L'ALCOOLIQUE ET SON FETICHE
SOUILLAT Sandra
Université de Provence 1
.1.1.1 Année académique 2005/2006
Master 1 Professionnel Psychologie Clinique et
Psychopathologique
MÉMOIRE DE RECHERCHE SOUS LA DIRECTION DE MONSIEUR
GIMENEZ G.
REMERCIEMENTS
Commençons par les officiels...
A Monsieur Gimenez G., mon maître de mémoire, sans
lequel cette recherche n'aurait pu voir le jour ni même s'enrichir : un
remerciement particulier pour sa disponibilité, sa
générosité et pour avoir bien voulu partager ses
connaissances théoriques et acquis pratiques.
A Monsieur Pédinielli J.-L., mon contre jury, de m'avoir
fait l'honneur de bien vouloir participer à l'évaluation
qualitative et quantitative de cette recherche clinique.
A la Clinique Les Trois Cyprès, et plus
particulièrement à l'équipe du service Miravidi, de
m'avoir accueillie si gentiment. Un remerciement particulier à Mme
Remy-Starodoubetz E., ma référente de stage, d'avoir bien voulu
participer à l'élaboration théorico clinique de cette
étude et à ma formation pratique en milieu clinique.
Sans oublier les patients que j'ai pu rencontrer pour leur
gentillesse, leur confiance à l'égard de ma jeune pratique.
Poursuivons par les intimes...
A ma famille, pour m'avoir soutenue et épaulée
tout au long de mon cursus universitaire. Un remerciement particulier à
ma mère et mon grand-père sans lesquels je n'aurais trouvé
le courage d'avancer.
A Labarre Marie-Céline sans laquelle cette année
aurait été bien triste et difficile. Merci pour sa
disponibilité, son affection, son humour, et tout ce qu'elle a su
m'offrir pour m'encourager.
A Galleri Sébastien pour avoir fait preuve de patience
à l'égard de mes sautes d'humeur mais aussi, et surtout, pour
m'avoir apporté toutes ces choses sans lesquelles je n'aurai pu
m'épanouir.
Au Centre de Loisirs Tivoli et sa grande famille de m'avoir
offert tant d'opportunités professionnelles jusqu'ici et surtout tant de
générosité et d'amitié. Un remerciement particulier
à Rodolphe pour avoir bien voulu participer à la mise en forme de
cette recherche.
Clôturons par les amis
Aux cafés L'Escholier, Le Muscat d'Or, Le Bergerac et Le
Taxi pour leur générosité et leur gentillesse ainsi que
pour avoir accepté mes longues heures de réflexion et mes piles
de bouquins.
Aux amis, proches ou éloignés, pour leurs
encouragements et l'intérêt particulier à la
réalisation de cette étude.
INTRODUCTION 4
CHAPITRE 1 : PROBLEMATIQUE ET HYPOTHESES
5
1.1. PROBLÉMATIQUE 6
1.2. HYPOTHÈSES 7
1.2.1. Hypothèse 1
7
1.2.2. Hypothèse 2
7
CHAPITRE 2 : APPORTS THEORIQUES 8
2.1. L'ALCOOLISME 9
2.1.1. Approche sémiologique
9
2.1.1.1. Formes cliniques
9
2.1.1.1.1. Les alcooloses 9
2.1.1.1.2. Les alcoolotoses 9
2.1.1.1.3. Les somalcooloses 10
2.1.1.2. Critères diagnostiques
10
2.1.1.2.1. Troubles liés à l'utilisation
d'alcool 11
2.1.1.2.2. Troubles induits par la consommation d'alcool
12
2.1.2. Alcoolisme et psychanalyse 14
2.1.2.1. Les liens précoces
14
2.1.2.1.1. La succion, activité du stade oral
14
2.1.2.1.2. Le stade oral et les liens précoces
à l'environnement 15
2.1.2.2. Le sevrage alimentaire : la
séparation 16
2.1.2.2.1. Alcoolisme et sevrage alimentaire
16
2.1.2.2.2. Alcoolisme et capacité de deuil et de
séparation 16
2.1.2.3. Le compromis et le substitut
17
2.1.2.3.1. Alcoolisme et la hantise du manque
17
2.1.2.3.2. Alcool et fausse croyance 18
2.2. LE FÉTICHISME 18
2.2.1. Approche sémiologique
18
2.2.1.1. Formes cliniques
19
2.2.1.1.1. La perversion 19
2.2.1.1.2. La perversité 20
2.2.1.2. Critères diagnostiques
21
2.2.1.2.1. Les dysfonctions sexuelles 21
2.2.1.2.2. Les paraphilies 22
2.2.1.2.3. Les troubles de l'identité sexuelle
22
2.2.1.2.4. Le fétichisme 23
2.2.2. Fétichisme et psychanalyse
24
2.2.2.1. Les liens précoces : la
prégénitalité 24
2.2.2.1.1. Le stade oral et la perversion
24
2.2.2.1.2. La découverte de la différence
anatomique des sexes et le fétichisme 25
2.2.2.2. Le compromis : le substitut
26
2.2.2.2.1. Un conflit intra-psychique : tentative de
résolution 26
2.2.2.2.2. Compromis : bénéfices et pertes
27
2.3. LA RELATION D'OBJET : ALCOOL ET FÉTICHE
28
2.3.1. Les relations d'objet : approche
psychanalytique 28
2.3.1.1. Une « relation » ?
29
2.3.1.2. Un « objet » ?
29
2.3.2. Perte d'objet et séparation : approche
psychanalytique 31
2.3.2.1. Les liens précoces
31
2.3.2.2. L'activité symbolique
32
2.4. L'ANGOISSE DANS L'ALCOOLISME ET LE FÉTICHISME
34
2.4.1. L'angoisse au sens psychanalytique
34
2.4.2. L'angoisse de castration : intolérance
du manque 35
2.4.2.1. Le monisme sexuel
35
2.4.2.2. L'angoisse de castration phallique
35
2.4.2.3. Alcoolisme, fétichisme et angoisse de
castration 36
CHAPITRE 3 : METHODOLOGIE 39
3.1. METHODOLOGIE DU RECUEIL DE DONNEES
40
3.1.1. Choix de la méthode qualitative
40
3.1.2. Technique de recueil : l'entretien clinique
40
3.1.2.1. Types d'entretiens :
semi-directivité et non-directivité
40
3.1.2.2. Apports psychanalytiques dans les entretiens
avec un patient alcoolique 42
3.1.3. Réflexion sur l'éthique de la
clinique 43
3.1.3.1. Ethique et recherche
43
3.1.3.2. But des entretiens et du recueil de
données 44
3.1.4. Méthodologie du recueil de données
concernant mes hypothèses de recherche 44
3.1.4.1. Données issues du patient
44
3.1.4.2. Données issues des observations de
l'équipe soignante et de mes propres observations
44
3.1.5. Biais méthodologiques
45
3.2. MÉTHODOLOGIE DU TRAITEMENT DES DONNÉES
45
3.2.1. Mise en forme sous trois colonnes
46
3.2.2. Procédure de dépouillement : le
repérage psychopathologique à travers... :
47
3.2.2.1. L'analyse thématique du discours
47
3.2.2.2. L'anamnèse et les résistances
actuelles des patients 47
3.2.2.3. Transfert et contre-transfert
47
CHAPITRE 4 : MISE A L'EPREUVE DES HYPOTHESES
48
4.1. CRITERES DE MISE À L'ÉPREUVE
49
4.2. PRÉSENTATION DES PATIENTS
49
4.2.1. Mr B 50
4.2.2. Mme E 51
4.3. TABLEAU RÉCAPITULATIF : CORRESPONDANCES
ENTRE LES HYPOTHÈSES ET LES PATIENTS 52
4.4. MISE À L'ÉPREUVE DE L'HYPOTHÈSE
1 52
4.4.1. Rappel de l'hypothèse 1
52
4.4.2. Mise à l'épreuve de
l'hypothèse 1 52
4.5. MISE À L'ÉPREUVE DE L'HYPOTHÈSE
2 61
4.5.1. Rappel de l'hypothèse 2
61
4.5.2. Mise à l'épreuve de
l'hypothèse 2 61
CHAPITRE 5 : DISCUSSION ET REFORMULATION DES
HYPOTHESES 67
5.1. DISCUSSION ET REFORMULATION DE L'HYPOTHÈSE 1
68
5.2. DISCUSSION ET REFORMULATION DE L'HYPOTHÈSE 2
69
5.3. TABLEAU RÉCAPITULATIF DE LA DISCUSSION DES
HYPOTHÈSES 70
CONCLUSION 71
BIBLIOGRAPHIE 73
ANNEXES 75
INTRODUCTION
En tant que chercheuse en psychologie clinique et en
psychopathologie, mon objectif principal est de contribuer à
l'amélioration de la condition humaine, individuelle et sociale. Dans ce
sens, j'aspire à apporter une nouvelle connaissance permettant de penser
une pathologie et sa prise en charge sous un angle différent.
Ainsi, cette recherche clinique ne vise en aucun cas la
contribution à la consolidation d'un tabou social ou d'un débat
éthique concernant l'alcoolisme, comme certains ont pu me le reprocher.
Il ne s'agit donc ni de ternir davantage l'image sociale de l'alcoolique, cette
« flétrissure sociale », ni de faire de
l'alcoolique un individu dangereux pour sa société.
« L'alcoolique et son
fétiche » est le fruit d'une longue réflexion
théorico clinique sur la place et le rôle endossés par
l'alcool dans l'imaginaire de son adepte et sur le lien possible avec une autre
forme d'addiction : le fétichisme.
L'élaboration de cette étude s'est
articulée autour du lien possible entre l'alcoolisme et le
fétichisme mais n'ayant pas eu l'opportunité de rencontrer des
patients fétichistes, je ne pouvais procéder que par comparaison
de ce qui peut s'observer sur le terrain avec des patients alcooliques et ce
qui peut se dire sur le fétichisme dans les théories. Le
thème de « L'alcoolique et son
fétiche » m'est apparu alors comme riche de par ce qu'il
peut soulever comme controverses, remises en cause et ouvertures
théoriques.
CHAPITRE 1 : PROBLEMATIQUE ET HYPOTHESES
1.1. PROBLEMATIQUE :
L'alcoolique et son fétiche
Mes rencontres avec les patients alcooliques en cure de
désintoxication m'ont amené au constat qu'il est difficile pour
eux d'intégrer la notion d'abstinence (totale ou partielle) car leur
objet d'addiction est considéré par eux comme étant la
condition sine qua non de leur épanouissement au quotidien. Boire pour
être grand, pour être fort, pour oublier, ... L'alcool leur permet
d'affronter les aléas de leur réalité et également
de jouir des plaisirs de la vie. Cela m'a fait penser au
fétichisme : le fétichiste, lui aussi, ne peut
s'épanouir au quotidien sans son fétiche.
Pourtant, me dira-t-on, il s'agit de deux pathologies
distinctes. Je reconnais cette différence puisqu'en effet, alcoolisme et
fétichisme possèdent chacun leur propre sémiologie et
concernent chacun un domaine de la vie pulsionnelle différent.
L'alcoolisme est un trouble du comportement, plus précisément,
une désintrication de l'instinct de survie (l'acte naturel et vital de
boire) tandis que le fétichisme désigne un trouble du
comportement sexuel puisqu'il est défini comme une atypie de la pratique
naturelle et vitale de l'acte de reproduction normal. Ils concernent donc
chacun un objet différent.
Cependant, mon regard de clinicienne n'est pas tant
attiré par la nature de l'objet d'une pulsion, mais davantage par le
processus psychique qui amène un individu à choisir cet objet
particulier. Malgré la distinction nosographique, l'alcoolisme et le
fétichisme restent deux addictions touchant le processus instinctuel, et
c'est sur ce point que ma curiosité de chercheur s'est
arrêtée.
Il m'a semblé intéressant de voir dans quelle
mesure il est possible de mettre en lien ces deux pathologies sous l'angle de
deux points de vue en particulier : l'objet et l'angoisse. En effet,
est-ce que l'objet alcool peut être comparé à un
fétiche ? Or, si cette comparaison est possible, cela
sous-entendrait-il que l'alcoolique trouverait les mêmes
bénéfices que le fétichiste ? Et au final,
pourrions-nous nous permettre de dire que l'alcoolique et le fétichiste
se structurent de la même façon d'un point de vue
psychodynamique ?
1.2. HYPOTHESES
1.2.1.
Hypothèse 1 : L'alcoolique et la hantise du manque
Le fétichiste s'identifierait de façon
primaire à ses objets d'amour : les limites des autres et les
siennes propres ne feraient plus qu'une seule et même limite, comme si
l'Autre et le Soi ne faisait qu'une seule personne. La capacité de deuil
et de séparation est donc source d'angoisse puisque accepter la perte de
l'autre reviendrait à renoncer à une partie de Soi. Si je me base
sur le fait que l'alcoolique et le fétichiste sont ancrés dans le
même processus psychique, je peux donc émettre l'hypothèse
que :
L'alcoolique est dans l'incapacité d'élaborer
la perte d'un objet car celle-ci vient créer une frustration
insupportable
1.2.2. Hypothèse 2 : L'alcoolique et l'angoisse de
castration phallique
La capacité de deuil et de séparation serait
source d'angoisse pour le fétichiste puisque accepter la perte de cet
objet reviendrait à renoncer à une partie de lui-même
(position mélancolique). De ce fait, ce serait contre une menace de
castration (manque) phallique (narcissique) que le fétichiste lutterait
à l'aide de son objet d'addiction : le fétiche permettrait
de créer l'illusion que l'objet perdu existe toujours, de façon
à préserver l'intégrité narcissique de son adepte.
Si je pars du principe que l'alcoolique et le fétichiste poursuivent les
mêmes buts, je peux émettre l'hypothèse que :
L'alcoolique cherche à dénier la
réalité d'une perte pour se protéger d'une angoisse de
castration phallique.
CHAPITRE 2 : APPORTS THEORIQUES
2.1. L'ALCOOLISME
2.1.1. APPROCHE
SÉMIOLOGIQUE
2.1.1.1. Formes cliniques
On
distingue deux formes d'alcoolisme. L'alcoolisme transitoire,
caractérisé par une conduite occasionnelle et épisodique,
et l'alcoolisme chronique, défini comme une conduite déviante
permanente. De Mijolla A. et Shentoub S.A. (1981) différencient de
façon radicale « d'un point de vue qualitatif et quantitatif
les rencontres transitoires que peuvent s'aménager tous les hommes avec
une boisson alcoolisée de celle qui, dans une inscription
définitive (...), fera qu'après coup, nous nous trouvons en droit
de parler, à propos de certains sujets, d'alcoolisme
chronique ».
Descombey J.-P. distingue diverses catégories de patients : les
« alcoolites » des « alcoolotites » et
des « somalcoolites ». Par consommation "pathologique", il
entend l'incapacité dans laquelle se trouve le patient à diminuer
ou à arrêter la consommation, des épisodes
d'amnésie, la poursuite de la consommation malgré les
perturbations, etc..
2.1.1.1.1. Les
alcooloses
Les
« alcoolites » sont des patients présentant un
alcoolisme d'entraînement, d'habitude, d'imitation, datant de
l'adolescence. On peut parler également ici d'alcoolisme primaire. Il
s'agit de patients, au moment de la consultation, âgés d'une
quarantaine d'années. Ce sont au départ des consommateurs
occasionnels qui deviennent, au fur et à mesure, des consommateurs
réguliers. Ce sont des personnes qui boivent du vin ou de la
bière à table, au départ, mais ensuite tout deviendrait
prétexte pour boire. Cependant, l'aspect convivial est recherché
: la consommation ne se fait qu'en présence d'amis et n'évolue
que très peu, mais elle est quotidienne et continue. L'ivresse est rare
et la tolérance augmente progressivement : peu à peu la
dépendance s'installe à l'insu du sujet. Aucun sentiment de
culpabilité lié à la consommation n'est présent
chez cette catégorie de patients. La prise de conscience de l'alcoolo
dépendance est réalisée en général lors de
complications organiques, d'un sevrage involontaire ou encore lors de
problèmes sociaux ou familiaux. Souvent, le cercle familial
présente un alcoolisme identique, surtout au niveau du père du
sujet concerné. La sexualité des sujets est longtemps normale,
mais lorsqu'elle se détériore, cela provoque une jalousie
pathologique chez le patient à l'égard de sa femme. Cette forme
d'alcoolisme représenterait 40 à 50 % de l'alcoolisme masculin et
1 à 5 % de l'alcoolisme féminin.
2.1.1.1.2. Les
alcoolotoses
Les
« alcoolotites » sont des patients présentant un
alcoolisme décrit comme psychique et secondaire : on parle d'alcoolisme
névrotique et de décompensation. Il s'agit de sujets, au moment
de la consultation, âgés entre 20 et 45 ans. Ce sont des sujets
jeunes avec des difficultés relationnelles et existentielles. Les motifs
des consultations sont souvent des troubles du comportement (ivresse), des
tentatives de suicide, des échecs socioprofessionnels. Les
problèmes conjugaux et les troubles sexuels sont fréquents et
précoces. L'alcool est alors utilisé pour des fins psychotropes.
L'alcoolisation est souvent solitaire et dissimulée. L'attrait pour
l'alcool, notamment son goût, n'est pas très intense, ce qui
explique une consommation irrégulière et paroxystique :
l'abstinence peut être maintenue pendant plusieurs mois. Cependant, les
arrêts seront de plus en plus courts. Progressivement, la
dépendance psychique s'installe, puis la dépendance physique. Le
sentiment de culpabilité vis-à-vis de l'alcool est très
intense, d'où une lutte, chez ce type de patients, contre leur propre
alcoolisme. Il n'est pas rare de diagnostiquer une pathologie névrotique
ou psychotique au niveau des membres de la famille. Cette forme d'alcoolisme
représenterait 40 à 50 % de l'alcoolisme masculin et 60 à
80 % de l'alcoolisme féminin.
2.1.1.1.3. Les somalcooloses
Les « somalcoolites » sont des patients
concernés par un alcoolisme dit symptomatique et de perversion. Les
patients, au moment de la consultation, sont âgés entre 30 et 60
ans. Les troubles de la sexualité sont très fréquents et
le passage vers l'alcoolose est possible. La consommation est strictement
clandestine et solitaire. Aucun choix d'alcool particulier n'est fait : le
sujet absorbe tout type de liquide et ce, en petite quantité, mais
suffisante pour une ivresse immédiate. Il s'agit donc de crises de
consommation impulsives et excessives pouvant durer de quelques heures à
quelques jours. Hors de ces crises, un sentiment intense de culpabilité
envahit le sujet et le dégoût de l'alcool augmente On parle de
cette catégorie d'alcoolisme comme étant
caractérisée par une conduite irrationnelle de l'ordre de la
perversion. Cette pathologie alcoolique concernerait 1 à 10 % des hommes
et 15 % des femmes.
2.1.1.2.
Critères diagnostiques
L'alcoolisme est classé dans la catégorie des
« troubles liés à une substance » (Mini
DSM-IV-TR, 2004, p. 15). Les critères diagnostiques se basent uniquement
sur l'objet de dépendance concerné. C'est donc le produit qui est
identifié comme une étiologie. Christoforov B. (2005, pp. 18/19)
parle « d'une approche exclusive à partir de produits. Elle
insiste sur ce qui différencie les produits les uns des autres. (...) Le
produit est à l'origine de tout, c'est une intoxication qui
disparaît quand le sevrage est réalisé et quand
l'abstinence est obtenue. Les produits doivent être
différenciés en classes distinctes et relever des pratiques et de
dispositifs différents ». Ainsi, la définition de
l'alcoolisme se base sur des normes pharmacologiques et socioculturelles. On parle de
« Troubles liés à l'alcool », qui sont
présentés selon quatre axes : « Les troubles liés à une
substance sont divisés en deux groupes : Troubles liés
à l'utilisation d'une substance (dépendance à une
substance, Abus d'une substance) et les Troubles induits par une substance
(...) » (Mini DSM-IV-TR, 2004, pp. 105/120). Dans ce sens, il y a une
distinction à faire entre les troubles liés à la prise du
toxique (la dépendance physique et psychique) et ceux induit par cette
prise, tels l'intoxication, le sevrage, le delirium, la démence, les
troubles psychiatriques, etc.
