Tableau 2
Le graphique 1 est
beaucoup plus explicite ; il démontre les disparités
économiques qui existent dans le pays. L'aire métropolitaine, du
fait qu'elle constitue un réservoir où vient s'engouffrer la
majeure partie immigrante de la population rurale, population jeune en soit et
qui s'adonne surtout à des activités informelles pour sa
subsistance, a un seuil de pauvreté double de celui de l'autre urbain en
général et représente près de sept (7) fois celui
de la population rurale. On peut aisément comprendre l'exode rural qui
subsiste dans le pays.
Graphique 1 :
seuil de pauvreté en Haïti (en gourdes)
D'après
divers auteurs et études, c'est le pays le plus pauvre de
l'hémisphère occidental et l'un des pays les plus pauvres du
monde en développement pour beaucoup de chercheurs. Selon les
données recueillies par la Banque Mondiale et le PNUD en 1997, son
revenu par habitant de $US 250 est inférieur par rapport à celui
de bon nombre de pays Africains et est loin inférieur à la
moyenne de l'Amérique latine de $US 3320 (voir le tableau 3).
Tableau 3 :
Indicateurs sociaux comparatifs en Amérique latine et dans les
Caraïbes, 1996
Source :
Banque Mondiale et PNUD 1997
Le graphique 2
illustre les disparités criardes existant entre diverses nations des
Caraïbes et la République d'Haïti.
Graphique
2 :Evolution du PNB/Hab en Haïti en comparaison avec celui de
quelques pays en Amérique Latine et dans les Caraïbes, 1996.
Ainsi, le
phénomène de la pauvreté en Haïti se reflète
dans ces indicateurs sociaux, qui sont nettement inférieurs à
ceux d'autres pays de la région pris en comparaison.
L'espérance
de vie n'est que de 57 ans par rapport à la moyenne de 69 ans en
Amérique latine. Le taux de fécondité est de 4.8 pour cent
comparé à une moyenne régionale de 2.8 pour cent, alors
que le taux de mortalité infantile de 72 pour mille naissances vivantes,
est à peu près le double de la moyenne régionale. La
mortalité maternelle, à 6 pour mille, est une des plus
élevées au monde. La malnutrition affecte environ la
moitié des enfants de moins de 5 ans, et près de la moitié
des Haïtiens adultes est analphabète.
Deux tiers (2/3)
environ de la population haïtienne, soit 4.8 sur 7.2 millions, vivent en
milieu rural où 80 pour cent d'entre elle vivent au-dessous du seuil de
pauvreté. Ces quelques variables représentatives qui suivent,
présentées dans les statistiques de la Banque Mondiale du PNUD en
1997, indiquent que la pauvreté dans les zones rurales est plus
prononcée que celle des milieux urbains.
Le taux de
malnutrition chronique parmi les moins de 5 ans est de 35 pour cent en milieu
rural, 30 pour cent en milieu urbain en dehors de Port-au-Prince, et 20 pour
cent dans la métropole de Port-au-Prince. De même, la
mortalité infantile est de 144 décès pour mille naissances
vivantes en milieu rural, 135 en milieu urbain à l'exclusion de
Port-au-Prince, et de 131 à Port-au-Prince22(*). Le tableau 2 présente
un aspect récapitulatif de quelques postes de consommation du pays selon
les deux milieux en 2002.
Tableau 4 :
Quelques postes de consommation du pays par milieu en 2002
Source :
IHSI
Cependant, il faut
faire remarquer que la pauvreté rurale en Haïti, comme dans
beaucoup de pays en développement, n'est pas homogène et varie de
région en région. En effet, il n'y a pas matière de
comparaison entre un pauvre rural vivant dans le Sud ou la Grande Anse et un
pauvre rural du Haut Artibonite ou du Nord ouest. Tandis que pour le premier,
le manque de liquidités financières pour faire prospérer
un lopin de terre, l'insuffisance des centres et soins de santé ou des
écoles pour une éducation adéquate constituent ses
problèmes de tous les jours, pour le second, en plus des indices
ci-dessus, l'insécurité alimentaire le guette toujours au
tournant surtout que toute sa production dépend en grande partie des
saisons de pluie. En effet, le progrès technique en matière
d'augmentation de production ne l'a pas atteint.
