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La Réforme du système bancaire en Bulgarie

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par Kamel CHEKLAT
Ecole Normale Supérieure ENS Cachan - Diplôme des Etudes Approfondies DEA 2005
  

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2- LA CRISE BANCAIRE

La littérature économique sur la transition admet l'existence d'une crise bancaire en Bulgarie en utilisant le vocabulaire de risque ou crise « systémique » proche de l'idée de « choc financier systémique » caractérisé par une fragilisation de l'ensemble des intermédiaires bancaires et financiers, suffisamment importante pour perturber le fonctionnement normal des circuits monétaires et financiers29(*). Les études économiques actuelles consacrées à cette question suivent essentiellement deux approches, l'une consistant à expliquer les faillites à partir des données relatives aux banques touchées, et l'autre à examiner la façon dont diverses variables macroéconomiques (telles que les variations des taux d'intérêt et de change) ont contribué à la crise. Bien que des économistes et responsable de politique économique soient de plus en plus convaincus que des variables aussi bien macroéconomiques que microéconomiques (spécifiques à chaque banque) influent sur les crises bancaires. Peu d'études empiriques offrent une analyse systématique de la contribution de ces variables aux faillites des banques. 30(*)

Cette littérature démontre comment les conditions très difficiles du démarrage de la période de transition, les réformes structurelles trop tardives, l'inadéquation du cadre réglementaire des banques commerciales, les enjeux macroéconomiques et les problèmes de corruption ont abouti à la crise économique de 1996-1997. L'objectif de stabilisation macroéconomique s'est révélé impossible à atteindre. L'augmentation des pertes financières des entreprises bulgares et du secteur bancaire s'est traduite par une progression rapide de la dette nationale, des arriérés de paiement et la nécessité de financer en permanence les banques commerciales en difficulté .

La demande monétaire a été instable et la leva a fait l'objet de plusieurs attaques spéculatives, la capacité de la BNB à défendre la monnaie a été limitée par la faiblesse de la balance des opérations courantes, la rareté des financements extérieurs et les importantes obligations de titre pour la dette extérieure. Cela a créé un environnement macroéconomiques instable, dans lequel les périodes de progrès apparents vers une baisse de l'inflation ont été interrompus par une résurgence très rapide de l'inflation et une dépréciation monétaire (OCDE -1997).

Nous analysons cette crise bancaire bulgare à travers des « indicateurs économiques  » et institutionnels (les carences de la réglementation) pour mieux la cerner et démonter son ampleur. Nous focalisons l'attention sur les indicateurs clés à savoir :

i) Le niveau de capitalisation des banques :

En Bulgarie, les entreprises en situation financière difficile ont absorbé l'essentiel des ressources allouées par l'intermédiaire du budget de l'Etat et du système bancaire, entraînant pour les entreprises saines un effet d'éviction. Les entreprises publiques défaillantes représentaient alors 79,1% des engagements du système bancaire (1995). Le processus de décapitalisation des banques s'est accéléré, illustré par l'accroissement des pertes qui atteignaient 30,4 milliards de leva à la fin de 1995. Les engagements totaux du système bancaire s'établissaient à 372 milliards de leva (4,78 milliards de dollars) répartis à égalité entre banques d'Etat et banques privées. Selon la BNB, 75% de ces engagements représentaient des créances douteuses.31(*)

ii) La baisse rapide du capital des banques qui essuient des pertes grandissantes est un signal et un facteur de détresse, l'expansion rapide de la part des créances improductives annonce manifestement un danger. La détérioration de la qualité des prêts a été au coeur de la plupart des crises systémiques. Le niveau des créances improductives est un indicateur clé de l'ampleur des difficultés des banques. La stabilisation économique s'est accompagnée d'une détérioration de la situation des banques malgré les injections de liquidités de la part de la BNB au dernier trimestre 1995. A partir de 1996, la fragilité des banques est devenu un motif majeur d'inquiétude du public, qui a commencé à retirer ses dépôts de la quasi-totalité des banques, que la BNB a soutenu sans prise de collatéral. De décembre 1995 à juin 1996, le refinancement total des banques commerciales à la banque centrale a augmenté de 145%, alors que 90% de ces flux n'étaient pas collatéralisés.

iii) Pour les indicateurs macroéconomique:

Le PIB a chuté de 10% en 1996 et de 7% en 1997. La dépréciation de la leva était de 500%, les réserves de change étaient réduites à 518 millions de dollars (soit 1,1 mois d'importation), alors que le seul remboursement de la dette extérieure était estimé à 1,313 milliard de dollars en 1997, la dette publique interne avait triplé pour représenter plus de 60% du PIB. En novembre 1996, le gouvernement s'est vu suspendre la seconde tranche de l'accord stand-by par le FMI, ce qui a remis en cause sa solvabilité et a renforcé l'incertitude institutionnelle.