2.1.1.2.1. Troubles liés à
l'utilisation d'alcool
La dépendance
Dans la catégorie des Troubles liés à la
prise de la substance, on distingue la dépendance et de l'abus de
l'utilisation (Mini DSM-IV-TR, 2004, pp. 107/117). La dépendance est
définie comme un « mode d'utilisation inadapté d'une
substance conduisant à une altération du fonctionnement ou une
souffrance cliniquement significative, caractérisée par la
présence de trois (ou plus) des manifestations suivantes, à un
moment quelconque d'une période continue de 12 mois :
(1) tolérance, définie par l'un des
symptômes suivants :
(a) besoin de quantités notablement plus fortes de la
substance pour obtenir une intoxication ou l'effet désiré
(b) effet notablement diminué en cas d'utilisation
continue d'une même quantité de la substance
(2) sevrage, caractérisé par l'une ou par
l'autre des manifestations suivantes :
(a) syndrome de sevrage caractéristique de la
substance (...)
(b) la même substance (ou une substance très
proche) est prise pour soulager ou éviter les symptômes de
sevrage
(3) la substance est souvent prise en quantité plus
importante ou pendant une période plus prolongée que
prévue
(4) il y a un désir persistant, ou des efforts
infructueux, pour diminuer ou contrôler l'utilisation de la substance
(5) beaucoup de temps est passé à des
activités nécessaires pour obtenir la substance (...), à
utiliser le produit (...), ou à récupérer de ses
effets
(6) des activités sociales, professionnelles ou de
loisirs importants sont abandonnés ou réduites à cause de
l'utilisation de la substance
(7) l'utilisation de la substance est poursuivie bien que la
personne sache avoir un problème psychologique ou physique persistant ou
récurrent susceptible d'avoir été causé ou
exacerbé par la substance (...) ».
Il
reste ensuite encore à spécifier s'il s'agit d'une
dépendance physique avec une « présence d'une
tolérance ou d'un sevrage » ou s'il s'agit d'une consommation
sans dépendance physique. Il est également nécessaire de
spécifier l'évolution de la dépendance (précoce,
prolongée / complète, partielle) et si le traitement a lieu avec
une « médication agoniste » et/ou en
« environnement protégé ».
L'abus
Les symptômes d'abus ne peuvent jamais avoir
été atteints par les critères de dépendance (Mini
DSM-IV-TR, 2004, p. 113/114) car la notion de l'abus désigne un
« mode d'utilisation inadéquat conduisant à une
altération du fonctionnement ou une souffrance cliniquement
significative, caractérisée par la présence d'au moins une
des manifestations suivantes au cours d'une période de 12
mois :
(1) utilisation répétée d'une substance
conduisant à l'incapacité de remplir des obligations majeures, au
travail, à l'école, ou à la maison (...)
(2) utilisation répétée d'une substance
dans des situations où cela peut être physiquement dangereux
(...)
(3) problèmes judiciaires répétés
liés à l'utilisation d'une substance (...)
(4) utilisation de la substance malgré les
problèmes interpersonnels ou sociaux, persistants ou récurrents,
causés ou exacerbés par les effets de la substance
(...) ».
2.1.1.2.2. Troubles induits par la
consommation d'alcool
Intoxication alcoolique : (pp. 118/119)
A. Ingestion
récente d'alcool.
B. Changements
inadaptés, comportementaux ou psychologiques, cliniquement
significatifs, (par exemple : comportement sexuel ou agressif
inapproprié, labilité de l'humeur, altération du jugement,
altération du fonctionnement social ou professionnel) qui se sont
développés pendant ou après l'ingestion d'alcool.
C. Au moins un des
signes suivants, se développant pendant ou peu après la
consommation d'alcool :
(1) discours bredouillant
(2) incoordination motrice
(3) démarche ébrieuse
(4) nystagmus
(5) altération de l'attention ou de la
mémoire
(6) stupeur ou coma
D. Les
symptômes ne sont pas dus à une affection médicale
générale, et ne sont pas mieux expliqués par un autre
trouble mental.
Sevrage alcoolique : (pp. 119/120)
A. Arrêt (ou
réduction) d'une utilisation d'alcool qui a été massive et
prolongée.
B. Au moins deux
des manifestations suivantes se développent de quelques heures à
quelques jours après le critère A :
(1) hyperactivité neurovégétative (par
exemple, transpiration ou fréquence cardiaque supérieure à
100)
(2) augmentation du tremblement des mains
(3) insomnie
(4) nausées ou vomissements
(5) hallucinations ou illusions transitoires visuelles,
tactiles ou auditives
(6) agitation psychomotrice
(7) anxiété
(8) crises convulsives de type grand mal
C. Les
symptômes du critère B causent une souffrance cliniquement
significative ou une altération du fonctionnement social, professionnel,
ou dans d'autres domaines importants.
D. Les
symptômes ne sont pas dus à une affection médicale
générale, et ne sont pas mieux expliqués par un autre
trouble mental. (...)
Les troubles psychiatriques induits (énumérés) (p.
105) :
- « Delirium induit par
l'alcool (...) : (pp. 84/85)
- Delirium du au sevrage alcoolique (pp.
85/86)
- Démence persistante induite par
l'alcool (...) (pp. 93/94)
- Trouble amnésique persistant
induit par l'alcool (...) (pp. 96/97
- Trouble psychotique induit par
l'alcool (...) (pp. 159/160
- Trouble de l'humeur induit par
l'alcool (...) (pp. 188/189
- Trouble anxieux induit par l'alcool
(...) (pp. 222/223
- Dysfonction sexuelle induite par
l'alcool (...) (pp. 249/250
- Trouble du sommeil induit par l'alcool
(...) (pp. 274/275
- Trouble lié à
l'utilisation d'alcool non spécifié (...) (p.
118) ».
2.1.2. ALCOOLISME ET PSYCHANALYSE
2.1.2.1. Les liens
précoces : la prégénitalité
2.1.2.1.1. La succion, activité du stade oral
Freud S. (1856-1939) ne s'est pas centré sur
l'alcoolisme à proprement parler. Etant confronté à
l'époque (1890-1895) à des patients injustement qualifiés
de simulateurs ou de nerveux, il s'est intéressé à la
délicate question de l'hystérie. Il se penche sur diverses
pathologies, telles les névroses, les psychoses ou encore les
perversions, mais l'alcoolisme fait peu un objet d'étude. Au sein de ses
doctrines, nous pouvons néanmoins trouver quelques pistes en mesure de
nous aiguiller sur le thème. Freud S. (1905) théorise la
sexualité. Celle-ci désigne des activités et des
états de plaisirs dépendant non seulement de la
génitalité mais aussi de toute une série
d'activités et de plaisirs existant dès la petite enfance. Cette
théorisation se réalise sur la base du concept central de la
pulsion. A ce propos, Weil-Barais A. et Cupa D. (1999, p. 78) retiennent que
« l'origine de la pulsion est l'excitation d'une zone corporelle, son
but est la satisfaction qui doit résoudre cette excitation à
l'aide de différents objets. La libido est l'énergie de la
pulsion. Le plaisir qui est découvert, lors de la satisfaction, dans la
rencontre avec l'objet, constitue au niveau corporel ce que Freud appelle les
zones érogènes. La recherche du plaisir amoureux est
déterminée par des représentations d'objets susceptibles
de satisfaire la pulsion, ces représentations structurant ainsi toute
une part de l'activité fantasmatique ».
Freud S. (1905) structure sa théorisation de la
sexualité infantile autour du concept de stades du développement
psycho-sexuel ; stades étant sous l'emprise de la
conflictualité. Le stade du développement psycho-sexuel sur
lequel nous porterons notre attention est celui que Freud S. (1905) qualifie de
stade oral. Weil-Barais A et Cupa D. (1999, p. 78) disent « qu'au
stade oral dominent la satisfaction des besoins oro-digestifs et les plaisirs
de la bouche, d'être rempli ». La théorisation de Freud
S. (1905) concernant ce stade nous intéresse tout
particulièrement dans la mesure où nous trouvons une
première piste concernant l'alcoolisme : il serait la dérivation
d'une fixation libidinale au stade oral. En effet, Freud S. (1905) nous
explique que l'acte de succion, qui visait au départ la satisfaction
d'un besoin physiologique, se déplace rapidement vers la quête de
la satisfaction d'une zone labiale et buccale devenue érogène.
Cette zone corporelle s'est trouvée chargée libidinalement au fur
et à mesure de la rencontre régulière avec le sein
maternel. Le sein maternel devient alors un objet dont la tâche est de
résoudre l'excitation de cette zone corporelle devenue
érogène. Le besoin de répétition de la satisfaction
libidinale se trouve déterminée, plus tard, par des
représentations d'objets susceptibles de satisfaire cette pulsion :
l'objet alcool. Citons Freud S. (1905, pp.102/106) : « Le
suçotement (...) consiste en une répétition rythmique avec
la bouche (les lèvres) d'un contact de succion, dont la finalité
alimentaire est exclue. (...) Tous les enfants ne suçotent pas. On peut
supposer que les enfants qui le font sont ceux chez lesquels la signification
érogène de la zone labiale est constitutionnellement
renforcée. Que cette signification subsiste, et les enfants, une fois
adultes, deviendront de friands amateurs de baisers, développeront un
penchant pour les baisers pervers, ou, si ce sont des hommes, auront un
sérieux motif pour boire et pour fumer ». On peut alors
émettre l'hypothèse que l'alcoolisme découlerait d'une
fixation libidinale au stade oral, période durant laquelle l'enfant se
complait dans ce complexe sein-bouche.
2.1.2.1.2. Le stade oral et les liens précoces
à l'environnement
Descombey JP (2005, pp. 94/97) situe lui aussi les racines de
l'addiction dans les premières relations mère/enfant. Il explique
que l'enfant, avant même d'acquérir ses premiers mots, est un
petit être se situant dans l'incapacité de ressentir ce qui se
déroule dans son propre corps. Il parle donc d'alexithymie
« normale ». « L'infans, avant le langage, (...)
n'a que des réponses somatiques. (...) Et le corps propre de l'enfant
est d'abord vécu par lui comme un objet extérieur (1982, Mc
Dougall J.) ». C'est ainsi la mère qui permettrait à
l'enfant de mettre en sens ses états affectifs. « Le
rôle de la mère (primaire) est de recevoir, interpréter
(sans trop de violence) les affects infraverbaux, cris et gestes, y
répondre, identifier, nommer, contenir, apaiser ». Nous
reconnaissons ici la théorie de Bion W.R. (années 1960) avec son
concept de « capacité de rêverie » :
où la mère permet de contenir l'enfant de par cette
capacité à mettre en sens ses états internes en les
rendant moins angoissants par le mécanisme d'identification projective.
Mais nous retrouvons aussi les spéculations de Winnicott D.W.
(1958/1971) avec son concept de « mère suffisamment
bonne », celle étant apte à identifier ce qui se joue
chez son enfant, et celle qui est en mesure de répondre à son
nourrisson de façon adaptée et dans un laps de temps supportable
pour lui. Ces concepts sont repris par Descombey JP. (2005, pp. 94/97) pour
montrer qu'une faille dans ces « communications
primitives » aura pour conséquence « une
sexualité déviante, une angoisse diffuse voire psychotique, des
désordres somatiques, des addictions ».
2.1.2.2. Le sevrage
alimentaire : la séparation
2.1.2.2.1. Alcoolisme et sevrage alimentaire
De
Mijolla A. et Shentoub S.A. (1973) avancent l'hypothèse que les patients
alcooliques cherchent à répondre à un
évènement de vie vécu de façon insupportable. En
effet, l'alcool semble détenir la fonction suivante : atténuer
une angoisse en procurant un sentiment de triomphe sur celle-ci et de
protection contre celle-ci. L'angoisse que tentent de maîtriser les
patients alcooliques semble être une angoisse liée à la
perte d'un objet et, donc plus généralement, à la
séparation. Le caractère maturant de cette frustration ne semble
pas avoir été intériorisée chez les patients. Au
contraire, ils resteraient axés sur cette absence angoissante car, comme
le soutiennent De Mijolla A. et Shentoub S.A. (1973), « les malades
alcooliques vivent sans cesse dans la hantise du manque ». L'objet
alcool possède alors une fonction de substitut, tout comme le
fétiche. Freud S. (1927) soutient que le fétiche est un objet
dont la fonction est de résoudre cette situation intolérable que
représente cette découverte de l'absence.
2.1.2.2.2. Alcoolisme et capacité de
séparation
Il
semble que chez l'alcoolique la perte d'un objet soit inacceptable car
s'installerait alors un vide intérieur devant sans cesse être
rempli. C'est ce que Freud S. (1917) nomme « la position
mélancolique ». L'objet a été au départ
investi, mais d'une façon toute particulière : le Moi,
instance de l'appareil psychique, a été projeté dans
l'objet aimé. L'objet aimé est donc constitué d'une partie
du Moi et lorsque l'objet est perdu, le Moi se perds en même temps que
lui. La perte est donc insupportable puisque naît la sensation d'avoir
perdu une partie de Soi en même temps qu'est perdu l'objet. A ce propos,
De Mijolla A. et Shentoub S.A. (1973) citent Grunberg B. : « pour cet
auteur, l'objet perdu par désinvestissement, c'est le Moi lui-même
du sujet projeté ». Comme si le patient n'était pas
suffisamment consistant de l'intérieur (et sans doute se
perçoit-il ainsi), il lui faudrait sans cesse la présence d'un
Autre, afin de se reposer sur lui. Une partie, donc, sur laquelle il puisse
s'appuyer contre (anaclitisme) pour retrouver un sentiment de
« complétude narcissique » (Bergeret J., 2004, p.).
Sans cet Autre, le patient se verrait confronté au sentiment de
« perte (...), l'abandon qu'elle représente, [qui]
entraîne un effondrement dépressif, dépression
« anaclitique » plus que dépression
élaborée de perte d'objet » (Descombey JP., 2005, pp.
40/44). L'alcool viendrait alors remplacer cet Autre qui ferait défaut
à l'alcoolique. De cette façon, l'alcoolique deviendrait alors
alcoolo dépendant, c'est-à-dire qu'un lien d'amour se
créerait avec l'objet alcool. En effet, avec lui, l'alcoolo
dépendant pourrait reproduire le scénario qu'il aurait entretenu
jusqu'ici avec cet Autre perdu. De ce fait, l'alcool vient comblerait l'Autre
et viendrait résoudre cette tâche de séparation et, donc,
de deuil. Descombey JP.
(2005, pp. 94/97) aborde l'importance de la phase
d'individuation/séparation, charnière entre le stade de la
succion et le stade de l'acquisition de la propreté ; soit entre le
sevrage alimentaire et le retrait de la couche. En effet, « l'enfant
devra perdre le grand tout où il est fondu (...). Il lui faudra, entre
illusion fusionnelle et vide absolu (mort), créer un espace imaginaire,
de nouvelles réalités (rêves, fantasmes...) ».
Lorsque ces « communications primitives », dont nous
parlions plus haut, présentent des failles, angoisses et autres
vécus négatifs émergeraient alors dans l'espace psychique
de l'enfant. Ainsi, lorsque l'enfant prendrait conscience que son corps lui
appartient (donc, qu'il n'est plus fusionné à la mère),
émergeraient dans son monde interne « des vécus
persécutifs et des idéalisations (...) ; des angoisses
d'anéantissement, de morcellement, de perte d'identité
(...) ; fragilité du tissu psychique, impulsions sexuelles
archaïques inassimilables ; difficulté des contact, mais
dépendance ; exigence de la présence constante des autres
proches » (Descombey JP., 2005, pp. 94/97). Cela sous-entend que le
patient alcoolique n'aurait pas réussi à dépasser ce
premier stade important de la vie, celui de la séparation et de
l'individuation. Il semble qu'il n'ait pas réussi à
acquérir cette faculté de subsister seul, en l'absence d'Autrui.
Ainsi, des angoisses et des vécus négatifs émergeraient
chaque fois qu'il se trouverait confronté à lui-même. Comme
un enfant, il se verrait plongé dans un état de détresse
physique et psychique. Descombey JP. (2005, pp. 40/44) explique cela par ce
qu'il nomme le « défaut narcissique ».
2.1.2.3. Le
compromis : le substitut
2.1.2.3.1. Alcoolisme et la hantise du
manque
Plus haut, nous avons démontré les patients
alcooliques sont confrontés à la « hantise du
manque » (De Mijolla A. et Shentoub S.A., 1973). L'objet alcool
permettrait alors de remédier à cette problématique du
vide : il remplace ce qui fait défaut, il rempli ce qui n'est plus.
Cependant, la remédiation ne semble pas appropriée puisqu'elle
est considérée comme inadéquate. Il faudrait en effet,
afin de pouvoir parler de processus normal, faire le deuil et accepter la perte
pour dépasser l'angoisse y étant liée. De Mijolla A. et
Shentoub S.A. (1973) parlent de raisonnement biaisé. Cependant, cette
réponse n'est pas adaptée. En effet, avec l'objet alcool, les
patients se lanceraient dans la quête d'une réassurance. Ils
voudraient pouvoir constater leur pouvoir de maîtrise sur cet objet. De
Mijolla A. et Shentoub S.A. (1973) parlent « de triomphe maniaque
sur un objet-prétexte ». Bailly D. (2004) explique que
l'angoisse persistante serait le résultat de la non élaboration
du conflit l'ayant sous-tendu ; comme nous le verrons plus loin.
2.1.2.3.2. Alcool et fausse croyance
L'alcool viendrait donner la croyance du pouvoir sur le
« défaut fondamental dans l'amour
primaire » (Descombey JP, 2005, pp. 40/44). Parce que l'alcool
viendrait remplacer cet Autre manquant, alors il « est question
de modifier par soi-même le ressenti de son corps propre, d'y combler un
vide, d'y apporter une harmonie toujours à reconstituer ; c'est un
auto-érotisme » (Descombey JP, 2005, pp. 40/44). Ainsi,
l'alcoolique chercherait à remédier par lui-même à
son mal être interne en ingérant un objet extérieur, comme
un pansement, non plus gastrique, mais narcissique. L'auteur poursuit (2005,
pp. 44/46) en parlant de « développement (...)
tributaire », fixé à une
dépendance » qui « exclue (...) la
symbolisation » entraînant un
« court-circuit de l'élaboration psychique, de la
fantasmatisation, des affects ». Ainsi, ce qui doit être
élaboré, le manque, ne l'est pas puisque l'objet extérieur
ne permet pas le travail de deuil. Il substituerait, comblerait, laisserait
dans l'illusion d'une fusion avec Autrui, mais ne viendrait en aucun cas
résoudre cette lourde tâche de séparation et
d'individuation. L'alcoolique trouverait donc le moyen de se détourner
de cette phase importante du développement psycho-affectif, qui est
celle de la séparation/individuation. De ce fait, cette substitution ne
semble pas être une réponse adaptée ni même
constructive dans la mesure où l'alcool deviendrait « un
objet de besoin plus que de désir ». Dans ce sens,
l'alcool répondrait immédiatement au sentiment de détresse
psychique et/ou physique ressenti. Il ne permettrait pas de
« laisser faire l'expérience du manque » et
chercherait à « empêcher la genèse du
désir ». Donc, le travail de tolérance de la
frustration et de la capacité à rester seul serait
court-circuitée, n'amenant pas l'alcoolo dépendant à cette
maturité affective nécessaire pour s'assumer en tant
qu'être à part entière et indépendant affectivement.
En effet, De Mijolla A. et Shentoub S.A. (1973) expliquent
« que ce n'est plus en « quelqu'un » qu'est
placée une partie du symbole, mais en « quelque
chose », l'alcool, ce qui est bien différent ».
Bailly D. (2004, p. 121) insiste sur le caractère biaisé du
raisonnement de l'angoissé : « L'angoisse de
séparation est définie comme une anxiété excessive
concernant la séparation (...). Il s'agit donc d'une
interprétation erronée de l'environnement et
l'anxiété ne se réfère pas à une menace
objective de séparation ».
2.2. LE FETICHISME
2.2.1. APPROCHE SÉMIOLOGIQUE
2.2.1.1. Formes
cliniques
On
distingue deux formes de perversion. Blanchard R. (2004, p. 150) dit à
ce propos que « le « Manuel alphabétique de la
Psychiatrie » de Porot préconise avec justesse une distinction
entre perversion et perversité. La perversion est une structure
relativement stable, à partir de laquelle un certain nombre de
comportements du même genre sont produits ». Ce qui différencie
les deux formes évoquées, est le concept de
répétition. On est en mesure de parler de comportement
pathologique lorsque celui-ci est marqué par une forme de fixité
et par un ensemble organisé de comportements répétitifs et
morbides, pouvant entraîner une souffrance chez l'individu. On parle donc
de pathologie lorsque le comportement possède une orientation exclusive
et permanente. Freud S.
(1905, p. 74) dit à ce propos que « alors nous trouvons - dans
l'exclusivité et dans la fixation, par conséquent, de la
perversion - ce qui nous autorise généralement à la
considérer comme un symptôme pathologique ».
