Des réponses aux invasions du commerce de rue Les
camelots, une priorité dès les années 80
Apparition des premiers camelódromos à Rio de
Janeiro
Vers le milieu des années 70, le commerce de rue prend
des proportions telles, que la ville de Rio se voit dans l'obligation de
prendre des mesure draconiennes. Commence alors une grande opération de
répression qui vise à déloger les camelots de la rue,
exactement suivant le même processus évoqué pour les
favelas. L'absurdité d'une telle mesure étant donné la
quantité de travailleurs sans emplois qu'elle génère,
force les autorités a revoir leurs positions. Ils imaginent alors
légaliser le commerce de rue.
C'est à partir de 1984 que l'on peut lire dans les
journaux des articles annonçant les mesures prises par le maire Marcelo
Alencar, pour résoudre le problème du commerce ambulant, sans
supprimer les emplois ou du moins en tentant de le minimiser. L'idée
était alors de déterminer des points dans la
31 Goirand Camille, La politique des favelas, Edition
Karthala, 2000, p.96
N
Figure 7
Les dix camelodromos projetés par le maire Cesar Maia (en
rouge).
En vert sont signalés les camelodromos qui n'ont fait
qu'une brève apparition
ville dans lesquels les camelots de Rio pourraient exercer en
toute légalité. En contre partie il fallait que le camelot aille
s'enregistrer à la Prefeitura ou dans un des points spéci~
és suivant la zone où le camelot désirait exercer. Il se
voyait alors attribuer un emplacement, et en échange devait payer une
taxe. Le principe de camelódromo voyait ainsi le jour dans la ville de
Rio32.
A cette époque-là, les camelódromos ne
présentaient rien de pérenne, et les petits étals des
camelots étaient montés chaque matin et démontés
chaque soir.
Selon les médias, la nouvelle de créer ce genre
de centre fut très bien accueillie par les vendeurs ambulants qui se
précipitèrent dans les points d'enregistrement. Dix «
centres de commerces populaires » furent déterminés sur Rio,
centre et quartiers de banlieue confondus (le mercado da Uruguaiana n'y ~
gurait pas encore). Dès le départ on constata des
déséquilibres. Alors que les emplacements en centre ville
étaient pris d'assaut, d'autres en périphérie ne
semblaient pas présenter un grand intérêt. Un certain
nombre de règles furent mises en place, visant à
rééquilibrer la répartition, notamment en attribuant un
emplacement en fonction du lieu de résidence du camelot. Cependant, les
camelódromos de banlieue, étaient désertés, mis
à part quelques uns comme à Madureira, l'un des quartiers le
mieux développé de la banlieue nord de Rio. Ainsi le centre de
Rio restait bondé car une fois les camelódromos pleins, les
camelots préféraient tenter les rues du centre plutôt que
les emplacements légaux qu'on leur avait réservé. La
raison était bien-sûr l'absence de clients, en e et, les
camelódromos avaient été placés dans des espaces
vides et bon nombre d'entre eux étaient très peu
fréquentés.
32 Ces informations sont valables concernant la ville de Rio
uniquement. En effet, il existe de nombreux camelodromos dans tout le
brésil et il n'est pas dit qu'ils soient apparus au par avant.
Un autre problème qui fut mis en évidence
également était lors de l'enregistrement. Il fallait justi~ er
d'un lieu de résidence à Rio, ce qui s'est avéré un
critère éliminatoire pour une partie des postulants, venant des
villes voisines qui avaient l'habitude de venir vendre sur Rio (Duques de
Caxias, Nilópolis, Nova Iguaçu) et bien-sûr les sans abris,
qui constituent une part non négligeable de ce type de travailleurs.
Le détail amusant, re~ et de l'ingérence de la
Prefeitura face à la situation des vendeurs ambulants est le nombre de
camelódromos programmés qui diminue jour après jour.
Après en avoir plani~ é dix, en janvier 1984, puis 7 en
février et en n 6 en aout de la même année, les
médias ne se concentrent plus qu'à ne parler que d'un seul, le
camelódromo de la praça XI.
