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Les rapports juridiques entre les droits interne et communautaire dans le contentieux des contrats de la commande publique


par Steeve BATOT
Université Robert Schuman Strasbourg 3 - Master 2 "droit public fondamental" 2008
  

Disponible en mode multipage

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Université Robert Schuman

Strasbourg

Faculté de droit, de sciences politiques et de gestion

Les rapports juridiques entre les droits interne et communautaire dans le contentieux des contrats de la commande publique

Mémoire de recherche présenté sous la direction de Monsieur le Professeur François LLORENS

En vue de l'obtention du Master II «Droit public fondamental»

Steeve BATOT

Année universitaire 2007/2008

Mes remerciements s'adressent à

Monsieur le Professeur François LLORENS pour ses précieux conseils et sa grande disponibilité

et à Monsieur le Professeur Patrick WACHSMANN pour sa bienveillance.

Liste des principales abréviations

AJDA

Actualité Juridique du Droit Administratif

ALD

Actualité Législative Dalloz

BJCP

Bulletin Juridique des Contrats Publics

CAA

Cour Administrative d'Appel

CE

Conseil d'Etat

CJA

Code de Justice Administrative

CJCE

Cour de Justice des Communautés Européennes

CJEG

Cahier Juridique de l'Electricité et du Gaz

Concl

Conclusion

Contrats et Marchés Publ.

Contrats et Marchés Publics

CP-ACCP

Contrats publics. L'Actualité de la Commande et des Contrats Publics

DA

Droit Administratif

EDCE

Etudes et Documents du Conseil d'Etat

Gaz.Pal.

La Gazette du Palais

JCP A

Juris-Classeur Périodique - Administrations et collectivités territoriales

JOCE

Journal Officiel des Communautés Européennes

JOUE

Journal Officiel de l'Union Européenne

LPA

Les Petites Affiches

PPLR

Public Procurement Law Review

RDC

Revue Des Contrats

RDI

Revue de Droit Immobilier

Rec

Recueil du Conseil d'Etat

Rec CJCE

Recueil de la Cour de Justice des Communautés Européennes

RFDA

Revue Française de Droit Administratif

RIDC

Revue Internationale de Droit Comparé

RJEP

Revue Juridique de l'Entreprise Publique

RRJ

Revue de la Recherche Juridique, droit prospectif

RTDE

Revue Trimestrielle de Droit Européen

TA

Tribunal Administratif

Sommaire

LISTE DES PRINCIPALES ABRÉVIATIONS - 1 -

SOMMAIRE - 2 -

INTRODUCTION - 3 -

CHAPITRE I. UNE PLEINE RÉCEPTION DES EXIGENCES COMMUNAUTAIRES PAR LE DROIT INTERNE - 8 -

Section I. La soumission des actes à un contrôle juridictionnel : un facteur de contrainte modéré - 9 -

§ 1. Les actes du pouvoir adjudicateur - 9 -

§ 2. L'acte contractuel - 17 -

Section II. L'instauration d'un recours juridictionnel efficace : un puissant facteur de contrainte - 23 -

§ 1. Une mise en oeuvre simplifiée des recours - 23 -

§ 2. Les pouvoirs du juge des référés précontractuels - 28 -

CHAPITRE II. UNE LARGE SURESTIMATION DES EXIGENCES COMMUNAUTAIRES PAR LE DROIT INTERNE - 32 -

Section I. Le dépassement des exigences communautaires dans la recherche de l'irrégularité - 33 -

§ 1. Une exagération à l'initiative du législateur - 33 -

§ 2. Une exagération à l'initiative du juge - 42 -

Section II. Le dépassement des exigences communautaires dans le traitement de l'irrégularité - 51 -

§ 1. La rigueur constante du juge des référés précontractuels - 51 -

§ 2. Le pragmatisme magistralement affirmé par le juge du contrat - 56 -

CONCLUSION - 64 -

BIBLIOGRAPHIE - 65 -

TABLE DES MATIÈRES - 72 -

Introduction

S'il y avait une manière élégante et courtoise de qualifier jadis le droit processuel des contrats publics, viennent immédiatement à l'esprit les termes d'infirmité et d'inefficacité. Infirme, le contentieux contractuel l'était assurément en ce qu'il était dépourvu, au même titre que l'ensemble du contentieux administratif, de véritable moyen destiné à garantir une application effective du droit régissant les contrats publics. Ainsi, convient-il de rappeler combien le sursis à exécution, parent défunt de l'actuel référé-suspension, fut critiqué par les praticiens et les universitaires pour sa mise en oeuvre des plus exceptionnelles. Inefficace, le contentieux contractuel l'était largement car il restait incapable d'empêcher ou de sanctionner une procédure de passation pourtant effectuée dans des conditions irrégulières. Les candidats malheureux à l'attribution d'un marché plaçaient alors leurs espoirs dans le contentieux de l'excès de pouvoir, le Conseil d'Etat ayant ouvert il y a plus d'un siècle un recours à l'encontre des actes détachables du contrat1(*). Pourtant, les délais dans lesquels le juge se prononçait pour statuer sur la légalité d'un tel acte ne lui permettaient pas de paralyser la recherche d'un accord de volontés puisque, le plus souvent, la signature du contrat intervenait antérieurement à sa décision. Quand bien même l'illégalité entachant l'acte préalable entraînait son annulation, la saisine du juge du plein contentieux afin qu'il en tire les conséquences sur le contrat constituait une suite contentieuse logique. Mais l'insouciance longtemps demeurée de la haute juridiction administrative envers les conséquences de ses décisions juridictionnelles ne participait en rien à une quelconque recherche d'efficacité des recours. L'annulation d'un acte détachable par le juge de l'excès de pouvoir restait au contraire maladivement « platonique », comme l'eût dit le Commissaire du Gouvernement ROMIEU dans ses célèbres conclusions sur l'arrêt Martin, c'est-à-dire sans aucun effet sur le contrat. Le lien entre le juge de l'excès de pouvoir et le juge du contrat restait profondément distendu en raison du refus du juge administratif, limitant par là son office, de prononcer une injonction à l'encontre des personnes publiques. Restait seulement à disposition des entreprises lésées un recours indemnitaire qui n'avait aucunement pour objet de mettre une nouvelle fois le marché en concurrence. Un acte contractuel reposant sur des fondements illégaux bénéficiait donc d'une véritable immunité qui le plaçait généralement à l'abri de toute sanction juridictionnelle. Ainsi peut être sommairement représenté le schéma contentieux tel qu'il était conçu il y a encore deux décennies. S'il reste à certains égards inchangé, il s'est depuis imprégné d'un souci constant d'efficacité « venu d'ailleurs »2(*), autrement dit, du droit communautaire.

Consciente du poids économique grandissant des marchés publics dans l'espace communautaire, la Commission Européenne eut pour action prioritaire au milieu des années quatre-vingt une recherche accrue de transparence et de mise en concurrence pour leur attribution. C'est la raison pour laquelle elle a proposé une rénovation des directives régissant les marchés publics, notamment dans le cadre de la réalisation du marché unique. Mais l'ambition dont elle a fait preuve serait sans doute restée lettre morte dans les droits des Etats membres si aucune contrainte efficace n'était venue en assurer une réelle application. Ainsi, deux directives du Conseil que l'usage dénomme par commodité directives « recours » ont pu être successivement adoptées : l'une le 21 décembre 1989 relative aux secteurs « classiques », « de base » ou encore « réseaux »3(*) ; l'autre le 25 février 1992 applicable dans les secteurs de l'eau, de l'énergie, des transports et enfin des services postaux4(*). Leur objectif est de permettre à une entreprise qui s'estime irrégulièrement écartée de l'attribution d'un marché public, de soumettre le litige à une autorité administrative indépendante ou à un juge, dans des conditions satisfaisantes d'efficacité et de rapidité. Destinées à garantir une application effective des dispositions matérielles5(*) par les autorités administratives et juridictionnelles nationales, leurs poids respectifs dans la construction du contentieux contractuel est pourtant de valeur inégale. Ce manque d'équilibre en défaveur de la seconde s'explique aisément par son objet uniquement réservé aux secteurs dits « spéciaux » ou « exclus », mais aussi, et contrairement à son aînée, en raison du faible nombre d'arrêts rendus par la Cour de Justice des Communautés Européennes sur son fondement. L'apparente inégalité qui les distingue ne doit pas pour autant masquer le profond renouvellement des pratiques contentieuses des Etats membres auquel elles ont conjointement participé.

En droit français, la transposition des directives « recours » a donné naissance aux célèbres référés précontractuels administratifs6(*), mais aussi judiciaires. Au terme de l'article L 551-1 CJA, l'objet de cette nouvelle voie de droit est de permettre au Président d'un Tribunal Administratif ou au magistrat qu'il délègue, de statuer en la forme des référés et de prendre, en premier et dernier ressort, des mesures destinées à supprimer ou corriger les manquements aux obligations de publicité et de mise en concurrence affectant la passation des contrats qui lui sont soumis. Son introduction dans le paysage juridique interne fut pleinement remarquée7(*) en ce qu'elle conférait au juge des référés des pouvoirs dont le juge du principal lui-même ne disposait pas. Une partie de la doctrine avisée a d'ailleurs vu en lui « l'émergence d'un recours contentieux du troisième type »8(*). L'étonnement qu'il suscita dans un premier temps par son caractère novateur s'est ensuite estompé, laissant place à un véritable engouement au service de la norme communautaire9(*). Mais du côté européen, la simple édiction de directives ne pouvait suffire. Convenait-il encore de leur apporter par voie jurisprudentielle une interprétation conforme aux objectifs poursuivis par le législateur communautaire. Depuis quelques années déjà10(*), la Cour de Justice a joué en ce sens un rôle déterminant en élaborant une jurisprudence à la fois ferme et dynamique, nuancée et pragmatique. C'est ainsi que les exigences des directives « recours » n'ont cessé d'être précisées, si bien que l'émergence d'un « régime contentieux des marchés publics saisi par le droit communautaire » 11(*) n'a pu échapper aux regards de certains auteurs.

Parce qu'elles sont souvent remarquables par leur concomitance flagrante et leur singulière
« parenté d'esprit et d'orientation »12(*), les solutions dégagées par les juges interne et communautaire invitent à une réflexion d'ensemble sur les rapports juridiques partagés entre ces deux ordres. Rendre compte des rapports entre les ordres interne et communautaire implique de déterminer la contribution de leurs droits respectifs dans la construction du contentieux contractuel. Il est indéniable que le droit communautaire représente un important facteur de contrainte sur le droit français car ce dernier est soumis aux obligations découlant du principe de primauté inhérent au système juridique communautaire. Ces obligations impliquent de façon traditionnelle une conformité du droit interne aux règles communautaires qui prévalent sur les lois et règlements qui ne sont pas compatibles avec elles13(*). Mais si le droit communautaire contraint le droit français, il semble que la paternité d'un droit processuel interne considéré comme efficace ne peut lui être exclusivement attribuée. Autrement dit, il est des cas dans lesquels le droit interne peut contribuer lui-même à l'élaboration de ses propres règles contentieuses. De récentes solutions dégagées à Luxembourg comme au Palais Royal incitent davantage à une telle interrogation. Le droit français s'est en effet enrichi, le 16 juillet 2007, d'un arrêt d'Assemblée Sté Tropic Travaux Signalisation14(*), lequel avait notamment pour ambition l'ouverture, au profit de certains tiers, d'un recours direct à l'encontre du contrat ou des clauses qui en sont divisibles. Deux jours seulement après la lecture de cette décision, la Cour de Justice condamne l'Allemagne pour ne pas avoir résilié des conventions conclues en violation des règles de publicité et de mise en concurrence15(*). Les ressemblances frappantes qui animent la construction du contentieux contractuel aux niveaux interne et communautaire se trouvent encore renforcées par l'adoption d'une directive16(*), elle-même destinée à modifier les directives « recours », dans la mesure où elle a pour principal objet de priver d'effets les contrats conclus en méconnaissance du droit communautaire.

On le voit, la question des rapports juridiques entre les droits interne et communautaire prend place dans un débat complexe et beaucoup plus large. Bien plus qu'un simple dialogue aujourd'hui apaisé et constructif, les rapports juridiques prennent ici une véritable allure d'« influences »17(*) réciproques dans lesquelles le droit interne peut inspirer ou influer sur la détermination des exigences communautaires. Il sera donc permis de s'émanciper du seul cadre hiérarchique et contraignant dans lequel deux ordres apparemment antinomiques s'opposent car cette vision serait profondément réductrice de la réalité juridique et aurait pour inconvénient de ne rendre compte des apports de chaque droit dans le contentieux considéré.

Au lendemain de l'arrêt Nicolo, il parut naturel au législateur national de ne pas entraver les ambitions communautaires par une transposition abusivement restrictive des directives « recours ». L'interprétation des textes par le juge interne n'a, en principe, cessé de confirmer cette volonté initiale. C'est donc dans ce climat de relations pacifiques entre les deux systèmes juridiques que l'étude des rapports entre les droits interne et communautaire dans le contentieux contractuel doit être envisagée. Il en résulte que prédominent deux tendances dont il convient dès à présent de donner la mesure. Si le droit interne s'est aujourd'hui conformé au droit communautaire, c'est au prix d'une pleine réception des exigences qui en découlent (Chapitre I). Mais il apparaît également que le droit français excède ce qu'elles impliquent et les surestime largement (Chapitre II).

Chapitre I. Une pleine réception des exigences communautaires par le droit interne

C'est à juste titre que le droit communautaire est unanimement perçu comme un facteur de contrainte sur les réglementations nationales. Ce sentiment résulte en effet des conséquences du principe de primauté ainsi que des procédures contentieuses éventuellement déclenchées à l'encontre d'un Etat velléitaire. Le contentieux contractuel atteste avec évidence de cette contrainte redoutable. Soucieux de servir au mieux le principe de légalité, le droit communautaire est animé par la dynamique d'un droit au recours effectif qu'il érige au rang de principe général du droit. Cette exigence revêt une intensité particulièrement vive lorsqu'il est question d'interpréter les directives « recours ». Le terme de « recours efficace » qu'elles préfèrent employer irrigue en effet l'ensemble des impératifs communautaires. Toutefois, cette contrainte est variablement ressentie par chaque Etat membre. Elle s'exprime différemment au sein des ordres juridiques, en fonction de l'état de développement de leur droit interne. La contrainte peut donc déployer tous ses effets, avoir un caractère novateur et contribuer à de profondes modifications des règles processuelles internes, mais elle peut également s'inscrire dans la continuité des solutions communément admises sans foncièrement les bouleverser. Par conséquent, si le droit communautaire est un facteur de contrainte modéré s'agissant de la soumission des actes à un contrôle juridictionnel (Section I), il est un puissant facteur de contrainte dans l'introduction en droit interne d'un recours juridictionnel efficace (Section II).

Section I. La soumission des actes à un contrôle juridictionnel : un facteur de contrainte modéré

La soumission des actes à un contrôle juridictionnel est imposée par le droit communautaire. La réception de cette exigence s'est effectuée avec aisance et commodité, sans perturber ni contredire le droit interne. Une procédure de passation se caractérise en effet par une succession de décisions émanant d'une personne publique. Celles-ci participent à une recherche de volontés et concourent à la formation d'un contrat. Afin de se conformer au souhait du législateur communautaire en instaurant une voie de droit efficace et de répondre aux exigences suscitées par l'effet utile des directives « recours », l'ensemble de ces actes est naturellement soumis à un contrôle juridictionnel ; qu'il s'agisse des actes du pouvoir adjudicateur (§ 1) mais aussi de l'acte contractuel (§ 2).

§ 1. Les actes du pouvoir adjudicateur

Aux termes des directives « recours », le recours précontractuel que les Etats sont tenus de mettre en place doit être efficace. Cet objectif serait compromis s'il était possible de soustraire au contrôle juridictionnel des actes ayant participé à la formation d'un contrat. C'est la raison pour laquelle le droit communautaire eut pour principale action la recherche d'une pleine soumission des actes du pouvoir adjudicateur au principe de légalité (A). Pleinement atteint, cet objectif constitue nécessairement un facteur de contrainte sur les droits des Etats membres. Mais à la réflexion, cette contrainte n'est que d'un poids relatif sur le droit français (B).

A. La recherche par le droit communautaire d'une pleine soumission des actes du pouvoir adjudicateur au principe de légalité

Après avoir amplement proclamé sa volonté de contrôler l'ensemble des actes du pouvoir adjudicateur (1), la Cour de Justice n'a cessé de mettre en oeuvre les ambitions initialement affirmées au service de l'efficacité (2).

1. Une volonté amplement proclamée

L'article 1er § 1er de la directive « recours » énonce que « les décisions prises par les pouvoirs adjudicateurs peuvent faire l'objet de recours efficaces et, en particulier, aussi rapides que possible dans les conditions énoncées aux articles suivants [...] ». Ainsi rédigée, cette disposition a permis aux administrations nationales de faire valoir leurs craintes et d'exprimer leurs réticences à l'égard de la norme communautaire. En effet, le terme de « décisions prises par les pouvoirs adjudicateurs » ne fait l'objet d'aucune définition, encore moins d'une liste précise. Son application effective aurait alors pu être compromise dans la mesure où ses silences et ses lacunes rédactionnelles étaient généralement interprétés comme autant de restrictions à sa mise en oeuvre. La Cour de Justice a pourtant pallié ces inconvénients potentiels par une jurisprudence audacieuse.

L'affaire Alcatel Austria18(*) va être l'occasion pour elle d'exprimer pour la première fois sa volonté de soumettre l'ensemble des actes du pouvoir adjudicateur au contrôle d'une instance nationale chargée des recours. En l'espèce, la question posée par une juridiction autrichienne a conduit la Cour à exiger que la décision d'attribution d'un marché fasse l'objet d'un recours au sens de la directive. La principale difficulté venait de ce que la législation nationale en cause distinguait insuffisamment la décision d'attribution du marché et la signature de celui-ci. Or, les mesures de publicité n'étant prescrites qu'à l'égard de la conclusion du contrat, les tiers n'avaient, en pratique, d'autre choix que d'exercer un recours en dommages et intérêts. La compensation s'avérait donc peu satisfaisante, compte tenu notamment des difficultés que pouvait éprouver une entreprise évincée dans la démonstration de l'étendue exacte de son préjudice et du lien de causalité avec la violation du droit communautaire. Si la Cour en déduit logiquement que l'attribution du marché doit être en mesure de faire l'objet d'un recours efficace et rapide, c'est parce que cette décision est « la plus importante de la procédure »19(*). Mais la Cour ne s'est pas contentée d'une réponse platonique. Elle a fait preuve d'audace en considérant que l'article 1er § 1er de la directive « recours » ne prévoit « aucune restriction en ce qui concerne la nature et le contenu »20(*) des décisions attaquables. Plusieurs fois reprise21(*), cette formulation résulte pleinement de l'interprétation téléologique employée par la Cour.

L'interprétation fonctionnelle a en effet pour principal avantage le rejet de toute définition complète ou exhaustive, faisant au besoin référence à des critères qui suivent une logique habituelle. Le recours à ce mode de jugement au nom de l'effet utile des directives conduit la Cour à déterminer la signification de la règle en fonction des objectifs qu'elle poursuit. Ainsi, elle ne justifie la solution retenue que par le seul but escompté par le législateur. Or, l'objectif à atteindre est des plus larges puisqu'il consiste en une meilleure application du droit communautaire matériel par l'ouverture des recours. C'est ainsi que les décisions susceptibles de recours doivent s'entendre « dans le sens d'une interprétation favorable à la protection juridique »22(*).

Par sa décision Alcatel Austria, la Cour de Justice a posé les jalons d'une construction jurisprudentielle audacieuse dont le dynamisme a été favorisé par la méthode d'interprétation employée. Mais fallait-il encore en parachever l'édification par une mise en oeuvre concrète au service de l'efficacité.

2. Une mise en oeuvre au service de l'efficacité

L'ensemble des affaires parvenues au prétoire de la Cour du Luxembourg met en évidence les arguments dont ont fait usage les administrations nationales afin d'entraver l'application effective de l'article 1er § 1er de la directive « recours ». Les argumentations développées étaient d'abord fondées sur l'absence de réglementation de l'acte du pouvoir adjudicateur par les directives matérielles, puis sur sa localisation dans la procédure de passation.

Les considérants des directives « recours » justifient leur existence. Ces textes ont pour fonction de garantir une application effective des directives matérielles qui sont par elles-mêmes dépourvues de tout moyen de contrainte à cet égard. Offrir un droit à un justiciable sans lui en garantir le respect atteste en effet de l'insuffisance d'une réglementation. Mais ces précisions étant données, la sanction juridique des seules directives matérielles porterait incontestablement atteinte à l'effet utile du Traité communautaire qu'elles concrétisent ainsi qu'à l'effet utile attaché à la directive « recours ». C'est la raison pour laquelle la Cour de Justice a admis, à plusieurs reprises, que les actes non réglementés par les directives matérielles sont susceptibles de recours. Dans l'affaire Hospital Ingenieure23(*), la question lui a été posée de savoir si la décision de retrait d'un appel d'offres devait faire l'objet d'un recours efficace et rapide au sens de la directive. La difficulté juridique venait de ce que la directive matérielle applicable au cas d'espèce ne précisait en rien les conditions de retrait d'un appel d'offres, si ce n'est de manière sommaire et laconique. La Cour a logiquement considéré, eu égard à l'objectif de renforcement des voies de recours, que « dès lors que la décision du pouvoir adjudicateur de retirer un appel d'offres pour un marché public de services est soumise aux règles matérielles pertinentes du droit communautaire, il y a lieu de conclure qu'elle relève également des règles prévues par la directive 89/665 afin de garantir le respect des prescriptions du droit communautaire en matière de marchés publics »24(*). Cette solution a été confirmée, notamment dans une affaire Makedoniko Metro25(*), au sujet des groupements d'entreprises. La question posée par la juridiction de renvoi était de savoir si, compte tenu du fait que la modification de ces groupements ne fait l'objet d'aucune précision par les directives matérielles, les décisions du pouvoir adjudicateur qui s'y rapportent demeurent susceptibles de recours. La Cour a logiquement répondu par l'affirmative en considérant que même si la modification d'un groupement n'est pas réglementée par les directives matérielles, les principes des traités, notamment le principe d'égalité de traitement, régissent également les procédures de passation des marchés publics. Il apparaît donc que l'absence de réglementation par les directives matérielles d'un acte pris par le pouvoir adjudicateur est indifférent à la possibilité dont disposent les entreprise lésées d'exercer un recours à son encontre. Un libéralisme identique inspire la jurisprudence communautaire lorsqu'il est question de soumettre aux directives « recours » un acte pris par le pouvoir adjudicateur en amont et en dehors d'une procédure formelle de passation.

