Un survol des Eurobaromètres spéciaux,
en particulier ceux publiés en 1983, 1988 et 2008, permet de tracer les
grandes lignes de la perception de l'environnement par l'opinion publique.
L'Eurobaromètre de 1983 - premier en date disponible sur le site de la
Commission Européenne - pose un regard rétrospectif sur
l'année 1973. N'ayant pas accès à des données
statistiques antérieures à la création du ME (voir supra),
nous éclairerons cette période par les témoignages
d'acteurs de l'époque et les évaluations d'experts.
Nous traiterons en premier lieu des résultats des
sondages, sélectionnés en fonction de deux critères :
l'influence marquante du contexte, au travers des crises écologiques,
sur les priorités environnementales et l'importance accordée
à l'environnement dans la société. Nous terminerons par
une description du contexte d'émergence de la sensibilité
environnementale au tournant des années 70.
Evolution de la sensibilité
environnementale
en France
90
80
70
60
50
40
30
20
10
0
très important urgent
2.4.1. Influence des crises écologiques sur les
priorités environnementales
La comparaison des atteintes et problèmes d'environnement
considérés comme prioritaires à l'échelon national
ou planétaire souligne l'influence des crises écologiques.
Au niveau méthodologique, la variation des
thématiques au fil des années ne risque pas de fausser nos
conclusions étant donné que nous nous penchons uniquement sur les
deux premiers problèmes cités. Nous sommes par contre surpris de
constater que le trou dans la couche d'ozone, enjeu dominant de la fin des
années 80, est totalement absent des sondages des Eurobaromètres
de 1983, 1987, 1989, 1992 et 2008!
En 1982, soit quatre ans après la marée noire
occasionnée par l 'Amoco Cadiz sur les côtes du
Finistère, «les dommages causés à la faune marine et
aux plages par les accidents ou les dégazages de pétroliers
» viennent en tête de liste pour les Français et les
Européens. (Riffault 1983 : 21)
En 1988, soit deux ans après Tchernobyl et Sandoz, ce
sont les pollutions nucléaire et chimique qui préoccupent le plus
l'opinion publique nationale et européenne. (Bonnaffe 1988 : 28)
En 2007, le changement climatique est le premier thème
d'inquiétude des Français avec 59 %, soit 12 points de plus par
rapport à 2004 ! Par comparaison, les Européens optent pour la
pollution de l'eau et les catastrophes naturelles avant le changement
climatique, qui vaut 45 % des réponses. Cette différence peut
s'expliquer par le caractère particulièrement aigu des crises
climatiques depuis 1999 en France.
Les résultats ci-dessus indiquent que les crises
écologiques participent à l'émergence d'enjeux dominants,
comme par exemple le nucléaire dans les années 80 ou le
changement climatique dans les années 2000 (voir infra). Ces
cristallisations rapides de préoccupations sont bien entendu
accompagnées de mouvements beaucoup plus lents, mis en branle par la
somme des pressions à taille humaine.
Les enjeux suscitent une réaction politique, ne
serait-ce que symbolique. Mais, comme le fait remarquer Boy, «une fois
passée la crise, une fois oubliées les bonnes résolutions,
revient l'ordinaire de la politique: sécurité publique,
chômage, croissance, retraites, etc. Depuis trente ans, environ, qu'il a
fait irruption sur la scène médiatique et politique
l'environnement est donc un thème à éclipse.» (Boy
2007 : 1)
Pour conclure, il nous semble intéressant de noter que
les enjeux peuvent également conditionner la perception des crises
écologiques. Ainsi, la liste du CIRED répertorie les
tempêtes, canicules et inondations des années 2000, mais pas la
canicule de 1976 ! Notons que l'incertitude scientifique ne permet pas de lier
un évènement météorologique particulier au
changement climatique, même s'il se situe dans une séquence
d'évènements similaires.