Introduction
Le commerce informel, ou de rue, est un
phénomène que connaissent tous les pays à plus ou moins
grande échelle. Le Brésil ne fait pas exception, et encore moins
Rio de Janeiro, ancienne capitale du pays. En circulant dans les rues de Rio,
on est frappé par la quantité de petits vendeurs ambulants qui
les arpentent. Du produit du quotidien comme des piles, des rallonges
électriques, des torchons, des enveloppes, des cotons tiges, aux
produits les plus insolites comme la machine à coudre portable ou la
raquette qui électrocute les moustiques, on passe par les vendeurs de
nourritures tels les brochettes, gâteaux, hot dog, croque-monsieur, jus
de canne, hamburgers... La liste est longue. D'autres travailleurs de rue,
d'une quantité non négligeable à mentionner
également sont les « hommes sandwich », qui vivent en
circulant dans les rues, vêtus de pancartes publicitaires. Suivant de
nombreux paramètres, les deux principaux étant les accords
passés avec la police et le rythme du quartier (horaires de passages
etc.), la nature et les horaires de ces camelots varient. Ce type de commerce
est strictement interdit par la ville, quali~ é de « marginal
»,mais compte tenu de la quantité de gens vivant de ces emplois,
des accords o cieux sont passés a n de les laisser travailler, et
suivant le lieux ces accords sont plus ou moins souples.
Généralement après 18 heures les camelots sont
tranquilles. Avant cette heure, il n'est pas rare de les voir partir en courant
avec leurs petits présentoirs, à l'arrivée de la
police.
Étant donné la quantité d'emplois
générés par le commerce informel, des tentatives ont
été faites pour les intégrer à la ville formelle.
C'est ainsi que furent imaginés des espaces, baptisés
camelódromos où les camelots seraient habilités à
exercer leur activité en toute légalité. Au travers de ce
mémoire nous allons à la rencontre de l'un de ces centre; le
Camelódromo de la rue Uruguaiana situé en plein centre ville et
qui est actuellement le plus développé de Rio.
A Rio de Janeiro, tout le monde connait le Camelódromo
de la rue Uruguaina, réputé pour ses prix attractifs et la
diversité de marchandise. On y trouve de tout, Cds, DVD, matériel
de pêche, vêtements, outils, matériel électronique,
la liste est longue. Il est important de faire la di érence entre ce
type de marché et ceux auxquels nous sommes habitués en France,
qui se produisent périodiquement. Ces marchés périodiques
(généralement hebdomadaires) existent également au
Brésil, et sont appelés Feira. De nombreuses tentatives
de Camelódromo ont été réalisées dans Rio
est sa périphérie et aujourd'hui celui situé dans la rue
Uruguaiana (et qui en porte le nom) est l'un des plus abouti. Malgré
cela il génère une grande polémique au sein de la ville.
Alors que toute une partie de la population l'a entièrement
adopté, une autre dénonce le tra~ c de contrebande qu'il
tolère et cache. Chaque descente de la police au sein du
Camelódromo, est généralement accompagnée de la
prise massive de marchandise illégale.
La première fois que l'on m'a indiqué le
Camelódromo da Uruguaiana, j'ai eu le droit à de nombreuses mises
en garde, quant à la sécurité du lieu. C'est pour cela que
les premières visites se sont faites avec un regard mé~ ant,
souhaitant abréger le danger auquel je confrontais ma vie de
Gringa3. C'est en y prenant petit à petit mes repères
que je me suis rendu compte de du caractère `infondé des
avertissements dont on m'avait fait part. Prendre ses repères est
d'ailleurs un bien grand mot, car au bout de plusieurs mois je m'y perdais
encore allègrement. Cela dit je prenais le temps de me promener,
observer, et rester chaque fois un peu plus interrogative face à ce
lieu.
Le centre ville de Rio de Janeiro présente de
nombreuses caractéristiques d'un centre ville auquel ma culture
occidentale m'avait habituée. Rues pavées, trottoirs, immeubles
hauts, bâtiments anciens... Et même si l'ensemble m'étonnait
parfois, le tout restait à mes yeux cohérent et le
dépaysement n'était pas trop brutal. Mais le fait de tomber dans
un espace tel que le Camelódromo était réellement
surprenant. Cet ensemble n'avait rien à voir avec ce centre. Comment
était-ce arrivé là? Ce lieu paraît à la fois
informel, et en même temps présente les marques d'un ensemble
souhaitant s'inscrire dans la ville. Je me suis naïvement demandé,
dans un premier temps, si les autorités étaient conscientes de
son existence, tant le décalage avec le reste du centre était
important.
