Le tableau 1 indique que les phases d'impulsion
émergent aussi bien sous des gouvernements de droite que de gauche. Le
trait qui semble davantage influer est l'annonce publique de la distanciation
du nouveau gouvernement par rapport à la politique du
précédent gouvernement, qu'il s'agisse de rupture, d'ouverture,
ou des deux à la fois. Le caractère et l'orientation
donnée par le chef de l'Etat sont en ce sens primordiaux.
Par ailleurs, les contextes décrits ci-dessus exercent
également des pressions sur l'Etat, et tout
particulièrement
le contexte des militants par sa constitution en ressources humaines. Par le
terme
récupération, nous qualifions ci-dessous
la l'appropriation par un gouvernement de revendications devenant
dangereusement populaires et émanant d'associations ou de partis
politiques.
La création du ministère de la Protection de la
Nature et de l'Environnement en 1971 relève en partie d'une
récupération associative pour le thème de la
protection de la nature - en référence au succès de la
défense du parc de la Vanoise. Par contre, il s'agirait surtout de
flair politique pour le thème de l'environnement, la notion
n'étant pas encore à la mode. En fonction à partir de juin
1969, le Président Georges Pompidou - «premier universitaire
à accéder à la plus haute charge de la
République» - prend le pouls aux niveaux national et international
et intègre progressivement l'environnement dans son projet politique. Ne
perdons cependant pas de vue que l'impulsion fondamentale transmise par
Pompidou à son gouvernement est l'industrialisation22. «
Aussi, dans un souci d'équilibre et pour assigner une finalité
humaniste à cette politique, conçoit-il une action
d'accompagnement d'ordre qualitatif: l'environnement offre le contrepoids de
l'industrialisation. » (Bazin 1973 : 28) Charvolin évoque
également « les raisons politiques d'affichage symbolique » de
la politique environnementale, « dans la lignée de la doctrine de
la nouvelle société » du gouvernement de droite de Jacques
Chaban- Delmas. (Charvolin 2003: 68) Il nous semble important d'insister sur ce
point pour en mesurer les conséquences sur le peu de moyens
alloués au nouveau ministère (voir infra).
Au tournant des années 90, la nomination de Brice
Lalonde et l'affichage d'une rupture au niveau de la politique environnementale
s'inscrivent dans un effort de récupération politique de
l'électorat écologiste par les socialistes.
De même, le lancement par Brice Lalonde de
Génération Ecologie en mai 1990 serait « une entreprise
téléguidée par les plus hauts responsables du gouvernement
socialiste » afin de diviser les écologistes et de briser
l'élan des Verts. (Rumpala 1999 : 257-260)
En 2007 comme en 1971, il s'agit d'une
récupération associative - en référence au
Pacte écologique. Obtenir un 18/20 comme note de politique
environnementale par un Nicolas Hulot lors d'un JT de 20h, ça compte!
L'importance de l'image qu'accorde le Président Sarkozy à la
politique environnementale se vérifie lors de la grande messe du
Grenelle, qui réunit des acteurs internationaux d'envergure : les Prix
Nobels de la paix Al Gore et Wangari Mathai, ainsi que le Président de
la Commisson européenne José Manuel Barroso.
Si ces phases ont en commun une récupération
idéologique, elles divergent considérablement au niveau du
mode de gouvernance (voir infra).
2.7. Dynamiques contextuelles et voies de
canalisation
En plus d'une trame commune aux trois phases d'impulsion -
présentée lors de l'introduction du tableau 1 - nous percevons au
terme de cette analyse deux types de contextes et deux voies de canalisation
des influences:
En usant de l'image du moteur, les contextes globaux -
stabilité socio-économique, influence mondiale, dynamique
étatique - constituent le carburant injecté, tandis que les
contextes spécifiques - actions militantes, diffusion médiatique
des préoccupations et des crises - interviennent comme des
étincelles qui propulsent le mouvement. L'opinion publique se place
à ces deux niveaux contextuels en canalisant les énergies vers
les décideurs. Deux voies d'influence interviennent ainsi:
22 Crée en juillet 1969, «Le
ministère du développement industriel et scientifique, dont le
seul nom porte témoignage d'une volonté politique précise,
étend considérablement les attributions du département de
l'industrie tel qu'il existait au cours du premier semestre de 1969, et il doit
animer une triple politique de l'industrie et du commerce, de la technologie et
de la recherche. » (Bazin 1973 : 427)
· La voie directe par le biais des décideurs
politiques;
s'y greffent le contexte socio-économique, le contexte de
l'opinion publique, le contexte mondial, et le contexte étatique.
· La voie indirecte par le biais de l'opinion publique;
s'y rattachent le contexte socio-économique, le contexte
des militants et le contexte médiatique.
Pour en revenir à l'idée des cycles de
l'intervention publique par Lascoumes (voir p. 8), notons qu'elle implique que
l'on revienne à la case de départ. Mais si les phases d'impulsion
ont en effet tendance à s'essouffler, elles génèrent
également des dynamiques qui s'auto-perpétuent. Au début
des années 80, une conjonction de facteurs mène à une
réduction du développement des politiques environnementales (voir
infra). Mais alors que vers le milieu des années 90, les facteurs
externes ne sont à nouveau pas fastes, les politiques environnementales
ne faiblissent pas. Cette stabilisation peut partiellement être
expliquée par le poids des engagements internationaux et des directives
de la Communauté européenne. (Chabason et Larrue 1998: 63-65) Il
est à espérer que cette tendance permettra de dépasser la
crise économique qui se profile aujourd'hui.
En conclusion, relatons cette considération de Serge
Antoine sur la naissance du ME, qui peut rétrospectivement s'appliquer
aux multiples émergences de la politique environnementale:
«Nous ne sommes que des éléments du destin
à un moment donné où les choses éclosent. (...)
C'était une éclosion parce que les choses étaient en train
de naître. (...) C'est venu comme un phénomène de
société. » (Antoine 1992 : 23)