Suite à la phase d'analyse et à une
première évaluation de l'entreprise, le cédant signe une
lettre d'intention avec un repreneur qu'il estime compétent et digne de
diriger l'entreprise à l'avenir. Il avertit les salariés par
e-mail qu'il dispose d'un candidat sérieux à la reprise, et leur
présente les différentes étapes de son arrivée
prochaine dans l'entreprise.
La seconde réunion du processus est organisée
le jour même, dans l'objectif d'établir un premier contact entre
les salariés et le repreneur potentiel, avant toute signature
définitive. Les deux hommes devront véhiculer une image positive
de l'opération en cours et de leur relation de travail. Le dirigeant
rappelle tout d'abord sa décision de céder et la justifie
à nouveau. Il présente le planning de la visite de son
invité et lui passe la parole.
Le discours du repreneur sera centré sur sa
personnalité et ses compétences (valeurs défendues,
expérience, éventuelles connaissances du marché et du
métier...). Le contenu de son projet de reprise ne doit pas être
explicité, afin de travailler exclusivement sur la relation humaine
repreneur/collaborateurs. Certaines questions des salariés peuvent
permettre d'aborder des sujets pertinents quant à l'adéquation
homme - fonction. Le dirigeant leur aura fait remarquer en amont qu'il
relèvera leurs impressions, ressentis, inquiétudes ou
incertitudes lors d'un feed-back organisé dans les jours suivants, avant
de les transmettre au repreneur potentiel. L'ensemble des collaborateurs sont
ainsi au courant du déroulement de l'arrivée du repreneur
potentiel.
Etant donné l'attente qu'il suscite, le candidat
à la reprise peut percevoir une certaine
pression, se sentant sous
les feux des projecteurs. Cette impression doit être minimisée,
dans
la mesure où son arrivée sans annonce
préalable aurait suscité plus d'émoi et de
réactions négatives de la part des employés.
Suite à cette réunion, il va être
amené à visiter les locaux, et se faire présenter les
différents salariés par le dirigeant ou un chef de service.
Ceux-ci lui expliqueront brièvement leur métier. Ce parcours dans
l'entreprise doit être planifié.
Dans cette situation, le cédant peut rencontrer le
risque qu'un ou plusieurs membres de l'entreprise, ou un actionnaire, cherche
à dissuader le potentiel acquéreur lors de sa visite de
l'entreprise. Le cédant doit donc aborder ce point avec son entourage,
en particulier avec ses associés, et, dans certains cas, avec les
personnes clés de l'entreprise, en amont de cette visite du repreneur.
Il prend aussi le risque de voir son interlocuteur prendre une position de
force dans la relation de négociation si ce dernier est globalement
apprécié des salariés, qui souhaitent le voir
intégrer l'entreprise.
La personne invitée approfondira enfin sa connaissance
de l'entreprise grâce à des entretiens individuels avec les
personnes clés de l'entité. Il obtient au terme de ce parcours
une première idée de la répartition réelle du
pouvoir au quotidien, en se focalisant sur les personnes qui interviennent
régulièrement ou coupent la parole à leurs
collègues.
Présenter dans un premier temps un dirigeant potentiel
contribue à rassurer considérablement les collaborateurs dans la
mesure où ils maîtrisent encore leur avenir en compagnie du
dirigeant. L'accueil qu'ils lui réservent est de ce fait apaisé,
et les tensions émotionnelles réduites. Ils attachent ainsi plus
d'attention aux déclarations des intervenants.
Le cédant qui ne divulgue pas cette information
à l'avance souhaite limiter l'inquiétude des salariés.
Mais l'effet est à terme inverse. Lors de l'arrivée du nouveau
dirigeant, ceux-ci ne veulent pas croire à la réalité des
faits, et ne se sentent pas en sécurité, en présence d'un
inconnu qui dispose maintenant d'un pouvoir sur eux et sur leur emploi. Dans ce
cas, le déroulement de l'arrivée est rendu plus compliqué
pour le cédant comme pour le repreneur.
En outre, ils jouent un rôle d'acteurs dans
l'opération en échangeant leur point de vue avec le dirigeant sur
la personnalité du successeur éventuel rencontré,
même si ils ne disposent d'aucun pouvoir sur la décision
finale.
Des retours positifs de leur part renforcent l'opinion du
cédant d'avoir trouvé la personne adaptée à
l'identité de son entreprise. Le repreneur potentiel va recevoir des
feedbacks encourageants, ce qui conforte sa relation de confiance avec le
cédant, et l'encourage à reprendre cette entreprise, dans
laquelle son intégration a toutes les chances de se dérouler
idéalement. La prise de risque de chacun est donc
fortement réduite, notamment concernant la prise de leadership du
repreneur et la phase de départ du cédant.
Des retours nuancés vont permettre au cédant de
rassurer ses collaborateurs en clarifiant certains points et en expliquant son
point de vue lorsqu'il en a la possibilité. Pour les questions restant
en suspens, il doit les transmettre à son interlocuteur lors d'un
entretien, afin de débattre de ces sujets et d'estimer les efforts
consentis par son interlocuteur pour répondre aux incertitudes des
salariés. Il leur redescendra les informations, qui déboucheront
soit sur un soulagement et une satisfaction des salariés, donc une
transmission en bonne voie, soit sur une récurrence des problèmes
et questions, et donc une méfiance confirmée des
salariés.