Du point de vue de l'effectivité des recours, le moment de la prise d'un acte importe peu. La Cour de Justice a d'ailleurs jugé lors d'un recours en manquement à l'encontre de l'Espagne26(*) qu'il n'était pas exclu que des actes de procédure, telles que de simples mesures préparatoires ou études préliminaires, soient attaquables. Mais considérer comme susceptibles de recours des actes sans véritable rapport avec une procédure de passation aurait pour désavantage d'encourager les actions dilatoires et contreviendrait assurément au principe de sécurité juridique implicitement consacré par les directives « recours ». C'est pourquoi la Cour a précisé que pour être justiciables, il est nécessaire que les actes en question « tranchent, directement ou indirectement, le fond de l'affaire ; qu'ils entraînent l'impossibilité de poursuivre la procédure ; ou qu'ils causent des préjudices irréparables à des droits ou intérêts légitimes »27(*). La solution dégagée a été confirmée par l'arrêt Stadt Halle28(*) dans lequel la Cour a précisé que le refus du pouvoir adjudicateur d'engager une procédure formelle de passation est une décision au sens des directives. Par conséquent, peu importe que l'acte soit pris en dehors et en amont d'une procédure formelle de passation.

Le refus d'enfermer la logique contentieuse dans le formalisme aboutit à ce que les silences de l'article 1er § 1er deviennent en réalité la source de son efficacité. Cette disposition doit alors être interprétée en ce sens qu'il ne ressort « aucune indication restrictive ni aucun autre indice permettant une quelconque restriction du champ des décisions [susceptibles de recours] en fonction de leur contenu »29(*). Conçue de manière aussi extensive et illimitée, la notion de « décisions prises par les pouvoirs adjudicateurs » contraint assurément les Etats membres dans les conditions d'ouverture des recours tenant aux actes attaquables. Ils ne peuvent en effet difficilement restreindre les actes susceptibles de recours sans méconnaître le droit communautaire. Le poids de cette contrainte s'avère néanmoins relatif sur le droit français.

B. Le poids relatif de la contrainte communautaire sur le droit interne

Sans méconnaître l'intensité de la contrainte, l'intégration des exigences communautaires relatives aux actes susceptibles de recours n'a pas révolutionné le droit français. Si leur réception est largement restée indifférente à la pratique contentieuse (1), elle ne doit toutefois pas masquer la présence de résistances internes ponctuelles (2).

1. Une réception largement indifférente des exigences communautaires

En vertu de l'article L 551-1 CJA, le juge des référés précontractuels peut être saisi de toute décision relative à une procédure de passation. La formulation retenue par cette disposition étant des plus larges, il appartient au juge d'en délimiter les contours et de définir les actes qui lui sont soumis, tout en respectant l'interprétation des directives donnée par la Cour de Justice.

Avant l'avènement des référés précontractuels en droit interne, les décisions des personnes publiques préalables à la conclusion du contrat étaient seulement susceptibles d'un recours pour excès de pouvoir en leur qualité d'actes détachables. La détachabilité était d'ailleurs largement reconnue30(*), car élaborée il y a plus d'un siècle, elle participait à une politique classique de lutte contre l'arbitraire ayant pour corollaire une justiciabilité accrue des actes émanant de l'Administration. C'est aujourd'hui avec cette fiction de l'acte détachable que cohabitent les référés précontractuels. Il paraissait donc évident de considérer comme attaquable au sens de l'article
L 551-1 CJA un acte susceptible de recours pour excès de pouvoir. Ainsi, pour n'en donner que quelques exemples, la décision d'attribution du contrat ou celle autorisant sa signature sont soumis aux référés précontractuels.

Il apparaît néanmoins que les actes justiciables des référés précontractuels possèdent une acception plus large encore que ceux attaquables au titre du recours pour excès de pouvoir. Pour illustration, le Conseil d'Etat admet le recours d'un opérateur à l'encontre d'une décision lui refusant l'ouverture des négociations et n'ayant fait l'objet d'aucune formalisation puisqu'elle découlait implicitement de l'engagement des pourparlers avec les candidats retenus31(*). Il en va de même pour les avis d'appel public à la concurrence qui, attaquables au titre de l'article L 551-1 CJA32(*), demeurent insusceptibles de recours pour excès de pouvoir. Ils sont en effet assimilés à des mesures préparatoires prenant place dans la réflexion interne de l'Administration. Les solutions ainsi dégagées par le juge ont le mérite de se conformer avec évidence aux exigences communautaires, notamment celles émanant des arrêts Commission contre Royaume d'Espagne et Stadt Halle. Toutefois, il semble que la contestabilité d'actes simplement préparatoires n'ait en rien bouleversé la pratique contentieuse française. En effet, dès lors qu'un acte est insusceptible de recours pour excès de pouvoir, car dénué de portée décisoire, l'irrégularité qui l'affecte peut être invoquée à l'appui d'un recours exercé à l'encontre d'un acte ultérieur et directement attaquable. L'acte insusceptible de recours pour excès de pouvoir ne peut donc se soustraire à la sanction du principe de légalité.

Par conséquent, les solutions retenues par le juge des référés précontractuels n'ont aucunement altéré la pratique contentieuse interne car elles s'inscrivent directement dans la continuité de celles admises au titre du recours pour excès de pouvoir. Elles consistent à faciliter l'accès au prétoire en considérant comme susceptibles de recours un nombre d'actes toujours plus important. Le poids de la contrainte communautaire se réduit donc à ce que le juge ne se distancie outre mesure des solutions dégagées au titre du contentieux de l'acte détachable. Mais le référé précontractuel est imposé par le droit communautaire. Cela signifie que dans une politique de résistance, la jurisprudence aurait parfaitement pu se départir des solutions dégagées par le juge de l'excès de pouvoir pour contenir une conception plus restrictive des décisions susceptibles de recours. Ces résistances existent mais demeurent fort heureusement ponctuelles.

2. Des résistances ponctuelles

La volonté de circonscrire les avancées communautaires dans le contentieux interne s'est traduite par une limitation de l'office du juge des référés précontractuels. Ce dernier s'est interdit, à deux reprises, d'exercer son contrôle sur certains actes pourtant susceptibles de recours pour excès de pouvoir.

La première limite est relative à la décision de retrait d'un appel d'offres. Sur ce point, le droit français contredit la lettre même de la jurisprudence communautaire. Celle-ci indique de manière explicite que « dans la mesure où, en vertu du droit national [...], il n'est pas possible pour un soumissionnaire de contester une décision de retrait d'un appel d'offres en ce qu'il est contraire au droit communautaire et de demander pour cette raison son annulation, le droit national ne respecte pas les exigences (...] de la directive 89/665 »33(*). Parce qu'elle bénéficie d'un pouvoir discrétionnaire, la personne responsable du marché se voit reconnaître par le droit français la faculté de ne pas donner suite à une procédure de passation pour un motif d'intérêt général. Dans cette hypothèse, une jurisprudence constante interdit au juge des référés précontractuels d'exercer ses pouvoirs. Cette prohibition s'exprime de deux manières. D'une part, le retrait par l'administration des procédures d'appel d'offres rend sans objet le pourvoi en cassation contre l'ordonnance ayant rejeté les demandes dirigées contre ces procédures34(*). D'autre part, le juge rend une ordonnance de non lieu sur le pourvoi dirigé contre l'ordonnance ayant statué sur une procédure d'appel d'offres lorsque, après avoir décidé de ne pas lui donner suite, la personne publique lance une nouvelle procédure et attribue la marché35(*). Ces solutions peuvent sembler surprenantes. Elles sont difficilement justifiables si l'on argue de la volonté du Conseil d'Etat d'entraver à moindre mesure le pouvoir discrétionnaire traditionnellement reconnu à l'Administration. Il est en effet admis que le juge administratif encadre de tels pouvoirs par le contrôle qu'il effectue sur les décisions des personnes publiques. Le contentieux de l'expropriation dans lequel il exerce un contrôle de proportionnalité sur les déclarations d'utilité publique révèle par exemple cet effort constant. Par ailleurs consciente du compromis qui prévaut entre la pérennité du pouvoir discrétionnaire et la limitation des exclusions arbitraires des candidats potentiels, la Cour de Justice admet que l'instance nationale responsable des recours s'en tienne à un contrôle restreint36(*). Il est donc certain que le refus du juge des référés précontractuels d'exercer son contrôle sur la procédure une fois l'appel d'offres retiré s'explique par la résistance aux contraintes communautaires. Pourtant, une telle limitation de son office peut conduire à ce qu'une entreprise lésée lors de la première procédure bénéficie de chances obsolètes lorsque l'Administration relance la consultation, sans qu'elle puisse utilement introduire un recours précontractuel à l'encontre de la décision de retrait. Pire encore dans l'hypothèse où l'administration ne relance aucune procédure d'attribution.

La seconde limite concerne la décision de signer le contrat. Cette décision est révélée par l'acte contractuel puisqu'en principe, seul ce dernier fait l'objet de mesures de publicité. La décision de signer lui est donc matériellement inséparable. Très tôt, le juge des référés précontractuels a estimé que ces pouvoirs cessent une fois le contrat conclu37(*). Il rejette alors la requête et juge le recours irrecevable s'il est intenté après la signature ou sans objet si cette dernière intervient en cours d'instance38(*). En raison de sa constance, de sa rigueur, de ses conséquences pratiques, cette limitation que le juge a infligé à son office n'a pu échapper à la critique. Mais contrairement au refus du juge des référés de connaître de la décision de retrait d'un appel d'offres, la contradiction avec le droit communautaire est moins flagrante puisque la Cour n'a aucunement remis en cause le caractère strictement précontractuel des référés. La solution dégagée par le juge interne contrarie néanmoins l'insaisissable effet utile constamment attaché à la directive « recours ».

Ces deux limites peuvent être considérées comme ponctuelles en ce que leur quantité ne révèle en rien une discordance éclatante avec le droit communautaire. Elles témoignent davantage de l'ultime intention du juge de contenir les avancées d'un droit étranger dans le contentieux contractuel interne. Enfin, les critiques dont elles ont fait l'objet ont perdu depuis peu de leur ardeur puisqu'un recours juridictionnel est susceptible de s'ouvrir à l'encontre de l'acte spécifique que représente le contrat.

§ 2. L'acte contractuel

Les exigences communautaires sont souvent présentées comme revêtant un caractère novateur. Cette qualité doit pourtant leur être déniée s'agissant de l'obligation d'instituer un recours à l'encontre du contrat, le droit interne ayant contribué à un « respect du droit européen anticipé »39(*). C'est ainsi que par son antériorité, le droit français est d'une incidence certaine dans la détermination des exigences communautaires (A). L'influence du droit communautaire dans la modification des règles contentieuses internes en est corrélativement réduite (B).

A. L'incidence de l'antériorité du droit français dans la détermination des exigences communautaires

Affirmer que le droit français est en mesure d'influer sur la fixation des impératifs communautaires revient à dire que le premier représente un modèle ou un exemple juridique pour le second. Le droit interne, en tant que source d'inspiration, participe donc à l'élaboration des exigences européennes. Pour jouer le rôle de droit référent, deux conditions doivent être réunies : l'une tenant à un retrait passé du droit communautaire (1), l'autre, à une construction initialement hors contrainte du contentieux interne (2).

1. Le retrait passé du droit communautaire

L'article 2 § 6 de la directive « recours » relative aux secteurs « classiques » énonce que « sauf si une décision doit être annulée préalablement à l'octroi de dommages-intérêts, un Etat membre peut prévoir que, après la conclusion du contrat qui suit l'attribution d'un marché, les pouvoirs de l'instance responsables des procédures de recours se limitent à l'octroi des dommages-intérêts à toute personne lésée par une violation ». Il apparaît donc que le contrat, même irrégulier peut être maintenu. L'office du juge interne peut a priori s'en tenir à une simple constatation de l'irrégularité donnant droit à l'allocation d'une indemnité destinée à compenser le préjudice subi. Cette analyse fondée sur une lecture littérale du texte a très tôt et à plusieurs reprises été confirmée par la Cour de Justice, celle-ci préférant privilégier dans un souci constant de sécurité juridique l'exercice de recours préalable à la conclusion du contrat40(*).

Il appartenait donc traditionnellement aux ordres juridiques nationaux de déterminer les conséquences impliquées par la conclusion d'un contrat irrégulier. Certains ont d'ailleurs fait remarquer que la volonté de stabiliser les situations contractuelles en violation du droit communautaire constituait un « irréductible buttoir »41(*) à une réelle efficacité des directives « recours ». L'espace juridique de liberté ainsi crée a permis aux Etats de construire leurs règles contentieuses à l'abri de la sphère contraignante issue du droit communautaire.

Ce schéma classique a récemment été bouleversé. La Cour de Justice a en effet reconnu l'obligation pour les Etats de résilier les conventions conclues en méconnaissance du droit communautaire42(*). De même, la nouvelle directive « recours » impose aux Etats que les instances nationales de recours soient en mesure de priver d'effets les contrats conclus dans certaines hypothèses de violation du droit communautaire43(*).

On le voit, le droit communautaire ne se désintéresse plus du contrat. Or, ce dernier fait depuis longtemps l'objet de préoccupations variées dans le contentieux contractuel interne. L'emploi par les institutions communautaires d'une analyse comparative faisant appel à la diversité des droits internes44(*) laisse penser que la construction française initialement hors contrainte représente une référence dans la fixation des impératifs communautaires.

2. Une construction contentieuse initialement hors contrainte : une référence dans la fixation des impératifs communautaires

La sanction juridictionnelle à l'initiative des tiers à l'encontre d'un contrat n'est pas nouvelle en droit interne. C'est ainsi que le recours pour excès de pouvoir est recevable à l'encontre des dispositions réglementaires d'un contrat administratif45(*). Il en va de même pour certains d'entre eux tels que des contrats de recrutement d'agents non titulaires46(*). Surtout, les tiers évincés d'un contrat sont en droit de saisir le juge de l'excès de pouvoir à l'encontre d'un acte détachable, qui, s'il est annulé, permet au juge du contrat d'être saisi par la personne publique enjointe47(*) pour en tirer les conséquences sur l'acte contractuel. Cette dernière voie de droit reste accessible aux simples tiers puisque les tiers évincés bénéficient aujourd'hui du recours de pleine juridiction institué par l'arrêt d'Assemblée Sté Tropic Travaux Signalisation.

Sans pour autant faire preuve de nationalisme, l'arrêt Institut de Recherche pour le Développement a, semble t-il, inspiré la doctrine étrangère dans une tentative d'établissement d'un lien de parenté entre cette solution et la consécration au niveau communautaire de la justiciabilité du contrat48(*). Il est vrai que le droit français peut être considéré comme efficace et performant à l'inverse des différents droits étrangers pour lesquels un recours à l'encontre du contrat est souvent inexistant et sa sanction encore plus exceptionnelle49(*).

Quelque soit l'incidence du droit français dans la fixation des impératifs communautaires, les effets en retour dans l'ordre interne d'une tradition juridique exportée au niveau européen peuvent parfois conduire à un une remise en cause de solutions pourtant bien établies en droit interne. Mais ici, force est de constater que l'influence du droit communautaire dans la modification des règles contentieuses française est réduite.

B. L'influence réduite du droit communautaire dans la modification des règles contentieuses internes

Les tiers évincés d'une procédure d'attribution disposent, depuis le 16 juillet 2007, d'un recours direct et de plein contentieux objectif à l'encontre du contrat. Les autres tiers en restent privés et bénéficient toujours de la complexité et des désavantages des recours antérieurs. Il est évident que le droit communautaire est à l'origine de cette simplification contentieuse (1). La souhaitant pourtant depuis longue date, le droit interne n'y est pas étranger (2).

1. Une simplification contentieuse imposée par le droit communautaire

Les tiers évincés bénéficiaient autrefois d'un recours à l'encontre des actes détachables du contrat. Si le juge de l'excès de pouvoir en reconnaissait la nullité, l'entreprise écartée devait bien souvent se tourner vers le juge de l'exécution de manière à ce que la personne publique soit enjointe de saisir le juge du contrat. Il appartenait ensuite à ce dernier de prononcer le cas échéant la nullité du contrat sous réserve de conditions déterminées.

Si ces méandres procéduraux semblaient acceptables au regard d'un droit communautaire désintéressé du contrat, ils sont devenus problématiques suite à l'attention récemment marquée des institutions communautaires dont il fait l'objet. Les impératifs de célérité ou d'efficacité et surtout l'effet utile ne pouvaient supporter de telles complications contentieuses. C'est la raison pour laquelle le Commissaire du gouvernement CASAS a, dans ses conclusions sur l'affaire Sté Tropic Travaux Signalisation, proposé à l'Assemblée d'ouvrir « au bénéfice de personnes qui ne sont pas les parties au contrat, la possibilité d'atteindre directement celui-ci »50(*). Son argumentation est notamment justifiée par l'existence de la nouvelle directive « recours » encore à l'état de simple projet ainsi que par les seules conclusions de l'Avocat général TRSTENJAK51(*) relative à l'arrêt Commission contre Allemagne.

Par conséquent, les exigences communautaires ne sont pas étrangères à la mise en place d'un recours direct à l'encontre du contrat. Même si aucune nécessité juridique n'imposait à la haute juridiction administrative d'adopter une telle solution, il est flagrant que la prise en compte du droit communautaire par l'Assemblée traduit une prise de conscience sur l'orientation générale et à venir de la jurisprudence du Conseil d'Etat52(*). Est-il pour autant certain que le droit communautaire ait été le seul facteur de modification des règles contentieuses internes ? Une réponse négative doit être apportée car la simplification contentieuse opérée par l'arrêt Sté Tropic Travaux Signalisation était de longue date vivement souhaitée en droit français.

2. Une simplification contentieuse souhaitée en droit interne

Depuis longtemps, la complexité du contentieux interne suscite bon nombre de critiques, indépendamment de toute exigence communautaire. Par exemple, un même juge peut intervenir successivement à quatre titres : d'abord en tant que juge des référés précontractuels, mais surtout en tant que juge de l'excès de pouvoir, de l'exécution, puis du contrat53(*). La lourdeur du contentieux n'incitait aucunement le requérant qui s'estimait lésé à l'introduction d'un recours, de sorte qu'à l'unanimité, la doctrine en appelait le jurislateur à « une clarification du contentieux de la légalité »54(*) par « l'ouverture aux tiers d'un recours direct contre les contrats »55(*).

L'ouverture d'un recours direct en faveur des tiers évincés prend donc place dans un débat ancien et d'ordre purement interne. Il n'est donc pas certain que sans la présence d'une contrainte communautaire, le Conseil d'Etat se soit refusé à franchir le pas d'une telle évolution jurisprudentielle. Par conséquent, l'influence du droit communautaire en est fatalement réduite car l'affaire Sté Tropic Travaux Signalisation fut autant l'occasion pour le Conseil d'Etat de répondre aux nombreux appels de la doctrine sollicitant une simplification du contentieux que de s'adapter aux exigences communautaires à venir.

On le voit, l'intégration des exigences communautaires afférentes aux actes susceptibles de recours au sens des directives s'est opérée avec douceur et sans véritables remises en cause des habitudes contentieuses internes. Pour cette raison, le droit communautaire représente un facteur de contrainte modéré. En revanche, d'autres hypothèses témoignent d'une contrainte revêtant une intensité particulièrement vive. La réception du droit communautaire par le droit interne se veut plus douloureuse et s'effectue difficilement, parfois même au prix de sacrifices. Il en va ainsi de l'instauration en droit français d'un recours juridictionnel efficace pour lequel les exigences communautaires représentent un puissant facteur de contrainte.

Section II. L'instauration d'un recours juridictionnel efficace : un puissant facteur de contrainte

L'efficacité imprègne l'ensemble des exigences communautaires, ce qui prête au terme un caractère obscur. Activement recherchée par le droit communautaire, elle représente un puissant facteur de contrainte. Le droit interne ne dispose que d'une marge de manoeuvre des plus restreintes dans l'élaboration des règles contentieuses puisque le droit communautaire se veut pour l'essentiel précis, rigoureux et oppressif. Il est certain que sans cette contrainte, le droit interne ne serait parvenu à un tel degré de développement. De par son caractère révolutionnaire et novateur, elle impose au droit français une mise en oeuvre simplifiée des recours (A) ainsi qu'une attribution de larges pouvoirs au juge des référés précontractuels (B).

§ 1. Une mise en oeuvre simplifiée des recours

L'interprétation de la directive conduit à ce que le requérant dispose de réelles possibilités d'intenter un recours. C'est pourquoi la Cour de Justice a d'abord veillé à éliminer les entraves à leur exercice (A) puis à renforcer les garantes procédurales favorisant l'accès au juge (B).

A. L'élimination des entraves à l'exercice d'un recours efficace

Pour être efficace au sens de la directive, le recours mis à disposition des entreprises évincées ne saurait être subordonné à un formalisme exacerbé. Il serait en effet paradoxal d'ouvrir une nouvelle voie de droit réputée efficace et rapide en lui donnant un caractère dissuasif afin d'en limiter l'exercice. Plusieurs affaires tranchées par la Cour de Justice attestent pourtant des obstacles procéduraux dont les Etats membres ont fait usage afin de limiter l'accès au juge des référés. Ces entraves consistent à exiger du requérant l'exercice préalable d'un recours au fond (1) ou d'un recours gracieux (2).

