5. Comment résumer alors les résultats
obtenus ?
L'analyse des petites villes n'a pas été un
exercice aisé :
· elle questionne plusieurs domaines de l'organisation
territoriale et en conséquence a nécessité de
combiner plusieurs approches et méthodes et différentes
échelles ;
· elle prend en compte des processus à la fois
locaux et régionaux ;
· elle illustre l'interaction de processus
complexes ;
· elle nécessite des adaptations
méthodologiques permanentes en fonction de la diversité des cas
étudiés et de l'hétérogénéité
des contextes locaux.
L'analyse démographique a permis d'établir
comment les petites villes subissent les effets des comportements migratoires
régionaux et comment elles sont les plus affectées par la
vulnérabilité démographique. La faible résilience
des petites villes, c'est-à-dire leur incapacité à amortir
les effets de la métropolisation, ne devrait pas fausser les
réalités locales qui montrent qu'une grande partie de ces villes
correspond à des localités répulsives à cause de
leur faible dynamique économique.
La proximité lorsqu'elle exprime la distanciation
géographique des petites villes par rapport à la métropole
Tunis, n'apparaît pas comme le seul facteur de différenciation des
rythmes d'urbanisation. Les processus d'urbanisation s'expliquent autant par
les potentialités économiques et foncières des petites
villes que par les distances qui les séparent de Tunis. Ainsi,
l'avantage de la proximité métropolitaine recherchée par
l'industrie, apparaît comme fortement déterminé par la
rente foncière. Celle-ci est valorisée par la situation
périphérique des petites villes.
Du fait de la proximité de la capitale, les petites
villes sont devenues attractives. Cette attractivité se
concrétise par l'appel à la main-d'oeuvre
extérieure : les petites villes ont filtré les flux de
l'exode rural en direction de Tunis. Elle est concrétisée
également par l'accueil de migrants en provenance de Tunis et
expulsés lors des opérations de dégourbification et de
recasement engagées par les politiques urbaines, plus
précisément dans les petites villes de la
périphérie tunisoise, durant les années 1980. Ces
processus expliquent l'urbanisation rapide des petites villes dont une large
cohorte dépasse ainsi la barre des 20.000 habitants.
Malgré la proximité de la capitale, l'influence
métropolitaine sur les transformations des emprises urbaines et sur
l'espace bâti semble évoluer fréquemment de manière
quasi-autarcique et l'intégration des petites villes dans l'aire de la
métropole tunisoise paraît faible.
Le renforcement progressif et discontinu du niveau
d'équipement des petites villes présente une forte
sélectivité territoriale commandée par les
disponibilités foncières locales le plus souvent
contrôlées par l'Etat. L'émergence d'activités du
tertiaire public est rare. Quand elle existe, elle traduit la diffusion de la
métropolisation par une nouvelle distribution des activités sur
les aires périphériques. En aucun cas elle ne constitue un nouvel
atout car elle n'est ni une véritable spécialisation
périphérique accordée aux petites villes, ni une
autonomisation des échelles locales. Elle est l'expression de la
domination métropolitaine qui certes profite aux petites villes mais ne
facilite pas pour autant leur intégration spatiale.
L'évolution de la centralité des petites villes
apparaît comme un bon indicateur de la qualité de l'urbanisation.
Le renforcement des activités de commerce et de services a souvent
accompagné l'étalement urbain des petites villes et a
autorisé les centres locaux à suivre les configurations des
tissus et les formes d'extension spatiale. Malgré l'étalement de
la centralité locale et la diversification des activités
tertiaires dans des petites villes telles que Grombalia et Medjez El Bab,
l'appareil commercial local demeure fortement dominé par les
activités banales et de proximité qui assurent la desserte de la
population locale et rayonnent aussi sur les populations rurales
périphériques.
La localisation des petites villes dans la grande
périphérie de Tunis ne crée pas, au travers de leurs
fonctions urbaines, de leurs dynamismes et de leurs échanges spatiaux et
sociaux, des interactions de type petite ville - petite ville dans lesquelles
le recours à la ville-mère n'est pas systématique. Les
petites villes ne fonctionnent pas en réseau réticulaire et le
système d'emploi est fortement dominé par la capitale qui
n'assure pas une diffusion périphérique organisée. Les
petites villes se présentent comme des localités
périphériques fragmentaires dominées mais faiblement
polarisées par Tunis. Leur désenclavement spatial suppose souvent
un passage obligé par le centre ou par la zone péri-centrale.
Bien que leurs dynamismes soient partiellement influencés par la
proximité métropolitaine, ces localités
périphériques ne peuvent pas s'appuyer sur leur fonction de
ville-dortoir, pour prétendre devenir de véritables villes. Elles
apparaissent, même si l'expression est exagérée, comme des
dépotoirs métropolitains, ou comme l'affirme S. Leroy, "des
couloirs d'accélération exclus de la dynamique
métropolitaine."
Pour comprendre plus au fond les processus en cours dans les
petites villes, l'exploration devait aller plus loin, jusqu'à
s'interroger sur le fonctionnement des politiques de l'Etat et sur le jeu des
pouvoirs locaux dans la transformation et le développement des petites
villes.
Il apparaît que les villes avec leurs différentes
tailles et leurs diversités fonctionnelles, morphologiques et
économiques ne sont pas institutionnellement reconnues. Dans
l'aménagement régional, les politiques de l'Etat ne
définissent pas des stratégies spécifiques en fonction des
tailles des villes ou de leur proximité métropolitaine.
