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Le droit de l'OMC dans le sillage du commerce des aéronefs civils

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par Simon TURMEL
Université Montesquieu Bordeaux IV - Master 2 Droit international 2006
  

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2.2.1.1.2 Les subventions indirectes

Tel que précisé précédemment, la problématique des subventions indirectes n'est pas nouvelle. En fait, cette problématique est presque aussi ancienne que l'histoire de l'aviation moderne! Il s'agit également de l'élément que l'Europe a régulièrement mis de l'avant pour démontrer que les constructeurs aéronautiques américains bénéficient également d'une aide de la part des pouvoirs publics.

Précisément, les CE allèguent que la NASA, «agissant sur la base de la National Aeronautics and Space Act de 1958, [...] transfère des ressources économiques à des conditions plus favorables que celles qui sont offertes sur le marché ou autrement que dans des conditions de libre-concurrence [...]»282(*). À titre d'exemple, les CE mettent de l'avant les subventions à la recherche octroyées par la NASA et qui portent, par exemple, sur la grande vitesse, la sécurité aéronautique, la technologie des aéronefs silencieux, etc. Il est également précisé la présence de membres du personnel de la NASA qui travailleraient dans le département recherche et développement de Boeing283(*).

D'autres allégations concernent quant à elles le Département de la défense américain. Selon les CE, le Département de la défense «transfère des ressources à des conditions plus favorables que celles qui sont offertes sur le marché ou autrement que dans des conditions de libre-concurrence[...]». Ce transfert de ressources s'opère notamment par «l'abandon de droits de brevet de valeur, l'octroi d'un accès exclusif ou anticipé à des données, secrets commerciaux et autres connaissances résultant de recherches financées par les pouvoirs publics ou la renonciation à de tels droits[...].» Il est également reproché à la branche de production des aéronefs civils de grande capacité d'utiliser des installations d'essais et d'évaluation appartenant aux États-Unis, en passant des marchés publics.

Il est également fait mention de subventions accordées par l'Institut national des normes et de la technologie qui relève du Département du Commerce des États-Unis.

2.2.1.1.3 Analyse

Dans les documents déposés à l'OMC et qui sont, à la date d'écriture de ce mémoire accessibles publiquement, on constate que les CE ne précisent pas sur la base de quel article de l'Accord SMC chacune des contributions identifiées serait illégale. Les CE se contentent, après avoir brièvement décrit chacune de ces contributions, d'indiquer qu'elles sont incompatibles avec les obligations des États-Unis au titre des dispositions suivantes : article 3.1 a) et b), 3.2, 5 a) et c), 6.3 a) et b) et c) de l'Accord SMC ainsi que III :4 du GATT de 1994. On constate donc que les CE considèrent que certaines de ces contributions constitueraient des subventions à l'exportation, donc prohibées par l'article 3 de l'Accord SMC alors que d'autres seraient plutôt des subventions pouvant donner lieu à une action conformément à l'article 5.

Peu importe l'article constituant le fondement de l'allégation, la première étape consistera dans tous les cas à qualifier la contribution comme constituant une subvention au sens de l'article 1 de l'Accord SMC. Dans certains cas, cette qualification devrait être assez facile. Il suffit par exemple d'examiner l'article pertinent de la loi adoptée par l'état de Washington284(*) pour la construction de l'usine d'assemblage du Dreamliner. L'objet de l'entente entre l'état de Washington et Boeing est la réduction de la taxe d'occupation. Il s'agit donc de l'abandon d'une recette publique normalement exigible285(*). Un avantage est ainsi très certainement conféré au récipiendaire286(*). Il en est de même pour le prêt ayant des apparences de prêt sans intérêt de la part du Kansas. Dans certains cas, toutefois, la preuve risque d'être plus difficile à faire surtout pour les subventions indirectes de la NASA ou du département de la défense. En effet, si on prend comme repère la définition de la notion d'aide indirecte qui se retrouve à l'article 5.3 de l'Accord de 1992, on constate qu'il risque d'y avoir une preuve assez technique à faire de la réduction perceptible des coûts des aéronefs civils qui serait due expressément à cet échange de technologie. Par exemple, il nous semble insuffisant de simplement affirmer qu'un article d'une loi prévoit l'abandon, par la NASA par exemple, d'un droit de brevet mais encore faut-il prouver que la technologie protégée par ce brevet ait réellement été utilisée par Boeing et qu'elle ait véritablement entraîné une réduction des coûts des aéronefs civils. De plus, il ne faut pas omettre le fait que Boeing est une entreprise intégrée, donc que les échanges entre les départements militaires et civils ont lieu au sein de la même entreprise, ce qui ne favorise pas la transparence et peut compliquer la preuve à cet égard.

