désigne les périmètres irrigués situés en périphérie des villes dans la région méditerranéenne.

Inspección de Cauces : « association d'usagers ». Entité politiquement et financièrement autonome, elle représente les intérêts des usagers du système d'irrigation traditionnel en leur permettant de participer à la gestion locale de l'eau.

Inspector de Cauces : « Inspecteur des canaux d'irrigation ». Á la tête de l' « association d'usagers » pour un mandat de quatre ans, il est élu par les usagers.

Mediación del agua : « médiation» de l'eau. Comporte trois phases : la « conduite », « la distribution » et l' « application ».

Melgas : « bords ». Technique d'irrigation gravitaire qui consiste à faire s'écouler l'eau à travers des bandes de terre aplanies et surmontées de deux « bords ».

Superficie empadronada : superficie irriguée par des « droits à l'irrigation », un padron désignant une parcelle et le droit qui lui a été concédé. Servait de base au recensement agricole à l'époque où la seule source d'approvisionnement en eau était superficielle.

Presupuesto : dépenses de l' « association d'usagers » prévues pour l'année suivante. Elles peuvent être discutées par les usagers lors des « assemblées ».

Principio de inherencia : « principe d'inhérence ». Contenu dans la Ley General de Aguas, Fait de l'eau un droit attaché à la propriété foncière.

Represa : réservoir d'eau.

Ríos : cours d'eau andins alimentés par les eaux de fonte nivales ainsi que par l'ablation s'opérant au sein des glaciers. Sous l'effet du réchauffement climatique, ils sont susceptibles de changer de régime hydrologique. Passant d'un régime glaciaire à un régime nival, ils verraient le pic des hautes eaux s'atténuer et la période des hautes eaux devenir plus précoce.

Superintendente : Superintendant. Á la tête du DGI pour un mandat de cinq ans, il est nommé par la Gouverneur de la province et confirmé par le Sénat.

Surcos : « rigoles ». Technique d'irrigation gravitaire qui consiste à creuses de petites « rigoles » le long des rang de cultures afin que l'eau les irrigue en s'écoulant.

Socios (ou asociados) : membres d'une coopérative dont il siègent au conseil d'administration. Ils ont l'obligation d'apporter l'intégralité de la production à la coopérative qui ne peut refuser de la leur vinifier.

Tacho : sac utilisé lors des vendanges

Terceros : producteurs qui, ne siégeant pas au conseil d'administration de la coopérative, n'ont pas compte à lui rendre, ni l'obligation de lui apporter l'intégralité de leur production. De son côté, la coopérative n'est pas non plus tenue d'accepter de la vinifier.

Tiempo de rotación : périodicité d'un tout d'eau. Peut être de d'une, de deux, voire de trois semaine.

Tomero : employé de l'Inspección de Cauces chargé de veiller à la bonne marche de l'approvisionnement en eau. Au contact avec les usagers, il est leur interlocuteur privilégié.

Turno : « tour » d'eau. Correspond à l'exercice d'un « droit à l'irrigation ». Lors d'un « tour », chaque usager reçoit une quantité d'eau proportionnelle à la superficie qu'il est censé irriguer grâce à son « droit à l'irrigation ». La durée du « tour » dépend du débit du canal tertiaire par lequel transite l'eau.

Vertientes : petits cours d'eau qui naissent par affleurement de l'aquifère

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Filmographie

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RUF, Th. (conseiller scientifique), 2002, L'eau, miroir du monde andin, (Réalisation BAZIN L., co-production IRD, Aris), 30'.

NOSSITER, J., 2004, Mondovino, Diaphana Films, 135'

Clos de los Siete : le vin français des antipodes, s.d., AFP, 2' ( http://videos.nouvelobs.com/video/iLyROoafJyXr.html)

Aprovechamiento hidroeléctrico Los Blancos. Provincia de, Mendoza, s.d., Secretaría de Obras Públicas, 4' ( http://www.youtube.com/watch?v=SE6gdPjnK1k)

Sitographie

Site de la DEIE : http://www.deie.mendoza.gov.ar/

Site du DGI http://www.irrigacion.gov.ar/sitio/modules.php?name=iniciofijo&idnodo=89d948a0- f1df-4a19-82a6-564544891ab9

