I. Comment est apparu le Camelódromo da
Uruguaiana?
Depuis le vieux continent nous parviennent de Rio des images
variées. Entre les plages, le carnaval mondialement connus et les
favelas et leur violence dont les médias nous font part de temps
à autre, cette ville nous montre di érents visages dont les
compatibilités nous semblent parfois déroutantes. Même si
ces représentations sont des caricatures de la ville, laissant sous
silence une multitude de facettes de la vie carioca, elles n'en sont pas
fausses pour autant. Malgré son statut de première puissance
économique d'Amérique Latine1 , le Brésil est
un pays ou les inégalités sociales sont les plus
importantes2, Rio ne faisant pas exception. Une majorité de
la population vit dans la favela, et l'écart se creuse entre une petite
élite et la majorité de la population aux faibles revenus,
laissant entre elles une petite place aux classes moyennes, en minorité
face aux plus démunis.
C'est pourcette raison quese développent
parallèlementdeux industries,quecohabitentquotidiennement deux mondes.
D'un coté l'univers formel, inclu dans le système capitaliste
mondial, dont la population a rejoint un modèle occidental du
premier monde, et se cloitre dans des condominios3, a
n de se protéger du second qui peuple les favelas et gagne sa vie par
les métiers de l'informel ou à la rigueur occupe le premier
niveau de l'échelle du monde du travail. Les di érences ne sont
pas qu'économiques, deux cultures se développent
parallèlement, sur le plan du mode de vie, des productions artistiques,
etc.
Il arrive cependant que ces populations se mélangent de
façon temporaire, autour d'une roda de Samba, ou encore le
samedi soir des jeunes des classes aisées partent se mêler aux
habitants des favelas pour participer à un baile de
funk ou de pagode. Car en e et, si ce milieu est craint, il
fascine également. La favela, réputée pour sa
dureté de vie, accompagnée d'une forte cohésion devient
source de folklore et de fantasmes romantico-sociaux. Cela s'exprime par
exemple par le développement du tourisme au sein des favelas (favela
tour4 pour n'en citer qu'un), ou encore le succès
international de ~ lms tels que la Cité de Dieu, ou plus
récemment Troupe d'élite (qui a remporté un ourson d'or
à Berlin). Sans nul doute Rio est l'emblème à juste titre
d'une cohabitation sociale et culturelle impressionnante...
1 Burleigh Marc (9 octobre 2008) « L'Amérique
Latine injecte des milliards pour affronter la crise fi nancière
», Le point, Rubrique économie.
2 D'après une étude de l'ONU effectuée
par Judith Morrison en 2007, 59% de la population vit en dessous du seuil de
pauvreté, mais leur participation à l'économie ne
représente que 20 % du PIB. Le Brésil se retrouve au rang de 2e
pays aux inégalités sociales les plus élevées,
derrière la Colombie.
3 Le condomino est le nom brésilien donné aux gated
communities, ces lieux de résidence fermés et surveillés,
desquels, idéalement on ne sort jamais car tout y est déjà
réuni (services, loisirs...).
4 Il s'agit d'un organisme qui propose aux touristes de les
emmener visiter les favelas cariocas et leur faire découvrir les coins
typiques de la vie dans la communauté à bord de bus
climatisés. Toutes les informations sur http://www.
favelatour.com.br/
19
Centro - Arrivée sur le Largo da Carioca
La Cohabitation avec l'informel dans le Centro à Rio
de Janeiro Si tu vas au Centro...
La ville de Rio est composée de nombreux quartiers aux
caractéristiques di érentes, aussi bien sur le plan de
l'architecture que celui de l'usage du rythme de vie... Celui sur lequel nous
allons nous pencher au cours de ce mémoire, celui dans lequel se situe
le Camelódromo de la rue Uruguaiana est le quartier nommé Centro,
où littéralement le centre.
Centro - Rio de Janeiro : A huit heures du matin, un soleil
déjà chaud fait briller le verre teinté des gratte-ciels
et illumine de grands panneaux publicitaires aux couleurs des banques et des
compagnies téléphoniques. Les costumes complets, tailleurs et
attachés-case s'agitent, créant des ~ ux à travers les
rues pour se diriger vers les hauts buildings sécurisés et
emprunter des ascenseurs dans lesquels un homme passera sa journée
à demander « quel étage? ». Les avenues sont
rythmées par les allées et venues de la société
active brésilienne. A milieu de ce ~ ux, de nombreuses
interférences. Sur les trottoirs de pierres portugaises, des petits
vendeurs de sucreries, de logiciels et ~ lms piratés ou de repas sur le
pouce, des hommes sandwichs qui proposent de débloquer des portables, de
racheter des bijoux ou encore de gagner de l'argent rapidement par de
mystérieux moyens, constituent toute une série d'obstacles
mouvants. Et ce n'est pas parce que tout ce petit monde travaille qu'il ne sait
pas se détendre. À la sortie du bureau, on pro te de la ~ n de
journée pour aller boire une bière à une terrasse de
café ou dans un boteco5 suivant la
préférence. Pour ceux qui habitent loin se sera un caldo de
cana6 acheté en route avec un pastel de
queijo7 pris à coté du parc de Santana avant de
monter dans un train à Central direction Madureira, Bangu...