Tableau 5 :
Estimation de la Pauvreté Rurale par région (en %)
Source : Banque Mondiale, Enquête sur les conditions de vie en
milieu rural, 1995
Ce graphique
présente l'estimation en pourcentage selon la Banque Mondiale de la
pauvreté rurale par région en 1995
Si l'on s'en tient
aux chiffres des diverses institutions spécialisées sur la
question, depuis la fin des années quatre-vingt, les conditions de vie
de la population rurale haïtienne ne cessent de s'empirer. Selon les
indices calculés par la FAO en fonction de la période (1989-1991)
choisie comme référence, l'agriculture, la principale
activité du milieu rural, est en déclin. L'indice de production
agricole est passé de 104.4% en 1988 à 90.5 % en 1997. En ce qui
concerne particulièrement la production alimentaire per capita, la
tendance négative se révèle beaucoup plus
accentuée. L'indice de production alimentaire per capita a chuté
de 108.6% en 1988 à 80.4% en 1997.
Cette situation
d'extrême pauvreté dans laquelle végète le paysan
haïtien constitue un signe évident des conditions
léthargiques de l'agriculture haïtienne, la principale source de
revenus de plus de la moitié de la population. Une étude
détaillée du secteur agricole haïtien est nécessaire
pour pouvoir mieux cerner ces diverses statistiques élaborées par
la Banque Mondiale, le PNUD et les centres de statistiques nationaux tels la
BRH et l'IHSI.
IV.2.-
Situation et Caractéristiques de l'agriculture
haïtienne
« Haïti,
un pays essentiellement agricole », telle est la définition
que l'on trouve dans tous les manuels scolaires du pays. Pour corroborer cette
assertion, les écrivains et auteurs se sont appuyés et s'appuient
toujours sur les chiffres tirés des quelques recensements
effectués dans le pays à travers son histoire. En effet, dans les
périodes (1975-1976), (1981-1983), le secteur agricole en dépit
de ses faibles performances, a contribué plus largement que les autres
secteurs à la formation du PIB du pays. En 1989, la majorité de
la population haïtienne était constituée de ruraux, soit
72%; ce qui laisse entendre qu'une large proportion de la population
haïtienne s'adonne aux travaux agricoles.
Cette
prédominance marquée du secteur agricole pourrait laisser
entendre que ce dernier constitue l'objet d'une préoccupation soutenue
de la part de toutes les couches sociales de la nation; préoccupation
qui devrait se matérialiser par un effort constant et
systématique d'organisation scientifique de l'agriculture afin de
développer, d'améliorer, de perfectionner et de rationaliser le
plus possible le travail de la terre.
Toutefois, la
réalité nous force à constater le contraire. En
dépit de son importance, déjà en 1969, pour
répéter G. Pierre Charles, « l'agriculture ne
s'est caractérisée ni par sa productivité, ni par son
dynamisme, ni par une tendance à se dépasser»23(*). Aujourd'hui encore, on est
unanime à reconnaître que l'agriculture haïtienne est en
train de faire face à une période très difficile de son
histoire. Et, les différentes études et observations
immédiates voient dans cette agriculture pratiquée par le paysan
haïtien les causes les plus importantes de sa pauvreté.
L'analyse de
l'évolution de la production agricole durant ces dernières
années permet de constater en effet, de manière éloquente,
la situation de crise dans laquelle s'enclise le secteur agricole. Presque
toutes les rubriques de production agricole dénotent, en effet, cette
tendance à la baisse. Au niveau de certains produits de base (riz,
maïs, pois, petit-mil) occupant la plus grande partie de la superficie
cultivée, la régression est quasi-totale. Comme l'indique le
tableau suivant, de 1970 à 1974, la production des grains de base
était de 562.2 milliers de tonnes métriques, alors que dans la
période de (1980-86), elle était passée à 498
milliers de tonnes. Le déclin du petit-mil et du maïs a
été tel qu'en dépit de la relative croissance du et du
haricot, la tendance globale de la production pour les quatre produits
évoluait vers la baisse.
Tableau 6 :
Évolution de la production des grains de base de 1960 à 1986 en
millier de T.M.
