Le symbolisme de l'ombre et de la lumière dans Lorenzaccio de Musset sous l'influence de Shakespeare( Télécharger le fichier original )par Marie Havard Université de Perpignan, UFR Sciences de l'Homme et de l'Humanité - Master 1 Lettres Modernes 2005 |
L'OMBRE DU MASQUEOn retrouve le thème du masque autant chez Shakespeare que chez Musset. Chez Shakespeare, Hamlet et Macbeth décident de voiler leur personnalité pour mieux atteindre leur but, qui est d'assassiner celui qui est au pouvoir. Il ne s'agit pas de porter réellement un masque, mais de déguiser ses pensées par le biais d'une attitude trompeuse. Ainsi, Hamlet joue la folie, le Roi Claudius joue l'innocent et Macbeth et sa femme les amis fidèles. Cette attitude trompeuse reste ce qu'elle est : une illusion, qu'elle fonctionne ou non. Dans Jules César, les masques n'ont pas l'importance qu'ils ont dans les deux autres pièces. Chez Musset, le masque n'est pas toujours une illusion. Tout d'abord il y a de vrais jeux de masques, lors des bals par exemple. Ensuite, le masque au sens d'attitude trompeuse devient parfois la vraie identité du personnage, et c'est la triste histoire de Lorenzo. L'illusion ne fonctionne plus. Le masque est alors un moyen de repousser le regard, de le neutraliser, pour mieux tromper (nous verrons que le cas de Lorenzo est différent). Nous voyons bien que le thème du regard est central à la fois au niveau de l'histoire, puisque les personnages construisent leur identité par rapport au regard des autres, qu'au niveau du texte de théâtre, puisque ce sont les regards des personnages entre eux, leurs relations et les paroles qu'ils échangent qui sont à la base du symbolisme de l'ombre et de la lumière que le lecteur perçoit.
Le masque est un bon exemple d'outil qui permet de voir et de ne pas voir ; il est une ombre qui cache le vrai visage de celui qui le porte, en le renvoyant dans l'ombre. En ce qui concerne Lorenzo, son masque est une ombre car elle est associée à la débauche, à la vie de nuit et à un physique sombre114(*). C'est à cause de ce masque qu'il porte qu'il est devenu un personnage d'ombre et de mystère. Du point de vue sémantique, le masque peut aussi être associé à une ombre en ce qu'il renvoie aux apparences, aux illusions, et qu'une ombre n'est pas concrète et qu'elle trompe. Le masque est associé à la thématique du double : il est le faux cachant le vrai, il est le virtuel cachant le réel, il est l'ombre d'un personnage et non pas sa vraie silhouette. Il est donc possible de rapprocher le masque d'une ombre du point de vue concret, avec le masque comme outil opaque qui entrave la lumière et crée l'ombre sur un visage. Nous avons vu que les personnages étaient des copies des hommes, au point de se poser eux-même la question : « Suis-je un homme ? ». La définition de l'humanité est liée à la question de l'identité ; certains personnages cachent ou modifient leur visage, ou au contraire le montrent. Comment l'identité peut-elle être trouvée sous le masque ?
L'utilité première du masque est de cacher le visage de celui qui le porte. Le visage que l'on ne voit pas prend alors une forme plus inquiétante, et néfaste. On ne porte pas un masque sans raison, et souvent, ces raisons sont malsaines. Macbeth transforme son visage en masque pour ne pas laisser paraître sa culpabilité115(*), et les conspirateurs dans Julius Caesar font de même116(*), imitant les acteurs de Rome. Ainsi, le regard des autres est dévié et les machinations du porteur du masque restent secrètes. L'identité de l'homme masqué n'est pas en jeu chez Shakespeare : jamais elle n'est mystérieuse. Dans ce thème du masque, les habits ont un rôle important, en tant qu'ombre qui cache la vérité de l'être. Comme le manteau ou le masque, ces accessoires cachent au lieu de dévoiler et rendent inquiétant ce qui est mystérieux. Sous le vêtement, masque fluide, le véritable être est caché, les sombres désirs ne peuvent pas être devinés. Lorsque le personnage est caché dans ses nouveaux habits comme il le serait en se réfugiant dans une nuit noire, il se laisse aller à des perversions qu'il ne commettrait pas s'il était vêtu normalement, avec ses habits. Symboliquement, donc, les habits portent les mêmes connotations que la nuit et que l'ombre. Souvent, l'usurpation d'une identité qui n'est pas naturelle au personnage se solde par un mal-être en portant ces vêtements : Lorenzo explique à Philippe : « Quand j'ai commencé à jouer mon rôle de Brutus moderne, je marchais dans mes habits neufs de la grande confrérie du vice, comme un enfant de dix ans dans l'armure d'un géant de la fable » (III.3). Le vêtement que l'on porte pour tromper autrui devient alors un « déguisement hideux »117(*), qui cache la partie la plus pure de l'être. De même, Macbeth porte les habits d'un autre118(*), les habits du Thane de Cawdor et celui du roi Duncan, et il se trouve incapable de les supporter119(*). Les habits volés sont le symbole de l'état usurpé, ils sont une ombre qui cache la vraie personnalité du personnage. Les vêtements sont un masque fluide : ce masque n'est ni difficile à afficher, à modifier, ni à ôter. Le masque remplit bien son rôle lorsqu'il cache une part d'un être, que ce soit ses pensées ou une part d'identité : il cache mais il est aussi le symbole d'une réalité qui existe dans l'ombre et qui peut être découverte. Dans Macbeth120(*), seuls Macbeth et sa femme son masqués. Ces deux personnages masqués ne tentent pas de dévoiler mutuellement leur identité, puisqu'ils sont mari et femme et qu'ils se connaissent. Ce couple en est véritablement un, puisque c'est ensemble qu'il affronte le regard des autres. Macbeth est masqué avec tous, sauf avec sa femme ; Lady Macbeth est masquée avec tous, sauf avec son mari. Macbeth est au centre des regards, puisqu'il est le nouveau roi. Les personnages se regardent peu entre eux, ; ils ne savent pas si Macbeth a assassiné le roi Duncan, bien que certains s'en doutent. Ici encore, comme dans Hamlet, le masque est trompeur : Macbeth et sa femme ne sont pas innocents. Le masque fonctionne jusqu'au moment où le couple royal sombre dans la folie à cause de la torture que leur conscience leur fait subir. Les regards masqués de Macbeth sont des regards méfiants : partout, il craint pour son règne. Ainsi, ce qu'il cache à toute sa cour sous le biais des flatteries (et des meurtres) est une identité de roi usurpée, un règne non légitime: III.2, v.32-35 : « unsafe the while, that we must lave/ our honours in these flattering streams / and make our faces vizards to our hearts, / disguising what they are. » (Temps d'inquiétude, où il nous faut laver nos honneurs au torrent des flatteries, et faire de notre face le masque de notre coeur, pour le déguiser !). Ici encore, les relations entre les personnages sont assez simples bien que le pesonnage principal soit masqué. Les regards des personnages entre eux ne sont pas forcément des tentatives pour comprendre la véritable identité du personnage, ils sont plutôt des regards qu'un peuple peut lancer à un tyran. Macbeth ne change pas d'identité sous le masque ; il avait changé dès les prédictions des sorcières. Les sorcières regardent tout ; elles semblent semi-masquées, puisque les paroles qu'elles adressent à Macbeth sont ambigues et trompeuses. Dans Hamlet, seuls deux personnages portent des masques121(*) : Hamlet et le Roi Claudius. Hamlet contrefait la folie pour que le roi ne remarque pas que ce que lui a annoncé le spectre l'a bouleversé. Il est déchiré entre le devoir de vengeance et celui de vertu. Il se rend alors compte qu'il est esclave de ses passions, et il a peur de faire le mauvais choix. Le prétexte de la folie lui permet donc de cacher ce trouble et de parler en langage codé à Horatio sans que personne de leur entourage ne le remarque122(*). Le Roi tente de cacher qu'il est l'assassin du père d'Hamlet. Il joue un rôle avec tous, même avec la Reine, qu'il aime, pour rester au pouvoir. Pour lui, Hamlet est un danger, car il est l'héritier du pouvoir, et il a l'amour du peuple : si Hamlet accepte Claudius en tant que Roi, le règne de ce dernier est consacré, mais si Hamlet le rejette, la place du roi au pouvoir devient incertaine. Ces deux personnages ont donc une identité propre, qu'ils vont voiler et renvoyer dans l'ombre, dans le non-vu, par le biais d'une attitude masquée. Le masque est trompeur : il montre quelque chose de faux, puisque Hamlet n'est pas fou et que le roi n'est pas innocent. Ce masque fonctionne pour le Roi, dans la mesure où personne ne se doute qu'il est un meurtrier, à part Hamlet, qui l'apprend du spectre. En ce qui concerne Hamlet, le masque de folie fonctionne aussi, puisque les personnages y croient et que jamais ils ne devinent la véritable cause du trouble d'Hamlet. Le masque fonctionne aussi dans le sens où il reste à l'état de masque, et ne devient pas une peau comme pour Lorenzo. Hamlet est perturbé par les événements, il se perd dans ses pensées, il réagit de façon étrange, mais il n'est pas fou. Avec Rosencrantz et Guildenstern, il discute de façon spirituelle de sa mélancolie, tout en sachant qu'ils viennent l'espionner (II.2, v.224), et il est tout à fait normal avec les acteurs de théâtre. Les soliloques « Now I am alone... » (II.2, v.521) et « To be or not to be... » (III.1, v.56) ne sont pas ceux d'un fou, mais bien de quelqu'un qui raisonne, qui médite sur la destinée humaine. Hamlet s'adresse de façon sincère aux personnes qu'il aime et en qui il a confiance (avec le spectre, sa mère, Laerte, son confident Horatio et les acteurs de théâtre) mais aux autres de façon voilée. Avec Ophélie, il est à demi masqué, puisqu'il a perdu confiance en elle et en l'amour, croyant toutes les femmes trompeuses. Il est tellement troublé qu'il repousse durement son amour, la faisant sombrer dans la folie, et qu'il semble insensible à sa mort. Ces réactions peuvent en effet paraître étranges et mystérieuses pour le destinataire ou pour les autres personnages au point qu'ils peuvent croire à sa folie. La description faite par Ophélie en II.1123(*) donne d'Hamlet une image de quelqu'un qui a perdu la raison. Cependant, Hamlet reste vertueux jusqu'au bout, et le masque de folie ne transforme pas sa véritable identité : il était troublé avant de prendre ce masque. La cause du regard entre les personnages n'est pas tout à fait une recherche d'identité : elle est recherche de la verité, des actes commis cachés... Le roi s'adresse à tous avec un