LES COMPETENCES STATUTAIRES DES
SOCIETES DE CLASSIFICATION
PIERRE CHEVALIER Etudiant en master 1 de
droit des espaces et des activités maritimes Mention droit public /
droit privé
Sous la direction de Madame Cécile De Cet
Bertin Maître de conférence de droit privé
MEMOIRE
Université de Bretagne Occidentale Année
universitaire 2008-2009
Attention, ce mémoire a été
réalisé au cours de l'année universitaire 2008-2009. et
n'est pas à jour des textes adoptés le 11 mars 2009 dans le cadre
du 3ème paquet sécurité maritime « Erika III »
et publiés au Journal Officiel des Communautés Européennes
le 28 mai 2009.
Remerciements
Mes remerciements vont tout d'abord à Madame De Cet
Bertin qui a accepté de diriger cette étude et m'a aidé
à orienter mes recherches. Je remercie également les Professeurs
Kerrest et Le Morvan qui m'ont fourni de nombreux documents et dispensé
de précieux conseils. Enfin je tiens à remercier plus
particulièrement Monsieur Boisson, Directeur de la communication du
Bureau Veritas, pour m'avoir consacré un temps important et
répondu à mes nombreuses interrogations.
SOMMAIRE
INTRODUCTION
Première partie : des compétences
déléguées de l'Etat du pavillon aux sociétés
de classification
Chapitre 1. L'objet de la délégation
: le contrôle de la conformité aux exigences
conventionnelles
Section 1. La certification de la conformité aux
conventions sur la sécurité maritime
Section 2. La conformité aux Conventions
internationales sur la pollution en mer : la Convention MARPOL
Chapitre 2. La particularité du régime
juridique de la délégation aux sociétés de
classification
Section 1. La nécessaire reconnaissance
préalable des sociétés de classification
Section 2. Une délégation originale du
contrôle des navires aux sociétés de classification
Deuxième partie : la responsabilité du fait
des fonctions statutaires ; la nécessité d'une adéquation
avec leur rôle prépondérant dans la garantie de la
sécurité maritime
Chapitre 1. La responsabilité administrative
Section 1. La responsabilité administrative
prévue par le droit français
Section 2. Existence d'obstacles à l'engagement de
la responsabilité des sociétés de classification
Chapitre 2. La responsabilité pénale
Section 1. Les infractions d'imprudence comme source de la
responsabilité pénale des sociétés de
classification
Section 2. La répression des infractions aux
règles pénales de l'environnement comme nouveau
foyer de la responsabilité CONCLUSION GENERALE
Abréviations et sigles
A.B.S. American Bureau of Shipping
A.D.M.A. Annuaire de Droit maritime et Aérien
A.D.M.A. Annuaire de Droit maritime et Océanique
A.J.D.A. Actualité Juridique, Droit administratif
Ass. plén. Assemblée plénière
B.V. Bureau Veritas
C.E. Conseil d'Etat
C.E.D.H. Cour Européenne des Droits de l'Homme
Chron. Chroniques
Circ. Circonscription
Civ. Chambre civile de la Cour de cassation
Com. Chambre commerciale de la Cour de cassation
Concl. Conclusions
Crim. Chambre criminelle de la Cour de cassation
D. Recueil Dalloz
D.M.F. Droit maritime français
D.N.V. Det Norske Veritas
E.M.S.A European Maritime Safety Agency
G.A.D.I.P. Grands Arrêts du Droit International
Privé
G.A.J.A. Grands Arrêts de la Jurisprudence
Administrative
GAZ. PAL. Gazettes du Palais
G.L. Germanisher Lloyd
I.A.C. S. International Association of Classification Society
I.I.D.M. Iberoamerican Institute of Maritime Law
I.S.M. International Safety Management
I.S.P.S. International Ships and Port Facility Security
J.C.P., Ed. Gen. La Semaine Juridique édition
généralement
J.M.M. Journal de la Marine Marchande
J.O. Journal Officiel
J.O.C.E. Journal Officiel des Communautés
Européennes
L.G.D.J. Librairie Générale de Droit et de
Jurisprudence
L.R.S. Lloyds Register of Shipping
L.L.R. Lloyd's Law Report
MARPOL Marine Pollution (Convention O.M.I.)
Obs. Observations
O.M.I. Organisation Maritime Internationale
Préc. Précité
P.U.A.M Presses Universitaires d'Aix-Marseille
P.U.F. Presses Universitaires de France
R.D.P. Revue de Droit Publication
Rec. Recueil Lebon
R.C.D.I.P. Revue Critique de Droit International Privé
R.D.T. Revue de Droit des Transports
R.F.D.A. Revue Française de Droit Administratif
R.S.C. Revue de Sciences Criminelles
RINA Registro Italiano Navale
S.O.L.A.S Safety of Life at Sea (Convention O.M.I.)
T.C. Tribunal des Conflits
T.J.B. Tonneaux de Jauge Brute
U.S.C.G. United States Coast Guards
INTRODUCTION
« O combien de marins, combien de capitaines Qui sont partis
joyeux pour des courses lointaines Dans ce morne horizon se sont
évanouis!
Combien ont disparu, dure et triste fortune! Dans une mer sans
fond, par une nuit sans lune, Dans l'aveugle océan à jamais
enfouis! »
Victor Hugo, Oceano Nox, juillet 1836
Cette première strophe du poème de Victor Hugo
illustre le paradoxe des rapports que l'Homme entretient avec la mer. Les
Hommes ont de tout temps été attirés par la mer dont
l'immensité est synonyme d'inconnu et donc de découvertes et qui
leur offre ses nombreuses ressources. Mais les disparitions récurrentes
de ceux qui l'exploitent ou la parcourent pour le commerce notamment nous
rappellent sans cesse la dangerosité de la mer.
Section 1. L'apparition de règles
préventives face à l'insécurité maritime
Les espaces maritimes, que ce soit près des côtes
ou plus au large, connaissent une insécurité endémique. La
mer est, de tout temps, restée synonyme de dangerosité pour les
personnes qui s'y aventuraient. A la piraterie qui sévissait et qui
sévit encore dans de nombreuses zones s'ajoutaient les mauvaises
conditions climatiques. Cette idée d'insécurité
apparaît particulièrement dans les notions intéressant la
navigation maritime. Les notions de chance et de fatalité sont ainsi
attachées à cette navigation. La fortune de mer par exemple
désigne tout événement survenu au cours d'un voyage
maritime et dû à des circonstances liées à
l'état de la mer et du vent1. Du fait de cette
dangerosité, le terme d'aventure maritime était utilisé
pour qualifier la navigation maritime et les marins étaient des
aventuriers.
1 A. LE BAYON, Dictionnaire de droit maritime, PUR,
2004.
Malgré ce risque, ce péril marin,
inhérent et endémique à la navigation maritime, le
transport par mer s'est développé depuis l'Antiquité. Le
manque de connaissance du milieu mais également le manque de
développement scientifique et technique expliquent la faiblesse des
navires pour affronter le mauvais temps dans l'Antiquité. Pour
éviter un péril imminent, les marins avaient recours notamment
à la pratique du jet. La cargaison et même les vivres
étaient jetées par dessus bord pour alléger l'embarcation.
Cette pratique était prévue par la Lex Rhodia de Jactu. Cette
loi, empruntée aux Rhodiens2 fut nommée Rhodia.
Au Moyen Age, les premières règles
préventives se développèrent et furent
insérées dans des textes. Ainsi, les autorités maritimes
des grands ports de la Méditerranée édictèrent des
directives sévères sur le franc-bord. Cette législation
était destinée à lutter contre les abus des armateurs et
capitaines qui surchargeaient leurs navires pour dégager le plus de
profit possible et ce, malgré le risque de perdre le navire ainsi que la
cargaison qu'il transportait. Une telle réglementation apparaît
à Venise au cours du XIII ème siècle. Il était
interdit de dépasser le tirant d'eau marqué pour chaque navire
par une croix sur la coque. Ce tirant d'eau représente le volume d'eau
que déplace un navire.
Les autorités gènoises avaient, quant à
elles, des règles précises pour calculer le tirant d'eau maximal
de certains navires, ainsi qu'une procédure de contrôle du
chargement et des sanctions en cas d'abus. Des fonctionnaires avaient pour
tâche de mesurer les navires pour calculer ce tirant d'eau et d'assister
à la mise en place sur la coque de fers, ancêtres des lignes de
charge3.
La fin du XVIIème siècle et le XIXème
siècle virent se développer des législations nationales
plus ambitieuses. Les Révolutions industrielles que connurent
successivement le Royaume-Uni et la France notamment, apportèrent de
nombreuses innovations techniques qui favorisèrent le
développement des transports maritimes. Ainsi, l'invention de la machine
à vapeur révolutionna le transport en soustrayant en partie le
transport maritime aux aléas du vent qui limitaient la navigation
à la voile.
La recherche d'une plus grande sécurité fut
conduite tout d'abord dans un cadre purement privé. Les
différents opérateurs du transport craignaient qu'une
intervention étatique en ce domaine soit trop étendue et mal
adaptée aux réalités du commerce maritime. «
L'intérêt bien compris de l'armateur ayant engagé toute sa
fortune dans l'acquisition de navires, représentait finalement la
2 D. GAURIER, La Lex Rhodia de Jactu, ADMO, tome XV,
1997, pp. 185-187.
3 F. ATTOMA-PEPE, Un aperçu du franc-bord des navires
au Moyen-Age, BULLETIN TECHNIQUE DU BUREAU VERITAS, janvier 1976, pp.
10-14.
meilleure garantie de la sécurité de tous
»4. Cette conception libérale de la
sécurité maritime fut majoritaire pendant toute la
première moitié du XIXème siècle.
Il fut à cette époque considéré
que toutes les personnes ayant un intérêt au transport maritime
devaient assumer leur part de responsabilité face aux périls de
la mer. Ainsi se développa la copropriété des navires
visant par exemple à amoindrir les aléas économiques en
divisant les risques. C'est également à cette époque que
se développèrent les premières sociétés
d'assurance maritime. Ce mécanisme consiste à faire intervenir un
tiers en la personne de l'assureur, qui prend la place de celui à qui le
risque incombe. Le XIX siècle vit aussi la naissance des principales
sociétés de classification.
Malgré cette conception très libérale de la
sécurité maritime, certaines législations nationales plus
ambitieuses se développèrent. Des réglementations
préventives furent mises en place ainsi que des procédures de
contrôle des navires, principalement en France et en Grande-Bretagne.
L'Ordonnance sur la Marine de Colbert institua les fonctions
d'huissiers-visiteurs. Par la suite une déclaration royale du 17
août 1779 mis en place une double visite du navire pour les
expéditions maritimes, l'une à l'aller et l'autre au retour.
Pendant la Révolution, le 9 août 1791, fut votée une Loi
sur la police de la navigation. Cette Loi imposait aux capitaines des navires
armés au long cours de provoquer eux-mêmes la visite du navire
avant armement puis avant chargement. Les inspections étaient
menées par des officiers-visiteurs ou experts-visiteurs nommés
par le tribunal de commerce ou à défaut par le maire de la ville.
Ces inspecteurs étaient d'anciens navigateurs, constructeurs ou
charpentiers qui avaient des connaissances certaines sur la navigation en mer
et sur la structure des navires aptes à effectuer une telle
navigation5.
La promulgation du Code de commerce n'apporta pas de
modifications importantes au système mis en place par cette Loi. Par la
suite, les inspections annuelles furent progressivement étendues
à d'autres navires. L'embarquement et le débarquement des
marchandises dangereuses furent réglementés par un décret
du 2 septembre 1874.
Le système des visites fut remanié par une Loi
du 17 avril 1907 qui encadrait les conditions de construction du navire, son
armement et ses équipements mais également ses conditions de
chargement et d'exploitation6. Cette Loi créa
également le corps des inspecteurs de la navigation
4 P. BOISSON, Politiques et Droits de la
Sécurité Maritime, EDITIONS BUREAU VERITAS PARIS, 1998, p.
29.
5 D. DANJON, Traité de droit maritime, LGDJ,
Paris, 1910, p.100.
6 P. BOISSON, op. cit., p. 30.
chargés d'effectuer des visites préalables
à l'appareillage des navires. Elle constitue la base de la
réglementation française moderne en matière de
contrôle des navires et elle marque la mainmise définitive des
règles étatiques sur la sécurité maritime.
Section 2. Le principe du contrôle par l'Etat du
pavillon
« Libre de toute souveraineté territoriale, la mer
ne peut pas être libre de toute souveraineté juridique
»7. La haute mer ne peut pas être un espace de non-droit
et le navire doit être soumis à une juridiction. Les règles
coutumières du droit de la mer confient le contrôle des navires
à l'Etat du pavillon. Cette compétence attribuée à
l'Etat repose sur le principe de la territorialité selon lequel le
navire doit être considéré comme un démembrement du
territoire national lorsqu'il se trouve en haute mer. Ce rattachement des
navires à un ordre juridique susceptible de les contrôler permet
ainsi de prévenir et de sanctionner les abus auxquels les principes du
libre usage de la haute mer et de la liberté de navigation pourraient
donner lieu.
Cette compétence exclusive de l'Etat du pavillon est
énoncée à l'article 6 alinéa 1 de la Convention
internationale du 29 avril 1958 sur la haute mer : « Les navires naviguent
sous le pavillon d'un seul Etat et se trouvent soumis [...] à sa
juridiction exclusive en haute mer».
Ce principe de la souveraineté que l'Etat exerce sur
ses navires est également source d'obligations pour l'Etat du pavillon.
En effet, la Convention de Genève du 29 avril 1958 prévoit dans
son article 5 alinéa 1 qu'il est de la responsabilité de l'Etat
« d'exercer son contrôle dans les domaines techniques,
administratifs et social sur les navires battant son pavillon » et que
« chaque Etat délivre aux navires auxquels il a accordé le
droit de battre son pavillon des documents à cet effet ».
La Convention des Nations Unies de 1982 sur le droit de la mer
dite « convention de Montego Bay » met à la charge de l'Etat
du pavillon l'application des règles et normes internationales en
matière de prévention de la pollution du milieu marin : «
Les Etats veillent à ce que les navires battant leur pavillon ou
immatriculés par eux respectent les règles et normes applicables
(...) et prennent les mesures nécessaires pour leur donner effet. L'Etat
du pavillon veille à ce que ces règles, normes, lois et
règlements soient effectivement appliqués, quel que soit le
lieu
7 P. FAUCHILLE, Traité de droit international
public, ROUSSEAU EDITIONS, 1925, p. 46.
de l'infraction »8 . Pour satisfaire à
ces obligations, l'administration de l'Etat du pavillon doit procéder
à des visites à bord des navires. L'autorité
compétente doit vérifier que sont bien détenus à
bord les certificats requis et vérifier l'état réel du
navire.
Dans la pratique, ce sont le plus souvent les
sociétés de classification qui vont, par
délégation, procéder aux visites et à la
délivrance des titres de conformité. Cette
délégation de compétence est traditionnelle car les
sociétés de classification sont les mieux à même
d'effectuer ce contrôle9.
Section 3. Le développement de la
délégation aux sociétés de classification
Les sociétés de classification sont les plus
anciens organismes de contrôle technique10. Cette
activité serait apparue à la fin du XVIIème siècle
dans un « Coffee house » de la Tower Street à Londres. Ce bar,
situé près des quais, était fréquenté par
des armateurs, des assureurs, des courtiers, et des capitaines de navires. Le
tenancier du bar, Edward Lloyd, recueillait et diffusait les informations
relatives aux navires et au commerce maritime susceptibles d'intéresser
les clients de son bar. Un journal fut créé et prit en 1726 le
nom de « Lloyd's List ». Mais rapidement victime de son
succès, cette publication ne pouvait pas contenir suffisamment de
renseignements sur les navires. Les assureurs qui éditaient ce journal
créèrent entre les années 1730 et 1760 un registre portant
des renseignements plus précis et fiables intitulé
«Lloyd's Register of Shipping»11. Il s'agit donc
historiquement de la première des sociétés de
classification.
Les révolutions industrielles du XIXème
siècle ont permis un développement exponentiel des
échanges commerciaux, de leur rapidité ainsi que de leur
fréquence. C'est dans ce contexte libéral de forte croissance
économique et d'intensification de la navigation maritime commerciale
qu'apparurent les sociétés de classification, dans le sillage du
Lloyd's Register of Shipping.
Alors que de grandes compagnies d'assurance installées
à Paris venaient de faire faillite après une succession de
catastrophes maritimes, deux assureurs et un courtier ambitionnant de mieux
faire face à cette crise, s'allièrent en 1828 pour fonder le
Bureau Veritas ouvert la même
8 Article 217 al. 1. de la Convention des Nations Unies sur le
droit de la mer de 1982.
9 L. KHODJET EL KHIL, La pollution de la mer
méditerranée du fait du transport maritime de marchandises,
PUAM, 2003, p. 233.
10 M. FERRER, La responsabilité des
sociétés de classification, PUAM, 2004, p. 19.
11 G. BLAKE, Lloyd's Register of Shipping 1760-196O,
Publication du Lloyd's Register of Shipping, 1960.
12 année à Anvers. Installé dès 1832
à Paris, le Bureau Veritas y a encore aujourd'hui son
siège social.
L'American Bureau of Shipping fut fondé en
1862, le Det Norske Veritas en 1864... Au cours du XIXème
siècle furent ainsi créées les principales
sociétés de classification qui subsistent aujourd'hui.
La fonction originelle des sociétés de
classification est d'arrêter des normes de qualité des navires
à travers la publication de Règlements de classification qui
fixent des normes techniques auxquelles doivent se conformer les navires pour
être surs. Par l'intermédiaire de ces Règlements, les
sociétés de classification déterminent la classe du navire
et vont lui attribuer un certificat de classification. Certains auteurs les
qualifient à ce sujet de véritables « législateurs
techniques »12. Avec l'emploi de nombreux inspecteurs, les
sociétés contrôlent, lors de la conception du navire, la
conformité des plans au Règlement de la société. La
construction du navire doit être réalisée
conformément à ces indications pour qu'il puisse recevoir la
classe exigée par l'armateur et qu'un certificat de classification soit
délivré par la société de classification. Les
assureurs se serviront de cette cotation pour déterminer les primes
d'assurance que devra souscrire l'armateur.
Cette opération de classification est une
opération purement privée dans la mesure où les normes de
référence de qualité des navires sont
édictées par les sociétés de classification,
organismes de contrôle privés à l'égard de navires
appartenant à des personnes privées13.
L'originalité des sociétés de
classification réside dans le fait qu'elles exercent en même temps
des fonctions dites « statutaires », cet épithète
« statutaire » signifiant ici « conforme à une
règle ». Ce mot « règle » renvoie aux conventions
internationales et aux législations nationales sur la
sécurité maritime et la prévention de la pollution.
Dans le cadre de ces prestations statutaires, les clients des
sociétés de classification sont les Etats qui ont reconnu les
sociétés comme organismes habilités à
contrôler les navires sous leur pavillon et en leur nom. Initialement,
les Etats qui ont ratifié les différentes conventions
internationales sont responsables de l'application de ces règles sur les
navires qui naviguent sous leurs pavillons. Ces mêmes instruments
internationaux prévoient tous expressément le recours aux
sociétés de classification. Ainsi, la Convention internationale
de 1974 pour la sauvegarde de la vie
12 A. BELLAYER-ROILLE, Le transport maritime et les
politiques de sécurité de l'Union Européenne,
EDITIONS APOGEE, 2000, p. 103.
13 M. FERRER, op. cit, p. 20.
humaine en mer (Convention SOLAS) indique que l'administration de
l'Etat du pavillon peut confier l'inspection et la visite de ses navires
à des organismes reconnus par elle14.
De nombreux Etats ont en effet pris conscience qu'ils ne
disposaient pas des moyens suffisants pour assurer l'application de ces normes
internationales et ont rapidement délégué cette
compétence aux sociétés de classification.
Dès la fin du XIXème siècle, une
législation sur le franc-bord est adoptée par les Anglais et
permet de limiter le chargement excessif des navires. Le Lloyd's
Register et le Bureau Veritas furent en 1890 les deux premiers
organismes habilités pour déterminer les franc-bords aux navires
britanniques15
Selon Monsieur Philippe Boisson16, 3 raisons
justifient ces délégations de compétence aux
sociétés de classification17.
Tout d'abord, les organismes de classification
possèdent une compétence universellement reconnue18
ainsi qu'un réseau d'experts qui va faciliter une application
homogène des exigences réglementaires. Pour illustration, le
Bureau Veritas actuellement emploie plus de 1000 experts marine qui travaillent
dans 420 centres d'inspections répartis dans 150 pays.
Par ailleurs, le coût des inspections a incité
les Etats à avoir recours à des organismes privés et ce
d'autant plus que ces derniers jouissent d'une confiance
considérable19. Le coût des inspections est en effet
directement supporté par l'armateur.
Enfin l'essor des pavillons dits de libre immatriculation ou
de complaisance peut également expliquer ces délégations
de compétence aux sociétés de classification. Ce pavillon
de complaisance que l'on désigne aujourd'hui « avec pudeur
»20 sous le vocable de pavillon de libre immatriculation est le
« pavillon accordé par un Etat à un navire de commerce
appartenant à des étrangers, ou contrôlé par des
étrangers, dans des conditions très libérales qui excluent
en pratique tout lien effectif entre l'Etat du pavillon et le navire
»21. Pourtant, la Convention des Nations Unies
14 Convention SOLAS Règle 6 chapitre 1 a).
15 P. BOISSON, Etats du pavillon / société de
classification, in. LE PAVILLON : actes écrits du colloque
organisé les 2 et 3 mars 2007, PEDONE, 2008, p. 39
16 Les personnes citées dans cette étude sont
Professeurs de droit, avocats ou experts du monde maritime. Monsieur Boisson
est Conseiller juridique et Directeur de la communication du Bureau
Veritas..
17 Ibid p. 40.
18 Cette compétence est unanimement reconnue en doctrine
et même reconnue dans les grandes conventions internationales telles que
SOLAS ou MARPOL.
19 J.-P. BEURIER, Droits maritimes, DALLOZ, 2009, p.
268.
20 S. ROBERT, L 'Erika : responsabilités pour un
désastre écologique, PEDONE, 2003, p. 154.
21 J. SALMON (dir.), Dictionnaire de droit international
public, BRUYLANT, 2001, p. 813.
sur les conditions d'immatriculation22 rappelle que
les lois et règlements par lesquels l'Etat établit les conditions
de sa nationalité doivent être suffisants pour permettre à
l'Etat d'exercer effectivement sa juridiction et son contrôle sur les
navires qui battent son pavillon23. En échange d'une
rémunération, l'Etat du pavillon de complaisance offre une
législation sociale peu contraignante, des avantages fiscaux et parfois
même une certaine souplesse dans les contrôles de
sécurité des navires.
Pour illustration, en 2008, le Panama, premier pavillon
mondial, enregistrait une flotte de 174,07 millions de tonneaux de jauge
brute24. A titre de comparaison, durant la même année,
la flotte immatriculée en France était de 5,68 millions de
tonneaux de jauge brute25. Ces Etats de libre immatriculation ont
largement recours aux sociétés de classification pour faire
appliquer les conventions internationales car leurs administrations nationales
ne disposent généralement ni des fonds nécessaires, ni des
compétences techniques pour assurer le contrôle sur ces navires.
Il s'agit d'un cercle vicieux car l'Etat du pavillon complaisant, « [...]
en offrant une palette très large de sociétés de
classifications [...], et surtout s'il n'exerce aucun contrôle sur elles,
favorise indirectement l'immatriculation des navires sous son registre en
permettant que l'armateur fasse appel à des organismes de contrôle
peu sérieux »26.
Madame Bellayer-Roille se demande s'il est « tout
à fait normal que des sociétés privés
suppléent les pouvoirs publics »27. Il est en effet de
bon droit de se demander si de telles prérogatives régaliennes ne
devraient pas être assumées par les services de l'Etat du
pavillon. Cette question de la légitimité de l'exercice du
contrôle des navires par les sociétés de classification ne
peut être étudié qu'à travers le prisme
juridique.
Face au développement des critiques, l'Organisation
Maritime Internationale a pris des résolutions pour encadrer cette
pratique de la délégation à des sociétés
privées. Cette intervention est relayée par l'Union
Européenne qui a pris conscience de la nécessité de donner
un cadre juridique à cette pratique. Plusieurs intérêts
s'entremêlent, la garantie de la sécurité maritime comme
22 Cette Convention a été adoptée sous
l'égide de la Commission des Nations Unies sur le commerce et le
développement le 7 février 1996.
23 Article 8 paragraphe 2 de la Convention des Nations Unies sur
les conditions d'immatriculation des navires.
24 La jauge brute est une mesure de la capacité de
transport d'un navire. Elle s'exprime en tonneaux de jauge brute, ou en
mètres cubes. Un tonneau de jauge brute vaut 100 pieds cubes, soit
environ 2,832 mètres cubes.
25 Le Marin, dossier spécial shipping 2008,
vendredi 31 octobre 2008, p. 16.
26 V. L. KHODJET EL KHIL, La pollution de la mer
méditerranée du fait du transport maritime de marchandises,
P.U.A.M., 2003, p. 237. L'auteur considère que le recours
systématique aux sociétés de classifications constitue la
parade de certains Etats pour se décharger de leurs obligations de
contrôle.
27 A. BELLAYER-ROILLE, Le transport maritime et les
politiques de sécurité de l'Union européenne,
EDITIONS APOGEE, 2000, p. 103.
intérêt supérieur, mais aussi le
développement économique d'un Etat complaisant, ou les
intérêts financiers d'une société de
classification.