1. La prohibition des recours préalables au fond

Le droit communautaire reconnaît aux Etats membres un principe d'autonomie procédurale. Ceux-ci restent donc, en principe, libres de définir les modalités d'exercice d'un recours devant les juridictions nationales, sous réserve de ne pas porter atteinte aux objectifs poursuivis par les directives « recours ». Lors de sa transposition en droit français, le législateur a choisi, non sans douleur, de ne pas exiger des requérants l'exercice préalable d'un recours au fond. L'on sait en effet combien cette règle qui gouvernait autrefois la recevabilité du sursis à exécution était traditionnelle dans le contentieux de l'urgence. Aujourd'hui encore, sa méconnaissance entraîne en principe l'irrecevabilité du recours en référé-suspension. Mais ce choix a logiquement été approuvé par la jurisprudence communautaire. Dans un arrêt en manquement56(*), la Cour a d'abord condamné la République hellénique en ce que sa réglementation nationale subordonnait la saisine du juge des référés à un recours principal en annulation de la décision administrative litigieuse. Confirmant cette solution, elle a ensuite précisé à l'encontre de l'Espagne57(*) qu'une réglementation nationale ne pouvait exiger, au titre d'un recours préalable au fond, une simple lettre non motivée par laquelle le requérant fait savoir qu'il entend attaquer la décision au principal. Peu importe le degré requis de formalité : un juge efficace et rapide au sens des directives « recours » est un juge autonome et sa saisine ne peut être l'accessoire d'un recours exercé à titre principal.

La rigueur des solutions dégagées par la Cour dans l'interprétation des impératifs de rapidité et d'efficacité appliqués aux recours préalables au fond laissait présager une rigueur identique à l'égard des recours préalables gracieux.

2. Le strict encadrement des recours préalables gracieux

La lettre de la directive « recours » ne prohibe aucunement le procédé du recours préalable gracieux. Elle prévoit en effet que les Etats « peuvent exiger que la personne qui souhaite [saisir une instance nationale] ait préalablement informé le pouvoir adjudicateur de la violation alléguée et de son intention d'introduire un recours »58(*). Mais poursuivant sa construction jurisprudentielle rigoriste, la Cour a estimé d'emblée que « le fait de subordonner l'accès aux procédures de recours prévues par la directive 89/665 à la saisine préalable d'une commission de conclusion [...], serait contraire aux objectifs de rapidité et d'efficacité de cette directive »59(*). Si la Cour de Justice interprète de manière aussi sévère les libertés laissées à disposition des Etats dans la détermination des modalités d'accès au juge, c'est parce qu'elles ont face à elles le dynamisme inhérent au droit à un recours effectif. Imposée par le droit français à peine d'irrecevabilité du recours précontractuel, l'obligation d'exercer un recours préalable gracieux auprès de l'administration a été supprimée lors de la réforme des procédures d'urgence60(*). La disparition de cette règle processuel à laquelle le contentieux administratif reste attaché ne suscite pas de regret. Cette absence d'amertume s'explique sans doute par les inconvénients pratiques qu'elle provoquait autrefois et que l'on dénommait par habitude course à la signature. Cependant, la prohibition exprimée par la Cour de Justice ne revêt pas un caractère absolu. Il est désormais prévu que les Etats ont la faculté d'exiger des requérants l'introduction d'un recours gracieux devant le pouvoir adjudicateur, mais en ce cas, « ils veillent à ce que l'introduction dudit recours entraîne la suspension immédiate de la possibilité de conclure le marché » 61(*). Cette obligation ne concerne que les contrats de droit privé puisque seuls les référés précontractuels administratifs ne sont plus subordonnés à l'exercice préalable d'un recours gracieux.

L'élimination par la Cour des entraves à l'exercice d'un recours efficace ne pouvait suffire. Fallait-il encore en simplifier l'exercice par un renforcement des garanties procédurales favorisant l'accès au juge.

B. Le renforcement des garanties procédurales favorisant l'accès au juge

L'accès au juge n'implique pas seulement une voie de droit structurée en faveur d'une meilleure protection juridique. Elle suppose également une organisation particulière de la procédure de passation des marchés publics. C'est pourquoi le droit interne doit offrir au requérant ce que le droit communautaire qualifie de « protection juridictionnelle globale »62(*), c'est à dire des possibilités réelles et concrètes d'intenter un recours. Il doit être en mesure de garantir aux entreprises candidates un délai minimal entre son éviction et la signature du marché et de leur communiquer les motifs ayant conduit au rejet de leurs offres.

1. L'instauration d'un délai minimal entre la décision d'attribution et la signature du contrat

La reconnaissance par la Cour de Justice de l'obligation faite aux Etats de garantir un recours à l'encontre de la décision d'attribution du marché a pour conséquence immédiate l'écoulement d'un délai la séparant de la signature du contrat63(*). En effet, une procédure de passation est souvent caractérisée par sa brièveté de sorte que si la décision d'attribution est juridiquement attaquable, l'absence de ce délai pourrait conduire à une signature imminente. La saisine du juge serait en pratique rendue impossible. Par conséquent, le requérant serait privé d'un recours rapide et efficace au même titre que la directive serait dénuée de son effet utile. Or, le déroulement de la passation du marché doit favoriser l'exercice des recours de façon à corriger au plus tôt les irrégularités entachant cette procédure. C'est pourquoi la Cour a conclu par la suite que le délai imposé entre la décision d'attribution et la signature du marché doit être raisonnable64(*). En réponse aux arrêts Alcatel Austria et Commission contre Autriche, le législateur français a d'abord soumis les personnes publiques au principe d'un délai raisonnable, puis d'un délai de 10 jours entre la décision d'attribution et la signature du contrat. Ces dispositions insérées dans le code des marchés publics demeurent confortées, dans leur principe, par les exigences de la nouvelle directive « recours ». Celle-ci prévoit en effet que l'entité adjudicatrice est tenue de s'abstenir de signer le contrat pendant un délai qui ne peut être inférieur à dix jours calendaires65(*). Demeurent néanmoins quelques points de divergence entre les droits interne et communautaire, notamment quant aux exceptions prévues pour échapper à l'application de ce délai dit de stand still.

La volonté d'insérer un tel délai dans les pratiques contentieuses internes témoigne de l'effort constant du droit communautaire visant à paralyser la pratique des signatures précipitées. Mais si elle est au coeur des préoccupations des institutions communautaires, c'est parce que dans bon nombre d'Etats membres, la signature du contrat réduit concrètement l'office du juge à la seule allocation de dommages et intérêts. Il n'en est pas ainsi en droit français puisqu'un recours juridictionnel peut s'ouvrir à l'encontre du contrat conclu. De plus, il n'est pas dans l'intérêt des personnes publiques de signer le contrat sans se soucier des conséquences d'une éventuelle annulation en cours d'exécution ou pire encore dans l'hypothèse où le contrat est entièrement exécuté66(*). La sanction assurée d'une procédure de passation est préférable à l'annulation probable du contrat.

L'instauration d'un délai minimal entre la décision d'attribution et la signature du marché est néanmoins imposée en droit français. Elle permet aux candidats évincés de disposer du temps nécessaire à l'introduction d'un recours précontractuel. Mais pour que ce recours soit considéré comme efficace, convient-il encore de leur communiquer les motifs ayant conduit au rejet de leurs offres.

2. La communication aux candidats évincés des motifs ayant conduit au rejet de leurs offres

Dans son arrêt Commission contre Autriche, la Cour de Justice consacre sur le fondement d'une protection juridictionnelle globale l'obligation pour les Etats d'informer les soumissionnaires de la décision d'adjudication. Elle précise qu'une « législation relative à l'accès aux documents administratifs qui se contenterait de prévoir l'information des soumissionnaires sur les seules décisions qui les concernent directement »67(*) ne peut suffire à satisfaire aux exigences de la directive « recours ». Soucieux de se conformer à ces impératifs, le code français des marchés publics prévoit que le pouvoir adjudicateur avise par courrier les candidats du rejet de leur offre ou de leur candidature. Elle mentionne également les motifs de ce rejet sachant que l'entreprise écartée de la procédure peut ultérieurement en demander le détail. Reprenant à son compte la jurisprudence de la Cour, la nouvelle directive « recours » impose que la décision d'attribution soit communiquée à chaque soumissionnaire et candidat concernés, accompagnée le cas échéant « d'un exposé synthétique des motifs pertinents »68(*)

L'interprétation des directives « recours » conduit une nouvelle fois à formuler des exigences procédurales qu'elles ignorent. Il est surtout remarquable que le dynamisme dont elles sont douées ne se limite aucunement à l'organisation particulière du recours en référé précontractuel. Elles impliquent inéluctablement une adaptation du droit matériel applicable à la procédure de passation dès lors que ces règles sont susceptibles de déteindre sur l'effectivité des règles processuelles. Par conséquent, la réglementation matérielle ne saurait être de nature à restreindre la garantie d'un droit au recours effectif.

Faciliter l'accès au juge par une mise en oeuvre simplifiée des recours contribue à la recherche d'un recours juridictionnel efficace. Mais cela ne peut suffire car le juge doit encore disposer des pouvoirs lui permettant de finaliser cet objectif.

§ 2. Les pouvoirs du juge des référés précontractuels

C'est incontestablement sur l'attribution des larges pouvoirs aux juges des référés précontractuels que la réception des exigences communautaires fut la plus délicate pour le droit français. En effet, la reconnaissance de tels pouvoirs au juge des référés dans les secteurs « classiques » s'est effectuée par le biais d'une intégration douloureuse (A). En revanche, la transposition de la directive relative aux secteurs « exclus » s'est avérée plus prudente et laborieuse de la part du législateur national (B).

A. Les pouvoirs du juge des référés secteurs « de base » : une transposition douloureuse

La directive « recours » relative aux secteurs « classiques » impose au droit interne l'attribution de pouvoirs considérables aux instances nationales. Elle prévoit en particulier que ces dernières soient en mesure d'accorder aux entreprises lésées des dommages et intérêts, mais surtout d'annuler les décisions illégales, de prendre des mesures provisoires ayant pour but de corriger la violation alléguée ainsi que de suspendre la procédure d'attribution en cause ou toute décision prise par les pouvoirs adjudicateurs69(*).

En réponse à ce texte, l'article L 551-1 CJA offre au Président du Tribunal Administratif la faculté d'« ordonner à l'auteur du manquement de se conformer à ses obligations et suspendre la passation du contrat ou l'exécution de toute décision qui s'y rapporte », ainsi que, cela va de soi, d'annuler les clauses ou prescriptions destinées à figurer dans le contrat méconnaissant les obligations de publicité ou de mise en concurrence.

Cette disposition ne doit évidemment pas être lue dans le contexte actuel, mais au moment de son édiction par le législateur français. En 1992, le droit interne ne portait pour l'essentiel guère d'intérêt à l'exécution des décisions rendues par les juridictions administratives. Le législateur de 1980 a pourtant incité le juge administratif à l'emploi de mesures, telles que l'astreinte, destinées à contraindre les personnes publiques à l'exécution des décisions de justice. Le Conseil d'Etat, en revanche, n'y prêtait pas d'attention et refusait de mettre en pratique ces mesures d'exécution. Le droit communautaire a donc pleinement contribué au développement des mesures d'exécution dans le droit processuel des contrats, alors qu'il fallut attendre la seconde moitié des années quatre-vingt-dix pour que le procédé de l'injonction soit mis en oeuvre dans l'ensemble du contentieux administratif.

Ces techniques d'exécution destinées à contraindre l'administration sont aujourd'hui largement connues du droit processuel interne. De fait, le contraste des pouvoirs conférés au juge des référés précontractuels dans les secteurs « classiques » avec ceux attribués aux juges des différents contentieux est moins intense. Il parût donc plus évident au législateur, lors de la réforme des procédures d'urgence, de reconnaître au juge la faculté, dès qu'il est saisi, d'enjoindre à la personne publique de différer la signature du contrat jusqu'au terme de la procédure et pour une durée maximale de vingt jours.

On le voit, même si le contentieux administratif a comblé son retard par rapport aux spécificités du droit processuel des contrats publics imposées par le droit communautaire, la transposition de la directive « recours » fut particulièrement douloureuse. Le juge des référés s'est trouvé muni de pouvoirs méconnus du juge du principal. Cette intégration fut d'autant plus délicate que trois années plus tard, le législateur national devait intervenir une nouvelle fois en vue de transposer la directive « recours » relative aux secteurs « exclus ». Il ne tient aucunement du hasard si cette transposition fut des plus laborieuses.

B. Les pouvoirs du juge des référés secteurs « exclus » : une transposition laborieuse

L'évidente difficulté pour le législateur interne à conférer au juge des référés secteurs de « base » de larges pouvoirs se trouve confirmée par son attitude envers la transposition de la directive « recours » relative aux secteurs « exclus ». La réception des exigences issues de la directive de 1992 s'est en effet traduite par une transposition prudente, minimaliste et, peut-on dire, à la limite de ce qu'impose le droit communautaire.

La directive « recours » relative aux secteurs « exclus » offre aux Etats une alternative. Ceux-ci sont en mesure de conférer au juge des référés, soit le pouvoir de « prendre des mesures provisoires ayant pour but de corriger la violation alléguée ou d'empêcher que d'autres préjudices, y compris des mesures destinées à suspendre ou à faire suspendre la procédure de passation de marché en cause ou l'exécution de toute décision prise par l'entité adjudicatrice »70(*) et « d'annuler ou de faire annuler les décisions illégales »71(*), soit de prendre des mesures « ayant pour but de corriger la violation constatée et d'empêcher que des préjudices soient causés aux intérêts concernés, notamment d'émettre un ordre de paiement d'une sorte déterminé dans le cas où l'infraction n'est pas corrigée ou évitée »72(*).

Par la loi du 29 décembre 1993, le législateur français a opté pour le second choix. Le juge des référés se voit donc privé de la possibilité de prononcer l'annulation, la réformation ou la suspension de la procédure de passation. Seul le pouvoir de prononcer une astreinte lui a été reconnu. Estimant que cette transposition était insuffisante au regard de l'exigence d'efficacité inhérente aux directives « recours », la Commission a intenté des poursuites à l'encontre de la France. La Cour a néanmoins donné raison au droit interne dans la mesure où « l'astreinte est par nature un moyen de coercition et un instrument efficace »73(*) pour garantir le respect du droit matériel des marchés publics.

Cette transposition minimaliste s'inscrit directement en réaction à la réception douloureuse en droit interne des exigences de la directive « recours » relative aux secteurs « classiques ». Là où le législateur dispose d'une marge de manoeuvre dans l'élaboration des règles internes, le choix qu'il effectue se fait de manière restrictive. Bien que cela contribue à une puissante recherche d'efficacité, il est en effet malvenu qu'un juge imposé par un droit étranger soit doté de pouvoirs qu'un juge purement interne ignore74(*).

Par conséquent, l'intégration des exigences communautaires est diversement ressentie par le droit français. L'instauration d'un recours juridictionnel efficace au sens du droit communautaire s'est effectuée au prix de divers bouleversements en ruptures avec les habitudes contentieuses du droit interne. En revanche, admettre comme susceptible de recours un nombre d'actes toujours plus important n'a pas affecté les règles processuelles les plus traditionnelles. Cette transposition aisée et indolore s'explique essentiellement par l'existence d'un droit français développé par lui-même, antérieurement au droit communautaire ou en concomitance avec lui. C'est donc en tant que facteur de contrainte que le droit communautaire participe pleinement à la construction d'un contentieux interne efficace. Le droit français a en effet l'obligation de réceptionner les exigences qui en découlent dans son ordre juridique. Mais il a également la faculté de contribuer lui-même à une telle recherche d'efficacité dans la mesure où il surestime largement les exigences communautaires.

Chapitre II. Une large surestimation des exigences communautaires par le droit interne

Les directives « recours » n'établissent que des conditions minimales auxquelles doivent répondre les procédures instaurées dans les ordres juridiques nationaux. Le droit interne peut donc transposer ce texte en excédant ses exigences. Cela signifie que le droit interne contribue lui-même, en dehors de la sphère contraignante issue du droit communautaire, à l'élaboration de ses propres règles contentieuses. Exagérer les implications du droit communautaire est d'autant plus simple que la réglementation qui en découle « n'est pas d'une compréhension aisée » 75(*), notamment en raison de l'emploi de termes standards dont les contours semblent parfois insaisissables. De même, l'interprétation téléologique et la spécificité des solutions dégagées par la Cour lors d'une procédure en manquement ou suite à une question préjudicielle n'ont pas vocation à en faciliter la lecture. Toutefois, avec autant de discrétion que d'efficacité, les directives consacrent implicitement un principe de sécurité juridique qui s'oppose à ce que toute irrégularité entrave avec démesure le déroulement de l'action publique dans les ordres juridiques internes. Mais bien souvent, le droit français reste indifférent aux potentialités que lui offre le droit communautaire. C'est ainsi que la tendance d'une surestimation des exigences communautaires s'exprime à deux égards : dans la recherche de l'irrégularité d'abord (Section 1), dans son traitement ensuite (Section 2).

Section I. Le dépassement des exigences communautaires dans
la recherche de l'irrégularité

Comme il a déjà été dit, le droit communautaire contraint les Etats à une recherche active des irrégularités entachant les actes préalables à la conclusion d'un contrat. Pourtant, soucieux de ne pas fragiliser à l'excès les procédures de passation et de ne pas surcharger les prétoires nationaux, il n'implique aucunement que toute irrégularité tombe sous le coup d'un contrôle juridictionnel. C'est pourquoi les directives « recours » autorisent bien souvent les Etats, dans un espace juridique de liberté, à effectuer des choix ayant pour objet de limiter un rapprochement disproportionné de l'irrégularité vers le juge. Mais pris d'un excès de zèle, le législateur (§ 1) et le juge national (§ 2) refusent d'exercer les droits d'option qui leur sont pourtant reconnus, préférant alors l'exagération et la systématicité au pragmatisme.

§ 1. Une exagération à l'initiative du législateur

Il est possible de rendre compte de la démesure opérée par le législateur au travers des contrats qu'il entend soumettre aux référés précontractuels (A) et d'un délai de forclusion (B) qu'il se refuse à établir.

A. Les contrats soumis aux référés précontractuels

Pour être justiciable d'un recours au sens de la directive, la procédure de passation doit se rapporter à un contrat qui revêt deux conditions cumulatives. Il doit d'abord être qualifié de marché public au sens du droit communautaire (1). Son montant doit ensuite être supérieur aux seuils d'application des directives matérielles (2).

1. Les marchés publics au sens du droit communautaire

Il est admis que la directive « recours » a pour ambition de rendre effective l'application du droit matériel régissant les procédures de passation des marchés publics. Transposant à la lettre cette directive en droit interne, la loi du 4 janvier 1992 rendait d'abord le référé précontractuel applicable aux seuls marchés publics. Mais la définition d'un marché public au sens du droit communautaire, telle qu'interprétée par la Cour, n'est pas identique à celle que retient le droit interne. Par souci de concision, mais aussi parce que l'étude de cette définition actuellement donnée à l'article 1er de la directive 2004/18 s'éloignerait à l'excès du contentieux contractuel, l'on retiendra simplement que la notion de marché public au sens du droit communautaire est plus englobante que celle admise par le code des marchés publics. Pour prévenir d'éventuelles méconnaissances du droit communautaire liées à des divergences de qualification, le législateur a continuellement élargi le champ d'application matériel des référés précontractuels. Ainsi, la loi Sapin du 29 janvier 199376(*) a notamment étendu cette voie de droit aux délégations de service public. De sorte qu'aujourd'hui, l'article L 551-1 CJA s'applique également aux contrats de partenariat issus de l'ordonnance du 17 juin 200477(*), en principe aux baux emphytéotiques administratifs, ainsi qu'aux concessions de travaux régies par la loi du 3 janvier 199178(*).

De plus, les directives matérielles ne s'appliquent pas à certains marchés de services limitativement énumérés en annexe et définis en fonction de leur objet. Ils ne semblent pas devoir relever des directives « recours ». Or, le droit français n'opère pas de distinction puisque l'article
L 551-1 CJA leur est une fois encore applicable.

La volonté du législateur de soumettre des contrats publics aux référés précontractuels alors même qu'ils ne sont pas nécessairement qualifiés de marchés publics au sens des directives matérielles témoigne d'un premier dépassement de ce qu'implique le droit communautaire. Cela ne signifie pas pour autant que le droit interne lui soit entièrement conforme. A titre d'exemple, la Cour de Justice a récemment estimé, eût égard au développement de la concurrence dans le secteur considéré, que certaines conventions d'aménagement appartiennent à la catégorie des marchés publics au sens des directives matérielles79(*). Or, dans l'hypothèse d'un contentieux, l'article
L 551-1 CJA ne semble pas en tant que tel applicable en vue de contester la procédure de passation de ces contrats.

Les procédures de passation participant à la conclusion d'un marché public relèvent d'un recours efficace et rapide au sens du droit communautaire, à la condition toutefois que le montant du marché en cause soit supérieur aux seuils d'application des directives matérielles.

2. Les marchés publics dont le montant est supérieur aux seuils d'application des directives matérielles

Pour être justiciable de la voie de droit imposée par les directives « recours », la procédure de passation litigieuse doit se rapporter à un marché public dont le montant est supérieur aux seuils d'application des directives matérielles. Une lecture littérale et a contrario de cette règle pourrait conduire à l'interpréter strictement. C'est pourtant cette lecture assujettissante qui a dans un premier temps été retenue par le législateur, la loi du 4 janvier 1992 ayant prévu que les marchés publics dont le montant est inférieur aux seuils d'applications des directives matérielles ne relèvent pas des référés précontractuels. Le champ d'application rationae materiae de ces recours a ici encore été élargi par la loi Sapin du 29 janvier 1993. Par conséquent, peu importe la valeur du marché : toutes les procédures de passation se rapportant à leur formation sont soumises aux référés précontractuels.

