CHAPITRE 4: PRATIQUES POPULAIRES DANS LES CITES
OUVRIERES DE LA GECAMINES DANS LE CONTEXTE DE LA CRISE DE L'ACCUMULATION (1990
- 2003)
Introduction
Les cités ouvrières ont été
créées dans la logique de la politique de stabilisation de la
main-d'>uvre. C'est vers 1925 que l'U.M.H.K. aux prises avec des
difficultés croissantes de recrutement pratiqua cette politique qui
consista a détacher l'ouvrier de son milieu d'origine. Pour les
capitalistes, c'est une économie des coüts de recrutement. Cela
permet aussi la sécurité de l'ouvrier et la prévention des
grèves. Les stratégies paternalistes consistaient a
rémunérer une grande partie du salaire en nature. La ration et le
logement constituent la base matérielle de cette politique. Le logement
était attribué a l'ouvrier dans la cité ouvrière ou
dans le centre extracoutumier. L'ouvrier bénéficiait ainsi d'un
statut privilégié par rapport a ses compatriotes des cités
indigènes.
La régulation sociale de l'entreprise aux temps forts
de sa gloire a protégé l'ouvrier de la Gécamines de la
crise qui frappait l'ensemble de l'économie. Leurs conditions de vie
n'étaient pas très élevées mais étaient
préférables par rapport a la misère qui caractérise
les travailleurs des autres secteurs. Raison pour laquelle la
généralisation des activités de subsistance ne s'est
réalisée que tardivement dans les villes minières du
Katanga comparativement a d'autres villes du Congo.
La distribution de la ration alimentaire n'a pas
empéché les femmes des travailleurs de s'adonner aux travaux
champétres d'abord, puis au petit commerce par la suite. Cependant,
jusqu'aux années 1990, les activités économiques d'appoint
de la femme (agriculture, commerce au marché, confection et vente des
habits, etc.) sont généralement aléatoires et ne sont pas
encore déterminantes dans leurs contributions a la subsistance de la
famille. Elles deviennent plus visibles et si déterminantes avec la
crise des années 1990 et dans le contexte de l'effondrement de la
Gécamines.
Dans le présent chapitre nous analysons les pratiques
d'économie populaire exercées par les ménages dans les
cités Gécamines dans le contexte de la crise de l'accumulation du
système et de la précarisation de leurs conditions de vie et de
travail.
4.1. CONTEXTE GENERAL DE LA CRISE DES ANNEES 1990 AU
CONGO/ZAIRE
Les années 1960-1980 a propos de Congo/ZaIre
présentent un intérêt particulier car elles ont
illustré la capacité d'ouverture et d'adaptation des couches
populaires aux changements imposés de l'extérieur ou par des
nouvelles élites en formation148. Les années 1990
consacrent l'anéantissement du système politique et
l'aboutissement des luttes menées par les populations congolaises depuis
la décennie 1980. Le contexte mondial de 1990 a offert a l'opposition
politique l'occasion de s'exprimer et a forcé la reconnaissance du
multipartisme. A l'instar de tous les pays africains, le ZaIre fut saisi par
les revendications de liberté et de démocratie qui se
manifestèrent après l'effondrement du bloc communiste. Une
Conférence nationale donna aux forces vives du pays l'occasion de
s'exprimer, et le multipartisme dut être restauré. Pourtant, la
transition s'enlise au milieu de troubles graves habilement utilisés par
le président-fondateur Mobutu qui parvient, en 1994, a s'imposer a
nouveau sur la scène internationale comme un interlocuteur
incontournable.
Sur fond de crise économique et sociale, les principaux
vecteurs de la contestation ne sont pas les organisations politiques mais les
étudiants et l'église catholique. Durant cinq années se
déroule un processus confus qui n'aboutit pas a un changement
significatif et voit le maintien de Mobutu au pouvoir, avant d'être
définitivement évincé en 1997. Plusieurs compromis seront
en vain négociés entre les acteurs politiques sur la
redéfinition des roles a assumer par les différentes institutions
dans cette nouvelle configuration politique du pays.
4.1.1. Evolution macro-économique
La crise des années 1990 au Congo est sans
précédent. L'ouverture démocratique d'avril 1990
revêt l'aspect d'un détonateur qui déclenche la spirale
d'une crise en place depuis déjà quelques années. C'est
donc une transition politique, mal négociée qui plonge le pays
dans un mode de gouvernance fortement centralisé, laxiste, arbitraire et
corrompu, reposant sur un socle institutionnel fragile. Au courant de la
décennie, l'économie congolaise est confrontée a des
déficits publics structurels couverts en grande partie par les avances
de la Banque Centrale. Cette situation résulte de deux facteurs
concomitants : la mobilisation insuffisante des recettes et l'augmentation
rapide des dépenses publiques comme le montre le tableau n° 9.
Excepté l'année 1995, les soldes de l'ensemble de la
décennie sont négatifs. La caractéristique
particulière de cette crise, c'est qu'elle atteint tous les secteurs de
la vie économique, sociale, politique et culturelle.
Tableau n° 9: EVOLUTION DES FINANCES PUBLIQUES DE 1990 A
1998
![](menages-gecamines-precarite-economie-populaire16.png)
Source : Ministère du Plan et du Commerce, PTMA, Vol.
1, juillet 1999.
La crise des années 1990 est a la fois conjoncturelle
et structurelle. La conjoncture des troubles socio-politiques, des
affrontements identitaires et des pillages qui ont émaillé
certaines villes expliquent cette crise tout autant que l'environnement
institutionnel et économique dégradé. Le secteur minier
par exemple a souffert de la dégradation accélérée
et du non-renouvellement de l'outil de production, ainsi que d'une mauvaise
gestion des unités de production. Par ailleurs, l'écroulement de
la mine de Kamoto a Kolwezi en 1990 a entraIné une chute brutale de la
production et un amenuisement des disponibilités en devises.
De manière générale, cette crise au Congo
est une résultante d'un processus que la RDC connaIt depuis la
deuxième moitié de la décennie 70, qui s'est
accentuée vers les années 80, pour atteindre son paroxysme durant
la décennie 90, avec des scènes de pillage et une gestion
irrationnelle de la chose publique. Elle est caractérisée par
l'affaiblissement continu des capacités des ressources humaines et des
institutions ainsi que de toute l'organisation managériale du pays.
Aggravée par des mesures économiques irrationnelles, elle se
manifeste par une dégradation généralisée des
activités tant publiques que privées, mettant en mal le monde des
affaires et accentuant ainsi la situation déjà précaire de
la population.
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