Le pourvoi en cassation devant la cour commune de justice et d'arbitrage de l'OHADA( Télécharger le fichier original )par Koudzo Igneza NAYO Ecole Nationale d'Administration (ENA-TOGO) - Diplome, cycle III de l'ENA, Magistrature 2009 |
Paragraphe 2 : Les difficultés liées à l'interprétation des Actes UniformesPar rapport à l'interprétation des Actes Uniformes, le Traité donne compétence exclusive à la CCJA pour y procéder, leur application étant réservée aussi bien aux juridictions de fond nationales qu'à la CCJA. Les difficultés naissent à partir du moment où certaines juridictions suprêmes nationales retiennent leur compétence relativement tant à l'application qu'à l'interprétation des Actes Uniformes, d'où les conflits de compétences entre ces dernières et la Haute Juridiction Communautaire (A). Ces conflits de compétence ne sont pas impossibles entre la CCJA et les autres juridictions communautaires (B). A- Les conflits de compétence entre la CCJA et les juridictions suprêmes nationales D'entrée, mentionnons que le conflit envisagé ici porte sur le droit substantiel soumis au contrôle de la CCJA. Le cas du droit harmonisé combiné avec des matières non harmonisées53(*) des Etats parties, retiendra précisément notre attention. Dès lors, la question se pose de savoir quelle sera la clé de répartition entre la juridiction commune et les juridictions suprêmes nationales si le contentieux porte à la fois sur les Actes Uniformes et le droit interne d'un Etat partie. Face à cette situation, certaines juridictions nationales de contrôle de légalité, lorsqu'elles sont saisies, pourront décider de connaître de la partie du litige ayant trait au droit national et renvoyer l'autre partie, relative aux Actes Uniformes, à la connaissance de la CCJA. Peut-être encore, la clé de répartition proviendra de certains plaideurs qui formeront deux pourvois, l'un devant la CCJA et l'autre devant la Cour Suprême nationale. D'autres encore pourront décider de former un seul pourvoi, mais avec deux moyens différents soumis à chacune des deux juridictions en cause, à telle enseigne que la juridiction suprême nationale sera contrainte de renvoyer le litige devant la CCJA après avoir réglé les questions relatives à son droit interne. Plus surprenante encore, est l'hypothèse où la juridiction suprême nationale décidera de connaître de tout le contentieux comme cela a été d'ailleurs le cas dans l'arrêt « Snar Leyma54(*) » rendu par la Cour Suprême du Niger le 16 août 2001. Dans cette espèce, la Société Nigérienne d'Assurance et de Réassurance Leyma (SNAR Leyma), lors d'une assemblée générale de ses actionnaires, avait décidé de l'ouverture de son capital à de nouveaux actionnaires par une opération de recapitalisation. C'est ainsi que le Groupe Hima Souley décida d'entrer dans le capital de la compagnie d'assurance, souscrivant alors à une partie des 70000 nouvelles actions émises. Les opérations de souscription, lesquelles étaient coordonnées par un notaire désigné par la SNAR Leyma, ont, par la suite, engendré un litige. Le Groupe Hima Souley reprochait à la compagnie d'assurance de n'avoir pas libéré toutes les actions comme elle le prétendait et voulait, pour cela, qu'une nouvelle assemblée générale des actionnaires soit convoquée pour examiner le problème, ce qu'avait refusé de faire la SNAR Leyma. Saisissant le Président du Tribunal de Niamey desdits faits par une requête datée du 20 avril 2001, le Groupe Hima Souley a pu obtenir, de la part de ce dernier, une ordonnance nommant un administrateur judiciaire chargé de convoquer une assemblée générale des actionnaires de la SNAR Leyma en vue de constater la libération des actions souscrites par le Groupe Hima Souley de même que sa qualité d'actionnaire. C'est contre cette ordonnance que la SNAR Leyma a interjeté appel devant la Cour d'Appel de Niamey qui a confirmé l'ordonnance attaquée par un arrêt du 23 mai 2001. La SNAR Leyma se pourvoit en cassation devant la Cour Suprême du Niger contre l'arrêt confirmatif de la Cour d'Appel. Devant les juges du droit, le défendeur au pourvoi, le Groupe Hima, invoqua l'exception d'incompétence selon laquelle la Cour Suprême du Niger ne peut