masque, et il regarde particulièrement Hamlet avec méfiance. Il ment à Laerte et le pousse à la vengeance contre Hamlet pour servir ses intérêts personnels (IV.7). Hamlet est au centre des regards, mais peu de personnages se regardent entre eux ; beaucoup de ces regards sont à double sens, ce qui indique que les personnages s'espionnent et cherchent à dévoiler les sentiments des autres. La complexité de la pièce se situe donc seulement dans le personnage d'Hamlet, dont on n'est pas certain s'il est fou ou non, et dans les regards qu'il échange avec le roi, et non pas dans les relations des personnages entre eux. Le roi masqué regarde Hamlet pour tenter de dévoiler ses sentiments, et Hamlet masqué tente de démasquer le roi pour dévoiler son identité de meurtrier. La cour regarde tout. Le regard des autres dans la pièce ne transforme pas l'identité. Sous les masques, la seule identité mystérieuse pour Hamlet, jusqu'en III.2, est celle du roi. Dans les deux pièces de Shakespeare, nous remarquons donc que le masque cache une identité première qui finit toujours par être découverte. Le point important de ces pièces est de montrer la conscience torturée des personnages masqués, et non pas de décrire le mystère qui plane sur leur identité. En effet, ces personnages, bien que masqués, sont fidèles à leur identité première, même si Hamlet semble se rapprocher de Lorenzo dans le sens où l'on peut croire parfois que son masque a transformé son identité. C'est par le masque qu'ils portent ainsi que par leur conscience troublée (comme celle des hommes), que les personnages de Shakespeare sont complexes.
Musset se différencie de Shakespeare pour le thème du masque en ce qu'il ajoute la notion de masque révélateur de l'être. Le masque peut finir par devenir une vraie peau, lorsqu'il ne cache plus l'identité de celui qui le porte: c'est le cas de Lorenzo au moment où nous le rencontrons124(*), qui n'a plus d'identité cachée et dont le masque est devenu le vrai visage : « Il est trop tard - je me suis fait à mon métier. Le vice a été pour moi un vêtement, maintenant il est collé à ma peau » (III.3). Le masque révèle : il attire le regard sur une fausse identité, il cache pour montrer autre chose et pour déjouer les pièges du dévoilement. Cependant nous voyons que pour Lorenzo le masque est doublement révélateur : il révèle une fausse identité que le masque affiche (Lorenzo comme débauché) mais il révèle aussi que le masque est devenu la véritable identité. La question de la peau et du visage se révèle alors être plus importante que celle du masque125(*). Nous remarquons alors une autre différence, différence capitale, entre Shakespeare et Musset : le personnages de Shakespeare sont des visages cachés par des masques, alors que les personnages de Musset sont avant tout des masques : « Lorenzaccio est d'abord un masque à la recherche de son visage, un hypocrite en quête de sa vérité », écrit Jean-Marie Thomasseau126(*). Ainsi, l'optique s'inverse. Le masque prend plus d'importance chez Musset, puisqu'il est comme un visage, et le personnage se complexifie à l'infini, car son identité est mystérieuse sous le masque. Lorenzo exprime cette complexité : « Quel bourbier doit donc être l'espèce humaine, [...] quand, moi, qui n'ai voulu prendre qu'un masque pareil à leurs visages, et qui ai été aux mauvais lieux avec une résolution inébranlable de rester pur sous mes vêtements souillés, je ne puis ni me retrouver moi-même ni laver mes mains, même avec du sang ! » (IV.5). Les personnages de Shakespeare portent un masque, ce qui amplifie la complexité de leur caractère ; les personnages de Musset portent plusieurs masques, et sous ces masques, ils ont une identité ambiguë, ce qui ne permet pas de les définir. De plus, le masque est plus complexe chez Musset : il peut être solide et devenir inhumain. Lorenzo fait souvent référence aux statues127(*), aux masques de cire128(*) ou de plâtre129(*) pour se décrire, ce qui exprime son détachement par rapport à son identité d'homme, et sa sensation d'être d'autant plus déclassé qu'il ne ressemble plus à l'homme. Nous remarquons bien que le thème du masque inspiré de Shakespeare se modifie pour souligner de façon plus détaillée la complexité plus profonde ancrée dans les personnages. Le Cardinal et Lorenzo sont les deux personnages masqués de la pièce Lorenzaccio. Le schéma des regards entre les personnages est hautement plus complexe que ceux des pièces de Shakespeare. En effet, tous les personnages ou presque se regardent entre eux. Florence semble être au centre des regards, ce qui justifie l'importance donnée à la ville. Lorenzo est aussi au centre des regards, mais il ne regarde véritablement avec intérêt que peu de personnages (Le Duc, Philippe, voire Catherine), ce qui montre sa solitude et son catactère de déclassé. Les autres regards qu'il adresse sont méprisants ou indifférents. Par contre, les regards que Lorenzo attirent sont contradictoires, ce qui est lié avec les masques nombreux et différents que les personnages lui choisissent. Nous remarquons qu'à la différence de chez Shakespeare, le regard dans Lorenzaccio peut transformer une identité. L'identité de Lorenzo reste trouble sous les masques nombreux, ce qui dessine un