Comme nous l'avons vu précédemment, la loi
d'Août 2005 en faveur des PME rassure l'environnement car il promeut
l'accompagnement du cédant auprès du repreneur, et donc diminue
les risques de transfert partiel des informations. La contrepartie est
d'augmenter les risques au niveau de la qualité de la relation
cédant/repreneur. Le nouveau dirigeant va en effet devoir être
plus patient pour mettre en oeuvre ses projets de réforme, tandis que
l'ancien dirigeant va voir son rôle dans l'entreprise s'amenuiser de jour
en jour, et donc les interactions avec le personnel évoluer
profondément.
Le repreneur doit apprendre à poser les bonnes
questions concernant le métier même de l'entreprise, s'il ne
possède pas les connaissances techniques nécessaires. Il doit
préciser clairement aux salariés ou au cédant les points
qu'il souhaite aborder, mais il doit porter attention à ne pas se
dévaloriser, même si cette perpétuelle recherche
d'informations n'est pas évidente pour lui. Ce serait en effet
compliquer sa quête de légitimité et de respect.
Les salariés ne perçoivent pas l'apport d'infos
au nouveau dirigeant comme une contrainte mais comme un service qu'ils
apportent. Ils sont conscients de jouer aussi un rôle au niveau de son
insertion et de sa compréhension de l'entreprise et de son
environnement.
Les personnes clés sont aussi des conseils
indispensables au nouveau dirigeant, qui n'est pas expert dans tous les
domaines de l'entreprise. Ils l'assistent et l'oriente dans la prise de
décision, même si le seul responsable demeure le repreneur. Le
fait d'échanger des informations et des conseils permet d'approfondir la
connaissance de l'autre et d'établir une relation de confiance.
Cette relation de confiance est à l'origine de
salariés-relais, qui disposent souvent du statut cadre, dont le
rôle, le champ de responsabilités et les missions vont être
élargis. Le dirigeant se concentre ainsi sur la stratégie de
l'entreprise et la politique d'investissement à moyen terme. En outre,
il accorde plus de temps aux partenaires externes de l'entreprise, et peut
remettre en cause les contrats de l'entreprise.
Cette démarche a des limites car les
salariés-relais détiennent de cette façon de plus en plus
de pouvoir, de part leur caractère indispensable à la bonne
marche de l'entreprise. Le repreneur doit donc formaliser ses principales
demandes et changements éventuels dans l'organisation, afin que chaque
membre de l'entreprise connaissent précisément les missions de
chacun.
Le cédant, quant à lui, est investit d'une
mission de formation de son successeur : d'après Boussaguet (2006), le
"mentoring" se révèle indispensable à la socialisation du
repreneur. Le cédant dispose en effet des qualités
nécessaires pour constituer un véritable mentor : il est
expérimenté et à un statut important dans l'organisation.
Il va lui faciliter la formation d'un réseau interne à
l'entreprise et externe vis-à-vis des partenaires commerciaux. Mais
humainement les informations ne seront jamais entièrement transmises. Au
repreneur de se faire ses propres idées et opinions, et de
s'auto-former.
On peut donc noter que les salariés, tout comme le
cédant, participent à la définition du rôle du
dirigeant de la part du repreneur.
La majorité des cédants tiennent toujours
autant à l'entreprise pendant la phase d'accompagnement. Il est donc
possible que leur action contredise leur pensée, basée sur la
raison. Ils gardent en effet le contrôle et le pouvoir de décision
sur certaines personnes ou domaines qu'il maîtrise parfaitement. Cette
attitude ambivalente complique la période de transition et donc la
relation cédant/repreneur. Dans ce cas, le départ est d'autant
plus difficile pour le cédant, tandis que le repreneur prend du retard
sur son adaptation au poste et sa légitimité vis-à-vis des
collaborateurs et partenaires de l'entreprise.
Afin d'éviter cette dérive, le repreneur doit
aborder régulièrement le point des projets postdépart du
cédant, et l'accompagner dans son travail de deuil, en positivant,
notamment sur la baisse de responsabilités et de pression à la
suite de son départ.