Les petites villes ne se développent pas sur la base
d'une programmation pluriannuelle de logement ou de projets urbains. D'un
mandat à l'autre, dans certains cas en faisant appel aux
opérateurs publics nationaux, les élus conçoivent leurs
propres "stratégies d'habitat" compte tenu de l'intensité de
l'offre et de la demande et de la disponibilité des réserves
foncières. Ces stratégies, à court terme sont, dans
certains cas, dictées ou imposées par l'Etat central ou par le
conseil régional du gouverneur selon les objectifs des politiques
nationales orientés essentiellement en faveur de la métropole ou
des principaux centres secondaires de sa périphérie.
Nous avons relevé que les petites villes étaient
peu concernées par les programmes de développement et de
réhabilitation. Le choix des territoires éligibles correspond
à un mode d'arbitrage politique engendrant des discriminations
"positives" en faveur des territoires urbains ou ruraux inclus dans une
géographie prioritaire aux dépens des petites villes faiblement
dotées de potentialités locales. Dans une logique de
"régulation urbaine élargie", le choix est opéré du
fait de la nécessité d'intégrer des quartiers populaires,
stigmatisés socialement, dans le fonctionnement normal de
l'agglomération ou de la région et de leur permettre d'y impulser
des processus et une dynamique urbaine. Les politiques publiques n'ont pas
changé de perspectives : les modes de régulation demeurent
basés sur des arbitrages faisant peu de cas des petites villes dans une
approche globale de territoire.
Dans une région métropolisée, les petites
villes apparaissent comme des territoires pénalisés par la
pseudo-proximité métropolitaine. Les petites villes d'où
émanent les doléances des populations locales, constituant la
base électorale, sont dépourvues de structures politiques
susceptibles de porter un discours responsabilisé et rationnel. La
fragilité du pouvoir politique local réduit le rôle du
pouvoir formel mais crée un autre type de pouvoir informel. Dans ces
conditions, de nouveaux modes de régulation informelle et locale
apparaissent. Ils sont basés sur une nouvelle forme de pouvoir local qui
n'a pas de forme institutionnalisée. Les petites villes ne sont pas pour
autant politiquement passives. S'y développent de nouvelles expressions
de pouvoirs tentant de corriger la fragilité du pouvoir municipal.
Grâce à des "pratiques collusives" et à
l'émergence de nouveaux réseaux de connivence et
d'allégeance, de nouvelles formes de pouvoir apparaissent. Des alliances
de circonstance autour des préférences politiques et
économiques ou autour des enjeux fonciers entre élus locaux,
notables, délégués et gouverneurs, composent ce nouveau
mode de régulation parallèle. Ces stratégies locales
occultes, circulent indirectement jusque dans les institutions
politico-administratives déconcentrées de l'Etat, fortement
disséminées dans les petites villes, et y constituent des "boites
de résonance" entre l'Etat (le haut) et les petites villes (le bas).
Il apparaît que le surendettement des communes des
petites villes est graduellement aggravé par les besoins croissants en
infrastructures et en équipements des quartiers
périphériques non réglementaires et/ou faiblement
densifiés. Face à la déficience des ressources fiscales
locales, la domination des dotations entières ou partielles de l'Etat
prend le dessus sur toute tentative d'autarcie financière ou
d'autonomisation des processus d'urbanisation.
Cette approche relativise grandement la notion de
proximité appliquée aux petites villes de la région de
Tunis. Leurs ressources et l'organisation des pouvoirs locaux ne les
distinguent en rien des autres petites villes tunisiennes. Pour toutes, l'Etat,
au travers des dotations permettant de réaliser les actions ponctuelles
d'investissement, est omnipotent : il est l'unique
pourvoyeur-régulateur de l'urbanisation à l'échelle
locale. La question de la capacité des petites villes à financer
leurs projets locaux, ne semble pas constituer un objectif au sein des
politiques de l'aménagement urbain.
Au terme de cette recherche les processus d'urbanisation
apparaissent lors de l'étude des petites villes comme étant un
continuum chronologique de périodes et d'étapes
d'évolution, de transition et de repli. Ils s'inscrivent dans un
mouvement d'évolution dans l'espace et dans le temps. Ces processus
locaux sont influencés par le processus de métropolisation qui se
caractérise par une tendance, d'une part vers la concentration, et
d'autre part vers la diffusion. Néanmoins, cette diffusion qui
dépasse les limites régionales et administratives, est loin
d'atteindre avec autant d'intensité les processus d'urbanisation des
petites villes. Malgré la proximité de Tunis, la diffusion
métropolitaine affecte d'une façon
hétérogène les petites villes et débouche sur une
occupation discontinue en fonction de la spécificité des
contextes locaux et de la faible articulation entre les fragments
désarticulés du système urbain tunisois.
La connaissance des processus d'urbanisation des petites
villes apparaît comme essentielle pour comprendre les mutations
socio-démographiques et économiques. Cependant, dans ces
localités, l'importance des processus stratégiques
commandés par les politiques publiques et par les pouvoirs locaux
formels et informels ressort avec évidence. Est-ce un effet de
taille ? D'échelle d'observation ? Quoi qu'il en soit,
l'inscription de leurs actions et leurs pratiques dans l'espace et dans le
temps doit être connue ne serait-ce que parce qu'elle explique les
rythmes d'urbanisation, leur irrégularité et leur
discontinuité qui se traduisent dans
l'hétérogénéité des formes urbaines locales
et la disparité des niveaux d'urbanisation.
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