L'occupation de l'espace, entre accords et
négociations
La notion de propriété
Comme il a déjà été sous entendu
précédemment, il règne une ambiguïté sur le
statut des camelots. Ils se déclarent propriétaires du point. La
règle leur interdit strictement de louer ou vendre leur espace, mais
comme nous pouvons le constater c'est malgré tout monnaie courante.
« Ils peuvent être propriétaires du box de
la façon suivante; Une association a construit tout ça et leur a
donné le droit d'utiliser le box en question. Mais ils ne sont pas
propriétaires de la terre. La terre est la propriété de
l'état. »
(Sydney - Rio Trilhos - Entretien réalisé en
janvier 2008)
« Il est interdit de louer des box ici. Il est interdit
de louer ou de vendre, c'est interdit par la Prefeitura. Nous on ne s'occupe
pas de ça, celui qui veut un box il doit voir avec la
Prefeitura»
(Rosa Alice - Actuelle présidente de l'UNIO - Entretien
réalisé en décembre 2007)
Dans son discours la présidente de l'UNIO est
très cohérente, consciente des limites des pouvoirs qui leurs
sont donnés, et des droits des camelots. Dans la pratique on verra par
la suite que l'association s'est elle même autorisée le droit de
louer le sol. En ce qui concerne les camelots, l'UNIO se garde d'intervenir sur
les locations de box, et comme nous l'avons vu plus haut, pour trouver un lieu
de vente il est plus e cace d'avoir des contacts que de passer par
l'association qui ne fait pas agence immobilière. La conséquence
pour tous les camelots nouveaux arrivants est une confusion
générale, il leur parait évident qu'il existe un
propriétaire.
« Mais au départ il a acheté à
quelqu'un ou il est arrivé là en étant directement
propriétaire ? Il a été directement
propriétaire.
Ah oui ? Comment ça a fonctionné ça
?
Ah, c'est très di cile je ne sais pas. Il n'y a que lui
qui sait. »
(Kelly , 17 ans- vendeuse dans la quadra C depuis 14 ans - Fille
du propriétaire - Entretien réalisé en janvier 2008)
Les anciens camelots a rment avec aplomb qu'ils sont
propriétaire mais on peut malgré tout imaginer qu'ils sont
conscient de l'ambiguïté de leur situation, et savent juste en pro
ter.
« C'est le monde semi-marginal tu comprends, ils ont des
contrats, mais ne sont maîtres de rien. Ils sont là parce que
c'est un politique qui les a laissé faire. Comme les favelas tu vois.
»
(Sydney - Rio Trilhos - Entretien réalisé en
janvier 2008)
En n un tel sentiment est plus que compréhensible,
puisque ce sont eux qui ont créé ce lieu et l'ont fait
fonctionner. Sydney fait remarquer à juste titre que ce même
débat est soulevé concernant les favelas. La di érence
réside dans le fait qu'apparaissent des décrets donnant des
autorisations de d'occupation de territoire à vie, revenant à un
compromis entre informalité et propriété concernant les
favelas. Rien n'existe encore à ce sujet concernant les lieux de
commerce. Il est vrai que la question ne s'était pas encore
posée, jusqu'alors les camelots n'avaient jamais pu revendiquer à
un titre de propriété en occupant les rue. Cependant, ce sujet
n'est pas à l'ordre du jour et face à l'importance qu'a pris le
Camelódromo aujourd'hui dans la ville, il est dans
l'intérêt de la majorité de la laisser fonctionner,
beaucoup trop d'emplois étant en jeu.
L'organisation du camelot dans son box, ou l'art de tirer
prof t du moindre espace
Comme on a pu le constater, toutes les constructions ont
été faites par les camelots, et il est intéressant de
noter que suivant la marchandise proposée, on peut classer les box
suivant des typologies spéci~ ques.
En règle générale, on peut imaginer
qu'à l'origine les box devaient être relativement identiques.
Suivant leurs localisations les dimensions pouvaient légèrement
varier (s'il vient s'adosser à un mur il peux béné~ cier
d'une plus grande profondeur), mais le modèle classique reste de
1,50mx1,50m. Par la suite ces dimensions se sont vues modi~ ées suivant
les alliances passées, devenant des multiples de 1,50. L'époque
de construction in ue aussi, comme nous l'avons vu précédemment,
en ce qui concerne les hauteurs sous plafond. On pourrait penser que ce n'est
qu'un détail à l'échelle du box, mais en
réalité cela in ue directement sur son aménagement
interne. Dans la quadra A, la hauteur est très basse et inutilisable,
alors que dans les autres elle est nettement supérieure et sert au
stockage de marchandises, et à la mise en place de pancarte, venant
jouer un grand rôle dans l'aspect des couloirs.
