Chapitre 1er : Signification et causes profondes du
trafic des enfants
Le trafic des enfants a pour effet non seulement,
l'exploitation sexuelle des enfants mais également leur utilisation
pour des travaux parfois ignobles.
Une définition plus ample et une identification plus
approfondie de quelques causes profondes nous permettront de mieux
appréhender ou mieux connaître le phénomène du
trafic des enfants.
Section 1 : Significations et manifestations du
trafic des enfants.
Il s'agira ici dans un premier temps de définir le
concept «trafic des enfants«, puis dans un second temps de
décrire les différentes manifestations du
phénomène.
Paragraphe 1 : Signification du
phénomène.
Pour mieux appréhender le phénomène du
trafic des enfants, une appréciation se fera sur le plan juridique que
sociologique.
A/ Approches juridiques du trafic des
enfants.
Il est très difficile de définir le trafic
d'enfants car il renvoie à des réalités très
différentes selon les pays. Traite ou trafic d'enfants constituent deux
termes très semblables.
En effet, depuis l'année 2000, le terme juridiquement
consacré sur le plan international est celui de traite des enfants, et
non celui de trafic. Le débat opposant l'usage en français du mot
« traite » à celui de
« trafic » pour définir et
désigner le problème lié au placement d'enfants à
des fins d'exploitation a donc été tranché, sur le plan du
droit international, par l'élaboration en anglais de deux Protocoles
additionnels à la Convention des Nations- Unies contre la
criminalité transfrontalière4.
4 Convention de Palerme du 15 juin
2000 : l'un, appelé Protocole de Palerme, « visant
à prévenir et punir la traite des personnes, en particulier des
femmes et des enfants » ; l'autre, portant
« sur le trafic illicite de migrants par terre, air et
mer ».
Lors de la traduction en français de ces deux
protocoles, un groupe d'experts internationaux, essentiellement composés
de juristes, a établi une double équivalence entre les termes
« trafficking/traite » (terme
utilisé dans la définition du Protocole de Palerme) et
« smuggling/trafic »
(défini comme le fait de faire passer une frontière à des
migrants de façon illicite ou de les placer en suite dans une situation
d'exploitation). En effet, qu'il n'y a eu aucun consensus sur le terme
"trafic"5.
Les différentes définitions existantes sont
souvent contestées et fortement débattues lors des rencontres et
conférences sur la question de l'exploitation des enfants.
Plusieurs définitions existent au sein des Nations
Unies, de l'Union Européenne, du Bureau International du Travail et
d'autres organisations internationales.
En 1994, l'Assemblée Générale des
Nations-Unies s'est approchée d'une définition globale du
"trafic" comme étant "le mouvement illicite et clandestin de personnes
à travers les frontières nationales et internationales, en grande
partie venant des pays en développement et de quelques pays avec des
économies de transition. Ainsi le but final, est de forcer femmes et
jeunes filles dans des situations d'exploitation sexuelle ou économique
accablantes au bénéfice des recruteurs, trafiquants, aussi bien
que d'autres activités illégales liées au trafic, tels que
le travail domestique forcé, les faux mariages, l'emploi clandestin et
les fausses adoptions.".
Pourtant, d'après l'étude de l'OIT, la
définition est incomplète. Elle n'inclut pas les jeunes
garçons et les hommes qui sont également parfois victimes du
trafic6.
En 1996, le Parlement Européen a défini le
trafic des êtres humains comme: "l'action illégale d'une personne
qui, directement ou indirectement, encourage un citoyen d'un pays tiers
à entrer ou rester dans un autre pays en vue de l'exploiter en utilisant
la duperie ou n'importe quelle autre forme de coercition, en abusant de la
situation vulnérable ou du statut administratif de cette personne".
Une autre définition assez claire est celle
proposée dans le rapport préliminaire préparé pour
le Rapporteur Spécial des Nations Unies sur la Violence contre les
Femmes.
5Terre Des Hommes : Les
petites mains des carrières de pierre, Cotonou, 2005, p. 5.
6Terre Des Hommes : Les
petites mains des carrières de pierre, Cotonou, 2005, p. 6.