Source :
Calculés à partir des données de BRH, MARNDR,
1987
Cette situation a
valu le recours à un niveau de plus en plus élevé
d'importations de produits alimentaires qui passèrent ainsi de 37053.3
millions de gourdes en 1970-71 à 409.5 millions en 1980-81. En 1984-85,
la valeur de nos importations alimentaires s'élevait à 429.4
millions de gourdes, selon les statistiques de la BRH.
Pour certains
observateurs, l'agriculture haïtienne, de par ses caractéristiques
est d'une part traditionnelle, d'autre part de subsistance, mais surtout
dominée par la petite exploitation.
L'agriculture
haïtienne est dite traditionnelle parce qu'elle n'utilise que les
mêmes outils de nos ancêtres, c'est-à-dire, le paysan
haïtien cultive son lopin de terre, en recourant aux méthodes
archaïques les plus empiriques : la houe et la machette sont
pratiquement ses seuls outils agricoles.24(*) De plus, il ne peut pas
améliorer ses techniques de productions à cause de sa
pauvreté, en vue d'accroître le rendement de ses exploitations
d'autant plus qu'il est rarement encadré et s'adonne quotidienne aux
procédés routiniers les plus désuets. Il plante sur sa
terre, tous les ans, les mêmes espèces de produits. Ses semences
sont médiocres et le rendement est faible. Il n'utilise pratiquement pas
d'intrants dans sa production et le défrichage s'accompagne
généralement de brûlis. Dans ces conditions, le sol
s'épuise facilement pour ne produire à la longue que des
denrées de qualité fort douteuse et dont la valeur nutritive,
selon certains spécialistes25(*), est probablement réduite.
Pour enfouir ses
semences dans le sol, le paysan haïtien y creuse des trous, soit à
la main, soit à la machette, les sillonneuses n'existant pas en
Haïti. Ce travail une fois accompli, il s'en remet à la nature et
se livre rarement au sarclage systématique de son jardin. Ainsi, dans
une certaine mesure, on peut attribuer ce traditionalisme de l'agriculture
haïtienne à une acceptation pure et simple par le paysan
haïtien, de son incapacité d'améliorer ses techniques de
production.
L'agriculture
haïtienne est dominée par le modèle de la petite
exploitation. En effet, selon le recensement de 1982, sur un total de 616,710
propriétés, plus de 81.7% représentaient des petites
exploitations allant de 0.01 à 1.55 carreau et 14.5% étaient
compris entre 1.56 et 3.87 carreaux. Seulement 3.8% des exploitations
étaient des propriétés entre 4 et 20 carreaux comptant
pour un total de 150,350 carreaux sur 669,395 disponibles. Ce qui sous-entend
que 96.2% des exploitations partageaient les 419,045 carreaux restant.
Cette
répartition n'explique pas nécessairement que les 96.2% des
petits exploitants soient des propriétaires. Pour la grande
majorité, ils sont des petits fermiers et, pour la plupart, des
métayers. Mais, l'une des caractéristiques importantes à
souligner est le fait que les petites exploitations de plus de 0.5 carreau ne
sont généralement pas regroupées sur une seule surface
géographique; elles sont éparpillées à quelques
lieux les unes des autres. Ce qui cause au métayer une baisse de
productivité due à de longs déplacements
fastidieux.
Si on effectue une
analyse comparative avec le reste du continent, la production agricole
haïtienne est reléguée à l'arrière plan au
niveau de l'Amérique latine compte tenu du fait que la petite
exploitation fait très peu ou presque pas appel aux intrants et aux
procédés mécaniques. Le tableau suivant montre comment
l'agriculture haïtienne fait la queue au niveau de l'Amérique
latine avec 7kg d'engrais pour 982 hectares de terres cultivables par tracteurs
comparé à 337kg d'engrais pour 46 hectares par tracteur au Costa
Rica. Cependant, les engins lourds ne sont pas les seuls à être
absents dans l'agriculture. Vers la fin de la décade 70, on y
dénombrait seulement 1000 charrues à traction animale26(*). Si nous faisons
l'hypothèse que celle-ci sont utilisées principalement sur les
moyennes exploitations de 3.01 à 10 carreaux, nous trouvons à un
moment déterminé qu'en moyenne, il y a une charrue pour chaque
146 carreaux de terres cultivables. Dans de telles conditions, la croissance de
la production per capita ne sera pas facile à obtenir.
