1.2.2. Approche de l'informel en termes d'économie
populaire
Le concept d'économie populaire, par rapport a celui de
secteur informel, recouvre l'ensemble des activités économiques
entreprises au sein des quartiers pauvres des pays en développement en
vue de la satisfaction des nécessités de personnes, de familles
ou de groupes. Larraechea et Nyssens notent que l'économie populaire est
un espace oü s'expriment, par une pratique, une <<demande de survie
>> et une <<demande d'intégration porteuse d'une
identité >>. Ainsi, une telle pratique émane de groupes et
de personnes considérées comme marginales et dont la
manière privilégiée de s'exprimer est par l'action, par le
concret du quotidien49. De même pour H. Leclercq50,
il faut entendre par économie populaire informelle, une économie
de pauvres car, argumente-t-il, tous ceux qui travaillent en économie
informelle ne sont pas tous des pauvres. Cette économie populaire
informelle assure, en général, la préservation d'un mode
de relations sociales et permet a l'économie marchande de
générer une plus grande valeur ajoutée globale en tirant
le meilleur parti d'une population active abondante et de maigres ressources
matérielles. Avec cette économie populaire, des millions
d'activités très précaires se sont
développées et ont formé un vaste marché là
oü c'était possible en même temps qu'un réseau de
solidarité.
Quelques considérations sur l'économie populaire
méritent d'être mentionnées a partir des définitions
qui précèdent. Il s'agit du caractère spécifique du
mode d'organisation de l'économie populaire, de ces acteurs et de
l'espace dans lequel elles se déploient. Comme déjà
signalé plus haut, lorsqu'on se réfère au cadre d'analyse
de l'économie politique, les pratiques d'économie populaire sont
souvent décrites comme non-modernes et sont interprétées
comme un ensemble de pratiques qu'il faut normaliser. Pourtant, il n'est plus
douteux que cette économie populaire apparaIt comme un rempart
spontané contre l'extrême pauvreté. Notons avec J.-Ph.
Peemans que la prise en considération des pratiques populaires au niveau
local dans les vingt dernières années montre qu'elles
s'étendent d'une simple logique de survie a une reconstruction des liens
sociaux. En plus, le concept d'économie populaire s'est progressivement
imposé comme alternative au concept d'économie informelle. Cette
vue alternative percoit l'économie populaire comme un
phénomène durable qui possède sa propre logique et qui ne
doit pas être considéré
49 Ignacio LARRAECHEA et NYSSENS Marthe, "L'économie
populaire : un défi épistémologique pour les
économistes", in LA CONNAISSANCE DES PAUVRES, G1ReP, Ed. Travailler le
social, Louvain-laNeuve, 1996, pp. 489-501.
50 Hugues LECLERCQ, "L'économie populaire informelle de
Kinshasa. Approche macro-économique", dans Zaire-Afrique, n°27 1,
Kinshasa, j anvier 1993, p. 18.
comme subordonné au "secteur moderne" ou en attente
d'incorporation a ce dernier51. Toujours par rapport a la
spécificité de son mode d'organisation et de fonctionnement, il
est démontré que l'économie populaire est un ensemble de
pratiques ancrées dans des réseaux solidaires. Sans le
réseau de solidarité, il n'est pas possible de développer
une économie de marché. Celle-ci renforce les solidarités
dans une société oü l'économie est encastrée
dans le social dans l'entendement de K. Polanyi. Dans ses analyses de
l'économie populaire informelle, H. Leclercq montre comment
l'économie populaire combine les logiques du marché et de
redistribution. D'oü la nécessité de percevoir
l'économie populaire a la fois dans ses dimensions économiques et
sociales qui sont tout a fait interdépendantes et définis sent
ensemble un certain style de vie.
Par sa très forte adaptabilité a une demande
faiblement solvable, sa présence permanente et
généralisée, l'économie populaire s'installe dans
tous les compartiments de l'économie urbaine monétaire. Par
ailleurs, la réalité économique et sociale que
représente cette économie populaire, comme dirait J.-Ph. Peemans,
doit en fait être abordée dans une perspective historique et par
une approche en termes d'acteurs sociaux52. Il faut plutôt
mettre l'accent sur les sujets qui organisent les activités de
l'économie populaire que sur leurs caractéristiques
technicoéconomiques. Il s'avère dès lors plus que
nécessaire, pour une analyse de l'économie populaire, de
déployer une démarche spécifique d'une
réalité qui s'exprime dans le quotidien de personnes et de
groupes issus d'un milieu populaire.
L'approche en termes d'économie populaire se
préoccupe d'appréhender ce que ces acteurs font pour survivre et
quelles sont les stratégies qu'ils arrétent dans leur vécu
quotidien et comment ils réinventent ces stratégies en fonction
de la dynamique sociale. On retrouve donc parmi ces acteurs sociaux : les
petits paysans, les artisans, les ouvriers, les indépendants et les
organisations urbaines d'économie populaire. On peut distinguer deux
grandes catégories d'activités dans l'économie
populaire53:
1) une première catégorie qui regroupe les
initiatives individuelles et les stratégies ponctuelles d'assistance;
2) une deuxième catégorie regroupant les
initiatives socio-économiques portées par des groupes dont la
taille dépasse le cadre d'une seule famille, comprenant méme la
famille élargie, et dont les biens et les services sont destinés
a un nombre relativement important de personnes ou une collectivité plus
large.
Remarquons que les deux catégories d'acteurs populaires
dans la présentation de Yao Assogba révèlent bien les deux
premiers niveaux de l'édification économique de Braudel.
51 Jean-Philippe PEEMANS, Crise de modernisation et pratiques
populaires au zaire et en A~rique, op. cit.,p. 117.
52Idem,p. 109.
53 Yao ASSOGBA, "Gouvernance, économie sociale et
développement durable en Afrique", Cahiers de la Chaire de recherche en
développement communautaire (CRDC), Série Recherche no. 16,
Université du Québec a Hull, 2000.
Il importe de retenir de la lecture qui précède
que l'économie populaire constitue une composante des processus de
développement. Cela découle d'un tout autre regard que les
courants néo-critiques et surtout néo-pragmatiques ont
progressivement adopté en abandonnant une approche économiciste
du secteur informel. Selon J.-Ph. Peemans, les analyses récentes
montrent au contraire que l'économie populaire combine a la fois une
grande diversité de pratiques économiques avec une dimension
originale de pratiques sociales. L'économique y est réellement
encastré dans le social. Il faut donc apprendre a cerner cette
interaction entre l'économique et le social, et a reconnaItre la grande
complexité du fonctionnement de l'économie populaire, a la ville
et a la campagne54.
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