connaître de l'affaire car ayant trait aux Actes Uniformes, en l'occurrence, l'Acte Uniforme relatif au droit des sociétés commerciales et au groupement d'intérêt économique du 17 avril 1997, et que seule la CCJA avait compétence exclusive en la matière conformément à l'article 14 du Traité de l'OHADA. La demanderesse au pourvoi, quant à elle, excipait principalement, à l'appui de sa requête, de la mauvaise application de l'article 809 du Code de Procédure Civile disposant que « les ordonnances sur référé ne feront aucun préjudice au principal ». Au regard des faits sus relatés, il apparaît clairement que le litige portait tant sur l'Acte Uniforme que sur le droit interne nigérien. La solution de la Cour Suprême du Niger est surprenante à plus d'un titre. Elle décida de connaître de tout le contentieux car, pour elle, pour que la CCJA soit compétente, il faut que « l'application des Actes Uniformes ait été prépondérante pour la prise de la décision attaquée et que le pourvoi soit surtout basé sur ces actes ». On en déduit alors que le pourvoi en l'espèce étant essentiellement basé sur la violation d'une règle processuelle, un renvoi à la CCJA pour les Actes Uniformes ne s'imposait donc pas. En tout état de cause, il y a lieu de dire que la solution proposée par la Cour Suprême du Niger, laquelle témoigne d'une résistance55(*) des juges nationaux à l'application et à l'interprétation du droit uniforme par la CCJA, est en porte à faux avec l'article 14 du Traité de l'OHADA, et compromet donc gravement la mission d'uniformisation de la jurisprudence en matière de droit OHADA assignée à la CCJA. Un autre droit substantiel dont le contrôle par la CCJA pourrait engendrer des relations conflictuelles entre les juridictions suprêmes nationales et elle, est le droit pénal. En effet, l'article 14 alinéa 3 du Traité exclut du champ de compétence matérielle de la CCJA « les décisions appliquant des sanctions pénales ». A cet égard, étant entendu que certains Actes Uniformes définissent les infractions pénales sans déterminer les sanctions qui accompagnent lesdites infractions, le soin ayant été laissé aux Etats parties de prévoir les peines correspondantes, il ne serait pas étonnant de voir la CCJA se prononcer sur des décisions pénales mettant en cause des dispositions d'incrimination pénale mais pas celles infligeant des sanctions. Cette situation, nous le voyons, ne contentera pas les cours suprêmes nationales, lesquelles se sont vues déjà dépouillées par l'OHADA des « pans les plus stimulants et modernes de l'activité judiciaire »56(*). Si des conflits de compétences existent entre les Cours Suprêmes nationales et la CCJA, lesdits conflits ne sont pas moins envisageables entre cette dernière et les autres juridictions communautaires. B- Les conflits de compétences entre la CCJA et les autres juridictions communautaires
Actuellement, la compétence territoriale de la CCJA s'étend sur seize Etats. Ceux-ci sont, au même moment, soit membres de l'UEMOA et de la CEDEAO (huit), soit membres de la CEMAC (cinq), d'autres organisations à vocation communautaire comme l'OHADA, lesquelles se sont aussi dotées de juridictions supranationales, notamment la Cour de Justice de l'UEMOA, la Haute Cour de Justice de la CEDEAO et la Cour de Justice de la CEMAC. Aussi, toutes ces quatre juridictions ont-elles en commun, en tant que juridictions communautaires, la mission de régler les litiges résultant des normes produites par leurs organes, ce qui nous amène à faire observer que les conflits entre juridictions communautaires sont essentiellement des conflits de normes57(*). A priori, on pourrait penser que ces conflits de normes sont impossibles dans la mesure où aucune de ces juridictions n'a de vocation et de compétence à dire le droit qui n'est pas spécifique à l'ordre juridique auquel elle appartient. En d'autres termes et à titre d'exemple, il serait impossible qu'un conflit qui est né par rapport au droit UEMOA puisse être porté devant la CCJA. Ces conflits sont néanmoins envisageables dans la mesure où un examen approfondi des objectifs assignés par les Traités de l'OHADA, de l'UEMOA, de la CEDEAO et de la CEMAC à leurs structures de