Aujourd'hui, cette idée Freudienne, concernant le caractère
pathologique de la perversion, semble être encore admise (Blanchard R.
2004, p. 150) : « La perversion est définie par Porot
comme « une orientation permanente et pathologique de
l'être ». Cette orientation est une « disposition
habituelle d'un certain type de comportement, caractérisé par son
écart avec la norme conventionnelle constituée par le type de
moyen de comportement dans une même société et un
même groupe d'âge ». (...) Elle est l'état social
des moeurs à un moment donné dans une société
donnée [référence à Krafft-Ebing] ».
2.2.1.1.1. La perversion
Laplanche J. et Pontalis JB (1967, pp. 306/312)
définissent le concept de perversion sous un angle psychanalytique. Pour
eux, cette définition ne peut se faire « autrement que par la
référence à un norme. Avant Freud et encore de nos jours,
le terme est employé pour désigner des
« dérivations » de l'instinct » (1967, p.
307). Dans ce sens, semble être perversion toute anormalité, tout
hors-norme, de la vie instinctuelle, disons du flux pulsionnel puisque le
concept d'instinct est défini par les auteurs comme suit :
« terme freudien Trieb pour lequel, dans une terminologie
cohérente, il convient de recourir au terme français de
pulsion » (1967, p. 203). Or, comme nous l'avons vu plus haut, la vie
pulsionnelle ne peut se concevoir que sous l'angle du but et de l'objet
auxquels elle est liée. Donc, la perversion désignerait une
atypie dans le choix d'objet et dans la forme sous laquelle se réalise
la satisfaction sexuelle. Référons-nous à Blanchard R.
(2004, pp. 156/157) et son étude étymologique du terme
perversion : « Le mot vient du latin : pervertere et
perversus, qui ont donné perversitas. Le préfixe
« per » indique un moyen, une modalité, dans
l'espace ou dans le temps(...). Le verbe « vertere »
signifie tourner, retourner, avec la connotation de renverser, donc
détruire. Perversus désigne ce qui a été
retourné, est à l'envers (...). Enfin, la perversitas est le
renversement, mais aussi, par rapport à l'ordre renversé,
l'extravagance, la déraison ».
Reprenons la définition de la perversion,
donnée par Laplanche J. et Pontalis JB (1967, pp. 306) :
« dérivation par rapport à l'acte sexuel
« normal », défini comme coït visant à
obtenir l'orgasme par pénétration génitale, avec une
personne du sexe opposé ». Dans ce sens, est acte pervers
toute pratique sexuelle nécessitant d'autres objets qu'un partenaire
(animé) de sexe opposé (mais aussi ayant atteint la
maturité sexuelle établie par la loi). Ainsi est perversion
l'homosexualité, la bisexualité, la masturbation, le
fétichisme, la zoophilie, la pédophilie, etc. Puis est aussi
perversion tout acte sexuel ne visant pas la pénétration
génitale, donc la fellation, la sodomie, le voyeurisme et
l'exhibitionnisme, etc., ou encore toute pratique ne respectant pas le principe
de « symétrie » entre les partenaires tel le
sado-masochisme. Au-delà des lois dites
« naturelles », nous constatons que cette notion est aussi
régie par les normes socioculturelles (la maturité sexuelle des
partenaires, l'exogamie, etc.) délimitant les pratiques sexuelles de
chaque système culturel et pouvant aller jusqu'à la
répression juridique. Nous pouvons alors rejoindre l'opinion de
Blanchard R. (2004, pp. 157/159) disant à ce propos que « une
perversion serait l'inversion d'une norme universelle, objective ou
rationnelle, c'est-à-dire commune à tous les humains. Le terme
inversion signifie que l'acte commis [est] (...) un acte qui contredit
frontalement et continuellement une norme, une transgression avec le sens
d'inversion de négation de la norme.
Blanchard R. (2004, pp. 158/159) dit à propos que
« une perversion serait l'inversion d'une norme universelle,
objective ou rationnelle, c'est-à-dire commune à tous les
humains. Le terme inversion signifie que l'acte commis [est] (...) un acte qui
contredit frontalement et continuellement une norme, une transgression avec le
sens d'inversion de négation de la norme. Bref, la perversion n'est pas
un cas isolé (ce serait une perversité), mais une disposition
habituelle de l'esprit ou du comportement caractérisé par une
négation générale et permanente de l'ordre
généralement admis. (...) On doit donc différencier la
faute (occasionnelle) de la perversion (habituelle) ». La perversion
semble alors être définie comme une conduite sexuelle
déviante et permanente. Le terme inverti désigne alors un acte ou
un acteur qui inverse la norme : il renverserait quelque chose en son
contraire et contribuerait ainsi à sa destruction. Blanchard R. (2004,
pp.161/162) reprend « la définition de la perversion dans le
Vocabulaire de la Psychanalyse L.P. (...) : Perversion :
déviation par rapport à l'acte sexuel normal, défini comme
coït visant à obtenir l'orgasme par pénétration
génitale avec une personne du sexe opposé ».
2.2.1.1.2. La perversité
La
perversité semble être caractérisée par une conduite
occasionnelle et épisodique. Blanchard R présente la
perversité comme suit: « La perversité est au contraire
la qualification d'un acte isolé, caractérisé par la
malignité volontaire, la volonté explicite de mal faire. C'est un
« choix immoral dans les règles normatives du
comportement », qui peut être le choix occasionnel d'un
individu par ailleurs normal. (...) La perversité serait la
qualité actuelle d'un acte de perversion, que celle-ci soit une
structure assez stable du psychisme ou un comportement occasionnel »
(2004, p. 150/157). Ainsi, un sujet peut parfaitement faire preuve d'un
acte de perversion ou présenter des fantasmes pervers, par exemple, mais
cela ne fait pas de lui un être pervers. La nuance est ici dans le
quantitatif : la perversité dépend de son caractère
occasionnel, déterminé dans le temps. Ainsi, un individu
jugé dans la norme au niveau du fonctionnement psychopathologique
pourra, de temps à autre, faire preuve de perversité. On pourrait alors dire que
la perversité est un cas isolé et qu'elle peut être
comparable à la faute, elle même occasionnelle. Blanchard (2004,
p. 156/159) postule que « la perversion est une destruction. La
perversion serait une faute qui atteindrait l'innocence collective. La faute
est une faiblesse, un manquement dans l'ordre lui-même ; la
perversion est une destruction de l'ordre lui-même. L'individu pervers ne
détruit pas seulement l'ordre qui est en lui ou qui dépend de
lui, mais il sape un ordre beaucoup plus vaste. Le pervers produit du pervers
objectif ».
2.2.1.2.
Critères diagnostiques
Dans le Mini DSM-IV-TR (2004, p. 241), on distingue les
« Dysfonctions sexuelles » des
« Paraphilies » et des « Troubles de
l'identité sexuelle ». Ainsi, la perversion est
abordée, dans les critères nosographiques, sous l'angle de la
sexualité, plus précisément, sous le point de vue de trois
angles : les défaillances de la vie pulsionnelle, l'atypie dans le
choix de l'objet sexuel et dans la pratique sexuelle, et les dérivations
dans l'identité sexuelle.
2.2.1.2.1. Les dysfonctions
sexuelles
Dans la catégorie des « Dysfonctions
sexuelles », il est énuméré dans le Mini
DSM-IV-TR (2004, pp. 241/251) :
- les « Troubles du
désir sexuel » (pp. 241/243) : baisse du désir
sexuel et aversion sexuelle
- les « Troubles de
l'excitation sexuelle » (pp. 242/243) : trouble de l'excitation
sexuelle chez la femme et de l'érection chez l'homme
- les « Troubles de
l'orgasme » (pp. 243/245) : trouble de l'orgasme (auparavant
inhibition de l'orgasme) chez l'homme et la femme
- les « Troubles sexuels avec
douleur » (pp. 245/247) : dyspareunie et vaginisme (non-dus
à une affection médicale générale)
- les « Dysfonctions sexuelles
dues à... (indiquer l'affection médicale
générale) » (pp. 247/249)
- les « Dysfonctions sexuelles
non spécifiées » (p. 251)
On
voit combien les dysfonctions sexuelles désignent une altération
ou une défaillance de la vie pulsionnelle (désir, excitation,
orgasme, etc.). Cette catégorie semble comporter des troubles pouvant
être l'objet d'une prise en charge médicale.
2.2.1.2.2. Les paraphilies
Dans la catégorie des
« Paraphilies », il est énuméré dans
le Mini DSM-IV-TR (2004, pp. 251/255) :
-
l' « exhibitionnisme » (pp. 251/252)
- le
« fétichisme » (p. 252)
- le
« frotteurisme » (p. 252)
- la
« pédophilie » (p. 253)
- le « masochisme
sexuel » (pp. 253/254)
- le « sadisme
sexuel » (p. 254)
- le « transvestisme
fétichiste » (pp. 254/255)
- le « voyeurisme »
(p. 255)
- la « Paraphilie non
spécifiée » (p. 255)
La
catégorie des paraphilies comporte donc des pratiques déviantes
et des choix d'objets sexuels atypiques. Cette catégorie semble
concerner des normes davantage socioculturelles, telles la maturité
sexuelle du partenaire sexuel ou encore la symétrie des positions de
chacun des partenaires durant le coït.
2.2.1.2.3. Les troubles de
l'identité sexuelle
Dans la catégorie des « Troubles de
l'identité sexuelle », il est énuméré
dans le Mini DSM-IV-TR (2004, pp. 256/258) :
- les « Troubles de
l'identité sexuelle » (pp. 256/257) : croyance ou
désir d'appartenir à l'autre sexe, attirance homo ou bisexuelle,
aucune attirance pour le sexe identique ou opposé, etc.
- les « Troubles de
l'identité sexuelle non spécifiés » (p.
258) : affections intersexuelles, travestisme transitoire,
préoccupation par la castration ou l'ablation du pénis, etc.
- les « Troubles sexuels non
spécifiés » (p. 258) : sentiments
d'inadéquation vis-à-vis de la performance sexuelle,
représentations personnelles inadéquates des normes de
masculinité et/ou de féminité, relations sexuelles
répétitives, instrumentalisation des partenaires, etc.
Ainsi, cette catégorie semble nécessiter d'une
prise en charge davantage psychologique que médicale dans le sens
où elle semble concerner la représentation que le sujet se fait
de lui-même au niveau sexué et sexuel.
2.2.1.2.4. Le fétichisme
A. « Présence de fantaisies imaginatives
sexuellement excitantes, d'impulsions sexuelles, ou de comportements, survenant
de faon répétée et intense, pendant une période
d'au moins 6 mois, impliquant l'utilisation d'objets inanimés (p. ex.,
des sous-vêtements féminins).
B. Fantaisies,
impulsions sexuelles, ou comportements sont à l'origine d'une souffrance
cliniquement significative ou d'une altération du fonctionnement social,
professionnel ou dans d'autres domaines importants.
C. Les objets
fétiches ne se limitent pas à des articles vestimentaires
féminins dans le travestisme (comme dans le Transvestisme
fétichiste) ou à des instruments conçus à des fins
de stimulation génitale (p. ex., un vibrateur) » (2004, p.
252)
Ainsi le fétichisme est défini par la
présence d'une vie fantasmatique intense et atypique et par le recours
à des objets atypiques pour assurer l'obtention de l'orgasme. Ces objets
peuvent être autant des inanimés que des objets animés. Si
nous nous référons à Von Krafft-Ebing (1950, p. 9), nous
comprenons que le fétichisme dépasse certaines conceptions
communément admises : « On admettait auparavant que
le fétiche pathologique n'avait jamais une relation immédiate
avec les organes sexuels proprement dits ; pourtant, il y a des exceptions
à cela. Les seins de la femme peuvent parfois exciter
l'intérêt exclusif du fétichiste (...). Plus
fréquemment dans le sexe féminin, (...) les organes
génitaux de l'home, surtout le pénis, dominent si fortement toute
la vie sensible de la femme, que tout le reste se retire de l'arrière
plan ».
Dans ce sens, le fétiche peut prendre la forme d'un
objet inanimé (sous-vêtements, p. ex.) ou d'objet partiel
animé (organes génitaux, chevelure, etc.). Freud S. (1927, pp.
132/138) sous-entend que le fétiche jouerait la même fonction
qu'un souvenir écran. Si l'on se réfère à son
oeuvre consacrée à l'étude du concept de souvenir, nous
pouvons voir que finalement l'auteur voulait sans doute expliquer que le choix
du fétiche est, dans une certaine mesure, déterminé ;
déterminé par ce qui a été vécu durant la
prime enfance. En effet, quoi de plus absurde, dirons-nous, que de prendre pour
objet sexuel un sous-vêtement particulier, ou encore une partie
définie du corps (chevelure), etc., comme objet sexuel ? Et bien
Freud S. (1904, p. 302) explique souvent, « nous
méconnaissons l'étendue du déterminisme auquel est soumise
la vie psychique (...), il s'étend beaucoup plus loin que nous le
soupçonnons ». Dans ce sens, Freud S. (1927, pp. 132/138)
aurait sans doute voulu signifier que le fétiche, quelque soit le
caractère absurde qu'on peut lui attribuer dans le sens commun, reste le
témoin de quelque chose de plus signifiant. Finalement, pourrions-nous
penser que le fétiche jouerait le même rôle que le
symptôme : il viendrait signifier ce qui, à l'origine, se
joue dans la structure pathologique du cas rencontré. Là où les
critères diagnostiques peuvent être discutables, c'est concernant
la souffrance cliniquement significative que Freud S. (1927, p. 133) ne
conçoit pas ainsi : « Il est rare qu'on le ressente
comme un symptôme douloureux ; la plupart de ses adeptes en sont
très contents ou même se félicitent des facilités
qu'il apporte à leur vie amoureuse ».
2.2.2. FETICHISME ET PSYCHANALYSE
2.2.2.1. LES LIENS
PRÉCOCES : LA PREGENITALITE
2.2.2.1.1. Le stade oral et la
perversion
Stärcke A. (1921) place le sein comme étant
à l'origine de certains comportements pervers. Il rejoint à la
fois Freud S. (1905) dans la mesure où la sexualité infantile
détermine la recherche amoureuse adulte. En effet, une fixation de la
pulsion sexuelle au stade oral serait à l'origine d'une forme de
sadisme. « Je pense pouvoir établir des relations entre le
sein et une perversion à l'origine incertaine le sadisme. (...)Plusieurs
formes de sadisme découlent d'une même source. Si le baiser
dérive de la succion, le plaisir sadique de la morsure peut avoir la
même origine. (...) . Une étude plus approfondie de
l'érotisme de succion montre qu'il peut se diviser en deux grands
complexes, c'est-à-dire celui du mamelon, grâce auquel la zone
buccale de l'enfant trouve sa gratification, et celui du sein, qui
érotise sa petite main. Ce dernier complexe sein-main se retrouve dans
la manie de la flagellation dont l'objet primaire, les fesses, rappelle ces
deux autres hémisphères que sont les seins. (...) Je
préfère voir dans ces connexions un reflet de l'amour infantile
et du plaisir que le bébé éprouve à toucher de ses
petites mains les premières et les plus importantes sources de la
vie ».
Les conceptions de Freud S. (1905) et de Stärcke A.
(1921) inspirent Laplanche J. (1987) qui propose une théorie de la
séduction généralisée, fondée sur
l'asymétrie structurelle de la dyade mère-bébé. Le
nourrisson se situe dans l'attente de la satisfaction de ses besoins vitaux. En
retour, il recevrait de la part de la mère des
« signifiants énigmatiques » porteurs d'une
dimension sexuelle inconsciente qui nécessitent, de la part du
bébé, un travail de symbolisation nécessairement partiel.
Citons le Bulletin de la Société psychanalytique de
Montréal (1997) : « C'est à partir d'une analyse de
l'activité de suçotement que Freud dégage cette notion
d'étayage (...) qui va lui servir à définir ce qu'il
entend par sexualité infantile. Il décrit l'étayage
à l'occasion de l'émergence de la sexualité, en montrant
comment elle s'étaye sur la fonction d'auto-conservation dont elle se
rendra ensuite indépendante. L'étayage tel que Freud le
décrit n'a donc rien à voir avec une quelconque relation
interpersonnelle où l'infans s'appuierait sur la mère, il s'agit
plutôt de l'articulation de la pulsion et de la fonction. Cette analyse
permet à Laplanche de montrer "la fonction de dérivation du
sexuel à partir du vital, de
« l'adaptatif » ». Ainsi Laplanche va plus
loin que Freud (1905) et reprend également ce que Stärcke A. (1921)
présentait : ce que la mère transmettrait au bébé,
ce serait surtout les traces inconscientes de sa propre sexualité
infantile réactivée par celle de son bébé. A partir
de cette théorie, on parle alors de « lait nutritif
érotisé ».
2.2.2.1.2. La découverte de la
différence anatomique des sexes et le fétichisme
Le stade phallique serait un stade important du
développement puisqu'il permettrait à l'enfant de faire la
différence anatomique des sexes qui repose sur le fait que les
garçons sont pourvus d'un pénis, contrairement aux filles. Afin
de s'expliquer cette différence anatomique, vont émerger des
activités fantasmatiques dans la vie psychique de l'enfant :
auparavant, la fille aurait été pourvue d'un pénis mais
elle l'aurait alors désormais perdu, et ce, par châtiment
infligé par les parents. Cette punition fantasmée
amènerait ainsi le petit garçon à se sentir lui-même
menacé par cette castration imaginaire. L'angoisse de castration
génitale naîtrait donc à ce stade, mais Bergeret J. (2004,
p. 21) veut parler aussi d'angoisse « de castration narcissique,
prégénitale, phallique, développée par
définition autour du phallus et de ce qu'il
représente ». En effet, cet attribut corporel, le
pénis, détiendrait une valeur symbolique, le phallus, dans la vie
intrapsychique de l'enfant. Cette signification particulière du phallus
permet à l'enfant de construire son identité sexuelle (tout objet
possédant un pénis est un objet animé et sexué) et
son identité narcissique (tout objet possédant un pénis
est un objet doté d'une certaine supériorité sur celui
n'en détenant pas). Ainsi, le pénis possèderait cette
valeur de toute-puissance et, en étant menacé d'une castration
génitale, le garçon se verrait en même temps menacé
d'une castration phallique (la perte de son identité sexuelle et
narcissique).
Freud S. (1927, p. 134) situe les origines du
fétichisme au stade phallique : « L'enfant
s'était refusé à prendre connaissance de la
réalité de sa perception : la femme ne possède pas de
pénis. Non, ce ne peut être vrai car si la femme est
châtrée, une menace pèse sur la possession de son propre
pénis à lui, ce contre quoi se hérisse ce morceau de
narcissisme ». Dans ce sens, le fétichiste n'aurait pas
pu, enfant, tolérer cette découverte de la différence des
sexes car celle-ci vient marquer la contestation de la non-existence, donc du
manque, de pénis chez la femme.
2.2.2.2. Le
compromis : le substitut
2.2.2.2.1. Un conflit
intra-psychique : tentative de résolution
Nous pouvons parler de réponse inadéquate en ce
point : le fétiche court-circuiterait l'adaptation à la
réalité. Freud S. (1927, p. 134) dit à ce propos que le
fétiche ne serait pas le « substitut de n'importe quel
pénis mais d'un certain pénis tout à fait particulier qui
a une grande signification pour le début de l'enfance et disparaît
ensuite. C'est-à-dire qu'il aurait dû être normalement
abandonné mais que le fétiche est justement là pour le
garantir contre la disparition ». Ceci vient donc signifier du
caractère pathologique du fétiche. La Nouvelle Revue de
Psychanalyse (1970, pp. 20/21) cite Freud S. (1927, p. 134/135) expliquant
qu'« il n'est pas juste de dire que l'enfant ayant observé
une femme a sauvé, sans la modifier, sa croyance que la femme a un
phallus. Il a conservé cette croyance mais il l'a aussi
abandonnée ; dans le conflit entre le poids de la perception non
souhaitée et la force du contre-désir ». Cela
sous-entend donc que le fétichiste aurait tenté de
résoudre cette découverte si problématique et inacceptable
pour lui via ce compromis entre l'effectif et son désir ; entre les
exigences du Moi (principe de réalité) et celles du Ça
(principe de plaisir). Dans ce sens, Freud S. (1927, p. 135) insiste sur le
fait que « l'horreur de la castration s'est érigé
un monument en créant ce substitut » et que le
fétiche « demeure le signe d'un triomphe sur la menace de
castration et une protection contre cette menace ». Le
fétiche viendrait alors créer ce pénis nécessaire
à son adepte pour lui permettre de supporter la réalité
génitale féminine, mais en même temps, il permet au
fétichiste de lui rappeler ce manque qu'il a réussi à
dépassé en le comblant.