La cohabitation de tels antagonismes souligne
l'intérêt d'une étude de ce travail statutaire
effectué par les sociétés de classification. Il s'agit de
se demander quelles sont les compétences qu'elles peuvent exercer au nom
des Etats. Ce transfert de compétence est encadré par les
législations nationales des Etats du pavillon et dans une moindre mesure
par le droit international. Mais il n'y a pas de droit sans
responsabilité et si les sociétés ont la faculté
d'exercer au nom des Etats le contrôle des navires, elles doivent alors
assumer leur part de responsabilité.
La première partie sera consacrée à
l'étude des compétences que l'Etat du pavillon peut
transférer aux sociétés de classification (Première
partie) et la seconde aux différentes responsabilités qui peuvent
être engagées du fait de l'exercice du contrôle des navires
par les sociétés au nom et pour le compte des Etats
(Deuxième partie).
16 Première partie : des compétences
déléguées de l' Etat du pavillon aux
sociétés de classification
Il convient dans un premier temps d'étudier l'objet de
cette délégation. En raison de leurs compétences
techniques et de leur réseau international d'experts, les
sociétés de classification exercent une mission de service
public28. Les plus importantes conventions internationales
applicables dans le domaine des prestations statutaires des
sociétés de classification portent sur la sécurité
des personnes (SOLAS, LLI, code ISM), la sûreté (code ISPS) et la
pollution (MARPOL). Les sociétés de classification sont
chargées de vérifier que les navires répondent aux
exigences des conventions internationales que l'Etat de leur pavillon a
ratifiées (Chapitre 1). La société de classification
d'origine allemande Germanischer Lloyd était à la fin de
l'année 2008 titulaire de délégations de plus de 130 Etats
Le Bureau Veritas est actuellement reconnu comme organisme officiel de
certification par125 administrations nationales. Ce nombre très
important de délégations, ainsi que le nombre de navires qui sont
certifiés comme conformes aux exigences des conventions internationales,
justifient que l'on parle de leur travail comme d'une « action
structurelle sur la sécurité maritime »29.
C'est tout l'enjeu de l'exercice de ces compétences
statutaires par les sociétés de classification qui explique la
particularité du régime juridique de cette
délégation (Chapitre 2).
Chapitre 1. L'objet de la délégation :
le contrôle de la conformité aux exigences
conventionnelles
Afin d'étudier l'objet de cette
délégation, il faut rechercher quels sont les instruments
internationaux à caractère technique et s'intéressant au
transport maritime auxquelles les Etats peuvent adhérer.
Les Conventions internationales instaurant des normes
techniques ont pour principal objet d'assurer la protection des
équipages, des passagers, des marchandises et du navire. Il s'agit dans
ce cas de Conventions relatives à la sécurité maritime
(section 1). Mais les tiers peuvent eux aussi être victimes de ce
transport maritime. Ils peuvent en effet subir des dommages sous la forme de
pollution marine due principalement aux hydrocarbures. C'est pour cette raison
qu'ont été élaborées
28 B. ANNE, Rôle, activités et reconnaissance
des sociétés de classification, LA REVUE MARITIME, mars
2003, n°455, p. 28.
29 K. LE COUVIOUR, La responsabilité civile à
l'épreuve des pollutions majeures résultant du transport
maritime, PUAM, 2007, p. 499.
des conventions techniques sur la pollution (section 2).
Section 1. La certification de la conformité aux
conventions sur la sécurité maritime
Aujourd'hui, les principales Conventions internationales dans le
domaine de la sécurité maritime sont élaborées sous
l'égide de l' Organisation maritime internationale (O.M.I.).
L'O.M.I. est une organisation internationale
intergouvernementale qui a reçu de l'O.N.U. délégation
pour traiter les problèmes spécifiques à la navigation
maritime. Elle incite les Etats à se réunir dans une
conférence diplomatique en vue d'adopter des règles uniformes
dans ce domaine. Les conventions qui sont tenues sous son égide sont de
nature à lier juridiquement les Etats qui les ratifient. L'entrée
en vigueur de ces conventions est en général conditionnée
par un certain nombre de ratifications et par le fait que les Etats signataires
représentent une part significative du tonnage total de la flotte. Cette
condition originale en droit international public permet de vérifier que
la convention résulte bien d'un consensus des principaux Etats acteurs
du transport maritime.
Il existe au sein de l'O.M.I. une pratique intéressante
pour l'actualisation de certaines conventions sur la sécurité
maritime : c'est la méthode de « l'amendement tacite ».
Lorsque des amendements à une convention sont adoptés par une
nouvelle conférence à la majorité des deux tiers, ces
amendements sont notifiés par l'O.M.I. à tous les Etats
contractants, qui sont censés les avoir acceptés faute de
communication de leur désaccord au Secrétariat de l' O.M.I.
à l'expiration d'un délai fixé30. Ces
amendements sont ainsi réputés avoir été
acceptés, sauf si plus d'un tiers des Parties ou certaines Parties
seulement mais représentant ensemble plus de 50% du tonnage de la flotte
mondiale s'y opposent. Cette méthode a permis de réduire de
façon significative les délais de mise à jour de la
réglementation par rapport aux évolutions de la technique.
Néanmoins, l'effet constaté pourrait être inverse à
celui qui était escompté au départ. Il est difficile, tant
pour les administrations nationales, que pour les acteurs non-étatiques
comme les sociétés de classification, de «
digérer31 » l'évolution de la
réglementation tant cette dernière est devenue rapide.
La Convention dite S.O.L.A.S.32 sur la sauvegarde de
la vie humaine en mer qui a été initiée à Londres
en 191433 à la suite du naufrage du Titanic et la
Convention sur les lignes de charge dite
30 M. RIMABOSCHI, L'unification du droit maritime,
contributions à la construction d'un ordre juridique maritime,
PUAM, 2006, p. 458.
31 R. CUISIGNIEZ, La réglementation de
sécurité à bord des navires marchands, INFOMER, 2004,
p. 17.
32 SOLAS pour Safety of Life at Sea
33 Les Conventions S.O.L.A.S. ont été
révisées de nombreuses fois et les dispositions aujourd'hui
applicables sont celles de 1974.
LOAD LINES et édictée à Londres en 1966
sont les deux principaux instruments internationaux en matière de
sécurité maritime. Elles mettent toutes deux en place une
procédure pour la certification de la conformité des navires
à leur disposition. Les règles de procédure sont relatives
d'une part aux visites à effectuer sur les navires et d'autre part
à la délivrance des certificats de conformité.
La tendance à la productivité et à la
réduction des coûts a pour conséquence une gestion parfois
plus laxiste des risques. Il en résulte des pratiques de concurrence
déloyale comme le recours à des pavillons dits de complaisance.
La constatation que la défaillance humaine est souvent la cause des
accidents maritimes a incité l'O.M.I. à élargir son
domaine d'activités pour couvrir non seulement les
aspects techniques du navire mais également sa gestion. L'adoption des
Codes
I. S.M.34 et I. S.P. S.35 illustre cette
tendance et a pour conséquence une extension des missions
confiées aux sociétés de classification.
§ 1. Les visites prévues par les instruments
internationaux
L'Etat du pavillon peut déléguer ces visites aux
sociétés de classification. En raison du nombre important
d'inspecteurs mais aussi de l'existence de centres de sécurité
dans le monde entier, les sociétés de classification ont une
réelle capacité de contrôle des navires.
· Règles relatives aux visites des navires
prévus par la Convention S.O.L.A.S. :
L'événement qui a amené le Royaume-Uni
à convoquer la Conférence internationale S.O.L.A.S. de 1914 a
été le naufrage du navire de ligne Titanic, de la
compagnie White Star, lors de son premier voyage en avril 1912. Cette
catastrophe, au cours de laquelle plus de 1 500 passagers et membres
d'équipage trouvèrent la mort, souleva un si grand nombre de
questions à propos des normes de sécurité qui
étaient en vigueur à l'époque, que le Gouvernement du
Royaume-Uni proposa de tenir une conférence afin d'élaborer une
réglementation internationale. Des représentants de 13 pays
participèrent à cette conférence qui aboutit à
l'adoption de la Convention S.O.L.A.S., le 20 janvier 1914.
Depuis, quatre autres Conventions S.O.L.A.S. ont
été élaborées : la deuxième a
été adoptée
34 Il s'agit du Code international de gestion pour la
sécurité de l'exploitation des navires et la prévention de
la pollution, plus connu sous l'appellation Code I.S.M.. Il est adopté
en novembre 1993 par l'O.M.I. et est entré en vigueur en 1998.
35 Il s'agit d'un Recueil international pour la
sûreté des navires et des installations portuaires
en 1929 et est entrée en vigueur en 1933 ; la
troisième a été adoptée en 1948 et est
entrée en vigueur en 1952 ; la quatrième a été
adoptée (sous les auspices de l'O.M.I.) en 1960 et est entrée en
vigueur en 1965 ; quant à la présente version en cours, elle a
été adoptée en 1974 et est entrée en vigueur en
1980. Les Conventions S.O.L.A.S. ont toutes couvert de nombreux aspects de la
sécurité en mer. La version de 1914, par exemple, comprenait des
chapitres sur la sécurité de la navigation, la construction, la
radiotélégraphie, les engins de sauvetage et la prévention
de l'incendie. Ces questions font encore l'objet de chapitres distincts de la
version de 1974.
La règle 6 du chapitre I de la Convention est relative
aux inspections et visites. Elle indique que celles-ci doivent être
effectuées par des fonctionnaires de l'administration de l'Etat du
pavillon. Elle ajoute que « toutefois » ces inspections et visites
peuvent être confiées à des organismes reconnus par elle.
Cette notion « d'organismes reconnus par elle » renvoie implicitement
aux sociétés de classification. La Convention prévoit donc
expressément le recours à ces organismes.
La règle 7 du chapitre I fixe trois catégories
de visites pour les navires à passager et les navires de ligne de
charge. Les dispositions sont le plus souvent très techniques et nous ne
ferons donc qu'un bref descriptif des visites prévues. Ce sont ces
visites que devront effectuer les inspecteurs des sociétés de
classification.
- La visite initiale intervient avant que le
navire ne soit mis en service pour veiller à ce que son état soit
satisfaisant et qu'il puisse objectivement assurer le service auquel il est
destiné. Elle doit comprendre une inspection complète de la
structure du navire, de ses machines, de son armement ainsi que de ses
chaudières. Le navire doit également être pourvu des feux,
signaux sonores et signaux de détresse pour prévenir les
abordages.
- La visite périodique est une
inspection sensiblement similaire à la visite initiale et est
effectuée à des intervalles réguliers
spécifiés. Il s'agit de vérifier que les équipement
du navire satisfont toujours aux exigences de la S.O.L.A.S..
- La visite de renouvellement est une visite
périodique particulière en ce sens qu'elle conduit à la
délivrance d'un nouveau certificat.
certificat visé. Elle est effectuée entre les
visites périodiques à des intervalles
spécifiés36.
- La visite annuelle comprend une inspection
générale du matériel préalablement
vérifié lors de la visite initiale. Il s'agit de vérifier
que le navire est resté satisfaisant pour le service auquel il est
destiné.
- La visite supplémentaire doit
intervenir lorsque le navire a subi une réparation à la suite de
défaillances remarquées lors de visites antérieures ou
chaque fois qu'il a subi des réparations ou rénovations
importantes.
- L'inspection inopinée intervient sans
que le propriétaire ou le capitaine n'ait été
prévenu et ceci pour confirmer que le navire et son matériel
d'armement restent satisfaisants.
· Règles relatives aux visites prévues par
la Convention LOAD LINES sur les lignes de charge
La première Convention internationale de 1930 concerne
les lignes de charge37 . L' International Convention on Load Lines
(I.C.L.L.), adoptée le 5 avril 1966 par l' O.M.I. et entrée en
vigueur le 21 juillet 196838 fixe des principes et des règles
relatives aux limites autorisées pour l'immersion des navires effectuant
des voyages internationaux. Ces conventions s'attachent à
déterminer les procédures aboutissant à la
délivrance du certificat de franc-bord des navires.
Les règles énoncées tiennent compte des
dangers d'origine géopolitique ou climatique. Toutes les lignes de
charge doivent être marquées au milieu du navire de chaque
côté de la coque, de même que la ligne de pont. Un
franc-bord plus faible est assigné aux navires destinés au
transport de bois en pontée39, technique qui offre une
meilleure protection contre l'impact des vagues.
La Convention indique que les navires construits
conformément aux règles d'une société de
classification reconnue par l'administration peuvent être
considérés comme ayant une solidité
36 P. BOISSON, Etats du pavillon / sociétés de
classification, op.cit., p. 41.
37 La ligne de charge ou encore marque de franc-bord est un
ensemble de symboles peints sur les flancs des navires indiquant la hauteur
maximale de la ligne de flottaison, en fonction de la nature de la cargaison,
des propriétés physiques de l'eau (salinité,
température) et de la zone géographique dans laquelle il
navigue.
38 Cette Convention a été ratifiée par la
France le 30 novembre 1966.
39 La cargaison est entreposée et arrimée sur le
pont du navire.
suffisante. Cela montre bien que la compétence des
sociétés de classification est reconnue de façon
quasi-unanime.
La Convention dans ses articles 14 et 15 décrit les
visites qui doivent être effectuées. Ces visites sont très
proches de celle prévues pour la délivrance des certificats
S.O.L.A. S..
- Une visite initiale avant la mise en service
du navire comportant l'inspection complète de sa structure et de ses
équipements.
- Une visite périodique dont les
intervalles sont définis par l'administration de l'Etat du pavillon mais
qui ne peuvent pas dépasser cinq ans : il s'agit d'inspecter la
structure, des équipements et des matériaux.
- Une visite annuelle, effectuée dans
les trois mois qui suivent ou qui précèdent la date
d'anniversaire de la délivrance du certificat initial. Cette visite est
moins approfondie que les précédentes, il s'agit de
vérifier que la coque ou la superstructure n'a pas subi de modifications
de nature à influer sur les calculs servant à déterminer
la position de la ligne de charge40.
L'exécution de ces visites techniques est
déléguée aux sociétés de classification. Le
navire est donc susceptible d'être visité à n'importe quel
moment. Ce contrôle peut être réalisé dans de
nombreux centres de sécurité présents dans tous les grands
ports mondiaux. Le but de cette visite est la délivrance d'un certificat
attestant que le navire est en conformité avec les exigences des
conventions.
§ 2. La délivrance des certificats de
conformité
Les Conventions internationales sur la sécurité
maritime prévoient la délivrance de plusieurs documents attestant
la conformité des navires à leurs dispositions.
La Convention Load Lines de 1966 prévoit dans son
article 19 deux types de documents. Il s'agit tout d'abord du
certificat international de franc-bord. Il atteste que les visites
prévues par la Convention ont été effectuées et que
le navire répond aux exigences. Ce certificat a une durée de
40 M. FERRER, op. cit., p. 315.
validité maximale de cinq ans. A l'issue de chaque
visite de renouvellement, un nouveau certificat est délivré au
navire. Ce certificat de franc-bord est annulé en cas de modification
importante, si les installations sont en mauvais état ou encore si la
résistance de la structure du navire a été
affaiblie41. La Convention prévoit également un
certificat d'exemption. Selon l'article 6 de la Convention,
des navires qui effectuent uniquement des trafics internationaux particuliers
peuvent être exemptés de certaines dispositions de la Convention,
avec l'accord des administrations concernées.
Si, à la date de l'expiration d'un certificat, le
navire ne se trouve pas dans un port dans lequel il doit recevoir une visite,
l'administration peut proroger la validité de ce certificat dans
certaines limites. Elle ne doit être accordée que pour permettre
au navire d'achever son voyage vers le port dans lequel il doit être
visité et ne peut excéder trois mois. Le navire qui
bénéficie de cette prorogation ne peut pas repartir du port dans
lequel il doit être visité sans avoir obtenu un nouveau
certificat.
La Convention S.O.L.A.S. de 1974 prévoit
également la délivrance de certificats42. Le
certificat de sécurité pour navire à
passagers43 sera délivré à la suite
d'une visite initiale ou d'une visite de renouvellement. Le certificat
de sécurité radioélectrique pour navire de
charge, c'est à dire tout navire autre qu'un navire à passager,
est délivré à l'issu des mêmes visites. Le
certificat de sécurité de construction est
nécessaire pour les navires de charge. Les navires de charge doivent
également avoir un certificat de sécurité du
matériel d'armement.
Ces trois certificats doivent être
délivrés pour une période dont la durée est
fixée par l'administration de l' Etat du pavillon mais cette
durée ne peut pas excéder cinq ans. Comme pour la Convention Load
Lines, si, à la date d'expiration du certificat, le navire ne se trouve
pas dans un port où une visite peut être effectuée, une
prorogation maximale de cinq mois peut être accordée.
Il existe également un certificat
d'exemption qui est délivré lorsqu'une exemption est
accordée à un navire. Ce certificat ne doit pas avoir une
durée de validité supérieure à celle du certificat
auquel il se réfère.
Avec la constatation que la défaillance humaine est
souvent la cause des accidents maritimes, l'O.M.I. a souhaité
élargir son domaine d'activités, pour couvrir non seulement les
aspects techniques du navire mais également sa gestion.
41 Article 19 de la Convention Load Lines.
42 La délivrance des certificats est prévue par le
règle 12 du Chapitre I de la Convention.
43 Le navire à passagers désigne un navire qui
transporte plus de 12 passagers.
§ 3. Le contrôle de la conformité aux Codes
I.S.M. et I.S.P.S., reflet de l'extension des missions confiées aux
sociétés de classification
La certification de la conformité au code I.S.M.
:
La résolution de l' O.M.I. A. 741, adoptée le 4
novembre 1993, a créé « l'International Safety Management
Code » ou code I.S.M. Il a été intégré comme
chapitre IX dans la Convention S.O.L.A.S.. Le non-respect du Code,
détecté lors des contrôles effectués par les
autorités portuaires, est sanctionné par l'interdiction de
naviguer dans les eaux territoriales des pays signataires de la Convention
SOLAS.
L'idée d'un tel code est «
originale»44 car c'est l'élément humain qui est
au centre de ce système de prévention et de maîtrise des
risques. Le code I.S.M. couvre l'organisation et les dispositions prises par
l'entreprise pour maîtriser la sécurité et prévenir
les risques de pollution. Les armateurs doivent eux-mêmes organiser la
gestion de la surveillance et du contrôle des équipements
techniques des navires et de leurs équipages en renforçant la
notion de contrôle interne.
Les éléments essentiels du transport maritime
font l'objet d'une évaluation qui est susceptible de conduire à
l'obtention d'un document de conformité pour l'entreprise et d'un
certificat de gestion de la sécurité attribuable à chaque
navire. Les directives du code s'adressent principalement à la «
compagnie ». Il s'agit du propriétaire du navire, ou de tout autre
organisme ou personne, telle que l'armateur gérant ou l'affréteur
coque nue, auquel le propriétaire a confié la
responsabilité de l'exploitation de son navire et qui, en assumant cette
responsabilité, s'acquitte des tâches et obligations
imposées par le Code I.S.M.45.
Le personnel à bord du navire et en premier lieu son
capitaine doivent signaler à la compagnie les
irrégularités, accidents et incidents potentiellement dangereux.
L'article 9. 1 du code indique que la compagnie doit ouvrir une enquête
et analyser ces incidents. Cette compagnie doit désigner une personne
basée à terre pour assurer la liaison avec les navigants,
surveiller les aspects de l'exploitation du navire liés à la
prévention et à la sécurité et veiller à ce
que des ressources suffisantes et un soutien adéquat à terre
soient fournis.
44 A.-M. CHAUVEL, Sécurité en mer, Le Code
ISM, EDITIONS PREVENTIQUES, 1996, p. 17.
45 A.-M. CHAUVEL, op. cit., p. 116.
Le point le plus original de ce code I.S.M. se trouve à
l'article 12. Il précise que la compagnie doit effectuer des audits
internes et donc faire une auto-évaluation du système de gestion
de la sécurité qu'elle a préalablement mis en place. Un
contrôle du système de la gestion de la sécurité de
l'exploitation du navire est également effectué par un organisme
extérieur à la Compagnie.
Ce contrôle est apprécié par
l'administration de l'Etat du pavillon du navire ou une société
de classification agréée46. La Grèce par
exemple fait une délégation complète de compétence
pour le contrôle de la conformité aux exigences du code
I.S.M47. Cette délégation n'est pas
systématique. En effet, certains Etats gardent des opérations
directement sous leur contrôle. Ainsi, en France, les titres relevant de
la gestion de la sécurité sont délivrés par
l'administration48.
Des critiques très virulentes sur les conditions de
délivrance des certificats I.S.M. par les sociétés de
classification ont été formulées. Elles dénoncent
des contrôles de qualité variable selon l'immatriculation des
navires sous pavillon de complaisance ou non49.
L'Association Internationale des Sociétés de
Classification (I.A.C.S)50 a mis en place une « white list
» enregistrant les certifications de conformité au code
I.S.M51 effectuées par les sociétés de
classification membres. Cette liste comporte le nom et le numéro
d'immatriculation I.M.O.52 des navires et est accessible sur le site
internet de l'I.A.C. S.53 . Il s'agit là d'une aide
considérable pour l'administration de l' Etat du port mais aussi pour
les assureurs54.
Le développement des contrôles et de la
certification au titre du code I.S.M. ne sont pas les seuls signes de
l'extension des missions confiées par l'Etat du pavillon aux
sociétés de classification. L'instauration d'un code pour la
sûreté des navires et des installations portuaires a
été l'occasion d'un
46 L'article 13 du Code I.S.M. prévoit que les
sociétés de classification reconnues peuvent effectuer les
contrôles et délivrer le Certificat de gestion de la
sécurité.
47 L. J. ATHANASSIOU, Le rôle et la
responsabilité des sociétés de classification du point de
vue du droit grec, ADMO, 2006, p. 109.
48 P. BOISSON, Politiques et Droits de la
Sécurité Maritime, op. cit., p. 370.
49 M.N., Navires sous-normes : ça risque de
décoiffer, JMM, 20 juin 1997, n°4044, p. 1421
50 L'I.A.C.S. est une association regroupant les plus grandes
sociétés de classification. Elle constitue un outil
conséquent pour une application uniforme de la réglementation
internationale.
51 P. ANDERSON, ISM Code, a practical guide to the legal
insurance implications, LLP, 1998, p. 39.
52 Le numéro O.M.I. est obligatoire depuis
l'entrée en vigueur le 1er janvier 1996 de la Règle n° 3 du
chapitre IX de la Convention S.O.L.A.S.. Il est attribué à tous
les navires à passager d'une jauge brute égale ou
supérieure à 100 et à tous les navires de charge d'une
jauge brute égale ou supérieure à 300. Il apparaît
sur les différents certificats.
53
http://www.iacs.org.uk
54 Idem.
nouveau transfert de compétence en direction des
sociétés.
La certification de la conformité au Code
international pour la sûreté des navires et des installations
portuaires :
Le Code International Ship and Port Security (I.S.P.S.) a
été adopté à Londres le 12 décembre 2002 par
la résolution 2 de la Conférence des Gouvernements contractants
à la Convention S.O.L.A.S. et est entré en vigueur le 1er juillet
2004. Cette notion de sûreté se rapporte à la protection
contre tous les actes de malveillance de toutes origines.
Ce Code s'applique aux navires qui effectuent des voyages
internationaux, navires à passagers, navires de charge de 500 t.j.b. et
plus, aux unités mobiles de forage et aux installations portuaires
susceptibles d'accueillir ces navires. Il contient des normes fournissant un
cadre international pour l'établissement des mesures de
sûreté dans le domaine des opérations maritimes. Il impose
notamment l'édification d'un plan de sûreté du navire
destiné à garantir l'application des mesures pour protéger
les personnes, la cargaison et le navire lui même.
Une évaluation globale des risques encourus par le
navire et l'équipage doit être effectuée par un agent de
sûreté de la compagnie55. Cette étude permet
l'arrêt des mesures de prévention et de sûreté et
l'établissement d'un plan de sûreté propre au navire.
Ce plan doit être approuvé par l'administration
de l'Etat du pavillon qui délivrera un certificat international
de sûreté. Mais l'Etat du pavillon peut aussi choisir
d'autoriser un « organisme de sûreté reconnu » à
effectuer l'approbation des plans de sûreté des navires, la
vérification et certification des navires au Code ISPS ou
l'évaluation de la sûreté des installations portuaires. Cet
organisme de sûreté reconnu est spécialement
habilité par l'Etat56 et possède des
compétences appropriées en matière de sûreté
ainsi qu'une connaissance suffisante des navires et des ports57.
L'I.A.C.S. a diffusé auprès de ses membres des
règles procédurales et des directives pour
55 La définition de cette « compagnie » est
similaire à celle que nous avions donnée à propos de la
certification au Code I.S.M.
56 A titre d'illustration, le Bureau Veritas s'est vu
reconnaître le statut d'organisme de sûreté reconnu par plus
de 50 Etats du pavillon.
57 Convention SOLAS, chapitre XI-2, règle 1.1.16.
une interprétation unifiée des dispositions du Code
I. S.P.S.58.
Mais l'application de ce Code I.S.P.S. soulève de
nombreuses interrogations en doctrine59. Les doutes sont
exprimés sur l'entité juridique habilitée à
approuver les plans de sûreté. Selon le Code ISPS, il peut s'agir
de l' Etat du pavillon et des organismes de sûreté reconnus.