Dans le rapport, le mot "trafic des femmes" signifie: "tous
les actes qui sont liés au recrutement et/ou au transport d'une femme
(ou d'une jeune fille) à l'intérieur ou hors des
frontières nationales en vue du travail ou des services au moyen de
violence, d'abus d'autorité ou de position dominante, de servitude pour
dette, de déception ou d'autres formes de
coercition".7
Quant au Bureau International du Travail (BIT), il
définit la traite des enfants comme "le recrutement et le transport
légal ou clandestin d'un enfant - consentant ou non - à travers
une frontière, généralement mais pas toujours
organisés par un intermédiaire: parents, membres de la famille,
enseignants, proxénètes ou autorités locales. A
destination, l'enfant est contraint par la force ou la tromperie à
exécuter certaines tâches dans des conditions d'exploitation."
Dans une autre étude se concentrant sur le trafic des
enfants en Afrique de l'Ouest et du Centre, le trafic désignerait
"l'ensemble du processus et des conditions par lesquelles un enfant est
retiré du champ de la protection et de l'autorité parentales,
pour être considéré comme une valeur marchande à un
moment quelconque de ce processus. Il est ainsi constitué de tout acte
comportant le recrutement, le transport, le recel ou la vente de personnes,
impliquant la tromperie, la contrainte ou la force, la servitude pour dette ou
la fraude, entraînant un déplacement de l'enfant à
l'intérieur ou à l'extérieur d'un pays".
Dans le Protocole additionnel à la Convention relative
aux droits de l'enfant des Nations Unies, portant sur l'implication des enfants
dans les conflits armés ainsi que la vente d'enfants, la prostitution
des enfants et la pornographie mettant en scène des enfants, la vente
d'enfants y est définie comme suit :
« La vente d'enfants s'apparente à tout
acte ou toute transaction faisant intervenir le transfert d'un enfant de toute
personne ou de tout groupe de personnes à une autre personne ou un autre
groupe contre rémunération ou tout autre
avantage».8
7 Rapport préliminaire des
Nations- Unies sur la Violence contre les Femmes, UNICEF décembre 2005,
p. 5.
8 Protocole additionnel à la
Convention relative aux droits de l'enfant des Nations Unies, concernant
l'implication des enfants dans les conflits armés ainsi que la vente
d'enfants, la prostitution des enfants et la pornographie mettant en
scène des enfants, Paris, 2003, p. 22.
Sont reconnus comme infractions le fait d'offrir, de
remettre ou d'accepter un enfant, quel que soit le moyen utilisé, aux
fins d'exploiter l'enfant à des fins sexuelles, de transférer les
organes de l'enfant à titre onéreux ou de soumettre l'enfant au
travail forcé».
Finalement, en prévision des travaux de clôture
de la Commission des Nations Unies sur la Prévention du Crime et la
Justice Criminelle, plusieurs organisations internationales ont proposé
d'inclure certaines normes à ce protocole en particulier celui relatif
au trafic des femmes et des enfants.
Ces organisations suivent de très près les
travaux de la Commission : en effet, ce protocole constituerait le premier et
le seul traité international contenant une définition du trafic
des femmes et des enfants. Ces normes sont extraites d'instruments
internationaux relatifs aux droits humains. Elles ont pour but de
protéger et de promouvoir le respect des droits humains des personnes
qui ont été victimes de trafic, incluant celles qui ont
été assujetties à la servitude, au travail forcé
et/ou à toute pratique comparable à l'esclavage. Ces
organisations proposent également une définition du trafic, des
personnes victimes de trafic et des trafiquants. Elles proposent que les Etats
adoptent une législation conforme aux définitions suivantes :
Le trafic inclut tous les actes et tentatives en vue de
commettre des actes impliquant le recrutement, le transport à
l'intérieur ou au delà des frontières, l'achat, la vente,
le transfert, l'accueil ou l'hébergement d'une personne
§ (a) entraînant l'utilisation de la
déception, la coercition (incluant l'utilisation, la menace ou l'abus
d'autorité) ou la servitude pour dette ;
§ (b) dans le but de placer ou retenir cette personne
dans des conditions de servitude involontaire (domestique, sexuelle), de
travail forcé, ou de situation de quasi esclavage, dans une
communauté différente de celle dans laquelle vit cette
personne. 9
Dans le contexte béninois, il peut signifier le
placement d'un enfant à l'intérieur ou à
l'extérieur du pays qui ne respecte pas toutes les conditions
exigées en la matière par les lois en vigueur au Bénin.
9 Commission des Nations Unies sur
la Prévention du Crime et la Justice Criminelle, Genève, 2004, p.
18.