personnage infiniment complexe, presque plus complexe que l'être humain, et en fait un personnage tout en mystère130(*). Le Cardinal, lui, observe les principaux personnages de la pièce, et il est masqué avec tous, ne cherchant que son propre bénéfice. Le peuple regarde avec imcompréhension le divertissement constitué par les intrigues, et les bannis regardent de loin toute la ville. Le masque du Cardinal fonctionne du point de vue politique, mais par un hasard : le meurtre du Duc par Lorenzo. Ce masque ne fonctionne pas avec la Marquise, sur qui le Cardinal croyait avoir une emprise qu'il n'avait finalement pas. Le masque de Lorenzo lui permet d'assassiner le duc, et donc semble à première vue fonctionner. Tout le monde y croit, même les proches de Lorenzo (sa mère par exemple). Les personnages qui se doutent que Lorenzo porte un masque n'en ont aucune preuve. Le seul personnage qui sait le double rôle que joue Lorenzo est Philippe, que Lorenzo met dans la confidence. Pourtant, le masque échoue avec Lorenzo: en effet, il n'est plus un masque au moment où il agit. Le masque est devenu une peau, il a pris le pouvoir sur l'identité, la renvoyant dans l'ombre. Le jeu des regards devient signifiant pour l'intrigue, puisqu'il blesse les identités, les transforme ou les tue ; l'identité de chaque personnage est mise en doute ; les questions que les personnages se posent en observant les autres ne sont plus des questions totales (« Macbeth est-il un meurtrier ? », « Le roi Claudius est-il un meurtrier ? ») mais des questions partielles (« Qui est qui ? »), rendant la réponse beaucoup plus complexe, ainsi que pour le lecteur, comme nous le verrons par la suite. Les masques de Lorenzo sont d'autant plus complexes eux aussi qu'ils sont multiples et que certains sont devenus l'identité du personnage. Comme le suggère Henri Lefèbvre, Lorenzo « ne porte pas le masque sur son visage. Masque et visage ne font plus qu'un. Le masque du « personnage » colle à sa peau, entre dans sa chair »131(*). Le masque que Lorenzo s'est choisi est le masque de débauché, qui lui permet de s'approcher du duc pour mieux acheter sa confiance. Mais les autres personnages, en tentant de découvrir son identité, créent « leur Lorenzo » : le Duc pense que Lorenzo est un être faible, dévoué et entremetteur, La Marquise et la mère de Lorenzo croient vraiment qu'il est un débauché sans coeur, Philippe pense qu'il est un pur républicain sous son masque, et le Cardinal et Sire Maurice se méfient de lui qui corromp le pouvoir, le Provéditeur voit un ivrogne idiot, Scoronconcolo croit qu'il est un simple jeune maître qui fait ses armes... Il en découle que Lorenzo, qui se plie aux identités qu'on lui croit pour mieux tromper son entourage et l'assurer dans son erreur pour cacher son véritable être, revêt une multitude d'identités132(*) dont on ne sait plus laquelle est vraie, laquelle est un masque. Lorenzo profite de ce trouble pour changer d'attitude à chaque fois qu'il rencontre un nouveau personnage : il est hautain avec Tebaldeo, ironique avec Sire Maurice et avec sa mère, fidèle à la république avec Philippe, mielleux et débauché avec le duc ; il lit des livres avec sa famille, se bat avec Scoronconcolo, se compare à Brutus, s'enivre avec le Duc et réfléchit sérieusement quand il est tout seul. Les différents masques montrent la difficulté du personnage à se trouver une identité propre. Il ne parvient plus à faire la distinction entre le masque et son visage, l'extérieur et l'intérieur, et les autres personnages non plus133(*), qui ne voient qu'un visage hideux qu'ils couvrent de masques. Lorenzo serait donc un « homme prisonnier tout à la fois de lui-même et d'autrui, du masque qu'il s'est choisi et de celui que les autres ont choisi pour lui, en le consolidant sur son propre visage. Masque intérieur et masque extérieur, masque voulu et masque reçu, dont la superposition rendra d'autant plus difficile et périlleuse l'éxécution du grand dessein qui seul peut assurer l'affirmation du moi parmi les autres et la révélation de chacun dans sa vérité respective »134(*). Le masque de Lorenzo est donc complexe, mais l'identité qu'il cache est encore plus complexe, ce qui rend difficiles les relations entre les personnages, relations faussées à cause des masques. Nous voyons que le thème du masque repris par Musset a été amélioré en vue d'une complexification des personnages, et particulièrement en vue d'une étude de Lorenzo comme copie humaine. Le masque semble donc avoir des caractéristiques contradictoires : il joue à la fois avec l'ombre et avec la lumière. En effet, il crée l'ombre en faisant obstacle à la lumière, mais il absorbe la lumière pour se mettre en valeur. Il s'agit d'un double jeu : cacher un visage, mais aussi en montrer un autre, pour faire véritablement disparaître le premier. Le masque fait donc de l'ombre au vrai visage, tout en étant lui-même mis en lumière aux yeux d'autrui. Dans Lorenzaccio, les regards ne cherchent pas simplement à faire tomber les masques, ils cherchent aussi à démêler l'ambiguité des identités qui sont derrière. Mais les multiples regards de la pièce n'aident pas Lorenzo à trouver son identité, ni à la construire, et il sent qu'il va mourir: « Tout