Le fétichiste ne renierait la réalité que
partiellement, puisque par le fétiche il resterait conscient que ce
pénis chez la femme n'existe pas. Mais le fétiche vient
satisfaire le désir, celui de voir la femme pourvue de cet attribut
corporel et de ce qu'il représente. La Nouvelle Revue de Psychanalyse
(1970, p. 26) parle d'une réponse au conflit « par deux
réactions opposées, (...). D'une part, à l'aide de
mécanismes déterminés, il déroute la
réalité et ne laisse rien interdire ; d'autre part, dans le
même temps, il reconnaît le danger de la réalité,
assume, sous forme d'un symptôme morbide, l'angoisse face à cette
réalité (...). La pulsion peut conserver sa satisfaction ;
quant à la réalité, le respect dû lui a
été payé ». Ce mécanisme dont il est
question ici est appelé par Freud S. (1927) le « clivage
du Moi ». Une partie du Moi reconnaît la
réalité et l'accepte, une autre reste ancrée dans
l'illusion, le fantasme. Or, ce mécanisme ne permettrait pas une
adaptation satisfaisante à la réalité. Car en effet, le
Moi s'est ainsi déformé (il serait devenu clivé) et
déformerait la perception du monde extérieur (le déni
partiel). Cela ne pourrait, selon les spéculations psychanalytiques,
qu'engendrer des conséquences dommageables sur la structure interne de
tout individu réalisant ce type de compromis : « Le
succès a été atteint au prix d'une déchirure ans le
moi, déchirure qui ne guérira jamais plus, mais grandira avec le
temps. Les deux réactions au conflit, réactions opposées,
se maintiennent comme noyau d'un clivage du moi. (...) Cette fonction
synthétique du moi, (...) se trouve soumise à toute une
série de perturbations » (Nouvelle Revue de Psychanalyse,
1970, p. 26).
2.2.2.2.2. Compromis :
bénéfices et pertes
La tentative de résolution de ce conflit Moi/Ça,
provoqué par la découverte de la différence des sexes,
viendrait compromettre la structure psychique du fétichiste. On pourrait
penser qu'il y trouve certains bénéfices, comme celui de ne pas
basculer vers l'homosexualité. En effet, l'intérêt
particulier porté par lui sur le pénis et ce qu'il vient
représenter fantasmatiquement, aurait pu amener le fétichiste
à « l'inversion sexuelle », comme Freud S.
(1905, pp. 49/52) définit l'homosexualité. En continuant à
croire que a femme peut être dotée de ce pénis, le
fétichiste la rend alors supportable pour lui en tant qu'objet sexuel
avec lequel il pourra satisfaire ses pulsions sexuelles. Masud M. et Khan R.
(1970, p. 70) : « On traite le fétiche exclusivement
comme un objet ou un auxiliaire propre à procurer une gratification de
type hétérosexuel et comme une défense contre la
perversion proprement dite, en particulier contre
l'homosexualité ». Mais si le fétichiste
échappe à cette perversion, il entre dans un autre processus
considéré comme pervers, le fétichisme, puisque celui-ci
vient substituer le pénis et le phallus manquant à la femme
devient une condition nécessaire pour obtenir l'orgasme sexuel :
« Le cas pathologique se présente seulement lorsque
l'aspiration [à la possession] du fétiche se détache d'une
personne pour devenir l'unique objet sexuel » (Freud S., 1905,
p. 63).
Enfin, là où le fétiche ne serait pas non
plus un compromis permettant au Moi de s'épanouir correctement, est dans
le fait que celui-ci court-circuite l'activité symbolique
nécessaire au travail de deuil, de renoncement. Le fétiche
viendrait donner la croyance du pouvoir sur le manque de pénis chez la
femme. Parce que le fétiche viendrait remplacer cet attribut corporel
manquant, alors il est question du concept de factice, concept duquel
découle le terme « fétiche ». La
Nouvelle Revue de Psychanalyse (1970, p. 66) se basent sur les travaux de C.
Bak R. qui postulent que le Moi du fétichiste se voit affaibli par le
clivage dont il est l'objet. De ce fait, il ne pourrait être capable de
réaliser le travail de deuil nécessaire à l'acceptation du
manque de pénis chez la femme : « Une faiblesse de la
structure du moi, (...). Ainsi peut s'expliquer une angoisse de
séparation excessive, se manifestant par un attachement accru, soit
à la personne totale de la mère, soit à une partie de la
mère (...) ». Ainsi, ce qui doit être
élaboré, le manque, ne l'est pas puisque l'objet fétiche
vise à éviter ce travail de deuil. Il substituerait, comblerait,
laisserait dans l'illusion d'une fusion avec Autrui, mais ne viendrait en aucun
cas résoudre cette lourde tâche de séparation et
d'individuation. Le fétichiste trouverait donc le moyen de se
détourner de cette phase importante du développement
psycho-affectif, qui est celle de l'acceptation de la différence des
sexes. Donc, le travail de tolérance de la frustration et de la
capacité à rester seul serait court-circuitée, n'amenant
pas le fétichiste à cette maturité affective
nécessaire pour s'assumer en tant qu'être à part
entière et indépendant affectivement, mais aussi, dans une
certaine mesure, à accepter son orientation homosexuelle.
2.3. LA RELATION D'OBJET : ALCOOL ET
FETICHE
2.3.1. LES RELATIONS D'OBJET : APPROCHE
PSYCHANALYTIQUE
Laplanche J. et Pontalis J.B. (1967, p. 404) présentent
le concept de relation d'objet de la manière suivante :
« le mode de relation du sujet avec son monde, relation qui est
le résultat complexe et total d'une certaine organisation de la
personnalité, d'une appréhension plus ou moins fantasmatique des
objets et de tels types de défense ». Le concept de
relation d'objet désigne alors un interaction entre un individu
donné e l'environnement dans lequel il évolue. Cette relation est
présentée comme sensible à la vie subjective de cet
individu, c'est à dire à son monde interne (personnalité,
imaginaire et défenses, qui lui sont propres). Dans ce sens, ce concept
renvoie à cette influence que le monde interne exerce sur ses objets
externes.
2.3.1.1. Une
« relation » ?
Laplanche J. et Pontalis J.B. (1967, p. 405) disent de cette
relation qu'il « s'agit en fait d'une interrelation, c'est
à dire non seulement de la façon dont le sujet se constitue ses
objets, mais aussi de la façon dont ceux-ci modèlent son
activité ». Nous parlions, plus haut, du rôle
joué par la subjectivité du sujet dans cette interaction avec
l'environnement. Mais parler d'interaction sous-entend que l'environnement joue
lui aussi une certaine fonction, autant que la subjectivité en joue une.
Donc, nous pourrions décrire ce processus interactionnel comme
suit : l'objet extérieur, une fois perçu, est mis en
pensée (mentalisé, psychisé ou encore
élaboré) afin que le sujet puisse évaluer les
qualités et défauts de cet objet en question. De cette
façon, le sujet décide si cet objet est suffisamment
« bon » pour lui ou non ; ce qui va
déterminer son action (ou défense) en retour. Pensons ici
à Klein M. (1934) qui décrit très bien ce processus chez
l'enfant : sur la base de cette élaboration psychique, l'enfant va
décider soit de mettre ce « bon » objet en
lui (introjection) soit de rejeter ce « mauvais »
objet en dehors de lui (projection). Donc, l'interaction dont il est question
dans la définition des auteurs, est bien à comprendre comme
étant une interrelation entre le monde interne singulier de tout
individu et son environnement. Ce qui en résulte est une action
réactionnelle spécifique en fonction de ce qui est
considéré par l'individu comme étant introjectable et non
introjectable. Ce concept de relation, on le comprend, dépasse les
visées théoriques béhavioristes : le schéma
pavlovien ou encore skinnerien
« stimulus/réponse » renforce est ici mis
hors de cause. La Psychanalyse prône l'importance de cette
activité psychique que constitue l'élaboration psychique.
Faisons ici référence à De Mijolla A.
& Shentoub S.A. (1973, pp. 300/301) qui nous expose les aspects
économiques et dynamiques de l'alcoolisation transitoire :
« L'alcoolisation transitoire est bien souvent le moyen que nous
trouvons pour nous donner du coeur à l'ouvrage et nous aider à
entreprendre une tâche estimée difficile». Le patient
alcoolo dépendant perçoit le bénéfices que son
toxique va lui apporter : celui-ci a un effet psycho stimulant et
renarcissisant sur lui. Ainsi, l'objet alcool devient cet outil
nécessaire pour affronter les objets internes (ressentis) et externes
(environnement).
2.3.1.2. Un
« objet » ?
Par le terme « objet », Laplanche J. et
Pontalis J.B. (1967, pp. 404/405) entendent « une personne en
tant qu'elle est visée par les pulsions (...) ; il n'y a rien
là de péjoratif, rien de particulier qui implique que la
qualité du sujet soit de ce fait refusée à la personne en
question ». Est dit « objet » tout objet
matériel mais également tout individu qui fait l'objet (le lieu)
d'une pulsion. Il peut s'agir « d'une personne ou d'un objet
partiel, d'un objet réel ou d'un objet fantasmatique »
(Laplanche J. et Pontalis J.B., 1967, p. 290). Par
« personne », on entend tout individu capable de
penser et qui est singulier de par ses qualités et défauts
propres ; on parle de sujet dans sa totalité. Par
« objet partiel », on entend par exemple, le sein
maternel, le boudin fécal, etc., c'est à dire d'un objet
considéré que dans un seul aspect de son ensemble. Par
« objet réel », on entend un objet existant
de façon effective dans l'environnement : il est ainsi perceptible
par Autrui. A l'inverse, un « objet
fantasmé » n'existe que dans le monde imaginaire du
sujet, ce qui le rend moins accessible et moins perceptible par Autrui.
Laplanche J. et Pontalis J.B. (1967, p. 405) se
réfèrent à Freud S. qui présente l'objet sexuel
comme étant « la personne qui exerce l'attirance
sexuelle » et présente la but sexuel comme étant
« l'action à laquelle pousse la pulsion
sexuelle ». Dans ce sens, une personne dite « objet
sexuel » est une personne comportant en elle des
caractéristiques physiques et/ou psychiques attisant l'énergie
sexuelle d'Autrui. Ainsi cette quantité d'énergie psychique (la
libido) croît de façon tellement intense qu'elle appelle à
la réalisation d'un but sexuel : la satisfaction d'une zone
érogène ou génitale qui est jusque là
chargée en libido. Parler d' « objet »
pour un individu n'a donc rien de péjoratif, pour en revenir aux
auteurs, puisqu'il ne s'agit pas, ici, d'une instrumentalisation de
l'Autre : l'individu n'est pas manipulé, ni même
utilisé, c'est à dire qu'il n'est pas réduit à un
état inanimé. Si cela était le cas, comme nous
l'expliquions pour le fétichisme, on parlerait de perversion
sexuelle.
Laplanche J. et Pontalis J.B. (1967, pp. 404/405) poursuivent
en montrant que le concept d'objet peut être abordé sous trois
aspects principaux, du moins, si l'on se réfère à la
Psychanalyse contemporaine : « A) En tant que
corrélatif de la pulsion (...) ; B) En tant que corrélatif
de l'amour (ou de la haine) (...) , C) (...) en tant que corrélatif du
sujet percevant et connaissant ». Le troisième aspect
nous intéresse moins car il s'ancre sur les théories de la
philosophie et de la psychologie de la connaissance. Il est question ici de
l'objectivité, c'est à dire ce qui s'offre avec des
caractères fixes et permanents, indépendamment des désirs
et des opinions des individus. Dans le premier aspect, l'objet est ce en quoi
et par quoi la pulsion cherche à se voir satisfaite. La pulsion, au sens
psychanalytique du terme, désigne un processus dynamique
constitué d'une charge énergétique, d'un facteur de
motricité, qui fait tendre l'organisme vers un but. Il s'agit donc d'une
excitation à laquelle l'organisme est soumis et qu'il doit
décharger, conformément au principe de constance. Principe
redéfini par Laplanche J. et Pontalis J.B. (1967, p. 325) selon lequel
l'appareil psychique tend à maintenir à un niveau aussi faible et
constant que possible, la quantité d'excitation qu'il contient. Cette
constance est obtenue par la décharge énergétique de cette
quantité d'excitation déjà présente et par
l'évitement de ce qui pourrait accroître la quantité
d'excitation. Les auteurs poursuivent : « selon Freud, une
pulsion a sa source dans une excitation corporelle (état de
tension) ; son but est de supprimer l'état de tension qui
règne à la source pulsionnelle ; c'est dans l'objet ou
grâce à lui que la pulsion peut atteindre son but »
(1965, p. 360). Donc, l'objet qui est corrélé à une
pulsion renvoie au fait que celui-ci comporte des conditions nécessaires
à la décharge énergétique d'une quantité
importante d'excitation qu'il faisait jusqu'ici accroître chez l'Autre.
Dans le second aspect, il s'agit de l'objet corrélé aux affects
tant tendres (amour) qu'hostiles (haine). Laplanche J. et Pontalis J.B. (1967,
p. 12) définissent l'affect comme suit : « l'affect
est l'expression qualitative de la quantité d'énergie
pulsionnelle et de ses variations ». L'objet
corrélé à l'énergie libidinale, il amène le
sujet à se charger en énergies positives et/ou
négatives ; ce qui conditionne la tonalité affective et
émotionnelle de la relation entre le sujet et son environnement.
2.3.2. PERTE D'OBJET ET SÉPARATION : APPROCHE
PSYCHANALYTIQUE
2.3.2.1. Les liens précoces
Weil-Barais A. et Cupa D. (1999, p. 112) décrivent la
manière dont se construit la capacité de solitude et de
séparation comme suit : « c'est dans la qualité de
l'accompagnement que se construit l'autonomie. La possibilité pour le
petit enfant d'être séparé momentanément des
personnes auxquelles il est attaché, sans qu'il éprouve un
effondrement psychique, est le témoignage d'une « base de
sécurité suffisante ». Les premières
expériences de socialisation, notamment l'entrée à
l'école maternelle, éprouvent la plasticité des liens
établis entre l'enfant et ses objets d'attachement, en particulier la
mère ou son substitut ». On comprend ainsi que la
capacité d'appréhender la solitude et la séparation
dépend des liens tissés avec l'objet d'amour maternel durant
l'enfance. Winnicott D.W. (1958/1971) met en exergue l'importance des
premières relations mère-bébé dans le bon
développement psycho-affectif de l'enfant.
Pour comprendre ce que cet auteur entend par là,
revenons à Freud S. (1905) qui expose le concept de relation d'objet
partiel : l'enfant, durant tous premiers mois de son existence, vit dans le
prolongement du corps maternel. L'expérience sensorielle entretenue avec
le sein maternel possède une importance particulière : si le
bébé s'agrippe à cet objet, c'est parce qu'il lui permet
de trouver une certaine consistance, ou unité, à la fois physique
et psychique. La mère apporterait à son enfant le sentiment
d'exister et d'être. Or, Winnicott D.W. (1958) explique qu'une rupture de
cette liaison sensorielle est vécue, par ce petit être encore peu
mature, comme étant une véritable expérience de
frustration et d'angoisse. Un décrochage du sein maternel trop frustre
et réitéré dans le temps ou encore un ratage de maternage
(« holding » ou encore
« mothering ») seraient alors des situations
véritablement anxiogènes et dépressiogènes dans la
mesure où l'enfant se verrait arraché du seul objet lui
permettant de subsister en tant qu'unité. Ceci provoquerait non
seulement une déchirure interne mais également un
véritable éparpillement psychique et physique. On parle ici
d'angoisse de morcellement, ou plus précisément
« les agonies primitives », pour parler comme
Winnicott D.W. (1958), contre laquelle l'enfant cherchera à lutter par
des stratégies d'adaptation aux exigences à Autrui. Winnicott
D.W. (1958) parle de « contrat narcissique » ou
encore de « Faux Self » : l'enfant adopte une
conduite labile et suggestible en négligeant et en sacrifiant une partie
de son Moi au service du lien à Autrui. On comprend bien, dès
lors, combien les liens précoces tissés avec la mère sont
importants. Winnicott D.W. (1958) présente le concept de
« mère suffisamment bonne »,
c'est-à-dire d'un objet d'amour maternel capable de répondre aux
besoins de son nourrisson et ce, dans un lapse de temps supportable pour lui.
Le cas inverse, l'enfant se verra blessé narcissiquement et
plongé dans une angoisse liée à cette perte et cette
séparation brutales. Weil-Barais A. et Cupa D. (1999, p. 112) reprennent
cette idée : « « la bonne
mère » que l'on garde en Soi « autorise la mise
entre parenthèses, sans risque de la perdre, pour jouir de la
solitude » (Winnicott, La capacité d'être
seul) ».
Les liens précoces sont associés au concept d'
« infantile ». Il est vrai que ceux-ci se tissent
durant l'enfance. Ils sont d'ailleurs associés aux premières
relations objectales. Cependant, il est indéniable qu'ils marquent d'une
empreinte atemporelle et indélébile le psychisme de tout sujet.
Weil-Barais A. et Cupa D. (1999, p. 113) d'une
« intériorisation progressive d'une image maternelle
suffisamment sécurisante. (...) Ceci suppose que l'enfant puisse
être séparé physiquement de ses parents,
c'est-à-dire qu'il ait une confiance de base en lui-même
suffisante pour savoir qu'il peut faire cesser cette solitude lorsqu'elle
devient lourde à supporter (...). Certains enfants, selon le mode de
garde antérieur, notamment, éprouvent, lorsqu'ils arrivent
à l'école, non pas un vécu de séparation, mais de
perte ». Mais au-delà d'avoir une répercussion sur
l'évolution durant l'enfance, cette qualité
intériorisation d'une image maternelle sécurisante joue
également à l'âge adulte. Pensons ici aux situations
thérapeutiques où le patient rejoue avec son thérapeute ce
qui lui reste de ces liens précoces aux objets d'amour primaires
(situation transférentielle). Au long du chemin de vie, tout sujet est
ainsi amené à rejouer, dans la relation à l'Autre, ce
qu'il lui reste de son enfance. Les premières interactions
mère-bébé sont donc d'autant plus importantes qu'elles
déterminent et conditionnent les interactions sociales
ultérieures.
2.3.2.2. L'activité symbolique
Weil-Barais A. et Cupa D. (1999, p. 113) affirment que
« l'activité symbolique implique la possibilité de
se représenter un objet absent (...). L'enfant ne peut y avoir
accès que lorsqu'il a acquis une représentation claire de
lui-même et de l'objet d'amour privilégié comme
différent, séparé de lui, et existant même lorsqu'il
ne le perçoit pas directement. Mais il faut aussi qu'il puisse supporter
l'absence de cet objet d'amour sans que sa continuité narcissique soit
mise en cause, sans qu'il se sente "détruit" par cette absence,
vécue comme une perte ». Ainsi, pour que l'absence de
l'objet aimé ne soit pas source d'angoisse, c'est-à-dire
acceptable pour le Moi, il faut que l'enfant soit apte à se
« représenter » celle-ci. Dans ce sens, la
figuration, ou la symbolisation, est primordiale puisque cette activité
particulière de l'acte de penser permet de « mettre en
sens ».
Bion W.R. (années 1960) souligne à ce propos
l'importance de l'adulte, notamment de la mère ou son substitut.
L'enfant, peu mature au niveau de la capacité à penser à
proprement parler, nécessite de la présence d'une tierce personne
davantage douée de cette capacité de figuration. Il lui faut en
effet pouvoir remettre à cette mère ce qui semble angoissant dans
les explorations de l'environnement. La mère, si elle est
« suffisamment bonne » au sens de Winnicott D.W.
(1958/1971), sera en mesure d'identifier les éléments angoissants
présents dans le vécu de son enfant. De ce fait, elle met en
elle-même (introjecte) ces données et les met en pensée.
Elle élabore un travail psychique, celui justement que son
bébé ne parvient pas à réaliser encore de par sa
maturité psychique : elle met en sens, elle symbolise, les
éléments angoissants. Une fois traités et
symbolisés, la mère retourne ceux-ci à son enfant (elle
les projette en lui) sous une forme moins angoissante, puisque mis en sens. Ce
processus de transformation des éléments angoissants
(données â) en éléments plus acceptables
(données á) via le mécanisme d'identification projective,
c'est ce que Bion W.R. ( ) nomme « la capacité de
rêverie de la mère ».