En matière de matériaux, les boxes sont
généralement tous faits de la même manière. Un
structure de poteaux métalliques vient encadrer des murs
séparatifs généralement en agglomérés
recouverts d'un revêtement blanc, ou en plastique fort. Le système
de fermeture est identique pour tous; un rideau de fer qui se tire du haut vers
le bas et vient se fermer à l'aide d'un cadenas dont l'attache est ~
xée au sol.
La quadra A, pour avoir une grande quantité de
matériel de valeur est la seule qui possède un système de
fermeture identique à celui des box au niveau des entrées de
chaque couloir donnant sur l'extérieur, assurant ainsi une meilleur
protection de la marchandise.
Une homogénéité des matériaux de
construction ne va pas empêcher à ensemble à d'avoir un
aspect chaotique, car ce qui dessine avant tout l'architecture d'Uruguaiana,
c'est la marchandise. Suivant le type de produits vendus dans le box,
l'exploitation de l'espace est di érente, mais ils ont tous le point
commun d'une exploitation intensive du moindre espace. C'est ainsi que l'on va
di érencier les types auxquels je faisait allusion tout à
l'heure.
On note également une di érence d'utilisation de
cet espace pour les clients, qui se font de trois
façons, représentées par les symboles ci-contre. Dans
certains cas le client peut circuler pour observer la marchandise par
l'extérieur, soit venir fouiller à l'intérieur, ou aborder
la marchandise de manière frontale, et le client reste
Figure 17
face au comptoir.
Solto na Cidade - Uruguaiana
La boutique d'informatique
Tous les box vendeurs de matériel informatique ou
électronique ont opté pour une même stratégie de
présentation de marchandises sur de petites étagères qui
tapissent les parois séparatrices sur toute la hauteur. On trouve
également le traditionnel comptoir de verre qui expose des produits
à plus forte valeur marchande (logiciels, téléphones,
appareils photos...)
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La boutique atelier
Très similaire à la précédente, la
boutique atelier comporte quand à elle un petit plan de travail,
submergée d'outils et de matériaux. Une des
caractéristiques est la multiplicité des tiroirs dans lesquels le
camelot garde tous ses composants. On notera à l'occasion que la seconde
boutique est un des rares cas de box à double orientation, donnant sur
deux couloirs, conf guration que l'on ne rencontre que dans la quadra A.
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La boutique vitrine - Stratégie du vendeur de chaussure
Cette boutique est à mes yeux la plus originale, car
elle réinvente l'idée de la boutique dans laquelle on entre, et
se sert de tout le volume comme d'un support d'exposition. Toutes les parois se
voient utilisées pour poser des étagères autours
desquelles les acheteurs tournent et font leurs choix. La partie
intérieur devient un lieu de stockage auquel les clients n'ont pas
accès. Pour cette raison les vendeurs de chaussures sont
généralement placés en angle, multipliant ainsi la surface
d'exposition.
C'est selon moi ce type de vendeur qui gagne la palme de
l'usage des surfaces. La structure du
boxedisparaîttotalement,tapissée d'unefoultitude de
marchandise,jusquesur l'enseigne qui est généralementinexistante.
Les paroisintérieuresetlorsquec'estpossibles
lesextérieurségalement sont alors recouvertes de marchandises,
donnant naissance à une toute autre architecture. Dans le cas suivant,
la partie supérieure de la boutique sert d'entrepôt alors que
toute la partie basse peut être allègrement fouillée par
les clients. Sur ce relevé, le vendeur a de nombreux supports
supplémentaires qu'il entrepose la nuit dans le box, et qu'il sort en
journée, lui permettant ainsi d'augmenter sa surface de vente. Dans le
cas présent, possible uniquement pour les vendeurs situés en
bordure du Camelódromo, cette dernière est alors tout simplement
doublée.