Le tableau 6 donne
une estimation de la superficie moyenne cultivée par tracteur et
consommation de fertilisant dans quelques pays de l'Amérique Latine en
1985.
Tableau 6 :
Superficie moyenne cultivée par tracteur et consommation de fertilisant
dans quelques pays de l'Amérique latine, 1985
Source :
CEPAL
L'agriculture
haïtienne est une agriculture basée sur la main d'oeuvre familiale.
En effet, si les grandes et moyennes plantations facilitent la production
à grande échelle en particulier celles des denrées
d'exportation, le système de la petite exploitation sied bien à
la production vivrière. Dans le premier cas, la production
d'échelle exige, en effet, l'investissement d'un capital
considérable vu que l'organisation du travail sur une base
capitaliste est nécessaire si l'on recherche à obtenir le moindre
rendement. Dans le second cas, l'exiguïté de la parcelle à
cultiver rend inutile l'organisation de type capitaliste et par
conséquent nécessite très peu de capitaux et de bras pour
effectuer la besogne productive. Ainsi, Paul Moral a montré que dans
l'agriculture haïtienne, la production est essentiellement basée
sur le travail de la cellule familiale : « La famille
restreinte, l'homme, la femme et leurs enfants, cinq à six personnes en
moyenne, forment désormais la communauté la plus typique, dans
laquelle le rôle de chacun est régi par les
nécessités de l'exploitation ».27(*) Celle-ci se trouve donc
contrainte de produire des biens de subsistance qui lui permettront non
seulement de répondre à ses besoins alimentaires mais
également de pouvoir se rendre sur le marché local pour
l'échange d'un quelconque surplus, ce, pour assurer l'achat des biens
qu'elle ne peut pas produire tels que : sucre, huile, gaz, savon, sel,
allumette etc.
IV.3.-
Les facteurs déterminants de la pauvreté rurale
en Haïti
Diverses conditions
tant intérieures qu'extérieures à la République
d'Haïti engendrent et perpétuent la pauvreté
rurale :
o
L'instabilité politique et les conflits civils
Depuis son
indépendance en 1804, la République d'Haïti n'a jamais eu
vraiment une période de stabilité assez longue propre à
encourager les investissements dans le monde rural et à permettre aux
ruraux d'acquérir certains actifs économiques. En effet,
l'histoire du pays est une suite de guerres civiles, de conflits terriens
où les principaux perdants ont toujours été ceux qui ne
possèdent déjà rien, vu que ces derniers sont dans
l'incapacité de défendre le peu qu'ils ont. N'ayant rien à
perdre, ils font le jeu des grands propriétaires terriens qui les
utilisent comme des pions pour la destruction en cas de conflits. Les
conséquences immédiates de cet état de chose sont tout
d'abord une absence de continuité dans le processus de relèvement
des communautés rurales, à laquelle s'ajoutent des processus
d'expropriation à chaque fois qu'il y a un changement de
gouvernement ; ainsi, le paysan haïtien s'appauvrit de plus en plus
à chaque période d'instabilité politique qui a des
répercussions terribles sur l'économique. Rappelons-nous par
exemple les conflits de Jean-Rabel et de Piatt à Saint Marc qui firent
des centaines de morts et d'immigrés, pour ne citer que
ceux-là.
o Une
tenure foncière mal définie ou inadéquate en milieu rural
haïtien
En Haïti, la
terre n'a jamais été perçue comme un moyen pouvant
permettre de créer des richesses, mais comme la richesse elle -
même. Et le rôle de l'Etat semblait se résumer aux fonctions
de distribution de cette richesse. C'est ainsi qu'on a assisté, au
lendemain de l'indépendance et sous de nombreux gouvernements qui se
sont succédés, à des mouvements de distribution des terres
fertiles du pays aux grands dignitaires du régime sans se soucier
aucunement de l'utilisation qui en sera faite.
Ce mode de tenure a
contribué à aggraver la situation déjà
précaire d'un nombre important de petits exploitants agricoles. Une
analyse de ce système foncier et de ses caractéristiques
permettra de conclure si effectivement la tenure foncière en milieu
rural haïtien bloque la modernisation de l'agriculture et en
conséquence contribue à la dégradation des
conditions de vie des paysans.