Dans ce sens, parvenir à se représenter
l'absence d'un objet, sans la ressentir comme étant une perte, est une
tâche que l'enfant ne parviendrait pas vraiment à réaliser
seul : il lui faudrait une tierce personne. Bion W.R. parle de la mère,
mais Weil-Barais A. et Cupa D. (1999, p. 113) parlent du corps enseignant :
« il convient alors que l'équipe enseignante puisse les
aider à élaborer ce sentiment de séparation, afin que
l'école puisse être perçue comme un lieu d'investissement
possible agréable, parce qu'intermédiaire ».
Quelque soit cette tierce personne, il faut donc qu'elle soit en mesure de
réaliser un travail que l'enfant ne peut apparemment pas faire de
lui-même. Cependant, Winnicott D.W. (1971) montre que cette tierce
personne n'est pas essentiellement un objet animé, une mère ou un
intermédiaire. En effet, il parle « d'espace
potentiel » ou encore « d'objet
transitionnel » au sens large du terme. Citons Weil-Barais A. et
Cupa D. (1999, p. 112) qui résument le point de vue de ce psychanalyste
contemporain : « cette activité [symbolique] est
facilitée par des phénomènes transitionnels. Winnicott
remarque que (...) la tâche de l'enfant est facilitée lorsqu'il a
à sa disposition quelque chose à propos de quoi ne se pose pas la
question de savoir si elle fait partie de lui ou si elle appartient au monde
extérieur. Il s'agit de « l'objet transitionnel »
(...), objet auquel le petit enfant s'attache particulièrement (...).
[Il] est à la fois "une partie presque inséparable de l'enfant",
mais aussi « la première possession de quelque chose qui n'est
pas à [lui] ». (...) Un début de
symbolisation ».
Cette relation dyadique peut alors être mise en place
autant avec un objet animé qu'avec un objet inanimé, mais le plus
important reste la mise en place d'une relation à la fois
interactionnelle et asymétrique : le tiers doit apporter ce qu'on ne
possède pas encore. Ces tiers sont essentiels pour l'acquisition de la
capacité à subsister correctement en l'absence de l'Autre et sans
éprouver des sentiments relatifs à la menace ou encore à
l'angoisse. Si cette capacité s'acquière au cours de l'enfance,
nous montrions plus haut que ce qui s'installe durant l'enfance
détermine et conditionne les expériences ultérieures.
Ainsi, "la capacité de rêverie" ou encore « l'objet
transitionnel » seront recherchés sans cesse tout au long
du chemin de vie. Weil-Barais A. et Cupa D. (1999, p. 112) disent à ce
propos : « ces activités transitionnelles (...) se
poursuivront dans la vie adulte par le plaisir dans la poésie, musique
ou toute activité culturelle se situant à mi-chemin entre la
réalité interne et le monde extérieur ».
2.4. L'ANGOISSE DANS L'ALCOOLISME ET LE
FETICHISME
2.4.1. L'angoisse au sens psychanalytique
Laplanche J. (1980, p. 7) reprend la théorie
Freudienne pour définir cela : « une conclusion provisoire de
ce chemin était que l'angoisse peut être définie; dans une
certaine optique, comme la façon subjective d'appréhender une
certaine modalité de l'attaque interne de l'individu par sa propre
pulsion ». Dans ce sens, l'angoisse semble dépendre de
l'éprouvé interne du sujet. Ce qui est source d'angoisse pour une
personne ne le sera pas forcément pour une autre : c'est donc la
perception (interne) du danger extérieur réel mais aussi du
danger de la pulsion de mort (interne). C'est parce que le sujet élabore
le danger d'une situation externe et au sein même de son monde interne
(pouvant mener son organisme à l'autodestruction et à
l'état anorganique), qu'il se sent menacé de l'intérieur
et de l'extérieur. L'angoisse est définie par Laplanche J. et
Pontalis J.B. (1967, p. 28) comme étant relative à un sujet
« soumis à un afflux d'excitations, d'origine externe ou
interne, qu'il est incapable de maîtriser ». Par cette notion
d' « afflux d'excitations », nous comprenons le
rôle des pulsions. Quelque soit la source interne ou externe de cette
quantité d'excitations, on voit combien l'activité
d'élaboration psychique est importante. En effet, c'est parce que le
sujet se représente ces excitations comme étant trop intenses
qu'elles lui deviennent intolérables, et donc, source
d'éprouvés internes désagréables.
Nous parlions plus haut du principe de constance, principe
visant à réduire la quantité d'excitations présente
au sein de l'appareil psychique et de l'organisme. Ici, nous pourrions dire
qu'il s'agirait d'une menace de ce processus : ce système
d'autorégulation interne se verrait dans l'incapacité de
maintenir à un niveau aussi bas et constant que possible cette menace
interne. Donc, en bref, nous pourrions penser que l'angoisse serait le
résultat d'une tension libidinale accumulée et non
déchargée. Et puisque le principe échoue là
où il devrait réussir, des défenses psychiques vont se
mettre en place chez et par le sujet.
2.4.2. L'angoisse de castration :
intolérance du manque
2.4.2.1. Le monisme sexuel
Bergeret J. (2004, p. 19) explique que l'angoisse de
castration trouve son origine au stade phallique ; troisième phase du
développement psycho-sexuel par laquelle passe l'enfant. Vers sa
quatrième année, « il n'y a pour l'enfant qu'un
seul sexe, celui qui est représenté par les êtres pourvus
d'un pénis (...). L'enfant va petit à petit prendre conscience de
la réalité anatomique du pénis ; et commencer à se
poser des questions sur l'existence ou la non- existence de cet attribut
corporel chez lui ou chez les autres ». Ainsi, l'angoisse de
castration trouve son origine dans ce que l'on nomme le « monisme
sexuel » : les êtres étant dotés d'un
pénis sont des êtres animés et sexués. L'angoisse de
castration trouve son origine au stade phallique, phase du développement
psycho-sexuel durant laquelle l'enfant se questionne sur les organes
génitaux et leurs fonctions. L'enfant cherche alors des explications sur
la différence anatomique des sexes qu'il découvre, ce qui
l'amène à fantasmer. De cette fantasmatisation naît un
autre concept important : le phallus.
2.4.2.2. Angoisse de castration
phallique
Bergeret J. (2004, p. 21) dit « qu'il importe
d'être ici très rigoureux et précis : le pénis est
l'organe mâle dans sa réalité anatomique, alors que le
phallus souligne la fonction symbolique ». Ainsi, il est
nécessaire de distinguer ce qui appartient au corps (le pénis) et
ce qui constitue une représentation de cet organe corporel (le phallus).
« Du fait, donc, de se savoir possesseur d'un pénis qui
manque aux filles, le garçon surinvestit ce pénis : (...) symbole
de valorisation narcissique de Soi. (...) On dit alors que le garçon
s'est identifié à son pénis » (Bergeret J.
2004, p. 22). Le garçon crée alors son estime de lui-même
sur la base d'une constatation perceptive : il possède quelque chose que
la fille n'a pas. De là, naît un sentiment de toute-puissance.
Mais celui-ci est rapidement rattrapé par une crainte, une angoisse : on
pourrait causer du tort ou quelque dommage à son pénis. En effet,
dans son imaginaire, il « attribue le manque féminin [de
pénis], non à une condition fondamentale, mais à une
mutilation subie, comme sanction imaginaire, infligée par les parents
pour punir certains désirs (...) qu'il ressent lui-même comme
interdits » (Bergeret J. 2004, p. 22).
La curiosité sexuelle amène à prendre
conscience de la différence des sexes. Mais cette découverte est
traumatique pour l'enfant : tout être n'étant pas pourvu de
pénis a été castré volontairement par les parents.
De cette fantasmatisation naît donc l'angoisse de castration. Bergeret J.
(2004, p. 21) distingue deux formes d'angoisse de castration selon le stade de
développement psycho-sexuel dans lequel elle s'exprime. Il parle en
effet « d'une angoisse de castration narcissique,
prégénitale et phallique, développée par
définition autour du phallus et de ce qu'il représente (...) ;
une angoisse de castration génitale, oedipienne (...), où cette
fois c'est le pénis qui est en cause, organe apte à procurer du
plaisir (à soi-même et à l'autre) ». Ainsi,
l'angoisse de castration trouverait son origine dans l'appréhension de
perdre un attribut corporel.
Or, pour Bailly D. (2004, pp. 70/71), l'angoisse de castration
et l'angoisse de séparation sont en effet liées :
« Freud développe l'idée que si les dangers varient
aux différentes époques de la vie, ils impliquent tous une
séparation ou une perte. L'angoisse de séparation doit être
considérée comme la toile de fond de toutes les angoisses
ultérieures. (...) La castration de la phase phallique peut être
aussi comprise comme une séparation, "séparation de l'organe
génital", hautement investi narcissiquement ». Toute
situation traumatique est répétée dans le temps : c'est
une façon de trouver une restriction de l'angoisse relative à
celle-ci. Face à ce trauma, les patients alcooliques et
fétichistes semblent avoir trouvé une possibilité de
dégagement via leurs objets d'addiction.
2.4.2.3. Alcoolisme, fétichisme et angoisse
de castration
Selon Jeammet P (2005), quelque soit l'addiction
concernée, il y a originairement un défaut
d'intériorisation des figures parentales. Il rejoint donc ce que nous
avancions plus haut. Cependant, Jeammet P. (2005) va plus loin en introduisant
le concept du narcissisme. Si l'identité ne parvient pas à se
bâtir correctement, c'est bien parce que l'estime de Soi n'a pu trouver
des « Assises Narcissiques » satisfaisantes (Bergeret,
2004). Citons Jeammet P. (2005, p. 49) : « la
référence au fonctionnement mental permet d'inférer des
failles dans des processus précoces d'intériorisation et du
narcissisme. L'aménagement psychique de celles-ci se fait de
façon manifeste par des modes opposés pour chaque cas, mais avec
en commun le fait que les objets d'attachement de la réalité
servent à contre-investir une réalité interne
anxiogène. Ainsi (...) la dépendance peut-être
décrite comme l'utilisation à des fins défensives (...)
comme un contre-investissement d'une réalité psychique interne
défaillante ou menaçante ». Pour lui, il y a donc
bien un défaut d'intériorisation : les personnes ne
possédant pas une réalité interne suffisamment
sécurisante sont celles vouées à devenir plus tard des
personnes dépendantes à un objet. Jeammet et Corcos (2001)
soutiennent en effet que « les sujets dépendants ne
disposent pas, pour de multiples raisons, de cette base suffisamment
sécurisante au niveau de leur réalité
interne ». Ainsi, on peut comprendre l'importance d'une relation
dite « secure » avec l'environnement : plus la
dimension relationnelle se perd, plus il y aurait recours à un
investissement supplétif se réalisant via le corps, et ce, de
manière mécanique et désaffectivisée. Bergeret J.
(2004) soutient que la violence que l'enfant projette sur la
réalité externe est proportionnelle à la violence
fantasmée de la scène primitive : plus la scène originaire
est fantasmée comme étant chargée de sadisme entre les
deux partenaires, plus l'enfant projettera de l'agressivité dans son
environnement. De la même façon, Jeammet P. (2005, p. 50) avance
l'hypothèse que « la violence de cet investissement et son
caractère destructeur [sur le corps] sont proportionnels à la
perte de la qualité relationnelle du lien [à
l'environnement] ».
Une conduite addictive (l'alcoolisme) ou encore perverse
(fétichiste) peut être considérée comme la recherche
d'un soutien extérieur face à cette faible estime de Soi, face
à cette défaillance narcissique. Ce serait une façon de
retrouver un équilibre interne, impossible à atteindre autrement.
Jeammet P. (2005, pp. 53/54) parle d'une nécessaire
« sauvegarde de l'identité ». Tout se passe comme
si, ce qui est difficilement vécu à l'intérieur de Soi,
était projeté au dehors de ce corps : « ce nouvel
équilibre est le résultat d'un mouvement en miroir de
renversement en son contraire - de bascule du dedans au
dehors ». L'objet alcool est un représentant d'un
déséquilibre narcissique interne. L'objet fétiche est un
représentant du manque de pénis chez la femme, vécu de
façon insupportable pour le fétichiste. Fétichiste et
alcoolique vont ainsi agir sur leurs objets extérieurs (fétiche
et alcool) comme ils auraient voulu pouvoir le faire dans leur monde
interne.
Les patients alcooliques et fétichistes vont ainsi
chercher à se venger, « un triomphe
maniaque », comme diraient Freud S. (1927) et, plus tard, De
Mijolla A. et Shentoub S.A. (1981). En effet, ils vont se venger contre leur
souffrance interne en faisant subir à l'objet choisi ce qu'ils ont
vécu, ou vivent encore, eux-mêmes psychiquement. Jeammet P. (2005,
pp 53/54) dit que « le sujet fait vivre à l'objet
visé par le comportement ce qu'il a pu avoir le sentiment d'avoir subi
dans son enfance et de continuer subir [à l'intérieur de
Soi] ». C'est ainsi que l'on peut parler de sadisme envers
l'objet extérieur choisi. Les patients trouvent une économie dans
cette logique défensive : au lieu de réaliser un travail interne,
psychiquement plus élaboré via des mécanismes
défensifs recherchés, tel le refoulement, ils ont recours au
déplacement. Le mal être interne va être projeté au
dehors de Soi pour pouvoir le traiter à l'extérieur du psychisme
et du corps propres.
Jeammet P. (2005, p. 54) poursuit en notant que
« le sujet peut aisément ignorer ainsi la nature de ce
lien et développer au contraire le fantasme d'une maîtrise de ce
néo-objet qu'est le comportement, alors qu'en fait il est devenu un
objet de dépendance de type toxicomaniaque ». En effet,
à force de reproduire ce schéma économique, les patients
sombrent dans un comportement addictif. Ils deviennent non seulement
dépendants des bénéfices apportés par l'objet
(restreindre l'angoisse), mais également dépendants de l'objet
lui-même (dépendance physique). Cette dépendance
« au rôle fonctionnel et économique »
de l'objet constitue une relation perverse. Jeammet P. (2005, p. 54) dit
à ce propos : « la dimension perverse est essentiellement
celle qui régit le comportement lui-même et l'utilisation que le
sujet fait de ce comportement à des fins de substitut relationnel (...)
: être un des supports du sentiment de continuité du sujet garant
de son identité ». Ainsi, on reconnaît dans
l'alcoolisme une orientation perverse : l'objet est utilisé et
instrumentalisé pour tirer un certain profit, au-delà de celui du
plaisir physiologique et gustatif. Il s'agit davantage de trouver en lui une
forme d'assurance et de confiance en Soi. L'objet alcool est donc le moyen par
lequel le malade alcoolique pourra réinstaurer une bonne estime de
Soi-même et renchérir son narcissisme. Les patients alcooliques
soutiennent souvent, en effet, que l'alcool est une béquille, le moyen
par lequel ils peuvent trouver suffisamment d'assurance afin d'affronter la
réalité interne et externe.
L'objet alcool et l'objet fétiche ne seraient pas
investis pour permettre la mise en place d'une relation d'échange : ils
sont choisis pour procurer un sentiment de protection. Jeammet P. (2005, p. 54)
dit à ce propos qu' « il y a en effet un déni
total de l'altérité de l'objet qui est investi non pas à
des fins d'échange, mais uniquement comme protection contre une perte
possible (...). Il est nécessaire au maintien de la cohésion du
Moi mais n'a pas d'autre fonction que celle-ci. L'aménagement pervers
sauvegarde en effet le lien objectal mais en le réduisant à un
lien de contact, en surface, qui évite les dangers de
l'intériorisation comme ceux de la perte, offrant par l'emprise qu'il
autorise un contrepoids efficace à la destructivité. La
contrepartie c'est que la source d'excitation demeure elle aussi externe et
doit ans cesse être renouvelée ». Dans ce sens,
l'alcoolique et le fétichiste gagnent en travail d'élaboration
psychique. Au lieu, en effet, de traiter l'information insupportable qui est en
Soi, il déplace celle-ci à l'extérieur. Le
mécanisme utilisé par les névroses, le refoulement, semble
trop difficile car il est demandeur d'un travail coûteux en formations
réactionnelles. C'est ainsi qu'ils vont avoir recours à des
mécanismes plus « archaïques » : la
projection (Klein M., 1934) par laquelle les patients vont placer
l'insupportable dans les objets choisis. Le lien entretenu dans la
réalité avec ces objets porteurs de la souffrance interne va
rester localisé dehors, dans l'objet externe. En manipulant l'alcool ou
le fétiche, ils vont en même temps manipuler leur mal-être
interne projeté hors de Soi.
CHAPITRE 3 : METHODOLOGIE
3.1 METHODOLOGIE DU RECUEIL DE DONNEES
3.1.1. Choix de la méthode
qualitative
Soumettre une passation de tests, échelles, etc.,
à un patient sous-entend que le clinicien lui suggère un
thème particulier sur lequel il doit projeter son monde interne. Cette
démarche m'apparaît comme étant un biais sur la
spontanéité et l'authenticité du patient :
« Le patient qui accepte de participer à une recherche
peut être plus impliqué que nous le pensons : les
phénomènes de suggestibilité, de majoration des
résultats, de recherche de
« désirabilité », peuvent avoir un effet et
concourir au maintien ou à l'extension d'une symptomatologie faisant
l'objet d'une recherche ou interagissant avec son objet »
(Pédinielli J.L., 2005, p. 118). Ainsi, la clinique
« armée » me semble trop peu
appropriée pour atteindre mon objectif principal.
Mon but n'est pas l'objectivation et la recherche de la
validité d'un résultat obtenu par le suivi rigoureux d'un
protocole. Au contraire, j'aspire à me rapprocher autant que possible de
la subjectivité et de la singularité du patient. Et il me semble
que la clinique « à mains nues » est
adaptée, puisqu'elle consiste à recueillir un faisceau
d'éléments permettant l'étude de la dynamique, de la
genèse et de la totalité de l'individu. Il ne s'agit donc en
aucun cas d'une recherche expérimentale, au protocole rigidement
construit dans le but d'obtenir un résultat valide, mais d'une recherche
planifiée et non-objectivante.
3.1.2. Technique de recueil : l'entretien
clinique
3.1.2.1. Types d'entretiens :
semi-directivité et non-directivité
Recueil d'informations générales
sur les patients : orientation semi-directive
Afin d'obtenir une vue d'ensemble sur le patient dès
le début du suivi, j'opte pour un entretien structuré sur un mode
semi-directif. Cette vue d'ensemble me paraît essentielle pour
l'orientation du suivi psychothérapeutique que je vise lors de mes
entretiens. Les données émanant de cette première phase
permettent de structurer la présentation globale du cas et de saisir la
demande de celui-ci, demande importante pour déterminer le suivi du
patient. Etablir une liste préalable de thèmes devant être
abordés par les patients devient alors importante et nécessaire
pour mener à bien les entretiens d'entrée.
Je résumerai cette liste sous la forme d'un tableau et
j'illustrerai par des exemples d'interventions de ma part, sachant que
celles-ci sont variables et modifiables en fonction du climat de confiance
établi durant l'entretien et les résistances du patient.
Thème
|
Intervention
|
Motivations
|
Qu'est-ce qui vous amené à réaliser cette
cure ?
|
Circonstances de l'hospitalisation
|
Qui a été à l'initiative de cette
hospitalisation ?
Qui a demandé cette hospitalisation ?
|
Durée du trouble addictif
|
Depuis combien de temps pensez-vous être concerné
par ce problème d'alcool ?
|
Organisation du trouble dans le quotidien
|
Pouvez-vous me décrire votre consommation d'alcool
(durée, fréquence, etc.) ?
|
Théorie personnelle du patient concernant son
trouble
|
Comment avez-vous compris que votre consommation d'alcool est
pathologique ?
Quel est, selon vous, la nature de votre dépendance
(physique, psychologique, etc.) ?
Avec quoi mettez-vous en lien votre consommation
régulière d'alcool ?
|
Antécédents psychiatriques, familiaux,
sociaux, etc.
|
S'agit-il de votre première cure ou tentative de
sevrage ?
D'autres personnes (amis, famille, par exemple) sont-elles
concernées par un problème d'alcool ?
|
Situation actuelle
|
Où en êtes-vous aujourd'hui, dans votre vie
(affective, professionnelle, sociale, médicale, etc.) ?
|
Appréhension du regard d'Autrui
|
Votre entourage est-il informé de votre
hospitalisation ?
Que pensez-vous du regard des autres sur votre
consommation ?
|
Demande et attentes
|
Qu'attendez-vous de cette cure et du suivi qui vous est
proposé ?
|
Recueil d'informations singulières sur les
patients : orientation non-directive
Comme je l'expliquais plus haut, mon objectif est de me
rapprocher tant que possible se peut de la singularité du patient. Pour
cela, il me semble nécessaire d'être au plus proche de la
spontanéité et de l'authenticité de ce dernier. Le climat
de confiance présente alors une importance particulière, d'autant
plus qu'il est le principe fondamental de l'orientation non-directive d'un
entretien clinique.