Alors que je m'accoutumais au Camelódromo, mes
questions le concernant étaient croissantes. Il devenait évident
que ce lieu faisait o ciellement partie de la ville, mais cette dernière
ne semblait pas s'en occuper étant donné l'allure qu'il avait. De
plus, de nombreuses rumeurs quand à la provenance des marchandises et
à propos d'une main-mise sur le Camelódromo par la ma a chinoise
laissaient deviner que l'investissement de la Prefeitura4
quant à sa gestion devait être di cile si ce n'est absent. Ainsi
je commençais mes recherches dans les bureaux de la Prefeitura pour me
rendre compte que personne ne savait rien, ne pouvait rien pour moi à
part me donner un plan cadastral et un vieil extrait du journal o ciel
municipal5. On m'a malgré tout conseillé quelques
contacts qui se sont avérés très utiles par la suite.
Les premières questions qui ont initialement
guidé mon raisonnement furent : Comment est apparu le Camelódromo
da Uruguaiana? Qui gère un tel espace? Qui y vient? Qui sont ses
vendeurs? Quelle est leur di érence avec les petits commerçants
ambulants qui peuplent les rues de Rio? Comment se sont ils organisés
dans cet espace? Y a-t-il des clés pour s'y repérer? Comment
s'intègre-t-il à la ville? De quelle manière
participe-t-il à sa transformation Ainsi, dans un premier temps, au
travers de mes recherches,
3 Appelation initialement inventée par les mexicains qui
désignaient les Nord Américains. Un Gringo est au Brésil
toute personne qui n'est pas originaire du pays, ou parfois seulement
d'Amérique Latine.
4 Équivalent de la mairie, nous reviendrons sur ce terme
dans la première partie.
5 Diario Ofi cial do Municipio do Rio de Janeiro -
N° 223 du 3 février 2000. Il s'agit de la Resolução
SMG n°398. Après avoir établie une liste de vendeurs
répartis sur plusieurs points de la ville la Prefeitura accepte l'usage
des vides occasionnés par les travaux du métro pour le commerce
de rue.
essentiellement de terrain, mon objectif fut de comprendre
quel était le processus de formation et de gestion d'un marché
autogéré, tel que celui d'Uruguaiana, ainsi que de dé nir
les conséquences de son existence à l'échelle de la
ville.
Ce travail est avant tout le fruit de nombreuses rencontres et
discutions avec les vendeurs du Camelódromo, les clients, les acteurs
principaux qui font fonctionner le lieu et ceux qui en sont à son
origine. A ce sujet de nombreuses informations ont été
très di ciles à obtenir. Le marché contenant des
marchandises illégales, l'association de Camelots (appelée UNIO)
ainsi que certains camelots ne se sont pas montrés très
coopératifs. Pour obtenir certains éléments il a parfois
fallu entrer dans ce jeu de l'illégalité. Le plan réel du
Camelódromo par exemple est o ciellement inexistant, le seul consultable
est celui dessiné par les architectes de la Prefeitura lors de sa
création. Cela dit a n de s'organiser, les camelots ont à leur
tour réalisé un plan rudimentaire qui restitue l'organisation
réelle du Camelódromo. Ce dernier m'a été
strictement refusé, et s'il est aujourd'hui présent dans ce
mémoire c'est qu'il a été tout simplement volé, par
une aide interne. Cela dit, même si certains ont été
parfois soupçonneux et craintifs, la majorité a accepté de
coopérer, bien évidemment dans la limite de leurs
disponibilités, étant donné que je les dérangeais
sur leur lieu de travail. De plus, le fait de s'appuyer sur des
témoignages ne me permet parfois pas de conclure sur les a rmations
avancées, les versions recueillies n'étant jamais objectives, je
ne prendrai aucun parti et me contenterai de répéter et
confronter les versions données.
Ainsi après avoir cherché les réponses
aux questions énoncées précédemment nous aborderons
en second lieu quelques notions concernant le caractère auto
géré du Camelódromo, et ce que cela implique pour le
centre de Rio. Qu'il s'agisse de l'esthétique chaotique qui m'a
personnellement fascinée, ou encore de la liberté apparente qui
semble laisser place à une spontanéité et une
capacité de transformation, qu'est ce que cela représente?
Quelles en sont les limites? Cela a n de savoir si l'on peut considérer
Le Mercado Popular da Uruguaina comme un organe vital de la ville ou on
contraire un de ces fardeaux qui nuisent à son développement.
Ce mémoire veut s'inscrire dans la continuité
des ré exions sur l'autogestion et voir comment cette dernière
s'insère dans la ville gérée par un système
à l'échelle nettement plus importante. Alors que les prises
d'initiatives semblent de plus en plus complexes au sein de notre
système globalisé, nous chercherons à poser un regard sur
un lieu totalement autogéré, dans le but de mieux comprendre ses
mécanismes, mettre au clair ses forces et ses faiblesses. Sans vouloir
faire une apologie de l'informel, ce qui serait faire l'impasse sur un trop
grand nombre de paramètres mon envie fut de constater comment formel et
informel cohabitent, et si cette cohabitation est uniquement le résultat
d'une hypocrisie entendue, ou si au contraire elle pourrait un jour avoir sa
place, donnant naissance à une série de compromis qui nous
permettrait de projeter la ville de manière di érente.
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Comment est
apparu le
Camelódromo
da Uruguaiana?
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