L'expérience de la Praça XI
Dès la création des premiers
camelódromos, il en est un qui fut baptisé experiencia
piloto (expérience pilote). Il s'agissait de celui de la
Praça XI (Place XI). En e et, la Prefeitura plaçait tous ses
espoirs dans ce camelódromo étant donné sa localisation
dans le centre de Rio (située dans la zone appelée Rue des
Santana et ses adjacentes sur la carte p...). Elle proposait un centre de 250
baraques, pour lesquelles avait été prévue l'implantation
de toilettes destinées à la fois aux acheteurs et aux vendeurs.
Avec ces aménagements, la Prefeitura espérait créer un
réel centre de vente, qui présentait des prestations di
érentes du simple étalage de rue devant lesquelles les passant ne
s'arrêtent pas.
Cela dit, légèrement à l'écart du
coeur du centre il a lui aussi sou ert de ce manque de clients dont avait
déjà pâti les camelódromos des autres zones.
Malgré tout, la Prefeitura n'en démordait pas, convaincue du
potentiel de le Praça XI et persuadée qu'une solution
était possible. En aout 1984 elle décida de modi~ er le parcours
de certaines lignes de bus, du vendredi au dimanche, pour amener l'arrêt
~ nal à la Praça XI. D'autres initiatives furent prises par la
suite, telles que tour à tour l'installation d'un parc d'attraction, la
mise en place de deux scènes pour accueillir des spectacles en ~ n de
semaine, et la création d'une crèche destinée aux enfants
des camelots. Mais alors que la Prefeitura tentait d'attirer plus de camelots
en augmentant la capacité d'accueil du centre populaire de commerce,
rien n'y faisait, clients et camelots se désintéressèrent
peu à peu, et en septembre seulement 100 des 800 emplacements
étaient occupés.
Un autre problème n'a pas tardé à surgir.
À peine 3 mois après son inauguration, de nombreux échau~
ements commencèrent à éclater entre les camelots eux
mêmes, qui ne parvenait pas à dé nir une hiérarchie
au sein du camelódromo. En venant vite aux mains, ces derniers ne
tardaient pas à se faire séparer et embarquer par la police. Il
va de soi que les clients mis au courant par la presse ou assistant aux
événements se faisaient de plus en plus rare, ce qui aggravait le
problème général.
En novembre 1984 on pouvait déjà lire que le
maire reconnaissait l'échec de ce camelódromo, mais qu'il
l'attribuait « aux propres camelots qui n'ont pas souhaité
occuper la zone »33. Les camelots ne quittèrent
cependant pas immédiatement la place, continuant leur commerce sur un
lieu petit à petit à
33 Auteur inconnu (6 novembre 1984) « Trabalho come
çara segunda-feira em 180 de Central do Brasil »,
Globo
l'abandon. En février 1985 les 14 000 m2 de
la Praça XI comptaient 4 baraques... Pour information, le sujet de
l'article qui contenait cette déclaration était sur l'ouverture
d'un nouveau camelódromo à Central do Brasil, un terminal de bus,
trains et métros. Aujourd'hui ce camelódromo est en plein
développement, en voie d'atteindre le niveau de celui de la rue
Uruguaiana. Il aurait été très intéressant de
l'étudier plus dans le détail, car son évolution a eu lieu
très récemment, au début de 2008, et la
métamorphose est réellement impressionnante.
Naissance du Mercado Popular da rua Uruguaiana
La réalisation de cette partie relève d'un tout
autre ordre, les faits étant encore trop récents pour avoir fait
l'objet d'écrits ou d'études, hormis de la part d'un
étudiant en géographie qui a réalisé une recherche
sur la notion de territoire à partir de l'exemple
d'Uruguaiana34. J'avais également à ma disposition des
coupures de presse, cela dit je n'ai pu obtenir aux archives du Globo aucun
article datant de l'époque de la création du marché (1
993-94), ce qui est assez étonnant. La première fois que l'on
rencontre l'idée de créer un camelódromo dans la rue
Uruguaiana, c'est en 198435, alors que le maire Marcelo Alencar
ré échissait à un transfert des camelots de la
Praça XI vers une zone plus fréquentée. Le projet attendit
donc dix ans a n de voir le jour. Après un grand silence le
Camelódromo refait parler de lui en 199936, au sujet de son
absence de contrôle.
