TITRE I
LA NATURE DE LA PROPRIETE DANS L'UNIVERS VIRTUEL
Les biens incorporels étaient traditionnellement
écartés de la protection du droit des biens. En effet, seuls les
biens matériels étaient susceptibles d'appréhensions
physiques. Aujourd'hui, ayant acquis de la valeur, ces biens immatériels
sont progressivement pris en compte par le droit de propriété
(Chapitre 1). Le droit de la propriété
intellectuelle en est l'exemple puisque cette richesse incorporelle semble
accéder, au même titre que le droit de propriété,
« au panthéon de la hiérarchie des normes »
(Chapitre 2).
CHAPITRE 1
L'IMMATÉRIALITÉ DES OBJETS VIRTUELS : UNE
POSSIBLE PRISE EN COMPTE PAR LE DROIT DE PROPRIÉTÉ
Dans le monde « réel », nous connaissons le
droit de propriété tandis que dans les univers virtuels, nous
utilisons le concept de propriété virtuelle pour parler des
objets intangibles appropriés par les joueurs. Il s'agira tout d'abord
d'analyser le contenu de ces propriétés (Section
1) et d'ensuite de détecter les éléments qui les
rapprochent (Section 2).
Section 1 : Du réel au virtuel : le contenu de la
propriété
Avant de pouvoir rapprocher le droit de propriété
(§1) au droit propriété virtuelle
(§2), il faut bien évidemment effectuer une
analyse séparée de ces propriétés.
§1 : La propriété dans le monde
«réel» : le droit de propriété
Le droit de propriété du monde réel
trouve son assise à l'article 544 qui est resté inchangé
depuis la codification du code civil (A). Par l'utilisation du
terme «chose», le droit des biens distingue
généralement les biens corporels et les biens incorporels
(B).
A. Le texte fondamental : l'Article 544 code
civil
Le texte fondamental est l'article 544 du code civil. Il
énonce que « la propriété est le droit de jouir
et de disposer des choses de la manière la plus absolue ».
C'est l'un des articles le plus ancien du code civil et sa
rédaction n'a pas changé depuis près de deux
siècles. Il est situé au titre deuxième (de la
propriété) du livre deuxième (des biens et des
différentes modifications de la propriété). Toutes les
choses peuvent faire l'objet d'une appropriation privée, à
l'exception de celles qui appartiennent au domaine public.
Le droit de propriété comporte trois
prérogatives. Il confère au propriétaire des attributs du
droit de propriété que sont l'usus, le fructus
et l'abusus. Ainsi, le propriétaire est directement en contact
avec son bien. Il a une maîtrise totale sur la chose.
Il dispose du droit d'usage (l'usus). Il a la
liberté de choisir la destination et l'affectation de la chose. Par
ailleurs, il peut négativement ne pas user de son bien et ne sera pas
pour autant dépossédé de son bien car la
propriété ne s'éteint pas par le non-usage.
Le titulaire du bien peut en disposer (l'abusus) : le
vendre, le détruire ou l'abandonner. Enfin, il peut également
percevoir les fruits de son bien et en disposer librement. C'est le droit de
jouissance (le fructus).
S'agissant de ses caractères, le droit de
propriété est tout d'abord absolu. Le propriétaire peut
accomplir tous les actes matériel et juridique qui ne lui sont pas
interdits. Il existe tout de même des limites ; la loi peut porter
atteinte au droit de propriété (l'exemple de l'expropriation). Le
droit de propriété est ensuite perpétuel. Cela signifie
qu'il ne s'éteint pas par la disparition de son titulaire. Il est
transmissible aux héritiers. De plus, il ne se perd pas par le non-usage
: en principe, la prescription extinctive ne l'atteint pas.
Pour finir, le droit de propriété est un droit
exclusif. Seul le propriétaire peut user de la chose et peut donc en
interdire l'utilisation à tout autre personne24. Il peut
interdire un tiers de violer sa propriété. Même si
l'empiètement n'est que minime, puisque « la défense du
droit de propriété contre un empiètement ne saurait
dégénérer abus mais qu'en vertu de l'article 545 du code
civil nul ne peut être contraint de céder sa
propriété si ce n'est pour cause d'utilité publique
», arrêt de la cour de cassation du 7 juin 1990, époux
Gabrielli.
24 Mousseron, Raynard, Revêt, "De la
propriété comme modèle", Mélanges Colomer,
Litec 1993, p. 281.
Il faut préciser que « la
propriété est un droit inviolable et sacré, nul ne peut en
priver, si ce n'est lorsque la nécessité publique,
légalement constatée, l'exige évidemment et sous la
condition d'une juste et préalable indemnité... ». Ce
principe a été proclamé par l'article 17 de la
Déclaration de 1789. Cet article fondamental s'appliquerait au monde
réel comme au monde virtuel. D'autant plus que la décision du 16
janvier 1982 du Conseil Constitutionnel a réaffirmé le
caractère fondamental du droit de propriété.
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