La seconde étape de l'analyse, qui concerne précisément les subventions pouvant faire l'objet d'une action au sens de l'article 5 de l'Accord SMC, consiste à vérifier si les subventions sont spécifiques au sens de l'article 2. Les CE allèguent que «[c]hacune d'elles est spécifique à la branche de production des aéronefs civils de grande capacité des États-Unis au sens de l'article 2 de l'Accord SMC»287(*). La nature même de cette branche du commerce, et l'affaire Canada-Brésil l'a démontré, incite à penser qu'il ne devrait pas y avoir de difficultés majeures à cette étape. Certaines des subventions pourraient même être spécifiques par rapport à l'entreprise Boeing plutôt qu'à la branche de production.

L'étape suivante du raisonnement pour les subventions qui seront attaquées sur la base de l'article 5 de l'Accord SMC sera de faire la preuve du préjudice grave ou de la menace de préjudice grave à la branche de production des aéronefs civils de grande capacité des CE288(*). Les CE identifient comme suit les effets défavorables consécutifs aux subventions accordées par les pouvoirs publics américains :

«- les mesures se traduisent par une sous-cotation notable du prix des produits subventionnés de la branche de production LCA des États-Unis par rapport au prix des produits LCA des Communautés européennes, ou menacent d'avoir un tel effet, en violation des articles 5 c) et 6.3 c) de l'Accord SMC;

- les mesures ont pour effet de déprimer les prix et d'empêcher des hausses de prix dans une mesure notable sur les marchés des produits LCA, ou menacent d'avoir un tel effet, en violation des articles 5 c) et 6.3 c) de l'Accord SMC;

- les mesures ont pour effet de faire perdre des ventes dans une mesure notable sur les marchés des produits LCA, ou menacent d'avoir un tel effet, en violation des articles 5 c) et 6.3 c) de l'Accord SMC;

- les mesures ont pour effet de détourner les exportations de produits LCA des Communautés européennes du marché des États-Unis ou d'entraver ces exportations, ou menacent d'avoir un tel effet, en violation des articles 5 c) et 6.3 a) de l'Accord SMC;

- les mesures ont pour effet de détourner des marchés de pays tiers les exportations de produits LCA des Communautés européennes ou d'entraver ces exportations, ou menacent d'avoir un tel effet, en violation des articles 5 c) et 6.3 b) de l'Accord SMC»289(*)

C'est vraisemblablement cette étape de l'analyse qui risque de poser le plus de difficultés pour l'ORD. En effet, depuis quelques années, Airbus s'est hissé ex-æquo avec Boeing comme premier constructeur mondial. Il serait donc peu crédible pour Airbus d'avancer comme argument la perte de parts de marché d'autant plus que si il y avait effectivement une telle perte, encore faudrait-il établir un lien de causalité adéquat. Il n'est pas non plus clair de quelle façon une preuve de pertes de marchés devra être faite puisque, tout comme pour les subventions à l'exportation qui ont souvent un effet multiplicateur290(*), on peut se questionner à savoir de quelle façon une telle preuve serait faite. En effet, cet effet multiplicateur rend peu adéquate, à notre avis, une preuve de pertes de marché qui serait uniquement fondée sur la base des modèles comparables. Quant à la déprime des prix alléguée, est-elle vraiment une conséquence des subventions ou plutôt de la rude concurrence entre les deux compagnies?

L'ORD pourrait également être amenée à prendre position sur l'interprétation adéquate qu'il faut donner à l'article 4.7 de l'Accord SMC concernant le retrait sans retard d'une subvention prohibée. Est-ce que le retrait d'une subvention prohibée implique son remboursement ou simplement un retrait pour le futur?291(*) Si le groupe spécial devait adopter la position prise par le groupe spécial dans l'affaire Australie-Subventions accordées aux producteurs et exportateurs de cuir pour automobiles et donc exiger le remboursement intégral des subventions à l'exportation versées aux bénéficiaires, les conséquences pourraient être dramatiques. En effet, « [c]omme il n'existe pas de délai pour agir en droit de l'OMC, une contestation tardive de la subvention pourrait en effet entraîner une obligation de remboursement disproportionnée par rapport à l'objectif initial de la partie plaignante292(*)

Cette problématique particulière, qui concernerait toutefois uniquement les subventions prohibées au sens de l'article 3 de l'Accord SMC, pourrait être soulevée, à notre avis, dans la mesure où les CE ont la preuve que les États-Unis continuent de subventionner par le biais de subventions prohibées le Boeing 787 Dreamliner. Si les subventions ainsi consenties à Boeing devaient être intégralement et rétroactivement remboursées, on pourrait imaginer les répercussions commerciales potentielles pour Boeing. On imagine toutefois le danger d'une telle approche par les CE puisqu'elle pourrait amener les États-Unis à demander la même interprétation de l'article 4.7 au groupe spécial chargé d'examiner les subventions accordées par les CE et ce, notamment, en regard du Airbus A380 ou du futur concurrent direct du Dreamliner, le Airbus A350XWB! Il s'agit d'une arme à double tranchant.