ce que j'ai à voir, moi, c'est que je suis perdu » déclare-t-il en III.3. Le masque reste une ombre avec Musset dans le sens où il peut encore cacher le véritable visage de celui qui le porte (par exemple dans le cas du Cardinal), mais dans le cas de Lorenzo, le masque n'est plus une illusion, ni une fausse identité, au contraire il devient réalité de l'être. Il perd sa valeur puisqu'il n'est plus differencié du visage. Peut-être pourrait-on voir là une image du théâtre, qui d'illusion se perfectionne à tel point dans le théâtre du « Spectacle dans un fauteuil » qu'il devient difficile à différencier de la vraie vie. Nous avons vu que le symbolisme de l'ombre et de la lumière s'appliquait aux relations entre les personnages, lors de l'acte de regard pour dévoiler l'identité de l'autre. Ce regard qui cherche à déchiffrer l'identité est aussi présent à un autre niveau : celui du destinataire. 1.2. LE DESTINATAIRE FACE AUX MASQUES Le regard du lecteur-spectateur (lecteur dans le cas de Musset et spectateur dans le cas de Shakespeare) est important puisqu'il marque l'achèvement de la pièce de théâtre. Dans le théâtre, le narrateur est absent, et le destinataire se retrouve seul aux prises avec les dialogues, les indications scéniques et les didascalies. Le rôle du destinataire est différent chez Shakespeare et chez Musset : avec Shakespeare, le spectateur est témoin de l'histoire, et il est aussi amené à réfléchir sur des questions philosophiques ou métaphysiques que les pièces soulèvent ; avec Musset, le lecteur du « spectacle dans un fauteuil » participe au développement du texte : la scène n'est plus là pour révéler un décor, une action, des personnages déjà existants et le destinataire doit les imaginer. Le regard du lecteur bute contre des ombres et des lumières, qui sont chez Shakespeare une imagerie décrivant l'atmosphère et chez Musset un jeu complexe de vu et de non-vu. Le lecteur semble être manipulé par l'auteur : il ne voit pas une pièce de théâtre avec des pièges et quiproquos dont il a un point de vue extérieur, mais il est inclus dans ces pièges. Comme tout théâtre, les personnages sont mis en avant, mais la spécificité de Lorenzaccio vient de ce que le lecteur ne sait rien de vrai sur eux jusqu'en III.3 alors qu'un lecteur habituellement sait. Les personnages portent des masques pour se tromper entre eux, et ils portent aussi ces masques en compagnie du destinataire, qui par la suite les voit tomber et qui s'aperçoit de la tromperie dont il a été victime. Le regard de ce dernier envers les masques est différent dans Hamlet et Macbeth et dans Lorenzaccio. En effet, les masques des personnages shakespeariens sont faciles à faire tomber par le spectateur, alors que ceux des personnages mussétiens sont difficilement différenciables de leur peau, et donc difficilement repérables. De plus, l'identité des personnages de Hamlet ou de Macbeth est aisément définissable alors que celle du personnage de Lorenzo reste trouble. Les masques, même révélés, rendent les personnages ambigus, ombre de la pièce que le lecteur-spectateur doit éclaircir : en effet, après l'aveu de Lorenzo en III.3, le lecteur sait qu'il a porté un masque, mais il ne sait pourtant pas quelle est sa véritable identité. 1.2.1. Le masque que l'on retire Le premier masque qu'un destinataire d'une pièce de théâtre est amené à rencontrer est obligatoirement celui de théâtre. Les masques construisent les personnages en tant qu'êtres de théâtre et révèlent leur existence aux yeux du destinataire : l'attention de ce dernier est en premier attirée par les masques du jeu théâtral. Chez Shakespeare et chez Musset, les masques de théâtre en cachent d'autres, et le destinataire devient témoin des jeux de travestissement qui se mettent en place non seulement entre les personnages mais aussi entre les personnages et lui-même. C'est là qu'intervient la différence entre le destinataire de Musset et celui de Shakespeare : le spectateur des pièces de Shakespeare se situe en tant que témoin extérieur de l'action et il voit des personnages de théâtre qui lui révèlent les jeux de masques qu'il y a entre eux. Il est vrai que la personnalité mystérieuse d'Hamlet par la suite peut plonger le destinataire dans le doute : parfois il semble fou, mais lors des soliloques il raisonne. Mais il sait dès le départ le rôle que s'apprête à jouer le personnage principal, qui dit dès l'acte I, scène 5, v.170-172 : « [...] how strange or odd soe'er I bear myself-/ as I, perchance, hereafter shall think meet/ to put an antic diposition on - [...]» (« car il se peut que, plus tard, je juge convenable d'affecter une allure fantasque ») et plus loin : « I must be idle » (III.2. v.86 : « Moi, je fais le fou »). Il sait aussi que le Roi est coupable du meurtre : cela a été révélé au public par le spectre en I.5. Le spectateur de Macbeth sait aussi ce que prépare Macbeth, puisqu'il connaît ses pensées. Le spectateur des pièces de Shakespeare assiste aux regards échangés entre les personnages ; il adresse à ces personnages un regard simple de divertissement ou de réflexion. Les masques que les personnages portent entre eux tombent aisément devant son regard. Cependant, le système de présentation des personnages principaux « joue » avec le destinataire, qui ne les voit pas directement en scène, mais à qui ils sont d'abord présentés par les paroles d'autres personnages. Son regard est ainsi influencé par le point de vue de certains personnages. Prenons par exemple le cas d'Hamlet. Il n'apparaît qu'à la scène 2 de l'acte I d'Hamlet, et pourtant il est déjà présent dans les paroles des personnages dès la scène d'exposition : il est le digne fils du vaillant roi Hamlet dont les exploits sont contés, et il suscite l'affection de la cour, qui se doit de lui obéir. Le destinataire sait donc avant de rencontrer Hamlet qu'il est véritablement un personnage aimé et demandant le respect. En ce qui concerne Macbeth, il n'apparaît qu'à la scène 3 de l'acte I, alors qu'on parle de lui à la scène 2 du même acte. Lui aussi est donc présenté par les paroles des personnages, en l'occurrence par celles du Capitaine et du Roi Duncan , avant d'être vu sur scène. Il est décrit comme un brave guerrier qui amène la victoire au roi et qui n'a peur de rien. Le spectateur apprend alors la noblesse courageuse et sanguinaire de Macbeth, et les faveurs que le roi lui accorde. Les premières scènes d'Hamlet et de Macbeth donnent donc des indices sur le caractère des personnages, et révèlent leur véritable identité, ce qui fait que le destinataire n'a pas de surprises : il sait la vérité, et s'amuse ou se désole de voir certains personnages tomber dans l'erreur. Le cas de Hamlet reste cela dit plus complexe, puisque la différence entre le masque et la véritable identité est moins évidente à faire pour le spectateur au fur et à mesure que la pièce se déroule.
La nouveauté avec Musset, c'est que le lecteur n'en sait pas plus que les personnages ; il est comme un personnage : il participe à l'histoire, il est une subjectivité qui a sa place dans le texte. Les personnages qui décrivent Lorenzo sont multiples, mais aucun d'eux n'est une source fiable, puisqu'ils dévoilent des personnalités différentes, ce qui ne permet pas au destinataire de comprendre la véritable identité du personnage central. Les jeux de masques ne lui sont pas expliqués dès le départ, et le destinataire les subit jusqu'en III.3 où tout lui est révélé. Le lecteur de Lorenzaccio assiste à un tourbillon de masques qui peuvent le laisser dans un trouble total : tout d'abord certains personnages se montrent masqués dès la première scène sans qu'il le sache (Lorenzo), puis ils portent des masques de carnaval (et Lorenzo se présente alors doublement masqué135(*)) sans compter les masques de théâtre qui ne paraissent pas clairement à ses yeux mais qui sont bien présents. La stratégie des masques semble donc fonctionner, non seulement envers certains personnages mais aussi à l'insu du destinataire. La scène d'exposition, grâce à laquelle le lecteur fonde sa compréhension de la pièce, est faussée, puisque Lorenzo s'y trouve dans la peau d'un ruffian. On rencontre dans cette scène Lorenzo en compagnie du Duc, pour l'enlèvement de Gabrielle. Si l'on se fie à cette scène d'exposition, la pièce peut être une intrigue amoureuse (puisqu' « elle », « la petite », est au centre du dialogue) qui met en scène un Duc et ses serviteurs, dont l'un, Lorenzo, a le rôle de l'entremetteur corrompu. Maffio, frère de Gabrielle, qui trouble le trio maléfique dans ses occupations, arrive comme un obstacle, et laisse présager une intrigue dramatique voire tragique, puisqu'il veut obtenir justice pour sa soeur. Or, Maffio et Gabrielle n'ont qu'un rôle superflu dans la pièce, et le destinataire, qui attend de la première scène qu'elle soit une présentation du reste, est en partie trompé. Henri Lefèbvre explique que cette nouvelle utilisation de la scène d'exposition sert la complexité de la pièce : « Progrès dans la construction et la complexité du drame, l'auteur nous montre d'abord le « personnage » dissimulé, masqué »136(*). En effet, si l'auteur ne permet pas au destinataire de partager son point de vue, et qu'il le renvoie à l'état d'objet qu'il manipule, au même titre que les personnages de la pièce, la relation auteur-destinataire devient plus complexe. Le lecteur se trouve pour ainsi dire abandonné dans le monde des personnages sans en faire partie, grand avantage qui lui permet ainsi d'enquêter -un peu comme un détective- sur les personnages, sans participer à aucune intrigue. Mais la lecture en devient plus difficile, et le destinataire, qui n'est pas averti de la place nouvelle qui lui est désignée au sein de la pièce, reste dans l'erreur ou dans l'incertitude jusqu'en III.3. Ainsi, le lecteur assiste aux regards échangés entre les personnages sans connaître leurs véritables modalités, puisqu'il est trompé par les masques autant que les autres personnages, et le regard qu'il leur adresse est complexe puisqu'il devient une tentative de dévoilement de leur identité. Le lecteur réfléchit, essaie de lier peu à peu les fragments qu'il a découverts par sa lecture, pour créer un sens et pour construire les personnages. Il réfléchit même une fois les masques tombés en III.3 : l'acte de dévoilement continue puisque l'identité présente de Lorenzo n'est pas révélée et qu'elle a gardé toute sa complexité. Il faut donc continuer à percer l'ombre mystérieuse de