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Evolution des politiques environnementales françaises sur quarante ans

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par Valérie Lacroix
Université Libre de Bruxelles - Institut de Gestion de l'Environnement et d'Aménagement du Territoire - Master en Sciences et Gestion de l'Environnement 2008
  

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4. Evaluation des politiques de l'eau

Nous différencierons l'évaluation de la politique globale de l'eau (politics) de celle des politiques spécifiques (policies), suite à quoi nous nous pencherons sur les questions du PNUE, soulevées à l'introduction.

4.1. La politique de l'eau

Deux critiques de la politique française de l'eau que l'on retrouve de façon persistante dans les évaluations d'experts ont trait aux deux paradoxes soulevés à l'introduction, et que nous développons ci-dessous.

· Le décalage entre les moyens mis en oeuvre et les résultats constatés au regard de l'état des eaux:

o Ce paradoxe peut être exprimé en termes de protagonistes de la gestion de l'eau:

«Cela fait plusieurs décennies que nos responsables prétendent que nous avons le meilleur système de gestion de l'eau au monde, comprenant les agences de l'eau pour la programmation, le financement et l'incitation, et la délégation des services publics incombant aux collectivités territoriales à des entreprises qui sont les leaders mondiaux des services liés à la fourniture et à l'assainissement des eaux. Pourtant, le diagnostic de l'état des eaux dans le milieu naturel est mauvais: une fois de plus, la France ne sera vraisemblablement pas au rendez-vous, en 2015, des objectifs de restauration de la qualité des eaux de surface définis par la directive européenne sur l'eau d'octobre 2000. » (Godard 2007 : 42)

o Ce paradoxe peut également être exprimé en termes de moyens financiers:

Au cours de la période étudiée, les politiques de l'eau représentent environ la moitié des dépenses en matière de politiques environnementales ! (Theys, 1998 et Ifen 2006 : 436). A titre indicatif, pour la période 1992-1996, le budget des Agences de l'eau représentait 35 milliards de francs, par rapport à 1,65 milliards pour le budget du ME! (Bouin 1994-95: 101) L'Ifen prend acte de l'écart entre moyens et résultats: «Malgré les investissements considérables réalisés dans le domaine de l'eau, près de deux millions de personnes reçoivent une eau dépassant les valeurs limites en nitrate, près de sept une eau non conforme pour les pesticides. La qualité de la plupart des grandes rivières reste médiocre et on reste très souvent dans l'incertitude quant aux performances réalisées dans l'assainissement collectif faute d'indicateurs fiables. » (1999 : 10)

o Enfin, ce paradoxe peut être exprimé en termes d'instruments (voir infra):

La liste des instruments de la politique française de l'environnement par Halpern (voir annexe n° 15) révèle l'usage d'instruments de troisième génération (voir supra) dans le domaine de l'eau dès la fin des années 50. Il s'agit d'instruments de type informatif et communicationnel (comités consultatifs en 1959 et 1964) et de type conventionnel et incitatif (accords de branche en 1971).

· Le contraste entre la popularité du modèle français de gestion de l'eau et les multiples manquements face au droit européen:

Soulignons en premier lieu le caractère pionnier de la loi-cadre sur l'eau de 1964 sur le régime, la répartition des eaux et la lutte contre leur pollution:

o Par cette loi, «la France est le premier pays de l'OCDE à avoir adopté un système décentralisé de gestion intégrée de la ressource au niveau du bassin hydrographique, système dont s'inspire la directive-cadre européenne sur l'eau » (OCDE 2005 : 71);

o elle repose sur l'application de la responsabilité, assortie de deux principes complémentaires, «qui pollue, paye» (redevances) et «qui dépollue est aidé» (aides) (Bazin, 1973 : 304 et OCDE, 1997 : 73); de la sorte, elle préfigure le principe du pollueur-payeur avant qu'il ne soit formulé par l'OCDE (1970);

o elle introduit le concept de qualité des eaux par type d'usage, qui sera repris dans les premières directives européennes sur l'eau.

