4. Evaluation des politiques de l'eau
Nous différencierons l'évaluation de la
politique globale de l'eau (politics) de celle des politiques
spécifiques (policies), suite à quoi nous nous
pencherons sur les questions du PNUE, soulevées à
l'introduction.
4.1. La politique de l'eau
Deux critiques de la politique française de l'eau que
l'on retrouve de façon persistante dans les évaluations d'experts
ont trait aux deux paradoxes soulevés à l'introduction, et que
nous développons ci-dessous.
· Le décalage entre les moyens mis en oeuvre et les
résultats constatés au regard de l'état des eaux:
o Ce paradoxe peut être exprimé en termes de
protagonistes de la gestion de l'eau:
«Cela fait plusieurs décennies que nos
responsables prétendent que nous avons le meilleur système de
gestion de l'eau au monde, comprenant les agences de l'eau pour la
programmation, le financement et l'incitation, et la délégation
des services publics incombant aux collectivités territoriales à
des entreprises qui sont les leaders mondiaux des services liés à
la fourniture et à l'assainissement des eaux. Pourtant, le diagnostic de
l'état des eaux dans le milieu naturel est mauvais: une fois de plus, la
France ne sera vraisemblablement pas au rendez-vous, en 2015, des objectifs de
restauration de la qualité des eaux de surface définis par la
directive européenne sur l'eau d'octobre 2000. » (Godard 2007 :
42)
o Ce paradoxe peut également être exprimé en
termes de moyens financiers:
Au cours de la période étudiée, les
politiques de l'eau représentent environ la moitié des
dépenses en matière de politiques environnementales ! (Theys,
1998 et Ifen 2006 : 436). A titre indicatif, pour la période 1992-1996,
le budget des Agences de l'eau représentait 35 milliards de francs, par
rapport à 1,65 milliards pour le budget du ME! (Bouin 1994-95: 101)
L'Ifen prend acte de l'écart entre moyens et résultats:
«Malgré les investissements considérables
réalisés dans le domaine de l'eau, près de deux millions
de personnes reçoivent une eau dépassant les valeurs limites en
nitrate, près de sept une eau non conforme pour les pesticides. La
qualité de la plupart des grandes rivières reste médiocre
et on reste très souvent dans l'incertitude quant aux performances
réalisées dans l'assainissement collectif faute d'indicateurs
fiables. » (1999 : 10)
o Enfin, ce paradoxe peut être exprimé en termes
d'instruments (voir infra):
La liste des instruments de la politique française de
l'environnement par Halpern (voir annexe n° 15) révèle
l'usage d'instruments de troisième génération (voir supra)
dans le domaine de l'eau dès la fin des années 50. Il s'agit
d'instruments de type informatif et communicationnel (comités
consultatifs en 1959 et 1964) et de type conventionnel et incitatif (accords de
branche en 1971).
· Le contraste entre la popularité du modèle
français de gestion de l'eau et les multiples manquements face au droit
européen:
Soulignons en premier lieu le caractère pionnier de la
loi-cadre sur l'eau de 1964 sur le régime, la répartition des
eaux et la lutte contre leur pollution:
o Par cette loi, «la France est le premier pays de
l'OCDE à avoir adopté un système
décentralisé de gestion intégrée de la ressource au
niveau du bassin hydrographique, système dont s'inspire la
directive-cadre européenne sur l'eau » (OCDE 2005 : 71);
o elle repose sur l'application de la responsabilité,
assortie de deux principes complémentaires, «qui pollue, paye»
(redevances) et «qui dépollue est aidé» (aides) (Bazin,
1973 : 304 et OCDE, 1997 : 73); de la sorte, elle préfigure le principe
du pollueur-payeur avant qu'il ne soit formulé par l'OCDE (1970);
o elle introduit le concept de qualité des eaux par type
d'usage, qui sera repris dans les premières directives
européennes sur l'eau.