La plupart des
petits agriculteurs sont propriétaires des terres qu'ils
cultivent ; mais ce droit de propriété s'insère
souvent dans le droit coutumier et peut être contesté à
tout moment. En général, ils n'ont pas les moyens de payer les
frais juridiques pour faire préparer ou valider leurs titres de
propriété. De plus, les biens fonciers se partagent entre
héritiers. De ce fait, les exploitations se morcellent, et en un point
tel qu'elles deviennent trop petites pour faire vivre une famille.
En effet, de
génération en génération, l'exploitation agricole
haïtienne s'est émiettée au gré des divisions
successorales et de la démographie galopante (4 Million en 71, 8 million
en 2000) pour atteindre des niveaux de seuil critique. Des chiffres officiels
des recensements de 1950 parlaient d'une taille moyenne d'exploitation de 1ha
10, de 1ha 40 en 1971 (IHS, 73) si on considère que les agriculteurs
à cette période cultivaient de moins en moins de bonnes terres
dans les pentes et gagnaient sur les forêts, de 1ha 13 en 1995 (Word
Bank, 1995). Selon des enquêtes partielles émanant d'autres
organismes versées en la matière, la taille moyenne d'une
exploitation agricole est estimée à 0,50ha environ.
Dans la
réalité, selon IHSI, les terroirs agricoles sont atomisés
en « des parcelles minuscules de 0.16ha en moyenne dans le Sud,
atomisation due aux principes légaux d'égalité des
Haïtiens dans le partage et de l'imprescriptibilité de ce partage,
l'un et l'autre source majeure des conflits terriens »28(*). En plus, toujours selon
IHSI, « le statut des terres marqué par l'indivision
légale et une dissociation coutumière de droits sur la terre
(droit de culture, droit de pâture, droit d'abattage d'arbres) vient
compliquer la situation d'atomisation pour rendre presque impossible tout
investissement à long terre avec les conséquences sur le
déboisement et la baisse de fertilité des
sols »29(*). Ce
qui signifie que la superficie déjà faible en valeur absolue doit
être pondérée négativement par la dispersion
(atomisation des parcelles le constituant) et par le niveau de fertilité
somme toute faible des sols. Selon des enquêtes de la FAO, 70% des
terres seraient mises en valeur selon des conditions non
sécuritaires : autrement dit 70% des exploitants d'aujourd'hui ne
sont pas sûrs d'être sur la même parcelle demain.
L'étendue
des terres cultivées en Haïti est divisée en celles du
domaine privé de l'Etat, celles en faire-valoir direct et celles en
faire-valoir indirect.
L'étendue du
domaine de l'Etat n'est pas connue avec précision. On l'estime à
30% du territoire national soit environ 360 mille hectares, comme reproduit au
tableau suivant.
Tableau 8 :
Estimation des terres relevant du domaine de l'Etat en
Haïti
Source : Jean André Victor, Sur la piste de la réforme
agraire page 166
Les terres en
propriété et les terres en indivision sont très
répandues dans le pays. En effet, beaucoup de paysans agriculteurs sont
impliqués dans des rapports de faire - valoir direct. En effet, dans le
cadre de la première forme d'occupation des terres, l'exploitant cultive
lui-même sa terre, avançant l'argent nécessaire à
l'achat des intrants, recrutant des travailleurs salariés s'il ne veut
pas travailler lui-même, et en recevant tous les fruits, bons ou mauvais.
Cette forme d'occupation des terres est prédominante dans les montagnes
où, selon chiffres du Ministère de l'Agriculture, des Ressources
Naturelles et du Développement Rural (MARNDR), 60% des terrains sont
occupés dans le cadre de propriété coutumière et
où les agriculteurs sans terres représentent 5% de la
population30(*). Les
terres en indivision communément appelées « biens
mineurs » ne font pas l'objet d'investissement sérieux.
Le mode de faire
valoir indirect, c'est à dire la mise en valeur de terres appartenant
à des tiers atteint aujourd'hui un taux élevé avoisinant
dans certaines régions les 47 % selon la FAO en 1997. Bon nombre de
paysans aisés ne cultivent plus directement mais s'en remettent le plus
souvent à des métayers, parfois à des fermiers pour
recevoir une rente foncière. Ils diminuent ainsi les risques
liés à la hausse des coûts de production ou les risques de
marché (baisse des prix et mévente) dans un contexte d'ouverture
de l'économie.
