PARAGRAPHE I : LES RADIOS RURALES DE SA'A ET DE
MBALMAYO
« Conçus pour encourager la participation d'un
large échantillon représentatif de niveau
socio-économique, d'organisation et de groupes minoritaires ou
sous-cultures au sein d'une même communauté », le projet des
médias ruraux et communautaires est le fruit de l'effort conjugué
de l'UNESCO et des partenaires au développement, ainsi que des pouvoirs
publics et de la société civile camerounaise. Facteurs de
changement social à même de stimuler le développement
endogène, les mass médias, comme cela est reconnu en milieu
urbain, permettent le renforcement des capacités de communication et
d'analyse des individus en zone rurale, en même temps qu'elles renforcent
leur participation à la gouvernance démocratique. (BEPI POUT et
BEND, 2005 : 238) Il convient de commencer par la toute première radio
financée sous l'égide de l'UNESCO, avant de poursuivre par l'une
des toutes dernières, qui est également l'un des produits de la
radio mère de Mbalmayo.
A. LA RADIO DES FEMMES DE MBALMAYO
Produit de la coopération UNESCO-Cameroun avec la
participation des partenaires financiers, l'apparition de la radio des femmes
de Mbalmayo60 dans le paysage médiatique camerounais est
également considérée comme une initiative de la
société civile, du fait de l'implication de la Ligue pour
l'Éducation de la Femme et de l'Enfant (LEFE). Il faut dire que cette
radio qui émet depuis septembre 2000 a pour lourde tâche de
constituer la matrice au sein de laquelle devra naître les médias
de même type en Afrique centrale. Si la réussite du projet ne
souffre d'aucune contestation aux yeux de la coordinatrice Sophie BEYALA, force
reste tout de même que la réalité sur le terrain ne
relève pas toujours de l'évidence.
1. UN PARI RÉUSSI AUX YEUX DES
PROMOTEURS
60 Localité située à 50Km au sud
de Yaoundé
Nous sommes le 05 août 2000, Olivia Marsaud, à la
veille du fonctionnement effectif de la première radio communautaire
financée sous l'égide de l'UNESCO, écrivait dans le
journal Afrik-Com : « avec un accent mis sur la santé de la femme
et de la jeune fille (...), une programmation à caractère social
et largement tournée vers l'action citoyenne, (...) La radio sera
dirigée par les femmes de la communauté. Elles ont demandé
à intégrer 15% d'hommes dans leur effectif, et ont baptisé
la radio «Femme-FM Mbalmayo» ». En effet, dès le mois de
septembre 1999, 18 personnes responsables de la gestion de la radio ont
été formées, avant d'être suivies en octobre et
novembre par des animateurs se spécialisant aux techniques d'animation
radiophonique en milieu rural. Pour finir en janvier 2000, dix techniciens
parmi lesquels sept femmes et trois hommes, ont reçu la formation
nécessaire pour entretenir la radio.
L'UNESCO n'étant pas un bailleur de fonds, il faut
noter que ce projet a également vu le jour grâce à la
contribution des partenaires financiers tels que le FNUAP, l'UNICEF et surtout
le PNUD dont la politique pour accroître la contribution des femmes au
développement consiste à aider les gouvernements,
conformément aux priorités nationales et aux
préoccupations mondiales. Une telle politique consiste à
intégrer les femmes et leurs activités de développement et
à promouvoir le rôle qu'elles peuvent jouer à cet
égard.
L'UNESCO également va s'attacher la collaboration de
l'ONG « la ligue pour l'éducation de la femme et de l'enfant
». Aussi prévoyait-elle de cogérer pendant deux
années pendant lesquelles elle devait assurer la formation continue des
membres, afin que ces derniers assurent la relève dans une totale et
parfaite indépendance. « Les petites tracasseries émanant de
certains fonctionnaires du Mincom, et qui ont quelque peu freiné le
projet, n'ont en rien entamé la foi de Mme BEYALA », peut-on lire
dans le journal `'Afrik-com».