l'identité de Lorenzo jusqu'à la fin de la pièce, qui ne propose pas de solution, et abandonne finalement le lecteur à ses suppositions ambiguës. Le masque de Lorenzo tombé, le lecteur apprend qu'il en porte d'autres; un à un il les dévoile, mais à l'infini et sans parvenir à son vrai visage. Les points de vue des différents personnages l'aident à construire une image de Lorenzo, mais ces points de vue sont si différents les uns des autres qu'il est impossible de décider une identité particulière pour Lorenzo. Philippe a confiance en Lorenzo qu'il croit pur sous son masque, sa mère est horrifiée par le debauché qu'il est devenu, le Cardinal et Sire Maurice se doutent de ses pensées d'assassinat, le Duc pense que sous le masque, Lorenzo est un être faible. Chacun reconstruit une identité pour Lorenzo, même le lecteur. Les masques que les personnages créent fonctionnent pour le lecteur, qui y croit et tombe dans le piège. Lorsqu'il apprend l'existence de ces masques, le destinataire doit partir en quête du sens de la pièce et de la vérité des personnages. Le texte, ambigu, qui permet de tromper le destinataire, semble être masqué, lui aussi. Le texte de théâtre de Lorenzaccio est différent : il prend le lecteur au dépourvu, le force à réfléchir, à participer à l'histoire. Nous pourrions parler d'un masque du texte, car il ne dévoile rien de vrai à propos de Lorenzo avant III.3. Ce qui reste sous le masque, ce qui est vrai, est à l'état de non-dit, que nous pourrions rapprocher d'une ombre, et que le destinataire doit élucider. Le texte se construit sur un double niveau : se superposent ce que les personnages laissent croire et ce qui est réellement, selon l'auteur. A cela s'ajoute ce que le spectateur découvre ou croit comprendre. En effet, jusqu'à la moitié de la pièce, le lecteur est totalement trompé ; l'expression des personnages n'est en fait qu'un faux dialogue sans qu'il le sache ; il prend les masques pour des visages, et son regard est un regard de divertissement seulement. La double énonciation qui complexifie la pièce n'apparaît au lecteur qu'en III.3. Il sait alors que les personnages sont masqués et qu'ils continuent à l'être jusqu'à la fin de la pièce, mais il sait aussi comment interpréter les jeux des personnages et pourquoi ils agissent ainsi. Il comprend alors que Lorenzo a joué un double jeu. Il comprend que se dressent l'une contre l'autre deux compréhensions du même énoncé ambivalent : ce que l'interlocuteur comprend est à différencier de ce que le destinataire comprend. La double énonciation permet alors de différencier le vrai Lorenzo, connu du lecteur, et le Lorenzo masqué, que les autres personnages sauf Philippe ne comprennent pas. Jusqu'en III.3, le lecteur ne connaît le personnage que par le biais des autres, en quelque sorte, puisque ce sont eux qui parlent de lui et puisque c'est en compagnie des autres que le destinataire le découvre, alors qu'il joue son rôle de débauché. C'est ainsi que le lecteur est trompé, puisque en I.4 la description de Lorenzo par le Duc le rend antipathique (il est son entremetteur, il est décrit comme un « lendemain d'orgie ambulant », et son physique morne n'a rien d'attrayant) et qu'en I.6 la description de la mère de Lorenzo fait de lui un être en pleine déchéance dans le vice, la corruption et la débauche. Après III.3, le destinataire a un avantage conséquent par rapport aux autres personnages : il sait, comme Philippe, le secret de Lorenzo. La double énonciation, n'étant pas découverte dès la scène d'exposition par le destinataire, est un système mis en place par l'auteur pour se jouer du lecteur ; elle est un moyen de rendre le texte plus complexe et intéractif ; elle est le masque du texte pour cacher la véritable intrigue et créer un effet de surprise. La pièce, obscure et mystérieuse, trompe le destinataire comme les masques trompent les personnages entre eux. Les masques forment donc des ombres qui piègent à la fois les personnages mais aussi le lecteur de Lorenzaccio. Le texte, complexe, entraîne donc le destinataire dans un « non-voir ». L'ombre du non-dit ou du caché trouble sa vision par le biais des masques, elle le piège, et elle l'abandonne dans cet aveuglement dont il doit se sortir. Ainsi, les masques des personnages et l'ambiguité des énoncés fonctionnent avec le destinataire complètement jusqu'en III.3 : ils empêchent de voir la véritable identité du personnage ou le véritable enjeu du texte, puisque le lecteur ne se doute pas de leur existence. Par la suite, les masques étant tombés, il doit continuer le dévoilement, pour trouver l'identité du porteur de masque le plus ambigu : Lorenzo. La place particulière accordée au destinataire de Lorenzaccio permet un intérêt plus profond de ce dernier pour la pièce qui a réussi à le surprendre et à le tromper. * 114 Nous avons vu en effet, les caractéristiques de Lorenzo (ou de son masque, puisque nous ne pouvons pas véritablement les différencier) comme ombre en II.2.2. * 115 M, I.7, v.81-82: «Away, and mock the time with fairest show : / false face must hide what the false heart doth know.» (« Allons ! et leurrons notre monde par la plus sereine apparence. Un visage faux doit cacher ce que sait un coeur faux »). * 116 JC, II.1.v. 