Notons que «La lutte contre la pollution des eaux est le
domaine le plus ancien et le plus développé de la politique
communautaire de l'environnement. » (Prieur 1991 : 462) «A l'origine,
la législation communautaire sur l'eau s'est focalisée sur la
protection des masses d'eau utilisées par l'homme (eau potable,
eaux de baignade...). Puis une série de directives a été
adoptée dans les années 1990 pour réglementer les sources
de pollution (rejets d'origine urbaine, agricole et industrielle). »
(Commission des affaires économiques du Sénat 2000)
Si l'UE a certes notamment puisé son inspiration dans
l'exemple français, les influences croisées (voir supra) sont
d'application dans le domaine de l'eau. Pour ne citer que les directives les
plus influentes:
o la directive « Qualité des eaux superficielles
» (75/440/CEE), o la directive «Eaux Résiduaires Urbaines
» (91/27 1/CEE),
o la directive «Nitrates » (9 1/676/CEE),
o la directive-cadre sur l'Eau (2000/60/CE).
Hors, les trois directives citées ci-dessus, qui
auraient dû être d'application nationale depuis des dizaines
d'années, ont suscité des recours en manquement envers la France
par la CJCE. De manière plus globale, Betina Laville, Conseiller pour
l'aménagement du territoire et l'environnement au cabinet du Premier
Ministre, constate que «par rapport à la qualité de l'eau,
nous ne satisfaisons pas à nos obligations internationales tant sur le
plan européen que sur le plan des conventions de l'ONU issues de Rio. Et
si la France devait être condamnée dans une juridiction
internationale, nous n'aurions plus aucune arme pour défendre notre
point de vue par rapport à la directive-cadre et l'objectif de
2010.» (Commission des affaires économiques du Sénat
1998)
En plus de ces deux grands paradoxes, les principales critiques
adressées à la politique de l'eau par les experts sont les
suivantes:
· selon Betina Laville, «Le principe
pollueur-payeur n'a jamais été parfaitement appliqué par
les agences de l'eau, simplement parce que des domaines entiers sont
restés non traités. » (Commission des affaires
économiques du Sénat 1998) Ainsi, l'élargissement du
système au domaine agricole se fait à tous petits pas. Depuis la
loi sur l'eau de 2006, la taxe sur les pesticides est devenu une redevance,
mais il n'y a toujours pas eu d'accord concernant une redevance nitrate (voir
infra);
· «un déséquilibre entre les moyens
consacrés à la pollution chimique traditionnelle et ceux
consacrés aux autres problématiques, notamment les inondations et
les pesticides» (OCDE 2005 : 77);
· l'insuffisante implication des agences et de l'incitation
économique dans le domaine des prélèvements d'eaux
souterraines (Barraqué 1999: 119);
· la subsidiarité des Agences/Etat:
«Aujourd'hui, par exemple, les Agences de l'eau peuvent répondre
à leurs détracteurs que leur inefficacité vient de leur
manque de pouvoir, notamment en ce qui concerne l'élargissement du champ
des redevances qui conditionne leur action ». (Barraqué 2007 :
74)
4.3. Les politiques de l'eau
Nous regroupons ci-dessous les principales critiques
adressées par les experts aux politiques environnementales de types
réglementaire, économique et contractuel.
Au niveau des limites du droit de l'eau et de son
application, selon Meublat:
«Il n'existe pas en France (...) d'obligation juridique
à ne pas polluer (...) et notre droit continue à se fonder sur la
propriété plus que sur l'usage, un penchant
dont les juristes de l'environnement ont montré les implications
négatives. La notion de responsabilité est, d'autre part,
inopérante dans le cas de la pollution diffuse où le pollueur ne
peut être clairement identifié. (...) La police de l'eau est
presque unanimement dénoncée comme la faiblesse la plus marquante
du système français (...) et, conséquence logique, les
poursuites sont peu nombreuses et leur rendement faible. Tous ces
éléments négatifs mettent en cause le caractère
incitatif (même s'il s'agit d'une incitation à ne pas faire) des
dispositions réglementaires à vocation large.»
