PARTIE V
CONCLUSION ET RECOMMANDATIONS
Une analyse
récapitulative de tout ce qui précède amène
à ces différentes conclusions:
§ la
pauvreté rurale dans les pays en développement gagne de plus en
plus de terrain puisque près de trois (3) pauvres sur quatre (4)
à l'échelon mondiale vivent dans des zones rurales;
§ la majeure
partie des revenus de ces pauvres provient d'activités liées
à l'agriculture ;
§ une large
proportion d'agriculteurs se trouve plongée dans une pauvreté
absolue ;
§ dans le cas
de la République d'Haïti, la réalité de la
pauvreté dans les zones rurales prend aujourd'hui des proportions
manifestement dramatiques.
En effet, il est
partout reconnu que la population d'Haïti est la plus pauvre de
l'hémisphère occidental, les deux tiers environ de cette
population vivent en milieu rural où la pauvreté est aigue ;
quelque 80% de la population rurale vit en dessous du seuil de
pauvreté. Ce qui est encore plus déconcertant, c'est que depuis
la fin des années quatre-vingt, les conditions de vie de la population
rurale haïtienne ne cessent de s'empirer. Selon des indices
calculés par la FAO en fonction de la période 1989-1991 choisie
comme référence, l'agriculture, principale activité du
milieu rural, est en déclin. L'indice de production agricole est
passé de 104.4% en 1988 à 90.5% en 1997.
Aussi, les
observateurs sont unanimes à reconnaître que cette situation
d'extrême pauvreté dans laquelle se trouve la population rurale
haïtienne est sans nul doute le résultat des conditions
dégradantes de l'agriculture haïtienne.
En effet, les
conditions techniques de la production demeurent très
défavorables à une politique de dynamisation du secteur primaire.
La production agricole, en Haïti, comme on l'a déjà
démontré, repose essentiellement sur l'emploi des techniques
traditionnelles et primitives à savoir, la machette, la houe coloniale,
celle à angle droit et accompagnée parfois de la pioche.
L'utilisation de la
traction animale pour le travail du sol demeure très limitée.
L'emploi d'intrants chimiques et biologiques est très rare. Selon un
rapport de la FAO, Haïti utilise près de 4.1 kgs d'engrais/ha et
possède ½ tracteur pour 1000 has.
Les conditions
d'extrême pauvreté dans lesquelles végètent les
paysans haïtiens, rendent impossible tout effort d'amélioration de
leurs techniques de production visant à accroître le rendement du
secteur à des fins de développement. Dépourvus de tout
encadrement, ils se confinent dans l'utilisation des procédés
routiniers les plus désuets.
L'analyse
approfondie de la situation dans laquelle végète la population
rurale et les caractéristiques de l'agriculture haïtienne donnent
lieu de découvrir que des problèmes sérieux
empêchent le développement de la production agricole et
l'amélioration des conditions de vie en milieu rural.
Ainsi, ces faits
nous autorisent à dire que la détérioration de la
production agricole en Haïti constitue l'un des facteurs clés de la
paupérisation rurale. Car, comme on ne cesse de le
répéter, l'agriculture est la principale activité
économique du monde rural. Une large proportion des ruraux, surtout les
pauvres y tirent leurs possibilités de revenus. Par conséquent,
toute détérioration dans la production aura des
répercussions négatives sur la population rurale en
particulier.
Pourtant, nous
savons que des efforts énormes ont été consentis tant par
des organismes internationaux, nationaux non gouvernementaux que par des
organismes nationaux gouvernementaux en vue d'améliorer les conditions
de vie des ruraux qui végètent dans une pauvreté absolue.
Cependant, malgré tout, force est de constater que la population rurale
n'arrive point à satisfaire ses besoins alimentaires voire les besoins
non alimentaires. Les cultivateurs ont perdu le pouvoir de donner à la
population rurale un panier de vivres alimentaires. On a là une
agriculture qui n'arrive pas à nourrir même ceux qui la
travaillent.
Face à cette
situation effarante, des mesures urgentes passant par des politiques
structurelles doivent être prises en vue de renverser la situation des
pauvres des zones rurales.
Cependant, pour
mettre au point des politiques qui aient une chance d'aider effectivement les
pauvres ruraux, les pouvoirs publics devraient cibler les quatre (4) groupes
principaux suivants :
· Les petits
propriétaires qui cultivent leur terre ;
· Les fermiers
non propriétaires qui cultivent la terre des autres ;
· Les ouvriers
sans terre, employés à la tâche ou à long terme dans
le secteur agricole ou non agricole ;
· Les femmes,
qui peuvent aussi appartenir à l'un des trois groupes
précédents.