Il a donc fallu aller à la rencontre des acteurs, fort
heureusement en vie pour la plupart d'entre eux. J'ai eu la chance de
rencontrer deux personnages importants; tout d'abord Roberto Anderson, un
employé de la Prefeitura, qui a activement participé au projet du
Camelódromo da Uruguaiana, et ensuite un ingénieur du
métro, qui était à la tête du projet des di
érentes lignes (au nombre de deux actuellement), connu par tous sous le
nom de Sydney, et que nous appellerons donc ainsi. Ces deux interlocuteurs
n'ont pas hésité à me consacrer
généreusement de leur temps pour me donner des informations, des
images, tout cela bien sûr dans la limite des possibilités admises
par la désinvolture Carioca (je me souviens d'un rendez vous que m'avait
~ xé Sydney après notre entretien, a n d'aller fouiller dans les
archives pour trouver des photographies de l'époque des travaux de la
station de métro Uruguaiana. Malgré les clichés promis, le
résultat fut assez limité car nous avons passé
l'après midi à essayer quelques centaines de clés
stockées dans une boîte de chaussure a n d'ouvrir des tiroirs, qui
pour la plupart nous ont résisté).
34 da Silveira Silva Marcelus, Os camelôs e o mercado
popular da ru Uruguaiana: o ordenamento territorial na area central do Rio de
Janeiro, Niteroi (RJ), Thèse de doctorat de géographie
à l'Universidade federal Fluminense, 2002
35 Auteur inconnu (25 juillet 1984), Globo, Anexe 4
36 Werneck Antônio (20 juin 1999) « O mercado sem
lei da Uruguaiana », Globo, primeiro caderno, p.12
Quelques informations nécessaires...
A ce stade, il est important de préciser quelle est
l'organisation hiérarchique des pouvoirs politiques au Brésil, a
n de comprendre le contexte de l'apparition du Camelódromo da Uruguaiana
et l'état de confusion dans lequel il s'est trouvé dès sa
création:
Depuis le retour à la démocratie en 1983, on
trouve à la tête du pays un président, élu par voies
directes. Le Brésil est divisé en 26 états dont sont
responsables des gouverneurs. Dans les états on rencontre en n des
villes gérées par les maires. Sous les maires nous avons
également les vereadores qui sont des sortes de chefs de quartiers, leur
nombre varie suivant la taille du quartier. Ils sont tous a liés
à des partis qui viennent prendre place au conseil municipal. Faire ces
transferts vers la logique française reste di cile. En e et,
étant donné l'échelle des villes et des quartiers on a
parfois tendance à vouloir faire une analogie entre les vereadores et
nos maires, tous comme le maire brésilien et nos préfets
(d'autant que le mot porte à confusion, on parle du prefeito
pour parler du maire). C'est pour cette raison par exemple que je ne traduirai
jamais le terme de Prefeitura ni par celui de mairie ni par celui de
préfecture, étant donné qu'ils font
référence à un fonctionnement français, di
érent du schéma brésilien.
Cesar Maia contre Brizola: naissance du camelódromo da
Uruguaiana
Depuis l'échec du camelódromo de la Praça
XI, le problème des camelots resta en suspens durant plusieurs
années, et ces derniers recommencèrent à s'installer dans
les rues. Entre 1985 et 1992/93, la situation s'aggrava fortement. Dans
certaines rues le simple passage devenait impossible. La rue Uruguaiana
était l'une des plus touchées au coude à coude avec entre
autres l'avenue Rio Branco et l'avenue Nossa Senhora de Copacabana. Comme le
montre la carte la ci-contre une grande quantité des rues du Centro
étaient envahies. En 1993 Cesar Maia fut élu maire
(Prefeito) de la ville de Rio et il se lança dans une politique
baptisée Ordem Urbana (ordre urbain), qui visait à
enlever les camelots des rues. Ce fut ainsi le retour à une
période de forte répression, et la garde municipale s'attelait
à déloger les camelots des rues, une à une.