En France, une commission consultative de reconnaissance a
été instituée60. Elle assure le suivi de ces
organismes et instruit leurs demandes de reconnaissance. C'est le Ministre de
la mer qui a habilitation pour délivrer, suspendre ou modifier la
reconnaissance de ces organismes. La reconnaissance est valable pour une
durée de deux ans. L'approbation finale des plans de sûreté
relève de la compétence exclusive de l' Etat
français61.
La question se pose également de la valeur du
certificat international de sûreté lorsqu'il est
délivré par un organisme de certification « oeuvrant sur le
territoire d'Etats dits de pavillon de complaisance »62. Il est
en effet établi que ces Etats ne suivent pas toujours les
recommandations des sociétés de classification auxquelles elles
ont délégué le contrôle des navires. Ainsi, dans
l'affaire de l'Erika, le contrôle du navire était effectué
par la société de classification RINA sur
délégation des autorités maritimes maltaises. Cette
société avait recommandé aux autorités de suspendre
le certificat de conformité I. S.M. qu'elle avait délivré
au navire. Mais les autorités maltaises ont refusé de suivre
cette recommandation63. Cette situation peut très bien se
reproduire dans le cadre des indications relatives au plan de
sûreté et les interrogations demeurent.
Section 2. La certification de la conformité aux
Conventions Internationales sur la
pollution en mer : la Convention
MARPOL
La volonté de protéger le milieu marin de la
pollution résultant du transport maritime est récente. En 1954
est adoptée la première convention internationale relative
à la pollution en mer. Il
58 P . BOISSON, La sûreté des navires et la
prévention des actes de terrorisme dans le domaine maritime,
D.M.F., 2003, p. 732.
59 P. POLERE, Sûreté maritime : Bilan et
perspectives du Code ISPS, D.M.F., 2006, p. 282.
60 Arrêté du 25 juin 2004 relatif à la
reconnaissance des organismes de sûreté maritime et portant
création d'une commission consultative de reconnaissance, JO
n° 179 du 4 août 2004.
61 Idem.
62 Ibid.
63 S. ROBERT, L'Erika : responsabilités pour un
désastre écologique, PEDONE, 2003, p. 166.
s'agit de la Convention pour la prévention de la
pollution des eaux de la mer par les hydrocarbures (dite OIL POL). Puis, les
grandes catastrophes écologiques résultant du naufrage de
nombreux navires ont conduit, dans un souci de protection de la mer, à
des engagements nationaux et internationaux dans les années 1970 sous
forme de déclarations et conventions. Ainsi, la protection de
l'environnement marin est devenue une des « valeurs fondamentales
»64 du droit maritime. Sous l'égide de l'O.M.I. est
adoptée en 1973 la Convention internationale pour la prévention
de la pollution par les navires65. Cette convention a
été modifiée par un Protocole de 1978, d'où son
appellation courante de MARPOL (Maritime Pollution) 73/78. Il s'agit à
l'heure actuelle d'un des régimes les plus « complets et
précis »66 avec actuellement 6 annexes, toutes en
vigueur, qui concernent :
- la pollution par les hydrocarbures (Annexe I)
- la pollution par les substances liquides nocives (Annexe II)
- la pollution par les substances nuisibles transportées
en colis (Annexe III)
- la pollution par les eaux usées des navires (Annexe
IV)
- la pollution par les ordures des navires (Annexe V)
- la pollution de l'atmosphère par les navires (Annexe
VI)
§ 1. Les diverses visites prévues par la
convention
L'alinéa 3c de la règle 4 du chapitre 5 indique
que tout Etat du pavillon désignant des inspecteurs ou des organismes
reconnus pour effectuer des visites et des inspections, doit les habiliter
à pouvoir exiger qu'un navire subisse des réparations et à
effectuer des visites et des inspections si les autorités de l' Etat du
port le lui demandent.
La Convention MARPOL prévoit différentes visites
préalables à la délivrance du certificat. Une
visite initiale qui comprend une visite de la structure, des
équipements et des installations, aménagements et
matériaux. Une visite de renouvellement avec des
vérifications semblables à celles qui sont prévues pour la
visite initiale. Cette visite a lieu à des intervalles fixés par
l'administration de l'Etat du pavillon et ne doit pas dépasser 5 ans.
Une visite supplémentaire, générale ou
partielle doit être effectuée, à la suite d'une
réparation ayant fait suite à une directive d'une
société de classification, ou à chaque fois que le navire
subit des réparations ou rénovations
64 M. RIMABOSCHI, op. cit., p. 228.
65 La Convention MARPOL a été ratifiée par
la France le 25 septembre 1981, J. O., 2 octobre 1981.
66 P. FATTAL, Pollutions des côtes par les
hydrocarbures, PUR, 2008, p. 52.
importantes. Enfin une visite annuelle est
effectuée 3 mois avant ou après chaque date d'anniversaire du
certificat. Toutes ces visites sont très semblables à celles
prévues par la Convention SOLAS.
Il existe également des visites renforcées pour
certains navires. Ces visites à bord des vraquiers et des
pétroliers sont plus complètes. Un programme de visite est
élaboré sur la base de renseignements concernant le navire. Les
inspecteurs de l'Etat du pavillon ou d'une société de
classification travaillent avec des données relatives aux
caractéristiques du navire, les plans généraux de sa
structure et de ses citernes ainsi que leur utilisation, la nature du
revêtement de protection de ces citernes67. Pour chaque visite
statutaire, un nombre d'éléments supplémentaires à
contrôler est ainsi ajouté.
§ 2. La délivrance des certificats de
conformité
Comme pour les Conventions S.O.L.A.S. et I.C.L.L., la
Convention MARPOL prévoit dans son annexe I, chapitre 5 à la
règle 10 que le certificat est délivré , soit par l' Etat
du pavillon, soit par un organisme dûment autorisé par elle.
Les règles de délivrance, de conditions de
validité et de prorogation des certificats MARPOL sont similaires
à celles prévues par la Convention S.O.L.A.S.. Il s'agit ici d'un
certificat international de prévention de la pollution par les
hydrocarbures délivré après une visite initiale
ou une visite de renouvellement. La durée de validité de ce
certificat est fixée par l'Etat du pavillon mais ne peut excéder
cinq ans. Mais, si à la fin de la durée de validité du
certificat, le navire ne se trouve pas dans un port de l'Etat du pavillon, le
certificat peut être prorogé pour permettre au navire d'achever
son voyage. Mais il faut que cette mesure apparaisse opportune et raisonnable
(règle 8) et la prorogation ne peut pas excéder cinq mois. Une
fois arrivé dans un port de l' Etat du pavillon, le navire ne peut pas
quitter le port sans avoir obtenu un nouveau certificat.
La délivrance de ces certificats est assurée par
les mêmes personnes qui effectuent les visites, soit un agent de
l'administration de l'Etat du pavillon, soit un expert auprès d'une
société de classification agrée.
67 M. FERRER, op. cit. p. 322.
Les sociétés de classification procèdent
donc aux visites prévues par les différentes conventions et
délivrent les certificats de conformité. Ce travail statutaire
leur est confié car ces organismes disposent d'une reconnaissance
historique, d'une compétence technique unanimement admise68
mais également d'un réseau de centres et d'experts situés
dans tous les grands ports du monde.
Bien qu'associées au sein de l'I.A.C. S., les
sociétés de classification n'en sont pas moins concurrentes et
les certificats de conformité délivrés par le Bureau
Veritas n'étaient pas reconnus par les autres sociétés et
vice-versa. Un navire était donc visité par une seule
société de classification et les certificats émanaient
également d'une seule société. Les membres de l'I.A.C.S.
estimaient que cela permettait une sorte d'unité du contentieux. En
effet, en cas de contestation faisant suite à un naufrage par exemple,
une seule société de classification avait certifié le
navire et endossait donc seule la responsabilité en cas de
condamnation.
Mais cette situation a changé avec l'adoption, le mardi
10 mars 2009, du paquet Erika 369. Les sociétés de
classification devront désormais adopter le principe de reconnaissance
mutuelle des certificats du navire.
Les sociétés de classification ont donc
désormais l'obligation d'accepter et de couvrir par leur propre
certificat des équipements certifiés par d'autres organismes sur
lesquels elles n'ont aucune possibilité d'intervention ni aucun moyen de
contrôle. L' Institut Français de la Mer70 (I.F.M.)
considère71 que cette obligation « porte gravement
atteinte à la cohérence du dispositif en place qui a fait ses
preuves, même s'il est perfectible ». Cette disposition du Paquet
Erika 3 aurait été introduite « à la hâte, sans
concertation et sans étude d'impact » et elle constituerait une
« menace sérieuse » pour la sécurité maritime.
Cette obligation de reconnaissance mutuelle des certificats va entraîner
une « dilution des responsabilités ». En effet, la
société de classification n'aura plus une connaissance
complète du navire et de ses équipements. L'I.F.M.
considère que les sociétés de classification devront
désormais travailler « en aveugle » et se contenter d'accepter
des certificats émis par d'autres. Cette obligation de reconnaissance
est « d'autant plus incompréhensible
68 LE MARIN, adaptation des sociétés de
classification aux évolutions des navires, vendredi 17 octobre.
2008., p. 4.
69 LE MARIN, Le paquet Erika 3 enfin adopté,
vendredi 13 mars 2009, p. 4.
70 L'Institut Français de la Mer (IFM) est une association
de Loi 1901 qui a pour objectif de sensibiliser les Français au
rôle fondamental de la mer dans tous les domaines et d'oeuvrer par tous
moyens au développement des activités maritimes de la France.
71 V. Institut français de la mer, Communiqué de
presse du 11 décembre 2007, La reconnaissance mutuelle des
certificats de classification des équipements, une menace pour la
sécurité maritime.
qu'elle est contraire à l'exigence constante et
justifiée de la Commission Européenne que les
sociétés de classification aient recours exclusivement à
leur propre personnel pour effectuer toutes les inspections et
vérifications entrant dans leur champ de responsabilité
».
Le Secrétaire Général de l'Organisation
maritime internationale le reconnaît lui-même, toutes les
réglementations du monde ne vont pas empêcher les accidents de se
produire. Le système juridique a une grande part à jouer mais,
dans une grande majorité des cas, c'est l'élément humain
qui est la source de l'accident72. Mais les sociétés
de classification ne sont pas qualifiées pour assumer un contrôle
opérationnel. Ainsi, aucune société n'examine si les
membres de l'équipage du navire ont une langue commune de communication
ou s'ils sont capables de travailler en équipe. Or, comme nous
l'indiquions précédemment, les statistiques montrent que l'erreur
humaine est à l'origine d'environ 80% des sinistres enregistrés.
Comme le remarque Monsieur Athanassiou, « les problèmes commencent
là où cessent les compétences classiques des
sociétés de classification, lesquelles s'avèrent,
même contre leur gré, impuissantes à pourvoir l'aspect
public de la sécurité maritime »73.
72 W. O'NEIL, Raising the world maritime standars,
MARITIME POLICY ANS MANAGEMENT, 2004, n°1, p. 86.
73 G. ATHANASSIOU, Aspects juridiques de la concurrence maritime,
PEDONE, 1996, p. 434.
31 Chapitre 2. La particularité du
régime juridique de la délégation aux
sociétés de classification
Cet exercice de l'obligation de contrôle des navires
arborant le pavillon de l'Etat, basé sur la coopération
étroite avec le secteur privé, permet ainsi aux autorités
nationales de remplir leurs obligations internationales en suivant la meilleure
pratique professionnelle et ce « sans bourse délier
»74.
Pour éviter que cette action des sociétés
de classification en faveur de la sécurité maritime ne soit une
démarche simplement cosmétique, il a fallu de plus en plus
s'assurer de la rigueur des contrôles qu'elles exercent.
Les techniques juridiques utilisées pour les
premières délégations étaient assez rudimentaires :
il s'agissait le plus souvent d'un simple acte administratif autorisant
l'organisme habilité à effectuer les visites prévues par
une convention et à délivrer les certificats de conformité
correspondants. Puis dans le sillage du Liberia75, de nombreux Etats
mirent en place des accords d'agrément pour régir les rapports
juridiques avec les sociétés de classification
délégataire, organiser un système de coopération et
permettre l'échange des informations en matière de contrôle
de la sécurité des navires76.
Un contrôle extérieur à l'Etat
délégataire est peu à peu apparu. L'aptitude à
exercer ces fonctions statutaires est régie par une procédure
d'agrément qui reconnaît la capacité à agir au nom
et pour le compte de l'Etat du pavillon. L'O.M.I. et l'Union Européenne
ont fixé des directives encadrant cette délégation. Cette
position des instances internationales n'est pas surprenante car les acteurs
majeurs du transport maritime admettent que les sociétés de
classification doivent être majoritairement reconnues. Cette exigence est
d'autant plus nécessaire que plus de 50 sociétés de
classification sont actuellement dénombrées dans le
monde77. Pour pouvoir recevoir une délégation d'un
Etat membre de l'Union européenne, une société de
classification doit préalablement satisfaire aux exigences posées
par le droit international et par le droit communautaire (section 1). L'Etat du
pavillon ne pourra déléguer ses compétences qu'aux
sociétés qui satisferont aux critères posés par
le
74 G. ATHANASSIOU, op. cit., p. 432.
75 L'administration maritime du Liberia fut la première en
1978 à développer des accords d'agrément avec les grandes
sociétés de classification.
76 P. BOISSON, Etats du pavillon / sociétés de
classification, op. cit., p. 43.
77 A. BELLAYER-ROILLE, Le transport maritime et les
politiques de sécurité de l'Union européenne, op.
cit., p. 104.
droit international ou le cas échéant, par le
droit communautaire. Cette nécessaire reconnaissance préalable
est la première singularité du régime juridique de la
délégation de compétence aux sociétés de
classification.
Le régime juridique de cette délégation
à des sociétés de classification « reconnues »
est spécifique à chaque Etat délégant. Au regard du
droit français, cette délégation est originale car les
activités de contrôle de l'Etat sont rarement
déléguées. Sont reconnus par la France le Bureau Veritas,
le Det Norsk Veritas, le Germanischer Lloyd, le Lloyd Register, et l'American
Bureau of Shipping. C'est l'armateur du navire sous pavillon français
qui choisit parmi ces sociétés reconnues celle qui inspectera son
navire. Cette procédure complexe renforce la singularité de la
délégation de compétence aux sociétés de
classification en droit français.(section 2)
Section 1. La nécessaire reconnaissance
préalable des sociétés de classification
Sur délégation des Etats, les
sociétés de classification effectuent les visites et
délivrent au nom des Etats les titres attestant la conformité du
navire aux règlements officiels. Cette activité de certification
est encadrée à deux niveaux différents. A travers ses
résolutions, l'O.M.I. a établi des directives destinées
aux Etats désirant habiliter des « organismes reconnus ». Il
s'agit principalement de règles de procédure pour la
délégation et de règles minimales que les
sociétés doivent respecter.
L'Union Européenne, instituée par le
Traité de Maastricht du 7 février 1992, constitue un niveau de
contrôle supplémentaire pour ce travail statutaire. L'accident du
Braer78 a été traduit par la Commission
Européenne en une importante communication intitulée « Pour
une Politique commune de la sécurité maritime79
». La procédure d'agrément européen mise en place par
la directive 94/5 7 et adoptée le 22 décembre 1994 reflète
une valeur ajoutée communautaire dans son action normative en
matière de sécurité maritime. Ces deux niveaux de
contrôle vont être étudiés successivement.
78 A la suite de l'échouement du pétrolier
Braer le 5 janvier 1993 à la pointe sud des îles
Shetland, une très importante pollution a touché les côtes
anglaises.
79 Communication de la Commission, Pour une politique commune
de la sécurité maritime, COM(93)66 final du 24
février 1993.
§ 1. Les apports du droit international sur le
régime juridique de la délégation
Le protocole de 1978 à la convention S.O.L.A.S. donne
des indications sur cette délégation dans la règle 6
paragraphes c et d. La société doit pouvoir exercer pleinement
ses compétences et ce, sans entraves. Les sociétés
délégataires doivent ainsi pouvoir exiger qu'un navire subisse
des réparations. Par ailleurs, l'administration de l'État du
pavillon doit notifier à l'O.M.I. l'objet de la délégation
ainsi que les conditions d'exercice de cette nouvelle compétence.
Deux résolutions de l'O.M.I. sont incorporées
dans la convention S.O.L.A.S. (règle I du chapitre XI) et favorisent
l'adoption de procédures et de mécanismes uniformes en
matière de délégation80.
La résolution A. 739, adoptée le 22 novembre
1993 a établi des directives à l'attention des Etats
désirant « reconnaître des sociétés de
classification ». La résolution A. 789 du 23 novembre 1995 traite
des fonctions des organismes agissant au nom de l'administration en
matière de visites et de délivrance des certificats.
. Ces directives de l'O.M.I. demandent aux Etats
délégants de respecter plusieurs exigences81.
L'administration de l'État du pavillon doit
vérifier que l'organisme dispose de moyens techniques, de gestion et de
recherche suffisants pour s'exécuter de manière efficace dans la
réalisation des tâches qui lui sont confiées.
L'État doit établir avec l'organisme un accord
officiel relatif aux principaux aspects de la délégation. Cet
accord doit être fait par écrit. Ces principaux aspects de la
délégation sont détaillés dans un appendice de la
résolution A. 739 qui fixe les éléments que doit comporter
un accord officiel écrit entre l'administration délégant
et l'organisme délégataire. Cet accord doit faire
apparaître les compétences déléguées
(visites, délivrance des certificats...), le fondement juridique de la
délégation, la procédure de notification à
l'administration des problèmes rencontrés sur les navires, la
rémunération, les règles de confidentialité, le
mode de règlement des différents et le contrôle de
l'administration sur l'exercice de ces compétences par le
délégataire.
80 P. BOISSON, Etats du pavillon / sociétés de
classification, op. cit. p. 44.
81 Ces obligations de l'Etat du pavillon ont été
recensées par Monsieur Boisson in. Etats du pavillon /
société de classification, op. cit. p. 43
L'État doit donner à son partenaire des
instructions précises concernant les mesures qu'il doit prendre lorsque
le navire est considéré comme inapte à prendre la mer.
Le déléguant doit mettre à la disposition du
délégataire tous les instruments de la législation
nationale lui permettant d'accomplir sa mission.
A côté de ces obligations de coopération
visant l'effectivité du travail statutaire des sociétés de
classification, les deux résolutions traitent du contrôle que l'
Etat doit exercer sur ces organismes. L'administration doit établir un
schéma permettant de vérifier la qualité du travail
effectué par la société de classification.
Des procédures de communication doivent être
établies entre les deux partenaires. Cette communication est notamment
nécessaire pour que la société de classification demande
à l'administration de bloquer un navire à la suite d'une
visite.
L'État du pavillon doit être en mesure
d'effectuer de lui-même des visites supplémentaires du navire.
Mais cette obligation se heurte sans aucun doute au manque de moyen ou
peut-être même à la réticence des administrations
nationales de certains États dit de complaisance.
Le système de qualité de la
société doit être certifié par un corps d'auditeurs
indépendant et accepté par l'État du pavillon. La
société doit appliquer un système d'assurance
qualité conforme aux normes ISO 9000.
. Les deux résolutions de l' OMI font également
peser des obligations sur l'organisme
reconnu.
L'organisme reconnu par l'administration doit démontrer
que sa taille, sa structure et son expérience sont en adéquation
avec les fonctions qui peuvent lui être déléguées.
Le premier appendice de la résolution A. 739 indique ainsi que
l'organisme reconnu doit justifier d'une expérience étendue dans
l'évaluation de la conception, de la construction et de
l'équipement des navires.
L'organisme reconnu doit publier et tenir à jour des
règlements de classification82.
Le délégataire doit respecter des principes de
déontologie. L'I.A.C.S. a ainsi adopté un code d'éthique
qui fixe les règles de bonne conduite que doivent respecter ses membres
afin de préserver leur réputation d'intégrité et
d'indépendance83.
La question se pose de la valeur à donner à ces
résolutions de l'O.M.I.. Quelle est leur juridicité? L'O.M.I.
n'est pas habilitée à imposer des sanctions aux États
parties qui n'appliquent pas les exigences de la Convention ou n'obligent pas
les navires qui battent leur pavillon à les respecter.
Le niveau d'action communautaire permet d'éviter un
« abus de mou »84. En effet, les Etats membres de l'Union
Européenne devront intégrer les directives dans leur ordre
interne. Une directive lie tout État membre destinataire quant au
résultat à atteindre, tout en lui laissant la compétence
quant à la forme et aux moyens.
§ 2. La procédure d'agrément
européen, écho d'une régionalisation de la
sécurité maritime
La généralisation de la délégation
est source d'ambiguïté sur le statut des sociétés de
classification. Ce transfert de compétence peut se révéler
gênant car elles « se retrouvent fréquemment à la fois
juge et partie »85. Elles sont rémunérées
par les armateurs qui font appel à elles.
En déléguant le contrôle de ses navires
à de multiples sociétés de classification, l'État
du pavillon complaisant, « [...]surtout s'il n'exerce aucun contrôle
sur elles, favorise indirectement l'immatriculation des navires sous son
registre en permettant que l'armateur fasse appel à des organismes de
contrôle peu sérieux »86.
Il est nécessaire de souligner, dans ce domaine de la
délégation du contrôle des navires, une intervention
salutaire du droit communautaire. A défaut de rétablir la «
responsabilité pleine et entière du pavillon »87,
les institutions communautaires encadrent cette pratique. Le Traité
de
doivent se référer les navires pour être
sûrs.
83 P. BOISSON, Politiques et Droit de la
Sécurité Maritime, EDITIONS DU BUREAU VERITAS, 1998, p.
137.
84 M. REMOND-GOUILLOUD, Du droit de détruire,
PUF, 1989, 1ère édition, p. 36 à propos du droit de
l'environnement qui souffre de l'inflation de fausses sources comme les
déclarations de principe, les chartes ou proclamations.
85 M. REMOND-GOUILLOUD, Droit maritime, PEDONE, 1988, p.
194
86 L. KHODJET EL KHIL, op. cit. p.237.
87 D. DA SILVA, op. cit. p. 261.
Maastricht du 7 février 1992, instituant l'Union
européenne va consacrer la compétence de la Communauté en
matière de sécurité maritime. L'article 75 c du
Traité dispose que « ... le Conseil, statuant conformément
à la procédure visée à l'article 189 C et
après consultation du Comité économique et social,
établit les mesures permettant d'améliorer la
sécurité des transports ». Auparavant, les normes
étaient impulsées au niveau international avant d'être
reprises au niveau communautaire. Aujourd'hui, le mouvement n'est plus si
déséquilibré et l'Union Européenne agit de sa
propre initiative en matière de sécurité maritime qui est
devenue « un des axes prioritaires de la politique européenne
»88
Concernant la délégation aux
sociétés de classification, il est raisonnable de parler d'une
valeur ajoutée communautaire. Ce acteur ne reste pas inactif et il
s'agit de jure comme de facto d'un niveau de contrôle
supplémentaire et d'un formidable outil pour introduire des exigences
harmonisées sur ce travail de certification des sociétés
de classification. Le Conseil de l'Union européenne a adopté le
22 novembre 1994 la directive 94/5 7 « établissant des
règles et normes communes concernant les organismes habilités
à effectuer l'inspection et la visite des navires et les
activités pertinentes des administrations maritimes »89
. Elle fixe les différents principes de la procédure
d'agrément comme sa demande, sa suspension et sa suppression. Le
naufrage du pétrolier Erika a souligné les insuffisances
de cette procédure, aussi le Conseil européen de Nice des 4, 5 et
6 décembre 2000 a-t-il débouché sur la Directive 2001/1
0590 qui modifie la précédente et renforce les
pouvoirs et le contrôle de la Commission sur les sociétés
de classification.
Principe de l'agrément :
l'article 3 de la directive 94/57/CE impose que « lorsqu'un État
membre habilite un organisme à effectuer en tout ou partie des
inspections et les visites afférentes aux certificats [...], il ne
confie ces visites qu'à des organismes agréés ». Il
apparaît clairement que la délégation par les États
membres, du contrôle des navires et de leur certification, ne peut
être faite qu'à des organismes agrées. D'autres part,
l'article 14-1 indique que chaque État membre doit s'assurer que les
navires battant son pavillon sont construits et entretenus selon les
règlements de classification des sociétés
agréées.
88 P. BOISSON, La politique européenne de la
sécurité maritime, source d'efficacité?, in. L'Union
Européenne et la mer, dir. A. CUDENNEC et G. GUEGUEN HALLOUET, PEDONE,
2007, p. 329.
89 Directive 94/57/CE, du Conseil établissant les
règles et normes communes concernant les organismes habilités
à effectuer l'inspection et la visite des navires et les
activités pertinentes des administrations maritimes, J.O.C.E, L 3
19/20.
90 Directive 2001/105/CE, du Parlement européen et du
Conseil du 19 décembre 2001 modifiant la directive 94/57/CE du Conseil
établissant des règles et des normes communes concernant les
organismes habilités à effectuer l'inspection et la visite des
navires et les activités pertinentes des administrations maritimes,
J.O.C.E., L 19 du 22 janvier 2002.
Critères d'agrément :
des critères minimaux sont établis par la directive afin de
garantir la fiabilité du travail statutaire des sociétés
de classification. La législation française distingue entre les
critères généraux et les critères particuliers.
Les critères généraux doivent être
remplis, tant sur le plan quantitatif que sur le plan qualitatif.