Le droit communautaire, quant à lui, ne se désintéresse pas des marchés dont le montant est inférieur aux seuils d'application des directives matérielles. La Cour a affirmé, dans un célèbre arrêt Telaustria80(*), que les principes des traités leurs sont applicables, en particulier les principes d'égalité de traitement et de non discrimination en raison de la nationalité. La solution qu'elle a consacré implique alors que les Etats sont tenus d'organiser des voies de recours afin d'en assurer la garantie. Mais une épineuse question reste encore sans réponse. Elle consiste à savoir si ces voies de droit doivent être identiques à celles prévues par les directives « recours ». De ce point de vue, il est certain que le choix du législateur national de soumettre l'ensemble des marchés publics aux recours précontractuels a l'avantage de la simplicité. Il permet notamment d'éviter les débats relatifs aux incidences contentieuses d'une application des règles fondamentales des traités communautaires au droit des marchés publics. Les difficultés rencontrées par le droit interne pour en tirer les conséquences sur le droit matériel sont déjà fort bien connues81(*).

Mais à la réflexion, le droit communautaire ne paraît pas exiger des Etats l'instauration de procédures aussi rapides et efficaces que celles imposées par la directive « recours ». Deux raisons justifient cette affirmation. La Commission a d'abord fait part, dans un élan d'autorité82(*), de son ambition de soumettre l'ensemble des marchés publics aux directives « recours ». Cette intention n'a pourtant jamais été reprise par le législateur communautaire puisque le champ d'application de la nouvelle directive « recours » reste inchangé. Il apparaît ensuite que la Cour de Justice pose une limite aux exigences de la jurisprudence Telaustria, dont elle seule sait pour l'instant garder le secret. Elle a considéré, dans un arrêt Commission contre Irlande83(*), que l'application des règles fondamentales et des principes généraux des traités aux procédures de passation des marchés de faible valeur « présuppose que les marchés en cause présentent un intérêt transfrontalier certain ». Le caractère « certain » de l'intérêt transfrontalier ne peut a priori que témoigner de la difficulté pour les requérants à en apporter la preuve concrète. Il indique surtout la volonté de la Cour de revenir sur la rigueur que pouvait laisser présager l'arrêt Telaustria. Plus généralement, les incertitudes qui entourent cette notion ravivent davantage les critiques84(*) pesant sur le choix opéré par la loi Sapin. Ce choix s'avère évidemment problématique en ce qu'il soumet les nombreux marchés de faible valeur passés par les collectivités territoriales à la rigueur, et si l'on ose dire, aux ravages des référés précontractuels. S'il s'avère que ces marchés peuvent bénéficier d'un régime contentieux différencié, les règles fondamentales du traité imposent néanmoins aux Etats membres d'instituer des sanctions suffisantes ou « adaptées »85(*), ce que la nouvelle directive « recours » qualifie de sanctions « effectives, proportionnées et dissuasives »86(*).

De la même manière, le législateur est allé au-delà des exigences communautaires en rejetant le principe d'un délai de forclusion.

B. La forclusion

Traditionnellement employée en contentieux administratif, la forclusion pose une condition supplémentaire à la recevabilité des recours. Passé ce délai, la requête devient irrecevable. Si le droit communautaire permet aux Etats d'instaurer de tels procédés, le législateur n'a pas employé la faculté qui lui était ainsi reconnue (1). Cette position semble toutefois en contradiction avec l'attachement aux contraintes de temps dans l'exercice des recours que le juge du contrat a récemment affirmé dans un souci contemporain de sécurité juridique (2).

1. Une faculté inemployée

Ce n'est pas à la brièveté ni au laconisme des directives « recours » que l'on doit la reconnaissance explicite aux Etats de la faculté d'instituer des délais de forclusion afin de restreindre l'accès au juge. Celles-ci se contentent simplement de rappeler qu'ils disposent d'un principe d'autonomie procédurale dans la fixation des règles internes87(*). Face aux silences de ce texte, le législateur a, sans doute par prudence, refusé de soumettre la saisine du juge des référés précontractuels à un délai de forclusion. Il a ensuite été conforté dans sa position par la jurisprudence88(*). L'exigence de célérité des recours imposée par les directives aurait pourtant pu l'en persuader. En effet, un recours rapide au sens du droit communautaire a pour finalité de purifier une procédure de passation des irrégularités qui l'affectent avant que ces dernières ne soient difficilement corrigibles, l'acte en cause ayant produit des effets juridiques ou le contrat ayant été signé. L'établissement d'un délai de forclusion participe donc à cet objectif de rapidité en ce qu'il incite les requérants à la diligence et à saisir au plus tôt une instance chargée des recours.

Cependant, il est indéniable que l'irrecevabilité du recours précontractuel une fois le contrat conclu a un effet similaire au dépassement d'un délai de forclusion puisque dans les deux cas, le recours est irrecevable. Mais là où ce dernier reste fixe et prévisible, la signature du contrat est un fait qui dépend variablement de la volonté d'une personne publique. Surtout, certaines procédures de passation sont longues. Il en est ainsi, en pratique, des marchés passés selon la procédure de dialogue compétitif ou des contrats de partenariat. Or, ce dernier procédé contractuel sera sans doute davantage employé. Pour ces raisons, il serait judicieux de mettre en place un délai de forclusion de manière à ce que les irrégularités entachant les actes liminaires d'une procédure de passation ne puissent être soulevées peu avant la signature. Le droit communautaire encourage par ailleurs à l'emploi de telles règles contentieuses.

Ainsi, la Cour de Justice a précisé que la directive « recours » ne s'oppose pas à une réglementation nationale prévoyant que « tout recours contre une décision du pouvoir adjudicateur doit être formé dans un délai prévu à cet effet et que toute irrégularité de la procédure d'adjudication invoquée à l'appui de ce recours doit être soulevée dans le même délai, sous peine de forclusion, de sorte que, passé ce délai, il n'est plus possible de contester une telle décision ou de soulever une telle irrégularité, pour autant que le délai en question soit raisonnable »89(*). Le standard du raisonnable employé par la Cour n'a pas l'avantage de la précision. Il laissait d'ailleurs mal augurer la compatibilité de brefs délais de forclusion avec les exigences de la directive puisque la Cour préférait jusqu'ici appuyer son raisonnement sur une conception extensive du droit au recours effectif. Il n'en est rien : un délai de forclusion de deux semaines est jugé raisonnable et n'est pas, en tant que tel, contraire aux objectifs de la directive90(*). De plus, la nouvelle directive prévoit que lorsqu'un « recours contre une décision d'un pouvoir adjudicateur [...] doit être formé avant l'expiration d'un délai déterminé, ce délai est égal à dix jours calendaires au moins à compter du lendemain du jour où la décision du pouvoir adjudicateur est envoyée au soumissionnaire »91(*).

Les exigences communautaires étant précisées et la nécessité de sécurité juridique se faisant toujours plus grande, il est théoriquement concevable d'instituer un délai de forclusion en droit français. La pratique interne du contentieux contractuel pourrait néanmoins perturber l'application d'un tel mécanisme. En effet, la procédure de passation des contrats publics peut être qualifiée de procédure complexe de sorte que le requérant est recevable à contester tout acte s'y rapportant indépendamment des conditions de délai92(*). L'invocabilité par voie d'exception emporte un effet identique93(*). Mais le mécanisme de la forclusion conserve son plein intérêt dans la mesure où ces méthodes d'invocabilité visant à lui échapper restent d'application rarissime, sans doute en raison de leur obscurité théorique.

Si le droit français a manqué à l'occasion de saisir les potentialités du droit communautaire, cette lacune pourrait néanmoins évoluer en faveur d'une sécurité juridique accrue. En effet, le juge du contrat a récemment exprimé son attachement au principe de la forclusion.

2. Le juge du contrat au secours de la sécurité juridique

Dans son arrêt d'Assemblée Sté Tropic Travaux Signalisation94(*), le Conseil d'Etat a estimé que le nouveau recours des tiers évincés à l'encontre du contrat « doit être exercé [...] dans un délai de deux mois à compter de l'accomplissement des mesures de publicité appropriées ». Par cette formulation, la haute juridiction administrative affiche clairement sa volonté d'enserrer le recours dans un délai de forclusion. En effet, il appartient aux mesures de publicité appropriées de déclencher le délai au terme duquel le requérant est forclos. Or, l'accomplissement de ces mesures n'obéit apparemment pas à un formalisme démesuré puisqu'il est suggéré qu'un « avis mentionnant à la fois la conclusion du contrat et les modalités de sa consultation dans le respect des secrets protégés par la loi » peut suffire. Préconisant « un simple affichage »95(*) pour les contrats les plus modestes, les conclusions du Commissaire du Gouvernement CASAS attestent une nouvelle fois de cette volonté de déclencher le délai de sorte que les tiers évincés ne puissent attaquer indéfiniment le contrat. Pour l'heure, les mesures de publicité appropriées n'ont pas fait l'objet de précision de la part des juridictions administratives. Le droit communautaire peut néanmoins fournir quelques éléments de réflexion.

Le droit communautaire a expressément réitéré son attachement au principe de la forclusion. En effet, les Etats peuvent prévoir que l'introduction d'un recours à l'encontre du contrat intervienne avant l'expiration d'un délai minimal de trente jours à compter du lendemain du jour où l'entité adjudicatrice a publié l'avis d'attribution ou a informé le soumissionnaire de la conclusion du contrat96(*). Ils peuvent également prévoir que le recours soit exercé au plus tard six mois à partir du lendemain du jour où le contrat est conclu97(*). Mais comme à son habitude, la Cour de Justice préfère la plasticité à une définition claire et précise. Les solutions dégagées au sujet des recours à l'encontre des décisions du pouvoir adjudicateur en témoignent. Ces solutions méritent d'être relatées car elles seront certainement reprises s'agissant du recours à l'encontre du contrat. Ainsi, la Cour a considéré que la compatibilité avec le droit communautaire d'un délai de forclusion devait s'examiner en tenant compte notamment de sa place « dans l'ensemble de la procédure, de son déroulement et de ses particularités »98(*). Si un délai de forclusion n'est pas en soi contraire au principe d'effectivité, son application en fonction des circonstances particulières de l'espèce peut le devenir. Par application de cette règle, il a été jugé qu'un délai de forclusion méconnaît le principe d'effectivité dès lors que l'avis de marché ne comporte aucune information quant à la valeur du marché à attribuer et que le pouvoir adjudicateur répond de manière évasive et ambiguë à la requérante au principal de façon à dissiper ses interrogations99(*). Par conséquent, la Cour est attentive au comportement du pouvoir adjudicateur. Celui-ci occupe une place prépondérante dans son raisonnement et détermine la compatibilité du délai avec les exigences de la directive « recours ». De même, le comportement du soumissionnaire n'est pas occulté. Un opérateur doit être expérimenté, c'est à dire « raisonnablement informé et normalement diligent »100(*). S'il ne revêt pas cette qualité, la forclusion lui sera opposée avec d'autant plus de facilité. Son manque de diligence le prive alors d'un recours101(*).

Cette méthode logique, réaliste et pragmatique pourrait inspirer le juge interne dans l'interprétation des mesures de publicité appropriées dont il est question dans l'arrêt Sté Tropic Travaux Signalisation. Il serait souhaitable que le juge du contrat reconnaisse avec malléabilité et souplesse l'accomplissement de telles mesures de sorte à déclencher le délai sans pour autant retirer aux justiciables la garantie d'un recours effectif. Cette démarche invite nécessairement les candidats s'estimant lésés à la diligence et à la prudence, puisqu'à défaut, leurs requêtes sont irrecevables au terme du délai fixé. Elle n'est d'ailleurs pas méconnue du juge de l'excès de pouvoir dans le contentieux de l'acte détachable102(*) et guidera certainement le juge du contrat dans l'opposabilité du délai de forclusion, « l'obligation de due diligence »103(*) ayant vocation à gouverner l'ensemble de la décision Sté Tropic Travaux Signalisation.

Il est probable que le mécanisme de la forclusion attaché au recours contractuel sera sûrement d'une mise en oeuvre délicate et problématique. Il imprime néanmoins l'ensemble de ce contentieux de l'impérieuse nécessité d'assurer la sécurité juridique et rompt avec le choix initial d'un législateur allant au delà de ce qu'implique le droit communautaire. Pourvu d'un même état d'esprit, le juge interne dépasse également les exigences communautaires en procédant à une recherche active des irrégularités.

§ 2. Une exagération à l'initiative du juge

Le législateur a préféré transposer les directives « recours » dans des termes souvent généraux, laissant alors au juge le soin de préciser leur exacte signification. L'oeuvre prétorienne qui en résulte permet toutefois aux entreprises d'opérer un rapprochement démesuré de l'irrégularité vers le juge. Cet excès se vérifie dans la qualité pour agir du requérant (A) et dans les moyens qu'il peut utilement invoquer (B).

A. La qualité pour agir

La qualité pour agir est une condition d'accès au prétoire tenant au requérant. Si sa reconnaissance fait l'objet d'un libéralisme excessif de la part du juge interne (1), le droit communautaire en permet incontestablement la limitation (2).

1. Un libéralisme excessif

L'article L 551-1 CJA énumère les personnes ayant qualité pour agir. Il s'agit d'abord du représentant du département dans le cas où le contrat est conclu ou doit être conclu par une collectivité territoriale ou un établissement public local. Il s'agit ensuite de celles qui ont un intérêt à conclure le contrat et qui sont susceptibles d'être lésées par un manquement aux obligations de publicité et de mise en concurrence. Cette dernière catégorie de requérants a naturellement été précisée par le juge.

Les référés précontractuels sont présentés comme des recours de plein contentieux. Il est donc naturel de reconnaître l'intérêt donnant qualité pour agir de manière plus restrictive qu'en excès de pouvoir. C'est pourquoi, le recours en référé reste fermé aux élus locaux tel un conseiller municipal104(*), aux ordres professionnels105(*) et a fortiori aux contribuables locaux.

Pourtant, un courant jurisprudentiel constructif s'est davantage orienté dans le sens d'un libéralisme accru. C'est ainsi que les candidats évincés sont logiquement recevables à saisir le juge des référés précontractuels quelque soit le moment de leur éviction dans la procédure, et indépendamment de tout préjudice subi. Le Conseil d'Etat a en effet précisé qu'« une entreprise candidate à l'obtention d'un marché [est] susceptible d'être lésée par tout manquement aux obligations de publicité et de mise en concurrence »106(*). Cette solution s'explique ainsi : « [...] le plein contentieux précontractuel n'est pas subjectif. Le juge pèse bien sûr l'impact concret que peut avoir, sur la publicité ou la mise en concurrence, telle ou telle irrégularité de procédure. Mais il l'apprécie dans l'absolu, et jamais en considération de la personne requérante »107(*). Le référé précontractuel est donc un recours purement objectif dont l'unique ambition est de parfaire une procédure de passation en l'apurant d'un maximum d'irrégularités.

Sous prétexte d'objectiver le recours précontractuel, l'indulgence du juge est parfois poussée à son paroxysme. La qualité pour agir est en effet reconnue aux entreprises désignées comme attributaires du marché108(*) ou aux sous-traitants109(*), ceux-ci ayant intérêt à conclure le contrat. Peu importe, par exemple, que l'entreprise ait exercé des pressions sur la collectivité publique pour conserver le marché dont elle était auparavant titulaire110(*) ou encore que sa candidature soit irrecevable111(*).

La qualité pour agir est donc reconnue avec excès. Ces solutions conduisent néanmoins à l'étonnement au regard d'une jurisprudence communautaire pragmatique et imprégnée du principe de sécurité juridique. Ce courant jurisprudentiel pourrait en effet ouvrir le débat et nourrir la réflexion au niveau interne en vue de limiter la reconnaissance toujours plus mécanique, spontanée et discutable de la qualité pour agir.

2. Une possible limitation de la qualité pour agir

La directive énonce que les procédures de recours sont accessibles « au moins à toute personne ayant ou ayant eu un intérêt à obtenir un marché public de fournitures ou de travaux déterminé et ayant été ou risquant d'être lésée par une violation alléguée »112(*).

Pour accéder au prétoire au sens du droit communautaire, il convient d'abord que l'entreprise ait été ou risque d'être lésée. La formulation retenue n'a pas l'avantage de la clarté, si bien qu'une juridiction autrichienne n'a pas hésité à surseoir à statuer pour en demander la signification à la Cour de Justice113(*). Cette dernière a manifestement fait preuve de frilosité puisque dans sa réponse, le débat est habilement transposé de l'accès au juge vers le bien-fondé du recours. Les conséquences de son raisonnement peuvent néanmoins être résumées par les récentes conclusions de l'Avocat général KOKOTT : « Il ne saurait [...] être question d'exiger de la personne concernée qu'elle apporte déjà au stade du dépôt de sa demande la preuve concrète de ce qu'elle a effectivement été lésée ou risque effectivement d'être lésée. Au contraire, il doit suffire pour avoir accès à une procédure de recours que, outre une violation du droit par le pouvoir adjudicateur, la personne fasse valoir de manière concluante qu'elle a intérêt à obtenir la marché public en cause et l'éventualité de la survenance d'un dommage »114(*). La Cour ne s'est, semble t-il, jamais explicitement prononcée sur cette difficulté, mais il n'est pas exclu qu'une analyse subjective au stade de la recevabilité du recours ne puisse être introduite en droit interne sans contrarier le principe d'un droit au recours effectif. La prudence de la Cour à l'égard de cette question s'explique par sa préférence à limiter l'accès au prétoire en se fondant sur l'analyse du comportement des acteurs de la procédure de passation.

Il importe en second lieu que l'entreprise démontre qu'elle a ou qu'elle a eu un intérêt à obtenir un marché public pour que son recours soit recevable. Par une approche réaliste et pragmatique, la Cour permet aux Etats de refuser l'accès au juge en fonction des comportements du pouvoir adjudicateur et du soumissionnaire. La relation entre l'intérêt à agir du requérant et son comportement a d'abord été mise en évidence par l'Avocat général MISCHO. Celui-ci estime que le soumissionnaire peut perdre son intérêt à agir dès lors qu'il n'a pas pris « toutes les mesures qui sont raisonnablement à sa disposition pour éviter que le marché ne soit attribué à un autre soumissionnaire »115(*). La Cour a repris à son compte ce raisonnement dans l'arrêt Grossmann Air Service116(*) de sorte que pour accéder aux procédures de recours, le requérant doit manifester avec évidence son ambition d'être l'attributaire du marché en cause. Or, une telle volonté ne peut se matérialiser que par la soumission d'une offre ou la présentation d'une candidature manifestant une participation active à une procédure de passation. C'est d'ailleurs en se fondant sur ce principe que la Cour autorise les Etats à refuser l'accès au prétoire aux membres d'un groupement d'entreprises117(*). Un membre a certes intérêt à ce que le marché soit attribué au groupement, mais non à se le voir attribuer lui-même. Si ce membre n'a aucunement participé à la procédure d'attribution, c'est parce qu'en tant que tel, il n'aurait pu obtenir le marché. Seul le groupement en est capable et a manifesté son intérêt, lui seul est donc recevable à agir.

La participation à la procédure est un indice permettant la reconnaissance d'une qualité pour agir. Elle n'est toutefois pas suffisante, la Cour ayant affirmé que « la qualité formelle de soumissionnaire ou de candidat n'est [...] pas requise »118(*). Cela signifie a contrario qu'il existe au moins une hypothèse dans laquelle l'intérêt à agir est reconnu alors même que l'entreprise n'a pas matériellement pris part à une procédure d'attribution. Cette hypothèse est relative au comportement du pouvoir adjudicateur et sous-tend l'ensemble de la jurisprudence communautaire. Il ne peut évidemment être exigé une participation active de l'entreprise à la procédure d'attribution du marché lorsque le pouvoir adjudicateur n'a pas mis en oeuvre de procédure formelle de passation. Il a également été jugé que les voies de recours restent ouvertes pour l'entreprise qui n'a pas pris part à la procédure au motif que les conditions des appels d'offres faisaient apparaître ses chances de succès comme nulles en cas de participation119(*). Autrement dit, l'entreprise conserve son intérêt à obtenir le marché dès lors que sa volonté de participer à la procédure d'attribution a été empêchée par le comportement du pouvoir adjudicateur.

Par conséquent, il est permis au droit interne de dénier l'intérêt à agir à une entreprise qui, seule ou dans un groupement120(*), n'a pas candidaté, sauf à ce qu'elle démontre qu'elle en a été dissuadée du fait de l'administration. L'établissement d'un lien de parenté entre cette règle jurisprudentielle et les solutions dégagées par le juge de l'excès de pouvoir pourrait séduire au regard des ressemblances qui les animent121(*). Si le juge des référés est éloigné de cette méthode de raisonnement, il n'est pas exclu qu'il s'en approche à l'avenir, notamment dans la mouvance de l'arrêt Sté Tropic Travaux Signalisation122(*). Ainsi, le Tribunal Administratif de Cergy-Pontoise a estimé que le recours d'une société candidate à l'attribution de deux lots sur quatre à l'encontre de l'ensemble du marché était irrecevable123(*). Dans le même sens, un juge du fond a récemment rejeté le recours d'une entreprise n'ayant pas candidaté, au motif que « seules les personnes qui ont manifesté, en présentant leur candidature, l'intérêt qu'elles portent à la conclusion du contrat, qu'elles aient ou non présenté une offre par la suite, ont qualité pour contester les décisions prises »124(*) en vue de la passation d'un contrat de délégation de service public. Cette tendance jurisprudentielle naissante peut être confirmée par un jugement du Tribunal Administratif de Lyon dans lequel la qualité pour agir est déniée à une entreprise dès lors qu'elle a soumis tardivement son offre et que « le comportement du pouvoir adjudicateur n'a exercé aucune influence dans le déroulement de la phase préparatoire de son dossier »125(*).

Ces solutions encore isolées font naître l'espoir d'une jurisprudence nouvelle et libérée de la clémence d'un juge interne, admettant à son prétoire des entreprises peu diligentes, voire de mauvaise foi, capables de renverser une procédure de passation. Une fois recevable, le requérant doit encore faire face à un nouvel obstacle procédural relatif à l'invocabilité des moyens.

B. Les moyens invocables

En vertu des articles L 551-1 CJA et L 551-2 CJA éclairés par la jurisprudence administrative, les moyens invocables sont relatifs aux obligations de publicité ou de mise en concurrence. La formulation retenue par le législateur aurait pu encourager le juge à contenir une conception stricte et purement formelle de ces obligations, touchant ainsi « à l'une des limites potentielle les plus évidentes »126(*) du recours précontractuel. En la matière, la jurisprudence a évolué de sorte qu'aujourd'hui, certains moyens opérants s'avèrent profondément inadaptés aux réalités économiques (1). En restreindre l'invocabilité paraît cependant improbable (2).