224-227 : «Good gentlemen, look fresh and merrily. / Let not our looks put on our purposes, / But bear it as our Roman actors do, / With untir'd spirits and formal constancy» (« Nobles amis, prenez un visage riant et serein. Que nos regards ne révèlent pas nos projets. Soutenons notre personnage, comme les acteurs de Rome, avec un esprit libre et un appareil de constance »). * 117 L, III.3, Philippe : « Cela réjouit mon vieux coeur, Lorenzo, de penser que tu es honnête; alors tu jetteras ce déguisement hideux qui te défigure, et tu redeviendras d'un métal aussi pur que les statues de bronze d'Harmodius et d'Aristogiton ». * 118 M, I.3, v.108-109: «The Thane of Cawdor lives : why do you dress me / in borrowed robes?» (« Le thane de Cawdor vit ; pourquoi me revêtez-vous de vêtements empruntés ? ») et v.144-146 : «New honors come upon him, / like our strange garments, cleave not to their mold / but with the aid of use.» (« Les honneurs nouveaux se posent sur lui comme des vêtements encore étrangers : ils ne prendront sa forme qu'à l'usage »). * 119 M, V.2, v.20-22, Angus : « Now does he feel his title / hang loose about him, like a giant's robe /upon a dwarfish thief» (« Il sent maintenant sa grandeur s'affaisser autour de lui, comme une robe de géant sur le nain qui l'a volée »). * 120 Voir schéma annexe. * 121 Nous ne prenons pas en compte les références au maquillage comme masque, ni l'attitude d'Ophélie auprès d'Hamlet lors de leur entrevue surveillée. * 122 Par exemple, en III.2, v.259-262 : « Would not this, sir, and a forest of feathers - if the rest of / my fortunes turn Turk with me-with the two provincial roses / on my raced shoes, get me a fellowship in a cry of players, / sir ? » (« Si jamais la fortune me traitait de Turc à More, ne me suffirait-il pas, mon cher, d'une scène comme celle-là, avec l'addition d'une forêt de plumes et de deux roses de Provins sur des souliers à crevés, pour être reçu compagnon dans une meute de comédiens ? » ) : il s'agit de la scène où le Roi quitte la salle, ne supportant plus de regarder la pièce de théâtre qui retrace le meurtre qu'il a commis. Le départ précipité du roi est pour Hamlet et Horatio la preuve qu'il est bien coupable, ce qu'Hamlet retrace en paroles codées. * 123 H, II.1, v.77 : « [...] Lord Hamlet, with his doublet all unbraced,/ no hat upon his head, his stockings fouled,/ ungartered, and down-gyvéd to is ankle ;/ pale as his shirt, his knees knocking each other, / and with a look so piteous in purport / as if he had been loosed out of hell / to speak horrors [...] ». (« [...] lorsqu'est entré le seigneur Hamlet, le pourpoint tout débraillé, la tête sans chapeau, les bas chiffonnés, sans jarretières et retombant sur les chevilles, pâle comme sa chemise, les genoux s'entrechoquant, enfin avec un aspect aussi lamentable que s'il avait été lâché de l'enfer pour en raconter les horreurs »). * 124 N'oublions pas que le lecteur n'apprend seulement en III.3 que Lorenzo porte un masque. * 125 L, III.3 : « [...] le masque de la colère s'est posé sur le visage auguste et paisible du vieux Philippe », et « Est-ce là ta réponse ? Est-ce là ton visage, homme sans épée ? » : le visage est le symbole de la sincérité et de la véritable identité du personnage, et à ce titre, il a plus de valeur que le masque. * 126 Jean-Marie Thomasseau, Alfred de Musset, Lorenzaccio, études littéraires, PUF, Paris, 1986, p.66. * 127 L, III.3: « Une statue qui descendrait de son piédestal pour marcher parmi les hommes sur la place publique, serait peut-être semblable à ce que j'ai été, le jour où j'ai commencé à vivre avec cette idée: il faut que je sois un Brutus ». * 128 L, IV.5: « Quel homme de cire suis-je donc! Le Vice, comme la robe de Déjanire, s'est-il si profondément incorporé à mes fibres, que je ne puisse plus répondre de ma langue, et que l'air qui sort de mes lèvres se fasse ruffian malgré moi? ». * 129 L, III.3: « Non, je ne rougis point; les masques de plâtre n'ont point de rougeur au service de la honte ». * 130 « En réalité c'est au jeu des masques multiples appliqués sur un visage indécis et immobile qu'on reconnaît le génie de Musset et qu'on préssent le mystère de son héros ». Bernard Masson, Lorenzaccio ou la difficulté d'être, archives des Lettres Modernes n° 46, 1962, p.22. * 131 Henri Lefèbvre, Les grands dramaturges : Musset, l'Arche Editeur, 1955, p 74. * 132 La mulltitude de masques peut être augmentée d'une multitude de surnoms dont les personnages se servent pour nommer Lorenzo, et qui détruisent sa réelle identité. * 133 « Es-tu dedans comme au dehors une vapeur infecte ? Toi qui m'a parlé d'une liqueur dont tu étais le flacon, est-ce là ce que tu renfermes ? » III.3, Lorenzaccio. Même Philippe ne parvient plus pendant un instant à différencier Lorenzo et Lorenzaccio. * 134Bernard Masson, Musset et le théâtre intérieur, Armand Colin, Paris, 1974, p.195. * 135 « Car l'homme du masque y figure masqué doublement (I.2) puisqu'il a revêtu un déguisement de bal costumé [...] », Bernard Masson, Musset et le théâtre intérieur, Armand Colin, Paris, 1974, p.194. * 136 Henri Lefèbvre, Les grands dramaturges : Musset, L'Arche Editeur, 1955, p.74. |
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