Tous ces groupes
profiteront des avantages d'une bonne gestion macroéconomique - qui aide
à maîtriser l'inflation et maintienne des prix non
subventionnés - propice à une croissance économique
durable entraînée par l'investissement privé et la
concurrence sur les marchés. Il est inutile de dire que des lois
inéquitables ou l'application déficiente des lois en vigueur,
l'exclusion des pauvres du processus de décision et la corruption
généralisée dans le secteur public ne sont pas moins
nuisibles au bien-être des pauvres qu'à la croissance
économique globale du pays.
La lutte contre la
pauvreté rurale passe notamment par une expansion agricole fondée
sur l'application de techniques nouvelles. Cependant, l'effet de telles
initiatives sur les pauvres ruraux dépend des conditions initiales, de
la structure des institutions et des incitations. On sait que la stagnation de
l'agriculture en Haïti a porté préjudice aux pauvres ruraux
en créant des pénuries alimentaires surtout dans le Nord Ouest et
le Haut Artibonite et en faisant monter les prix, ce qui réduit leur
capacité d'acheter de quoi se nourrir et de trouver du travail.
On peut supposer
qu'une hausse du rendement des cultures réduit à la fois le
nombre des pauvres ruraux et la gravité de leur condition. Mais ces
effets ne sont substantiels que si certaines conditions sont
remplies d'après plusieurs économistes:
· Les
marchés des biens fonciers et des capitaux ne sont pas faussés
par une forte concentration de la propriété des ressources
naturelles (terres agricoles), qui se manifeste notamment par des contrats
d'occupation des sols inéquitables et par l'exclusion sur les
marchés des capitaux (limitant l'accès aux
financements) ;
·
L'investissement public dans l'éducation et les soins de santé de
base est important et utilisé de façon rationnelle ; le
niveau d'instruction et l'état de santé des agriculteurs influent
beaucoup sur la productivité agricole ;
· La recherche
agricole bénéficie d'un appui important et efficace du secteur
public et les petits exploitants profitent des améliorations qui en
résultent ;
· Le capital
physique, comme par exemple les réseaux d'irrigation et les routes
d'accès, est suffisamment entretenu ;
· Des
dispositifs de protection et d'aide sociales existent pour les très
pauvres, en particulier les travailleurs (intermittents) sans terre et les
femmes rurales, sous forme de programmes de travaux publics, de micro
financements et de subventions alimentaires ;
· Les pauvres
ruraux participent directement à l'identification, à la
conception et à l'exécution des programmes, pour parvenir
à une utilisation efficace des ressources et à une
répartition équitable des prestations.
Là encore,
bien que ces conditions seraient optimales, les acteurs doivent se concerter
pour trouver des moyens différents de lutter contre la pauvreté
rurale dans le cadre de stratégies nationales qui font intervenir les
administrations publiques, le secteur privé à but lucratif
et la société civile, soient :
· La collecte
de l'information : les pauvres ruraux sont aux prises avec de nombreux
problèmes différents et ils ne constituent pas un groupe
homogène. Aussi convient-il de faire un effort durable pour rassembler
des informations à propos des problèmes spécifiques qui se
posent, afin de pouvoir y remédier comme il convient.
· La
priorité au développement des ressources : le gouvernement
doit évaluer quels sont les actifs dont les pauvres ont le plus besoin,
pour les aider à gagner davantage. Il peut s'agir des terres agricoles
ou d'autres ressources, de l'accès au crédit ou
d'améliorations dans les secteurs de la santé et de
l'éducation. Si l'on compte exclusivement sur la main-d'oeuvre, sans se
préoccuper de mettre en valeur les autres ressources, on laisse intacte
la principale cause de la pauvreté persistante.
· Un droit
d'accès adéquat à la terre et à l'eau : un
vaste programme de reforme agraire - comprenant l'attribution de titres de
propriété foncière, la redistribution de terres et un
régime des baux agricoles équitable et applicable - peut
accroître l'efficience des petits propriétaires - exploitants et
fermiers et rehausser leur niveau de vie.
· Des soins de
santé de base et alphabétisation : les pauvres ruraux ont
besoin de développer leur capital humain pour pouvoir sortir de la
pauvreté et contribuer davantage à l'économie et à
la société. Les soins de santé de base (vaccination,
accès à l'eau salubre et planning familial) et l'éducation
(alphabétisation, scolarisation et formation technique) - en particulier
pour les femmes et les enfants - sont des conditions fondamentales et devraient
être accessibles à un coût raisonnable.
· La
participation des intéressés : la meilleure façon de
financier et d'entretenir l'infrastructure et les services de santé et
d'éducation est de faire participer les groupes ciblés à
leur conception, à leur emploi et à leur suivi.
· La mise en
place de l'infrastructure : les pauvres ruraux ne peuvent pas faire le
meilleur usage de leurs ressources, notamment humaines, si certaines des
principales composantes des infrastructures physiques du pays (irrigation,
transports et communications) et des services de soutien (recherche et
vulgarisation) sont inadéquates, en qualité et en
quantité. La meilleure façon de financer et d'entretenir les
infrastructures sociales et physiques et les services - pour qu'ils soient
efficaces par rapport aux coûts et d'une qualité raisonnable - est
de faire participer les groupes ciblés à leur conception,
à leur emploi et à leur suivi, et de responsabiliser les
administrations publiques compétences.