Meublat confère par contre une évaluation plus
positive à la loi de 1976 sur les installations classées:
«La réussite de la législation sur les installations
classées (comme dangereuses pour la sécurité, la
santé des populations ou pour l'environnement) tient peut-être
justement de sa spécificité: elle ne s'applique, en fait,
qu'à une population restreinte et bien définie (les
industriels de certaines branches, principalement) et recourt à un corps
particulier de contrôleurs - les inspecteurs des installations
classées - qui dépend des DRIR et du ministère de
l'Industrie. » (Meublat 1991 : 39-40)
Sur ce plan, l'OCDE loue également les résultats
remarquables de cette loi, malgré la recherche au
plan local d'un accord et d'un consensus dans toute la mesure du
possible. (OCDE 1997 : 74)
Au niveau des incitations économiques, Meublat
critique la base du système des redevances ainsi que son
évolution:
«L'application en France du système des redevances
s'est accompagné de l'énoncé d'un autre principe, assez
étrange, celui de la mutualité entre pollueurs: les
ressources collectées doivent servir exclusivement à
subventionner les investissements de dépollution de ceux qui ont
payé la redevance - c'est pour cela que l'on parlera de redevance nette
- et non dédommager les victimes (...). Cette pratique est
tellement entrée dans les moeurs, que personne ne semble s'apercevoir
que ce principe n'a d'autre légitimité que celle de son
pragmatisme initial. (...) Le système n'a donc pas, au bout de 20 ans
environ, atteint le niveau d'incitation prévu (ou plutôt
espéré) par ses pères et recommandé par la
théorie économique. » (Meublat 1991: 43)
De plus, les taux des redevances ne sont pas assez dissuasifs:
«Il peut être moins cher pour un pollueur de rejeter ses effluents,
de payer la redevance, puis de recevoir l'aide pour investir dans la
dépollution plutôt que de faire seul l'effort de ne pas polluer.
» (Science & Vie 2000: 59)
Les instruments économiques engagent Alain Lipietz
à «une réflexion sur le sens qu'il fallait donner au
principe pollueur-payeur. Il y a derrière trois conceptions assez
différentes - on paye la réparation, la remise en état, et
c'est l'idée de la redevance; on paye le dommage, et c'est plutôt
une indemnisation ;- et enfin le signal prix : il est adressé à
l'éventuel pollueur pour que, si possible, il ne pollue pas et c'est
plutôt l'idée de la pollutaxe. (...) C'est un peu ce
problème du hasard moral qui amène aujourd'hui à
tempérer la première conception du principe pollueur-payeur, que
certains appellent payeur-pollueur, c'est-à-dire : j'ai payé une
cotisation et j'ai le droit de polluer comme je l'entends. (...) Il faut donc
ajouter, à une taxe de remise en état (la redevance, qui
continuera à exister), une pollutaxe.» (Commission des affaires
économiques du Sénat 1998)
Venant compléter les mesures réglementaires et
économiques, toute une série de mesures contractuelles
voient le jour: contrats de branche, de rivières,
d'agglomérations.
Ces contrats sont généralement loués pour
leur caractère volontaire et spécifique : Ainsi, «à
l'échec de la démarche rationnelle des objectifs de
qualité inscrite dans la loi de 1964 a répondu le
succès des
contrats de rivière, qui s'inscrivent davantage dans la
logique mutualiste des agences.» (Barraqué 1999: 104)
Le rapport Agriculture et Environnement du ME
résume l'exploitation des diverses mesures et leurs limites dans le
domaine agricole:
«La réglementation est nécessaire
mais elle a montré certaines limites dans le domaine agricole: sa mise
en oeuvre butte souvent sur une insuffisance des contrôles (par exemple
pour l'épandage d'azote organique); elle n'affecte pas les
activités proportionnellement à leurs impacts, et de par sa
manière de répartir les efforts entre les agents, elle n'assure
pas une efficacité optimum d'un point de vue économique. Ses
contournements possibles limitent aussi son efficacité; ainsi dans
certains bassins versants aux productions d'effluents d'élevages
particulièrement importantes, des extensions d'élevages ont
été constatées, alors même qu'elles venaient
contrecarrer les actions engagées. La réglementation peut enfin
s'avérer peu adaptée pour prévenir l'apparition de
situations de crise, en matière de ressources en eau par exemple.
Il existe aussi des instruments économiques tels
que les taxes ou redevances environnementales qui peuvent inciter les
agriculteurs à modifier leurs comportements. Mais ces taxes sont pour
l'instant limitées aux produits phytosanitaires et aux
prélèvements d'eau et leurs taux sont faibles au regard des
dommages occasionnés, ce qui limite leur impact sur les
comportements.
Par ailleurs, des mesures contractuelles basées
sur une coordination des agriculteurs et sur des contrats d'adoption volontaire
de modification des pratiques ont dans certains cas donné des
résultats encourageants sur le plan environnemental : pouvant être
plus facilement adaptées aux problématiques locales, elles
nécessitent toutefois pour être efficaces qu'un nombre suffisant
d'agriculteurs adhère à la démarche.»
(ME 2005)
|