1. Des moyens opérants inadaptés aux réalités économiques

Demeurent inopérants les moyens tirés d'une violation du droit de la concurrence ou encore de l'irrégularité commise par un candidat ou une personne publique dès lors que, pour cette dernière, l'irrégularité est étrangère aux obligations de publicité ou de mise en concurrence. Inversement, le requérant peut utilement invoquer des moyens fondés sur la méconnaissance des règles générales ou spécifiques applicables à la passation des contrats telles que l'absence ou l'insuffisance de publicité. Il peut encore invoquer des irrégularités affectant les documents de la consultation, parfois même l'incompétence ou la régularité des motifs pour lesquels la personne publique admet ou rejette une candidature.

Ainsi, ces moyens sont susceptibles d'être utilement invoqués en cours d'instance, alors même que l'entreprise n'a aucunement souffert de l'irrégularité qu'elle allègue. Le moyen est opérant indépendamment de tout préjudice subi par le requérant. Cette solution constante a très tôt été affirmée par le juge. Dans un arrêt District de l'agglomération nancéenne127(*), le Conseil d'Etat a en effet considéré que l'impossibilité pour l'entreprise requérante d'établir un préjudice à son encontre « ne saurait la priver du droit qu'elle tient [...] de contester l'appel d'offres litigieux en invoquant un manquement aux obligations de mise en concurrence ». L'objectivation du référé précontractuel dont il a été question au sujet de l'accès aux voies de recours prolonge ses effets jusqu'à la recevabilité des moyens.

Le refus du juge d'intégrer une analyse subjective au contentieux de la passation s'avère ennuyeux et inadapté aux réalités économiques. Ajoutée au libéralisme gouvernant l'accès au prétoire, l'invocabilité de moyens en dehors d'une quelconque approche personnelle aboutit inéluctablement à fragiliser les procédures d'attribution sur lesquelles pèse un risque toujours plus important d'annulation. Or, ces procédures participent au développement de l'action publique, notamment à la réalisation de projets ayant vocation à répondre à un besoin d'intérêt général. Le droit interne des marchés publics est parfois remarqué pour sa souplesse et sa capacité à s'adapter à un tel besoin économique. Son contentieux, en revanche, permet à une entreprise peu diligente mais imaginative et armée de bons conseils d'être en mesure d'exercer des pressions sur ses concurrents par le biais du recours précontractuel, sans même envisager les conséquences qui en découlent sur le déroulement de l'action publique.

Le droit communautaire invite pourtant à la plasticité dans l'invocabilité des moyens. Selon lui, il est possible de restreindre les moyens opérants en se fondant sur l'analyse du préjudice subi par le requérant. L'introduction d'une telle méthode en droit français paraît toutefois improbable.

2. Une improbable restriction des moyens opérants

On l'a dit, le droit communautaire ne semble pas autoriser les Etats à personnaliser l'intérêt à agir du requérant pour lui refuser l'accès au juge en exigeant la preuve d'un dommage. Cela ne signifie pas pour autant que toute analyse subjective soit écartée. Celle-ci ne s'opère pas au stade de la recevabilité de la requête, mais à celui de son bien-fondé.

A titre liminaire, la Cour a jugé qu'une personne ayant été ou risquant d'être lésée par l'illégalité alléguée ne saurait être privée « non seulement de son droit de recours [...] mais également du droit de contester le bien-fondé du motif d'exclusion »128(*). La formulation employée conduit donc à dissocier l'accès au juge proprement dit de la possibilité de contester ce motif. Or, c'est au moment où le soumissionnaire est « admis à contester le bien-fondé du motif d'exclusion » que « l'instance responsable des procédures de recours envisage de conclure qu'il n'a pas été ou ne risque pas d'être lésé par la décision dont il allègue l'illégalité »129(*). Il apparaît donc qu'un raisonnement subjectif peut intervenir à un stade ultérieur à la recevabilité de la requête. La méthode est d'ailleurs reprise par l'Avocat général KOKOTT affirmant que si la démonstration d'un préjudice ne conditionne pas, en principe, la recevabilité, elle « relève toutefois de la question du bien-fondé du recours »130(*).

Si la Cour de Justice entendait faire du recours précontractuel un contentieux purement objectif, elle imposerait sans doute aux Etats que les instances nationales soient dotées du pouvoir de relever d'office les irrégularités au nom de la dynamique attachée au droit à un recours effectif. Pourtant, il s'agit là d'une simple faculté131(*) que le juge interne ne semble pas exercer132(*). Le juge des référés précontractuels peut donc voler au secours du requérant peu diligent en relevant une irrégularité d'office. Or, la logique et la cohérence pourraient néanmoins laisser penser que si ce requérant n'invoque pas l'irrégularité par lui même, c'est parce qu'elle ne lui est pas vraiment préjudiciable...

La nouvelle directive « recours » participe également à l'intégration d'un raisonnement subjectif dans le contentieux contractuel. Ce texte prévoit que le contrat est privé d'effets lorsque le pouvoir adjudicateur méconnaît l'obligation d'abstention ou la suspension de la procédure de passation liée à l'exercice d'un recours. Encore faut-il que cette violation ait « privé le soumissionnaire intentant un recours de la possibilité d'engager un recours précontractuel lorsqu'une telle violation est accompagnée d'une violation des directives 2004/17/CE, si cette violation a compromis les chances du soumissionnaire intentant le recours d'obtenir le marché » 133(*).

Il s'avère cependant que transposée en droit interne, cette condition sera particulièrement difficile à remplir. Elle impliquera en effet de déterminer laquelle des offres était la meilleure entre celle de l'entreprise requérante et celle du soumissionnaire finalement retenu. Cette recherche est identique à celle effectuée dans le contentieux indemnitaire, lorsqu'il est question de réparer le préjudice subi par une entreprise irrégulièrement évincée. Cette dernière doit apporter la preuve qu'elle avait une chance sérieuse d'obtenir le marché. Mais force est de constater que la condition est très rarement remplie, « le juge ne consacrant cette indemnisation que dans des circonstances d'une particulière évidence, généralement peu fréquente »134(*). A titre d'exemple, le Conseil d'Etat accorde une indemnité dès lors que l'entreprise établit qu'elle avait « une chance très sérieuse d'obtenir le marché »135(*). La sévérité du juge s'explique par l'appréciation complexe qu'il porte sur l'approche qualitative et l'examen approfondi du raisonnement suivit par l'administration pour désigner l'attributaire du marché. Si la jurisprudence fait ici preuve de rigueur, elle le fera davantage dans le contentieux précontractuel car l'office du juge des référés est difficilement compatible avec une telle appréciation. Comme l'écrit Madame BERGEAL, « la procédure de l'article L 551-1 est une procédure d'urgence, le juge ne peut que s'en tenir à l'apparence » 136(*). Par conséquent, si le droit communautaire autorise le juge interne à faire usage d'un raisonnement subjectif dans la recevabilité des moyens, l'office du juge des référés précontractuels représente un obstacle à l'introduction d'une telle méthode de raisonnement.

Les règles gouvernant la recevabilité des moyens devant le juge des référés précontractuels se situent au-delà de ce qu'implique le droit communautaire. Cet excès pourrait néanmoins être contrebalancé par la restriction de la qualité pour agir ambitionnée par les juridictions du fond. Encore faudra t-il que le Conseil d'Etat généralise ces solutions isolées. Pour l'heure, il en résulte que le droit interne surestime les exigences issues des directives « recours » dans la recherche de l'irrégularité. Cet excès se manifeste encore avec évidence dans son traitement par le juge, c'est à dire dans la détermination de ses conséquences juridiques.

Section II. Le dépassement des exigences communautaires dans
le traitement de l'irrégularité

Une fois parvenue à la connaissance du juge, l'irrégularité doit être traitée. Il est certain que le droit communautaire impose un traitement différencié de l'irrégularité selon que le requérant exerce un recours avant ou après la signature du contrat. Il en va d'un besoin de stabilité des relations contractuelles car un contrat déployant ses effets juridiques ne saurait être annulé avec plus de facilité qu'un simple acte préparatoire. Mais cette différence de traitement demeure raisonnable et adaptée au besoin inaltérable de sécurité juridique. C'est pourtant ici que le contentieux contractuel interne revêt un paradoxe, tout au moins une dissonance flagrante source d'étonnement. Le référé précontractuel cohabite en effet avec un recours à l'encontre du contrat, mais là où le premier affiche une rigueur devenue constante (§ 1), le second témoigne d'une volonté opposée et contemporaine de pragmatisme (§ 2).

§ 1. La rigueur constante du juge des référés précontractuels

La recherche d'efficacité imposée par le droit communautaire déteint sur les sanctions prononcées par le juge des référés à l'encontre des procédures de passation. Ces dernières sont classiquement censurées, une fois encore au détriment d'une action publique pérenne, alors même que l'irrégularité qui les affecte est vénielle et sans incidence sur les objectifs de la commande publique. C'est la raison pour laquelle l'application de la théorie des irrégularités non substantielles est d'autant plus nécessaire (A). Sa mise en oeuvre est néanmoins délicate (B).

A. Une nécessaire application de la théorie des irrégularités non substantielles

Appliquer la théorie des irrégularités non substantielles consiste à éviter la censure de procédures de passation entachées d'erreurs ou de vices mineurs. Pour l'heure, le juge des référés n'en fait pas usage, lui préférant une rigueur démesurée (1). Le droit communautaire offre pourtant un cadre juridique favorable à son application (2).

1. Une rigueur démesurée

La censure systématique de procédures d'attribution quelque soit la gravité du vice fait l'objet de vives critiques et dévoile « le revers de la médaille »137(*) du référé précontractuel. La rigueur du juge ne peut en effet que surprendre au regard de ses conséquences pratiques. Elle rend pourtant compte de l'état du droit en vigueur.

L'obligation d'assurer une publicité et une mise en concurrence pour certains contrats implique la publication d'un avis d'appel public à la concurrence. Ce dernier représente un terrain propice au développement d'irrégularités, liées notamment aux mentions des délais et voies de recours. C'est ainsi qu'une simple erreur matérielle bénigne et non imputable à la personne publique est jugée substantielle138(*), justifiant que la procédure d'attribution soit relancée. Peu importe donc que l'administration ne soit directement à l'origine d'une erreur superficielle, peu importe également que l'irrégularité n'ait aucunement préjudicié à l'entreprise qui l'invoque139(*), celle-ci n'ayant pas été empêchée d'exercer un recours. Par conséquent, le juge apprécie objectivement l'irrégularité et ignore la distinction entre substantielle et non substantielle à l'exception de quelques décisions isolées140(*).

Le référé précontractuel est pourtant un recours de plein contentieux. Il eut donc été possible d'inciter le juge à l'indulgence. Il n'en est rien puisque la finalité du recours précontractuel consiste à éradiquer toute irrégularité de la procédure d'attribution, sans aucune distinction. Il est certain que cette sévérité est engendrée par le droit communautaire. Sans la contrainte qu'il exerce, le juge des référés aurait fait preuve d'une compréhension plus grande, notamment à l'image du juge de l'expropriation lorsqu'il est question de l'accomplissement des mesures de publicité dans le contentieux des déclarations d'utilité publique. S'il a indirectement porté à la démesure la rigueur du contentieux contractuel interne, le droit communautaire pourrait néanmoins conduire à l'interrogation, à l'instar de celle posée par les sénateurs lors de l'examen de la proposition de la nouvelle directive « recours » : « Peut-on concevoir une annulation automatique du fait d'une erreur mineure constatée au cours de la procédure ? »141(*). La question est d'autant plus pertinente que le droit communautaire offre un cadre juridique favorable à l'application en droit interne de la théorie des irrégularités non substantielles.

2. Un cadre juridique favorable

Il convient immédiatement de préciser que le droit communautaire offre peu d'éléments concrets permettant d'affirmer avec certitude que l'application de la théorie des irrégularités non substantielles ne contredit pas les exigences des directives « recours ». Une réponse favorable au principe de sécurité juridique peut toutefois être avancée au regard de deux pistes de réflexion.

D'autre part, une juridiction autrichienne a saisi la Cour de Justice de la question de savoir si l'annulation d'une décision illégale peut valablement être soumise à la condition que cette décision a eu une influence essentielle sur l'issue de la procédure d'adjudication142(*). Il lui est donc demandé de préciser les conditions d'annulation des décisions du pouvoir adjudicateur. Si elle ne s'est pas prononcée en l'espèce, les conclusions de l'Avocat général MISCHO méritent d'être relatées. Ce dernier relève d'abord que le droit communautaire ne fixe pas de condition pour procéder à l'annulation de ces décisions. Il s'ensuit que « le droit communautaire ne s'oppose, en principe, pas à ce que le droit national règle des aspects de la procédure de recours qui ne sont pas définis par la directive pour autant que les règles nationales applicables ne soient pas moins favorables que celles concernant des recours similaires de nature interne (principe de l'équivalence) et qu'elles ne rendent pas en pratique impossible ou excessivement difficile l'exercice des droits conférés par l'ordre juridique communautaire (principe d'effectivité) »143(*). Il ressort donc de ces conclusions que la subordination d'une annulation contentieuse à la preuve que l'irrégularité a porté atteinte au jeu effectif de la concurrence n'est pas en elle-même contraire au droit communautaire. La Cour n'a, semble t-il, malheureusement pas eu l'occasion de se prononcer à nouveau sur cette délicate question. L'obligation faite aux Etats d'instaurer une voie de droit à l'encontre du contrat constituera une nouvelle source de contentieux au niveau communautaire. La Cour aura donc l'occasion d'éclairer les instances nationales sur les conséquences à tirer de l'irrégularité sur le contrat. Une solution limitant l'application de la théorie des irrégularités non substantielles au recours contractuel sera applicable a fortiori lors d'un recours précontractuel puisque par définition, le second se veut plus rigoureux que le premier.

D'autre part, les directives « recours » sont largement gouvernées par une recherche d'efficacité. Ainsi, elles ne reconnaissent pas explicitement aux Etats la faculté d'accorder un traitement plus favorable à une irrégularité sous prétexte que sa gravité moindre le justifie. Elles prévoient cependant « que lorsque l'instance responsable examine s'il y a lieu de prendre des mesures provisoires, celle-ci peut tenir compte des conséquences probables de ces mesures pour tous les intérêts susceptibles d'être lésés, ainsi que l'intérêt public, et décider de ne pas accorder ces mesures lorsque des conséquences négatives pourraient dépasser leurs avantages »144(*). Il est donc possible au juge national de refuser la censure radicale et automatique d'une procédure d'attribution, au motif que les conséquences de sa décision perturberaient les divers intérêts en présence. L'on pourrait sans doute penser que la constatation d'un dépassement de délai insignifiant ou l'omission d'une indication dans l'une des cases d'un avis d'appel public à la concurrence n'est que d'un poids réduit face à l'envergure de certains projets publics dont le retard dans la réalisation serait lourd de conséquences pour la diversité des intérêts en cause. Ces derniers impliquent une analyse concrète, réaliste, et ont pour ambition d'inviter le juge à la clémence.

La potentialité du droit communautaire n'a pas été ignorée du législateur national. Elle n'a pas pour autant été pleinement employée, puisque seul l'article L 551-2 CJA reprenant à la lettre les directives, accorde au juge la faculté de ne pas prononcer d'astreinte après s'être interrogé sur l'opportunité de sa décision.

Si le droit communautaire constitue un cadre juridique favorable à l'application de la théorie des irrégularités non substantielles, force est de constater que sa mise en oeuvre est des plus délicates.

B. Une mise en oeuvre délicate

Deux obstacles empêchent la mise en oeuvre par le juge des référés précontractuels d'une distinction entre les irrégularités ayant un caractère substantiel et celles qui ne le revêtent pas.

D'abord, le juge des référés se refuse généralement à l'exercice de la distinction dans la recherche de l'irrégularité. Il n'est donc pas étonnant qu'il en fasse de même lors de son traitement. Mettre en oeuvre la théorie des irrégularités non substantielles implique de fixer a priori le seuil de gravité en deçà duquel le vice ne mérite pas de sanction. Ce travail de qualification qui s'impose au juge s'avère problématique à deux égards. Il implique un aléa juridique supplémentaire pour les acheteurs publics dans la détermination des conséquences d'une irrégularité éventuellement commise. Surtout, il suppose que le juge se lance dans une politique de tolérance et refuse de sanctionner un acte non conforme à la réglementation qui lui est applicable. L'indulgence est sûrement acceptable, mais encore faut-il que l'exception de son maintien malgré l'irrégularité ne se substitue au principe de sa nullité.

C'est ensuite l'écriture du droit de la commande publique lui-même qui représente un inconvénient de taille pour la mise en oeuvre de la théorie des irrégularités non substantielles. L'accumulation des prescriptions confère à ce droit « une allure labyrinthique »145(*) et un caractère technique de par son formalisme contraignant. Il est d'autant plus simple pour l'administration de commettre une erreur, par imprudence, ignorance ou incertitude, que les prescriptions sont nombreuses et désordonnées et il est d'autant plus évident pour le juge de sanctionner cette erreur en se fondant sur l'extensivité des grands principes de la commande publique. Sans doute serait-il judicieux, comme certains ont habilement pu le proposer, « d'entreprendre un travail de dépollution de notre droit administratif pour séparer le bon formalisme du mauvais, de manière à lui donner sa juste place »146(*).

Si le pragmatisme dans le traitement de l'irrégularité ne parvient pas à intégrer le contentieux de la passation par le biais d'une application de la théorie des irrégularités non substantielles, l'existence d'un recours à l'encontre du contrat peut néanmoins en apporter les bienfaits. Mais la structure du contentieux ne contraint aucunement le juge des référés à calquer ses solutions sur celles dégagées par le juge du contrat. Leur intervention respective est hermétiquement séparée par une simple constatation de la signature, sans qu'un lien ne permette à l'un de déteindre sur l'autre. Il est sans doute possible, pour des raisons d'équité, que les solutions dégagées par le juge du plein contentieux influencent le juge de l'excès de pouvoir, ou inversement. Le recours précontractuel reste quant à lui strictement cantonné, voire marginalisé, à la seule procédure d'attribution. Osons toutefois espérer que l'influence du pragmatisme magistralement affirmé par le juge du contrat s'effectue par la voie d'une politique jurisprudentielle, témoin d'une volonté nouvelle en rupture avec ce qu'il y a d'excessif dans le contentieux de la passation.

§ 2. Le pragmatisme magistralement affirmé par le juge du contrat

Un contrat entaché d'irrégularité n'est pas automatiquement déclaré nul par le juge du plein contentieux. La nullité est d'ailleurs une fin exceptionnelle des rapports contractuels (A), sans que cette souplesse contredise le droit communautaire. Ce dernier encourage en effet à une telle méthode de jugement (B).

A. La nullité : fin exceptionnelle des rapports contractuels

Le juge du contrat a d'abord affirmé sa volonté de ne sanctionner un contrat irrégulier par la nullité que de manière exceptionnelle (1). Une portée des plus larges a ensuite été conférée à son ambition initiale puisque le principal obstacle à un traitement pragmatique des irrégularités semble surmontable (2).

1. Une volonté affirmée

Dans son arrêt du 16 juillet 2007, Sté Tropic Travaux Signalisation147(*), le Conseil d'Etat a solennellement consacré la possibilité pour le juge du contrat, « après avoir pris en considération la nature de l'illégalité éventuellement commise, soit de prononcer la résiliation du contrat ou de modifier certaines de ces clauses, soit de décider de la poursuite de son exécution, éventuellement sous réserve de mesures de régularisation par la collectivité contractante, soit d'accorder des indemnisations en réparation des droits lésés, soit enfin, après avoir vérifié si l'annulation du contrat ne porterait pas une atteinte excessive à l'intérêt général ou aux droits des cocontractants, d'annuler, totalement ou partiellement, le cas échéant avec un effet différé, le contrat ». La nullité est présentée en dernier lieu dans ce considérant de principe. Elle apparaît donc comme le remède ultime au rétablissement de la légalité.

La formulation retenue est également intéressante en ce qu'elle se départit des solutions antérieures. Alors que dans l'arrêt Institut de Recherche pour le Développement148(*), seule « une atteinte excessive à l'intérêt général » peut empêcher le prononcé de la nullité, l'arrêt Sté Tropic Travaux Signalisation, quant à lui, autorise le défendeur à invoquer « une atteinte excessive à l'intérêt général ou aux droits des cocontractants ». Le Conseil d'Etat offre au juge du contrat une alternative nouvelle permettant le maintien du contrat malgré l'irrégularité au nom d'une atteinte excessive aux droits des cocontractants. Là où il intégrait auparavant les droits des cocontractants dans le standard de l'intérêt général, il les dissocie aujourd'hui. Or, ce que recouvre l'expression de « droits des cocontractants » au sens du juge du contrat reste largement indéterminé.

De la même manière, la formulation employée par l'Assemblée du Conseil d'Etat indique que le juge du plein contentieux est en mesure de résilier le contrat. Il peut encore le maintenir avec un effet différé, c'est-à-dire pour le passé, mais uniquement sous réserve qu'il ne porte excessivement atteinte à l'intérêt général ou aux droits des cocontractants. Le juge du contrat est donc en mesure de prononcer, soit la résiliation indépendamment de toute condition explicite, soit une annulation avec un effet différé dès lors qu'elle ne porte pas une atteinte excessive à la diversité des intérêts en présence. Or, peu importe que le juge prononce la résiliation ou l'annulation avec un effet différé car les effets sont identiques : dans les deux cas, le contrat est privé d'effets pour l'avenir149(*).

Ainsi, le juge du contrat s'octroie de nouvelles potentialités et dispose d'une véritable palette de pouvoirs à l'encontre d'un contrat irrégulièrement conclu. Il a surtout l'opportunité de renouveler le contenu du standard juridique de l'intérêt général au moment où le droit communautaire se l'approprie. Les larges pouvoirs dont il dispose témoignent d'une ambiance générale de pragmatisme. Cette volonté initiale semble concrétisée par la suppression du principal obstacle au traitement des irrégularités effectué par le juge du contrat.