En principe, « la traite des enfants est le fait
d'aliéner ou tenter d'aliéner soit à titre onéreux,
soit à titre gratuit la personne ou la liberté d'un mineur,
tandis que le trafic des enfants désigne le commerce illicite et
clandestin des mineurs, l'acte de commerce impliquant l'idée de
répétition »10.
Puisqu'il s'agit ici du trafic des enfants, le terme
« enfant » signifie ici « toute
personne âgée de moins de dix-huit (18)
ans»11. C'est un être en
développement. Du fait de son jeune âge (moins de 18 ans), il est
sous la responsabilité des adultes (à qui il doit respect et
soumission) qui finissent par l'embrigader et l'assujettir. Son avis importe
très peu dans les décisions qui, pourtant, le concernent.
En un mot le trafic d'enfants peut être compris comme
étant « tout acte comportant le recrutement, le
déplacement, le détournement, le transport, l'hébergement,
le recel, la mise en gage ou la vente de mineurs et basé sur la
tromperie, la contrainte ou la force, la servitude pour dette ou fraude
entraînant un déplacement de l'enfant à l'intérieur
ou à l'extérieur d'un
pays»12.
De ce qui précède, force est de constater que
le trafic international des enfants, surtout dans le Sud Bénin, n'est
que le résultat d'un certain malaise économique et social. Cela
nous amène à considérer les approches sociologiques du
phénomène en matière du trafic des enfants.
B/ Approches sociologiques du trafic
On entend par trafic suivant une approche sociologique, les
différentes conceptions ou perceptions qu'ont les véritables
intéressés du phénomène du trafic des enfants et
ses implications sociales.
Selon la tradition africaine, l'enfant est
considéré comme une richesse. Il est considéré
comme un don de Dieu et on en prend donc grand soin. Cela se traduit par
l'attachement et la protection dont les parents entourent leurs enfants.
10 E. ADJOVI, Forces et faiblesses de la
législation béninoise en matière de lutte contre le trafic
et la traite de enfants, document dactylographié, page 1.
11Article 2 de la Loi N° 2006-4 du 05 avril
portant conditions de déplacement des mineurs et répression de la
traite d'enfant en République du Bénin.
12 Manuel d'information, d'éducation et de
communication pour la lutte contre les migrations et le trafic des enfants
1ère édition, septembre, 2002, p. 11.
Pour ce faire, soucieux de leur éducation, les parents
prennent parfois l'initiative de confier leurs enfants à d'autres
parents (l'oncle ou la tante de l'enfant), ou, une personne plus nantie et
moins empressée qu'eux, à même de leur assurer un avenir
meilleur.
Cependant, la question est de savoir comment en est-on
arrivé au trafic des enfants ?
En effet, on confiait à un tiers pour en assurer la
garde ou la tutelle : c'est ce qu'on appelait le « placement
d'enfant ». En réalité, il n'y avait rien de
dégradant puisqu'il traduisait d'une certaine façon, la
solidarité légendaire des familles en Afrique.
Mais aujourd'hui, avec le phénomène du trafic
des enfants, ce placement traditionnel a laissé place à un
système avide de main-d'oeuvre infantile qui s'apparente à une
simple livraison de marchandises. Ainsi, la bonne tradition du placement de
l'enfant s'est transformée en un trafic dont l'enfant est l'objet.
En réalité, le placement traditionnel normalise
le départ des enfants dans le contexte du trafic. Concrètement,
les trafiquants profitent de l'existence de cette tradition pour masquer leur
pratique mercantile ou cupide.
Mais ce qui facilite avant tout ce phénomène
semble être la pauvreté. Car l'enfant devient comme une charge
pour ses parents qui, face aux difficultés quotidiennes de la vie,
l'envoient très tôt sur le marché du travail afin qu'il
devienne une source de revenus. A partir de là, on peut dire que,
sociologiquement, le trafic d'enfant est une migration temporaire qui va
générer une promotion économique et sociale pour l'enfant
et sa famille.
Somme toute, on peut comprendre le trafic des enfants comme
étant une transaction illégale, mettant en présence
plusieurs acteurs à savoir : les entremetteurs locaux ou
étrangers et les parents de l'enfant. Il repose sur des réseaux
villageois ethniques, familiaux et professionnels. L'enfant apparaît
comme une marchandise ou un article d'échange. Ce trafic est rendu
possible grâce à la perméabilité des
frontières, aux conditions de vie difficiles des régions
pourvoyeuses d'enfants.
Comment se manifeste donc ce phénomène ?
|