Quelques heures plus tard le schéma est tout autre.
Tailleurs et attachés-case sont déjà repartis en bus,
train ou voiture pour retrouver leur chez-eux, laissant le terrain libre
à l'obscurité8. Restaurants et bars ne tardent pas
à fermer: pour se divertir mieux vaut aller à Botafogo, Ipanema
ou Gàvea (quartiers de Rio). Les lumières des bureaux
allumées 24h/24 et des hôtels viennent dessiner une nouvelle
architecture ~ gée à la lumière vaporeuse et prismatique;
celle d'un quartier dont toute vie nocturne ne sort pas de ces bâtiments
climatisés, et où seul quelques rares voitures circulent. Et
alors que les rues du Centro paraissent s'endormir, une nouvelle vie commence.
Des ombres furtives se regroupent, et réunissent des cartons-matelas a n
de créer des dortoirs collectifs. Des groupes d'enfants trottinent. Ce
soir c'est l'anniversaire de Sandro qui, une fois n'est pas coutume, descendra
de son kiosque à journaux pour rejoindre d'autres enfants. Ils ont
acheté un
5 Petit bar à l'ambiance populaire et chaleureuse.
6 Jus de sucre de canne - Boissons fréquemment vendue par
les camelots qui se promènent avec un stock de canne à sucre
qu'ils broient à l'aide d'une machine sous les yeux du client.
7 Le pastel est une sorte de chausson frit à la pâte
fi ne et garni dans le cas présent de fromage (queijo). Par souci
d'honnêteté je tiens à dénoncer l'arnaque du pastel:
ce dernier, généreusement gonfl é est en
réalité trompeur, et dès la première bouchée
on se rend compte de la rareté de la garniture.
8 Etant proche de l'équateur, le soleil se couhe avant 19h
été comme hiver. Centro - La rue Uruguaiana
menu à Bob's et se le partageront en cette
soirée spéciale9. Des familles se regroupent pour
dormir pendant que d'autres armées de savons partent à la
fontaine de Candelària pour y prendre un bain. Mais pendant que certains
dorment, d'autres surveillent les lieux, et les travailleurs commencent
à s'activer. Ils arrivent avec leurs charrettes dans lesquelles ils ont
rassemblés les sacs d'ordures accumulés autours des poubelles
durant la journée. Par dizaines ils viennent étaler ces
déchets, fermant la rue, et réalisant une muraille de
déchets qui parfois dépasse le mètre de hauteur. Commence
alors un tri intensif. Nos collecteurs entament l'ascension du monticule
à la recherche d'un quelconque matériau qui pourra être
revendu et rapporter ainsi quelques Reais. Après des heures de travail,
tout sera nettoyé et remis à sa poubelle d'origine. Demain matin
tailleurs et attachés-case noteront à peine le passage de ces
communautés, si ce n'est en esquivant sur leur passage quelques dormeurs
tardifs...
Étant donné le caractère fonctionnel de
centre d'a~ aires, le rythme du quartier est dicté par cet aspect
mono-usager, à savoir qu'en dehors des horaires de bureau il est
totalement à l'abandon, vidé de ses travailleurs. Aucun bar,
aucun restaurant d'ouvert et il est fortement déconseillé d'y
faire des promenades de plaisance en dehors des horaires de
fréquentation.
Ce lieu est à la fois celui des grandes puissances
économiques de la ville, et celui du marginal et de l'informel par
excellence, celui où suivant les heures les lois ne sont plus du tout
les mêmes. Ainsi, nous allons voir quelles sont les raisons qui ont fait
que le centre est aujourd'hui un lieu de la ville aussi ambivalent, et ainsi
dans quel contexte est apparu le Camelódromo de la rue Uruguaiana
9 Petit clin d'oeil au fi lm Onibus 174 de José
Padilha, où des enfants décrivent la soirée d'anniversaire
de Sandro, qui quelques années plus tard sera l'auteur d'une
célèbre prise d'otage du bus 174.
Vue de nuit sur le Centro
Solto na Cidade - Uruguaiana
22
23
Vue sur le Centro depuis la colline de Santa Teresa
|