2. Un obstacle surmontable

L'ouverture d'un recours de plein contentieux objectif à l'encontre du contrat implique, aux termes de l'article L 521-1 CJA, que les tiers recevables puissent agir par la voie du référé-suspension150(*). Une partie de la doctrine s'est alors interrogée sur les effets potentiels de cette procédure accessoire sur le recours au principal. Les regards critiques se sont essentiellement portés sur la condition d'urgence pour laquelle il eût été « vraisemblable que le requérant bénéficie [...] d'une présomption »151(*). Or, si une mesure de suspension est automatiquement accordée, il est évident que l'objectif de la solution Sté Tropic Travaux Signalisation serait altéré. L'intervention du juge du contrat se trouverait court-circuitée par une décision juridictionnelle rendue antérieurement et ordonnant systématiquement la suspension de l'exécution du contrat. Désireuse de disposer de l'objet du marché en temps utile et de ne pas être paralysée dans son action, l'administration relancera sans doute une nouvelle procédure de passation.

Il n'est pourtant pas question d'assortir le recours direct des tiers évincés d'une procédure accessoire comparable, dans ses effets, aux référés précontractuels. Cette hypothèse a d'ailleurs immédiatement été exclue par le Commissaire du gouvernement CASAS. C'est la raison pour laquelle, en l'état actuel du droit, la condition d'urgence est difficilement admise par les juridictions du fond. Si la méthode de qualification de l'urgence est fluctuante, les solutions dégagées par les Tribunaux Administratifs convergent envers une rigueur en défaveur des requérants152(*).

Par conséquent, le référé-suspension n'est pas un obstacle à un traitement pragmatique des irrégularités. Ces dernières parviendront au contrôle du juge de pleine juridiction sans que le recours accessoire en paralyse l'exercice. La méthode de jugement proposée par l'arrêt Sté Tropic Travaux Signalisation n'est donc pas empêchée par l'enchevêtrement des contentieux. Elle ne l'est pas davantage en raison de l'enchevêtrement normatif puisque le droit communautaire encourage à un tel raisonnement.

B. Une méthode de jugement encouragée par le droit communautaire

Le droit communautaire est éminemment économique. A ce titre, le principe de sécurité juridique occupe une place déterminante dans la jurisprudence de la Cour de Justice. Ce principe général du droit communautaire trouve à s'appliquer dans l'ensemble du contentieux contractuel et a pour vocation d'éviter la censure de contrats irréguliers.

L'on pourrait tout d'abord penser qu'un acte peut continuer à produire des effets juridiques pour protéger la confiance que les cocontractants ont légitimement placé dans leurs relations avec le pouvoir adjudicateur. Le principe de protection de la confiance légitime est en effet d'application générale et ne suppose aucunement l'existence d'un texte en prévoyant l'invocabilité. De même, certains auteurs en voient parfois la mise en oeuvre dans la jurisprudence communautaire afférente au contentieux de la passation153(*). Mais le principe de protection de la confiance légitime ne trouve aucunement à s'appliquer en droit interne sans que cela contrarie le droit communautaire, la Cour ayant récemment affirmé son impertinence en la matière154(*).

Au regard de ces éléments, le principe de protection de la confiance légitime ne sera d'aucun secours pour justifier la survie d'un contrat conclu dans des conditions irrégulières. Il sera d'un intérêt davantage théorique. Cela ne signifie pas pour autant que tout contrat irrégulier soit automatiquement privé d'effets puisque la préservation de l'intérêt général a, dans certains cas, également vocation à en assurer le maintien.

L'anéantissement d'un contrat public irrégulier est certes destiné à répondre aux exigences du principe de légalité, mais il perturbe assurément l'intérêt général. C'est pourquoi une réflexion commune sur les effets des annulations contentieuses imprègne toujours plus l'ensemble de la doctrine155(*). La Cour est d'ailleurs consciente de ces difficultés en ce qu'elle permet aux Etats de ne pas systématiquement priver d'effets des conventions irrégulièrement attribuées.

Comme l'on sait, la Cour a reconnu dans son arrêt Commission contre Allemagne l'obligation pour les Etats de remettre en cause des contrats conclus dans des conditions contraires au droit communautaire. Toutefois, la solution ne saurait être généralisée à l'ensemble de ces conventions. La question du maintien du contrat conclu en violation du droit communautaire était en effet particulièrement controversée au sein de la formation de jugement. Ces divergences se sont matérialisées par une décision remarquée pour son « argumentation assez laconique »156(*) et sa rédaction empreinte de précaution. La Cour s'est manifestement prononcée « dans une situation telle que celle de l'espèce » et « aux vues de l'ensemble de ces circonstances »157(*). Les termes employés indiquent clairement qu'elle n'entend imposer aux Etats la résiliation des conventions uniquement en fonction d'éléments factuels. Dans cette affaire, les contrats litigieux étaient conclus pour une durée de trente ans. La solution aurait sans doute été différente si la relation contractuelle avait été plus brève. La Cour raisonne donc par rapport à un principe de proportionnalité et semble comparer, au cas par cas, les avantages et inconvénients pour les divers intérêts publics ou privés. Une relation contractuelle trentenaire irrégulièrement établie est trop préjudiciable envers le principe de légalité pour que le maintien des conventions soit envisageable, quand bien même l'intérêt général serait en cause.

Un recours en manquement initié par la Commission à l'encontre de l'Espagne a été l'occasion pour la Cour de réitérer ce raisonnement158(*). Dans cette affaire, il était notamment reproché à l'Etat en question de permettre qu'un marché annulé continue de produire des effets juridiques. Plus précisément, la loi espagnole prévoyait que « si [...] la déclaration administrative de nullité d'un contrat perturbe gravement le service public, le maintien des effets du contrat peut être prévu »159(*) sous certaines conditions. La Cour refuse cependant de condamner cette législation et considère que « la finalité de ladite disposition est non de faire obstacle à l'exécution de la déclaration de nullité d'un contrat déterminé, mais d'éviter, lorsque l'intérêt général est en jeu, les conséquences excessives et éventuellement préjudiciables d'une exécution immédiate de ladite déclaration [...] »160(*).

Il apparaît donc, au regard de ces deux arrêts, que le maintien des effets juridiques d'un contrat est envisageable en raison d'une atteinte excessive à l'intérêt général, laquelle peut être établie soit en fonction de la durée d'exécution du contrat, soit en raison de probables perturbations sur le service public.

Enfin, la nouvelle directive « recours » parachève l'énoncé de cette méthode en prévoyant que toute irrégularité n'entraîne pas ipso facto la privation d'effets d'un contrat irrégulier. Elle reconnaît aux Etats membres la faculté de « conférer à l'instance de recours un large pouvoir d'appréciation lui permettant de tenir compte de tous les facteurs pertinents, y compris la gravité de la violation [ou] le comportement du pouvoir adjudicateur »161(*). De même, il est possible de reconnaître aux juridictions nationales « la faculté de ne pas considérer un marché comme étant dépourvu d'effets, même s'il a été passé illégalement [...] si elles constatent, après avoir examiné tous les aspects pertinents que des raisons impérieuses d'intérêt général imposent que les effets du marché soient maintenus »162(*). La directive précise encore que de telles raisons ne sont jamais constituées par un intérêt économique directement lié au marché concerné.

Par conséquent, le droit communautaire ne remet nullement en cause la méthode pragmatique de traitement de l'irrégularité employée par le juge du contrat. La césure avec la rigueur du juge des référés précontractuels n'en est que plus frappante. Ce contraste saisissant met en évidence les excès du droit français dans la réception des exigences communautaires relatives au traitement de l'irrégularité dans le seul contentieux de la passation. Il encourage par ailleurs à une évolution jurisprudentielle ou législative favorable à la sécurité juridique. Ajoutée à une recherche active de l'irrégularité que le juge des référés précontractuels continue à mettre en oeuvre, il apparaît que le droit français surestime largement les exigences communautaires.

Conclusion

Au cours de ces vingt dernières années, le contentieux contractuel a fait l'objet d'évolutions considérables. Le droit communautaire a en effet contribué à de profondes métamorphoses des règles processuelles internes dans une constante recherche d'efficacité. Il est certain que sans la contrainte qu'il exerce sur le droit français, l'infirmité du contentieux dont il était question jadis aurait perduré. Elle n'aurait du moins été pansée avec une telle rapidité. Cette impulsion donnée par le droit communautaire a ensuite été relayée par le droit interne. Celui-ci a en effet participé, seul et par le biais d'une surestimation des exigences communautaires, à l'édification d'un droit processuel des contrats publics toujours plus efficace. Il en résulte une attention et une écoute particulière du droit interne envers le droit communautaire, prenant place dans les rapports pacifiques entretenus par ces deux ordres juridiques.

Une réflexion plus large supposant à elle seule bon nombre de développements mérite toutefois d'être soulevée. Traiter des rapports juridiques partagés entre deux ordres distincts a en effet la bien modeste ambition de mettre en évidence l'influence que l'un peut exercer sur l'autre, généralement dans un souci traditionnel de conformité. Mais le droit interne se trouve au coeur d'un véritable processus de globalisation et de perméabilité entre les systèmes juridiques. Cela implique qu'il soit soumis à des contraintes d'origines diverses dont certaines d'entres elles attirent davantage l'attention. Il en va ainsi des obligations découlant de la Convention européenne des droits de l'Homme puisque ses articles 6 et 13 ont naturellement vocation à s'appliquer au contentieux contractuel. Cette question a d'autant plus d'importance que depuis près d'un an, le Conseil d'Etat et les juridictions du fond marquent, timidement il est vrai, une volonté nouvelle de concevoir le droit communautaire comme un exemple juridique. Or, ce que le droit communautaire autorise dans un espace juridique de liberté peut parfaitement être prohibé par la Convention européenne des droits de l'Homme. C'est la raison pour laquelle il serait judicieux d'ouvrir le débat sur les implications des dispositions précitées dans le droit processuel des contrats publics.

Si cet enchevêtrement normatif ajoute au contentieux des contrats publics une dose supplémentaire de complexité, il lui permettra enfin de parvenir à l'équilibre et la maturité dont il est désormais en quête.

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III. Jurisprudence

1) Arrêts rendus par la CJCE

- 22 avril 1994 : Commission /c. Belgique, aff. C-87/94 R, Rec. CJCE, p. I-1395

- 19 septembre 1996 : Commission/c. Grèce, aff. C-236/95, Rec. CJCE, p. I-4459

- 19 mai 1999 : Commission /c. République française, aff. C-225/97, Rec. CJCE, p. I-3011

- 28 octobre 1999 : Alcatel Austria, aff. C-81/98, Rec. CJCE, p. I-7671

- 7 décembre 2000 : Telaustria Verlags GmbH, aff. C-324/98, Rec. CJCE, p. I-10745

- 18 juillet 2002 : Hospitale Ingénieure Krankenhaustechnik, aff. C-92/00, Rec. CJCE, p. I-5553

- 12 décembre 2002 : Universal Bau AG, aff. C-470/99, Rec. CJCE, p. I-11617

- 23 janvier 2003 : Makedoniko Metro et autres, aff. C-57/01, Rec. CJCE, p. I-1091

- 27 février 2003 : Santex SpA , aff. C-327/00, Rec. CJCE, p. I-1877

- 12 avril 2003 : EVN AG et Wienstrom GmbH, aff. C-448/01, Rec. CJCE, p. I-14527

- 15 mai 2003 : Commission /c. Royaume d'Espagne, aff. 214/00, Rec. CJCE, p. I-4667

- 19 juin 2003 : Werner Hackermüller, aff. C-249/01, Rec. CJCE, p. I-6319

- 19 juin 2003 : GAT GmbH, aff. C-315/01, Rec. CJCE, p. I-6315

- 19 juin 2003 : Fritsch, Chiari & Partner, aff. C-410/01, Rec. CJCE, p. I-6413

- 12 février 2004 : Grossmann Air Service, aff. C-230/02, Rec. CJCE, p. I-1829

- 3 mars 2004 : Fabricom SA, aff. Jtes C-21/03 et C-34/03, Rec. CJCE, p. I-1559

- 24 juin 2004, Commission /c. Autriche, aff. C-212/02,

- 11 janvier 2005 : Stadt Halle, aff. C-26/03, Rec. CJCE, p. I-1

- 2 juin 2005 : Koppensteiner GmbH, aff., C-15/04, Rec. CJCE, p. I-4855

- 7 juillet 2005 : Vereinging voor energie, aff. C-17/03, Rec. CJCE, p. I-14527.

- 8 septembre 2005 : Espace Trinon SA, aff. C-129/04, Rec. CJCE, p. I-7805

- 18 janvier 2007 : Auroux /c. Commune de Roanne, aff. C-220/05, Rec. CJCE, p. I-385

- 18 juillet 2007 : Commission c/. RFA, aff. C-503/04, Rec. CJCE, p. I-8153

- 4 octobre 2007 : Consorzio Elisoccorso San Raffaele, aff. C-492/06, Rec. CJCE, p. I-8189

- 11 octobre 2007 : Lämmerzahl GmbH, aff. C-241/06, Rec. CJCE, p. I-8415

- 13 novembre 2007 : Commission/c. Irlande, aff. C-507/03

- 3 avril 2008 : Commission /c. Royaume d'Espagne, aff. C-444/06

- 15 mai 2008, SECAP SpA /c. Commune de Torino, aff. jtes C-147/06 et C-148/06

- 19 juin 2008 : Pressetext Nachrichtenagentur GmbH, aff. C-454/06

2) Arrêts rendus par le CE

- 4 août 1905 : Martin, Rec., p. 749, concl. ROMIEU

- Ass. 20 octobre 1989 : Nicolo, Rec., p. 190, concl. P. FRIDMAN

- sect. 3 novembre 1995 : District de l'agglomération nancéenne, Rec., p. 391

- sect. 3 novembre 1995 : Chambre de commerce et d'industrie de Tarbes et des Hautes-Pyrénées, Rec., p. 394

- sect. 6 décembre 1995 : Département de l'Aveyron et Sté Jean-Claude Decaux, Rec., p. 428

- 19 février 1996, Sté Aubettes, Rec., p. 45

- Ass. 10 juillet 1996 : Cayzeele, Rec., p. 274

- 2 octobre 1996 : SARL Entreprise générale électricité Noël Béranger, Rec., p. 371

- 16 décembre 1996 : Conseil Régional de l'Ordre des Architectes de la Martinique, Rec., p. 493

- sect. 30 octobre 1998 : Ville de Lisieux, Rec., p. 375

- 26 mai 1999 : Sté anonyme Steelcase Strafor, Rec., p. 890

- 28 juillet 1999 : SA Bouygues e. a., Rec., p. 266

- 30 juin 1999 : SMITOM Centre Ouest Seine et Marnais, n° 198147

- 16 octobre 2000 : Sté Stéreau, Rec., p. 1103

- 19 octobre 2001 : Sté Alstom Transport SA, Rec., p. 868

- 7 novembre 2001 : Sté Anonyme Quillery, n° 218221

- 10 décembre 2003 : Institut de Recherche pour le Développement, Rec., p. 584

- 3 mars 2004 : Sté Mak System, Rec., p. 121

- 28 avril 2004 : SA Entreprise Roger Martin, Rec., p. 771

- 30 juin 2004 : Sté Nationale des Chemines de Fer, n° 263402,

- 8 avril 2005 : Sté Radiometer, Rec., p. 698

- 29 juin 2005 : Chambre de commerce et d'industrie du Pas-de-Calais, n° 266631

- 30 novembre 2005 : Sté Transports Cerdans et a., Juris-Data n° 2005-069361

- 6 janvier 2006 : Syndicat Mixte de collecte, de traitement et de valorisation des déchets du Vendemois, Juris-Data n° 2006-069635

- 20 octobre 2006, Commune d'Andeville, Rec., p. 434

- 15 décembre 2006 : Sté Corsica Ferries, Rec., p. 566

- 13 juillet 2007 : Syndicat intercommunal périphérie Paris pour électricité et réseau communication Paris, Juris-Data n° 2007-072190,

- Ass. 16 juillet 2007 : Société Tropic Travaux Signalisation, n° 291545

- 19 septembre 2007 : Communauté d'agglomération Saint-Etienne Métropole, Juris-Data n° 2007-072417

- 19 décembre 2007 : Syndicat intercommunal d'alimentation en eau potable du Confolentais, n° 291487,

- 8 février 2008 : Département de L'Essonne, Juris-Data n° 2008-073132

- 23 mai 2008 : Musée Rodin, Juris-Data n° 2008-073609

3) Arrêts rendus par les CAA

- Bordeaux, 23 octobre 2003 : Département de la Réunion, n° 01XB02357

4) Jugements rendus par les TA

- Montpellier, 10 juin 1993, Sté Stan/c. Commune de Canet-en-Roussillon, Rec., p. 514

- Rennes, 31 mars 1994 : Becam, Rec., p. 1043

- Clermont-Ferrand, 13 février 1995 : Préfet du Puy-de-Dôme /c. OPAC du Puy-de6Döme et du Massif central, Rec., p. 926

- Versailles, 23 octobre 1997, Sté Plastic Omnium c/ SICTOM Région Isle Adam, n° 973776

- Strasbourg, 14 novembre 2000 : Daniel Delrez /c. Ville de Metz, n° 99-3999

- Lyon, 28 juin 2001 : Sté Sondalp Lyon, n° 00LY01979

- Orléans, 28 mars 2003 : Atelier d'architecture Arène et Edeikins, n° 03-593

- Lyon, 23 mars 2006 : Sté Erba, Juris-Data n° 2006-298288

- Paris, 8 novembre 2006 : Sté Forsup Conseil, n° 0615289

- Versailles, 15 octobre 2007 : Sté Bruno Kern Avocats, n° 0709671

- Lyon, 19 octobre 2007 : Sté Sepur, n° 07-06192

- Nice, 9 novembre 2007 : Sté du parking de la promenade du Paillon /c. Ville de Nice, n° 0400460

- Rouen : 8 Février 2008 : Sté Lancasterres IDF, n° 08001600

- Besançon, 12 février 2008 : Sté CBS, n° 800115

- Orléans, 28 mai 2008 : Compost Sud Essone, n° 00801520

Table des matières

LISTE DES PRINCIPALES ABRÉVIATIONS - 1 -

SOMMAIRE - 2 -

INTRODUCTION - 3 -

CHAPITRE I. UNE PLEINE RÉCEPTION DES EXIGENCES COMMUNAUTAIRES PAR LE DROIT INTERNE - 8 -

Section I. La soumission des actes à un contrôle juridictionnel : un facteur de contrainte modéré - 9 -

§ 1. Les actes du pouvoir adjudicateur - 9 -

A. La recherche par le droit communautaire d'une pleine soumission des actes du pouvoir adjudicateur au principe de légalité - 9 -

1. Une volonté amplement proclamée - 10 -

2. Une mise en oeuvre au service de l'efficacité - 11 -

B. Le poids relatif de la contrainte communautaire sur le droit interne - 13 -

1. Une réception largement indifférente des exigences communautaires - 14 -

2. Des résistances ponctuelles - 15 -

§ 2. L'acte contractuel - 17 -

A. L'incidence de l'antériorité du droit français dans la détermination des exigences communautaires - 17 -

1. Le retrait passé du droit communautaire - 18 -

2. Une construction contentieuse initialement hors contrainte : une référence dans la fixation des impératifs communautaires - 19 -

B. L'influence réduite du droit communautaire dans la modification des règles contentieuses internes - 20 -

1. Une simplification contentieuse imposée par le droit communautaire - 20 -

2. Une simplification contentieuse souhaitée en droit interne - 22 -

Section II. L'instauration d'un recours juridictionnel efficace : un puissant facteur de contrainte - 23 -

§ 1. Une mise en oeuvre simplifiée des recours - 23 -

A. L'élimination des entraves à l'exercice d'un recours efficace - 23 -

1. La prohibition des recours préalables au fond - 24 -

2. Le strict encadrement des recours préalables gracieux - 24 -

B. Le renforcement des garanties procédurales favorisant l'accès au juge - 25 -

1. L'instauration d'un délai minimal entre la décision d'attribution et la signature du contrat - 26 -

2. La communication aux candidats évincés des motifs ayant conduit au rejet de leurs offres - 27 -

§ 2. Les pouvoirs du juge des référés précontractuels - 28 -

A. Les pouvoirs du juge des référés secteurs « de base » : une transposition douloureuse - 28 -

B. Les pouvoirs du juge des référés secteurs « exclus » : une transposition laborieuse - 30 -

CHAPITRE II. UNE LARGE SURESTIMATION DES EXIGENCES COMMUNAUTAIRES PAR LE DROIT INTERNE - 32 -

Section I. Le dépassement des exigences communautaires dans la recherche de l'irrégularité - 33 -

§ 1. Une exagération à l'initiative du législateur - 33 -

A. Les contrats soumis aux référés précontractuels - 33 -

1. Les marchés publics au sens du droit communautaire - 34 -

2. Les marchés publics dont le montant est supérieur aux seuils d'application des directives matérielles - 35 -

B. La forclusion - 37 -

1. Une faculté inemployée - 37 -

2. Le juge du contrat au secours de la sécurité juridique - 39 -

§ 2. Une exagération à l'initiative du juge - 41 -

A. La qualité pour agir - 42 -

1. Un libéralisme excessif - 42 -

2. Une possible limitation de la qualité pour agir - 43 -

B. Les moyens invocables - 46 -

1. Des moyens opérants inadaptés aux réalités économiques - 47 -

2. Une improbable restriction des moyens opérants - 48 -

Section II. Le dépassement des exigences communautaires dans le traitement de l'irrégularité - 51 -

§ 1. La rigueur constante du juge des référés précontractuels - 51 -

A. Une nécessaire application de la théorie des irrégularités non substantielles - 51 -

1. Une rigueur démesurée - 52 -

2. Un cadre juridique favorable - 53 -

B. Une mise en oeuvre délicate - 55 -

§ 2. Le pragmatisme magistralement affirmé par le juge du contrat - 56 -

A. La nullité : fin exceptionnelle des rapports contractuels - 56 -

1. Une volonté affirmée - 56 -

2. Un obstacle surmontable - 58 -

B. Une méthode de jugement encouragée par le droit communautaire - 59 -

CONCLUSION - 63 -

BIBLIOGRAPHIE - 64 -

TABLE DES MATIÈRES - 71 -

* 1 CE, 4 août 1905 : Martin, Rec., p. 749, concl. ROMIEU.