Notons que «La lutte contre la pollution des eaux est le domaine le plus ancien et le plus développé de la politique communautaire de l'environnement. » (Prieur 1991 : 462) «A l'origine, la législation communautaire sur l'eau s'est focalisée sur la protection des masses d'eau utilisées par l'homme (eau potable, eaux de baignade...). Puis une série de directives a été adoptée dans les années 1990 pour réglementer les sources de pollution (rejets d'origine urbaine, agricole et industrielle). » (Commission des affaires économiques du Sénat 2000)

Si l'UE a certes notamment puisé son inspiration dans l'exemple français, les influences croisées (voir supra) sont d'application dans le domaine de l'eau. Pour ne citer que les directives les plus influentes:

o la directive « Qualité des eaux superficielles » (75/440/CEE), o la directive «Eaux Résiduaires Urbaines » (91/27 1/CEE),

o la directive «Nitrates » (9 1/676/CEE),

o la directive-cadre sur l'Eau (2000/60/CE).

Hors, les trois directives citées ci-dessus, qui auraient dû être d'application nationale depuis des dizaines d'années, ont suscité des recours en manquement envers la France par la CJCE. De manière plus globale, Betina Laville, Conseiller pour l'aménagement du territoire et l'environnement au cabinet du Premier Ministre, constate que «par rapport à la qualité de l'eau, nous ne satisfaisons pas à nos obligations internationales tant sur le plan européen que sur le plan des conventions de l'ONU issues de Rio. Et si la France devait être condamnée dans une juridiction internationale, nous n'aurions plus aucune arme pour défendre notre point de vue par rapport à la directive-cadre et l'objectif de 2010.» (Commission des affaires économiques du Sénat 1998)

En plus de ces deux grands paradoxes, les principales critiques adressées à la politique de l'eau par les experts sont les suivantes:

· selon Betina Laville, «Le principe pollueur-payeur n'a jamais été parfaitement appliqué par les agences de l'eau, simplement parce que des domaines entiers sont restés non traités. » (Commission des affaires économiques du Sénat 1998) Ainsi, l'élargissement du système au domaine agricole se fait à tous petits pas. Depuis la loi sur l'eau de 2006, la taxe sur les pesticides est devenu une redevance, mais il n'y a toujours pas eu d'accord concernant une redevance nitrate (voir infra);

· «un déséquilibre entre les moyens consacrés à la pollution chimique traditionnelle et ceux consacrés aux autres problématiques, notamment les inondations et les pesticides» (OCDE 2005 : 77);

· l'insuffisante implication des agences et de l'incitation économique dans le domaine des prélèvements d'eaux souterraines (Barraqué 1999: 119);


· la subsidiarité des Agences/Etat: «Aujourd'hui, par exemple, les Agences de l'eau peuvent répondre à leurs détracteurs que leur inefficacité vient de leur manque de pouvoir, notamment en ce qui concerne l'élargissement du champ des redevances qui conditionne leur action ». (Barraqué 2007 : 74)

4.3. Les politiques de l'eau

Nous regroupons ci-dessous les principales critiques adressées par les experts aux politiques environnementales de types réglementaire, économique et contractuel.

Au niveau des limites du droit de l'eau et de son application, selon Meublat:

«Il n'existe pas en France (...) d'obligation juridique à ne pas polluer (...) et notre droit continue à se fonder sur la propriété plus que sur l'usage, un penchant dont les juristes de l'environnement ont montré les implications négatives. La notion de responsabilité est, d'autre part, inopérante dans le cas de la pollution diffuse où le pollueur ne peut être clairement identifié. (...) La police de l'eau est presque unanimement dénoncée comme la faiblesse la plus marquante du système français (...) et, conséquence logique, les poursuites sont peu nombreuses et leur rendement faible. Tous ces éléments négatifs mettent en cause le caractère incitatif (même s'il s'agit d'une incitation à ne pas faire) des dispositions réglementaires à vocation large.»

Meublat confère par contre une évaluation plus positive à la loi de 1976 sur les installations classées: «La réussite de la législation sur les installations classées (comme dangereuses pour la sécurité, la santé des populations ou pour l'environnement) tient peut-être justement de sa spécificité: elle ne s'applique, en fait, qu'à une population restreinte et bien définie (les industriels de certaines branches, principalement) et recourt à un corps particulier de contrôleurs - les inspecteurs des installations classées - qui dépend des DRIR et du ministère de l'Industrie. » (Meublat 1991 : 39-40)

Sur ce plan, l'OCDE loue également les résultats remarquables de cette loi, malgré la recherche au

plan local d'un accord et d'un consensus dans toute la mesure du possible. (OCDE 1997 : 74)