Cette méthode limite, pour le repreneur, les risques
liés à d'éventuels retards d'intégration et de
déficits de légitimité. Cependant, le cédant voit
son rôle et sa considération diminuer plus rapidement, ce qui peut
provoquer des conflits d'autorité. Il doit être reconnu par tous
en tant que "mentor" du nouveau dirigeant et se sentir valorisé.
Lorsque les salariés connaissent plus
précisément le repreneur, leurs questionnements se tournent vers
l'organisation du transfert des informations et connaissances techniques entre
les deux principaux acteurs de l'opération. Ils sont en droit de penser
que des informations vont être perdues ou déformées avant
d'arriver au repreneur. Dans le même temps, le repreneur doit prendre en
compte le risque que certains stakeholders déforment une partie
des informations pour cacher une réalité des faits qui ne
plaident pas en leur faveur (problèmes
liés à la qualité des produits d'un
fournisseurs, avantages divers perçus par différents
salariés, problèmes financiers de la part d'un client...). Le
cédant lui présentera directement les fournisseurs et clients
principaux, afin de les rassurer au niveau du prolongement ou de
l'évolution de la stratégie, et de la volonté du repreneur
de poursuivre leur collaboration.
Le nouveau dirigeant doit percevoir l'évolution de ses
relations avec l'ensemble des stakeholders, ainsi que son niveau
d'intégration et de leadership dans l'entreprise. Son intégration
est davantage basée sur la personnalité de chacun, tandis que la
détention du pouvoir provient principalement de son niveau de
connaissance et de compréhension de l'entreprise.
Le repreneur doit être conscient qu'il devient un acteur
du territoire. Il doit donc se faire connaître et s'insérer sur le
territoire, et non pas seulement dans l'entreprise.
Après avoir analysé les résultats de
changements mineurs d'ordre psychologique, le repreneur peut lancer des
changements au niveau organisationnel. La différence de
génération et de profil entre l'ancien et le nouveau dirigeant
engendre un type de management différent, moins centralisé. Un
management de type participatif va s'installer, insistant sur l'autonomie des
groupes de travail et la prise d'initiative de chacun. L'écart
dirigeant/collaborateurs est ainsi réduit, ce qui permet de multiplier
les feedbacks de la part des employés sur les décisions et
actions préventives ou correctives mises en place Déléguer
davantage permet de responsabiliser chaque membre de l'entreprise. Ils voient
donc leur champ d'action élargi, ce qui est bien perçu si leur
niveau d'activité reste maîtrisé. Chaque cercle dispose
d'une liberté accrue, ce qui rend le contexte de travail propice
à l'innovation.
Ces changements, touchant directement à
l'identité de l'entreprise, se concrétisent après un
délai que le repreneur trouve souvent trop long. Il devra faire preuve
de patience et d'écoute afin que chacun vive convenablement et assume
leur nouvelle polyvalence.
L'accompagnement des salariés auprès du
dirigeant connaît donc à terme ses limites, à partir du
fait où ils acceptent les changements proposés par le chef
d'entreprise, liés à leurs méthodes de travail ou leur
organisation. Ils acceptent ainsi la politique sociale et organisationnelle
qu'il met en place. Ce dernier va à son tour jouer un rôle
d'accompagnement afin d'aider ses collaborateurs à franchir les
différents obstacles liés aux changements dont il donne
l'impulsion. Il s'impose de ce fait comme "référence", dirigeant
qui influence l'organisation, et qui aide les salariés à
évoluer et s'y adapter.
On peut constater que le contexte est mouvant durant la
période de transition, entre les
changements mis en place à
l'initiative des salariés et du dirigeant. Le nouveau cap fixé
et
l'accroissement des responsabilités et de l'autonomie implique de
mettre ne place un système
de suivi et de contrôle doit être mis en place,
afin d'ajuster ses décisions en fonction des résultats. Celles-ci
dépendent de nombreux facteurs sociaux, dont les informations vont
être rassemblées afin de constituer des tableaux de bord. Il se
donne de cette façon la possibilité de mesurer les
résultats de sa politique sociale, qui est à l'origine du niveau
de compétences des salariés, de leur motivation et de la
qualité du climat social. Comme l'explique Taieb (2006), le tableau de
bord est un outil de pilotage de la Gestion des Ressources Humaines. Rappelons
que la GRH dans une petite entreprise est basée sur le relationnel, la
communication réalisée à propos de ces outils doit donc
être progressive et limitée.