De cette manière, j'ai été amenée
à réfléchir longuement sur les attitudes étant les
plus favorables à l'introduction de ce climat ; réflexion
orientée par la définition de Abric J.C. (2004, p. 44) :
« Fondamentalement, la non-directivité repose sur
l'instauration d'un climat particulier à quatre dimensions :
acceptation inconditionnelle de l'autre, neutralité bienveillante,
authenticité et empathie ». Devant accueillir le discours
du patient dans sa totalité, je dois accepter de n'émettre aucun
jugement de valeur sur ce que le patient exprime et n'exprime pas. Une
activité d'écoute active est également essentielle pour
témoigner au patient mon intérêt
désintéressé que je lui porte. Le soutien empathique prend
donc ici toute sa valeur puisque mes interventions verbales et non-verbales
permettront de manifester ma présence attentive et active et permettront
également d'amener le patient à enrichir son élaboration
discursive.
3.1.2.2. Apports psychanalytiques dans l'entretien
avec un patient alcoolique
Sensation de paralysie psychique
Comme le souligne Descombey J.P. (2005, pp. 50/59), les
patients communiquent au clinicien l'impression d'une
« stagnation de tout processus psychique, d'immobilisation, de
mort interne, qui passe du discours du patient au ressenti de l'analyste en
perte de vitalité et atteint dans son narcissisme de thérapeute
qui ressent douloureusement une perte de la capacité-même à
associer ». Axée sur le discours du patient, il a
été parfois difficile d'en saisir le sens in vivo. L'attention
flottante n'a pas été une attitude rare de ma part face au
processus alexithymique, ni même le sentiment d'ennui face à des
discours souvent emplis de banalités, d'éléments factuels
semblant dénués de signification et d'affect. Prendre du recul en
me positionnant dans une reprise après-coup de ce qui a
été recueilli est resté la meilleure stratégie pour
que je parvienne à trouver une quelconque signification au
matériel verbal et non-verbal. Garder en conscience que, derrière
cette apparente banalité, se cache un matériel riche pour
accéder à l'organisation psychopathologique du patient, est
resté mon outil principal pour lutter contre ces
phénomènes d'attention flottante et d'ennui.
Acceptation inconditionnelle de l'autre :
les silences
L'orientation non-directive d'un entretien sous-entend que le
clinicien accepte ce que le patient lui dit, mais aussi et surtout, ce qu'il ne
lui dit pas (les silences). Cette tâche n'a pas toujours
été chose aisée puisque certains silences, vides ou
pleins, résonnait souvent, en ma propre personne, sous une forme
négative : impression de vide intense. Sentiment massif d'angoisse,
donc, émanant de ces silences et rendant ces moments potentiellement
mortifères et traducteurs d'une détresse psychique liée
à l'émergence accrue d'angoisses archaïques. Afin de lutter
contre ce transfert diffracté, j'ai chaque fois tenté de prendre
sur moi, en me convainquant moi-même que ces ruptures du processus
discursif constituent un retour introspectif sur soi.
Acceptation inconditionnelle de la maladie
alcoolique : les rechutes
Mes entretiens visant en premier lieu la clinique, mon
objectif se centrait donc sur le soulagement du patient en souffrance et sur
l'amélioration de son état. Or, un sentiment d'impuissance
vis-à-vis de la maladie alcoolique persistait de façon
omniprésente : quelque soit le suivi et les stratégies mises
en place, la rechute était chose presque récurrente. Pour
illustrer au mieux cette difficulté, je citerai Descombey J.P. (2005,
pp. 50/59) : « Il [le thérapeute] souffre d'un
sentiment d'incapacité à aider son patient à être
« plus vivant ». Culpabilité, parfois même, de
ne percevoir aucun progrès, aucun enrichissement dans le contenu des
séances, (...). Au pire, c'est une impression d'impasse : faut-il
vraiment continuer ? ». Faire le deuil de mes attentes (la
guérison du patient et ma capacité à l'y amener) en
acceptant les réalités du trouble addictif.
3.1.3. Réflexion sur l'éthique de la
clinique
3.1.3.1. Ethique et recherche
Il m'apparaît nécessaire de
réfléchir à l'éthique puisque je m'inscris dans la
recherche sur le comportement humain et dans l'exercice professionnel du
psychologue clinicien. En tant que chercheur, il m'a fallu accepter les enjeux
de ma « contribution à l'amélioration de la condition
humaine, individuelle et sociale ». C'est de cette acceptation des
responsabilités que je devais endosser que j'ai veillé à
adopter un comportement éthiquement, moralement et
déontologiquement admis : consentement libre, éclairé
et révocable du patient ; recherche intelligible par le patient et
lui étant utile. En tant que praticienne en milieu clinique,
au-delà de ma fonction thérapeutique, la protection du
patient : le secret professionnel concernant l'intimité des
patients. « Le respect de la personne humaine dans sa dimension
psychique, (...) [est] un droit inaliénable », mais en
même temps, il reste complexe. Ne pas bafouer ce point du code de
déontologie, il me faut en effet veiller au « respect
absolu de l'anonymat » afin qu'aucune identification directe ne
soit possible. Cependant, le secret professionnel que j'ai pu partager avec la
psychologue responsable de mon stage pratique va interférer sur
l'anonymat des cas traités ici dans cette étude.
3.1.3.2. But des entretiens et du recueil de
données
Entretiens cliniques et entretiens de recherche ne me
paraissent pas incompatibles puisque tous deux visent l'instauration d'un cadre
favorable à l'émergence de phénomènes inconscients.
Là où clinique et recherche divergent, c'est dans le traitement
des données : dans un objectif de recherche, l'analyse porte sur
l'entretien clinique. Le recueil de données ne vise en aucun cas la
satisfaction d'une curiosité personnelle sur un point particulier me
concernant ou concernant un proche ni, non plus, de réduire mes patients
à des objets d'étude. Je ma place dans l'objectif d'apporter un
ensemble de connaissances et de produire un savoir
« nouveau » avec un champ d'application (possible et
limité).
3.1.4. Méthodologie du recueil de
données concernant mes hypothèses de recherche
3.1.4.1. Données issues du
patient
Le matériel sur lequel je me suis concentrée est
le suivant :
- Récit d'évènements de vie (but :
anamnèse)
- Ce que le patient dit de sa relation de dépendance
(but : relation d'objet)
- Les bénéfices verbalisés par le patient
concernant sa consommation (but : rôle de l'objet)
- Ce que le patient dit sur son état interne actuel,
passé et futur (but : la nature des angoisses et dynamique
intra-psychique)
3.1.4.2. Données issues des observations de
l'équipe soignante et de mes propres observations
Les observations recueillies auprès de l'équipe
soignante ont souvent été utiles pour orienter mon suivi. En
fonction du dossier de suivi infirmier, psychiatrique et médical au sens
large, j'ai pu trouver quelques pistes pour orienter mon appréhension du
cas. Cependant, je préférais garder du recul par rapport à
ces données, sachant que le point de vue subjectif et les
réactions contre-transférentielles de chacun les
déterminent beaucoup.
Ainsi, je ne garde ces éléments qu'à but
informatif sur l'évolution du patient entre deux entretiens. Mes
observations directes portent sur ce que le patient exprime et n'exprime
pas : pourquoi, comment et dans quel but parle-t-il de cette chose en
particulier ? Je reste également attentive à
l'émergence des résistances durant les rencontres car elles
constituent, selon moi, un matériel riche vis-à-vis de la nature
des angoisses et des processus psycho-dynamiques en jeu. Portant mon regard
clinique sur la problématique du vide et sur les angoisses liées
aux menaces narcissiques, je cherche à repérer les
éléments suivants :
- L'alcool en tant que substitut d'un objet absent
- La relation entretenue entre le patient et l'alcool en tant
que possible reproduction d'un lien primordial rompu
- L'alcool en tant qu'objet de réparation
narcissique
- La faille narcissique et le conflit topique à la
source de l'angoisse
3.1.5. Biais méthodologiques
Absence de recueil in vivo des
données
La psychologue référente de ma pratique
clinique n'a autorisé ni prise de notes ni enregistrement vocal des
entretiens, ce qui aurait pu facilité la retranscription exacte des
données. L'absence de ces outils a joué favorablement dans la
relation thérapeutique en elle-même, le climat de confiance ayant
pu être protégé de cette façon. Cependant, elle a
rendu la retranscription difficile car j'ai été contrainte
à faire appel à ma mémoire à court et moyen termes.
La restitution du matériel comporte donc certaines lacunes, oublis
d'éléments renforcés par la sélection inconsciente
des données durant le face à face.
Biais clinique de la recherche
Au fur et à mesure que se formulaient ma
problématique et mes hypothèses, j'ai été
confrontée au biais clinique de la recherche. J'ai conscience que mes
observations directes et leur restitution sont orientées inconsciemment
dans la direction de ma recherche. De plus, la problématique du vide
comblé par l'alcool et l'apparition du trouble addictif chaque fois
qu'il y a menace narcissique, restent deux axes-clé autour desquels le
clinicien travaille déjà en entretien classique avec le patient
alcoolique.
3.2. METHODOLOGIE DU TRAITEMENT DES
DONNEES
3.2.1. Mise en forme sous trois colonnes
Il va de soi que le traitement des données recueillies
dépend de ma manière de retranscrire ce que les patients ont
exprimé durant les entretiens et ce qui s'est joué dans la
relation intersubjective. Pour parvenir à produire des
éléments intelligibles, il est nécessaire de se baser sur
des faits bruts. J'utilise la technique de prise de notes proposée par
Gimenez G., technique consistant à répartir les données en
trois catégories : éléments verbaux et non-verbaux,
réactions contre-transférentielles et hypothèses. J'ai
pris l'initiative d'ajouter une quatrième colonne : les
thématiques du discours. Quant à la relation intersubjective, je
pense que mes retranscriptions d'entretiens en diront beaucoup par
elles-mêmes. Ma prise de notes se réalisant dans
l'après-coup, elle est donc modulée en fonction de mes
sélections mnésiques et inconscientes.
Colonne 1 : matériel verbal /
non-verbal
Les données verbales rassemblent les dires des
patients, et les données non-verbales, les actes, les mimiques, les
gestes, etc., de ces derniers. La mise en lien de ces deux types de
matériel clinique permet de rendre compte de ce qui est observable, dans
son ensemble, à un moment donné d'un entretien. Recueil du
discours du patient dans sa totalité, donc, mais également du
mien pour mettre en relief la dynamique de la rencontre intersubjective.
Colonne 2 : Réactions
contre-transférentielles
La question du contre-transfert se pose dès lors que
l'on parle d'entretien, qu'il soit clinique ou autre. Les réactions
contre-transférentielles désignent les émotions,
l'angoisse, les questionnements, etc., qui envahissent le clinicien durant son
entretien avec un patient. Mes réactions sont retranscrites sous la
forme la plus spontanée et authentique que possible afin de rendre
compte de ce que j'ai pu renvoyer à certains patients à un moment
donné d'une rencontre, et ce qui a déterminé mon rapport
à ceux-ci.
Colonne 3 :
hypothèses
Ici, il s'agit de problématiser ce qui émane
des données recueillies et de mon ressenti par rapport à
celles-ci. Cette colonne porte donc sur la mise en hypothèse
d'éléments psychopathologiques, de processus psychiques et de
sémiologie observable in vivo via mes observations ou celles de
l'équipe soignante.
3.2.2. Procédure de dépouillement :
le repérage psychopathologique à travers...
3.2.2.1. L'analyse thématique du
discours
« L'analyse thématique est avant tout
descriptive et peut-être associée à d'autres modes de
dépouillement. Elle correspond à une complexification de la
question simple : de quoi parle le sujet ? »
(Pédinielli J.L., 2005, p. 115). Suite au découpage du
matériel verbal / non-verbal en thèmes, je procède par une
analyse des relations qu'ils entretiennent entre eux. Cette démarche me
permet de mettre en lien la signification de ces données avec mes
hypothèses de travail : la hantise du manque et le substitut ;
la menace narcissique et le recours à l'alcool comme moyen
défensif contre celle-ci.
3.2.2.2. L'anamnèse du patient et ses
résistances actuelles
« L'anamnèse (...) permet le recueil des
informations sur l'existence antérieure du patient »
(Pédinielli J.L. & Fernandez L., 2005, p. 85). Ces données
sont utiles pour obtenir une vue d'ensemble sur le cas mais également
pour voir dans quelle mesure la situation actuelle du patient est ou non en
lien avec certaines périodes de sa vie. De plus, en fonction de ce qu'il
rapporte sur ses évènements de vie et sur la manière dont
il pense les avoir vécu, les mécanismes défensifs
observables et les thématiques récurrentes du discours
émergeant en entretien peuvent prendre sens grâce aux
données anamnéstiques. Ce matériel est recueilli tant in
vivo durant les rencontres que par les dossiers de suivi des patients, que par
les données rapportées par l'équipe soignante à ce
sujet.
3.2.2.3. Transfert et
contre-transfert
« Toute relation repose sur l'attribution
à l'autre d'éléments de ce que l'on est, de ce que l'on a
été, de ce que l'on voudrait être (et ne pas être)...
mais aussi des propriétés, d'attributs qui peuvent
refléter quelque chose du sujet » (Pédinielli J.L.
& Fernandez L., 2005, p. 114). Il semble que l'entretien clinique prenne sa
signification dans l'étude de ce que le patient déplace vers le
thérapeute et vice versa. Ce matériel est riche en informations
concernant la nature des relations d'objet entretenue par le patient avec son
environnement et également concernant l'usage qu'il fait du monde
extérieur pour lutter contre certaines de ses angoisses.
CHAPITRE 4 : MISE A L'EPREUVE DES HYPOTHESES
4.1. CRITERES DE MISE A L'EPREUVE
La méthode de traitement étant
explicitée, il faut maintenant que je propose des critères qui se
retrouveront ou non dans le produit du traitement des données,
essentiels pour la mise à l'épreuve des hypothèses. J'ai
choisi des critères permettant de repérer les mécanismes
et processus en jeu dans mes hypothèses. Il faut par la suite observer
leur présence ou leur absence dans le produit du traitement des
données pour valiser ou invalider mes hypothèses. Je ne
m'attacherai pas au nombre de critère mais bien plus à la
qualité validante ou invalidante du critère.
4.1.1. Hypothèse 1
L'alcoolique est dans l'incapacité
d'élaborer la perte d'un objet car celle-ci vient créer une
frustration insupportable.
Deux niveaux de repérage me paraissent pertinents
pour la mise à l'épreuve de cette hypothèse : la
tolérance à la frustration (critère 1) et la
capacité de deuil et de séparation (critère 2). Le premier
critère permet de voir dans quelle mesure le patient est capable de
tolérer une frustration (manque, jugement d'autrui, changement).
L'analyse des mécanismes défensifs sera donc utile pour analyser
l'agencement de la structure défensive vis-à-vis de cette
frustration. Le second critère permet d'apprécier la
capacité à élaborer la perte et la solitude. Mon regard se
portera également sur les émotions ravivées lors de
l'évocation des souvenirs liés à la problématique
de la perte et de la solitude.
4.1.2. Hypothèse 2
L'alcoolique cherche à dénier la
réalité d'une perte pour se protéger d'une angoisse de
castration phallique.
Deux niveaux de repérage peuvent permettre la mise
à l'épreuve de cette hypothèse : l'angoisse de
castration phallique (critère 3) et le déni partiel
(critère 4). Le critère 3 sera essentiellement axé sur
l'analyse de l'OEdipe et des problématiques qui y sont liées.
Ainsi, mon regard se portera sur le dépassement ou non, la
résolution ou non, etc., de la problématique oedipienne et ses
répercussions sur l'état actuel du patient. Le critère 4
va consister au repérage des bénéfices et pertes
apportés par l'alcool au patient.
4.2. PRESENTATION DES PATIENTS
4.2.1. Mr B
Mr B, âgé de 42 ans, est adressé au
service par son médecin généraliste. Il s'agit de sa
première cure de sevrage alcoolique en milieu psychiatrique et
hospitalier. Le patient semble en bonne santé. Cependant des examens
médicaux approfondis révèlent l'existence de nombreuses
fractures à la face causées par un grave accident de la route,
dont il parle très peu. De plus, la Psychologue stagiaire du service met
en évidence des troubles cognitifs, au vu des scores obtenus par le
patient au test du T.M.T. : mémorisation à court terme et
reconnaissance de lettres familières défaillantes.
L'hypothèse d'une lésion cérébrale est dès
lors posée par l'équipe soignante.
Mr B est maçon de profession depuis son arrivée
en France (1989). D'origine Algérienne, il a longtemps vécu dans
le Maghreb, où réside encore actuellement sa famille (parents et
fratrie de six enfants dont il est l'aîné). Le climat familial est
décrit comme perturbé par des violences conjugales au sein du
couple parental. Le patient parle également de l'assassinat de son
oncle, lorsqu'il était enfant, suite à l'enlèvement de ce
dernier.
A sa majorité, Mr B réalise son service
militaire dans le Maghreb, période de deux ans et six mois durant
laquelle il découvrait les effets psychotropes et renarcissisants de
l'alcool. Le patient décrit son trouble addictif comme étant un
alcoolisme d'entraînement (contexte festif des week-ends). Cependant, il
est noté dans son dossier d'entrée que son trouble addictif
alcoolique serait apparu peu de temps après son arrivée en France
(1993) : le patient aurait éprouvé des difficultés
pour trouver un emploi et pour assumer l'éloignement familial. Ce point
n'est pas abordé par le patient durant nos rencontres, tout comme son
épisode dépressif majeur persistant durant deux ans (2002/2004)
en réponse au conflit familial autour de son homosexualité
notoire (pacsé durant dix ans).
Suite à une vaine tentative d'abstinence
(février 2006), le patient a rechuté depuis quinze jours (fin
mars 2006). Les derniers épisodes d'alcoolisation sont décrits
comme aigus et accompagnés de troubles du comportement (passages
à l'acte auto et hétéro agressifs). Cette
agressivité inquiète le patient, certainement car il craint de ne
ressembler à son propre père, lui-même alcoolique et
violent.
Mr B veut retrouver une vie normale, c'est-à-dire un
quotidien sans alcoolisation afin de mener à bien ses projets. En effet,
le patient projette de construire sa propre famille, et c'est pourquoi
aujourd'hui il est investi dans une relation hétérosexuelle.
Malgré le fait que le patient s'estime parfaitement
guéri au bout de quinze jours de sevrage, il demande une prolongation de
cure, au total, huit semaines. C'est ainsi que le patient semble peu à
peu avoir pris conscience des réalités de la maladie alcoolique.
Malgré cette démarche, le patient estime que le suivi
psychologique ne lui est plus nécessaire (trois entretiens au final).
4.2.2. Mme E
Mme E, âgée de 60 ans, est adressée par
son médecin généraliste. Elle présente un trouble
addictif alcoolique persistant depuis 19 ans (1987). Mariée, elle est
mère de trois garçons (40 ans, 35 ans et 26 ans). Le
deuxième fils est jugée par elle alcoolique, addiction à
laquelle nous pourrions ajouter la toxicomanie (tabac et cannabis).
Infirmière retraitée, elle s'occupe de sa mère adoptive,
invalidée d'une neuropathie des membres inférieurs.
La patiente a été adoptée à
l'âge de 18 mois. Ses parents adoptifs sont décrits comme
étant « de la vieille école ». Ainsi, son
éducation aurait été marquée par le tabou de la
sexualité, rendant ainsi l'accès à sa propre
féminité difficile. Le père adoptif est jugé par la
patiente « grand maniaque » et la mère adoptive
« grande rangée ». Mariée à 18 ans sur
la volonté de ses parents adoptifs à un homme plus
âgé (son mari actuel), le climat conjugal se serait rapidement
dégradé. En effet, les relations extra-conjugales distanciaient
peu à peu le couple.
Mme E a entretenu une relation extra conjugale durant dix ans
(1987/1997)avec un homme présentant un trouble alcoolique,
décédé en 1997 d'un cancer de l'oesophage. La patiente
parle peu, voire pas, de cet amant durant les entretiens. Pourtant ce dernier
est présenté par elle à son arrivée comme
étant le déclencheur de son alcoolisme actuel. Elle pensait que
l'abandon dont elle a été victime enfant pouvait expliquer son
trouble actuel, mais elle dit avoir repris contact avec sa mère
biologique (2003) ; retrouvailles n'ayant pas influencé sa
consommation chronique d'alcool. La patiente n'a connu sa mère
biologique que durant trois mois, cette dernière étant
décédée d'un cancer du pancréas. La
problématique de la perte semble être au coeur des
préoccupations de la patiente, celle-ci ne buvant de façon
compulsive que lorsqu'elle se retrouve seule à son domicile. En public,
elle ne ressent ni le besoin ni même l'envie de s'alcooliser.