Sur le plan quantitatif :
- Pour pouvoir être agréé comme «
organisme reconnu », une société de classification doit
classer au moins 1000 navires océaniques de plus de 100 tjb
représentant au moins 5 millions de tjb au total.
- D'autre part, la société doit employer un
nombre d'inspecteurs proportionnel au nombre des navires classés. Parmi
ces inspecteurs, 100 au moins doivent travailler de manière exclusive
pour la société.
Ces critères quantitatifs ont pour but de refuser
l'agrément communautaire aux sociétés de classification de
faible importance qui opèrent en Europe91.
Sur le plan qualitatif :
- L'organisme agréé doit avoir une
expérience étendue dans le domaine de l'évaluation de la
conception et de la construction des navires.
- Il doit publier et mettre à jour
régulièrement ses règlements.
- Le registre des navires classés par la
société doit être publié tous les ans. Par ailleurs,
la proposition prévoit la réforme du système de sanctions
à l'égard des sociétés défaillantes, avec
l'introduction de sanctions financières. Le système actuel ne
connaît que la suspension ou le retrait de l'agrément. Des
sanctions plus graduelles seront plus efficaces.
- L'organisme ne doit pas être sous d'autres acteurs de
l'industrie maritime. L'annexe de la directive relatif aux critères
minimaux précise que les recettes de la société ne doivent
pas dépendre de manière significative d'une seule entreprise
commerciale. Il existe en effet un lien financier entre ces
sociétés privées et leurs clients armateurs, lequel
suscite des interrogations92 en terme de crédibilité
et d'impartialité.
91 P. BOISSON, Etats du pavillon / société de
classification, op. cit., p. 47.
92 Voir notamment ; A. BELLAYER-ROILLE, Une
responsabilisation accrue des acteurs de la sécurité maritime
européenne, in. PLANETE OCEANE, EDITIONS CHOISEUL, 2008, p. 176.
A côté de ces critères généraux
sont établis des critères particuliers qui reprennent les normes
minimales fixées par la résolution A. 739 de l' O.M.I..
- L'organisme doit disposer d'un personnel proportionné
aux tâches à effectuer et aux navires
classés.
- Il doit être régi par un code de
déontologie et garantir la confidentialité des informations
fournies à l'administration.
- L'organisme doit suivre une politique élaborée
sur « des objectifs et des indicateurs de performance en matière de
sécurité et de prévention de la pollution »93
- Le système de qualité de l'organisme doit
être certifié par un corps indépendant de
vérificateurs reconnu par l'administration de l' État dans lequel
il est établi.
Procédure d'agrément :
Cette procédure est précisée dans
l'article 4 de la directive 94/57 qui oblige les États membres à
ne reconnaître que les organismes répondant aux critères de
l'agrément communautaire. C'est une procédure assez complexe de
double agrément. L'organisme doit au préalable recevoir
l'agrément de la Commission Européenne. Les États membres
vont ensuite agréer eux-mêmes les organismes parmi ceux
déjà reconnus au niveau communautaire. Ainsi, 13
sociétés sont actuellement agréées au niveau
communautaire94. Il convient de rappeler que l'État
français reconnaît 5 organismes parmi ces 13
sociétés dotées de l'agrément communautaire : le
Bureau Veritas (BV), le Det Norsk Veritas (DNV), le Germanischer Lloyd (GL), le
Lloyd Register (LR), et l'American Bureau of Shipping (ABS).
- L'organisme transmet toutes les informations relatives
à ces critères à l'État dont il sollicite
l'agrément. Les États membres qui veulent agréer pour la
première fois un organisme soumettent à la Commission une demande
d'agrément accompagnée d'informations complètes le
concernant.
- Un Comité pour la sécurité maritime et
la prévention de la pollution par les navires (C.O.S.S.)95
est chargé d'assister la Commission européenne dans son travail
d'évaluation et de contrôle des organismes. Il est composé
des représentants des États membres et présidé par
le représentant de la Commission. Avec l'aide du C.O.S.S., la Commission
procède à l'inspection des organismes faisant l'objet d'une
demande afin de vérifier qu'ils répondent bien aux
critères
93 P. BOISSON, op. cit. p. 48.
94 Liste des organismes reconnus sur la base de la Directive
94/57/CE, J.O.C.E, C 13 5/4 du 19 juin 2007.
95 Règlement 2099/2002 du Parlement européen et du
Conseil du 5 novembre 2002 portant création du Comité pour la
sécurité maritime et la prévention de la pollution par les
navires, J.O.C.E. L 324 du 29 novembre 2002.
d'agrément.
- L'État doit communiquer aux autres États membres
le nom de l'organisme qu'il agrée.
- L'article 5 de la directive dispose que les États
membres ne peuvent pas, en principe, refuser d'habiliter un organisme
agréé situé dans la Communauté à effectuer
les contrôles. Mais cette contrainte est purement théorique car
l'article poursuit en indiquant que les États ont néanmoins la
faculté de restreindre le nombre d'organismes qu'ils habilitent en
fonction de leurs besoins. Il suffit que cette limite soit justifiée par
des motifs « transparents et objectifs ».
- Pour l'agrément des organismes situés dans des
États tiers, une condition de réciprocité s'applique. Les
États membres peuvent exiger de ces pays qu'ils agréent les
organismes agréés situés dans la Communauté.
- La directive instaure également un contrôle direct
de la Commission européenne sur les organismes déjà
agréés pour éviter « toute habilitation complaisante
ou automatique »96.
- Pour ces contrôles, la Commission a à sa
disposition les fiches de performance de l'organisme en matière de
sécurité et de prévention de la pollution. Ces fiches sont
établies sur la base des statistiques produites dans le cadre du
Memorandum of Understanding (M.O.U.) de Paris97 sur le
contrôle de l'État du port. Ce Mémorandum a
été « communautarisé »98 par la
Directive 95/21/CE du Conseil du 19 juin 1995 appliquant aux navires en escale
dans les ports communautaires des normes internationales sur la
sécurité maritime, la prévention des pollutions et les
conditions de vie à bord.99 La Commission utilise les
analyses des accidents dans lesquels sont impliqués les navires
classés ou certifiés par les sociétés
agréées100.
A côté de ces fiches sur la performance des
sociétés de classification existe un autre outil permettant une
meilleure sélection des navires et donc une réduction de
l'utilisation de navires sous normes. Il s'agit du système
Equasis101 (European Quality Shipping Information System), base de
données rassemblant des informations sur plus de 70000 navires
marchands. Il croise les informations recueillies par de nombreux acteurs comme
le M.O.U., les sociétés de classification ou
96 M. FERRER, op. cit. p. 326.
97 Le mémorandum d'entente sur le contrôle de l'Etat
du port est signé le 26 janvier 1982 par les administrations des Etats
membres de la CEE et riverains de la mer. Il a pour but de mettre en oeuvre le
contrôle de l'Etat du port d'escale prévu à l'article 219
de la Convention de Montego-Bay. Il traduit la volonté de certains
États de renforcer ensemble les conditions de contrôle des navires
étrangers dans leur ports.
98 M. NDENDE et B. VENDE, La transposition par les
États de la Directive portant communautarisation du Mémorandum de
Paris, DMF, 2000, p. 308.
99 Directive 95/2 1/CE du Conseil du 19 juin 1995 appliquant
aux navires en escale dans les ports communautaires des normes internationales
sur la sécurité maritime, la prévention des pollutions et
les conditions de vie à bord, J.O.C.E. L 157/1 du 7 juillet 1995.
100M. FERRER, op. cit. p. 328.
101 Un Mémorandum d'entente sur le système Equasis
a été signé le 17 mai 2000 par 7 administrations maritimes
: Japon, Singapour, Espagne, Gardes-côtes américaines,
Royaume-Uni, France et Commission européenne.
les assureurs.
Les sociétés de classification
agréées ont entre leurs mains un pouvoir considérable sur
la chaîne de sécurité du transport maritime dans les eaux
de l'Union Européenne qui doit satisfaire aux normes internationales en
matière de prévention de la pollution. Mais elles sont
étroitement surveillée pour s'assurer qu'elles agissent avec
rigueur et en toute indépendance.
Un Règlement adopté définitivement par le
Parlement européen et le Conseil le 27 juin 2002102 a
créé l' Agence européenne de sécurité
maritime. La sécurité des transports ne peut être
assumée « ni par les administrations nationales, car il s'agit de
la gestion d'intérêt commun, ni par la Commission car il faut y
éviter l'asphyxie administrative »103. Cette agence est
donc mise en place pour aider la Commission à assurer le suivi et la
vérification de l'application « efficace et harmonieuse
»104 des règles en vigueur au sein de l'Union. Il s'agit
de renforcer le système global de sécurité maritime dans
les eaux communautaires. Pour ce faire, l' Agence européenne de
sécurité maritime agit comme le bras séculier de la
Commission. Ses missions sont nombreuses : répondre aux questions des
États membres sur l'application des normes communautaires ; aider les
États candidats à mettre en oeuvre cette même
législation relative à la sécurité maritime ;
procéder aux évaluations des sociétés de
classification par la réalisation d'audits de celles qui ont reçu
l'agrément communautaire. Ces visites et contrôles sont
menés aussi bien au siège de la Société que dans
leurs centres de sécurité locaux ou encore sur les navires que
les sociétés ont certifiés.
Obligations de l'organisme découlant de
l'agrément :
L'article 15 de la directive 94/5 7 impose aux
sociétés agréées plusieurs obligations qu'elles
doivent observer sous peine de suspension ou de retrait de
l'agrément.
- Les organismes accrédités doivent se consulter
périodiquement en vue de maintenir l'équivalence de leurs normes
techniques et de leur mise en oeuvre. Ils doivent également fournir
à la Commission Européenne des rapports périodiques sur
les grandes avancées techniques en matière de norme.
- Ils doivent communiquer les informations concernant les
navires à l'État qui leur a accordé
102 Règlement du Parlement Européen et du Conseil,
n° 1406/2002 du 27 juin 2002, J.O.C.E. L 208 du 5 août 2002.
103 L. GRARD, Sécurité et transport dans
l'Union Européenne, le recours aux agences de régulation,
EUROPE, octobre 2003, chr. p. 4.
104 P. BOISSON, La politique européenne de la
sécurité maritime, source d'efficacité?, in. L'Union
Européenne et la mer, op. cit. p. 332.
l'agrément, à la Commission européenne ainsi
qu'au système SIRENAC105.
- Ils doivent coopérer avec les administrations
chargées du contrôle par l'État du port lorsqu'un navire de
leur classe est concerné. Cette coopération doit permettre de
faciliter la correction des anomalies constatées.
- En cas de modification de la classe ou de
déclassement d'un navire, les sociétés
agréées doivent en informer l'administration de l'État du
pavillon ainsi que la Commission. La directive parle de fournir à «
l'administration ». Ce terme est utilisé comme un
générique ; on peut penser que cette information doit être
comprise comme la plus large possible.
- En cas de changement de classe et ce, pour des raisons de
sécurité, l'État du pavillon doit être
informé et la société cédante doit fournir à
la société cessionnaire toutes les informations
nécessaires. Il s'agit notamment des retards dans l'exécution des
visites ou la mise en oeuvre des recommandations, des conditions d'exploitation
ou des restrictions d'exploitation établies à l'encontre du
navire. La nouvelle société ne pourra délivrer de
certificats au navire qu'en application des recommandations de la
société d'origine. Il s'agit d'éviter la pratique du
« class shopping » qui consiste pour l'armateur à changer
d'organisme certificateur ou classificateur lorsque ce dernier envisage une
visite complète du navire106.
Le retrait et la suspension de l'agrément :
L'article 10 de la directive 94/57/CE dispose qu'un
État membre peut suspendre l'agrément accordé lorsqu'il
estime que l'organisme ne peut plus être habilité à
accomplir en son nom les tâches déléguées. Lorsqu'un
État membre suspend effectivement cet agrément, il doit en
informer sans délai la Commission et les autres États membres et
motiver cette décision. C'est la Commission qui va examiner si cette
suspension est ou non justifiée du fait de raisons mettant gravement en
danger la sécurité ou l'environnement. Le cas
échéant elle invitera l'État membre à annuler la
suspension.
L'article 9 traite du retrait de l'agrément. Il dispose
que, si les organismes ne satisfont plus aux critères
énoncés dans l'annexe de la Directive et ne répondent pas
aux fiches de performance, l'agrément est retiré.
Le retrait récent par la Commission de l'agrément
de l'Hellenic Register of Shipping illustre très bien cette
procédure et le contrôle très stricte effectué sur
ce travail statutaire des sociétés de
105 SIRENAC : Système d'information relatif aux navires
contrôlés. Cette base de donnée, instituée à
l'occasion du MOU de Paris, regroupe l'ensemble des informations issues des
inspections.
106 A. BELLAYER-ROILLE, Une responsabilisation accrue des
acteurs de la sécurité maritime européenne, op. cit.
p. 375, l'auteur souligne que « L'Erika, construit en 1975, a
changé 7 fois de nom, a battu pavillon du Liberia, du Japon et de Malte
et a été soumis au contrôle de quatre
sociétés de classification différentes. ».
classification.
Par la décision 200 1/ 890/CE107, la
Commission a accordé un agrément limité à la
société de classification Hellenic Register of Shipping
conformément à l'article 3 paragraphe 4 de la directive 94/57 du
Conseil. Cet agrément a été prorogé par la
décision 2005/623/CE108 de la Commission et est
accordé pour 3 ans.
Le 24 juillet 2008, la Commission décide de ne pas
proroger l'agrément limité accordé à la
société grecque109. A compter du 4 août 2008 le
Hellenic Register ne peut effectuer son travail de certification que pour les
navires immatriculés à Chypre, en Grèce et à Malte
qui sont les seuls États membres à avoir
délégué des compétences à cette
société110. Cette société est reconnue
par 35 États du pavillon à travers le monde111.
Plusieurs audits menés par l'administration maritime grecque et par
l'Agence européenne de sécurité maritime ont poussé
la Commission à ne pas proroger cet agrément112.
Pendant les mois qui ont suivi cette décision, la Commission
aidée de l'Agence européenne de sécurité maritime
(ou E.M.S.A pour European maritime safety agency) et de l'État grec a
mené de nombreuses investigations dans les locaux de la
société et contrôlé de nombreux navires
préalablement certifiés par la société.
Puis, au début du mois de mars 2009, la Commission
européenne a décidé d'accorder 17 mois à la
société pour se conformer aux critères qualitatifs
d'agrément et lui a interdit jusque là de classer de nouveaux
navires113. En revanche, l'Hellenic Register va pouvoir continuer
à délivrer les certificats à sa flotte actuelle. Cette
atténuation permet d'éviter à la société de
perdre toute sa flotte. Les inspecteurs de la société ne pourront
cependant pas travailler hors de Grèce et devront se remettre à
jour en Grèce. Les audits de l'administration grecque et de l'E.M.S.A.
révèlent un entraînement inadéquat des inspecteurs
ainsi que des inspections insuffisantes sur les ferrys très nombreux
sous pavillon grec. L'I.A.C.S sera chargée de superviser cette formation
des inspecteurs de la société.
107 Décision de la Commission du 13 décembre 2001
relative à l'agrément de l'Hellenic Register of Shipping,
J.O.C.E, 2001, L 329, p. 72.
108 Décision de la Commission du 3 août 2005
relative à la prorogation de l'agrément limité de
l'Hellenic Register of Shipping, J.O.C.E, 2005, L 219, p. 43.
109 Lloyd's List, jeudi 7 août 2008.
110 Fairplay International Shipping Weekly, jeudi 7 août
2008.
111 Lloyd's List, mardi 5 août 2008.
112 Tradewinds, vendredi 8 août 2008.
113 Lloyd's List, jeudi 5 mars 2008.
L'agrément communautaire est la première
condition à l'exercice de compétences statutaires par les
sociétés de classification. Celles-ci doivent ensuite recevoir
celui de l'État du pavillon du navire. Cet agrément
étatique ouvre la porte à une délégation du
contrôle de la conformité des navires aux exigences des
conventions ratifiées par l'État. La délégation
d'activité publique peut être définie comme «
l'ensemble des modalités par lesquelles l'administration publique confie
à un tiers la gestion d'une activité dont elle a la charge,
moyennant une contrepartie économique »114. Les
modalités retenues pour la délégation du contrôle
sont, comme nous allons le voir, originales.
Section 2. Une délégation originale du
contrôle des navires aux sociétés de classification
La notion de service public tenant une place centrale en droit
français, il faut au préalable s'interroger sur l'existence d'un
service public de la sécurité maritime. Le contrôle des
navires intègre la recherche de la sécurité maritime. Il
conviendra ensuite de définir et d'identifier les éléments
constitutifs d'une délégation de service public dans ce domaine.
Ce travail de qualification juridique nous amènera à
démontrer que, tant par l'intervention du droit communautaire en la
matière que par le régime retenu, la délégation aux
sociétés de classification est originale.
§ 1. Identification des éléments
constitutifs d'une délégation de service public
La notion de service public a une valeur extrêmement
forte en droit public français. Certains pays ne connaissent pas le
service public tel qu'on l'évoque en France, il y a des «
différences profondes de formulation en ce domaine de droit
»115. Il existe plusieurs significations du service public et
une distinction est généralement faite entre une conception
organique et une conception matérielle. La conception organique
définit le service public comme une institution ou un organisme
constituant un ensemble de moyens matériels et humains chargé
d'assumer une mission pour le compte de la personne publique à laquelle
l'institution ou l'organisme est rattaché. La conception
matérielle définit quant à elle le service public comme la
prestation elle-même qui est fournie à la population afin de
satisfaire l'intérêt général. Dans cette conception
matérielle également dite fonctionnelle, la notion de service
public ne désigne plus une institution mais le service rendu.
Au regard de ces deux conceptions, il faut déterminer
s'il existe un service public de la
114 P. COSSALTER, Les délégations
d'activités publiques dans l'Union Européenne, L.G.D.J.,
2007, p. 12.
115 J.-M. PONTIER, Sur la conception française du
service public, D. 1996, chron. p. 9.
sécurité maritime ou, de manière plus
restreinte, un service public du contrôle des navires. Toute
activité constitue un service public quand « [...]elle est
assurée ou assumée par une personne publique en vue d'un
intérêt public »116.
Nous allons tout d'abord tenter d'identifier le service public
de contrôle des navires par un critère matériel. Selon la
doctrine117, il faut que l'activité en question soit «
de plus grand service » c'est-à-dire qu'elle tende à
satisfaire, le mieux possible, l'intérêt de tiers par rapport
à l'organisme qui les exerce. L'activité de contrôle de la
conformité des navires aux exigences des Conventions internationales
participe « pleinement »118 de la sécurité
maritime. En effet, les sociétés de classification, dans le cadre
de leurs fonctions statutaires, ne contrôlent pas la conformité
des navires à leurs propres règlements mais aux normes
conventionnelles dont l'Etat doit assurer le respect. Dans un arrêt du 23
mars 1983 relatif aux certificats de navigabilité aéronautique
délivrés par le Bureau Veritas119, le Conseil d'Etat
indique que la société doit être regardée comme
participant à l'exercice du service public de la sécurité
aérienne. La sécurité aérienne et la
sécurité maritime sont deux exercices très similaires et
il est donc raisonnable de penser qu'il existe un service public de la
sécurité maritime. L'objet de la délégation aux
sociétés, le contrôle et les visites de conformité
des navires, tend à assurer le mieux possible la sécurité
du commerce maritime, ce qui est manifestement une activité
d'intérêt général. L'activité de
contrôle des navires présente substantiellement, et de
façon centrale, un caractère d'intérêt
général. Les sociétés assurent ainsi la
continuité du contrôle de la sécurité du commerce
maritime en France.
L'identification d'une activité de service public de
contrôle des navires par un critère matériel est donc
accomplie. Aussi il s'agit désormais de l'identifier à travers un
critère organique.
A lui seul le critère matériel ne suffit pas
à l'identification d'un service public. Il faut qu'un lien
adéquat existe entre cette activité de contrôle des navires
et une personne publique120. Il est donc nécessaire que
l'activité soit directement ou indirectement reliée à une
personne publique.
Un arrêté du Ministère des transports et de
l'équipement du 23 novembre 1987 délègue la
capacité à certaines sociétés de classification de
pouvoir visiter les navires dans le but de contrôler
116 R. CHAPUS, Droit administratif
général, Tome 1, MONTCHRESTIEN, 2001, 15ème
édition, p. 579.
117 R. CHAPUS, op. cit. p. 583. L'auteur distingue entre les
activités du plus grand profit qui qui tendent à satisfaire
l'intérêt financier de l'organisme qui les exerce, et les
activités de plus grand service qui tendent à satisfaire
l'intérêt du tiers par rapport à l'organisme qui les
exerce.
118 M. FERRER, La responsabilité des
sociétés de classification, op. cit., p. 347.
119 C.E., 23 mars 1983, Ministre des transports c/
Société Anonyme Bureau Veritas, Rec. 1983, p. 133.
120 R. CHAPUS, Droit administratif
général, op. cit. p. 580.
leur conformité avec les dispositions légales.
Cette délégation est une habilitation à exercer le
contrôle des navires au lieu et place des agents publics.
L'activité est donc indirectement rattachée à
l'administration traditionnellement dévouée au contrôle des
navires, l'administration des affaires maritimes.
Mais est ce que le contrôle des navires, constitutif
d'une activité de service public est susceptible d'être
délégué? Certaines tâches ne peuvent en effet pas
être déléguées. Ainsi en est-il des tâches de
police, cela a été confirmé dans un arrêt Ville
de Menton que le Conseil d'Etat a rendu en 1994121. Dans son
acception générale, « la police administrative consiste
à prévenir et empêcher les troubles de l'ordre public
»122. L'activité de contrôle des navires ne
relève pas de la police administrative qui a pour mission de veiller
à la sûreté, à la tranquillité et à la
salubrité publiques.
De plus, il faut savoir qu'il n'y a aucune activité de
service public qui soit « pleinement délégable
»123. La personne publique ne peut jamais se décharger
totalement et doit conserver des pouvoirs de contrôle sur l'exercice de
l'activité en question. L'administration française intervient
directement dans l'activité de contrôle des navires. Cette
activité n'est pas entièrement déléguée aux
sociétés de classification. La délégation
accordée par la France aux sociétés de classification est
très limitée et concerne principalement la délivrance du
certificat de franc-bord, en raison de la technicité de celui-ci,
liée en particulier à la structure du navire. Les autres
contrôles sont effectués par l'administration des affaires
maritimes par l'intermédiaire des centres de sécurité des
navires. La délégation porte sur des questions d'une
particulière technicité ou sur les contrôles de certains
navires qui focalisent moins l'attention des centres de sécurité
des navires. Ainsi le contrôle de navires Ro-Ro124 est
régulièrement délégué car ces navires ne
sont pas accidentogènes.
Quant au contrôle exercé sur l'activité,
l'administration des affaires maritimes procède à de nombreux
audits des sociétés de classification et l'agrément qui
leur est accordé par l' Etat français peut être
retiré si des manquements sont constatés.
Le contrôle de la conformité des navires est donc
une activité de service public. La gestion de ce service public peut
être déléguée et ce d'autant plus que l'Etat
français ne délègue qu'une
121 C.E., 1er avril 1994, Ville de Menton, R.D.P., 1994, p. 1825,
note J.-B. AUBY.
122 M. AUBOIN, A. TEYSSIER, J. TULARD, Histoire et
dictionnaire de la police du Moyen Âge à nos jours, BOUQUINS,
2005, p. 814.
123 J.-B. AUBY, C. MAUGUE, La notion et le régime de
la délégation de service, quelques précisions du Conseil
d'Etat, J.C.P., 1996, Ed. Gén., chron. 3941.
124 V. A. G. CLOUET, Dictionnaire technique maritime, LA
MAISON DU DICTIONNAIRE, 2000, p. 455, qui les définit comme les navires
avec des portes pour l'embarquement de véhicules roulant.
partie du contrôle. Mais la question se pose alors de
savoir si l'activité de contrôle des navires peut être
déléguée à une personne privée. Pendant
longtemps la gestion des services publics administratifs125 relevait
directement d'une personne publique. Il y avait, en principe, coïncidence
entre l'élément organique et l'élément
matériel du service public126. L'arrêt Caisse
primaire « Aide et Protection »127 rendu le 13 mai
1938 par le Conseil d'Etat a remis en cause cette conception organique du
service public. L'arrêt consacre, à côté de la
gestion des services publics par une personne publique, l'existence de «
services publics gérés, en dehors de la concession, par des
personnes privées »128. La personne privée peut
gérer directement un service public administratif indépendamment
de toute technique contractuelle et sur la base d'une habilitation
légale ou réglementaire. Une fois cette possibilité
ouverte, il convient de rechercher des indices montrant qu'une personne
privée est chargée d'une mission de service public.
L'arrêt Narcy129 rendu en 1963 par
le Conseil d'Etat indique trois critères applicables en la
matière. Le premier critère est satisfait lorsqu'une mission
d'intérêt général est confiée à la
personne privée. Ce critère est rempli car, comme nous l'avons
démontré, un arrêté délègue une partie
du contrôle des navires battant pavillon français aux
sociétés de classification.
Le Conseil d'Etat indique ensuite que l'administration doit
exercer un contrôle sur l'organisme. Les nombreux audits menés par
l'administration des affaires maritimes ainsi que la possibilité d'une
suspension ou d'un retrait d'agrément formalisent le contrôle
qu'exerce l'administration française sur les sociétés de
classification. Ce contrôle est nécessaire, non seulement pour
vérifier l'effectivité du travail mais également pour
vérifier l'impartialité ou l'indépendance du
contrôle. L'exemple du Bureau Veritas illustre bien cette
nécessité. Il s'agit d'une société anonyme
cotée en bourse et l'exercice d'une mission de service public dans ce
cadre appelle un contrôle rigoureux et régulier de la part des
pouvoirs publics.