Site de l'INDEC : http://www.indec.gov.ar/

Site de l'INV : http://www.inv.gov.ar/principal.php?ind=1 Site du SIPH : http://www.irrigacion.gov.ar/siph/

Site du Bureau argentin pour l'amélioration de la coopération avec la Communauté Européenne dans les domaines de la science, de la technologie et de l'innovation : http://www.abest.secyt.gov.ar

Page du site de BFM radio : http://www.radiobfm.com/edito/home/35096/les-vignoblesetrangers-seduisent-vinexpo/

Page du site de l'INTA où sont téléchargeables les travaux présentés lors des IV Jornadas de Actualización en Riego y Fertiriego : http://www.inta.gov.ar/mendoza/IV_Jornadas/index.htm

Page du site du Sous-Secrétariat aux ressources hydriques où sont disponibles les débits des cours d'eau mendocins : http://www.hidricosargentina.gov.ar/estad2004/principal.htm

Tables des illustrations

*Figures

Figure 1 : Diagramme ombrothermique de Cristo San Redentor 26

Figure 2 : Diagramme ombrothermique de Puente del Inca 26

Figure 3 : Diagramme ombrothermique de Uspallata ...27

Figure 4 : Diagramme ombrothermique de Mendoza 27

Figure 5 : Diagramme ombrothermique de La Paz 28

Figure 6 : Diagramme ombrothermique de San Carlos 28

Figure 7 : Coefficients Mensuels de Débits des ríos Tunuyán (Valle de Uco) et

Mendoza (Guido) entre 1956 et 2003 29

Figure 8 : Un régime hydrologique désormais en décalage avec la saison végétative 31

Figure 9 : Répartition de la superficie cultivée selon les cultures dans l'Oasis de Valle

de Uco entre 1988 et 1999 39
Figure 10 : Corrélation entre les débits du Río Tunuyán et la recharge de l'aquifère libre

entre 1974 et 2001 45

Figure 11 : Comparaison des débits du Río Tunuyán à Valle de Uco entre 1954 et 2004 46

Figure 12 : Débits Mensuels du Río Tunuyán à Valle de Uco entre 1954 et 2004 47

Figure 13 : Impact du phénomène ENSO sur le régime hydrologique du Río Tunuyán à

Valle de Uco 47
Figure 14 : Accumulation neigeuse à la station nivométrique de Palomares (2 900 mètres

d'altitude), dans le bassin du Río Tunuyán entre 2000 et 2003 54
Figure 15 : Coefficients Mensuels de Débits du Río Tunuyán à Valle de Uco

entre 2000 et 2003 54

Figure 16 : Répartition de la superficie à irriguer par canal d'irrigation 60

Figure 17 : Circulation de l'eau dans le système d'irrigation traditionnel le 12 janvier 2009 60

Figure 18 : Circulation de l'eau dans le canal secondaire Quiroga 61

Figure 19 : Organigramme du DGI 76

Figure 20 : Technique d'irrigation par surcos 82

Figure 21 : Technique d'irrigation par melgas 82

Figure 22 : Acteurs et échelles spatiale de la « médiation » de l'eau .83

Figure 23 : Pourcentage de canaux imperméabilisés dans le linéaire de canaux d'irrigation 88

Figure 24 : Pourcentage de canaux imperméabilisés dans le linéaire de canaux primaires

et secondaires 88

Figure 25 : Pourcentage de canaux imperméabilisés dans le linéaire de canaux tertiaires 88

Figure 26 : Sommes investies par les différents acteurs de la gestion de l'eau dans le

système d'irrigation de l'Oasis de Valle de Uco depuis 2002 89
Figure 27 : Évolution du nombre de perforations dans l'Oasis de Valle de Uco entre

1960 et 2008 104
Figure 28 : Évolution de la superficie viticole des départements de l'Oasis de Valle de

Uco entre 1988 et 2002 110

Figure 29 : Exploitation de l'eau souterraine dans l'Oasis de Valle de Uco 117

*Cartes

Carte 1 : Les unités de relief de la province de Mendoza 18

Carte 2 : Évolution de l'englacement dans les Andes mendocines entre 1975 et 2000 20

Carte 3 : La diagonale aride argentine 22

Carte 4 : L'entre-deux climatique mendocin 23

Cartes 5 : Précipitations moyennes annuelles dans la province de Mendoza 24

Carte 6 : Les oasis de la province de Mendoza 32

Carte 7 : Occupation des sols au début des années 2000 dans l'Oasis de Valle de Uco ..41