Mme E a tenté une première cure de sevrage
alcoolique (2002), démarche accompagnée d'un échec dans sa
capacité d'abstinence sur court et long terme. Depuis cette
hospitalisation, elle est suivie régulièrement au C.C.A.A. par un
Psychiatre et une Psychologue. Ce suivi est jugé comme
bénéfique pour elle : elle serait parvenue à soigner
ses tendances à l'achat compulsif et ses troubles obsessionnels
(collectionnisme, planification anxieuse des tâches quotidiennes, prise
de note systématique des évènements passés et
à venir, etc.).
La patiente cherche à comprendre ce qui la pousse
à boire. Elle est en effet incapable de verbaliser les effets
recherchés chez le produit ni même ce qui la motive à
s'alcooliser. Au fur et à mesure des entretiens (au total, trois), elle
parvient à prendre conscience de la souffrance émanant de son
trouble addictif. Il semble que son instance surmoïque s'affirmait
davantage vis-à-vis du toxique. Malgré cela, les envies de boire
continuaient à émerger sous une forme latente et
incontrôlée (les rêves). Mme E avoue être encore
fragile face à l'alcool, mais cela ne la motive pas à demander un
prolongement de cure. Je l'oriente vers la poursuite de ces démarches
entamées avec le C.C.A.A. depuis 2002 pour son suivi post-cure.
4.2. TABLEAU RECAPITULATIF : CORRESPONDANCES
ENTRE LES HYPOTHESES ET LES PATIENTS
|
Hypothèse 1
|
Hypothèse 2
|
|
Critère 1 : Intolérance de la
frustration
|
Critère 2 : Incapacité de deuil
et de séparation
|
Critère 3 : L'angoisse de castration
narcissique
|
Critère 4 : Le déni
partiel
|
Mr B
|
Incomplétude narcissique
|
Boire pour oublier
|
L'injustice masculine
|
L'agressivité
|
Mme E
|
Perte de contrôle et d'emprise
|
Boire pour oublier
|
L'enfant du père
|
La réalisation de l'interdit de l'inceste
|
4.3. MISE A L'EPREUVE DE L'HYPOTHESE 1
4.3.1. Rappel de l'hypothèse 1
L'alcoolique poursuivrait le même but que le
fétichiste : lutter contre une menace de castration narcissique en
déniant partiellement la réalité.
4.3.2. Mise à l'épreuve de
l'hypothèse 1
4.3.2.1. Critère 1 : la
tolérance de la frustration
- La tolérance du manque
Mr B
Le manque d'alcool est présenté par le patient
comme étant supportable. Cependant, cette tolérance de la
frustration liée au sevrage semble être le résultat d'une
dénégation : le patient semble se défendre contre
cette envie consciente de boire et contre cette frustration liée au
sevrage en se refusant de l'admettre.
Entretien n°3 : -Avez-vous ressenti des
difficultés par rapport à l'alcool ? -Non, non.
Rien. (Je laisse un silence s'installer). -Vous est-il arrivé
d'y repenser ? -Non, pas du tout. -La nuit, dans vos
rêves, ou la journée ? -Non, rien. C'est
fini.
|
Cette dénégation échoue, et se confirme
par cet échec, lorsque le patient verbalise à demi-mots son
sentiment de fragilité vis-à-vis du désir de boire.
Entretien n°2 : -Je veux prolonger
ma cure. Pour être sûr que ça
marche. -Vous n'en êtes pas sûr ? -Ba un mois... c'est
court, j'aimerai un mois de plus ! (...) -Oui,
même 10 ans après, y en a qui rechutent !
|
La question de cette prolongation a fait l'objet
d'hésitation de la part du patient, voir d'ambivalence affective. En
effet, au deuxième entretien, la patient verbalise son désir de
prolonger la cure et au troisième, il recule face à cette
décision. Il me semble que cela a varié en fonction de son
sentiment de consistance narcissique.
Mme E
La consommation d'alcool est en elle-même source de
frustration car elle est présentée comme
incontrôlable : la patiente se décrit comme étant
victime de son propre corps (les impulsions), ce qui n'accommode que
très peu sa tendance à vouloir exercer une emprise sur les
évènements ou objets environnants.
Entretien n°2 : Oh ! Ba comme
d'habitude. Toujours le même
problème : je ne comprends pas pourquoi je bois. (...) Il
y a des moments où je m'arrête pour aller de
boire. Comme ça, sans raison, sans rien. (...)
Une impulsion, c'est comme ça. (...)
En plus, j'aime pas ne pas comprendre (...) Voyez, je suis
toujours en train de tout noter ! (elle me montre son
cahier de textes).
|
Cependant, l'aspect incontrôlable de sa consommation est
le résultat d'un échec de refoulement, duquel elle doit
certainement avoir conscience car elle a tendance à isoler ses
représentations (boire) de leurs affects (amour, envie, ... de boire)
car ce lien entre eux ne peut-être supportable pour elle. Durant le
premier entretien, elle verbalise sa quête masochiste via son trouble
addictif.
Entretien n°1 : « Je ne
comprends pas pourquoi je bois. C'est un vrai
problème pour moi, ça me cause un souci, un
réel souci (elle hoche de la tête pour affirmer
le caractère « réel » de ce souci). -Pourquoi
cela vous pose autant souci ? -Ba parce que je ne comprends pas. -Quelles
bénéfices trouvez-vous dans l'alcool ? -Mais aucun
justement ! Je sais que je ne fais que me détruire
(silence plein). Vous voyez, je ne vais qu'à ma
perte avec l'alcool ?! »
Conserver ce lien entre son désir masochiste de boire
et l'acte de boire constitue donc une connexion associative menaçante
pour sa structure psychique. Ainsi, elle isole la représentation de son
affect pour protéger son Moi d'une angoisse insupportable.
Entretien n°2 : Oh ! Ba comme
d'habitude. Toujours le même
problème : je ne comprends pas pourquoi je bois. (...) Une
impulsion, c'est comme ça. (...)
|
De cette façon, elle serait en mesure de se
déculpabiliser de cette tendance à l'automutilation en renversant
et en retournant contre elle cette pulsion mortifère : ce n'est
plus elle-même qui veut se mutiler, mais le produit qui vient la
détruire malgré elle. D'une position active (sujet), elle se
positionne dans une place passive (objet).
Entretien n°2 : Mais
l'alcool, ça reste un mystère !
-Je pense qu'il est nécessaire que vous fassiez un travail sur
vous-même pour parvenir à comprendre votre dépendance. Les
causes ne sont pas l'objet de notre travail. -Oui, mais je ne comprends
pas... C'est pas ma faute, c'est plus fort
que moi : c'est impulsif !
|
Ce renversement lui permet de rendre plus supportable sa
consommation puisqu'elle écarte de sa conscience sa tendance
autodestructrice. Cette stratégie défensive contamine tous les
domaines de sa vie, plus précisément sa vie affective. Face aux
infidélités du mari, elle se pose en tant qu'objet, en tant que
victime passive : ce n'est pas elle qui aurait pu amener le mari à
ces infidélités, mais c'est l'état psychologique de ce
dernier (ce qui la place ainsi dans une position passive).
-Ba, comme je vous l'ai dit, « Mr
E » a eu une autre vie à côté.
Il faisait sa vie et quand j'ai compris, moi aussi j'ai fait
ma vie. -Comment avez-vous réagi face à ses
infidélités ? -J'ai été
blessée. Oui. Très
blessée. Parce que je ne comprends pas pourquoi il a
fait ça, je comprends pas pourquoi. -Vous êtes vous sentie
coupable de ses infidélités ? -Non. Parce
que c'est lui, il est complètement
« schizo », vous
savez...
|
Toute frustration qu'elle ne peut contrôler (donc de
laquelle elle n'est pas à l'initiative) l'amène à
renverser et à retourner la pulsion contre elle-même, de
façon à se protéger d'une menace narcissique.
De plus, comme je l'expliquais plus haut concernant sa
tendance à isoler la représentation de son affect, le refoulement
reste échoué. L'échec du refoulé est
également source de frustration, donc, puisque la représentation
boire reste à la conscience et l'affect mis à l'écart
menace toujours de ré-émerger. Cela a été le cas
durant son hospitalisation : le refoulé est revenu de plus belle,
tyrannisant ainsi la structure de son Moi.
Entretien n°3 : Mais
c'est vrai que j'ai fait des rêves où je buvais.
C'était horrible ! -Ah ? Racontez-moi. -Et
bien hier soir, par exemple, j'ai rêvé que j'étais
chez moi, en bas. Je
buvais. Je voulais boire. Et je
culpabilisais, je me suis rendu compte que ce n'était
pas bien. -Ah, c'est intéressant... Et que
concluez-vous sur ce rêve ? -Que boire c'est mal et
que je ne dois plus boire. C'est pas bien.
|
L'échec du refoulé crée une frustration
interne intense. Le conflit intra psychique se réactive : le
Ça vient s'élever devant les exigences du Moi. Le Surmoi, trop
faible, laisse le Ça se satisfaire, mais non sans culpabilité.
- La tolérance du
changement
Mr B
La tolérance du changement semble bonne puisque le
patient ne m'a pas paru être affecté par les aléas
institutionnels du cadre.
Entretien n°3 : On marche en direction de
sa chambre. J'entame le dialogue une seconde fois : -Désolée
pour le retard. On devait se voir à 10h30 mais la réunion a
duré plus longtemps que prévu (il me sourit, comme pour
me dire que « ce n'est pas grave ») (Il
s'arrête devant le bureau de l'infirmerie). -Non, nous
allons faire l'entretien dans votre chambre aujourd'hui. Les infirmiers ont
besoin du bureau. -Ah, oui. D'accord.
|
Mme E
La patiente éprouve des difficultés à
tolérer les changements institutionnels (les imprévus) car sa
structure obsessionnelle ne supporte pas la perte de contrôle sur son
environnement.
Entretien n°3 : D'ailleurs les groupes de
parole, on parle toujours de la même chose ! Et
puis y'en a pas beaucoup, pas
régulièrement ! -Comment ça ? Il y a un
groupe de parole tous les jours ? -Oui, normalement, mais
regardez (elle me montre son cahier de textes). J'ai
tout noté. Et on en a eu que très peu
des groupes de parole. Alors une fois c'est parce que
l'infirmier peut pas ou a pas le droit, une fois, je sais pas
quoi !
|
Cette intolérance du changement est surtout liée
au fait que la position désirante est vécue comme insupportable,
d'autant plus lorsqu'elle ne peut obtenir satisfaction.
Entretien n°3 : -Oui, mais c'est qu'on
attend, vous voyez ! Et que jamais on est
prévenu ! Toujours au dernier moment.
(...) Et on attend pendant au moins 10 minutes ou
¼ d'heure ! C'est fatiguant,
non ?...(J'acquiesce). Alors voilà, on
nous laisse comme ça pendant 10 minutes, ¼ d'heure, attendre,
attendre. Alors, quand on nous a dit qu'il y avait pas de
groupe de parole, l'autre fois, ça m'a
énervée. Et je ne me suis pas
manquée de le dire ! Haut et
fort !
Son comportement est totalement différent lorsqu'elle
est à l'initiative du changement : réorganiser son quotidien
selon ses propres attentes narcissiques ne créent pas de frustration.
Entretien n°4 : J'ai décidé
de réfléchir à mon prochain
emploi du temps. Je veux, en fait, réorganiser
mes journées. Le matin, au lieu de prendre mon
café chez ma mère, je le prendrai chez
moi. Et je lirai mon journal chez moi...
|
- La tolérance du jugement
d'autrui
L'avis objectif apporté par autrui vient souvent se
poser en contradiction avec l'avis subjectif, ce qui le rend dès lors,
selon moi, source de frustration. C'est pour cela que j'inclus ici les
capacités du patient à les tolérer ou non.
Mr B
Dans le dossier de suivi du patient, le dernier épisode
d'alcoolisation aiguë est mis en lien avec les discordes familiales autour
de son homosexualité. Cela vient donc témoigner d'une faible
tolérance du jugement d'autrui puisqu'il semble être vecteur d'une
frustration interne (angoisse) que l'alcool viendrait résoudre en
l'atténuant. Cette sensibilité au regard de
l'altérité l'amène à réorienter le but
interdit (l'homosexualité) vers un nouveau but davantage
tolérable pour les autres et pour le Soi
(l'hétérosexualité). Ce qui ressemble ici à un
mécanisme de sublimation n'est en fait qu'une formation
réactionnelle et qu'une inhibition quant au but sexuel d'origine car
l'objet de son désir homosexuel et, le désir lui-même,
paraissent rester conservés malgré son contre-investissement.
Entretien n°2 : -Mes amis,
autour de moi, ils ont une vie de famille. Des femmes, des enfants. Une maison,
et tout quoi ! Moi aussi, je veux regarder devant :
une femme, des enfants, une vie normale... (Silence
vide). -Et cela n'aurait pas été possible avec un
homme ? -Non, non. (Silence vide). Non,
je pense pas. (Silence plein)
|
D'un point de vue contre-transférentiel, ce silence
plein m'est apparu comme étant le témoin de la persistance de ce
désir homosexuel. Il m'a semblé vouloir brimer ce désir et
cette attirance pour satisfaire le point de vue collectif sur la question de la
normalité sexuelle. Je montrerai en quoi (critère 2) cette
démarche peut être mise en lien avec une angoisse de perte
d'objet.
Mme E
La patiente reste très sensible au regard d'autrui
puisqu'elle est affectée dans son propre narcissisme lorsque
l'altérité lui émet son avis concernant sa personne.
Entretien n°4 : Et un patient, un
monsieur, m'a dit que j'étais une
« rabat-joie » ! Et que je
n'étais jamais contente !...Alors, vous
voyez ? (...) -Qu'avez-vous ressenti lorsque ce patient vous a fait ce
reproche ? -Ba j'ai été déçue
de voir, non, énervée, de voir qu'il dise
ça de moi. Parce que c'est pas vrai. Moi, je
suis généreuse et agréable...
|
Elle semble en quête d'affirmation narcissique (image
positive d'elle-même) dans une sorte de jeu de séduction mais
surtout dans un certain don de l'échange ; ce qui témoigne
de sa régression (fixation) libidinal au stade anal : le don est
là pour faire valoir son narcissisme.
Entretien n°4 : Et je suis
généreuse aujourd'hui ! Je rends service à
TOUT le monde ! (Silence vide, elle fouille dans un
tiroir) Tenez, un chocolat ! -Non merci. -Mais
si, prenez, c'est pour Pâques ! -Merci (je le mange).
-Tenez, j'ai un bonbon aussi... -Vous êtes gentille.
Vous tenez à me prouver votre générosité ?
-Oui, vous voyez ? Bon, généreuse mais pas
concernant l'argent !!
|
La consommation d'alcool solitaire m'a semblé
être en lien avec le fait que boire en société reviendrait
à ternir son image sociale. En effet, la patiente, attachée
à son narcissisme, redouterait que son image sociale soit
souillée par le tabou social concernant l'alcoolique. C'est pourquoi
seul le mari est informé de son trouble, le reste de l'entourage
n'étant qu'implicitement informé. Cela pourrait expliquer sa
tendance voyeuriste : parce qu'elle n'ose exhiber cette vraie part de son
identité (celle de l'alcoolique), elle inverse la pulsion en regardant
l'entourage social boire.
Entretien n°3 : Vous savez, j'ai
remarqué, sur les tables, les gens
boivent ou du vin ou de l'eau, c'est
drôle vous avouerez...-Vous me semblez observatrice... -Oui,
beaucoup ! Mais bon, ça les regarde,
hein ?... (Je ne réagis pas). -Moi, je ne fais
qu'observer. C'est tout...
|
4.3.2.2. Critère 2 : La
capacité de deuil et de séparation
- La capacité à élaborer la
perte
Mr B
La capacité à élaborer la perte d'un
objet est verbalisée comme laborieuse et est mise en lien avec une
identification primaire à celui-ci. Son comportement auto-agressif est
justifié par cette difficulté à réaliser le deuil
de l'objet perdu.
Entretien n°1 : [25] -Et
vous est-il arrivé de vous faire du mal à vous même ?
-Oui. (Silence plein). Intentionnellement oui. ...
[26] ...Mais c'est parce que je n'arrive pas
à faire le deuil de certaines choses.
[27] (...) -Ba, en fait, c'est la mort de mon
oncle... [28] On était
très proche, presque le même âge.
(J'acquiesce)...
|
Le choix homosexuel de l'objet et ses tendances suicidaires
peuvent, peut-être, s'expliquer par une certaine identification à
l'objet perdu, comme si le patient voulait, de façon plus ou moins
latente, répéter ce que l'objet investi à vécu
avant son décès.
[29] ...Et quand il était
petit, il s'est fait enlever par des
hommes. Ils lui ont fait vivre plein de choses affreuses, des
sévices sexuels, physiques. Et ils l'ont
assassiné.
|
Plus loin, je montrerai (critère 4) en quoi cet
événement pourrait avoir alimenté la problématique
de la castration dans laquelle le patient semble être ancré.
- L'évocation des souvenirs :
émergence d'une émotion vive et intense
Lorsque le patient évoque les souvenirs
qualifiés par lui-même douloureux, le discours est rompu par des
silences pleins et l'émergence d'émotions intenses et vives. D'un
point de vue contre-transférentiel, cela m'est apparu comme étant
le résultat d'une difficile élaboration des souffrances et
conflits passés, comme si le patient n'avait pu trouver un moyen pour
les élaborer et les rendre plus supportables pour son Moi.
A propos du décès de son oncle :
Entretien n°1 : [29] ...Et
quand il était petit, il s'est fait
enlever par des hommes. Ils lui ont fait
vivre plein de choses affreuses, des sévices sexuels,
physiques. Et ils l'ont assassiné.
[30] -Oui, effectivement, ce n'est pas évident à
vivre, ce genre de choses. -Oui... Surtout que c'est
pas comme si il avait eu quelque chose ou... (Silence plein et
larmes aux yeux).
|
A propos de l'armée :
Entretien n°1 : -Quel rôle a
joué l'alcool à ce moment là ?
-Oublier, à oublier,
...l'injustice...(Silence plein. Larmes aux
yeux).
A propos des problèmes conjugaux présents dans
le couple parental :
Entretien n°2 : -Ca a du être
marquant. -Oui... Traumatisant même (il
se replace sur sa chaise, comme s'il était mal assis). Un vrai
traumatisme ! (Silence plein, larmes aux yeux)
Mme E
La patiente n'aborde que très peu la question de la
perte d'objet. Lorsqu'elle évoque le décès de sa
mère biologique, elle minimalise la souffrance que cet
événement aurait pu susciter en elle et elle tend à la
banaliser, c'est-à-dire, une fois de plus à la
désaffectiser.
-Vous l'avez rencontré ? -Oui, en 2003. Mais
pas longtemps, elle est décédée 3 mois après
d'un cancer du pancréas la pauvre...-Vous avez
été attristé par ce décès ?
-Oh... c'était mieux pour elle ! Vous
savez, elle souffrait...
|
Dans le dossier de suivi de la patiente, le début de
son alcoolisme est dit « d'entraînement » : son
amant, lui-même alcoolique et décédé des
complications médicales engendrées par son addiction, lui aurait
fait rencontrer l'alcool. Cependant, la patiente ne me parle pas de cet amant
investi pourtant durant dix ans (jusqu'au décès de ce
dernier).
-Et vous avez commencé dans un contexte particulier ?
-Un ami...-Que vous fréquentez toujours ? -Non,
non. On ne se fréquente plus. (silence vide)
|
Au vu de l'aménagement défensif de la patiente
concernant le thème de la perte, je peux émettre
l'hypothèse que la perte n'a pu être élaborée de
façon satisfaisante. La banalisation et l'évitement de ce qui
touche à ce thème viennent témoigner que cette
représentation et cet affect sont peu supportables pour elle. La
fonction paternelle n'a jamais été abordée, voire
très peu. Le seul matériel qu'elle me fournit est l'absence de
cette fonction réelle du père, mais celle-ci est remplacée
par le mari de fonction symbolique (point que je développerai plus bas,
cf. critère 3).
- La capacité à élaborer la
solitude
Mr B
Le cercle amical occupe une place importante dans le quotidien
du patient, ce qui vient mettre en exergue son besoin d'être
entouré. Les épisodes d'alcoolisation peuvent se faire dans un
contexte solitaire, mais il préfère cependant lorsqu'ils ont lieu
dans un contexte festif.