* 2 R. CHAPUS : Droit du contentieux administratif, Montchrestien, 12ème éd., 2006, p. 1439.

* 3 Directive 89/665/CEE du Conseil du 21 décembre 1989 portant coordination des dispositions législatives, réglementaires et administratives relatives à l'application des procédures de recours en matière de passation des marchés publics, de fournitures et de travaux (JOCE du 30 décembre 1989, L 395, p. 33).

* 4 Directive 92/13 CEE du Conseil du 25 février 1992 portant coordination des dispositions législatives, réglementaires et administratives relatives à l'application des règles communautaires sur les procédures de passation des marchés des entités opérant dans les secteurs de l'eau, de l'énergie, des transports et des télécommunications (JOCE du 23 mars 1992, L 76, p. 14).

* 5 Il s'agit actuellement des directives 2004/17/CE du Parlement européen et du Conseil du 3 mars 2004 portant coordination des procédures de passation des marchés dans les secteurs de l'eau, de l'énergie, des transports et des services postaux (JOUE du 10 avril 2004, L 134, p. 1) et 2004/18/CE du Parlement européen et du Conseil du 31 mars 2004 relative à la coordination des procédures de passation des marchés publics de travaux, de fournitures et de services (JOUE du 10 avril 2004, L 134, p. 114).

* 6 La directive 89/665 du 21 décembre 1989 est transposée par la loi n° 92-10 du 4 janvier 1992 et le décret n° 92-964 du 7 septembre 1992 (art. L 551-1 CJA). La directive 92/13 du 25 février 1992 est transposée par la loi n° 93-1416 du 29 décembre 1993 (art. L 551-2 CJA).

* 7 Voir notamment : M. RONCIERE : « L'article L 22 : innovations et interrogations », in LPA, 12 août 1994, p. 7 ;
D. CHABANOL : « Les articles L 22 et L 23 du code des TA-CCA », in Gaz. Pal., 25-27 décembre 1994, doctrine,
p. 2 ; R. VANDERMEEREN : « Le référé administratif précontractuel », in AJDA, 1994, p. 91.

* 8 Ph. TERNEYRE : « L'émergence d'un recours contentieux du troisième type », in ALD, 1992, p. 82.

* 9 Pour illustrer la volonté particulièrement marquée des membres de la juridiction administrative au respect des exigences de la directive « recours », voir J-H. STAHL et D. CHAUVAUX : « Régime du référé précontractuel »,
in AJDA, 1995, p. 888.

* 10 Sans méconnaître l'importance des décisions antérieures, les arrêts rendus sur le fondement des directives « recours » n'ont acquis une véritable richesse de contenu que depuis l'affaire Alcatel Austria : CJCE, 28 octobre 1999 : Alcatel Austria AG e.a., aff. C-81/98, Rec. CJCE, p. I-7671.

* 11 F. LLORENS et P. SOLER-COUTEAUX : « Le régime contentieux des marchés publics saisi par le droit communautaire », in Contrats et Marchés Publ., juin 2003, n° 6, Repère 6.

* 12 F. LLORENS et P. SOLER-COUTEAUX : « La nouvelle directive «recours» et la conclusion du contrat », in Contrats et Marchés Publ., février 2008, n° 2, Repère 2.

* 13 CE, Ass. 20 octobre 1989 : Nicolo, Rec., p. 190, concl. P. FRIDMAN.

* 14 CE, Ass. 16 juillet 2007 : Société Tropic Travaux Signalisation, n° 291545.

* 15 CJCE, 18 juillet 2007 : Commission c/. RFA, aff. C-503/04, Rec. CJCE, p. I-8153.

* 16 Directive 2007/66/CE du Parlement européen et du Conseil du 11 décembre 2007 modifiant les directives 89/665/CEE et 92/13/CEE du Conseil en ce qui concerne l'amélioration de l'efficacité des procédures de recours en matière de passation des marchés publics (JOUE du 20 décembre 2007, L 335, p. 31). La date limite de transposition de cette directive est fixée au plus tard pour le 20 décembre 2009.

* 17 Il est ici fait référence au rapport public du Conseil d'Etat publié en 2007 dont l'intitulé est révélateur des rapports pacifiés entretenus par les deux ordres juridiques : « L'administration française et l'Union Européenne, Quelles influences ? Quelles stratégies ? », EDCE, 2007, n° 58.

* 18 CJCE, 28 octobre 1999 : Alcatel Austria, aff. C-81/98, Rec. CJCE, p. I-7671, in RDI, 2001, p. 165, note
F. LLORENS et P. SOLER-COUTEAUX.

* 19 Concl. J. MISCHO, point 31, sur CJCE, 28 octobre 1999 : Alcatel Austria, aff. C-81/98, préc.

* 20 CJCE, 28 octobre 1999 : Alcatel Austria, aff. C-81/98, préc., point 35.

* 21 CJCE, 19 juin 2003 : GAT GmbH, aff. C-315/01, Rec. CJCE, p. I-6315, point 52 ; CJCE, 11 janvier 2005 :
Stadt Halle, aff. C-26/03, Rec., CJCE, p. I-1, point 32.

* 22 Concl. Ch. STIX-HACKL, point 61, sur CJCE, 2 juin 2005 : Koppensteiner GmbH, aff., C-15/04, Rec. CJCE,
p. I-4855.

* 23 CJCE, 18 juillet 2002 : Hospitale Ingénieure Krankenhaustechnik - Planungs Gesellschaft GmbH, aff. C-92/00, Rec. CJCE, p. I-5553, in Contrats et Marchés Publ., septembre 2002, n° 8, comm. 196, note F. LLORENS.

* 24 CJCE, 18 juillet 2002 : Hospitale Ingénieure, aff. C-92/00, préc., point 43.

* 25 CJCE, 23 janvier 2003 : Makedoniko Metro et autres, aff. C-57/01, Rec. CJCE, p. I-1091, in contrats et marchés publ., mars 2003, n° 3, comm. 50, note F. LLORENS.

* 26 CJCE, 15 mai 2003 : Commission /c. Royaume d'Espagne, aff. 214/00, Rec. CJCE, p. I-4667.

* 27 CJCE, 15 mai 2003 : Commission /c. Royaume d'Espagne, aff. 214/00, préc., point 79.

* 28 CJCE, 11 janvier 2005 : Stadt Halle, aff. C-26/03, Rec., CJCE, p. I-1, in Europe, mars 2005, n° 3, comm. 89, note E. MEISSE ; confirmé par CJCE, 3 mars 2004 : Fabricom SA, aff. Jtes C-21/03 et C-34/03, rec. CJCE, p. I-1559,
in Contrats et Marchés Publ., avril 2005, n° 4, comm. 127, note W. ZIMMER : en l'espèce, il est établi que le fait pour un pouvoir adjudicateur de ne pas prendre une décision relative à la possibilité ou non de candidater à un marché constitue une décision attaquable au sens de la directive « recours ».

* 29 Concl. A. TIZZANO, point 24, sur CJCE, 18 juillet 2002 : Hospitale Ingénieure, aff. C-92/00, préc.

* 30 R. CHAPUS : Droit du contentieux administratif, Montchrestien, 12ème éd., 2006, p.708 : la détermination des décisions détachables « est simple, puisqu'on peut dire qu'elles sont toutes détachables, depuis celles qui acheminent vers la conclusion [...] du contrat [...] jusque, le cas échéant, à celles qui en approuvent la conclusion ».

* 31 CE, 15 décembre 2006 : Sté Corsica Ferries, Rec., p. 566, in AJDA, 2007, p. 185, note J-D DREYFUS, au sujet de la passation d'un contrat de délégation de service public.

* 32 TA, Clermont-Ferrand, 13 février 1995 : Préfet du Puy-de-Dôme /c. OPAC du Puy-de-Döme et du Massif central, Rec., p. 926.

* 33 CJCE, 2 juin 2005 : Koppensteiner GmbH, aff. C-15/04, préc., point 31 ; annoncée par CJCE, 18 juillet 2002 : Hospitale Ingénieure, aff.C-92/00, préc.

* 34 CE, 26 mai 1999 : Sté anonyme Steelcase Strafor, Rec., p. 890, in BJCP, 1999, p. 523, Concl. H. SAVOIE.

* 35 CE, 28 avril 2004 : SA Entreprise Roger Martin, Rec., p. 771 ; CE, 30 novembre 2005 : Sté Transports Cerdans et a., Juris-Data n° 2005-069361, in Contrats et Marchés Publ., février 2006, n° 2, comm.55, note F. LLORENS.

* 36 Concl. A. TIZZANO, point 37, sur CJCE, 18 juillet 2002 : Hospitale Ingénieure, aff. C-92/00, préc : Selon l'Avocat général repris par la Cour, Il est possible que l'instance nationale responsable des recours s'en tienne à « la vérification des règles de procédure et de motivation, ainsi que de l'exactitude matérielle des faits et de l'absence d'erreur manifeste d'appréciation et de détournement de pouvoir ».

* 37 TA, Montpellier, 10 juin 1993, Sté Stan /c. Commune de Canet-en-Roussillon, Rec., p. 514 : « Les pouvoirs du Président du Tribunal Administratif [...] ne peuvent être exercés qu'avant la signature du contrat, et le recours présenté [...] ne peut tendre à l'annulation de celui-ci ou à la suspension de ses effets » ; CE, sect. 3 novembre 1995 : Chambre de commerce et d'industrie de Tarbes et des Hautes-Pyrénées, Rec., p. 394, AJDA, 1995, p. 945, chron. J-H. STAHL et D. CHAUVAUX.

* 38 Voir notamment CE, 29 mars 2004, Communauté de communes du centre littorale, n° 258114, in Contrats et Marchés Publ., juin 2004, n° 6, comm. 123, note. F. LLORENS.

* 39 F. CHALTIEL : « Droit au recours contre un contrat administratif : sécurité juridique renforcée, respect du droit européen anticipé », in LPA, 2007, 21 août 2007, n° 167, p. 3.

* 40 CJCE, 22 avril 1994 : Commission /c. Belgique, aff. C-87/94 R, Rec. CJCE, p. I-1395, point 34 : « [...] le législateur communautaire, sensible à la diversité des droits nationaux et soucieux de ménager autant que possible le principe de sécurité juridique, a d'abord privilégié les recours antérieurs à la conclusion d'un marché. En décidant que les effets d'un recours à l'encontre d'un contrat déjà conclu sont déterminés par le droit national et en permettant qu'un Etat membre limite ces effets à l'allocation de dommages-intérêts à la personne lésée, il a admis qu'un Etat exclu, au plan national, l'annulation d'un contrat en cours » ; CJCE, 28 octobre 1999 : Alcatel Austria AG, aff. C-81-98, préc., point 37 : « [...] il ressort déjà du libellé même de l'article 2, paragraphe 6 de la directive 89/665 que la limitation des procédures de recours ne concerne que la situation qui existe après la conclusion du contrat qui suit la décision de l'attribution d'un marché. Ainsi, la directive 89/665 opère une distinction entre le stade antérieur à la conclusion du contrat, auquel l'article 2, paragraphe 1 est applicable, et le stade postérieur à la conclusion de celui-ci à l'égard duquel un Etat membre peut prévoir, selon l'article 2, paragraphe 6, second alinéa que les pouvoirs de l'instance responsable des procédures de recours se limitent à l'octroi de dommages-intérêts à toute personne lésée par une violation ».

* 41 J-F. BRISSON : « Le droit au juge dans le contentieux des marchés publics. Dynamisme, dynamiques et limites du droit communautaire processuel », in Contrats publics, Mélanges en l'honneur du Professeur Michel GUIBAL, textes réunis et présentés par G. CLAMOUR et M. UBAUD-BERGERON, Université Montpellier I, coll. Mélanges, vol 2, p. 359.

* 42 CJCE, 18 juillet 2007 : Commission c/. RFA, aff. C-503/04, préc.

* 43 Directives 89/665 et 92/13 modifiées, art. 2 quiquies § 1 : « Les Etats membres veillent à ce qu'un marché soit déclaré dépourvu d'effets par une instance de recours indépendante de l'entité adjudicatrice ou à ce que l'absence d'effets dudit marché résulte d'une décision d'une telle instance dans chacun des cas suivants [...]». Ces hypothèses renvoient pour l'essentiel aux violations les plus graves du droit communautaire.

* 44 Voir par exemple P. PESCATORE : « Le recours, dans la jurisprudence de la Cour de justice des Communautés européennes, à des normes déduites de la comparaison des droits des Etats membres », in RIDC, 1980, p. 337 : « le «droit comparé» occupe une place importante dans la pratique de la Cour [...] » ; Y. GALMOT : « Réflexion sur le recours au droit comparé par la Cour de justice des Communautés européennes », in RFDA, 1990, p. 255 : « [...] on a vu que la Cour a tendance à aligner le droit communautaire sur celui des Etats membres les plus performants ».

* 45 CE, Ass. 10 juillet 1996 : Cayzeele, Rec., p. 274.

* 46 CE, Sect. 30 octobre 1998 : Ville de Lisieux, Rec., p. 375, concl. J-H. STAHL.

* 47 CE, 10 décembre 2003 : Institut de Recherche pour le Développement, Rec., p. 584.

* 48 S. TREUMER : « Towards an obligation to terminate contracts concluded in breach of the EC public procurement rules : the end of the status of concluded public contracts as sacred cows »; in PPLR, 2007, p. 381.

* 49 S. TREUMER préc. : « The traditional perception in legal theory has been commonly followed in European public procurement practice, and in most Member states a breach of the EC public procurement rules has never led to a termination of the contract. Practice in France appears to have deviated from this based a national law. In this member state it has been established practice for more than 100 years based on Supreme Court practice that a public contract can be declared null and void after annulment of decisions of the contracting authorities ».

* 50 Concl. D. CASAS sur CE, Ass. 16 juillet 2007 : Sté Tropic Travaux Signalisation, in RFDA, 2007, p. 701.

* 51 Concl. V. TRSTENJAK sur CJCE, 18 juillet 2007 : Commission /c. RFA, aff. C-503/04, in RFDA, 2007, dossier p. 598.

* 52 Il est intéressant de remarquer que le projet de nouvelle directive « recours » a étayé à plusieurs reprises les argumentations des Commissaires du gouvernement. Il paraît donc nécessaire aux membres de la juridiction administrative de calquer les solutions nationales sur les exigences communautaires. Pour un exemple significatif, voir concl. N. BOULOUIS sur CE, 19 décembre 2007 : Syndicat intercommunal d'alimentation en eau potable du Confolentais, n° 291487, in BJCP, 2008, p. 123 : Ces conclusions conformes indiquent que « à la différence du vice d'incompétence qui n'est pas régularisable, et même si l'on peut parler ici d'incompétence ratione temporis, la signature précoce d'un contrat ne peut pas, ne doit pas être une cause de sa nullité. Il nous semble que c'est bien ce que prévoit le projet de modification des directives 89/665/CEE et 92/13/CEE, si l'on en croit le texte de compromis entre le Conseil et le Parlement qui n'envisage la nullité de principe d'un marché signé avant l'expiration de la période de stand still que si, par ailleurs sont constatées «des violations des directives 2004/18/CE ou 2004/17/CE telles qu'elles ont compromis les chances du soumissionnaire intentant un recours d'obtenir le marché» ».

* 53 Voir pour une illustration, TA, Versailles, 23 octobre 1997, Sté Plastic Omnium c/ SICTOM Région Isle Adam, in DA, avril 1998, n° 4, p. 4, note D. POUYAUD : « On ne voit pas ce qui s'oppose à ce qu'un seul juge soit doté des pouvoirs nécessaires pour donner par une seule décision satisfaction au requérant ».

* 54 J. GOURDOU et Ph. TERNEYRE : « Pour une clarification du contentieux de la légalité en matière contractuelle », in CJEG, 1999, p. 249.

* 55 F. LLORENS : « Les conséquences de la nullité des marchés publics et des délégations de service public », in CJEG, 2002, p. 590.

* 56 CJCE, 19 septembre 1996 : Commission /c. Grèce, aff. C-236/95, Rec. CJCE, p. I-4459, point 11 : « Les Etats membres sont tenus, plus généralement, de doter leurs instances de recours du pouvoir de prendre, indépendamment de toute action préalable, toutes mesures provisoires, «y compris des mesures destinées à suspendre ou à faire suspendre la procédure de marché public en cause» ».

* 57 CJCE, 15 mai 2003 : Commission /c. Royaume d'Espagne, aff. C-214/00, préc.

* 58 Directive 89/665, art. 1 § 3 in fine.

* 59 CJCE, 19 juin 2003 : Fritsch, Chiari & Partner, aff. C-410/01, Rec. CJCE, p. I-6413, point 31, confirmé par CJCE, 12 février 2004: Grossmann Air Service, aff. C-230/02, Rec. CJCE, p. I-1829, point 27 : la directive doit être intégrité en ce sens qu'elle s'oppose « à ce qu'une personne qui a participé à une procédure de passation d'un marché public soit considéré comme ayant perdu son intérêt à obtenir ce marché, au motif que, avant d'introduire une procédure de recours prévue par ladite directive, elle a omis de saisir une commission de conciliation [...] ».

* 60 Décret n° 2000-1115 du 22 novembre 2000.

* 61 Directives 89/665 et 92/13 modifiées, art. 1 § 5.

* 62 Concl. J. MISCHO, point 37, sur CJCE, 28 octobre 1999 : Alcatel Austria, aff. C-81/98, préc.

* 63 CJCE, 28 octobre 1999 : Alcatel Austria, aff. C-81/98, préc.

* 64 CJCE, 24 juin 2004, Commission /c. Autriche, aff. C-212/02, in Contrats et Marchés Publ., août 2004, n° 8, comm. 176, note W. ZIMMER.

* 65 Directives 89/665 et 92/13 modifiées, art. 2 bis § 2.

* 66 F. LLORENS : « Le référé précontractuel, entre continuité et changement » in Le nouveau juge administratif des référés. Réflexion sur la réforme opérée par la loi du 30 juin 2000, Annales de la Faculté de Droit de Strasbourg - nouvelle série, n° 5, (dir. P. WACHSMANN), 2002, p. 28.

* 67 CJCE, 24 juin 2004, Commission /c. Autriche, aff. C-212/02, préc., point 21.

* 68 Directives 89/665 et 92/13 modifiées, art. 2 bis § 2 in fine.

* 69 Directive 89/665, art. 2 § 1.

* 70 Directive 92/13, art. 2 § 1 a).

* 71 Directive 92/13, art. 2 § 1 b).

* 72 Directive 92/13, art. 2 § 1 c).

* 73 CJCE, 19 mai 1999 : Commission /c. République française, aff. C-225/97, Rec. CJCE, p. I-3011, point 25, in
RDI, 1999, p. 393, note F. LLORENS. En revanche, la Cour a jugé que le droit français était contraire au droit communautaire puisque un système d'attestation n'avait aucunement été prévu et que des procédures de conciliation n'avaient pas été mises en place.

* 74 Le contentieux contractuel fait aujourd'hui encore l'objet d'innovations quant aux pouvoirs du juge. C'est ainsi que la nouvelle directive « recours » prévoit que l'instance nationale chargée des recours à l'encontre du contrat puisse infliger des « sanctions de substitutions », notamment des « pénalités financières » (Directives 89/665 et 92/13 modifiées, art. 2 sexies § 2). Pour l'heure, le juge administratif ignore cette faculté.

* 75 F. LLORENS et P. SOLER-COUTEAUX : « La nouvelle directive «recours» et la conclusion du contrat », in Contrats et Marchés Publ., février 2008, n° 2, Repère. 2. L'interprétation des directives « recours » est unanimement perçue comme une source de complexité. Pour des exemples de difficultés rencontrées en droits étrangers, voir
H. LLOYD, « L'expérience britannique en matière de marchés publics de travaux », in RDI, 1998, p. 555 ;
W. WEDEKIND, « L'expérience néerlandaise en matière de marchés publics de travaux », in RDI, 1998, p. 569, « L'interprétation de la directive pose beaucoup de problèmes. C'est ainsi qu'on se heurte à la structure et à la langue juridique de la directive, et qu'on est confronté à des notions inconnues ». L'avènement de la nouvelle directive « recours » ne rompt pas avec les difficultés passées liées au mode de rédaction : voir notamment G. KALFLECHE : « la modification des directives «recours» en matière de marchés publics », in Europe, avril 2008, n°4, étude 4 : la directive contient « tous les éléments d'une législation absconse [dont] le style et les renvois incessants en rendent la lecture particulièrement fastidieuse ».

* 76 Loi n° 93-122 du 29 janvier 1993 relative à la prévention de la corruption et à la transparence de la vie économique et des procédures publiques

* 77 Ordonnance n° 2004-559 du 19 juin 2004 sur les contrats de partenariat.

* 78 Loi n°91-3 du 3 janvier 1991 relative à la transparence et à la régularité des procédures de marchés et soumettant la passation de certains contrats à des règles de publicité et de mise en concurrence.

* 79 CJCE, 18 janvier 2007 : Auroux /c. Commune de Roanne, aff. C-220/05, Rec. CJCE, p. I-385, in Contrats et Marchés Publ., 2007, comm. 38, note W. ZIMMER.

* 80 CJCE, 7 décembre 2000 : Telaustria Verlags GmbH, aff. C-324/98, Rec. CJCE, p. I-10745.

* 81 Pour illustration, l'obligation de transparence implique notamment un degré de publicité adéquat pour les marchés de faible valeur. Or, la question de savoir ce que constitue un tel degré de publicité reste encore sans réponse de la part de la Cour de Justice : concl. E. SHARPSTON, sur CJCE, 26 avril 2007 : Commission /c. Finlande,
aff. C-195/04, in BJCP, 2007, p. 348.

* 82 Communication interprétative du 23 juin 2006 de la Commission relative au droit communautaire applicable aux passations de marchés non soumises ou partiellement soumises aux directives «marchés publics» (JOCE, 1er août 2006, C-179/2).