A la tête de l'état de Rio se trouvait le
gouverneur Leonel de Moura Brizola, déjà connu pour ses
nombreuses réformes sociales37. Ce dernier était
très opposé aux mesures prises par Cesar Maia, ce qui fut
à l'origine de nombreuses altercations entre police militaire (au
service de l'état) et garde municipale (au service de la ville). Alors
que la garde venait déloger les vendeurs ambulants, la police militaire
s'y opposait, créant une bataille où régnait la plus
grande confusion.
37 Pour n'en citer qu'une, les cariocas lui doivent la
réalisation de 180 CIEPs (Centre Intégral d'Education Publique).
Il s'agissait d'écoles publiques dont l'ambition allait bien
au-delà du simple enseignement. Souvent accompagnés de complexes
sportifs pour les loisirs accessibles en dehors des heures des classes,
d'activités culturelles, les
CIEP offraient également des repas, traitements
médicaux et dentaires. Ces bâtiments à l'architecture
marquante, dessinés par Niemeyer portent le surnom affectueux de
Brizolão.
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Figure 8
Les zones envahies par les camelots en 1993 N
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Solto na Cidade - Uruguaiana
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Figure 9
Les zones occupées par les camelots en 1998
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« Bon, le gouverneur avait une politique un peu comme
ça, dite populiste. Il gagnait beaucoup de votes des pauvres, disait que
tout allait bien, que les camelots étaient des travailleurs. Il ne
voyait pas que la quantité de camelots dans la rue était
très grande, et nuisait au commerce. »
(Roberto Anderson Magalhaes - Prefeitura- Entretien
réalisé en septembre 2008).
« Ce qui se passe ici, au Brésil, c'est que nous
avons certains politiques qui veulent être populaires. L'un d'eux
s'appelait Leonel de Moura Brizola. Ce Leonel Brizola pour faire... Tu vois
c'est comme quand ils laissent se développer les favelas. Ils laissent
aussi les camelots faire ce qu'ils veulent. Alors il a décidé de
promouvoir, et pas que dans cette zone, l'invasion de certains espaces par les
camelots. »
(Sydney - Rio Trilhos - Entretien réalisé en
décembre 2007)
Il est bon de savoir que, malgré le caractère
informel de ce type de commerce, il y a en réalité toute une
organisation sous-entendue. Dans les rues les plus fréquentées,
une hiérarchie se crée; une sorte de structure interne avec un
système de protection, d'autorisation et d'utilisation de l'espace.
Généralement, une personne ou un groupe de personnes se
déclare propriétaire de la rue et met en place un système
de « taxe » décidant du droit des camelots d'y installer leurs
stands ou non.
Les frères Rapetou
Un des points principaux était la Rue Uruguaiana. Il y
avait une quantité énorme de camelots, gérés par un
groupe de trois hommes, appelés « les frères Rapetous
», qui récupéraient l'argent des camelots de la rue. En
1994, la Prefeitura décida qu'il était de temps de s'occuper du
cas de la rue Uruguaiana, et commença à la vider, ce qui
fût à l'origine d'une série d'a~ rontements entre police
militaire, garde municipale, camelots, et l'élite intellectuelle de
gauche qui venait régulièrement s'interférer au milieu de
la confusion. Le groupe des frères Rapetous, responsables o cieux de la
rue devint ainsi l'intermédiaire direct entre vendeurs ambulants et
forces de l'ordre. Ils réussirent à ouvrir une porte de
négociation avec le gouverneur, qui les appuyait, et obtinrent ainsi
quatre espaces vides qui faisaient l'angle entre la rue Uruguaiana et l'avenue
Presidente Vargas. Il s'agissait de terrains, propriétés de
l'état, dont les bâtiment avaient étés
détruits lors des travaux de la création du métro, dans le
cas présent pour la station Uruguaiana.