Il faut dire que l'UNESCO dans le cadre du PIDC avait
octroyé 40 000 dollars en mai 2000 à la création de cette
radio dirigée par les femmes de la communauté, radio qui en
principe devrait couvrir l'ensemble du département. Bien
qu'émettant entre 15 et 18h à ses débuts, notre radio dont
l'orientation va se pencher pour l'essentiel vers la femme et la santé
de la reproduction, constitue un réel succès aux yeux de sa
promotrice : « les femmes profitent de la radio pour dénoncer les
choses qui leur paraissent injustes et qu'elles voudraient voir changer. Elles
ont compris qu'elles avaient entre les mains un véritable outil de
communication ». Et Sophie BEYALA de poursuivre : « c'est une telle
réussite que nous avons de plus en plus de demandes d'installation de
radio à travers le pays (...) c'est un sujet qui accroche ». Sept
années se sont écoulées et les sentiments de notre
promotrice
(fonctionnaire international en service au bureau
régional de l'UNESCO) sont restés identiques. Bien plus, c'est
avec beaucoup de satisfaction et d'optimisme qu'elle nous présentera le
bilan parcouru jusqu'à ce jour, un bilan sanctionné par 16 radios
dispatchées sur l'ensemble du territoire national (voir tableau en
annexe). Mais peut-on véritablement affirmer que la
réalité sur le terrain soit aussi accrochante ? Seule une
descente sur place nous permettrait d'apporter quelques éléments
de réponse à cette interrogation.
2. LA RADIO DE MBALMAYO VUE PAR LES RIVERAINS
2-1. UNE AVANCEE CERTAINE...
Notre décente sur le terrain nous a permis de
recueillir les avis des différents acteurs sur le fonctionnement de la
radio. La première impression retenue, et qui est d'ailleurs frappante,
est que les responsables et animateurs de la radio, partagent les même
sentiments que les populations, ce qui créé une atmosphère
de solidarité assez solide pour être révélée.
Ainsi, une impression générale que nous prenons le soin de
regrouper en quelques articulations va se dégager:
- Une grande avancée pour les droits de l'homme,
beaucoup de procès ayant eu lieu grâce à l'accès aux
femmes à l'information. Une grande avancée également de la
démocratie, avec les informations et la vulgarisation sur le calendrier
et le processus électoral. Aujourd'hui, le mari ne détient plus
le monopole de la prise des décisions relatives au vote, du moins pas
comme dans le passé.
- Radio apolitique, l'éducation à la citoyenne
requiert une place considérable avec la sensibilisation sur le vote, la
possession des cartes d'identité, ainsi que la nécessité
de déclarer les naissances des enfants.
- Beaucoup de programmes qui relevaient du « domaine
réservé » du gouvernement sont développés ici,
à l'instar du projet PPTE sur l'agriculture, où il existe des
prix pour les jeunes planteurs, ainsi que sur « la plus belle plantation
».
- Non moins important constituent les décentes sur le
terrain en vue de sensibiliser les populations sur la vaccination sur les
épidémies telles que la poliomyélite et le sida. Et
même si l'on décèle encore des cas de réticences, le
changement des comportements étant un phénomène
progressif, il faut noter ici que l'information se véhicule par tranche
d'âge.
- Enfin dans le domaine de l'éducation, il existe une
collaboration « fructueuse » avec le MINEBASE et le MINESEC, surtout
dans le cadre de l'aspect genre. De même une émission est
réservée aux élèves les mercredi, samedi et
dimanche.
Dans l'ensemble, ainsi que nous rappelle cet animateur
originaire du Nord-Cameroun, la radio rurale tire un bilan positif dans la
mesure où elle reste l'unique radio de cette ville « cosmopolite
». Aussi, un effort est-il effectué en vue de refléter
l'ensemble des couches ethniques, ce qui n'est pas rien dans un média
où 70% des informations sont diffusées en langues locales. Les
fulbé, bamiléké, bassa et autres s'y impliquent en vue
d'une meilleure adhésion, ainsi que l'indique le cahier de charge sur la
diffusion de l'information.