Fermage et
métayage sont des pratiques très répandues en Haïti.
On peut estimer que 90% des agriculteurs sont impliqués dans des
rapports de faire - valoir indirect soit comme propriétaires, soit comme
exploitants, ou les deux à la fois31(*). Le MARNDR signale que les surfaces faisant l'objet
de tels rapports représentent probablement autour du tiers de la surface
cultivée ; il est par contre difficile de donner une estimation
nationale des proportions respectives du métayage et de fermage, dans la
mesure où celles-ci peuvent varier d'une région à
l'autre.
Le métayage
(deux - moitié) est une tenure foncière dans laquelle
l'exploitant paie au propriétaire une rente en nature sous forme d'un
pourcentage de récolte. Il est très important de noter que le
paiement de rente ne peut s'effectuer qu'après la récolte. De
plus, les risques sont réduits pour l'exploitant : si la
récolte est mauvaise, la rente à payer diminue en proportion, si
la récolte est bonne, le montant de la rente sera plus important.
Les statistiques du
MARNDR avancent que, en 1997, ce mode de tenure représente une
superficie de 63.845 ha, soit 9% des terres. Le département du Centre
compte 25% des terres en métayage tandis que le département du
Nord - Ouest en a 2.081 ha soit 3.2%. Ordinairement, le contrat est un contrat
oral ; il n'a effet que pour une saison de culture et sa durée
dépend de la longueur du cycle végétatif.
Le fermage est sans
nul doute un peu mois fréquent que le métayage, mais reste
très répandu. C'est la location de la terre pour une durée
et un montant déterminés par un bail. Dans le fermage en
Haïti, il convient de souligner que la rente ou loyer de la terre est
fixée et payable d'avance. Cette formule a des conséquences
sociales très importantes, car le preneur doit être en mesure de
débourser dès la signature du bail. Plus la durée du bail
est importante plus grande est l'avance à consentir. Le preneur supporte
un certain risque dans la mesure où ce qu'il doit payer est constant
même si la récolte est mauvaise.
En 1987, les terres
en fermage représentaient 96.656 ha, soit 12.5% des surfaces
cultivables. Le département de l'Artibonite comptait une part
considérable des terres en fermage soit 32% du fait que ces surfaces
présentent beaucoup d'intérêt pour les ménages
agricoles. Quant aux départements de la Grande - anse et du
Sud, ils occupaient respectivement 17% et 9% du total des terres en fermage.
Tableau
9 : Répartition de superficies exploitées
en hectares, suivant le mode de faire valoir par département
géographique, année 1987
Sources : résultats préliminaires de
l'enquête agricole national réalisés par ADS-II Saison
agricole 1987. Haïti en chiffres
En
définitive, la tenure foncière en milieu rural haïtien
constitue un facteur de blocage pour le développement de l'agriculture.
D'un côté, il y a la masse des petits fermiers qui travaillent la
terre dans des conditions extrêmement difficiles soit comme fermiers,
soit comme métayers associés ou comme main-d'oeuvre tout
simplement. D'un autre côté se dressent une minorité de
grands propriétaires parfois absentéistes qui occupent les terres
les plus fertiles des différentes aires agro écologiques du pays.
La situation de pauvreté dans laquelle vit les paysans encourage
l'accumulation foncière au bénéfice de grands
propriétaires tandis que le processus de paupérisation se
développe.
o La
corruption et la recherche de l'avantage personnel parmi les dirigeants et
dans la fonction publique
Comme nous l'avons
déjà signalé, en Haïti, la corruption et la recherche
de l'avantage personnel parmi ceux qui devraient faire progresser les choses
représentent des facteurs de blocage pour tout processus de
relèvement économique et du même coup retardent tout
amélioration des conditions socio-économique des pauvres ruraux.