Le Conseil d'Etat indique que des prérogatives de
puissance publique doivent être attribuées à l'organisme.
Cette exigence est compréhensible car pour un exercice effectif du
service public, l'administration délégante doit donner un certain
pouvoir au délégataire. L'arrêté de 1987 donne aux
sociétés agréées la capacité
d'émettre les certificats de conformité aux conventions
internationales.
125 Le contrôle des navires est une activité
relevant d'un service public administratif car les prestations «
[...]contribuent à la sécurité du commerce maritime et non
à la gestion d'un service industriel et
commercial[...] ».V. M. FERRER, La responsabilité
des sociétés de classification, op. cit. note n°
1318.
126 V. J.-F. LACHAUME, Droit administratif
général, P.U.F. DROIT, 13ème édition, p.
262.
127 C.E. Ass., 13 mai 1938, Caisse primaire « Aide et
Protection », Rec. 1938, p. 417 ; G.A.J.A. N° 54.
128 J.-F. LACHAUME, op. cit., p. 262.
129 C.E. Sect. 28 juin 1963, Narcy, Rec. 1963, p.
401.
Les sociétés peuvent délivrer les
certificats à la suite des différentes visites statutaires et
elles ont également la capacité de les suspendre ou de les
supprimer si le navire n'est pas en état de
conformité130. Toutefois, les sociétés de
classification ne disposent pas d'un pouvoir coercitif légal car le
blocage d'un navire dans un port dépend uniquement de l'autorité
administrative131. Elles possèdent des pouvoirs exorbitants
du droit commun par lesquels elles peuvent invalider, au nom du
Ministère des transports, un certificat d'un navire arborant le pavillon
français132.
Les trois critères posés par la jurisprudence
Narcy, critères permettant d'identifier une mission de service
public dans l'activité des personnes privées, sont
identifiés dans le travail statutaire des sociétés de
classification. L'arrêt Société anonyme Bureau
Veritas rendu par le Conseil
d' Etat en 1983 confirme cette analyse. Le juge administratif
indique que la société de classification Bureau Veritas participe
à l'exécution d'une mission de service public133.
Cette situation de droit et de fait est analogue à celle existant en
matière de contrôle des navires et le raisonnement utilisé
par le juge dans l'arrêt de 1983 est transposable en la
matière.
Les éléments constitutifs d'une
délégation de service public étant identifiés, il
convient désormais d'en étudier les particularités.
§ 2. Une délégation au régime
juridique original
Par rapport aux conceptions plus « traditionnelles »
de la délégation de service public, le transfert du
contrôle des navires aux sociétés de classification est
original. La gestion des services publics se présente en droit positif
sous deux formes.
Tout d'abord le service public administratif ou industriel et
commercial peut être directement géré en
régie134 par une collectivité publique ou un
établissement public. Les sociétés de classification
étant des organismes de droit privé, cette hypothèse de la
régie ne s'applique pas en matière de contrôle des navires.
Le service public est parfois directement géré par une personne
privée, mais toujours sous le contrôle d'une personne publique. La
personne privée peut tout d'abord
130 V. M. FERRER, La responsabilité des
sociétés de classification, op. cit., p. 348.
131 Ibid.
132 Ibid.
133 J.-F. LACHAUME, Droit administratif, op. cit., p.
270.
134 Avec la régie directe, la gestion d'un service public
est assurée directement par la personne publique dont dépend ce
service avec son personnel et ses moyens matériels et financiers. La
régie peut aussi être intéressée, la gestion sera
alors assurée par un régisseur n'en supportant pas les risques,
mais intéressé financièrement aux résultats de
l'exploitation.
être investie de cette gestion sur la base d'un contrat
dit de délégation de service public. La
rémunération du délégataire est alors
substantiellement assurée par les résultats de
l'exploitation135. Mais, depuis l'arrêt Caisse
primaire précité136, la personne privée
peut gérer directement un service public administratif
indépendamment de toute technique contractuelle et sur la base d'une
habilitation légale ou réglementaire137. Dans
l'arrêt Société anonyme Bureau Veritas de 1983, le
Conseil d'Etat indique que la société a été
agréée comme société chargée d'assurer le
contrôle pour la délivrance et le maintien des certificats de
navigabilité des aéronefs civils. Le juge ne fait à aucun
moment référence à un contrat de délégation.
Ainsi, comme en matière de délivrance des certificats de
navigabilité des aéronefs, les sociétés de
classification reçoivent une délégation globale à
partir du moment où elles sont agréées.
L'arrêté du ministère des Transports et de l'Equipement, du
23 novembre 1987, délègue des compétences en
matière de contrôle des navires aux sociétés de
classification qu'il agrée. Il n'y a donc pas d'acte de
délégation particulier fait pour chaque certificat
délivré par une société agréée
à un navire sous pavillon français. La délégation
aux organismes agréés est ainsi faite indépendamment de
toute technique contractuelle et sur la base d'une habilitation
réglementaire.
En Grèce la délégation n'est pas faite
par une simple habilitation légale ou réglementaire. Cette
délégation prend la forme d'un contrat administratif. La
convention est conclue « [...] par écrit et sans discriminations
entre le Ministre de la Marine Marchande et le représentant de
l'organisme en question »138.
Les articles R 5 12-61 et suivants du Code de l'environnement
nous montrent que ce procédé d'habilitation réglementaire
n'est pas limité aux organismes ayant pour mission le contrôle des
navires. Ils sont relatifs à la procédure d'agrément des
organismes chargés du contrôle des installations classées.
Les organismes doivent faire une demande d'agrément pour être
habilités. Ils doivent préalablement être
accrédités par le Comité français
d'accréditation ou par un organisme membre de la coordination
européenne des organismes d'accréditation. L'activité de
ces organismes est contrôlée par l'administration et cette
habilitation réglementaire peut être retirée. A l'exception
de l'exigence d'un agrément communautaire, cette
délégation du contrôle des installations classées
est assez semblable à celle accordée en matière de
contrôle des navires.
135 J.-F. LACHAUME, Droit administratif, op. cit., p.
264.
136 Arrêt prec. Note n° 101.
137 Ibid.
138 L. J. ATHANASSIOU, Le rôle et la
responsabilité des sociétés de classification du point de
vue du droit grec, op. cit., p. 107.
Cette délégation de la gestion d'un service
public par habilitation réglementaire est également
singulière au regard de la procédure de choix des
délégataires. En France, historiquement, les premières
délégations de contrôle étaient attribuées au
Bureau Veritas. L'État du pavillon était seul maître du
choix du délégataire. Dans les pays hébergeant une grande
société de classification, comme le Bureau Veritas en France, la
délégation n'était souvent accordée qu'à la
seule société de classification ressortissante de l'État
du pavillon.
L'article 51 du Traité instituant la Communauté
européenne pose le principe de la libre prestation des services sur le
territoire de la Communauté. Cette libre prestation de service est
également applicable en matière de contrôle des navires et
la directive 94/57/CE intègre bien cette exigence dans ses
considérants introductifs. Elle indique dans son deuxième
considérant que « [...] la sécurité maritime et la
prévention de la pollution maritime peuvent être efficacement
améliorées en appliquant strictement les Conventions,
résolutions et codes internationaux, tout en favorisant l'objectif de la
libre prestation de service ». Un considérant est ensuite
spécifiquement consacré à cet objectif de la libre
prestation de service. Les organismes qui ont reçu l'agrément
communautaire « [...] ne peuvent se voir empêchés d'offrir
leurs services à l'intérieur de la Communauté [...]
». Ce principe interdit donc à un État de
déléguer les tâches réglementaires auxquelles il est
tenu par la Loi à un seul organisme. C'est la raison pour laquelle
plusieurs sociétés de classification sont habilitées en
France. L'article 5 de la directive indique que l'État
déléguant peut néanmoins restreindre le nombre
d'organismes qu'il autorise en fonction « [...] de ses besoins
définis de manière transparente et objective, sous réserve
d'un contrôle exercé par la Commission[...] ». Pour les
organismes qui sont situés dans des États extérieurs
à la Communauté, et avant toute délégation,
l'État membre peut exiger de cet État tiers qu'il agrée,
sur la base de la réciprocité, les organismes situés dans
la Communauté.
Cette délégation du contrôle des navires
est également singulière du fait de la procédure
prévue pour le retrait de cette habilitation réglementaire. La
décision de suspendre ou retirer cette habilitation est prise par le
Ministre chargé de la marine marchande lorsqu'une société
ne répond plus aux critères communautaires de reconnaissance
et/ou n'accomplit pas de manière satisfaisante les fonctions
déléguées. Si le travail de la société met
gravement en danger la santé ou l'environnement, l'habilitation peut
également être suspendue139. L'administration doit au
préalable demander des explications à la société.
Puis elle doit notifier sa décision motivée. Elle informe alors
la Commission européenne et les autres États membres de sa
décision. La Commission examine si
139 M. FERRER, La responsabilité des
sociétés de classification, op. cit., p. 334.
la suspension est justifiée au regard des
critères d'agrément communautaire ou du fait de raisons mettant
gravement en danger la santé ou l'environnement. C'est donc la
Commission qui a le dernier mot et indique à l'administration si la
suspension est justifiée ou si elle doit annuler sa décision.
En France, la délégation aux
sociétés ne porte en principe que sur la délivrance du
certificat de franc-bord. L'administration maritime demeure un acteur
fondamental de la sécurité maritime. Mais cette participation
importante et active de l'État ne peut pas être constatée
pour de nombreux États du pavillon. Certains auteurs prennent acte d'un
désengagement des États dans la sécurité maritime.
Pour Monsieur Khodjet El Khil, le recours systématique aux
sociétés de classification constitue « [...] la parade de
certains États pour se décharger de leur obligation de
contrôle »140. Monsieur Baumler, quant à lui, fait
un bilan à charge de l'exercice des compétences statutaires par
ces sociétés141. Il constate d'abord que les
sociétés s'imposent au même tire que les États comme
régulateur de la sécurité maritime. Elles «[...]
profitent de la crise des organisations intergouvernementales et du
désengagement des États »142. La lutte
commerciale que les sociétés mèneraient entre elles
entraînerait à terme, « [...] l'émergence d'un
accroissement de l'insécurité dont les prémisses ne sont
qu'à peine visibles. L'abandon progressif des prérogatives des
Etats du pavillon laisse aux seules sociétés de classification la
maîtrise de la sécurité en nom et cause des États
»143. Ces propos sont rarement tenus et il n'est pas
nécessaire de se poser la question de leur pertinence pour dire qu'ils
soulignent l'enjeu de la délégation du contrôle des navires
aux sociétés de classification.
Si l'État du pavillon se désengage du
contrôle des navires, la question de la responsabilité des
sociétés de classification dans le cadre de leur fonction
statutaire devient fondamentale. Sur l'aspect privé de leur travail,
c'est à dire en matière de classification des navires, les
actions contentieuses menées contre elles se sont
développées144. Ce développement des actions
contentieuses illustre l'idée de la « deep pocket
»145 qui signifie que les plaignants cherchent l'argent
là où il est, dans la « poche profonde » des
sociétés de classification car leur solvabilité est
assurée. Ces actions sont menées même si parfois cela
revient à les faire payer pour les carences d'autres intervenants. Mais
on ne constate pas un tel développement des actions contentieuses dans
le cadre des compétences statutaires des sociétés. Le
recours privilégié à l'arbitrage explique pour partie
140 L. KHODJET EL KHIL, La pollution de la mer
méditerranée du fait du transport maritime de marchandises,
op.
cit., p. 237.
141 R. BAUMLER, Nouvelles maîtrises de la
sécurité industrielle, sur le site de l'association
française des capitaines de navire,
http://www.afcan.org/dossiers_sécurité/sécurité-industrie.html.
142 Ibid.
143 Ibid.
144 M. REMOND-GOUILLOUD, Droit maritime, PEDONE,
2ème édition, 1993, n°345.
145 V. « Le syndrome de la « deep pocket »
», LES ECHOS, n° 17376 du 15 avril 1997, p. 51.
cette quasi inexistence de jurisprudence en la matière.
Il est donc d'autant plus nécessaire que cette
responsabilité du fait des fonctions statutaires soit en
adéquation avec leur rôle prépondérant dans la
garantie de la sécurité maritime. En 2003, la Secrétaire
Générale de l'Organisation Maritime Internationale, Monsieur
William O'Neil posait la question de savoir si les inspecteurs des
sociétés de classification devaient être
blâmés du fait de la survenance des catastrophes maritimes. Il
répondait lui même qu'aucun bouc-émissaire ne ressortait de
ces catastrophes146. C'est donc à l'ensemble des acteurs du
transport maritime d'assumer leurs responsabilités, au sens des
tâches qu'ils ont à mener, mais aussi d'assumer leur
responsabilité au sens des conséquences d'une mauvaise
exécution de ces tâches.
146 W. O'NEIL, Raising world maritime standards,
MARITIME POLICY AND MANAGEMENT, 2004, n°1, p. 84.
52 Deuxième partie : la responsabilité
du fait des fonctions statutaires, la nécessité d'une
adéquation avec leur rôle prépondérant dans la
garantie de la sécurité maritime
Malgré une réelle action structurelle sur la
sécurité maritime, il y a très peu de jurisprudence
concernant leur responsabilité du fait des fonctions statutaires.
Pourtant, leur solvabilité, le nombre important de
délégations dont elles sont titulaires, ainsi que leur
présence dans tous les grands ports mondiaux devraient entraîner
un développement des actions contentieuses. Les mécanismes
juridiques pour engager cette responsabilité existent. Il n'existe pas
d'impunité « de jure » mais dans les faits cette
responsabilité reste très rarement engagée. Il ne faut pas
que la société de classification puisse agir en dehors de la
légalité et échapper à toute mise en jeu de sa
responsabilité. Mais, à l'opposé, il ne faut pas qu'elle
soit le « bon responsable » et connaisse un développement
considérable du contentieux. La solvabilité des
sociétés de classification ne doit pas être l'unique
justification à l'engagement de leur responsabilité.
En droit français, les juridictions administratives
peuvent être compétentes pour apprécier le contentieux issu
des prestations réglementées des organismes de
contrôle147. Le cadre statutaire des prestations va pouvoir
entraîner l'application d'un « certain droit administratif »,
apprécié par les juridictions administratives, ou judiciaires
pour les systèmes de droit anglo-américains (Chapitre 1). Dans
l'exercice de ces compétences statutaires, les sociétés
peuvent aussi voir engager leur responsabilité pénale. Il existe
ainsi une jurisprudence conséquente quant à cette
responsabilité pénale (Chapitre 2).
Chapitre 1. La responsabilité administrative
Depuis l'arrêt Blanco148, il existe
en France une responsabilité de principe des personnes publiques. Il
s'agit d'une responsabilité dite administrative. L'exercice par les
sociétés de classification des compétences
déléguées relève de cette responsabilité
(Section 1). L'organisme délégataire bénéficie
parfois d'une forme d'immunité qui écarte la mise en jeu de cette
responsabilité administrative lorsqu'il est habilité par des
États complaisants. Ce phénomène soulève de
nombreuses questions quant à la légalité des
différentes immunités dont elles peuvent
147 M. FERRER, La responsabilité des
sociétés de classification, op. cit., p. 341.
148 T.C., 8 février 1873, Blanco, G.A.J.A.,
14ème édition, n°1.
bénéficier (Section 2).
Section 1. La responsabilité administrative
prévue par le droit français
Il convient tout d'abord d'étudier la compétence
des juridictions administratives pour traiter de l'exercice du contrôle
des navires par les sociétés de classification, avant d'examiner
le régime de responsabilité qui est appliqué.
§ 1. La compétence juridictionnelle des tribunaux
administratifs : une spécificité française
La dualité de juridictions résulte de la
séparation du système juridictionnel français en deux
ordres de juridiction, les juridictions judiciaires avec comme juridiction
suprême la Cour de cassation et les juridictions administratives dont la
juridiction suprême est le Conseil d'Etat. L'existence de ces deux ordres
de juridictions distincts est le produit de l'histoire, fruit de la
volonté d'empêcher le juge judiciaire de s'immiscer dans les
questions de l'administration. Selon le Commissaire du Gouvernement Romieu,
« tout ce qui concerne l'organisation et services publics
généraux ou locaux constitue une opération administrative
qui est par nature du domaine du juge administratif »149.
Avant les conclusions du Commissaire Romieu, le Commissaire du
Gouvernement David indiquait que les tribunaux judiciaires « sont
radicalement incompétents pour connaître de toutes les demandes
formées contre l'administration à raison des services publics,
quel que soit leur objet[...] »150. Le service public
apparaît alors nettement comme le critère de la compétence
des juridictions administratives.
Les sociétés de classification sont des
organismes privés ce qui présume de la compétence des
juridictions judiciaires. Nous avons vu précédemment qu'elles
assumaient une mission de service public qui est celle du contrôle des
navires. Mais lorsque la mission de service public est assurée par un
organisme privé et dès lors que le critère organique joue
un rôle important en droit administratif, le droit administratif va
s'effacer au profit du droit privé. Mais cet effacement ne va pas
être total car, bien que de nature privée, ces organismes
gèrent, sous le contrôle de l'administration, en employant des
prérogatives de puissance publique, une mission de service
149 V. concl. Romieu, C.E., 6 février 1903,
Terrier, G.A.J.A., n°12.
150 V. concl. David, T.C., 8 février 1873,
Blanco, G.A.J.A, n°1.
public. Ainsi, pour Monsieur Negrin, « il ne fait pas de
doute que la compétence de la juridiction administrative pour
connaître des actions en réparation des dommages causés par
des opérations matérielles des services publics administratifs
gérés par une personne publique s'étend également
dans les mêmes conditions, aux services publics administratifs
gérés par une personne privée »151. Les
actes unilatéraux qui, « bien qu'émanant de personnes
privées, sont relatifs à la gestion du service public
administratif et révèlent la mise en oeuvre de
prérogatives de puissance publique sont considérés comme
administratifs et soumis à la censure du juge administratif [...]
»152. L'émission des certificats des navires et le
retrait de ceux ci correspondent à des prérogatives de puissance
publique, le juge administratif devrait donc être compétent.
Le Conseil d'Etat fixe dans l'arrêt S.A. Bureau
Veritas de 1983 les critères de compétence du juge
administratif dans le cadre des personnes morales de droit privé qui
gèrent un service public. Le juge affirme qu'il ne se reconnaîtra
compétent pour connaître des actions en responsabilité
intentées contre une personne privée que lorsque les dommages
causés par ladite personne privée ont été
causés « [...] dans l'exercice des prérogatives de puissance
publique qui lui ont été conférées pour
l'exécution de la mission de service public dont elle est investie
».
Le Conseil d'Etat confirme dans l'arrêt
Société Textron153 du 17 février 1992 que la
personne privée chargée d'une mission de service public doit
exercer des prérogatives de puissance publique pour que la juridiction
administrative soit compétente. Pour la Haute-Juridiction, l'association
française de normalisation (A.F.NOR.) ne met pas en oeuvre une
prérogative de puissance publique lorsqu'elle remplit la mission de
service public qui lui est confiée par décret, car les normes
qu'elle enregistre n'ont qu'un effet limité. En l'absence de
prérogatives de puissance publique, le Conseil d'Etat doit donc
déclarer la juridiction administrative incompétente.
Il y a donc deux conditions pour que le travail d'une
société de classification relève de la compétence
du juge judiciaire. Il faut qu'elle soit chargée d'une mission de
service public et dispose à cette fin de prérogatives de
puissance publique, et il faut également que le dommage dont il est
demandé réparation au juge administratif résulte de
l'exercice de ces prérogatives. Selon Monsieur Ferrer, les
sociétés de classification qui reçoivent
délégation pour le contrôle des navires et des
aéronefs sont du ressort du juge administratif. Mais il ajoute que cette
compétence s'exerce à la
151 J.-P. NEGRIN, L'intervention des personnes morales de
droit privé dans l'action administrative, L.G.D.J., 1971, p.
295.
152 J.-F. LACHAUME, Droit administratif, op. cit., p.
273.
153 C.E., 17 février 1992, Société
Textron, A.J.D.A, 1992, pp. 450-451.
seule condition que « [...] les prestations litigieuses
soient liées à la certification et non à l'exercice du
contrôle »154. Il en ressort que la compétence de
la juridiction administrative s'exerce sur un domaine très
réduit. Le contrôle négligent d'un navire serait de la
compétence du juge judiciaire, tandis qu'une émission tardive
d'un certificat donnerait la compétence au juge administratif. La
sphère de compétence du juge administratif est donc
extrêmement réduite.
Dans le système anglo-américain, il n'existe pas
cette dualité de juridiction et la responsabilité des
sociétés de classification du fait de leurs compétences
statutaires est appréciée par les juridictions
ordinaires155.
Lorsque la juridiction administrative est compétente,
elle applique aux sociétés de classification le régime de
la responsabilité pour faute. Cette responsabilité de droit
public connaît certaines évolutions et tend aujourd'hui vers la
suffisance d'une faute simple pour les prestations de contrôle des
navires. Le droit communautaire a une fois encore une grande influence en
matière de responsabilité des organismes agréés.
Les Paquets Erika vont déterminer le régime de
responsabilité qui est applicable.
§ 2. L'application d'une responsabilité de droit
public aux sociétés de classification
Dans l'arrêt Société Anonyme Bureau
Veritas de 1983, le juge affirme qu'il ne se reconnaît compétent
pour connaître des actions en responsabilité intentées
contre une personne privée que lorsque les dommages causés par la
dite personne privée ont été causés « [...]
dans l'exercice des prérogatives de puissance publique qui lui ont
été conférées pour l'exécution de la mission
de service public dont elle est investie ».
L'arrêt susmentionné est le seul rendu par le
Conseil d'Etat sur l'engagement de la responsabilité des
sociétés de classification dans le cadre de l'exercice de leurs
compétences déléguées. A ce titre, il revêt
un intérêt tout particulier. Il s'agit tout d'abord de
déterminer qui, de l'État déléguant ou de la
société délégataire engage sa
responsabilité. Selon les juges, la responsabilité de droit
public s'applique non à l'État qui habilite mais à la
société de classification elle-même. Le Bureau Veritas est
ainsi responsable de ses propres prestations car il a « [...] une
personnalité juridique propre et une existence effective ». Quels
que soient les liens qui l'unissent à
154 M. FERRER, La responsabilité des
sociétés de classification, op. cit., p. 352.
155 V. K. LE COUVIOUR, La responsabilité civile
à l'épreuve des pollutions majeures résultant du transport
maritime, op. cit., p. 512.
l'État, les fautes qu'elle commet dans l'exercice de sa
mission de service public ne peuvent engager que sa propre
responsabilité. Il peut y avoir substitution de responsabilité
lorsque la personne privée s'avère insolvable. En
l'espèce, la responsabilité de la personne publique est donc
engagée à titre subsidiaire, une fois seulement
l'insolvabilité de la personne privée effectivement
constatée.
Les prestations de l'État en matière de
contrôle ou de certification sont considérées comme des
prestations techniques et complexes156. Dans le cadre de ces
prestations, une faute est nécessaire pour que la responsabilité
de l'intervenant soit engagée. Pour que la responsabilité de
l'administration ou d'un organe substitué soit engagée, « la
faute doit pouvoir être rattachée à l'administration ou
rattachable à une activité administrative »157.
Il s'agit de ce que l'on qualifie de faute de service. En 1877, le Commissaire
du Gouvernement Laferrière opposait à la faute de service qui
existe « [...] si l'acte dommageable est impersonnel, s'il
révèle un administrateur plus ou moins sujet à l'erreur
»158, la faute personnelle révélant «
l'homme avec ses faiblesses, ses passions, ses imprudences ». Cette faute
de service est constituée par la violation d'une obligation
administrative préexistante.
Nous avons vu précédemment que l'exercice de
prérogatives de puissance publique rendait applicable la
responsabilité de droit public aux sociétés de
classification. Pour que la responsabilité des sociétés
agissant par délégation de l'État français soit
retenue, il faut donc que les fautes relevées soient « [...]
interprétées comme des fautes de service »159.
Dans la décision du 23 mars 1983, le juge ne qualifie pas
expressément les fautes commises par le Bureau Veritas de fautes de
service. « Le retard apporté par le Bureau Veritas à la
délivrance du certificat de navigabilité [...], a
été motivé par l'absence au dossier de la
dérogation pour enregistreur de vol, il n'entrait pas dans les
attributions du Bureau Veritas d'effectuer ce contrôle ni, par voie de
conséquence, de faire obstacle à la délivrance, pour ce
motif, du certificat de navigabilité et que, dès lors, la
société requérante a commis, dans l'exécution du
service public, une faute de nature à engager sa responsabilité
»160. Ainsi, dès que la société agit en
dehors du cadre de ses prérogatives, et même si c'est pour
être encore plus exigent, cet agissement va constituer une faute de
service dès lors que la conséquence est un retard dommageable
dans la délivrance du certificat.
156 V. J. MOREAU, Responsabilité du fait d'actes de
tutelle et de contrôle, J.-CL., Administratif, fasc. 918, n°
123.
157 M. PAILLET, Faute de service, Notion, J.-CL,
Administratif, fasc. 818, n°8 et n°33, cité par M. FERRER,
La responsabilité des sociétés de classification,
op. cit., p. 368.