Les banques sont déclarées en banqueroute les unes après les autres, ce qui a semé la panique chez les déposants. Alors que les banques faisaient faillite, leurs débiteurs se transformèrent en « millionnaire du crédit » grâce aux sommes qu'ils avaient empruntées et qu'ils n'avaient pas l'intention de rembourser. La réaction de l'opinion obligea le gouvernement à garantir les dépôts des clientèles dans les banques en banqueroute, ce qui alourdit davantage le budget de l'Etat. En 1996, se firent sentir les effets négatifs du système de pompage des bénéfices des entreprises d'Etat par des groupes économiques privés. Les bénéfices allaient entre les mains de ces groupes, alors que les pertes des entreprises étaient couvertes par le budget de l'Etat.

v) La forte poussée inflationniste de 1996-1997

La Bulgarie de 1992 à 1999 : données macroéconomiques et financières

 

1992

1993

1994

1995

1996

1997

1998

1999

PIB, USD Mrds

8,6

10,8

9,7

13,1

9,9

10,1

12,2

12

Croissance (%PIB)

- 7,3

-1,5

1,8

2,9

-10,1

-7,0

3,5

2,4

Tx D'inflation%

79,4

63,9

121,9

32,9

310,8

578,6

1,0

6,2

Tx de chômage %

15, 3

16,4

12,8

11,1

12,5

13,7

12,2

16,0

Tx de croissance de la production industrielle, %

-18,4

-9,8

10,6

4,5

5,1

-10,0

-12,7

-10,0

Revenu/mois/tête, USD

87,7

116,9

91,5

113,1

79,4

76,3

106,5

107,3

Dépôts bancaires (% PIB)

54

53

56

50

38

20

20

 

Tx d'intérêt de base, %

45

48,16

63,33

38,5

435

7,01

5,16

4,71

Dette extérieure Mln USD

13,806

13,836

11,338

10,148

9,602

9,76

10,251

9,984

% PIB

122

108

121

77

102

95

83

81,3

Réserve de change Mln USD

900

650

1000

1240

485

2250

2660

2900

Tx de change pour 1 USD

23,3

27,7

54,2

67,2

175,8

1676,5

1760,4

1,836

Source D. Delcheva, op. cit. p. 32

Le 5 juillet 1999 : nouvelle définition du BGL sur la base de 1 nouveau BGN pour 1000 ancien BGL, ( 1000 BGL = 1BGN, nouveau code).

L'hyperinflation de mars 1996 à février1997 a culminé au début des années 1990, alors que les anciennes économies planifiées amorçaient leur transformation en économie de marché, dans un contexte d'absence de rigueur des politiques macroéconomiques et la levée du contrôle des prix. En 1992, le taux d'inflation médian approchait de 100% dans les PECO. En adoptant des mesures de lutte, l'inflation est tombée jusqu'à atteindre les 60% après six mois de l'application de ces premières mesures. A la fin 1995, la Bulgarie enregistre 35% de taux d'inflation. Le seuil du chaos est atteint en 1996-1997 avec un taux inégalable de 310% et 578%, le taux de change de la leva est passé de 71 leva pour un dollar à plus de 3000 leva pour un dollar entre la fin 1995 et le début de 1997. Dés le deuxième semestre de 1996, la crise financière s'est propagée au secteur réel de l'économie.

L'ensemble des mesures était proche des stratégies plus ou moins radicales adoptées en même temps en Europe centrale, quoique avec un soutien extérieur plus faible (la Bulgarie n'a pas bénéficié d'un fond de stabilisation du change ce qui a pu peser sur la crédibilité de sa politique de change lors du passage à la convertibilité). La réduction de la dette extérieure bancaire obtenue en 1994 (le club de Londres) n'a porté que sur le capital et non sur les arriérés d'intérêts accumulés depuis la fin de 1989 contrairement au cas de la Pologne).32(*)

L'impact immédiat est matérialisé par : la chute de la production, de l'emploi et du niveau de vie moyen, forte poussée inflationniste, insolvabilité de nombreuses entreprises publiques, apparition progressive de problèmes budgétaires. Au fil des ans, les signes d'affaiblissement financiers se sont manifestés avec une recapitalisation bancaire coûteuse, une crise de change en 1994, une série d'intervention de la BNB dans de petits établissements en 1994-1995, enfin la prise de contrôle d'une banque privée de premier rang en décembre 199533(*). En 1996, la fragilité des banques est devenu un motif d'inquiétude du public. Avec la crise des banques, la question de la solvabilité de l'Etat bulgare au niveau externe est de nouveau posée.

vi) Les carences de la réglementation :

Le dispositif juridique cité précédemment reste incomplet s'il exclue la procédure de mise en faillite des banques, les sociétés d'assurances et les monopoles publics. L'Etat bulgare propriétaire à travers la Compagnie de consolidation bancaire, pensait pouvoir intervenir dans la gestion en changeant le manager défaillant, avant de fermer en dernier recours la banque publique, alors que le retrait de licence d'une banque privée par la BNB serait une mesure suffisante pour lancer la procédure de mise en liquidation [Tzvetanov, 1996]. L'absence d'une loi sur les faillites bancaires a fortement contribué au développement d'attitudes opportunistes de la part des banques commerciales, nullement incitées à assainir leur situation financière et à octroyer des prêts selon des critères de qualité.34(*) En plus de vide institutionnel qui a remis en cause la loi sur les faillites, les banques se sont retrouvées incapable d'entamer une procédure à l'égard des gros clients protégés par la loi (entreprises publiques en situation de monopole) et principaux responsables des créances douteuses et de la propagation de prêts non performants. Par ce procédé déloyale, les banques commerciales de leur côté, ont continué à financer les entreprises protégées pour bénéficier de l'attitude paternaliste de l'Etat [P. Koleva, 2004].