Il serait donc dangereux, pour les CE, de demander au groupe spécial d'adopter cette interprétation rétroactive de l'article 4.7. Néanmoins, considérant que l'ascension de Airbus depuis particulièrement les dix dernières années ne favorise pas trop une argumentation basée sur les pertes de marché, donc sur les dommages subis, il est à leur avantage de miser, dans la mesure du possible, sur des subventions qui seraient prohibées par l'article 3 de l'Accord SMC. Quant au risque de préjudice grave résultant des aides accordées au Boeing 787, il nous semble difficile d'établir un lien de causalité adéquat. En effet, ce préjudice grave serait vraisemblablement la perte de commandes pour le A350 XWB. Or, il y aura au moins cinq années de décalage entre le lancement des deux modèles et ce n'est que récemment que le design du A350 XWB a été finalisé. Une telle argumentation reposerait donc sur des hypothèses à long terme.

On vient de décrire un nombre de problématiques juridiques susceptibles d'être soulevées dans la partie du litige relative aux subventions consenties par les pouvoirs publics américains. Plusieurs de ces éléments d'analyse trouvent également écho dans le recours intenté par les États-Unis à l'encontre des différents programmes des CE et des quatre états défendeurs. Examinons tout d'abord les principales allégations américaines.

* 282 Demande d'établissement d'un groupe spécial présentée par les Communautés européennes, «États-Unis - aéronefs civils gros porteurs», WT/DS317/5, 23 janvier 2006.

* 283 Il arrive par ailleurs que la NASA détienne des brevets pour des recherches financées par la NASA, mais effectuées par des compagnies privées. Par exemple, la NASA avait demandé à McDonnell-Douglas d'effectuer un programme de recherche pour développer les ailettes verticales marginales, mais le brevet est allé à la NASA. Ainsi, MD devait payer un certain montant à la NASA pour chaque MD-11 et DC-10 équipés de ces ailettes. Jaime DE MELO, Op. Cit., section 2.1.

* 284 L'extrait pertinent tire du State of Washington, 2003, House Bill 2294, 58è legislature 1ère session :

«Beginning October 1, 2005, upon every person engaging within this state in the business of manufacturing commercial airplanes, or components of such airplanes, as to such persons the amount of tax with respect to such business shall, in the case of manufacturers, be equal to the value of the product manufactured, or in the case of processors for hire, be equal to the gross income of the business multiplied by the rate of:0.4235 percent from October 1, 2005, through June 30, 2007, or the day preceding the date final assembly of a superefficient airplane begins in Washington state, as determined under section 17 of this act; and 0.2904 percent beginning on July 1, 2007, or the date final assembly of superefficient airplane begins in Washington State, as determined under section 17 of this act. » (mise en gras ajoutée).

La loi définit l'expression «superefficient airplane» ainsi: ««Superefficient airplane» means a twin aisle airplane that carries between two hundred and three hundred and fifty passengers, with a range of more than seven thousand two hundred nautical miles, a cruising speed of approximately mach .85, and that uses fifteen to twenty percent less fuel than other similar airplanes on the market.»

* 285 Article 1.1 a) 1 ii) de l'Accord SMC.

* 286 Certains analystes avancent toutefois que les crédits de taxe offerts par l'état de Washington pourraient ne pas être déclarés illégaux puisque l'état cherchait vraisemblablement, par cette mesure, à créer des emplois dans cet état et que ce genre de subvention n'est pas, a priori, interdit. Nils MEIER-KAIENBURG, Op. Cit., p. 221.

* 287 Demande de consultation présentée par les Communautés européennes (addendum), «États-Unis - aéronefs civils gros porteurs», WT/DS317/1/Add.1, 1er juin 2005, p. 5.

* 288 David PRITCHARD et Alan MACPHERSON (2004), Op. Cit., p. 66.

* 289 Demande de consultations présentée par les Communautés européennes, «États-Unis - aéronefs civils gros porteurs», WT/DS317/1, 12 octobre 2004.

* 290 Dans la Décision des arbitres, «Brésil- Aéronefs», WT/DS46/ARB, 28 août 2000, par. 3,54, le concept d'«effet multiplicateur» est définit de la façon suivante : «un montant donné permet à une société d'effectuer un certain nombre de ventes et de prendre ainsi pied sur un marché donné avec la possibilité d'acquérir et d'accroître des parts de marché». Ce principe est vérifiable dans le domaine des aéronefs civils où il sera plus économique pour une compagnie aérienne (surtout les plus petites ou encore les Low-Cost), tant pour des raisons de certification des pilotes que de maintenance, d'avoir une flotte la plus homogène possible.

* 291 Voir supra section 1.2.1 du présent mémoire.

* 292 David LUFF, Op. Cit.,, p. 928.

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"Il faudrait pour le bonheur des états que les philosophes fussent roi ou que les rois fussent philosophes"   Platon