158 T.C., 5 mai 1877, Laumonnier-Carriol, Rec., 1877, p.
437, concl., E. Laferrière.
159 M. FERRER, La responsabilité des
sociétés de classification, op. cit. p. 369.
160 C.E., 23 mars 1983, déc. préc., note
n°93.
Le droit administratif français distingue la faute
lourde et la faute simple. La faute lourde intervient « [...] dans des
domaines dont le fonctionnement et l'exécution présentent des
difficultés et nécessitent par conséquence, la preuve
d'une faute qualifiée »161. La faute simple va
intervenir dans tous les autres domaines. A l'origine, l'exigence d'une faute
lourde a permis de supprimer plus facilement les régimes
d'irresponsabilité dont jouissait la puissance publique dans certains
domaines162. Mais cette faute lourde était
considérée comme exagérément favorable à
l'administration, aussi depuis les années 1990 la jurisprudence
réduit le champ d'application de la faute lourde au profit de la faute
simple. Ainsi, l'exigence d'une faute lourde a été
abandonnée dans le domaine médical depuis l'arrêt Epoux
V163 rendu par le Conseil d'Etat le 10 avril 1992. Par cet
arrêt a été abandonnée l'exigence d'une faute lourde
pour engager la responsabilité du service public hospitalier en cas
d'acte médical. Par la suite, dans l'affaire dite du sang
contaminé, le Conseil d'Etat abandonne dans un arrêt du 9 avril
1993164 l'exigence de la faute lourde pour activités de
tutelles et de contrôle sur les centres de transfusion sanguine. Il
aurait été choquant de refuser l'indemnisation de ces victimes
collatérales du VIH au seul motif qu'aucune faute assimilable à
une faute lourde n'avait été commise.
Cet abandon de la faute lourde a été aussi
consacré dans le domaine du contrôle des navires. Dans une
décision du 13 mars 1998, le Conseil d'Etat supprime cette exigence pour
les activités de contrôle des navires. Le 14 février 1979,
le navire François Vielj eux , long de 170 mètres et
fort de 16000 tonnes sombrait à 55 kilomètres au large du Vigo,
port du littoral occidental de l'Espagne. Il n'y eut que 8 rescapés.
Cinq ans après les ayant droits des 12 morts et des 11 disparus se sont
adressés à l'État français pour lui demander
réparation du préjudice matériel et moral qu'ils ont subi.
Les demandeurs mettent en avant les problèmes rencontrés lors des
opérations matérielles d'assistance et de sauvetage ainsi que les
procédures de contrôle technique du navire. Les services
chargés de la délivrance des certificats de
sécurité (S.O.L.A. S.) n'ont pas relevé le
caractère défectueux de l'aménagement des panneaux
latéraux de cale et ont admis un abaissement des surbaux165
qui menaçait pourtant la sécurité du navire ainsi qu'une
dérogation pour remplacer une porte métallique par une porte en
bois.
161 P. GRECIANO, La responsabilité de l'Etat en droit
aérien, l'exemple de la France et de l'Allemagne,
http://www.rajf.org/spip.php?article2646.
162 V. L'arrêt Tomaso Grecco de 1905 n'invoque plus le
principe de l'irresponsabilité de l'Etat en matière de police et
est suivi d'une jurisprudence qui précise que seule une faute lourde
peut engager la responsabilité de la puissance publique. C.E., 10
février 1905, Tomaso Grecco, Rec. 1905, p. 139.
163 C.E., 10 avril 1992, Epoux V., Rec., 1992, p.
171.
164 C.E., 9 avril 1993, Bianchi, Rec., 1993, p. 110.
165 Le surbau est un rebord vertical protecteur détournant
un écoulement d'eau.
Le Conseil d'Etat rend un arrêt de rejet166
le 13 mars 1998 et ne retient pas la responsabilité de l'administration
dans cette espèce car il considère que l'armateur avait
l'obligation de solliciter une nouvelle inspection du navire. L'initiative du
contrôle revient à l'armateur. La Haute-Juridiction établit
ensuite : « [...] qu'il ne résulte pas davantage de l'instruction
que le remplacement d'une porte en acier par une porte en bois ait joué
un rôle quelconque dans le naufrage du François Vielj eux
et que les requérants ne sauraient donc en tout état de
cause, soutenir qu'en autorisant cette modification la commission de
sécurité aurait commis une faute engageant la
responsabilité de l'administration ». Dans cet attendu, le juge
administratif fonde le rejet de la responsabilité de l'administration
sur l'absence de faute. C'est une manière indirecte de juger que la
responsabilité de l'administration n'est plus établie sur une
faute lourde mais qu'une faute simple suffit.
Aujourd'hui, pour les activités de contrôle et de
certification, la faute simple est donc suffisante pour engager la
responsabilité de la puissance publique. Cette faute simple sera donc
recherchée pour engager la responsabilité d'une
société de classification agissant dans le cadre de ses fonctions
statutaires. Il n'existe actuellement aucune jurisprudence illustrant cette
application aux activités déléguées aux
sociétés de classification.
Mais la directive 200 1/105/CE167 du Parlement
européen et du Conseil, modifiant l'article 6 de la directive 94/57/CE
change de manière très importante le régime de
responsabilité des sociétés de classification agissant sur
délégation des États membres.
Adoptée dans le cadre du Paquet Erika I, cette
directive était inspirée par les travaux du groupe dit de
Göteborg, qui rassemblait certaines des administrations du pavillon
européennes et certains organismes agréés internationaux,
dans le but de débattre et de rédiger des clauses standard en
matière de responsabilité. Elle ne régit que la
réparation que l'administration d'un Etat membre peut exiger d'un
organisme agréé si le premier est tenu responsable à la
suite de la faute du dernier, judiciairement ou lors d'un arbitrage. C'est donc
l'inverse de la procédure retenue par le Conseil d'Etat dans
l'arrêt Société Anonyme Bureau Veritas de
1983168. Avant cette directive, le Conseil d'Etat avait ainsi
indiqué que les fautes commises par la société dans
l'exercice de sa mission de service public ne pouvaient engager que sa propre
responsabilité. Désormais, l'administration de tutelle ne pourra
se retourner contre la société de classification qu'une fois
qu'elle aura indemnisé les personnes lésées.
166 C.E., sect., 13 mars 1998, M. Améon et
autres, A.J.D.A., 1998, p. 418, D.M.F., 1998, p. 790, obs. P.
Chaumette.
167 J.O.C.E., L 324 du 29 novembre 2002, p. 53.
168 C.E., 23 mars 1983, déc. préc., note
n°93.
La nouvelle directive rajoute trois alinéas à
l'article 6 de la directive 94/57/CE. Le premier alinéa (i) traite de ce
préalable à la responsabilité des sociétés
de classification.
- Il dispose que « si l'administration est finalement
déclarée responsable d'un incident de manière
définitive par une cour ou un tribunal ou à la suite du
règlement d'un litige par la voie d'un procédure d'arbitrage et
doit indemniser les personnes lésées dans le cas d'un
préjudice ou d'un dommage matériel, d'un dommage corporel ou d'un
décès dont il est prouvé, devant cette juridiction, qu'il
résulte d'un acte ou d'une omission volontaire ou d'une
négligence grave de l'organisme agréé, de ses services, de
son personnel, de ses agents ou autres agissant au nom de l'organisme
agréé pour autant que ledit préjudice, dommage
matériel, dommage corporel ou décès est dû, selon la
décision de cette juridiction, à l'organisme agréé
[...]. »
- L'alinéa (ii) pose un plancher pour la
responsabilité des organismes pour les dommages corporels ou
décès résultant d'un acte ou d'une omission par
négligence ou imprudence. Ce plancher, fixé par l'État
déléguant et l'organisme délégataire lors de
l'élaboration de l'accord d'agrément, ne peut pas être
inférieur à 4 millions d'euros.
- Le dernier alinéa (iii) indique qu'en cas de
préjudice ou de dommage matériel résultant d'un acte ou
d'une omission par négligence ou imprudence d'un organisme
agréé, les États membres peuvent limiter le montant
maximal à verser par l'organisme, mais ce plafond doit être au
moins égal à 4 millions d'euros.
La responsabilité des sociétés de
classification est donc une responsabilité indirecte. Il faut au
préalable que l'administration de tutelle soit déclarée
responsable169. Dans une étude d'impact170
concernant le régime de responsabilité prévu au nouvel
article 6 de la directive 94/57/CE , la Commission indique qu'au jour de
l'étude (février 2006), il n'existait aucune affaire jugée
ou en cours dans le cadre de laquelle le recouvrement par l'État du
pavillon à l'encontre d'un organisme a été ou pouvait
être activé. Aucun organisme agréé n'a encore
encouru de responsabilité envers une administration nationale en
conséquence de tâches maritimes réglementaires
exécutées pour cette administration. Il ressort de ces
constatations que l'augmentation du contentieux souvent mentionnée en
doctrine est certainement avancée par les organismes
agréés eux-mêmes. Cette constatation d'un
développement du contentieux, sans cesse réitérée,
a un effet comminatoire et
169 Lorsque l'administration a été
condamnée au versement de dommages et intérêts à
raison d'une faute commise par un organisme délégataire, elle a
la possibilité d'exercer une action récursoire contre ce dernier.
Cette voie de recours a été admise pour la première fois
par les arrêts Laruelle et Delville rendus par le Conseil d'Etat
le 28 juillet 1951. V. C.E., Ass. 28 juillet 1951, Laruelle et Delville, Rec.
1951, p. 464.
170 Annexe du document de travail de la commission sur le
contrôle par la Commission des organismes agrées et
sur l'impact du régime de responsabilité civile
conformément à la directive 94/57/CE, COM(2006) 588 final,
p. 27.
permet ainsi aux organismes de demander que ne leur soit pas
appliquée une responsabilité illimitée en matière
de négligences simples. Les organismes agréés arguent
qu'en raison de l'augmentation « potentielle » des litiges, il est
devenu beaucoup plus difficile d'obtenir une couverture adéquate sur le
marché de l'assurance et que les taux d'assurance augmentent
sensiblement en raison de ce potentiel.
L'alinéa (i) stipule que, pour les cas de
négligence grave, il devrait y avoir une responsabilité
illimitée. Cette position est suivie par tous les États membres
ayant mis en oeuvre la directive. Mais les États membres restent libres
pour fixer les plafonds de responsabilité. La directive fixe dans les
alinéas (i) et (ii) des peines planchers qui sont pour certains
États devenues des peines plafond171. Cinq États
membres172 dont la France ont adopté une
responsabilité illimitée en matière de
décès, dommages corporels ou dommages matériels
résultant d'une négligence d'un organisme agréé.
La directive 2001/105/CE modifie le régime de
responsabilité applicable aux organismes agréés, dans le
cadre de l'exercice de leurs compétences statutaires . Cette
modification permet d'encadrer cette pratique de la délégation,
de l'agrément communautaire à l'engagement d'une
responsabilité. La directive reconnaît ainsi le rôle majeur
joué par les sociétés car elle n'impose pas de
responsabilité illimitée pour les cas de négligence
(alinéa (i) et (ii). Ce choix relève de la compétence de
l'État et apparaîtra dans l'accord d'agrément passé
entre l'État membre délégant et l'organisme
agréé. Il s'agit d'une véritable négociation et
l'organisme peut obtenir des contreparties en échange de cette
responsabilité illimitée.
Il est alors légitime de se demander si la
possibilité de négocier une responsabilité
illimitée pour les cas de négligence peut servir d'outil pour
restreindre l'accès à ce marché. En effet, certains
organismes reconnus choisissent de ne pas intégrer un marché du
fait de cette responsabilité illimitée173.
La place très importante tenue par l'arbitrage en
matière maritime peut expliquer l'absence de jurisprudence.
L'intérêt de cette solution est de mêler l'aspect
contractuel et l'aspect juridictionnel. Il s'agit de confier le
règlement du litige à un ou plusieurs tiers particuliers.
171 17 Etats membres ont introduit une responsabilité
limitée pour les cas de négligence. Les planchers prévus
par la directive ont été transformés en plafond, mais dans
l'ensemble, les montants correspondent, V. Document de travail de la
Commission, op. cit., p. 20.
172 Il s'agit de l'Allemagne, de l'Espagne, de la France, de
l'Italie et du Luxembourg.
173 V. Annexe du document de travail de la commission sur le
contrôle par la Commission des organismes agrées et sur l'impact
du régime de responsabilité civile conformément à
la directive 94/57/CE, COM(2006) 588 final, p. 26.
L'arbitrage permet ainsi d'exercer « une mission
juridictionnelle mais en ayant recours à des règles
dépendant partiellement de la volonté des parties au litige
»174 . Ce mode de règlement est plus rapide et plus
confidentiel. Les décisions d'arbitrage ne sont
généralement pas publiées et la réputation de
l'organisme reconnu, partie à l'arbitrage, reste donc intacte.
Au regard de toutes ces constatations, le volontarisme de
l'État du pavillon peut-il être remis en question? L'État
du pavillon délègue la totalité ou seulement une partie de
ses compétences de contrôle aux sociétés de
classification. Sa responsabilité n'a de facto jamais encore
été engagée du fait de l'exercice des compétences
statutaires par les organismes agréés. De plus, c'est l'armateur
qui va supporter le coût des visites et l'État est donc
désengagé financièrement du contrôle des navires
lorsqu'il le délègue. Les États qui
délèguent la totalité de ce contrôle comme Chypre ou
Malte ne semblent donc pas assumer leur obligations internationales du
contrôle des navires arborant leurs pavillons respectifs. Comme le dit
Madame Isabelle Corbier, la sécurité maritime qui est l'une des
principales préoccupations de notre temps, ne doit pas être le
privilège exclusif des sociétés de classification. La
sécurité maritime est avant tout de la responsabilité de
tous175.
Ce désengagement de certains États est parfois
accompagné de complaisance à l'égard des
sociétés de classification. C'est le cas dans des États
complaisants, tiers à l'Union européenne, qui attribuent dans
leur droit national une immunité aux sociétés agissant par
délégation. A côté de cette immunité
légale dans l'application du droit du pavillon, une partie de la
doctrine considère que les sociétés de classification
ainsi que leurs agents, agissant par délégation d'un État,
peuvent bénéficier du principe de droit international public dit
d'immunité de juridiction qui s'oppose à ce que, en dehors de
toute acceptation, un État, ses agents ou démembrements soient
jugés devant une juridiction d'un État tiers.
Section 2. L'existence d'obstacles à
l'engagement de la responsabilité des sociétés de
classification
Deux situations juridiques différentes peuvent conduire
à une immunité des sociétés de classification
agissant par délégation d'un État. Se pose tout d'abord le
problème d'une impunité lorsque, par les mécanismes du
droit international privé, le droit du pavillon exonérant de
toute
174 J.-P. BEURIER, Droits maritimes, op. cit., p. 9.
175 I. CORBIER, Classification societies and maritime
security, intervention au VIIIe Colloque organisé par l'I.I.D.M.,
Bariloche, 29 septembre-2 octobre 2003, J.P.A., 2005, p. 12.
responsabilité l'organisme délégataire,
est appliqué par une juridiction d'un État tiers. L'utilisation
des règles du droit international privé peut donc conduire
à une impunité légale dans l'application du droit du
pavillon. Par ailleurs, une partie de la doctrine considère que
l'immunité de juridiction, principe de droit international public, peut
s'appliquer aux sociétés délégataires. Nous allons
étudier les fondements de cette immunité de juridiction ainsi que
la jurisprudence pour tenter d'infirmer cette position de la doctrine.
§ 1. Une impunité légale dans
l'application du droit du pavillon
Pendant la Seconde Guerre mondiale, les navires
américains, craignant les attaques des sous-marin allemands, ont
abandonné leur pavillon pour venir se placer sous le pavillon de Panama
ou le pavillon du Honduras176. Cette initiative initialement
motivée par la volonté de protéger le navire, son
équipage et sa cargaison, s'est accentuée au cours des
années 1950 pour des motifs tout autres. Dans le sillage du pavillon
Libérien, de nombreux États accordent librement leur pavillon
à des navires n'ayant aucun lien de rattachement avec l'État.
L'État va recevoir une contribution financière de l'armateur ou
de la compagnie maritime qui désire immatriculer son navire. En
échange, les navires vont bénéficier de règles
très souples en matière de droit du travail, de fiscalité,
ou de responsabilité. Certains de ces États dits «
complaisants » assurent même des contrôles a minima de la
sécurité du navire. Cette complaisance s'exerce également
à l'égard des sociétés de classification auxquelles
l'État va faire appel pour effectuer les visites et délivrance de
certificats du navire. En effet, certains États assurent aux
sociétés une exonération de responsabilité pour les
faits qui se sont produits dans le cadre de cette mission statutaire. Les deux
décisions que nous allons analyser traitent de cette exonération
de responsabilité conférée par le droit de l'État
complaisant déléguant. Nous prenons le parti de qualifier cette
pratique de complaisance car il ne nous semble pas normal qu'une
exonération complète de responsabilité puisse être
accordée à quelque intervenant que ce soit.
L'affaire du Sundancer illustre cette
exonération de responsabilité dont peuvent parfois
bénéficier les sociétés de classification dans le
cadre de leur fonction statutaire. Ce navire à passagers était
immatriculé aux Bahamas. Il fit naufrage en 1984 au large de la
Colombie- Britannique. La société A.B.S. avait examiné la
conformité du navire aux dispositions des Conventions S.O.L.A.S. et Load
Lines pour qu'il puisse être immatriculé dans cet État.
L'État des Bahamas déléguait ces prestations à la
société A.B.S. à travers le « Bahamian Merchant
Shipping
176 V. P. BONNASSIES et C. SCAPEL, Droit maritime,
L.G.D.J., 2006, p. 121.
Act » de 1976. A la suite du naufrage, l'armateur du
navire et son exploitant assignent en responsabilité la
société de classification pour les fautes qu'elle aurait commises
lors de la transformation en Suède de cet ancien transbordeur en navire
de croisière.
La société de classification demande à
bénéficier des dispositions du paragraphe 276 de cette Loi qui
dispose que, « Tous les officiers désignés par cette Loi
sont exonérés des actions relatives à tout ce qui a
été fait [...] de bonne foi ou présumé de bonne foi
dans l'exercice ou dans l'exécution [...] d'un devoir
conféré ou imposé à lui par cette Loi ». Le
procès se déroule aux Etats- Unis et le juge de première
instance considère que c'est bien la Loi du pavillon qui doit
s'appliquer au litige. En revanche, il refuse d'appliquer l'immunité
à la société A.B. S. car elle ne rentrerait pas dans les
termes de cette Loi. Néanmoins, le juge accepte de conférer
l'immunité aux agents experts de la société.
Dans un arrêt Sundance Cruise v. American Bureau of
Shipping177, la Cour d'appel américaine indique que les
dispositions du « Bahamian Merchant Shipping Act » relatives à
l'exonération de toute responsabilité s'appliquent aux agents
experts mais également à la société de
classification. Les juges indiquent que la société et ses experts
sont des agents de l'Etat des Bahamas lorsqu'ils agissent dans le cadre de
leurs prestations statutaires178.
Cette immunité, conférée par la loi de
l'Etat des Bahamas a également trouvé application dans le litige
né à la suite du naufrage du Scandinavian Star. Cet
ancien paquebot transformé en car- ferry a pris feu le 7 avril 1990 au
large du Danemark ce qui a entraîné la mort de 159 passagers. A la
suite du drame, la société de classification Lloyd's Register of
Shipping, précédemment responsable des fonctions de
classification et de certification du navire, a été
assignée en responsabilité devant les juridictions
états-uniennes. En première instance, le Tribunal de Floride,
faisant application du « Bahamas Merchant Shipping Act », accorde
l'immunité à la société de classification. Cette
décision est annulée par la Cour d'appel qui considère que
les juges du lieu où s'est déroulé l'incendie sont plus
compétents pour traiter de l'affaire179.
Dans ces affaires où les acteurs et les
nationalités sont entremêlés, le droit du pavillon est
souvent le seul élément de rattachement stable. Devant la
difficulté à décider quel droit est applicable au litige,
et en l'absence de convention matérielle traitant de la question, les
juges
177 V. Sundance Cruise v. American Bureau of Shipping,
U.S.C.A., 2nd Circ., 15 octobre 1993, L.L.R., 1994, 1, p. 207.
178 V. M. FERRER, La responsabilité des
sociétés de classification, op. cit., p. 361.
179 Ibid.
choisissent d'appliquer le droit du pavillon. C'est la raison
pour laquelle les armateurs choisissent le pavillon de leur navire en
connaissance de cause. Il ne s'agit donc pas d'une immunité de
juridiction comme l'avance Monsieur Ferrer180 mais d'une
exonération de responsabilité ou immunité
conférée par l'application du droit du pavillon.
L'immunité de juridiction est un principe de droit international public
à la signification tout à fait différente.
§ 2. La question de l'immunité de
juridiction par l'application du droit du for
Reconnaître l'immunité de juridiction à un
sujet de droit consiste à interdire à un organe d'appliquer le
droit normalement applicable par lui à une situation en raison de la
qualité particulière du sujet considéré. En vertu
du principe de droit international public par in parem non habet
imperium, un État ne peut être soumis à la juridiction
d'un autre État. L'octroi de l'immunité souveraine à un
État dans une procédure civile ou pénale, poursuit le but
légitime d'observer le droit international afin de favoriser la
courtoisie et les bonnes relations entres États grâce au respect
de la souveraineté d'un autre Etat181. Cette immunité
des États était à l'origine considérée comme
une chose absolue, mais les États ont de plus en plus assumé des
activités économiques auparavant réservées aux
particuliers et il fut considéré par de nombreux pays qu'ils ne
pouvaient pas continuer à se prévaloir de leur qualité au
détriment de leurs partenaires privés182. Dans la
plupart des États, le principe de l'immunité des États
étrangers n'est ni une règle absolue, ni d'une portée
générale. Il faut au contraire faire une distinction suivant que
l'État étranger agit en vertu de sa souveraineté par un
acte dit de jure imperii ou comme titulaire d'un droit privé
par un simple acte dit de jure gestionis. C'est dans le premier cas
seulement que l'État peut invoquer le principe de l'immunité de
juridiction. L'immunité de juridiction est donc le plus souvent
limitée aux actes accomplis par son bénéficiaire dans
l'exercice de ses fonctions183.
La Convention de Bâle du Conseil de l'Europe du 16 mai
1972 traite de l'immunité des États, mais elle n'a pas
été ratifiée par la France et huit États seulement
y sont parties (Allemagne, Autriche, Belgique, Chypre, Luxembourg, Pays-Bas,
Royaume-Uni, Suisse). D'autre part, le travail
180 « Les experts des sociétés de
classification qui agissent dans le cadre des fonctions statutaires de certains
Etats complaisants bénéficient, en cas de négligence ou
d'omission involontaire de leur part, d'une immunité de juridiction
», V. M. FERRER, La responsabilité des sociétés
de classification, op. cit., p. 359 et 361.
181 V. M. PUECHAVY, note sous C.E.D.H., 21 novembre 2001,
Al-Adsani v. Royaume-Uni, GAZ. PAL., 4 décembre 2001, p. 23.
182 B. AUDIT, Droit international privé,
4ème édition, EDITIONS ECONOMICA, p. 336.
183 V. J. VERHOEVEN, Les immunités propres aux organes ou
autres agents des sujets du Droit international, in. Le Droit des
immunités, contestation ou consolidation?, BIBLIOTHEQUE DE
L'INSTITUT DES HAUTES ETUDES INTERNATIONALES DE PARIS, 2004, p. 71.
de la Commission de droit international des Nations Unies a
abouti à l'élaboration d'une Convention du 17 janvier 2005 sur
les immunités juridictionnelles des États et leurs biens. La
France a signé cette Convention le 17 janvier 2007 mais ne l'a pas
encore ratifiée.
Si les États n'ont pas ratifié de Conventions
relatives à l'immunité de juridiction ou dans le flou de
celles-ci, il revient aux États de choisir de faire une
interprétation large ou restrictive de cette immunité de
juridiction. Au XIXème siècle, les juridictions françaises
se prononçaient pour une conception absolue de celle-ci184.
Mais dans un arrêt de 1929 admettant qu'une saisie soit pratiquée
contre la Représentation commerciale des Soviets, organisme
émanant de l'État soviétique, la Chambre des
requêtes indique que l'organisme pratiquait « [...] des actes de
commerce auxquels le principe de souveraineté des États demeure
étranger »185. La France suit le mouvement de nombreux
États qui adoptent une conception plus restrictive de l'immunité
de juridiction. Ils considèrent que lorsqu'un État conclut des
engagements dont la nature ressort du droit privé, il n'y a aucune
raison qu'ils ne soient pas jugés par les juridictions ordinaires
compétentes186. De plus, un État qui fuit toujours ces
obligations commerciales, en se réfugiant derrière son
immunité de juridiction, n'aura plus aucune réputation
d'intégrité dans ces futures relations
commerciales187.
Dans certains États, le législateur est
intervenu pour tracer les contours de cette immunité de
juridiction188. En France, la question est traitée par la
jurisprudence. Pour déterminer si la situation qui lui était
soumise et qui impliquait un État étranger ou ses
démembrements, pouvait être jugée devant une juridiction
française, les juges ont eu recours à un critère organique
puis à un critère fonctionnel. Tout en rappelant « qu'il est
de principe absolu que les États étrangers, en raison de
l'indépendance et de la souveraineté des nations, jouissent en
France du privilège de l'immunité de juridiction
»189, les juridictions françaises ont ainsi clairement
opté pour une conception restrictive de l'immunité de
juridiction.