· Un
crédit ciblé : les sources de crédit informel et
formel sont souvent trop coûteuses ou inaccessibles pour les pauvres. Les
programmes publics ciblés rural, en particulier s'ils sont
subventionnés, bénéficient beaucoup plus aux non-pauvres
qu'aux pauvres. Ceux-ci veulent pouvoir obtenir des crédits à des
conditions acceptables quand ils en ont besoin. Les récentes
expériences de programmes de crédit centrés sur les
collectivités, qui font appel à la participation active des
pauvres dans les décisions en matière de prêts et les
responsabilisent, ont permis de servir les groupes ciblés pour un
coût raisonnable.
· Les travaux
publics : une proportion forte et croissante des pauvres ruraux
dépend du travail salarié, parce qu'ils n'ont pas d'autre actif
que leur force de travail ou qu'ils ont par ailleurs des actifs très
limités sous forme de terres et d'animaux domestiques. Un programme
souple de travaux publics peut grandement aider ceux qui n'ont pas ou presque
pas de terre à lisser les fluctuations des ressources du ménage
et à faire face aux périodes de disette. Si ces programmes sont
établis sur des bases durables, ils peuvent aussi renforcer le pouvoir
de négociation des pauvres dans les zones rurales.
· Des
programmes décentralisés d'aide alimentaire à
l'exemple de l'Organisation CARE dans le Nord Ouest: certains pauvres ruraux
vivent dans un état de malnutrition presque constant. Le soutien dont
ils ont besoin diffère selon les circonstances, et peut leur être
procuré sous forme de complément alimentaire, d'aide alimentaire
fournie par les écoles, les centres de soins et les centres
communautaires, ou de transferts monétaires. Les programmes d'aide
décentralisés et ciblés semblent les plus
efficaces.
Cependant, aucune
de ces mesures n'aura d'impact positif sur le monde rural si elles sont prises
sans la concertation des paysans. Aussi, proposons nous que ces mesures soient
prises dans une perspective de développement endogène qui, dans
son essence, admet l'idée que toute population est à même
d'initier le processus d'amélioration de ses propres conditions de vie.
Car, le développement endogène comme on le dit tantôt, a
pour objectif :
- d'aider les gens
à trouver des moyens d'organiser des programmes d'effort
personnel ;
- de fournir des
techniques d'action coopérative dans le cadre de plans que la population
locale élabore et exécute pour améliorer son propre niveau
de vie.
Aujourd'hui, le
développement rural ne doit pas être considéré comme
une oeuvre de bienfaisance sociale mais plutôt comme un investissement
socialement rentable dans cadre d'une stratégie globale de relance de
l'économie nationale. Les financements, consentie pour le
réaliser, peuvent favoriser à la fois une croissance
évidente de l'offre de produits agricoles et artisanaux ainsi qu'une
augmentation considérable de la demande de ceux-ci. La clé du
succès d'un tel processus de reprise économique réside
dans le choix et l'agencement de mesures et actions définies dans le
cadre d'une perspective de freinage de l'exode rural.
D'ailleurs, ne
coûterait-il pas plus cher d'établir des migrants ruraux en ville
que d'améliorer leurs conditions de vie à la campagne ? En
fait, une simple observation des rues de la zone métropolitaine de
Port-au-Prince permet de constater l'incapacité actuelle du secteur
urbano-industriel d'accueillir les migrants ruraux. Les possibilités de
redressement d'une telle situation à court et moyen terme sont
très minces.
Une telle
perspective exige une nouvelle conception de la ruralité de la part de
ceux qui s'engagent dans le développement rural en Haïti. Le rural
ne peut plus se réduire à l'espace agro-sylvo- pastoral. Sa
dynamique est actionnée par son composant humain. Dans le cas
d'Haïti, la réduction de la pauvreté rurale ne peut
être assurée sans la prise en compte des questions
suivantes : organisation des milieux résidentiels, insertion
professionnelle des jeunes ruraux et réorientation des femmes-chefs de
famille.
Par
conséquent, le développement rural en Haïti exige une
politique destinée à combattre non seulement des problèmes
liés aux techniques de production agricole ou forestière mais
aussi ceux relatifs à d'autres aspects économiques et sociaux.
Une telle politique ne peut être conçue et menée à
bonne fin qu'avec la participation active d'une équipe de cadres
professionnels, choisis non sur la base du clientélisme ou de
militantisme mais en fonction de leurs compétences. C'est seulement
à ce modeste prix qu'on pourra mettre fin à la culture de la
pauvreté rurale en Haïti.
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