Au niveau des incitations économiques, Meublat critique la base du système des redevances ainsi que son évolution:

«L'application en France du système des redevances s'est accompagné de l'énoncé d'un autre principe, assez étrange, celui de la mutualité entre pollueurs: les ressources collectées doivent servir exclusivement à subventionner les investissements de dépollution de ceux qui ont payé la redevance - c'est pour cela que l'on parlera de redevance nette - et non dédommager les victimes (...). Cette pratique est tellement entrée dans les moeurs, que personne ne semble s'apercevoir que ce principe n'a d'autre légitimité que celle de son pragmatisme initial. (...) Le système n'a donc pas, au bout de 20 ans environ, atteint le niveau d'incitation prévu (ou plutôt espéré) par ses pères et recommandé par la théorie économique. » (Meublat 1991: 43)

De plus, les taux des redevances ne sont pas assez dissuasifs: «Il peut être moins cher pour un pollueur de rejeter ses effluents, de payer la redevance, puis de recevoir l'aide pour investir dans la dépollution plutôt que de faire seul l'effort de ne pas polluer. » (Science & Vie 2000: 59)

Les instruments économiques engagent Alain Lipietz à «une réflexion sur le sens qu'il fallait donner au principe pollueur-payeur. Il y a derrière trois conceptions assez différentes - on paye la réparation, la remise en état, et c'est l'idée de la redevance; on paye le dommage, et c'est plutôt une indemnisation ;- et enfin le signal prix : il est adressé à l'éventuel pollueur pour que, si possible, il ne pollue pas et c'est plutôt l'idée de la pollutaxe. (...) C'est un peu ce problème du hasard moral qui amène aujourd'hui à tempérer la première conception du principe pollueur-payeur, que certains appellent payeur-pollueur, c'est-à-dire : j'ai payé une cotisation et j'ai le droit de polluer comme je l'entends. (...) Il faut donc ajouter, à une taxe de remise en état (la redevance, qui continuera à exister), une pollutaxe.» (Commission des affaires économiques du Sénat 1998)

Venant compléter les mesures réglementaires et économiques, toute une série de mesures contractuelles voient le jour: contrats de branche, de rivières, d'agglomérations.

Ces contrats sont généralement loués pour leur caractère volontaire et spécifique : Ainsi, «à l'échec de
la démarche rationnelle des objectifs de qualité inscrite dans la loi de 1964 a répondu le succès des

contrats de rivière, qui s'inscrivent davantage dans la logique mutualiste des agences.» (Barraqué 1999: 104)

Le rapport Agriculture et Environnement du ME résume l'exploitation des diverses mesures et leurs limites dans le domaine agricole:

«La réglementation est nécessaire mais elle a montré certaines limites dans le domaine agricole: sa mise en oeuvre butte souvent sur une insuffisance des contrôles (par exemple pour l'épandage d'azote organique); elle n'affecte pas les activités proportionnellement à leurs impacts, et de par sa manière de répartir les efforts entre les agents, elle n'assure pas une efficacité optimum d'un point de vue économique. Ses contournements possibles limitent aussi son efficacité; ainsi dans certains bassins versants aux productions d'effluents d'élevages particulièrement importantes, des extensions d'élevages ont été constatées, alors même qu'elles venaient contrecarrer les actions engagées. La réglementation peut enfin s'avérer peu adaptée pour prévenir l'apparition de situations de crise, en matière de ressources en eau par exemple.

Il existe aussi des instruments économiques tels que les taxes ou redevances environnementales qui peuvent inciter les agriculteurs à modifier leurs comportements. Mais ces taxes sont pour l'instant limitées aux produits phytosanitaires et aux prélèvements d'eau et leurs taux sont faibles au regard des dommages occasionnés, ce qui limite leur impact sur les comportements.

Par ailleurs, des mesures contractuelles basées sur une coordination des agriculteurs et sur des contrats d'adoption volontaire de modification des pratiques ont dans certains cas donné des résultats encourageants sur le plan environnemental : pouvant être plus facilement adaptées aux problématiques locales, elles nécessitent toutefois pour être efficaces qu'un nombre suffisant d'agriculteurs adhère à la démarche.»

(ME 2005)

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"Je voudrais vivre pour étudier, non pas étudier pour vivre"   Francis Bacon