Le critère organique, tiré de la
personnalité juridique a été rapidement
écarté car il était trop formaliste190. La Cour
de cassation a indiqué dans l'arrêt Société
Levant-Express de 1969 que
184 V. Cass., 22 janvier 1849, Gouvernement Espagnol contre
Casaux, SIREY, 1849, I, col. 81.
185 D. P. 1929. 1. 73.; G.A.D.I.P., p. 439, § 2.
186 H. FOX, The Law of State Immunity, THE OXFORD
INTERNATIONAL LAW LIBRARY, 2008, p. 64.
187 Ibid.
188 Ainsi aux Etats-unis existe le Foreign Sovereign
Immunities Act de 1976 et en Australie, le Foreign States Immunities
Act de 1985.
189 C. A. Aix en Provence, 23 novembre 1938, Socifross contre
U.R.S.S., DALLOZ, 1939, 7ème cahier, II, p. 66.
190 V. B. AUDIT, Droit international privé, op.
cit., p. 336.
« l'immunité est fondée sur la nature de
l'activité et non sur la qualité de celui qui l'exerce
»191. C'est ce critère fonctionnel tiré de la
nature des actes en cause (ratione materiae192) qui est
aujourd'hui encore utilisé par les juridictions françaises. Les
actes d'autorité (jure imperii) et les actes de gestions
(jure gestionis) sont opposés. Cette distinction est
directement inspirée des principes utilisés par la juridiction
administrative pour déterminer sa propre compétence par rapport
à celle des tribunaux judiciaires.
Ce critère tiré de la nature des actes est
formulé dans l'arrêt Société Levant-Express
: « Attendu que les États étrangers et les organismes
agissant par leur ordre ou pour leur compte ne bénéficient de
l'immunité de juridiction qu'autant que l'acte qui donne lieu au litige
constitue un acte de puissance publique ou a été accompli dans
l'intérêt d'un service public ».
La question se pose alors de savoir si une entité,
distincte de l'État, et exerçant parfois des activités
commerciales, peut bénéficier de l'immunité de
l'État. Est-ce qu'une société de classification,
effectuant les contrôles et la délivrance des certificats des
navires au nom et pour le compte de l'État du pavillon, peut
bénéficier de cette immunité de juridiction?
L'accomplissement d'une mission de service publique ou
l'exécution d'un acte de puissance publique sont les
éléments que doivent rechercher les juges avant d'accéder
à une demande d'immunité de juridiction. Dans un arrêt de
2003, relatif à l'affiliation à la sécurité sociale
française d'un professeur de l'école saoudienne de Paris, la Cour
de cassation fait une reprise quasi similaire d'un attendu de l'arrêt
Société Levant-Express193 : « Attendu
que les États étrangers et les organismes qui en constituent
l'émanation ne bénéficient de l'immunité de
juridiction qu'autant que l'acte qui donne lieu au litige participe, par sa
nature ou sa finalité, à l'exercice de la souveraineté de
ces États et n'est donc pas un acte de gestion ». Cette position
est aussi celle de la Convention de Bâle sur l'immunité des
États, du 16 mai 1972, du Conseil de l'Europe qui écarte toute
immunité de juridiction pour les activités étatiques sans
rapport avec l'exercice de la souveraineté, notamment actes de
gestions194.
Les poursuites menées en France contre la Malta Maritime
Authority à la suite du naufrage
191 Cass., civ., 25 février 1969,
Société Levant-Express, G.A.D.I.P., n° 47.
192 V. H. FOX, The Law of State Immunity, op. cit., p.
102, qui distingue les immunités ratione materiae des
immunités ratione personnae.
193 Cass. ch. Mixte, 20 juin 2003, J.D.I., 2003, p. 1115.
194 Cette Convention n'a pas été ratifiée
par la France, huit Etats seulement y sont parties : Allemagne, Autriche,
Belgique, Chypre, Luxembourg, Pays-Bas, Royaume-Uni et Suisse.
du navire Erika illustrent la question de
l'application de l'immunité de juridiction à un intervenant de la
sécurité maritime. Rappelons que l'Erika était un
pétrolier battant pavillon maltais, construit en 1975 et
affrété par la société Total-Fina-Elf. Il a fait
naufrage le 12 décembre 1999 au large de la Bretagne. L'acteur ici en
question, parmi beaucoup d'autres intervenants, est la Malta Maritime Authority
qui avait délivré au navire et à la société
gestionnaire du navire, les certificats du pavillon de Malte. Le 19 avril 2002,
le juge d'instruction français en charge a délivré
commission rogatoire aux autorités judiciaires de l'État de Malte
avec pour mission notamment d'entendre les responsables de l'État du
pavillon maltais. Après retour de la commission rogatoire, le juge
d'instruction a mis en examen les 25 et 26 septembre 2003, la Malta Maritime
Authority (M.M.A.) représentée par son Président ainsi que
son directeur exécutif, responsable de la marine marchande, en des
termes identiques des chefs de mise en danger de la vie d'autrui et de
complicité de pollution. La M.M.A. a alors formé une
requête en annulation de ce procès verbal.
La procédure lancée, la Chambre de l'Instruction
de la Cour d'appel de Paris, le 14 juin 2002, annule les mises en examens de la
M.M.A. et d'un de ses directeurs. Pour annuler les actes de poursuite à
l'encontre de la M.M.A. et de son directeur exécutif, la juridiction
pénale retient que même si la M.M.A. peut effectuer des actes de
commerce, il est incontestable qu'elle dispose de prérogatives de
puissance publique démontrant qu'elle est une émanation de
l'État de Malte exerçant sous le contrôle étroit du
ministre de tutelle. La Cour juge donc que la M.M.A. bénéficie de
l'immunité de Juridiction reconnue à l'État de
Malte195.
L'Agent judiciaire du Trésor français forme
alors un pourvoi en cassation de cette décision au motif que la M.M.A.
et son directeur ne peuvent pas bénéficier de l'immunité
de juridiction. La chambre criminelle de la Cour de cassation rend un
arrêt de rejet le 23 novembre 2004196. Les juges confirment
l'annulation de la mise en examen de la M.M.A. et d'un de ses directeurs au
motif que « La Coutume Internationale qui s'oppose à la poursuite
des États devant les juridictions pénales d'un État
étranger s'étend aux organes et entités qui constituent
l'émanation de l'État ainsi qu'à leurs agents en raison
d'actes, qui comme en l'espèce, relèvent de la
souveraineté de l'État concerné ».
La décision de la Cour de cassation suit les traces
laissées par les jurisprudences antérieures mais elle est
néanmoins critiquable. Il faut noter que dès le milieu du
XXème siècle, l'immunité a été
octroyée à des organismes dotés d'une personnalité
indépendante197. Par la suite, en 1990, la
195 V. P. BLIN, note sous arrêt C.A. Paris, 14 juin 2004,
Navire Erika, D.M.F., octobre 2004, p. 862.
196 V. J.-L. RENARD, note sous arrêt Cass. ch. crim., 23
novembre 2004, Navire Erika, D.M.F., avril 2005, p. 312.
197 V. Pour une immunité accordée à des
organismes bancaires privés, Cass. civ, 1ère, 3 novembre 1952,
R.C.D.I.P.,
Cour de cassation accorde le bénéfice de
l'immunité à un organisme doté d'une personnalité
juridique distincte de celle de l'État mais également d'une
indépendance budgétaire198. Concernant, la M.M.A., les
juges indiquent qu'elle a été créée par une loi de
l'État de Malte, qu'elle a un Ministre de tutelle qui nomme certains des
membres et peut les révoquer. La M.M.A. et son directeur ont agi par
l'ordre ou pour le compte des autorités de l'État de Malte. De
plus, ils ont agi dans le cadre stricte de leurs fonctions et n'ont pas commis
de fautes personnelles. Il s'agit donc d'émanations de l'État de
Malte. La Cour a ensuite étudié la nature des actes en cause dans
le naufrage de l'Erika. L'attribution du pavillon est en France un
acte de puissance publique et peut donc être considérée
comme un acte de jure imperii. Cet acte relève du pouvoir
souverain de chaque État et l'immunité de juridiction doit
être accordée lorsque de tels actes sont en cause. La Cour
considère également que la délivrance et le maintien des
autorisations de naviguer relèvent du pouvoir souverain de chaque
État. Elle indique que « [...] l'immatriculation subséquente
ainsi que le maintien des autorisations de naviguer sont des actes relevant
« [...de la souveraineté [...] » de la République de
Malte.
Le Professeur Ancel, cité par Monsieur Renard dans ses
observations sous l'arrêt de cassation indique que « la Chambre de
l'Instruction fusionne l'ensemble des opérations accomplies du chef de
l'autorité publique et tendant à l'immatriculation et à la
délivrance ou au maintien des autorisations de naviguer dans la
qualification d'actes administratifs de puissances publiques » alors que
selon lui ces actes comporteraient une dimension décisionnelle dont le
caractère souverain n'est pas contesté et une dimension
matérielle qui répond à « une fonction non
régalienne qui est d'assurer la sécurité et la
navigabilité des navires »199. Il est pourtant
avéré que la M.M.A. dans son travail de certification des navires
poursuit principalement des finalités d'ordre économique. Au
regard des critères précédemment employés par la
jurisprudence, on peut dire que la M.M.A. réalise une mission de service
public, que l'acte d'immatriculation d'un navire constitue un acte de puissance
publique, mais également que la M.M.A. agit dans un but commercial.
C'est cette confusion des genres qui rend critiquable l'application de
l'immunité de juridiction à la M.M.A. et à l'un de ses
présidents. La M.M.A., émanation de l'État de Malte selon
la Cour de cassation, agit également, au cours de la même mission,
en représentation d'intérêts privés.
Ce même raisonnement est applicable aux
sociétés de classification qui agissent sur
1953, p. 423.
198 V. Cass., 12 juin 1990, Bull., 1990, I, n° 155, p.
110.
199 Consultation du Professeur ANCEL du 4 août 2004,
citée par J.-L. RENARD, note sous arrêt Cass. ch. crim., 23
novembre 2004, Navire Erika, D.M.F., avril 2005, p. 310.
délégation des États pour contrôler
les navires et délivrer les certificats de conformité aux
exigences internationales. L'arrêt Société Anonyme
Bureau Veritas200 de 1983 avait bien indiqué que le
contrôle exercé par les sociétés est une mission de
service public et leur capacité d'émettre des certificats une
prérogative de puissance publique. On peut alors considérer que
lorsqu'elles émettent des certificats de conformité aux
dispositions des Conventions internationales, « les sociétés
sont des organes agissant par ordre et pour le compte [d'un État
délégant], dans le cadre d'une mission de service public en
exécutant des actes de puissance publique »201. La
délivrance d'un certificat ne peut pas être réalisée
par une personne privée202 si celle si n'en a pas reçu
délégation. Cet acte doit par principe être
effectuée par l'État du pavillon et, par exception, par un
organisme agréé et ayant reçu délégation.
Mais comme pour la M.M.A., du point de vue des sociétés de
classification ayant reçu la délégation, il ne s'agit pas
pour elles d'un acte de puissance publique mais d'un acte de commerce.
L'immatriculation dans les pavillons de complaisance procède en
priorité d'une recherche d'opportunité commerciale. Ces pavillons
de complaisance sont désignés parfois comme la «
gangrène »203 du commerce maritime international.
L'armateur recherche les facilités sociales, fiscales ou
sécuritaires du pavillon de libre immatriculation et l'organisme
responsable recherche à percevoir les droits d'enregistrement. Si
l'immatriculation est de facto assimilable à un acte commercial dans
certains États complaisants, la certification de la conformité
des navires par les sociétés de classification
agréées dans ces États peut, elle aussi, se
révéler éloignée de toute considération de
service public.
Le jugement Erika, rendu par le Tribunal de grande instance de
Paris le 16 janvier 2008 traite de cette question de l'immunité de
juridiction invoquée par les sociétés de classification
agissant sur délégation des États. Pour les juges,
l'inspecteur de la société RINA a commis une faute en
renouvelant, moins d'un mois avant le naufrage, le certificat de
classification. Ce renouvellement a été pris « dans la
précipitation et sous la pression de contraintes commerciales ».
Par ailleurs, les juges voient dans la faute de l'inspecteur, qui était
l'un des représentants du RINA, une faute engageant la
responsabilité pénale de cette personne morale. Le Tribunal
écarte le bénéfice de l'immunité de juridiction
invoquée in limine litis par la société qui ne
voulait pas voir ses
200 V. note n° 93.
201 V. M. FERRER, La responsabilité des
sociétés de classification, op. cit., p. 363. L'auteur
considère que les critères établis par les tribunaux
français s'appliquent parfaitement au régime et au domaine des
prestations statutaires des sociétés. Il évoque aussi le
Sovereign Immunity Act de 1976 applicable aux Etats-Unis. Il indique que «
l'immunité
de juridiction pourrait s'appliquer aux sociétés de
classification étatiques, c'est à dire dont l'Etat possède
au moins 51% du capital social ». La majorité des
sociétés de classifications, entreprises sans capitaux publics,
est donc exclue de cette définition.
202 V. les développements sur les actes commerciaux des
Etats, « an act which a private person may perform », H. FOX, The
Law of State Immunity, op. cit., p. 506.
203 L. CARROUE, Ces espaces hors le loi du transport
maritime, LE MONDE DIPLOMATIQUE, février 2000, p. 24.
responsabilités civiles et pénales engagées
devant les juridictions françaises.
Les derniers arrêts rendus par des juridictions
françaises à propos de l'immunité de juridiction indiquent
que, pour que celle-ci soit accordée, il faut que les actes en question
relèvent de la souveraineté d'un Etat étranger et soient
accomplis par l'ordre ou pour le compte de ce même État. Or les
juges relèvent que la société RINA est intervenue en
exécution d'un contrat conclu avec le propriétaire du
navire204. L'activité de la société serait donc
restée d'ordre privé. Les relations de l'État de Malte
avec les différentes sociétés de classification, tout
comme « l'objectif de service public » prétendument poursuivi,
n'avaient ni pour objet, ni pour effet de rattacher cette activité
à l'exercice de la souveraineté de l'État de
Malte205. C'est l'activité privée qui semble
être en cause dans ce jugement du Tribunal de grande instance.
La société maltaise TENERE SHIPPING,
contrôlée elle même par deux sociétés
libériennes, a en effet conclu le 3 août 1998 un contrat avec le
RINA pour la prise en classe du navire Erika. Il n'y a pas d'exercice
d'actes de puissance publique pour la prise en classe d'un navire. En revanche,
si les juges ont considéré que l'activité de certification
exercée par le RINA au nom de l'Etat de Malte est une activité
privée, cela constituerait un revirement de jurisprudence. Dans
l'arrêt Société Anonyme Bureau Veritas, le Conseil d'Etat
se considère compétent car les faits sont intervenu« [...]
dans l'exercice des prérogatives de puissance publique qui lui ont
été conférées pour l'exécution de la mission
de service public dont elle est investie »206. Si la
société de classification dispose de prérogatives de
puissance publique pour cette activité de certification, elle devrait
pouvoir bénéficier, au regard de la jurisprudence
antérieure, de l'immunité de juridiction accordée à
l'État qui lui délègue cette compétence. Ainsi, la
société de classification a invoqué l'exception
d'immunité de juridiction d'un État étranger au titre de
cette activité au motif qu'elle est le délégataire de
l'Etat maltais pour la délivrance des certificats statutaires et de
sécurité. Ce moyen est écarté par les juges. En
effet, lorsqu'elle consiste à vérifier la mise en oeuvre des
règles de sécurité au moyen d'inspections portant sur la
solidité structurelle de la coque, l'activité des
sociétés de classification est d'ordre privé,
réalisée à la demande du propriétaire, en
exécution d'un contrat conclu avec lui. Telle est bien la situation en
l'espèce et l'activité de classification ne peut être
rattachée à l'exercice de la souveraineté des États
dont le pavillon flotte sur les navires pris en classe par la
société. La société de classification ne dispose
pas d'une délégation pour retirer la certification I.S.M. et ne
peut donc pas prétendre pour ces faits à l'existence d'une
immunité de
204 V. P. BONNASSIES, Le droit positif en 2007, D.M.F.,
hors-série n°12, juin 2008, p. 22.
205 Ibid.
206 v. note n° 93.
juridiction.
Le jugement du Tribunal de grande instance de Paris n'apporte
pas de réponse quant à la question de savoir si une
société de classification agissant par délégation
de l'Etat du pavillon peut invoquer à son bénéfice
l'exception d'immunité dont ce dernier bénéficie. Il
faudra un arrêt rendu par une juridiction supérieure pour que le
droit soit établi en la matière. Or, au regard de la quasi
inexistence de jurisprudence sur la responsabilité administrative ou
civile du fait de l'exercice de compétences statutaires, il est
certainement plus salutaire d'attendre une décision en matière de
responsabilité pénale. Exclue du domaine de l'arbitrage, la
responsabilité pénale de la société de
classification ou de ses experts peut être recherchée dans le
cadre d'une mission déléguée par l'État du
pavillon207.
Chapitre 2. La responsabilité pénale du
fait de l'exercice de compétences statutaires
La responsabilité pénale de la
société de classification ou de ses experts peut être
recherchée dans le cadre d'une mission déléguée par
l'État du pavillon. Cette mission des sociétés qui
consiste en la fourniture de prestations intellectuelles de contrôle et
de surveillance n'expose pas directement autrui à un danger.
Néanmoins, les infractions d'imprudence fondent des poursuites à
l'encontre des sociétés (section 1). Les règles
répressives du droit de l'environnement se sont de plus en plus
développées et ont, elles aussi, justifié des
procédures à l'encontre des organismes (section 2).
Section 1. les infractions d'imprudence comme source
de la responsabilité pénale des sociétés de
classification ?
Les procédures engagées contre les
sociétés de classification se fondent sur les infractions
volontaires d'imprudence ou de négligence. La société et
son expert peuvent être poursuivis pour atteintes involontaires à
la vie et à l'intégrité physique d'autrui. L'infraction de
mise en danger de la vie d'autrui peut également être le fondement
de l'engagement d'une procédure. Ce n'est alors pas le dommage
créé qui leur est reproché mais le risque de la survenance
d'un dommage. Ainsi, dans l'affaire du naufrage de l'Erika, la
société de classification RINA était notamment poursuivie
pour
207 V. P. BOISSON, Politiques et droit de la
sécurité maritime, op. cit., p. 496.
mise en danger de la vie d'autrui.
§ 1. Atteintes involontaires à la vie et à
l'intégrité physique d'autrui.
Aujourd'hui, c'est l'article 221-6 du Code pénal qui
traite de l'infraction d'atteinte involontaire à la vie. Il dispose que,
« le fait de causer [...], par maladresse, imprudence, inattention,
négligence ou manquement à une obligation de
sécurité ou de prudence imposée par la Loi ou le
règlement, la mort d'autrui constitue un homicide involontaire [...]
». Le caractère direct du lien de causalité entre le dommage
et la faute n'est pas exigé, ce qui explique que la
responsabilité des sociétés et de leurs experts soit
retenue sur ce fondement.
Les prestations immatérielles des
sociétés n'ont pas vocation à entraîner la mort.
Monsieur Ferrer note à juste titre que l'armateur est le premier et
dernier responsable de la qualité de son navire et qu'il apparaît
alors comme le premier responsable de la mort de personnes en cas de pertes ou
d'avarie de ce dernier208. La Cour de cassation a néanmoins
retenue la responsabilité pénale d'un expert du Bureau Veritas
pour manquement à son devoir de substitution et de conseil envers
l'acquéreur d'un navire. Par une décision de la chambre
criminelle du 30 mai 1980209, un expert du Bureau Veritas est
reconnu coupable d'homicide involontaire à la suite du naufrage d'une
drague.
La société Union Maritime de Dragage
était propriétaire de la drague Cap de la Hague.
Celle-ci est mise en service pour le compte de la Société des
Ballastiers et Agglomérés du Rouennais afin de transporter des
matériaux à béton. Le 11 octobre 1973, alors qu'elle est
chargée de matériaux criblés et essorés, la drague
fait face à de mauvaises conditions météorologiques et
chavire. Ce naufrage entraîne la mort de 9 des 15 membres
d'équipage. Deux rapports d'expertise montreront que la drague a
été utilisée conformément au franc-bord
délivré par la société de
classification210.
La Cour d'appel de Douai, dans son arrêt du 6 juillet
1978211 conclut que, « le Bureau Veritas qui reçut de
l'armateur mission d'assurer des prestations de contrôle technique avait
le devoir de se substituer à l'armateur pour toutes les interventions de
son ressort, hors de la compétence de celui-ci : la vérification
et la mise au point des conditions d'exploitation de la drague ». Les
juges constatent
208 M. FERRER, La responsabilité des
sociétés de classification, op. cit. , p. 380.
209 V. Cass. ch. crim., 30 mai 1980, Cap de la Hague,
D.M.F., 1982, observations E. Langavant et P. Boisson, p. 146.
210 Monsieur Ferrer éclaire explique bien le fond de cette
affaire très complexe, V. Ibid.
211 C.A. Douai, 6 juillet 1978, D.M.F., 1982, p. 153.
que le directeur des affaires maritimes du Bureau Veritas n'a
pas suivi les dispositions obligatoires de l'article 2-151 de
l'arrêté du 5 août 1971 imposant la fourniture au capitaine
des données d'une expérience de stabilité et de la
règle 102 de la Convention internationale sur les lignes de charge qui
impose les mêmes obligations212. La Cour de cassation
décide donc que le Directeur des affaires maritimes du Bureau Veritas
doit répondre de l'inobservation des obligations contractuelles de la
société avec l'armateur et de l'inobservation des règles
générales de stabilité et de sécurité. Il
est condamné à 10 mois de prison avec sursis et 10 000 francs
d'amende. La Cour de cassation confirmera la décision des juges du
fond213 et indique que la faute pénale est constituée
du fait que « la société de classification avait le devoir
de se substituer à l'armateur pour la mise au point des conditions
d'exploitation de la drague ; en n'étendant pas son étude
à toutes les densités possibles de la cargaison, elle aurait
manqué à son devoir de conseil ».
La responsabilité pénale des experts des
sociétés de classification semblait rester exceptionnelle car les
jurisprudences postérieures ne l'avaient pas retenue. Dans l'affaire du
Snekkar Arctic214 par exemple, la Cour d'appel de Rennes a
relaxé l'expert du Bureau Veritas mais l'a condamné civilement.
La jurisprudence du Cap de la Hague semble donc être une
exception car les experts des sociétés de classification n'ont
pas été pénalement condamnés depuis cette
affaire.
Depuis l'introduction de la responsabilité
pénale des personnes morales215 dans le Nouveau Code
Pénal de 1994 à l'article 121-3, la responsabilité des
sociétés de classification peut être directement
recherchée216 en plus de celle de l'expert.
La jurisprudence française a retenu la
responsabilité pénale des sociétés de
classification sur le fondement de la négligence commise dans
l'exécution des opérations d'inspection. Ainsi l'arrêt de
la Cour d'appel de Rennes du 23 septembre 2004 Number
one217 confirme la décision du Tribunal correctionnel de
Saint Nazaire du 18 mai 2003 qui avait retenu le comportement fautif de la
société Nippon Kaiji Kiokai au sens des articles 221-6 et 121-3
du Code pénal et l'a condamné à une peine d'amende de
225.000 euros. Le navire Number One était classé depuis
sa construction par la société de classification japonaise Nippon
Kaiji Kiokai (NKK) et a coulé au large du Sri Lanka le 11 juin
212 V. M. FERRER, La responsabilité des
sociétés de classification, op. cit., p. 382.
213 V . E. LANGAVANT et P. BOISSON, L'affaire du naufrage de
la drague Cap de la Hague et le problème de la responsabilité des
sociétés de classification, D.M.F., 1982, p. 131.
214 C.A. Rennes, 17 sept. 1998, Snekkar Artic,
D.M.F., 1999, p. 110 et D.M.F., 1999, hors série,
n° 4, au n° 21, observations P. Bonassies.
215 V. J. PRADEL, Droit pénal général,
EDITIONS CUJAS, 2004, p. 473
216 V. J.-P. BEURIER, op. cit., p. 268.
217 V. P. BLIN, observations sous C.A. Rennes, 23 septembre 2004,
Navire Number One, D.M.F. 2005, p. 44.
1999 emportant avec lui 11 personnes dont le capitaine. Les
ayants droit des victimes ont porté plainte contre l'armement et ont
dénoncé le mauvais état du navire.
La Cour d'appel tire argument de la structure interne de la
société et des procédures de contrôle
hiérarchique permettant de garantir la fiabilité des rapports
pour affirmer que le représentant qui a signé les rapports
était bien qualifié, et à ce titre, a engagé la
responsabilité de la société de
classification218. La Cour d'appel pour confirmer la
culpabilité de l'organisme de contrôle retient que : « La
société connaissait les graves problèmes de corrosion
affectant le navire, ayant exigé dans le passé le remplacement
des tôles affectées de sévères corrosions. Elle
connaissait aussi les réticences du précédent armateur
à réaliser les travaux nécessaires, déjà
très importants en 1990 et encore en 1993, avec des délais non
respectés, puis à nouveau en 1995 ». Dans un arrêt du
10 janvier 2006, la Cour de cassation rejettera le pourvoi de la
société de classification qui invoquait l'absence de lien de
causalité entre les fautes qui lui étaient reprochées et
le dommage. La Haute Juridiction se réfère à
l'appréciation souveraine des faits et circonstances de la cause par le
juge du fond et confirme ainsi l'arrêt d'appel.