* 83 CJCE, 13 novembre 2007 : Commission /c. Irlande, aff. C-507/03. Voir pour une récente confirmation
CJCE, 15 mai 2008, SECAP SpA /c. Commune de Torino, aff. jtes C-147/06 et C-148/06, in JCPA, 2008, n° 2125, comm. F. LINDITCH.

* 84 F. LINDITCH : « La suppression du Code des marchés publics envisagée ? », in Contrats et Marchés Publ., décembre 2007, n° 12, alerte 37 : « Si le code pose quelques problèmes, celle de sa sanction en pose bien davantage. Lors d'un colloque organisé par la Société des législations comparées, et l'Université de Freiburg, nous nous sommes laissés dire que les allemands, eux, n'ont pas ouvert la possibilité du référé en dessous des seuils communautaires. Si cette piste était suivie, ce serait le Code de la justice administrative, et non celui des marchés, qui nécessiterait d'être réformé... ».

* 85 J-F. LAFAIX : « La nouvelle directive «recours» ou l'esquisse d'une exigence de «sanction adaptée» - commentaire de la directive 2007/66/CE du 11 décembre 20007 », in Contrats et Marchés Publ., avril 2008, n° 4 étude 4.

* 86 Directives 89/665 et 92/13 modifiées, art. 2 sexies § 2.

* 87 Directive 89/665, art. 1 § 3 : « Les États membres assurent que les procédures de recours sont accessibles, selon des modalités que les États membres peuvent déterminer [...] ». 

* 88 Il a été jugé que le rejet par l'administration d'une demande préalable ne fait pas courir le délai de droit commun de deux mois au terme duquel le recours précontractuel serait irrecevable. Voir en ce sens CE : 30 juin 1999 : SMITOM Centre Ouest Seine et Marnais, n° 198147, in LPA, 28 juin 2000, n° 41, p. 10, note C. BOITEAU.

* 89 CJCE, 12 décembre 2002 : Universal Bau AG, aff. C-470/99, Rec. CJCE, p. I-11617, point 79, in RDI, 2003, p. 81, note J-D. DREYFUS.

* 90 CJCE, 12 décembre 2002 : Universal Bau AG, aff. C-470/99, préc.

* 91 Directives 89/665 et 92/13 modifiées, art. 2 quater.

* 92 Voir notamment TA, Strasbourg, 14 novembre 2000 : Daniel Delrez /c. Ville de Metz, n° 99-3999, in AJDA, 2001, p. 385, Concl. P. DEVILLERS. « Considérant que la délibération du 30 avril 1999, par laquelle le Conseil municipal de la ville de Metz à autoriser le maire à engager une procédure d'appel d'offres en vue de la passation d'un marché de conception-réalisation constitue, avec la délibération du 29 octobre 1999 décidant du choix des titulaires de ce marché, les éléments d'une même opération complexe : que dans ces conditions M. Delrez est recevable, pour obtenir l'annulation de la délibération contestée, à exciper de l'illégalité éventuelle de la première délibération [...] ».

* 93 Le juge de l'excès de pouvoir en limite parfois les effets par application de la théorie des droits acquis. Pour illustration, voir CAA, Bordeaux, 23 octobre 2003 : Département de la Réunion, n° 01XB02357, in Contrats et Marchés Publ., janvier 2004, n° 1, comm. 13, note Ph. DELELIS. « Considérant que [...] la décision de signer le contrat crée en effet au profit du co-contractant de l'administration un droit acquis, sur lequel il ne peut être revenu, passé le délai de recours contentieux ».

* 94 CE, Ass. 16 juillet 2007 : Société Tropic Travaux Signalisation, préc.

* 95 Conclusion D. CASAS sur CE, Ass. 16 juillet 2007 : Sté Tropic Travaux Signalisation, in RFDA, 2007, p. 696.

* 96 Directives 89/665 et 92/13 modifiées, art. 2 septies, 1. a).

* 97 Directives 89/665 et 92/13 modifiées, art. 2 septies, 1. b).

* 98 CJCE, 27 février 2003 : Santex SpA, aff. C-327/00, Rec. CJCE, p. I-1877, point 57, in Contrats et Marchés Publ., juin 2003, n° 6, p. 25 ; note F. LLORENS.

* 99 CJCE, 11 octobre 2007 : Lämmerzahl GmbH, aff. C-241/06, Rec. CJCE, p. I-8415, in Europe, décembre 2007, n° 12, comm. 340, E. MEISSE.

* 100 Concl. E. SHARPSTON, point 68, sur CJCE, 11 octobre 2007 : Lämmerzahl GmbH, aff. C-241/06, préc.

* 101 Pour un raisonnement analogue, voir CJCE, 12 février 2004: Grossmann Air Service, aff. C-230/02, préc. Dans cette affaire, la Cour se fonde sur le critère du degré de connaissance de l'irrégularité pour refuser l'accès au juge à la requérante qui a préféré attendre la décision d'attribution pour alléguer une irrégularité affectant l'appel d'offres et dont elle a immédiatement eu connaissance.

* 102 TA. Lyon, 23 mars 2006 : Sté Erba, Juris-Data n° 2006-298288, in Contrats et Marchés Publ., août 2006, n° 8, comm. 236, note F. OLIVIER. « Considérant que la publication d'un avis d'attribution au Bulletin officiel des annonces de marchés publiques fait courir, en raison de l'ampleur et des modalités de sa diffusion, le délai contentieux à l'égard des tiers [...] ». L'emploi des termes « en raison de l'ampleur et des modalités de sa diffusion » n'est pas anodin et implique une diligence accrue des soumissionnaires.

* 103 A-M. LEROY : « L'arrêt Tropic Travaux Signalisation et l'obligation de «due diligence» des candidats à un marché public », in BJCP, 2008, p. 79.

* 104 TA. Rennes, 31 mars 1994 : Becam, Rec., p. 1043.

* 105 CE, 16 décembre 1996 : Conseil Régional de l'Ordre des Architectes de la Martinique, Rec., p. 493.

* 106 CE, 16 octobre 2000 : Sté Stéreau, Rec., p. 1103, in Contrats et Marchés Publ., décembre 2000, n° 12, comm. 48, note F. LLORENS.

* 107 Concl. D. PIVETEAU, sur CE, 19 octobre 2001 : Sté Alstom Transport SA, Rec., p. 868, in BJCP, 2002, p. 39.

* 108 CE, 19 septembre 2007 : Communauté d'agglomération Saint-Etienne Métropole, Juris-Data n° 2007-072417, in Contrats et Marchés Publ., novembre 2007, n° 11, comm 312, note J-P. PIETRI.

* 109 TA, Paris, 8 novembre 2006 : Sté Forsup Conseil, n° 0615289, in Contrats et Marchés Publ., avril 2007, n° 4, comm. 118, note F. OLIVIER.

* 110 CE, 6 janvier 2006 : Syndicat Mixte de collecte, de traitement et de valorisation des déchets du Vendemois, Juris-Data n° 2006-069635, in Contrats et Marchés Publ., mars 2006, n° 3, comm. 92, note F. LLORENS.

* 111 CE, 3 mars 2004 : Sté Mak System, Rec., p. 121, CJEG, 2004, p. 440, Concl. D. PIVETEAU ; CE, 8 avril 2005 : Sté Radiometer, Rec., p. 698, in DA, août-septembre 2005, n° 8, comm. 128, note A. MENEMENIS.

* 112 Directive 89/665, art. 1er § 3.

* 113 CJCE, 19 juin 2003 : Werner Hackermüller, aff. C-249/01, Rec. CJCE, p. I-6319.

* 114 Concl. J. KOKOTT, point 147, sur CJCE, 19 juin 2008 : Pressetext Nachrichtenagentur GmbH, aff. C-454/06. L'Avocat général semble toutefois mettre à part l'hypothèse dans laquelle l'irrecevabilité du recours est « tellement manifeste » que le juge peut le rejeter à « à titre exceptionnel » sans qu'il soit nécessaire de l'examiner plus avant.

* 115 Concl. J. MISCHO, point 46, sur CJCE, 19 juin 2003 : Fritsch, Chiari & Partner, aff. C-410/01, préc.

* 116 CJCE, 12 février 2004 : Grossmann Air Service, aff. C-230/02, préc., point 27 : « [...] La participation à une procédure de passation d'un marché peut, en principe, valablement constituer [...] une condition dont la satisfaction est requise pour établir que la personne concernée justifie d'un intérêt à obtenir le marché en cause [...]. A défaut d'avoir présenté une offre, une telle personne peut difficilement démontrer qu'elle dispose d'un intérêt à s'opposer à cette décision ou qu'elle est lésée ou risque de l'être du fait de cette attribution ».

* 117 CJCE, 8 septembre 2005 : Espace Trinon SA, aff. C-129/04, Rec. CJCE, p. I-7805, in Contrats et Marchés Publ., décembre 2005, n° 12, comm. 312, note W. ZIMMER ; confirmée par CJCE, 4 octobre 2007 : Consorzio Elisoccorso San Raffaele, aff. C-492/06, in Europe, décembre 2007, n° 12, comm. 346, note D. SIMON.

* 118 CJCE, 11 janvier 2005 : Stadt Halle, aff. C-26/03, préc., point 40.

* 119 CJCE, 12 février 2004 : Grossmann Air Service, aff. C-230/02, préc.

* 120 Une jurisprudence interne constante admet que chaque membre d'un groupement dépourvu de la personnalité juridique est recevable à exercer un recours précontractuel : voir notamment : CE, 28 juillet 1999 : SA Bouygues e. a., Rec., p. 266, in CJEG, 1999, p. 357, concl. C. BERGEAL ; CE, 29 juin 2005 : Chambre de commerce et d'industrie du Pas-de-Calais, n° 266631. La recevabilité du recours peut s'expliquer par une solution traditionnelle estimant que les entreprises ayant formé un groupement momentané solidaire sont, en principe, considérées comme s'étant données mandat mutuel pour se représenter. Ce libéralisme est néanmoins atténué par la rigueur du caractère strictement précontractuel du référé puisque, dans le cadre de la passation de plusieurs marchés dans un groupement de commandes, le recours d'un membre est irrecevable dès lors qu'il est intenté après la signature du premier d'entre eux : voir CE, 13 juillet 2007 : Syndicat intercommunal périphérie Paris pour électricité et réseau communication Paris, Juris-Data n° 2007-072190, in Contrats et Marchés Publ., octobre 2007, n° 10, comm. 281, note J-P. PIETRI.

* 121 CE, sect. 6 décembre 1995 : Département de l'Aveyron et Sté Jean-Claude Decaux, Rec., p. 428 ; CE, 19 février 1996, Sté Aubettes, Rec., p. 45, in AJDA, 1996, p. 320, chron. Ph. TERNEYRE. Parfois même, les juridictions du fond ont fait preuve de sévérité à l'égard des requérants en exigeant de leur part un acte de candidature sérieux avec au moins une chance de succès : voir notamment TA, Lyon, 28 juin 2001 : Sté Sondalp Lyon, n° 00LY01979.

* 122 CE, Ass. 16 juillet 2007 : Société Tropic Travaux Signalisation, préc. Seule les « tiers évincés » sont recevables à saisir le juge du plein contentieux objectif. Or, l'éviction d'une procédure d'attribution implique sûrement, et en principe, que l'entreprise requérante en ait préalablement pris part.

* 123 TA, Cergy-Pontoise, 19 février 2007 : Sté Revsols +, n° 0700959. Le juge prend également soin de relever qu'il « ne ressort pas de l'instruction [...] que la société Revsols + aurait été empêchée de se porter candidate » par la personne publique.

* 124 TA, Nice, 9 novembre 2007 : Sté du parking de la promenade du Paillon /c. Ville de Nice, n° 0400460.

* 125 TA, Lyon, 19 octobre 2007 : Sté Sepur, n° 07-06192, in Contrats et Marchés Publ., décembre 2007, n° 12,
comm. 335, note F. LLORENS et P. SOLER-COUTEAUX.

* 126 F. LLORENS : « Le référé précontractuel, entre continuité et changement » in Le nouveau juge administratif des référés. Réflexion sur la réforme opérée par la loi du 30 juin 2000, Annales de la Faculté de Droit de Strasbourg - nouvelle série, n° 5, (dir. P. WACHSMANN), 2002, p. 28.

* 127 CE, sect. 3 novembre 1995 : District de l'agglomération nancéenne, Rec., p. 391, in AJDA, 1995, p. 946, confirmé par CE, 8 avril 2005 : Sté Radiometer préc.

* 128 CJCE, 19 juin 2003 : Werner Hackermüller, aff. C-249/01, préc., point 26.

* 129 CJCE, 19 juin 2003 : Werner Hackermüller, aff. C-249/01, préc., point 29.

* 130 . J. KOKOTT, point 150, sur CJCE, 19 juin 2008 : Pressetext Nachrichtenagentur GmbH, aff. C-454/06, préc.

* 131 CJCE, 19 juin 2003 : GAT GmbH, aff. C-315/01, préc., point 50 : Au nom du principe d'autonomie procédurale, la Cour a jugé que « [...] la directive 89/665 ne s'oppose pas à ce que, dans le cadre d'une demande introduite par un soumissionnaire, en vue de faire constater [...] l'illégalité de la décision d'attribution d'un marché public, l'instance responsable de la procédure de recours soulève d'office l'illégalité d'une décision du pouvoir adjudicateur autre que celle attaquée par le soumissionnaire ».

* 132 Le pouvoir de relever d'office des irrégularités existe, mais les exemples ne sont pas légion. Voir CE, 2 octobre 1996 : SARL Entreprise générale électricité Noël Béranger, Rec., p. 371. Dans le même sens CE, 20 octobre 2006, Commune d'Andeville, Rec., p. 434, in DA, février 2007, n° 2, comm. 21, note A. MENEMENIS. Dans un récent arrêt, le juge cultive cependant le doute par le silence : CE, 23 mai 2008 : Musée Rodin, Juris-Data n° 2008-073609, in JCPA, n° 2184, note F. LINDITCH.

* 133 Directives 89/665 et 92/13 modifiées, art. 2 quinquies 1. b).

* 134 F. DIEU : « L'indemnisation d'une chance sérieuse de remporter un marché », in AJDA, 2006, p. 877.

* 135 Concl. I. DASILVA, sur CE, 7 novembre 2001 : Sté Anonyme Quillery, n° 218221, in BJCP, 2002, p. 189 : en l'espèce, la requérante avait démontré que « dans le contexte particulier de l'affaire », elle avait présenté « la meilleure offre tous critères confondus ».

* 136 Concl C. BERGEAL sur CE, 8 février 1999 : Sté Campenon Bernard SGE, Rec., p. 890, in BJCP, 1999, p. 361.

* 137 F. LLORENS et P. SOLER-COUTEAUX : « Référé précontractuel : le revers de la médaille », in Contrats et Marchés Publ., janvier 2007, n° 1, repère 1.

* 138 CE, 30 juin 2004 : Sté Nationale des Chemines de Fer, n° 263402, in Contrats et Marchés Publ., octobre 2004,
n° 10, comm. 194, note W. ZIMMER.

* 139 Voir CE, 8 février 2008 : Département de L'Essonne, Juris-Data n° 2008-073132, in JCPA, n° 2080, note
C. CABANES et B. NEVEU. En l'espèce, le Conseil d'Etat sanctionne également l'insuffisance d'informations figurant dans une rubrique d'un avis d'appel public à la concurrence que l'administration n'était pas tenue de remplir.

* 140 Voir par exemple TA, Orléans, 28 mars 2003 : Atelier d'architecture Arène et Edeikins, n° 03-593, in Contrats et Marchés Publ., juin 2003, n° 6, comm. 96, note Ph. DELELIS. Le président du Tribunal Administratif d'Orléans refuse de censurer une procédure de passation alors que l'avis d'appel public à la concurrence ne contenait pas de nombreux éléments prévus par les textes.

* 141 Sénat, Actualité de la délégation pour l'Union Européenne, 12 février - 5 mars 2007, p. 71.

* 142 CJCE, 12 avril 2003 : EVN AG et Wienstrom GmbH, aff. C-448/01, Rec. CJCE, p. I-14527.

* 143 Concl. J. MISCHO, point 86, sur CJCE, 12 avril 2003 : EVN AG et Wienstrom GmbH, aff. C-448/01, Rec. CJCE,
p. I-14527.

* 144 Directive 89/665, art. 2 § 4.

* 145 F. LLORENS : « Typologie des contrats de la commande publique », in Contrats et Marchés Publ., mai 2005, n° 5, étude 7.

* 146 P. SOLER-COUTEAUX : « Réflexion sur le thème de l'insécurité du droit administratif ou la dualité moderne du droit administratif », in Gouverner, administrer, juger. Liber Amicorum Jean Waline, Dalloz, 2002, p. 377.

* 147 CE, Ass. 16 juillet 2007 : Sté Tropic Travaux Signalisation, préc.

* 148 CE, 10 décembre 2003 : Institut de Recherche pour le Développement, préc.

* 149 P. DELVOLVE : Un nouveau juge pour le contrat administratif », in RJEP, 2007, p. 327 : « Dès lors que la résiliation est une mesure qui met fin au contrat pour l'avenir, on ne voit pas très bien ce qui la différencie de l'annulation avec un effet différé ».

* 150 Art. L 521-1 CJA : « Quand une décision administrative, même de rejet, fait l'objet d'une requête en annulation ou en réformation, le juge des référés, saisi d'une demande en ce sens, peut ordonner la suspension de l'exécution de cette décision, ou de certains de ces effets, lorsque l'urgence le justifie et qu'il est fait état d'un moyen propre à créer, en l'état de l'instruction, un doute sérieux quant à la légalité de la décision [...]».

* 151 P. CASSIA : « Le nouveau recours contre le contrat : questions périphériques de procédure contentieuse », in AJDA, 2007, p. 1965.

* 152 Pour des ordonnances de rejet, voir : TA, Versailles, 15 octobre 2007 : Sté Bruno Kern Avocats, n° 0709671, in Contrats et Marchés Publ., mai 2008, n° 5, comm. 111, note J-P. PIETRI ; TA, Rouen : 8 Février 2008 : Sté Lancasterres IDF, n° 08001600, in Contrats et Marchés Publ., mai 2008, n° 5, comm. 112, note X. MOURIESSE ; TA, Besançon, 12 février 2008 : Sté CBS, n° 800115, in JCPA, 2008, n° 2075, note F. LINDITCH ; TA, Orléans,
28 mai 2008 : Compost Sud Essone, n° 00801520, in Contrats et Marchés Publ., juillet 2008, n° 7, comm. 169, note J-P. PIETRI.

* 153 J-F. BRISSON : « Le droit au juge dans le contentieux des marchés publics. Dynamisme, dynamique et limites du droit communautaire processuel », in Contrats publics, Mélanges en l'honneur du Professeur Michel GUIBAL, textes réunis et présentés par G. CLAMOUR et M. UBAUD-BERGERON, Université Montpellier I, coll. Mélanges, vol 2, p. 339 : « A l'appui de [la solution consacrée par l'arrêt Santex,] l'avocat général Alber devait faire valoir qu'en l'espèce, l'entreprise requérante pouvait légitimement penser que ses préoccupations avaient été entendues, et qu'une suite favorable leur serait même éventuellement donnée. Ce qui revient dans l'esprit du juge à combiner protection de la confiance légitime et protection juridictionnelle effective ».

* 154 CJCE, 7 juillet 2005 : Vereinging voor energie, aff. C-17/03, Rec. CJCE, p. I-4983, in CJEG, 2005, p. 423, note F. MALVASSIO confirmé par CJCE, 18 juillet 2007 : Commission c/. RFA, aff. C-503/04, préc, point 36 : « S'agissant [...] des principes de sécurité juridiques et de protection de la confiance légitime, du principe pacta sunt servanda ainsi que du droit de propriété, à supposer même que le pouvoir adjudicateur puisse se voire opposer ces principes et ce droit par son cocontractant en cas de résiliation du contrat, un Etat ne saurait s'en prévaloir pour justifier la non-exécution d'un arrêt en manquement ».

* 155 Pour illustrer la réelle prise de conscience relative aux effets néfastes et dévastateurs des annulations contentieuses en matière contractuelle, voir F. LLORENS : « Les conséquences de la nullité des marchés publics et des délégations de service public », in CJEG, 2002, p. 571 ; R. WINTGEN : « La rétroactivité de l'anéantissement en droit comparé », in RDC, 2008, p. 73 mais aussi C. GUETTIER : « L'anéantissement du contrat administratif », in RDC, 2008, p. 81.

* 156 S. TREUMER : « Towards an obligation to terminate contracts concluded in breach of the EC public procurement rules : the end of the status of concluded public contracts as sacred cows »; in PPLR, 2007, p. 371: « It is noteworthy that the judgment is unusually short and the argumentation for the result rather laconic. [...] the laconic judgmentcould be the result of internal disagreement between the judges on the issue at hand ».

* 157 CJCE : 18 juillet 2007 : Commission c/ RFA, aff. C-503/04, préc., point 30.

* 158 CJCE, 3 avril 2008 : Commission /c. Royaume d'Espagne, aff. C-444/06, in Contrats et Marchés Publ., mai 2008, n° 5, comm. 110, note W. ZIMMER.

* 159 CJCE, 3 avril 2008 : Commission /c. Royaume d'Espagne, aff. C-444/06, préc., point 10.

* 160 CJCE, 3 avril 2008 : Commission /c. Royaume d'Espagne, aff. C-444/06, préc., point 55. Toutefois, la Cour prend soin de relever qu'un tel maintien n'a vocation à s'appliquer qu'à titre exceptionnel, sous le contrôle des juridictions et ce dans l'attente de l'adoption de mesures urgentes (point 54).

* 161 Directives 89/665 et 92/13 modifiées, art. 2 sexies § 2.

* 162 Directives 89/665 et 92/13 modifiées, art. 2 quinquies § 3.






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"Je ne pense pas qu'un écrivain puisse avoir de profondes assises s'il n'a pas ressenti avec amertume les injustices de la société ou il vit"   Thomas Lanier dit Tennessie Williams