mise en oeuvre dont les quatre juridictions communautaires susmentionnées, permet de se rendre très vite compte qu'il y a identité d'objectifs et de domaines d'intervention entre ces différentes organisations communautaires de sorte qu'il n'est pas exclu que les normes par elles produites soient relatives aux mêmes matières. C'est le cas par exemple du droit de la concurrence, du droit des transports, du droit bancaire, du droit des sociétés coopératives et mutualistes entre autres. On pourrait donc penser, tout au moins, dans le cadre d'un recours préjudiciel devant la Cour de l'UEMOA, que la question spécifique de l'incompatibilité soit expressément posée par la juridiction ayant sollicité le recours. Pour la Cour Commune de l'OHADA, il n'est pas non plus exclu qu'un avis consultatif soit sollicité sur une question spécifique d'incompatibilité. On voit mal dans ces hypothèses, comment ces juridictions pourraient refuser de traiter le conflit dont elles ont été saisies. Une des solutions possibles pour le juge communautaire, serait alors de traiter la question selon les normes applicables au droit des traités. Le pourvoi en cassation devant la CCJA, hormis les difficultés qu'elle génère, lesquelles sont d'ordre substantiel, est source aussi de nombreuses inquiétudes liées pour la plupart aux interrogations sur la procédure suivie devant la CCJA. Section II : Les inquiétudes suscitées par le pourvoi en cassation devant la CCJA
En analysant les inquiétudes générées par le recours en cassation devant la CCJA, on se rend très vite compte qu'elles sont relatives, d'une part, à sa saisine (Paragraphe 1), et d'autre part, à la langue de procédure et aux arrêts qu'elle rend (Paragraphe 2). * 53 Droit civil, droit commercial ou encore droit processuel, par exemple. * 54 Cour Suprême du Niger, Chambre Judiciaire, arrêt n°1-158/C du 16 août 2001, Snar Leyma c/ Hima Souley, www.ohada.com, ohadata J-02-36. Voir également le brillant article de A. Kante sur cet arrêt intitulé « La détermination de la juridiction compétente pour statuer sur un pourvoi formé contre une décision rendue en dernier ressort en application des Actes Uniformes (Observations sur l'arrêt de la Cour Suprême du Niger du 16 août 2001),www.ohada.com, Ohadata D-02-29. * 55 Sur la résistance des cours suprêmes, J. Lohoues-Oble in Traité et Actes Uniformes commentés et annotés, Juriscope, 2ème édition., 2002, p. 41-42. ; René Tagne, La Cour Suprême du Cameroun en conflit avec la Cour Commune de Justice et d'Arbitrage (CCJA), Juridis, n° 62, p. 104 ; www. ohada.com, Ohadata D-08-30. * 56 Laurent BENKEMOUN, Les rapports entre les juridictions de cassation nationales et la CCJA de l'OHADA : aspects conceptuels et évaluation, Rec. Penant juillet-septembre 2007, n° 860, p. 299. * 57 Par rapport à cette expression, Pierre Meyer a fait dans son article intitulé, « Les conflits de juridictions dans les espaces OHADA, UEMOA, CEDEAO », in Sensibilisation au droit communautaire de l'UEMOA, Actes du Séminaire Sous-régional à Ouagadougou, Burkina Faso du 6-10 octobre 2003, coll.DTE, éditions Giraf, p.186, l'observation ci-après : « l'expression (...) ne présente pas d'analogie avec la technique dite des conflits des lois, habituellement utilisée en droit international privé. En effet, l'expression conflit de lois désigne, en droit international privé, une concurrence entre des normes, résolue par le choix d'une des normes en conflit par le juge saisi d'un litige suscitant, précisément en raison de la dispersion de ses éléments constitutifs, une concurrence entre des règles. Ce choix entre les lois en concurrence est effectué au moyen d'une règle dite de conflit de lois. Le juge étatique résout donc un conflit de lois. Le juge communautaire, lui, n'a pas à résoudre de conflit de lois. Il doit vérifier si la situation entre dans le champ d'application du droit communautaire. Si sa réponse est positive, il déclare qu'il faut lui appliquer les dispositions pertinentes du droit communautaire. Si tel n'est pas le cas, il n'a pas à déterminer quel autre droit que le droit communautaire est applicable à la situation (...) ». |
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