Carte 8 : Présentation de l'Oasis de Valle de Uco 41

Carte 9 : Réseau hydrographique de l'Oasis de Valle de Uco 43

Carte 10 : Circulation de l'eau souterraine dans l'Oasis de Valle de Uco 44

Carte 11 : Réseau d'irrigation de l'Oasis de Valle de Uco 57

Carte 12 : Les « associations d'usagers » de l'Oasis de Valle de Uco 78

Carte 13 : « Mendoza, des terres pour croître », carte extraite de l'annuaire des exportateurs

de Mendoza, édité par le gouvernement de la province, 1993 97
Carte 14 : Localisation des perforations creusées au cours des années 1990 dans l'Oasis

de Valle de Uco 105
Carte 15 : Lien entre les perforations creusées au cours des années 1990 et l'occupation

des sols .105
Carte 16 : Superficies cultivées au début des années 2000 dans l'Oasis de Valle de Uco.........107

Carte 17 : Évolution des contours de l'Oasis de Valle de Uco entre 1975 et 2000 ....110

Carte 18 : Infrastructures routières de l'Oasis de Valle de Uco 112

*Tableaux

Tableau 1 : Évolution de la superficie cultivée dans l'Oasis de Valle de Uco entre

1988 et 2003 38

Tableau 2 : « Fédérations d'associations d'usagers » de l'Oasis de Valle de Uco 80

Tableau 3 : Pondération des votes en fonction de la superficie irriguée par des

« droits à l'irrigation » 84

Tableau 4 : Répartition du canon de riego entre les acteurs intervenant dans la

prestation du service d'approvisionnement en eau 86

Tableau 5 : Efficacités des systèmes d'irrigation des différents oasis de la province de Mendoza 89
Tableau 6 : Évolution de la superficie cultivée selon les sources d'approvisionnement

en eau dans l'Oasis de Valle de Uco 106

*Photographies

Photographie 1 : Photo du Río Tunuyán prise en amont du barrage de Valle de Uco 58

Photographie 2 : Photo du barrage de Valle de Uco 58

Photographie 3 : Photo d'un stèle dans le camping du barrage de Valle de Uco 58

Photographie 4 : Photo du partidor mobile du canal Quiroga 61

Photographie 5 : Photo du canal Margen Derecha 61

Photographie 6 : Photo du desagüe 61

Photographie 7 : Photo du partidor fixe des canaux Appon et Combes 61

Photographie 8 : Photo de la mesure du débit du canal Appon 63

Photographie 9 : Photo de compuertas 67

Photographie 10 : Photo d'un « chapardage » d'eau sur le canal Collovati ..71

Photographie 11 : Photo d'une clôture entourant une grande propriété 72

Photographie 12 : Photo d'une represa 72

Photographie 13 : Photo des pompes qui alimentent le système d'irrigation 73

Photographie 14 : Photo du système d'irrigation par goutte à goutte 73

Photographie 15 : Photo de la technique d'irrigation par surcos 82

Photographie 16 : Photo de la technique d'irrigation par melgas 82

Photographie 17 : Photo d'une propriété viticole sur le piedmont, prise depuis la R.P.N°89.....108

Photographie 18 : Photo d'un hectare de désert sur le piedmont, prise depuis la R.P.N°89 114

Photographie 19 : Photo des travaux de terrassement d'une parcelle située sur le piedmont 114

Photographie 20 : Photo d'une foreuse creusant une perforation sur une parcelle

du piedmont 114

Photographie 21 : Photo d'un nouveau vignoble aux pieds des glaciers 114

Photographie 22 : Photo du golf-bodega de Tupungato 115

Photographie 23 : Photo des vignes du golf-bodega de Tupungato 115

Photographie 24 : Photo d'une palissade en parral dans le village de Cafayate, au sud de la province de Salta 122
Photographie 25 : Photo d'une palissade en espaldero dans le village de Cafayate, au sud de la

province de Salta 122

Tables des matières

REMERCIEMENTS 3

SOMMAIRE 4

LISTE DES ABBRÉVIATIONS 6

INTRODUCTION 7

PREMIÈRE PARTIE : PRÉSENTATION DU CADRE D'ÉTUDES 14

I. LA PROVINCE DE MENDOZA : UNE PROVINCE AU CLIMAT ARIDE OÙ

L'EAU DES GLACIERS A PERMIS DE « TRANSFORMER UN DÉSERT EN OASIS » 15

A) Une province située aux pieds des Andes 15

1) Un relief dominé par les montagnes 16

a) Des montagnes imposantes 16

b) La plaine et le piedmont : des espaces au relief moins accidenté ..17

c) Le « plateau Nord-patagonique » : une région volcanique aux paysages de « Bad Lands » .18