La responsabilité pénale des
sociétés de classification peut donc être retenue pour
atteintes involontaires à la vie et à l'intégrité
physique. La mise en cause de la responsabilité pénale d'une
société de classification pour homicide involontaire est «
de nature à attirer l'attention des autorités maritimes
concernées par les pratiques laxistes de contrôle de certaines
sociétés de classification et de les inciter à
contrôler plus rigoureusement la manière dont les certificats sont
délivrés »219. La garantie de
sécurité issue de l'attribution d'une classe élevée
ne doit pas être de façade et doit correspondre à la
réalité de l'état du navire.
En revanche, il est raisonnable de penser que l'engagement de la
responsabilité pénale des experts devrait demeurer
exceptionnelle220.
L'article 223-1 du Code pénal définissant le
délit de risques causés à autrui peut aussi servir de
fondement pour rechercher la responsabilité pénale des
sociétés de classification.
218 V. L. JANBON, Le naufrage du Number One, D.M.F.,
2006, p. 570.
219 V. commentaire de Monsieur Polère à propos de
la condamnation du NKK et publié sur le site
http://www.fortunesde-mer.com
220 V. M. FERRER, La responsabilité des
sociétés de classification, op. cit., p. 386., qui
considère que la Loi du 10 juillet 2000 relative à la
définition des délits non-intentionnels va permettre «
d'exonérer » les experts. Il indique qu'à moins de violer
délibérément une loi ou un règlement, l'agent
indirect du dommage ne pourra plus être jugé pénalement
responsable s'il ignorait que son comportement, d'action ou d'omission,
créait à l'encontre des tiers un dangers d'une
particulière gravité.
§ 2. Une infraction de prévention applicable aux
sociétés de classification ? : le délit de risques
causés à autrui.
L'article 223-1 dispose que « le fait d'exposer
directement autrui à un risque immédiat de mort ou de blessures
de nature à entraîner une mutilation ou une infirmité
permanente par la violation manifestement délibérée d'une
obligation particulière de sécurité ou de prudence
imposée par la loi ou le règlement est puni d'un an
d'emprisonnement et de 15000 euros d'amende ».
« Par son indifférence au résultat, et donc
à ses effets tangibles, cette infraction perd en certitude ce qu'elle
gagne en prévention [...] »221 , il faut donc
étudier en détail ses éléments constitutifs.
Il doit tout d'abord exister une obligation
particulière de prudence et de sécurité, ce qui
désigne toute prescription relative au fait de ne pas porter atteinte
à la vie et à l'intégrité physique. Il s'agit de
l'imposition d'une conduite circonstanciée222
précisant exactement la conduite à avoir dans telle ou telle
situation.
Cette obligation particulière de prudence et de
sécurité doit découler d'une loi ou d'un règlement.
Le terme loi n'est pas d'interprétation difficile et désigne les
normes votées par le Parlement. La notion de règlement est en
revanche plus délicate à délimiter. L'emploi du singulier
semble indiquer qu'il s'agit d'une notion générique qui
désignerait donc « tous les actes administratifs à
portée réglementaire y compris les arrêtés
municipaux [...] »223. Concernant l'activité des
sociétés de classification, la notion de règlement
engloberait donc les réglementations communautaires et les règles
internationales de sécurité maritime. Le jugement rendu
récemment par le Tribunal de grande instance de Paris apporte des
précisions sur cette question.
Ainsi, dans le jugement Erika rendu par le Tribunal
de grande instance de Paris le 10 janvier 2008, le réquisitoire de la
poursuite indiquait que la société RINA avait
délibérément violé des obligations de
sécurité et de prudence imposées par la Convention
S.O.L.A.S. et le Code I.S.M.. Mais les juges considèrent qu'aucune de
ces règles conventionnelles « [...] n'édicte, à la
charge des prévenus, une obligation particulière de
sécurité ou de prudence imposée par la loi ou le
règlement
221 V. P. MAYAUD, observations sous Cass. ch. crim., 11
février 1998, R.S.C., 1998, p. 545.
222 V. M. PUECH, De la mise en danger d'autrui, DALLOZ,
1994, p. 154.
223 V. M. FERRER, La responsabilité des
sociétés de classification, op. cit., note n° 1441.
au sens de l'article 223-1 du Code pénal, soit en
déterminant un modèle de conduite circonstanciée
précisant exactement l'attitude à adopter dans une situation
donnée, soit en comportant des prescriptions objectives précises,
immédiatement perceptibles et clairement applicables de façon
impérative, sans faculté d'appréciation individuelle par
la personne qui y est soumise »224. Le délit de mise en
danger de la personne n'est pas constitué.
Si l'existence d'une obligation particulière de
prudence et de sécurité imposée par le loi ou le
règlement avait été prouvée, il aurait
également fallu que soit constatée une violation manifestement
délibérée de celle-ci. Cette formule traduit « la
nécessité d'une méconnaissance intentionnelle de
l'obligation de sécurité imposée par la loi ou le
règlement, à l'exclusion de tout manquement par imprudence ou
négligence »225. Dans le cadre de l'activité des
sociétés de classification, il faut que l'expert ait perçu
qu'il y avait du danger à laisser naviguer un navire qu'il inspecte.
Cette appréciation du travail de l'expert est faite in concreto
par le juge qui cherche à savoir s'il n'a pas eu conscience d'omettre de
signaler un navire sous-norme par exemple226. Selon Monsieur Ferrer,
il apparaît « difficile de démontrer par le silence de
l'expert sa connaissance du mauvais entretien du navire , que ce silence
constitue un risque grave pour l'intégrité physique d'autrui et
enfin que l'expert n'a rien fait pour remédier à la situation
»227.
La violation délibérée d'une obligation
particulière de sécurité et de prudence et la connaissance
d'un risque ne suffisent pas à constituer l'infraction, il faut
également que soit constatée l'exposition directe à un
risque imminent. Concernant l'objet du risque, il s'agit du risque de mort ou
de nature à entraîner une mutilation ou un infirmité. Le
danger doit être certain, actuel et non
hypothétique228. L'exposition à ce risque doit
être directe. Il faut donc démontrer un lien de causalité
directe entre la violation délibérée de l'obligation
particulière et l'exposition au risque. Ce lien de causalité est
ainsi constaté lorsqu'un capitaine de navire a accepté à
son bord un nombre excessif de passagers229. La démonstration
de ce lien de causalité est ardue concernant les sociétés
de classification. Il faudrait que la délivrance d'un certificat ait
permis à un navire de prendre la mer
224 V. T.G.I. Paris, 10 janvier 2008, jugement Erika, p.
299.
225 V. T.G.I. Saint-Etienne, 10 août 1994, GAZ. PAL., 7-8
décembre 1994.
226 V. M. FERRER, La responsabilité des
sociétés de classification, op. cit., p. 395. L'auteur
précise qu'il est bien plus difficile d'avoir conscience du danger que
représente le mauvais état d'un navire lors de l'exercice d'une
simple visite annuelle que lors de la réalisation d'une visite en cale
sèche. C'est la raison pour laquelle une interprétation in
concreto est salvatrice.
227 Ibid.
228 V. M. PUECH, De la mise en danger d'autrui, op cit.,
p. 156
229 Cass. ch. crim., 11 février 1998, R.S.C., 1998, p.
545, observations de Yves Mayaud. Lors d'un contrôle effectué par
la gendarmerie maritime, le navire assurait le transport de 112 personnes en
surnombre et le commandant du navire fut condamné pour mise en danger de
la personne.
alors que ce dernier est endommagé. Dans de telles
circonstances, une forte probabilité d'accident existe et donc le risque
immédiat pourrait être constaté230. Selon
Monsieur Ferrer, « la délivrance d'un certificat, même
basée sur une visite extrêmement négligente, ne peut
créer à elle seule un danger fortement probable
»231.
La responsabilité pénale des
sociétés de classification et des experts semble être
difficile à retenir pour les infractions d'imprudence. L'exception de
l'affaire du Cap de la Hague doit en rester une car, jusqu'à
présent, les simples négligences n'ont pas fondé la
responsabilité pénale d'un agent. Il faudrait beaucoup plus que
de simples négligences mais une réelle perception des
conséquences de son action par l'agent232. Les
éléments constitutifs des infractions pénales
spécifiques à la pollution de l'environnement marin s'appliquent
plus facilement aux missions des sociétés de classification.
Section 2. La répression des infractions aux
règles pénales de l'environnement comme nouveau foyer de la
responsabilité des sociétés de classification
En droit français, la loi n°83-583 du 5 juillet
1983 fixe les peines relatives à l'inobservation des prescriptions de
sécurité et de prévention des pollutions et les peines qui
sanctionnent le rejet d'hydrocarbure. Elle sanctionne donc l'inobservation des
dispositions des Conventions internationales M.AR.P.O.L. et S.O.L.A.S. qui ont
été ratifiées par la France. Les dispositions de la loi
française concernent les navires naviguant sous pavillon français
mais aussi, dans des conditions déterminées par décret en
Conseil d'Etat, les navires étrangers touchant un port français.
Le décret d'application est le décret n° 84-810 du 30
août 1984, sur la sauvegarde de la vie humaine en mer,
l'habitabilité à bord des navires et la prévention de la
pollution.
Monsieur Ferrer considère que les dispositions de la
loi de 1983 ne sont pas directement applicables aux sociétés de
classification car elle vise expressément le constructeur, l'armateur,
le propriétaire ou le capitaine du navire233. Les
règles prévues sont « spécifiques à
l'observation des dispositions des différentes Conventions
internationales et ne visent donc que les exploitants des navires, en d'autres
termes elles ne visent que les acteurs maritimes contrôlés par les
organismes classificateurs »234. Le jugement rendu par le
Tribunal de grande instance de Paris le 10 janvier 2008
230 V. M. FERRER, La responsabilité des
sociétés de classification, op. cit., p. 400.
231 Op. cit., p. 401.
232 V. M. PUECH, De la mise en danger d'autrui, op.
cit., p. 154.
233 V. M. FERRER, La responsabilité des
sociétés de classification, op. cit., p. 404.
234 Ibid. L'auteur écarte toute application des
règles pénales de l'environnement maritime aux
sociétés de classification.
dans l'affaire Erika traite de cette question.
Le propriétaire du navire, le shipmanager de
l'Erika, la société de classification RINA et la
société TOTAL arguaient que l'article 8 de la loi du 5 juillet
1983 applicable au moment des faits et réprimant le délit de
pollution ne pouvait pas leur être appliqué étant contraire
aux Conventions internationales, en particulier à la Convention
M.A.R.P.O.L. Mais les incriminations prévues par cet article 8 sont
différentes. L'infraction est constituée par la pollution des
eaux territoriales consécutive à un accident de mer
résultant d'une faute qui, soit l'a provoqué, soit a
consisté dans l'abstention de prendre les mesures permettant de
l'éviter. La loi se réfère donc expressément
à la pollution résultant d'un accident de mer, lui-même
défini par la Convention de Bruxelles du 29 novembre 1969 sur
l'intervention en haute mer. Cette pollution est bien distincte de celle
envisagée par la Convention M.AR.P.O.L. qui dans son article 2 traite de
la question des rejets d'hydrocarbures. La loi du 5 juillet 1983
précitée établit une distinction entre l'infraction de
rejet illicite et celle de pollution consécutive à un accident de
mer, lui-même provoqué par une faute d'imprudence ou de
négligence. « Dès lors, l'article 8 de la loi du 5 juillet
1983 prévoyant une incrimination différente de celles
édictées en application de la convention MARPOL, il ne peut
être fait grief à la loi nationale d'être contraire à
cette convention internationale, celle-ci et celle-là délimitant
des champs distincts par la détermination qui leur est propre des
comportements répréhensibles, des personnes punissables ou
d'éventuels faits justificatifs »235.
L'incrimination prévue à l'article 8 de la loi
de 1983 réprime non seulement le capitaine du navire, son
propriétaire, l'exploitant, mais aussi toute personne exerçant en
son droit ou en fait un pouvoir de contrôle ou de direction dans la
marche ou la gestion du navire qui par sa faute a provoqué
involontairement l'accident du navire à l'origine de la pollution ou
à omis de prendre les précautions pour l'éviter.
Par le biais de la visite annuelle de classification, la
société RINA a donc exercé en droit et en fait un pouvoir
de contrôle sur la gestion du navire236. La rédaction
de l'article élargit ainsi le cercle des personnes susceptibles
d'engager leur responsabilité pénale aux sociétés
de classification.
L'hypothèse de la complicité de ces infractions est
également mise de côté car cela impliquerait que l'expert
appréciant le navire comme étant en état d'infraction par
rapport aux Conventions internationales, émettrait
sciemment un certificat qui maintiendrait le navire dans cet
état et donc aiderait et assisterait l'armateur. Monsieur Ferrer
considère qu'il faudra une interprétation très large de
cette infraction pour retenir la complicité d'une société
de classification, ce qui est contraire à la notion
d'interprétation stricte des textes répressifs.
235 V. T.G.I. Paris, 10 janvier 2008, jugement Erika, p.
232.
236 V. T.G.I. Paris, 10 janvier 2008, jugement Erika, p.
294.
Le Tribunal de grande instance indique « qu'en
renouvelant le 24 novembre 1999 le certificat de classification dans la
précipitation et sous la pression de contraintes commerciales [...], et
sans prescrire les mesures d'épaisseur à effectuer
aussitôt, alors que les zones suspectes de corrosion substantielle qu'il
avait observées après la visite spéciale quinquennale
étaient, pour un professionnel, le signe manifeste de l'état
préoccupant des structures d'un navire transportant habituellement des
produits polluants, l'inspecteur de la société RINA a commis une
faute d'imprudence »237.
La société RINA invoquait l'existence d'une
fissure invisible238, assimilable à un vice caché du
navire échappant à tout bon professionnel. Le Tribunal met au
contraire en avant l'existence d'une corrosion élevée et
généralisée et qui n'aurait pu échapper à la
vigilance de la société de l'inspecteur de la
société. Les juges ont réaffirmé que cette
corrosion généralisée qui se situait
précisément là où s'étaient produits les
dommages a été, sinon la cause immédiate ou la cause
déterminante, sinon la cause nécessaire ou la cause suffisante,
du moins l'une des causes qui a conduit le navire à sa ruine.
La responsabilité de la personne morale est retenue car
imputable à un inspecteur qui avait le pouvoir de décider seul du
renouvellement de la classe, qui l'a visé seul, et qui, à ce
titre, était l'un des représentants, au sens de l'article 121-2
du Code pénal239, de la société RINA. La faute
d'imprudence de l'inspecteur est de nature à engager la
responsabilité pénale de cette personne morale à raison de
son activité de classification.
La 11ème chambre correctionnelle du Tribunal de grande
instance de Paris, dans son jugement du 16 janvier 2008 déclare
pénalement responsable du délit de pollution des eaux ou voies
navigables par un navire citerne, l'armateur, le commandant du navire, la
société de classification RINA et la société TOTAL
FINA ELF. Le Tribunal les condamne solidairement à indemniser les
parties civiles des préjudices subis240. Les victimes de la
pollution résultant du naufrage se sont réjouies de cette
décision, « car la responsabilité pénale de la
Société RINA et des personnes
237 V. T.G.I. Paris, 10 janvier 2008, jugement Erika, p.
275. Il s'agit d'un extrait choisi car les développements à ce
sujet sont très longs.
238 V. T.G.I. Paris, 10 janvier 2008, jugement Erika, p.
250.
239 Le premier alinéa de l'article 121-2 du Code
pénal dispose que « les personnes morales, à l'exclusion de
l'Etat, sont responsables pénalement et dans les cas prévus par
le loi ou le règlement, des infractions commises, pour leur
compte, par leurs organes ou représentants ».
240 V. T.G.I. Paris, 10 janvier 2008, jugement Erika, p.
300.
morales protagonistes du naufrage, ne pouvait de leur point de
vue, être écartée, au profit de la responsabilité de
simples lampistes »241.
Les condamnés ont interjeté appel de cette
décision et il faudra attendre la décision d'une juridiction
supérieure pour confirmer la possibilité d'engager la
responsabilité pénale des sociétés de
classification pour infractions aux règles pénales de
l'environnement maritime. La confirmation de ce jugement serait d'un grand
retentissement pour les sociétés de classification. Le lien de
causalité entre une pollution et un accident de mer est beaucoup plus
simple à déterminer. Le délit de pollution des eaux ou
voies navigables par un navire citerne serait alors une nouvelle source de la
responsabilité pénale des sociétés de
classification.
Conclusion
La délégation du contrôle des navires aux
sociétés de classification peut, le plus souvent, s'expliquer par
un manque de moyen des administrations des États du pavillon et/ou un
manque de compétences des inspecteurs de l'État. Mais parfois
cette délégation acte une véritable volonté de
l'État du pavillon de ne pas assumer ses obligations. Quelles que soient
ses justifications, la délégation semble marquer un
désengagement de l'État dans le contrôle de ses
navires242. Cet abandon de compétence est plus ou moins
marqué selon les États. En France par exemple, la
délégation aux sociétés de classification ne porte,
sauf cas particulier, que sur la délivrance du certificat de franc-bord.
Il ne serait donc pas approprié de parler d'un désengagement de
l'État. C'est la technicité des contrôles préalables
à la délivrance du certificat de franc-bord qui justifie cette
délégation. En revanche, dans d'autres États, lorsque
l'objet de la délégation est plus étendu et recouvre la
totalité des missions de contrôle et de certification, le
désengagement de l'État est acté. Cette situation est
parfois malheureusement relayée par une absence de contrôle sur
les organismes délégataires et le travail qu'ils effectuent.
Devant la survenance de nombreux naufrages de navires
contrôlés par les sociétés de classification et la
multiplication des critiques, divers acteurs institutionnels ont pris des
mesures pour encadrer ce contrôle et poursuivent actuellement ces
efforts. L'O.M.I. élabore des accords-type pour les relations entre
l'État déléguant et la société
délégataire. Les sociétés de classification ont
réagi elles aussi en créant l'I.A.C.S. en 1968243.
Mais c'est l'Union européenne qui a pris les principales mesures pour
encadrer cette délégation avec notamment la procédure de
l'agrément.
L'adoption du Paquet Erika III le 11 mars 2009244
reflète ce mouvement vers un plus grand encadrement du travail
statutaire des sociétés de classification.. Les
développements relatifs aux organismes agréés renforcent
les systèmes de contrôle des sociétés de
classification ainsi que les pouvoirs d'inspection et de sanction de la
Commission. La directive actuelle 94/57/CE sera divisée en une nouvelle
directive et un Règlement. Cette directive reprend les normes
régissant les rapports entre les Etats membres et les organismes
agréés. De son côté, le Règlement reprendra
le régime de l'agrément communautaire y compris l'octroi et le
retrait, les critères d'agrément, les obligations des organismes
agréés et le régime de sanction. Cette réforme
obéit à une logique de partenariat et
242 V. note n° 140.
243 V. P. BOISSON, Politiques et droit de la
sécurité maritime, op. cit., p. 133. L'auteur explique les
raisons de la création de l'I.A.C.S. et indique que son rôle est
de promouvoir les normes les plus élevées possibles dans le
domaine de la sécurité maritime et de la prévention de la
pollution du milieu marin, de coopérer avec les organisations
internationales maritimes compétentes, et de maintenir une
coopération étroite avec les industries maritimes sur le plan
mondial.
244 V. note n° 69.
d'auto-régulation.
Le système de sanction actuel est réformé
et lorsqu'une société agrée ne s'acquittera pas
correctement de ses fonctions, il sera désormais possible de lui imposer
une sanction financière, tout en gardant la possibilité du
retrait de l'agrément dans les cas les plus graves. Le principe de
reconnaissance mutuelle des certificats de classification est adopté
Les principales questions qui subsistent concernent la
responsabilité du fait de l'exercice de ces compétences
statutaires. Le risque contentieux des sociétés de classification
est très important et la tendance est à son accroissement du fait
de la diversification de leurs missions. Mais la responsabilité
administrative ou civile n'est engagée ni en France ni dans les autres
pays membres de l'Union européenne.
Par ailleurs, l'intervention de nouveaux acteurs dans le
contrôle des navires pourrait poser à l'avenir le problème
d'une dilution ou d'un partage de la responsabilité. A côté
des contrôles effectués par le RINA, le navire Erika
avait été inspecté par le propriétaire de la
cargaison, la société Total Fina Elf qui avait effectué un
« vetting » du navire. Ce contrôle est défini par
l'Association française des capitaines de navire comme « une
inspection externe d'un navire par un «major» pétrolier ayant
pour but d'examiner soigneusement et scrupuleusement ses défauts, ceux
de ses managements technique et commercial et ceux de son équipage afin
de déterminer les risques que peut présenter ce navire pour la
compagnie pétrolière »245. Ces inspections
vetting ne comprennent pas d'examen de la structure du navire qui reste du
domaine des administrations des Etats du pavillon et des sociétés
de classification au titre de leur mission privée et statutaires. Le
jugement rendu par le Tribunal de grande instance de Paris le 16 janvier 2008
dans l'affaire Erika retient la culpabilité de Total Fina Elf
dans le délit de pollution du fait de l'existence de ce
vetting246 ainsi que la responsabilité de la
société de classification RINA pour le même délit de
pollution.
C'est à la jurisprudence qu'il revient de fixer les
conditions d'engagement de la responsabilité des sociétés
de classification du fait de l'exercice de leurs compétences
statutaires.
245 Définition donnée sur le site de l'association
:
http://www.afcan.org/dossier_securite/vetting.html
246 Cette activité de vérification et d'approbation
des navires que les compagnies pétrolières avaient mise en place
de leur propre chef et sans obligation devient une activité qui engage
la responsabilité de la compagnie en cas d'incident. V. T.G.I. Paris, 16
janvier 2008, Jugement Erika ; M. NDENDE, Responsabilités
pour pollutions marines par hydrocarbures, note sous T.G.I. Paris,
11ème ch. corr. 16 janvier 2008, R.D. T., mars 2008, com. p.
32.
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· Site Fairplay international shipping weekly
<<http://www.faiplay.co.uk/>>
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<<http://www.gl-group.de/>>
· Site du Lloyd's List
<<http://www.lloydslist.com/>>
· Site tradewinds <<http ://www. tradewinds.
no/>>
· Site des gardes côtes des Etats-Unis
d'Amérique <<http://www.uscg.mil/>>
TABLE DES MATIERES
SOMMAIRE 4
ABREVIATIONS ET SIGLES 5
INTRODUCTION 7
Section 1. L'apparition de règles préventives face
à l'insécurité maritime 7
Section 2. Le principe contemporain du contrôle des navires
par l'Etat du pavillon 10
Section 3. Le développement de la délégation
du contrôle des navires aux sociétés de classification
11
PREMIERE PARTIE : DES COMPETENCES DELEGUEES DE L'ETAT DU
PAVILLON AUX SOCIETES DE
CLASSIFICATION 16
CHAPITRE 1. L'objet de la délégation : le
contrôle de la conformité aux exigences conventionnelles 1 6
Section 1. La certification de la conformité aux
Conventions sur la sécurité
maritime 17
§ 1. Les visites prévues par les instruments
internationaux 17
§ 2. La délivrance des certificats de
conformité 22
§ 3. Le contrôle de la conformité aux Codes
I.S.M. et I.S.P.S., reflet de l'extension des missions confiées aux
sociétés de classification 23
Section 2. La conformité aux Conventions Internationales
sur la pollution en mer : la Convention MARPOL 27
§ 1. Les diverses visites prévues par la Convention
28
§ 2. La délivrance des certificats de
conformité 29
CHAPITRE 2. La particularité du régime juridique de
la délégation aux sociétés de classification 32
Section 1. La nécessaire reconnaissance préalable
des sociétés 33
§ 1. Les apports du droit international sur le
régime juridique de la délégation 34
§ 2. La procédure d'agrément européen
: écho d'une régionalisation de la sécurité
maritime 36
Section 2. Une délégation originale de
contrôle des navires aux sociétés de classification 44
§ 1. Identification des éléments constitutifs
d'une délégation de service public 45
§ 2. Une délégation au régime
juridique original 49
DEUXIEME PARTIE : LA RESPONSABILITE DU FAIT DES
COMPETENCES STATUTAIRES ; LA NECESSITE D'UNE ADEQUATION AVEC LEUR
RÔLE PREPONDERANT DANS LA GARANTIE DE LA SECURITE MARITIME
54
CHAPITRE 1. La responsabilité administrative
54
Section 1. La responsabilité administrative prévue
par le droit français 55
§ 1. La compétence juridictionnelle des tribunaux
administratifs : une spécificité française 55
§ 2. L'application d'une responsabilité de droit
public aux sociétés de classification 57
Section 2. Existence d'obstacles à l'engagement de la
responsabilité des sociétés de
classification 64
§ 1. Une impunité légale dans l'application
du droit du pavillon 64
§ 2. La question de l'immunité de juridiction par
l'application du droit du for 66
CHAPITRE 2. La responsabilité pénale 74
Section 1. Les infractions d'imprudence comme source de la
responsabilité pénale des sociétés de
classification ? 74
§ 1. Atteintes involontaires à la vie et à
l'intégrité physique d'autrui 75
§2. Une infraction de prévention applicable aux
sociétés de classification ? : le délit de risque
causé à autrui 78
Section 2. La répression des infractions aux
règles pénales de l'environnement maritime comme nouveau foyer de
responsabilité pénale 80
CONCLUSION
84
BIBLIOGRAPHIE 86
TABLE DES MATIERES 92
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