« Ce sont des vides qu'on a dû faire dans la ville,
non pas parce qu'on avait besoin de la zone où on créait la
station de métro, mais parce qu'on avait besoin d'espace autour pour
pouvoir mettre des bungalows de chantier, où on mettait les machines,
où on gardait le matériel, et après dans le cas
d'Uruguaiana, c'est resté vide. »
(Sydney - Rio Trilhos - Entretien réalisé en
décembre 2007)
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Solto na Cidade - Uruguaiana
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Axonométrie centrée sur l'avenue Presidente
Vargas et la rue Uruguaiana. On peut observer alors les ilots qui n'avaient pas
encore été détruits par les travaux du métro.
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Les vides laissés en 1974, après les travaux de la
station de
métro Uruguaiana
A chaque fois qu'une station de métro est
créée, une fois terminée on trouve un vide de ce type. Le
détail étonnant est qu'il existe une loi qui y interdit toute
construction de projet privé (comme des centres commerciaux, complexes
de loisirs etc). L'espace est réservé à des projets
d'intérêt public comme des crèches,
écoles...38 Ainsi cela explique pourquoi les vides
créés par le métro perdurent. La plupart du temps ils sont
occupés par des vendeurs de rue, qui les occupent de manière plus
ou moins légale suivant les cas.
Cet espace servait à ce moment là de zone de
stationnement, sous le contrôle de la CODERTE39, mais il
était déjà fortement convoité étant
donné sa grande valeur due à sa localisation, en plein centre
ville. Pour la première fois les camelots n'allaient pas se retrouver
dans une zone isolée comme ce fut le cas de nombreuses fois lors des
tentatives de camelódromos antérieures.
Quatre jours pour s'organiser
« Alors le maire a dit « Bon, ben super, nous allons
donc organiser l'arrivée des camelots là ».Et tout a
été fait dans la précipitation, parce qu'on avait un
délai très court... ça c'est passé un jeudi, et les
camelots allaient arriver le lundi. C'étaient 4 terrains, nous avons
tous commencé à travailler, nous, architectes, sous-prefet, les
administrateurs régionaux, nos amis, la famille, tout le monde est
allé sur le sol pour peindre, démarquer... »
(Roberto Anderson - Prefeitura- Entretien réalisé
en septembre 2008)
Comme le sous entend la citation ci-dessus, la plani~ cation
du Camelódromo s'est faite de façon très sommaire.
Étant donné le délai imparti il a fallu passer à
l'action le plus rapidement possible. Malgré cela un plan fut
dessiné par le sous-préfet de l'époque, un architecte
urbaniste nommé Augusto Ivã. La répartition des camelots
fut on ne peut plus arbitraire. En e et, chaque espace fût
numéroté et les camelots durent se présenter dans le CIEP
de la Praça XI où un emplacement leur fut décerné
par tirage au sort. Ainsi il n'y eu volontairement aucune logique lors de la
plani~ cation à part quelques exceptions.
Tout d'abord comme le but était de créer un lieu
de commerce, Augusto Ivã a souhaité reproduire certains
détails de typologie spatiale que l'on trouve dans les shopping-centers
à savoir la « Place de l'alimentation ». Au Brésil dans
les centres commerciaux on trouve toujours un lieu appelé « Place
de l'alimentation », dans lequel sont réunis les restaurants,
buvettes, fast food etc. C'est pour cette raison que les vendeurs de sandwichs,
boissons et nourriture en tout genre se sont tous retrouvés dans une
même zone. Quelque soient les autres types de marchandises vendu, il n'y
a pas eu d'autre stratégie de répartition, à part pour les
Frères Rapetou à qui l'on avait réservé les
emplacements jugés meilleurs dans les quadras A et D (nous expliquerons
dans la partie suivante cette logique de fonctionnement par quadras).