Les lois adoptées au début de la transition en Bulgarie n'ont de portée réelle que mesurées à leur capacité à être appliquée. C'est le cas du cadre prudentiel pour les banques adopté entre 1991 et 1993, qualifié d'ambitieux par les experts de l'OCDE. L'absence de mécanisme fiable de respect des normes existantes (la carence de la supervision bancaire) a fait que les acteurs du secteur bancaire n'observent pas ces règles prudentielles (le ratio Cooke n'était respecté que par deux des treize principales banques en 1992). En 1994, seule la moitié des banques en (termes de part de marché) avaient atteint le ratio de solvabilité de 8% de leurs engagements, ne détenant en fait que 40% des actifs du système bancaire. Deux principaux types de facteurs peuvent expliquer les retards d'ajustement de la part des banques. Le premier est relatif à l'inadéquation et à l'incomplétude du cadre réglementaire, le second groupe de facteurs expliquant la stratégie d'attente de la part des banques et la dégradation de la discipline financière se rapporte à la capacité de la banque centrale de faire respecter les règles édictées [P. Koleva, 2004].

Cette crise bancaire est une suite logique du développement de l'économie bulgare depuis 1990. Certaines analyses considère même que la Bulgarie était en période de pré-crise de 1990 à 1996. La mauvaise dynamique du processus de transition en Bulgarie a été signalé par beaucoup d'études (OCDE, 1999 ; Dobrinsky, 2000 ; Koford, 2000 ; Vitcheva, 2001 ; Mihov, 2002 et autres),35(*) [N. Nenovsky ; M. Berlemann, 2004]. Ces études font de la lenteur du processus de privatisation en Bulgarie l'un des plus important problème de la transition bulgare.

Il est vrai aussi que cette crise de 1996 en Bulgarie rapproche les différents types et modèles de crises financières (currency crises) et bancaires36(*). Beaucoup de facteurs ont été à l'origine de cette crise dont ce que nous avons cité précédemment à savoir, les facteurs économiques, institutionnels, interaction entre banques et entreprises, environnement bancaire et la structure du crédit à l'entreprise.

La tentative de juguler la crise bancaire par les autorités n'a pas empêché les bulgares de penser à la nécessité d'un changement politique après la dérive des politiques économiques standards du « consensus de Washington » et les fondements théoriques des prescriptions du FMI. Le 1er juillet 1997, la Bulgarie a instauré la Caisse d'émission (CE), autrement dit le Currency Board . La BNB a ainsi subi les changements les plus profonds depuis sa création en 1879, des changements à la fois institutionnels et fonctionnels. L'introduction du CB est lié aussi à une vaste réforme qui touche la hiérarchie de l'Etat bulgare et les règles formelles : la Constitution du pays, la loi sur la banque centrale et les banques commerciales et la formalisation de la nouvelle règle monétaire. La Bulgarie à travers ce nouveau dispositif veut rompre avec les pratiques du passé, celui qui l'a mené droit vers deux crises économiques « les plus graves de son histoire ».

Dans cette seconde étape de la transition dans le système bancaire bulgare, nous analysons ces nouvelles règles institutionnelles et comment sera agencé le système financier en entier. Pour cela, nous abordons en section première la structure, les instruments et le fonctionnement du système bancaire dans le cadre du CB. En seconde section, nous abordons les facteurs de développement de ce système dans la perspective de l'élargissement de la Bulgarie à l'Union européenne.

.

.

* 29 T. Apoteker, Transformation du système bancaire polonais, tchèques et hongrois, subsiste-t-il des fragilités systémiques, T-A-C

* 30 Sources, Revue Finances et developpement, juin, 1999

* 31 Cité in « Réformes économiques en Bulgarie depuis 1989 », E. Madeleine

* 32 J. Sgard, op cit, pp 5  

* 33 ibid.

* 34 P. Koleva, op cit., p. 146-147

* 35 Source in « Comparative Economic Studies », 2004

* 36 Modèles de Krugman, 1998 ; Floor et Garber, 1984 ; Dooley's 2000, Source : «  The Bulgarian Financial Crisis of 1996-1997 », M. Berlemann ; N. Nenovsky, 2004

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"Les esprits médiocres condamnent d'ordinaire tout ce qui passe leur portée"   François de la Rochefoucauld