Ainsi serait-on tenté d'affirmer que la radio
communautaire de Mbalmayo est une réelle réussite. A condition de
faire abstraction de l'approche anthropologique qui fait du chercheur non un
expert, mais celui qui apprend. L'expert dans ce contexte étant la
population dont on tire les connaissances. Et de même que « les
anthropologues ne peuvent que transmettre ce qu'ils ont appris de leurs
maîtres, à savoir de ceux dont ils étudient la culture et
les institutions. » (Baxter, cité par Massimo Tommasoli, 2001
:143), de même notre présence sur le terrain nous a permis de
déceler quelques « points noirs » dont le
développement, si l'on n'y prête guère attention, pourrait
considérablement entacher et porter atteinte à l'éclat
d'un projet aussi noble que celui de la vulgarisation sur l'étendu du
territoire national, des radios communautaires.
2-2. ...EN DEPIT DE QUELQUES DIFFICULTÉS
FONCTIONNELLES
En dépit de sa « vraie réussite »,
témoin de sa bonne santé apparente, la radio de Mbalmayo
connaîtrait tout de même quelques difficultés relatives
aussi bien à son fonctionnement qu'à son statut juridique.
Le gouvernement camerounais qui signe les conventions de
coopération avec les Organisations Internationales, est tenu de
créer un cadre juridique favorable au bon fonctionnement des projets et
programmes réalisés à l'intérieur de ses
frontières. Il en va également pour les radios communautaires
dont le statut juridique est indispensable pour un fonctionnement légal,
sinon légitime. Or, à en croire le chef de station Irène
MBAZOA, l'Accord Cadre, convention de base de coopération
relative aux radios communautaires est inexistant, aussi bien au MINCOM qu'au
sein du bureau régional de l'UNESCO. Aussi pour cette dame, il est plus
qu'indispensable que le « Gouvernement camerounais définisse
d'abord le véritable statut des radios communautaires », qui
à ses yeux ne sauraient être catégorisées dans le
cadre des médias privés. Aussi va-t-elle ajouter : «
Jusqu'aujourd'hui, nous n'avons
pas de licence, parce que c'est lourd financièrement,
et nous fonctionnons avec des attestations ».
Au niveau du fonctionnement, le besoin d'antennes de relais
semble être l'un des plus prégnants, chaque unité
administrative nécessitant un minimum de deux. En outre, les
responsables décrient l'attitude d'un ministère comme celui de la
Promotion de la Femme et de la Famille qui ne collabore presque pas avec la
radio.
Les conventions de collaboration et de partenariat, de
production et de diffusion, constituent les principales sources de financement,
à l'instar des thématiques à produire et à diffuser
: « faire du social », c'est ainsi que les animateurs
définissent le rôle de la radio qui va jusqu'à lire des
communiqués gratuitement, lorsque la circonstance l'impose.
L'équilibre entre l'offre et la demande est un
indicateur de la bonne santé économique, dans la perspective
libérale. Transposé dans notre cas, un sondage auprès des
populations indique un public insatisfait du temps de diffusion (12h-19h) qu'il
aimerait bien voir prolongé. Malheureusement, les responsables avancent
que les coûts financiers de l'électricité, maintenance du
matériel, salaire du personnel (payée par la radio
elle-même), ne permettent pas un ajout des heures supplémentaires.
« Vu les salaires, nous explique l'animateur Ali Daoudou, on peut conclure
que c'est une oeuvre sociale, du bénévolat !
Au départ, la surface d'émission était
prévue à 75Km2, or nous en sommes encore à 25%
environ, la plus grande surface du département n'étant toujours
pas couvert.
Peut-être pourrait-on croire que ces propos sont
emprunts d'une dose assez importante de subjectivité, mais comprenons
nous bien :
Mbalmayo à été crée comme radio
pilote par l'UNESCO. Encore appelée « radio mère »,
elle est censée être la matrice à partir de laquelle
devraient naître les autres radios, aussi bien au Cameroun qu'en Afrique
centrale. Et comme nous le savons, la naissance d'un enfant bien portant est
fonction de l'état de santé des géniteurs. Or, il
semblerait bien qu'il y ait eu des « mort-nés », faute d'un
empressement sans véritables études de faisabilité. Bien
plus parmi les seize présentées (voir annexe), toutes ne sont pas
en parfaite santé, certaines étant même déjà
dans un état critique. Ce sont les cas de Lolodorph et Ebolowa qui ont
pratiquement fermé, de Esse qui fonctionne « épisodiquement
», pour ne prendre que ces cas. Des craintes similaires sont
également portées sur la radio de la ville de Sa'a.
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