En cas de problème social dans l'entreprise ou de
tensions naissantes, le repreneur potentiel se rendra sur place afin de
rassurer les équipes en abordant cette fois certains points de son
projet de reprise.
La décision du dirigeant concernant la signature du
protocole d'accord interviendra en connaissance de cause, prenant ou non en
compte l'avis négatif de ses collaborateurs. Elle devra être
rapidement portée à leur connaissance, afin de limiter la
durée de cette période d'incertitude.
La confirmation de l'opération de cession au repreneur
rencontré consolide indiscutablement leur relation, et apporte des
garanties sur la qualité de l'accompagnement du nouveau dirigeant. En
parallèle, cette décision peut malheureusement mener à une
rupture de la relation de confiance cédant/collaborateurs, mais dans
tous les cas moins brutale que dans le cas de l'arrivée du nouveau
dirigeant sans annonce préalable. Nous avons vu que cette rupture est
souvent bénéfique au nouveau dirigeant, au niveau de la
reconnaissance de son statut, donc de sa légitimité. Cette
situation concerne les repreneurs dont la personnalité représente
clairement le changement, source de résistances et d'inquiétudes
de la part des employés les plus expérimentés. La date de
son arrivée devra dans ce cas être spécifiée suite
à la signature de l'acte de vente.
Le fait que le cédant comprenne ses salariés et
refuse de réaliser la transaction avec ce repreneur renforce la relation
de confiance cédant/collaborateurs. Ils ont le sentiment d'avoir
participé à la prise de décision et sont donc confiants
quant à la décision finale du dirigeant de céder à
une personne qu'ils apprécieront. Cette décision provient d'une
prise en compte de différents points de vue et d'un débat
d'idées, qui permet finalement d'éviter une phase de transition
difficile, et une possible défaillance de cette entreprise reprise. Le
cédant abordera de nouveau l'étape de l'étude des profils
des candidats.
Dans le cas où les collaborateurs penchaient pour la
venue de ce repreneur, une décision
positive du cédant
renforcera les relations tripartites au sein de l'entreprise, tandis qu'une
décision négative provoquera une déception,
même si les salariés seront conscients qu'un repreneur au profil
adéquat peut être trouvé.
La lettre d'intention contient en règle
générale une clause d'exclusivité pendant la durée
des négociations. Il est effectivement déconseillé de
réaliser ce processus avec plusieurs candidats, étant
donné que cela oblige les salariés à faire un choix. Les
désaccords se multiplieraient, les choix possibles passant de deux
à trois : préférence pour le premier candidat, pour le
deuxième, ou pour aucun. Les débats engendrés risqueraient
de dépasser le dirigeant, qui doit rester au centre des
préoccupations.
Ce processus proposé aura l'avantage d'éviter
certaines conséquences d'une succession telles que les décrit
Mouline (2000) : "la succession a des répercussions dans l'entreprise
face à des salariés désormais orphelins et
considérant la transmission comme une rupture du contrat psychologique
qui les unissait à l'entreprise." Ce cas peut aussi être
transposé aux partenaires de l'entreprise (clients et fournisseurs), qui
y voit une rupture du partenariat qui les liait au cédant depuis parfois
plusieurs décennies.
Le candidat peut en parallèle demander à
rencontrer certains clients, fournisseurs ou banquiers. Il s'agit d'estimer
plus précisément le leadership du cédant et son pouvoir de
négociation. Le dirigeant ne peut en effet affirmer que tous ses
contacts ont un intérêt stratégique fort. Rencontrer un
client permet d'observer l'attitude du cédant dans une situation de la
vie quotidienne, autre que touchant à une opération aussi
sensible que la vente de l'entreprise qu'il a créée.
Nous devons préciser que dans le cas où
l'annonce de la cession a des répercussions sur le climat social, sur la
productivité des équipes, ou sur les résultats, le
repreneur potentiel va être tenté de discuter le prix durant la
phase de négociation. Le cédant prend donc des risques au niveau
financier, qu'il peut compenser en se rémunérant pour la baisse
des risques et incertitudes du repreneur.
Cette méthode basée sur la transparence et la
confiance va donc provoquer un écart de prix grandissant entre les
premières évaluations de chacune des parties. Le cédant
mène le jeu : il fait un point sur la situation de l'entreprise, et la
valorise au-dessus de l'évaluation de ses conseils. Mais la
clarté que possède son interlocuteur sur l'entreprise lui permet
difficilement de passer outre la mise en avant de plusieurs facteurs qui
impactent négativement sur sa valeur. Le prix de cession n'atteindra pas
celui espéré par le cédant, qui sait désormais que
sa priorité est ailleurs. Le déroulement de la phase
d'arrivée du repreneur est un moment qui va
être difficile à vivre, particulièrement
dans le cas où il est fondateur. Il portera enfin toute son attention
à la phase d'intégration et d'adaptation de son successeur
à son poste, tout en planifiant son départ définitif.