2) Des glaciers en retrait 19

a) Des glaciers andins qui battent en retraite 19

b) Vers une disparition des grands organismes glaciaires dans les Andes mendocines 19

c) Quelles perspectives pour les glaciers mendocins ? 21

B) Un climat contraignant : l'eau, facteur limitant 21

1) Une province au climat aride 21

a) Une province située dans un entre-deux climatique 21

b) Des précipitations faibles et inégalement réparties 23

c) Des températures fraîches en montagne, élevées en plaine 25

2) Un déficit hydrique particulièrement prononcé dans certains secteurs 25

a) Les zones de montagnes : une régime de précipitations qui dépend de la position des

montagnes par rapport aux masses d'air humide 26

b) Les zones de plaines : un déficit hydrique permanent 27

c) Le piedmont : un déficit hydrique estival 28

C) L'obligation de recourir à l'irrigation 28

1) Des cours d'eau tributaires de l'eau de fonte nivo-glaciaire 29

2) Le changement de régime hydrologique des cours d'eau : une conséquence

prévisible réchauffement climatique qui entraînerait un décalage entre la disponibilité

de la ressource et les besoins hydriques des cultures 30

D) La structure de l'espace autour d'oasis : l'eau, facteur structurant 31

1) Une structure spatiale polycentrique 31

2) La concentration des hommes et des activités dans les oasis 33

3) Zones irriguées/Zones non-irriguées : une dichotomie au coeur des représentations de l'espace 34

II. L'OASIS CENTRE OU VALLE DE UCO : UN ESPACE « D'INTERACTIONS HOMME-MILEU » PRIVILÉGIÉ MENACÉ ? 36

A) Une oasis présentant une large gamme de cultures 36

1) Du modèle agropastoral et céréalier à une agriculture méditerranéenne irriguée de

type huerta 37

a) La mise en place du modèle agropastoral et céréalier 37

b) L'émergence d'un agriculture méditerranéenne irriguée de type huerta 37

2) Permanence et évolution de la superficie cultivée 38

3) La répartition spatiale des cultures 41

B) Les modalités d'irrigation : le fonctionnement en vase-clos de l'oasis 42

1) L'eau superficielle 43

2) L'eau souterraine 44

3) L'eau superficielle et l'eau souterraine : une même ressource 45

C) Vers un changement de régime hydrologique du Río Tunuyán ? 46

D) Vers une remise en cause de la gestion de l'eau 48

DEUXIÈME PARTIE : PRINCIPES ET ACTEURS DE LA GESTION DE L'EAU

DANS LE SYSTÈME D'IRRIGATION TRADITIONNEL 50

I. LES GRANDS PRINCIPES D'UNE GESTION DE L'EAU PAR L'OFFRE 51

A) Une gestion de la ressource basée sur l'offre 52

1) L'offre en eau de fonte nivo-glaciaire : une offre considérée comme suffisante mais dont la répartition temporelle n'est pas toujours en adéquation avec les besoins hydrique

des cultures 52

2) Stocker les eaux du Río Tunuyán : le projet de barrage de retenue Los Blancos 55

3) Dériver les eaux du Río Tunuyán : le barrage de dérivation Valle de Uco, un exemple des rapport entre irrigation et pouvoir 56

4) Répartir les eaux du Río Tunuyán : « La médiation de l'eau n'est pas une science exacte ! 59

B) Une gestion administrative et étatique quelque peu rigide 64

1) La codification et l'institutionnalisation du système d'irrigation pré-colombien 64

2) Les grands principes de la Ley General de Aguas 65

a) Les « droits à l'irrigation » : essai de typologie 65

b) L'eau, indissociable de la terre : le « principe d'inhérence » ...66

c) La distribution de l'eau par « tours » 66

3) La Ley General de Aguas vue par les usagers du système d'irrigation traditionnel 68

