La théorie du patrimoine à l'épreuve de la fiducie( Télécharger le fichier original )par Thomas Naudin Université de Caen - Master 2 Recherche en Droit Privé 2007 |
B. - Les difficultés soulevées par la transmissibilité du patrimoine fiduciaire154. - Il est de l'essence du patrimoine fiduciaire d'être transféré, in fine, au bénéficiaire de l'opération. Deux problèmes se posent relativement à cette transmissibilité, la prohibition des fiducies-libéralités d'une part (1), et la cessibilité des droits du constituant d'autre part (2). 1. - La prohibition des fiducies-libéralités155. - Le législateur a choisi d'interdire dans la loi, à peine de nullité, toute intention libérale du constituant au profit du ou des bénéficiaires de l'opération. De ce problème théorique (a) surgissent des difficultés pratiques (b). a. - Le problème théorique156. - La prohibition des fiducies-libéralités trouve son origine dans la proposition de loi déposée par le sénateur Philippe Marini. Dans ce texte, la fiducie était ouverte à toutes les personnes, physiques et morales. L'admission de la fiducie-libéralité aurait permis de contourner les dispositions impératives (et récentes) relatives aux successions et aux libéralités. On retrouve pour les mêmes raisons cette prohibition dans le texte proposé par la commission des lois du sénat168(*). Mais le texte définitif adopté par l'Assemblée Nationale contient une restriction rationae personae quant au constituant qui était absente des propositions originaires. Or, alors que la prohibition des libéralités se justifiait aisément lorsque le constituant pouvait être une personne physique, la limitation de la qualité de constituant aux seules personnes morales soumises à l'impôt sur les sociétés ne la justifie plus selon nous, le risque de contournement des législations d'ordre public n'étant plus caractérisé. 157. - Néanmoins, cette restriction demeure dans la loi sur la fiducie et elle devrait occasionner de nombreux problèmes, notamment un important contentieux fiscal. Civilement le contrat qui « procède d'une intention libérale au profit du bénéficiaire » est nul, de nullité absolue et d'ordre public169(*). Dès lors que seraient caractérisées, entre le constituant de la fiducie et le ou les bénéficiaires, l'absence de contrepartie réelle (élément objectif de la libéralité) et l'animus donandi (élément subjectif), la fiducie serait nulle, ce qui remettrait en cause toute l'opération. Néanmoins cette règle civile semble poser beaucoup d'inconvénients, sans pour autant trouver de justification au fond. En effet, étant donné la nature du constituant (une personne morale soumise à l'impôt sur les sociétés), la possibilité d'être l'auteur de libéralité apparaît en tout état de cause entravé grandement (et dans de nombreux cas) par l'intérêt social. En effet tout acte contraire à l'intérêt de la société est sanctionné par la nullité absolue170(*). D'un point de vue fiscal, les critères de détermination de la libéralité sont encore plus stricts que civilement. Ainsi, il est tout à fait possible qu'une fiducie soit valide d'un point de vue civil, mais qu'elle constitue une donation sur le plan fiscal. Les critères fiscaux sont évoqués de manière non limitative (laissant toute latitude à l'Administration fiscale) par l'article 792 bis alinéa 2 du Code général des impôts. L'intention libérale se caractérise ainsi fiscalement par l'absence « de contrepartie réelle ou lorsqu'un avantage en nature ou résultant d'une minoration du prix de cession est accordé à un tiers ». La sanction est particulièrement lourde ; elle consiste en la taxation de la libéralité à un taux de 60 %171(*), a priori particulièrement dissuasif. * 168 V. H. de Richemont, Rapp. N° 11. * 169 V. art. 2013 du Code civil. * 170 V. M. Cozian, A. Viandier et Fl. Deboissy, préc., n° 260. * 171 C'est le taux applicable en cas de libéralité entre personnes non parentes ; v. art. 777, tableau III du Code général des impôts. |
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