Solto na Cidade - Uruguaiana
Le vendeur accumulateur
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Les possibilités d'extension de son espace de vente
L'exemple précédent qui est loin d'être un
cas isolé est la parfaite illustration de ce qui est monnaie courante
dans le Camelódromo, à savoir le déploiement de la zone de
vente hors des limites ~ xées initialement par le tracé de la
Prefeitura. Lorsque l'on aborde le sujet les camelots aiment à
plaisanter sur cet absence de limites, insistant sur les libertés que
leur donne le statu de camelot, doublé par le fait qu'ils exercent dans
un lieu ou les lois sont faites par eux mêmes, ce qui devient un
élément de ~ erté.
« Je vois que tu as ton box ici et que tu utilises aussi
toute la partie de devant. Tu as le droit de faire ça?
Non.
Mais il n'y a pas de problème pour que tu fasses
ça?
Non.
Personne ne fait de remarque?
C'est que je suis un ancien ici, alors personne ne se plaint. Je
m'entends bien avec tout le monde... C'est le Jeitinho Brasileiro! »
(Luis - Vendeur dans la quadra C depuis 14 ans -
Propriétaire - Etretien réalisé en janvier 2008)
Il existe au Brésil un fait de notoriété
publique; le Jeitinho Brasileiro, que l'on pourrait traduire par l'art
de la débrouille (brésilien). C'est cet art de la
négociation, de détourner les règles, de toujours tirer
son épingle du jeu, qui à plus grande échelle vaut la
corruption dont le Brésil sou re beaucoup. Même si un
stéréotype donne cette capacité de débrouillardise
aux latins en règle générale, le terme Jeitinho Brasileiro
est o ciellement établi dans la culture et fait la ~ erté de son
peuple, ou pour le moins des Cariocas, qui n'hésitent pas à
excuser certains de leurs actes par le Jeitinho Brasileiro.
Ainsi, le jeitinho brasileiro est une des règles
primordiales qui a cour au sein du camelodromo. Aussi bien face à la
Prefeitura pour l'appropriation des lieux qu'entre les camelots eux même,
pour la négociation des espaces.
Les aerations de metro utilisees comme support de vente
Marques au sol dans la Quadra D, af n de limiter les expensions
des boxes
L'art de contourner les règles
L'une des règles principales au sein du
Camelódromo est qu'un camelot n'a le droit qu'à un box. En
connaissance de cette règle, on est étonné par la
quantité de boxes qui ont été joints pour n'en faire qu'un
seul. De même, en discutant avec des employés, ils n'est pas rare
qu'ils expliquent que leur patron possède en réalité
plusieurs boxes au sein du Camelódromo.
« Cette boutique est la seule de matériel de
pêche?
Non, non, il y a d'autres boutiques ici. Il y en a ici
d'autres propriétaires, ils y en a d'autres aussi mais du même
propriétaire, mais dans d'autres endroits, dans d'autres rues, dans
d'autres quadras »
(Tiago, 21 ans - vendeur dans la quadra C depuis 1an -
Employé - Entretien réalisé en janvier 2008 )
Dans certains cas les employés sont plus en mesure de
donner des informations sur ces multipropriétaires, et on se rend compte
qu'elle peut être en réalité le fruit de plusieurs types
d'alliances qui détournent habilement cette règle, tout en
l'applicant.
« Il a 3 boutiques. Une là il est associé
avec un mec, ici il loue, et là la grande là bas c'est à
lui. Il a trois 3 boutiques ici, dans le mercado popular. Deux dans la quadra D
et une dans la quadra C. »
(Fernando, 18 ans - vendeur dans la quadra D depuis 4 ans -
Entretien réalisé en décembre 2007)
« Il y a combien de box ici?
Trois. Là c'en est un, entre là et là c'en
est un autre, et il y en a encore un de l'autre coté. Et donc ce
sont les trois frères les trois propriétaires?
Non, le propriétaire c'est que lui, le grand »
(André, 20 ans - vendeur dans la quadra C depuis 2 ans,
dans la boutique « les trois frères » - Entretien
réalisé en janvier 2008)
On comprend aisément que la règle « un box
- un camelot » n'ait pas été très di cile à
faire respecter, étant donné que chacun souhaitait pro ter de
l'espace qui lui avait été attribué. Bien sur, ce n'est
pas le cas de tous les box, mais généralement, ceux qui proposent
un même type de marchandise sont rattachés à un
réseau commun. On pourrait mettre ce réseau sur le dos de la
sédentarisation du camelot dans ce lieu, ce qui lui a permis de
s'organiser, de créer toute une structure de commerce. Cependant, nous
reviendrons dessus un peu plus tard, le camelot n'a pas attendu d'arriver dans
un Camelódromo pour s'organiser...
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