Chaque tableau de bord réalisé permet de calculer
un indicateur social, qui joue trois rôles :
· Informer les salariés, en priorité les
salariés-relais. Le dirigeant entame donc un partage d'information, qui
permet de compenser les multiples informations qu'il reçoit
continuellement de la part des collaborateurs.
· Etablir un diagnostic. Le repreneur compare la valeur
d'un indicateur, avec celle perçue ou calculée en amont de la
reprise.
· Prévoir une action corrective afin d'éviter
d'éventuelles erreurs ou dysfonctionnements.
On peut par exemple citer un tableau calculant la masse
salariale de l'entreprise, menant à la réalisation d'une des
actions suivantes : réduire, stabiliser ou augmenter ce coût. Cet
indicateur suivra la politique de rémunération suivie :
rémunération fixe, variable individuelle (primes sur objectifs et
de résultats) et variable collective (primes, participation,
intéressement). L'objectif est de fidéliser et motiver les
salariés, en particulier à un travail d'initiative menant
à un progrès pour l'entreprise.
Les tableaux fréquemment utilisés concernent
l'étude de l'absentéisme, l'appréciation du personnel
(ayant pour but d'adapter la rémunération de chacun aux
compétences), les effectifs, la formation et le suivi
budgétaire.
Le dirigeant a à sa disposition des informations de
structure (âge, niveau d'études, statut des employés...),
de compétence (formations, diplômes...) et de comportement
(implication et motivation, absentéisme...). Une autre
possibilité consiste à utiliser un référentiel
externe, afin de les comparer avec les entreprises concurrentes
présentes sur le marché, au niveau national, régional ou
local. Fixer un seuil lui permettra d'être averti en cas de
dépassement d'un indicateur.
Le repreneur doit analyser la sensibilité des indicateurs
sociaux afin de savoir dans quelle proportion il peut intervenir. Elle
dépend de trois critères:
· La flexibilité, qui correspond à la
capacité d'un indicateur à répondre à une
sollicitation (Taieb, 2009). Le but est de hiérarchiser les indicateurs
à utiliser en cas de besoin.
· Le coût, afin d'évaluer la
rentabilité de l'action corrective.
· La réactivité, afin de définir
le délai avant d'obtenir les résultats escomptés.
Avant d'entamer une action, les dirigeants de petites
entreprises utilisent parfois le benchmarking, qui consiste à
se baser sur une entreprise-modèle, dont la performance est jugée
meilleure. Cette méthode atteint rapidement ses limites car chaque
petite entreprise et ses salariés disposent d'une histoire et d'un
projet commun, indépendants à tout autre.
Les investissements menés afin de développer le
bien-être et la motivation des collaborateurs doivent dans un premier
temps limiter les pertes de productivité dues à un climat
éventuellement instable et aux changements mis en place par le nouveau
dirigeant. Il sera ensuite à même d'attendre des retours sur
investissements de la politique sociale menée afin de consolider la
santé financière de l'entreprise.
Au moment de son départ définitif, l'ancien
dirigeant bénira cette annonce précoce et le processus suivi, car
il aura mis toutes les chances de son côté pour assurer la
pérennité de l'entreprise et partir en bons termes avec "ses"
salariés. Il n'y aura en effet aucun sentiment de trahison, ni d'avoir
été victimes d'un manque de considération de leur part, ce
qui constitue une situation fréquente aujourd'hui. Les risques
décrits dans la Partie 2 sont donc limités.
Le repreneur aura quant à lui les cartes en main pour
diriger l'entreprise, aux côtés d'une équipe motivée
lui accordant une entière légitimité.