En effet, dans l'administration Publique haïtienne, on retrouve beaucoup
de fonctionnaires qui ne se préoccupent d'un projet de
développement que si, et seulement si, ils peuvent en tirer quelque
avantage financier. De ce fait, il y a toujours un retard au processus
d'implantation de ce projet, retard préjudiciable au milieu dans lequel
il devrait s'implanter vu que ce projet devait répondre à un
besoin du milieu.
o Les
politiques économiques qui sont discriminatoires à l'égard
des pauvres ruraux ou qui les excluent du processus de développement et
accentuent les effets d'autres facteurs générateurs de la
pauvreté
Jusqu'ici, les
diverses politiques économiques mises en place par les différents
gouvernements dans le pays n'ont eu que des effets positifs mitigés sur
le monde rural du fait que, le plus souvent, cette dernière n'est pas
prise en compte. Ces politiques cherchent souvent une amélioration du
bien-être général bien que les actions entreprises n'ont
d'autres finalités que de diminuer la pauvreté urbaine, surtout
dans l'aire métropolitaine. Que de projets, de séminaires, de
plans ont été élaborés à travers le temps
pour l'atténuation de la pauvreté en Haïti dont les
résultats sont concluants : la paupérisation du monde rural
gagne de plus en plus de terrain bien que, parfois, on constate
une légère amélioration dans le monde urbain.
Il n'est point
nécessaire de rappeler que l'agriculture a constitué et constitue
encore pour la grande majorité des Haïtiens l'activité
principale génératrice d'entrées financières ;
en ce sens, diverses actions ont été entreprises afin de pallier
à sa dégradation à travers différents plans
quinquennaux ou biennaux. Cependant, chacun peut constater que les divers plans
et surtout les objectifs poursuivis n'ont pas amené à des
résultats concluants, n'ayant pas pu arriver à baisser le niveau
de la pauvreté tant urbaine que rurale en Haïti.
o Les chocs
extérieurs d'origine naturelle ou liés à la situation
économique internationale.
La
République d'Haïti, en tant que « petit pays »
à l'échelle économique mondiale, subit les contrecoups de
tout ordre venant de ses principaux partenaires commerciaux. Un changement de
gouvernement aux Etats-Unis ou en république Dominicaine, un changement
de politique extérieure du ministère des Affaires
étrangères en France, etc., ..., ont des conséquences
directes sur la vie économique nationale, les plus démunis
étant les premiers touchés. Qui ne se souvient pas de la libre
entrée du riz de Miami sur le marché local entre 1987 et
1990 ? Aujourd'hui encore, l'agriculture haïtienne ne s'est pas
encore relevée de la perte de production qui s'en était suivie.
De plus en plus, la
population haïtienne vit au rythme de la vie économique de ses
partenaires, surtout des Etats-Unis et de la République Dominicaine, les
deux étant ses principaux déversoirs de population. Cette
situation se retrouve dans tout le pays notamment dans le Plateau Central, Le
Nord Est, le Sud Est et le Nord Ouest.
En outre, n'importe
quel ouragan, sécheresse ou autre catastrophe naturel qui aurait
amené une baisse de la production tant agricole qu'industrielle dans ces
pays précités, amènerait irrémédiablement
des répercussions désastreuses considérables sur la vie
des pauvres ruraux en particulier, vu la forte dépendance de ces
derniers aux transferts d'argent ou de nourriture y provenant.
o Les
déséquilibres des politiques économique et
sociale
En Haïti, les
déséquilibres des politiques économique et sociale ont
contribué et continuent à contribuer à la pauvreté
rurale en privant les ruraux des avantages du développement et en
amplifiant les effets des autres facteurs de paupérisation. Les
déséquilibres de la politique gouvernementale qui
défavorisent généralement les pauvres ruraux haïtiens
sont notamment les suivants :
·
L'infléchissement systématique des investissements publics en
infrastructures et des dispositifs de protection sociale en faveur des zones
urbaines ; en effet, le plus souvent en Haïti, tout se fait par et
pour la République de Port-au-Prince et ses environs immédiats,
Pétion-Ville et Carrefour.
· Les mesures
favorisant la culture d'exportation au détriment des cultures
vivrières ; pratique qui depuis le temps de la colonie conduit
le pays à cultiver en outrance deux (2) ou trois (3) produits
d'exportation qui bénéficient de toutes les attentions que ce
soient en traction animale ou mécanique (le peu que le pays utilise,
bien sûr). Cependant, ces genres de culture n'ont pas toujours
été profitables pour le pays vu qu'elles ne répondaient
qu'aux aspirations des grandes nations importatrices de produits tropicaux, et
cela, pour un temps. A cet effet, souvenons-nous des grandes plantations de
sisal dans le Nord Est qui, après qu'elles ne furent plus
nécessaires, ont laissé cette région aride, quasi inapte
aux cultures, hostile à ses habitants.
