Chapitre II. Cadre théorique de
référence
II.1. L'adoption d'une théorie
Avant d'adopter l'approche théorique qui nous
intéresse, il importe d'examiner les fondements théoriques
couramment utilisées dans le domaine d'intégration
régionale afin de voir dans quelle mesure elles sont pertinentes pour
notre cadre d'analyse.
II.1.1. L'inventaire des théories
La construction du cadre théorique de
référence puise ses fondements essentiellement dans l'article
intitulé «Des fondements théoriques et
stratégiques de la construction communautaire » de
Naceur Bourenane, dans l'ouvrage « Intégration et
coopération régionales en Afrique de l'Ouest » sous la
direction de Réal Lavergne. Il discute de la théorie classique de
(volontariste et de l'instrumentaliste), d'une approche différente
axée sur le concept de la construction communautaire
privilégiant les actions de type stratégique telle que
proposée par N. Bourenane(1996).
II.1.1.1. La théorie classique volontariste
Naceur Bourenane (1996) situe les fondements théoriques
des modèles classiques de l'intégration régionale dans
trois écoles ayant dominé la pensée économique des
années 1960 : l'école néoclassique, l'école
marxiste et l'école développementaliste. Selon lui, les premiers
discours scientifiques sur l'intégration régionale se situaient
dans le prolongement de la théorie des avantages comparatifs et du
commerce international. Les recommandations des économistes
libéraux étaient en faveur de la libre circulation des facteurs
de production, ainsi que de la levée des barrières tarifaires et
non tarifaires.
La théorie classique de l'intégration se
développe à partir de la réflexion pionnière de
J.Viner (1950) qui s'intéresse aux effets de l'union douanière
sur l'échange international ; celui-ci montre que la formation d'une
union douanière, qui se traduit par l'institution d'un tarif
extérieur commun, engendre deux effets possibles, l'un de
détournement des échanges, au détriment des pays
non-membres, et l'autre de création des échanges au profit des
pays membres de l'union (B. Békolo-Ebé, 2001). C'est en fonction
de ces deux effets que l'on peut juger de l'incidence et des
conséquences économiques de l'union douanière. Les
développements ultérieurs, que l'on doit notamment à R.G.
Lipsey (1957) et J.E. Meade (1956), analysent l'incidence sur l'utilisation des
ressources du côté des consommateurs et les effets de
bien-être, et s'intéressent, avec C.A. Cooper et B.F. Massell
(1965) aux avantages que 1'union peut présenter en termes de
marché pour chaque économie membre. Ces travaux influencent
fortement le processus dans les PED (H. Myint ,1967 ; G. Meier,
1968 ; R.F. Mikessell (1970) et P. Robson, 1971).
En réduisant les barrières commerciales entre
des pays voisins, la mise en place d'unions douanières et de zones de
libre-échange pouvait être envisagée comme un
mécanisme de rationalisation de l'activité économique de
chaque pays, s'inscrivant ainsi dans le sens d'un renforcement progressif du
commerce international. D'inspiration marxiste-léniniste, une lecture
différente s'y oppose (Inotai, 1982 ; Benallègue, 1987). Selon
cette approche, l'intégration est le résultat d'une
évolution naturelle de l'économie capitaliste dominée par
la loi de l'internationalisation du capital.
Selon ces auteurs (op.cit), ce type
d'intégration serait générateur d'exclusion et de
paupérisation des petites entreprises et de nombreuses catégories
sociales, du fait même du mode de fonctionnement du marché. Ainsi,
dans les PED intéressés à poursuivre activement le
développement sous l'impulsion de l'État, l'intégration ne
devrait pas se faire selon le libre jeu des forces du marché.
L'intégration dans les PED devrait concerner en premier lieu la
production et obéir à une démarche d'utilisation
rationnelle des ressources disponibles, selon une approche planifiée et
centralisée de gestion des besoins et des moyens susceptibles de les
satisfaire, souligne N. Bourenane(1996).
Cette lecture comme le mentionne d'ailleurs N.Bourenane
(op.cit) se fonde sur un certain nombre de postulats qui n'ont pu
être vérifiés empiriquement, notamment l'efficacité
de la planification en comparaison avec le marché. L'analyse
préconisée par deux auteurs français (Marchal, 1965 ;
Perroux, 1966) marque un tournant dans les travaux sur l'intégration.
Ces auteurs proposent les éléments d'une lecture fondée
sur une prise en compte de la dimension historique des phénomènes
économiques et sociaux. Selon Marchal (1965), il y a lieu de distinguer
l'intégration comme résultat du développement, de
l'intégration conçue comme moyen et comme condition du
développement. L'intégration économique peut être
appréhendée comme le produit historique de la transformation des
structures techniques, économiques et sociales.
Elle peut aussi être définie comme une
démarche collective consciente, construite, de sociétés
humaines cherchant l'amélioration de leur bien-être à
savoir : un choix de politique économique (op.cit). Marchal(1965) montre
qu'en tant que produit de l'histoire des sociétés,
l'intégration est d'abord le résultat d'une transformation
sociale. Autrement dit, elle ne peut pas intervenir n'importe où, ni
dans n'importe quelle condition. Perroux (1966) poursuit la même
démarche, qu'il articule autour de trois questions : Qui intègre?
Comment? Et au profit de qui?
Sur le plan opérationnel, ces deux auteurs ne
s'éloignent cependant pas tellement des approches volontaristes de leurs
prédécesseurs ou de certaines approches théoriques du
développement des années 1960 (N. Bourenane, 1996). Pour Marchal
(1965), la mise en oeuvre de l'intégration doit se fonder sur
l'industrialisation comme vecteur intégrateur, et sur des forces
sociales capables de la supporter et de l'animer. Dans la même ligne de
pensée, Perroux (1966) emprunte aux théories du
développement et de l'industrialisation trois catégories
conceptuelles : les pôles de développement, les unités
motrices et l'industrialisation. Il présente l'industrialisation comme
mécanisme de développement, dans un contexte de protection
douanière, au profit de l'ensemble des pays concernés. Sur cette
base, Perroux (op.cit) fait la distinction entre trois
modalités d'intégration : l'industrialisation par le
marché, par les investissements ou par les institutions.
Cette lecture développementaliste et industrialiste de
l'intégration finit par conférer un caractère secondaire
à la dimension sociale dé l'intégration, niant ainsi la
démarche initialement préconisée, en la remplaçant
par une autre, à la fois techniciste et spatialisée (N.
Bourenane, 1996). Perroux (1966) a donc ouvert les perspectives d'une analyse
socio-économique et politique de l'intégration, pour s'en
éloigner ensuite, sous l'effet prégnant des théories du
développement.
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