38 Il s'agit de la loi n° 1.458 du 4 octobre 1986
39 Companhia de Desenvolvimento Rodoviário e Terminais do
Estado do Rio de Janeiro (Compagnie de développement des gares
routières et terminaux de l'État de Rio de Janeiro)
Plan du Mercaddo Popular da Uruguaiana dessiné par Augusto
Ivã en 1994
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N
La contribution de la Prefeitura résida
également dans la réalisation de quelques équipements tels
que des locaux de réunion, dans le but d'accueillir et de
reconnaître une potentielle association, ou un ensemble de responsables
du camelódromo. Des toilettes furent également
réalisées, ainsi que la mise en place d'une sorte
d'emblème sur un mur surplombant le camelódromo, annonçant
Mercado popular da U ruguaiana, « pour tenter de créer
l'illusion que c'était quelque chose de plus ou moins o ciel
»40. Par ce symbole le Mercado popular serait reconnu et
inclus dans la ville formelle. En n deux locaux clos, d'une trentaine de
mètres carrés chacun furent créés a n de servir de
dépôt pour le matériel.
40 Termes utilisés par Roberto Anderson Magalhães
lors de notre entretien en septembre 2008.
Quelques règles de fonctionnement furent
établies. Tout d'abord chaque camelot n'avait droit qu'à un seul
emplacement, qu'il louait, versant une taxe mensuelle à la Prefeitura.
De plus, ce Camelódromo devait être un espace de transition pour
les personnes les plus démunies, à savoir essentiellement les
chômeurs sans aucun revenu, à la charge de familles, etc. Cette
décision n'avait pas été imaginée
spécialement pour le Camelódromo. En e et, en 1992, face à
une forte croissance du commerce de rue, la chambre des vereadores
avait établi ce qui devait dé nir la classe des vendeurs
ambulants, a n de limiter la légalisation de cette profession à
une catégories de travailleurs en grande di culté. « Les
personnes habilitées sont déf nies par trois groupes: les
handicapés, ceux qui exerçaient déjà la dite
activité avant la promulgation de la loi, et les individus identif
és en situation précaire. Cette dernière catégorie
inclut toutes les personnes âgées de plus de 45 ans et
également les chômeurs qui comptent un temps d'inactivité
ininterrompu de plus d'un an, ainsi que les sortants du système
pénitencier »41
On a donc tendance à cataloguer le camelot comme un
marginal, en bordure du système dont les revenus servent à peine
à assurer la survie. C'est la réalité de certains, mais
comme nous le verrons plus amplement par la suite, les camelots peuvent
également correspondre à un tout autre type. Ainsi, l'objectif du
Camelódromo était de donner l'occasion aux plus démunis
d'obtenir un minimum d'argent à travers le commerce de rue en toute
légalité. Une fois remis à ~ ot le camelot devait quitter
le lieu se servant du tremplin o ert par le Camelódromo pour avoir une
réelle activité inscrite dans le système formel. Une place
se libérait alors et la Prefeitura pouvait la proposer à une
autre personne dans le besoin. Il est bien évident que rien ne s'est
produit de cette façon.
« Mais il y a eu beaucoup de problèmes, avec la
garde municipale, la police... Et ce qui s'est passé, c'est que ces
quatre quadras, certains disent qu'elles appartiennentt au métro, et
d'autres après ont dit qu'elles appartenaient à la Prefeitura, et
avec cette bagarre, ils ont foutu les camelots là dedans et ça a
fait le Camelódromo. »
(Evaldo - ex-agent de sécurité du
camelódromo- Entretien réalisé en octobre 2008)
Là ou réside la première
ambiguïté est dans le fait que le terrain, propriété
de l'Etat s'est vu attribué aux camelots par la Prefeitura. Cette
dernière s'est occupée de l'organisation mais entre ces deux
responsables, chacun se renvoie la balle quant à la gestion quotidienne
du lieu. Selon Roberto Anderson la taxe de droit d'occupation de l'emplacement
que les camelots doivent payer à la Prefeitura fut payée
uniquement la première année42. C'est ainsi que petit
à petit les camelots se retrouvèrent en quelque sorte seuls
maîtres à bord.
41 Extrait de la loi 1876/92 établie le 29 juillet
1992, citée dans la thèse de Silveira Marcelus Silva, Os
camelôs e o mercado popular da ru Uruguaiana: o ordenamento territorial
na area central do Rio de Janeiro, Niteroi (RJ), Thèse de doctorat
de Géographie de l'Universidade Federal Fluminense, 2002, p.82
42 Déclaration faite lors de notre entretien en septembre
2008.
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