· Les
avantages accordés aux grands propriétaires terriens et
producteurs commerciaux en ce qui concerne les droits de
propriété et d'occupation des sols, les services publics de
vulgarisation et l'accès au crédit ; nul n'est besoin de
rappeler que les grands propriétaires terriens, depuis
l'Indépendance, ont toujours bénéficié de tous les
avantages possibles et imaginables dans le pays : crédits plus ou
moins illimités basés tout sur la confiance, justice, meilleures
opportunités d'investissement. Le système de crédit
présente tellement de contraintes aux petits paysans que ces derniers se
trouvent le plus souvent dans l'obligation de s'en abstenir : les
garanties ou les intérêts sur prêts sont exorbitants
d'où une exclusion systématique des petits paysans qui ne
possédaient rien déjà.
o Ces politiques
ont des conséquences directes tant à court terme qu'à long
terme sur la pauvreté rurale vu qu'elles ne font que la renforcer.
IV.4.- Les
conséquences de la pauvreté rurale en Haïti
Outre la
dégradation des ressources naturelles qui par le fait que les paysans
déboisent les forets protecteurs des sommets des montagnes et des pentes
abruptes pour la fabrication de charbon de bois, l'exode rural
représente un problème sérieux entraîné par
la pauvreté dans les zones rurales.
En effet, face aux
situations de pauvreté et de malnutrition liées aux
problèmes de dégradation de l'activité agricole devenant
chaque jour de plus en plus alarmantes, les marges de manoeuvres des paysans
demeurent fort réduites. Pour bon nombre d'entre eux, l'unique voie
envisageable demeure l'exode rural. Ainsi, chaque année, un nombre
élevas de migrants laissent les campagnes, se dirigeant, pour la
plupart, vers Port-au-Prince et les autres villes de provinces nourrissant
l'espoir illusoire d'emplois dans les milieux urbains, mais, en
réalité, ces infortunes ne font que changer leur misère de
pôle. Cette alternative s'accompagne d'une dégradation de
l'environnement, de la bidonvilisation, d'un chômage chronique, pour
aboutir enfin à la dégénérescence de la
macrocéphalie de la capitale et de certaines grandes villes du pays. Cet
état de chose entraîne tout naturellement l'apparition d'un
secteur informel dont l'apport à l'économie nationale ne peut
être comptabilisé ... faute d'informations.
Un nombre beaucoup
plus imposant de migrants constitués de gens des régions urbaines
et d'une partie de ceux laissant les campagnes se dirigent également
vers les États-Unis, la République Dominicaine, et d'autres
îles de la Caraïbe; et souvent, ces voyages vers l'Amérique
du Nord et les Caraïbes se réalisent dans des conditions d'absence
de sécurité quasi-totale pour les démunis sur les
frêles embarcations. L'aspect tragique de cette initiative est bien mise
en évidence par de nombreuses pertes en vie humaines enregistrées
en haute mer, lors de la traversée, les mauvaises traitements subis par
les Haïtiens dans les nombreux camps de concentration où ils sont
détenus et le refoulement pur et simple de ceux captés en pleine
mer ou aux larges des côtes étrangères.
* 22 Banque Mondiale et
PNUD, 1997
* 23 Gérard
Pierre-Charles : Economie Haïtienne et sa voie de
développement, p. 45, Ed. Larose, 1969
* 24 Mission en Haïti,
ONU, Lake Succes 1949, p 98
* 25 Mission en Haïti,
Op. citatus
* 26 Capital Consult,
Promotion des investissements en Haïti (Tome I) P-au-P, 1982
* 27 Paul Moral, Le Paysan
haïtien, op.cit.
* 28 IHSI, op.cit
* 29 IHSI, op.cit.
* 30 MARNDR et Manuel
d'Agronomie Tropicale, 1990 p 96
* 31 SACAD, Paysan
Système et crise, 1999, p. 101
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