C) Le décalage entre la Ley General de Aguas et les pratiques des usagers 69

1) Le non-respect du « principe d'inhérence » 69

2) Les chapardages d'eau 70

3) L'appropriation d'un bien public 71

D) Une ressource, deux gestions : le poids de l'héritage huarpe 73

II. UNE GESTION DÉCENTRALISÉE ET PARTICIPATION DE LA GESTION DE L'EAU 74

A) Des acteurs qui interviennent selon l'échelle spatiale à laquelle l'eau est répartie 75

1) Le DGI : la « conduite » 76

2) Les « associations d'usagers » : la « distribution » 77

3) Le cas particulier les « fédérations d'associations d'usagers » 79

4) Les usagers : l' « application » ou l'irrigation 81

B) Une « démocratie de l'eau » fragile 83

C) L'économie de l'eau et l'économie d'eau : faire payer pour moins gaspiller ? 86

D) Le problème de la recapitalisation du système d'irrigation 87

TROISIÈME PARTIE : LE TOURNANT DES ANNÉES 90 ET LE

DÉVELOPPEMENT D'UNE « HYDRAULIQUE INDIVIDUELLE » 92

I. LA RECONVERSION DU VIGNOBLE OASIEN ET L'APPARITION DE

NOUVELLES STRATÉGIES D'IRRIGATION 93

A) Un double contexte favorable à la venue d'investissements vitivinicoles 94

1) Le contexte argentin : le « menemisme » et la « décentralisation compétitive » 94

2) Le contexte mendocin : le « bordonisme » et la construction d'un projet provincial où le territoire devient ressource 96

B) Les acteurs de la reconversion du vignoble 98

1) Des acteurs issus de la mondialisation du vin et de son goût 98

a) Les vignerons 100

b) Les entrepreneurs du vin .102

c) Les « flying winemakers » 102

2) Des «acteurs conquérant » de par leurs stratégies d'irrigation 103

a) L'investissement dans un « capital hydraulique propre » 103

b) L'apparition de stratégies d'irrigation permettant d'optimiser la ressource en eau 106

c) Le recul de la frontière agricole sur le piedmont 109

C) La « napafication » du piedmont, « nouveau coeur de la vitiviniculture

mondiale » ? 111

1) Un rapport pionnier à l'espace : « Il faillait être fou pour s'installer ici car il n'y

avait rien, c'était le désert. Tout ce que tu vois autour de toi, nous l'avons inventé » .111

2) Un espace de projets : la naissance d'une « marge » 113

a) Un désert qui s'arrache à prix d'or .113

b) Le projet de golf-bodega à Tupungato 115

D) Quand l'eau se met à couler vers l'amont : ce qu'il advient de l'aval 116

II. LES TRANSFORMATIONS SOCIO-ÉCONOMIQUES ISSUES DE LA

RECONVERSION DU VIGNOBLE : QUELS « GAGNANTS » POUR

QUELS « PERDANTS » 120

A) Une filière vitivinicole plus complète et plus diversifié qu'auparavant :

la construction d'un « paradigme de la qualité 121

B) Les « gagnants » et les « perdants » de la reconversion du vignoble 123

1) Leur accès à l'eau et à la terre : une histoire de pieds...de vignes .124

a) Des « gagnants » aux pieds sur l'eau 124

b) Des « perdants » aux pieds dans l'eau .125

c) Entre les « gagnants » et les « perdants » : des acteurs aux pieds dans et sur l'eau 127

2) Leur accès à la main d'oeuvre 127

3) Leur accès au marché : quand les standards de qualité deviennent des mécanismes de contrôle de la production au profit des « gagnants » et déterminent l'accès des

« perdants » au marché 129

C) Quelles solutions pour les « perdants » ? 131

1) Imiter pour gagner ? .131

2) S'associer au sein de coopératives ? 132

CONCLUSION 137

GLOSSAIRE 145

BIBLIOGRAPHIE 149

FILMOGRAPHIE 157

SITOGRAPHIE 158

TABLE DES ILLUSTRATIONS 159






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"Les esprits médiocres condamnent d'ordinaire tout ce qui passe leur portée"   François de la Rochefoucauld