Entretien n°1 : Et lorsque vous ne sortez
pas en soirées, que se passe-t-il ? -Je bois chez
moi ou je rejoins les amis : les cafés,
les bars ou les repas,... tout ça. (Silence plein)...
Autrui reste souvent une base sur laquelle il va pouvoir se
comparer pour trouver son identité propre et son amour de soi propre. En
effet, le Moi semble parvenir à se maintenir consistant que lorsqu'il
s'appuie sur l'altérité : relation anaclitique à
l'objet, donc.
A propos de son alcoolisme :
Entretien n°1 : [5] -Vos
amis boivent aussi ? -Oui, mais eux ils savent se
contrôler. Ils boivent quelques verres. [6] -Et
vous ? -Moi... Moi c'est différent : je bois un verre,
je m'arrête plus après !
|
A propos du service militaire :
Entretien n°1 : -Comme lorsque vous ne
buvez pas ? -Oui. Mais pire ! (Silence
plein. Larmes aux yeux). Vous savez, c'est un vrai
traumatisme ! Y en a qui s'en sont pas sortis, y en a qui
sont devenus fous ! -Et vous ? -Moi, j'ai essayé de tenir le
coup avec l'alcool. Ca aura été dur. Mais j'ai
tenu le coup. (Il sourit).
|
A propos de son sevrage alcoolique et de ses motivations
à l'abstinence :
Entretien n°2 : Mais en même temps,
j'avais pas envie. Je n'ai pas envie. Quand je vois les autres
ici, des loques ! (Silence vide). Enfin... ils sont vraiment
très mal. Moi, ça va, physiquement et
tout !... Moralement...Je suis bien.
Le patient verbalise son angoisse de perte et/ou de
séparation à l'objet. Le conflit avec un objet fortement investi
affectivement semble être source de malaise interne, puisque la
résolution semble devoir se réaliser rapidement. Une fois
résolu, l'angoisse liée disparaît, comme de façon un
peu magique.
A propos de l'angoisse de séparation (ou du moins sa
crainte) :
Entretien n°1 : -Retrouver une vie
normale. -Normale ? -Oui, sans alcool.
Sans agressivité. Etre normal. Mes amis, ma copine, je
veux pas les perdre. Je me suis
disputé avec elle, je veux plus tout
ça !
A propos de l'angoisse provoquée par le
conflit :
Entretien n°2 : -Et votre vie
affective ? Vous me parliez d'une dispute la dernière fois ?
-Oh, ba ça y est... C'est arrangé ! C'est
résolu. -Que ressentiez-vous face à cette
dispute ? -Je me sentais coupable (silence vide).
|
A propos de l'atténuation
« magique » de l'angoisse une fois le conflit
résolu :
Entretien n°2 : -Et cette
culpabilité aujourd'hui ? -Je me sents plus coupable. C'est
résolu. C'est fini.
Mes observations m'ont amenée à voir combien le
patient a changé de comportement et d'estime de soi dès lors
qu'il est parvenu à tisser des liens avec les autres patients du
service. En effet, le patient adoptait un comportement plus extraverti et
dynamique. Un sentiment de tout-puissance a émergé dès
lors, venant confirmer le besoin anaclitique de la relation entretenue avec les
objets. Lui-même verbalise l'effet positif de cette relation à
l'autre sur son humeur et sur sa capacité à lutter contre le
manque d'alcool.
Entretien n°2 : -Super
bien. Plus envie de boire. Une vraie
leçon de vie. Avec les autres,
ça se passe très bien. (Silence vide, j'acquiesce). Au
départ, c'est difficile. Je connaissais personne, je restais en
retrait. Puis là, je sors avec les autres en ballade,
je discute avec eux. On rigole bien.
D'un point de vue contre-transférentielle, je me suis
surprise à le renarcissiser (entretien 1), pensant le soutenir à
travers cette stratégie. Cependant, avec du recul, je me rends compte
que j'ai répondu à une de ses attentes narcissiques, ne l'amenant
pas à élaborer les angoisses et conflits intra-psychiques
sous-jacents. Le patient verbalise son épanouissement dès lors
que ses attentes narcissiques ont été satisfaites.
Entretien n°2 : -Donc, finalement, vous
avez fait preuve de force : vous même le dîtes, d'autres sont
devenus « fous », vous, vous avez tenu le coup... -Ouais,
j'ai été fort... (Il sourit).
-L'alcool est apparu à ce moment. Mais je pense que la force de
caractère a beaucoup plus joué que l'alcool lui-même, dans
cette lutte contre la « folie », comme vous dites... -Je
pensais que c'était grâce à l'alcool...
(Silence vide). Mais peut-être...(Silence
vide). -Donc, alors, j'ai été fort...
(Il sourit). Oui, peut-être que j'étais
pas faible... (Silence plein).
|
Mme E
La solitude est peu supportable pour la patiente dans la
mesure où les épisodes d'alcoolisations compulsives apparaissant
lorsqu'elle se retrouve seule, c'est-à-dire lorsqu'elle quitte sa
mère adoptive ou son mari.
Entretien n°1 : -Oui, ba le
matin, comme je vous ai dit, je
descends boire le café avec ma
pauvre mère : elle a une neuropathie des membres
inférieurs, vous savez... -Oui, vous me le disiez
déjà l'autre fois. -(Elle hoche la tête et
fait un bruit avec sa langue) : Ensuite, je remonte chez
moi pour faire mon petit ménage. Et quand je fais mon repassage, il y a
des moments où je m'arrête pour aller de boire.
Comme ça, sans raison, sans rien...
|
Entretien n°3 : Mais le plus dur, c'est de
pas acheter d'alcool quand je suis toute seule...Et c'est
quand je reviens de la piscine, moi j'adore
nager, « Mr E » pas du tout...
|
Il apparaît assez clairement que la solitude est pour
elle source de frustration car elle lui demande d'accepter un retour de libido
vers elle-même. Ainsi, le seul objet envers lequel elle peut diriger de
l'intérêt reste sa propre personne. L'activité du repassage
me fait écho au travail psychique du remaniement qui a lieu lorsque tout
individu se trouve seul. Et je peux donc émettre l'hypothèse que
la solitude est intolérable pour elle dans la mesure où elle lui
demande de s'approprier son monde interne
(représentations/affects) ; c'est-à-dire ce contre quoi elle
lutte en ayant recours au mécanisme d'isolation. De ce fait, l'alcool
viendrait résoudre l'échec de cette défense en
anesthésiant le corps propre et en créant une rupture de
pensée (effet psychotrope).
4.4. MISE A L'EPREUVE DE L'HYPOTHESE 2
L'alcoolique cherche à dénier la
réalité d'une perte pour se protéger d'une angoisse de
castration phallique.
4.4.1. Rappel de l'hypothèse 2
4.4.2. Mise à l'épreuve de
l'hypothèse 2
4.4.2.1. Critère 3 : L'angoisse de
castration narcissique
Mr B
L'asymétrie entre un autre de même sexe et
lui-même semble être difficile à intégrer et à
supporter, surtout lorsqu'il est placé en position passive. Le service
militaire devient donc une souffrance puisqu'il est dans l'obligation de se
soumettre au pouvoir hiérarchique.
Entretien n°1 : [43] -Et
qu'est-ce que vous conservez de douloureux, dans ces souvenirs ? -Ba,
c'est l'injustice. Parce que les chefs
étaient... (Silence). [44] ...Ils
profitaient beaucoup. Ils volaient tout, la
nourriture et tout. On avait plus rien à manger. [45]
-C'était des abus de pouvoir, si je comprends bien... -Oui,
complètement...
|
Face à cette problématique, le patient tente de
s'affirmer en tant que sujet actif, ce qui lui a valu un prolongement de
service militaire, sanction qui aurait selon lui participé à la
consolidation de son Surmoi.
Entretien n°1 : [49] Et
comme je faisais pas ce qu'ils voulaient, ils m'ont
ajouté 6 mois de plus. Donc, en tout 2 ans et demi.
[50] -Et comment avez-vous vécu cela ? -Ba...
ça m `a... mais c'était une leçon de
vie. -Leçon de vie ? -Oui, sur ce qui se fait et
se fait pas. Faut être honnête, généreux...
(Silence vide). Pas faire de mal, tout ça. (Silence vide).
C'était très dur... Ouais, pas facile.
|
Durant le dernier entretien (entretien n°3), le patient
tente d'inverser l'asymétrie thérapeutique en me signifiant mon
rôle de dépôt et en me verbalisant le fait qu'il n'avait
plus rien à me dire.
Entretien n°3 : Le patient me rapproche une
chaise près de son lit et me dit : -Voilà, asseyez-vous.
-Disons que ça me dérange de faire l'entretien pendant que la
femme de ménage est là. -Oh ! C'est pas grave. Rien
de personnel à dire.
D'un point de vue contre-transférentiel, je n'ai pas
supporté que le patient m'attribue cette place et encore moins qu'il me
signifie le fait qu'il n'ait plus rien de
« personnel » à me dire. Cela
renforçait mon sentiment d'impuissance face au matériel qu'il me
livrait et mon sentiment d'inutilité auprès de sa personne.
Entretien n°3 : -Donc vous êtes
guéri... -Oui... -Et pourtant, vous souhaitiez me
revoir... -Oui, parce que ça fait du bien de parler. De
dire les choses. Ne pas garder en soi. --Vous
avez des choses particulières à me dire ? Des choses qui
vous préoccupent ? -Non. Plus rien. Je vous ai
tout dit. D'important... J'ai tout dit... (Il sourit). Mais
c'est vous raconter ce qui se passe dans mes
journées.
|
Blessure narcissique, donc, pour ma part, qui se cautionna par
une sanction de ma part (que je ne réalise qu'après-coup) puisque
j'ai mis un terme à l'entretien plus tôt que prévu et que
je lui propose d'être le seul à investir la prise de rendez-vous
pour le prochain entretien. Ainsi, j'aspirais à rétablir
l'asymétrie « normale » de tout
entretien : je voulais qu'il se place dans la demande car seule celle-ci
venait témoigner, pour moi, d'un réel investissement du suivi que
je lui offrais. Aujourd'hui, dans l'après-coup, je me rends compte qu'il
y a eu répétition de cette sanction qu'il a vécu lors de
son service militaire.
-Bon, et bien puisque tout semble aller, je vous propose de ne
pas vous donner de rendez-vous moi-même. Ce sera à vous de choisir
le prochain entretien. Je vous laisse la semaine pour y
réfléchir : soit mardi, soit jeudi matin.
-Oui, d'accord (il se lève). -Vous viendrez me voir
dès 9h00 pour fixer votre entretien. On inverse les rôles
cette fois-ci (je sourit, l'air un peu ironique). D'accord ?
-Oui.
Ici, il ne s'agit plus d'une problématique entre deux
personnes, mais entre trois : l'enfant, l'objet naturel (la mère)
et le porteur de la loi (le père). Cette situation oedipienne est mise
en lien, par le patient lui-même, avec le sentiment d'inconsistance
narcissique.
Entretien n°2 : -Etiez-vous témoin
de ces disputes ? -Oui. -Et donc... que faisiez-vous ? -Je ne pouvais
rien faire. Un vrai traumatisme (Silence vide). -C'est peut-être ici que
votre sentiment de faiblesse trouve son origine, qu'en pensez-vous ?
-Oui... (Long silence plein). Je me sentais
impuissant. (Long silence plein). Alors
voilà.... (Silence vide). -Je comprends combien cela a
du être dur pour vous. -(Il acquiesce et ne dit rien, il me regarde).
-Pouviez-vous faire quelque chose ? -Non... (il soupire). J'étais
trop petit.
|
La relation triangulaire est marquée par une
hostilité assez nette puisqu'elle est le générateur du
sentiment de castration phallique et prégénitale : le
patient prend conscience du fait qu'il ne peut posséder sa mère
de façon exclusive car celui-ci est resté impuissant face au
pouvoir écrasant du père ; le plaçant ainsi dans un
sentiment de faiblesse narcissique. Le complexe d'OEdipe ne semble pas
résolu puisque le patient ne semble pas avoir réussi à
dépasser ses sentiments hostiles envers son père : il reste
ce rival à supplanter. Pour se faire, le patient tente alors de lui
dérober ses qualités (boire comme lui, pour introjecter sa
toute-puissance) et faire preuve d'autant de force que lui.
L'agressivité du père qu'il a toujours fantasmé de
détenir et de contenir devient donc satisfaite.
Mme E
L'état de santé de la mère adoptive
(neuropathie des membres inférieurs) marque le début d'une
régression de cette dernière : régression au niveau
physique (diminution de la capacité d'autonomie physique) et
régression affective (l'handicap la rendant dépendante des soins
d'autrui). Ainsi, la patiente a endossé une fonction maternelle
vis-à-vis de sa propre mère.
Entretien n°1 : Oui, ba le
matin, comme je vous ai dit, je
descends boire le café avec ma
pauvre mère : elle a une neuropathie des membres
inférieurs, vous savez...
Cette fonction maternelle semble être endossée
avec un certain plaisir puisqu'elle m'est apparue, d'un point de vue
contre-transférentiel, attendrie par l'état de santé de sa
mère. De plus, la patiente a toujours endossé une fonction
maternelle : d'abord avec ses propres fils, puis ensuite avec sa
profession d'infirmière et, aujourd'hui, avec sa propre mère. Le
soin détient donc un intérêt car il vient en effet rendre
compte de sa problématique oedipienne. A la lumière de Klein M.
(1934, p. 186), la patiente se voit dans la possibilité de reproduire
avec sa mère ce qu'elle a elle-même vécu avec cette
dernière. Ainsi, elle peut la materner autant que sa mère l'a
fait.
Entretien n°3 : Bon, elle restera sur la
terrasse, mais si j'y ne suis pas, elle reste pas. Elle ne
veut pas que je la laisse seule sur la terrasse, elle veut que
je sois tout le temps là...
|
La triangulation oedipienne est recrée : la
mère adoptive/la patiente/le mari de la patiente. Les deux femmes sont
en rivalité l'une et l'autre pour cet unique objet d'amour.
Entretien n°1 : Alors après, je fais
à manger pour ma mère. « Mr
E. » mange avec nous. Mais ma mère
et lui ne sont jamais contents de ce que je fais à
manger : ma mère dit que je les nourris
mal...-Vous avez perdu confiance en lui ? -Oui,
totalement. Mais il faut dire qu'il est spécial et
qu'il m'aide pas à ne pas être
méfiante !
|
Le mari endosse la symbolique paternelle puisqu'il
représente l'instance de l'interdit, vis-à-vis duquel la patiente
se complait à le défier.
Entretien n°1 : -Et vous pensez que
l'alcool aurait pu joué dans votre couple ? -Oui,
quand même, il s'inquiétait beaucoup... Il
voulait jeter toutes mes bouteilles, les vider et tout
ça, vous savez... Puis voilà... Comme vous me l'avez
dit la dernière fois, il est devenu mon gendarme, plus
mon mari. -Et cela vous accommode ? -Oh... quelque part
oui. Mais en même temps, non. (Silence
vide)
|
Il semble que la patiente s'imagine que les désirs
oedipiens se sont réalisés. En effet, elle serait parvenue
à supplanter la mère pour prendre sa place auprès du
père. Lorsqu'elle met en lien le début de son alcoolisme avec la
naissance de ses enfants, je pense avoir trouvé ici la
réactivation de l'angoisse de castration, les enfants du mari pouvant
représenter pour elle les enfants tant désirés du
père.
Entretien n°2 : Et puis, au début
je ne voyais rien : il était normal, du moins.
Puis après on a eu trois enfants. Puis je me suis mise
à boire. Et il a commencé à
contrôler mes planques. Et il trouvait
toujours ! (elle rigole).
|
Ainsi, d'un point de vue fantasmatique, la patiente
culpabiliserait de la réalisation des désirs oedipiens et de
l'interdit de l'inceste, déclenchant des actes obsessionnels en guise de
défense contre la castration génitale : elle se mettrait en
quête de réparation. Je peux donc émettre
l'hypothèse que l'amant a joué un rôle de réparation
dans la mesure où il marque la (pseudo)-réparation de
l'oedipe : la patiente a abandonné ce père symbolique pour
investir un autre homme. Afin de conserver ce lien tissé avec cet objet
secondaire, je peux émettre l'hypothèse qu'elle ait voulu
incorporer un attribut de ce dernier pour se rappeler qu'il y a eu (ou qu'il y
aura) réparation de la réalisation des désirs
oedipiens.
4.4.2.2. Critère 4 : Le déni
partiel de la menace narcissique
Mr B :
L'alcoolisme du père est répété
par le patient, alors que celui-ci est à l'origine de son sentiment de
faiblesse narcissique. Comme je le présentais plus haut, le patient
tente d'incorporer les qualités du père qu'il désirait
tant dérober durant son enfance en buvant à son tour. De cette
façon, il chercherait à obtenir une vengeance sadique contre son
rival en satisfaisant un fantasme archaïque d'incorporation. En même
temps qu'il triomphe sur ce rival en le
« mangeant », et donc en devenant comme/aussi fort
que lui, une frustration intense naît : la toute-puissance
écrasante et castratrice incorporée vient de nouveau menacer la
consistance narcissique du Moi. En effet, l'agressivité du père
est rappelée.
Entretien n°1 : [10] -Et
quand est-ce que vous avez compris qu'il y avait un problème ?
Qu'est-ce qui vous a permis de juger que votre consommation est
pathologique ? -Ba quand je bois, je suis très
agressif....
Entretien n°2 : Je le laisse
poursuivre : -...Et quand il buvait, il devenait violent,
très agressif ... -Comme vous lorsque vous buvez ?
-Oui, comme moi. (Silence vide).
|
Cela explique son sentiment de
« dépersonnalisation » : le patient a
tenté de supplanter son rival en s'appropriant ses qualités. Une
fois celles-ci obtenues, le patient n'est plus en mesure de distinguer ce qui
lui appartient et ce qui est à l'autre, ce qui le motiverait à se
sevrer de l'alcool. Le patient situe ses premiers épisodes
d'alcoolisation durant le service militaire et explique avoir été
à la recherche des effets psychotropes du produit : boire pour
obtenir une rupture de pensée, mais acte de boire rappelant la
souffrance contre laquelle il lutte.
Entretien n°1 : -Et comment avez-vous fait
pour supporter tout ça ? -L'alcool. (Silence vide.
J'acquiesce). Oui, j'ai commencé là. A ce moment. -Quel
rôle a joué l'alcool à ce moment là ?
-Oublier, à oublier,
...l'injustice...(Silence plein. Larmes aux
yeux). -Je peux constater une émotion intense, encore
aujourd'hui. -Oui. (Silence plein). Ca m'a beaucoup
marqué... Je n'oublierai jamais.
|
Mme E :
Klein M. (1934, p. 186) met en lien la compulsion de succion
aux fantasmes sadiques oraux (morsure, succion, destruction) du pénis et
du sein de la mère) et c'est sans doute en ce point que nous pouvons
mieux comprendre la tendance à isoler la représentation de son
affect chez la patiente : la représentation « boire de
l'alcool » viendrait rappeler ce fantasme oedipien intolérable
pour le Moi, donc il faut écarter de la conscience cet affect
originaire. Cependant, le désir oedipien réémerge, lors de
l'échec du refoulé, et ce, sous une forme assez symbolique :
les détails du rêve traduiraient parfaitement ce désir
interdit de dérober le pénis du père.
Entretien n°2 : -Et bien hier soir, par
exemple, j'ai rêvé que j'étais chez moi,
en bas, je buvais. Je
voulais boire. Mais le bouchon de la
bouteille était mal fait, l'alcool coulait pas, il
coulait mal, vous voyez (elle mime le geste : bouteille
renversée à la main). Alors au bout d'un moment, j'ai dit :
« Bon tu vois bien, rien n'est fait pour que tu puisses
boire ! ». Alors j'ai laissé
tomber et j'ai essayé de ranger la bouteille
dans ma planque habituelle, dans un des tiroirs... Mais elle
ne rentrait pas, toujours quelque chose qui
dépassait de la bouteille et je
culpabilisais, je me suis rendu compte que ce n'était
pas bien.
|
La patiente, de manière consciente, cherche à
se dédommager de cette faute intolérable en voulant aujourd'hui
la corriger et se faire pardonner. De ce fait, elle endosse la fonction
maternelle pour soigner cette mère qu'elle est parvenue à tuer
symboliquement et en désexualisant complètement sa relation au
père symbolique (le mari).
Entretien n°1 : « Mr
E » me dit tout le temps que je ne lui fais jamais
plaisir ! Mais ça dure depuis
longtemps... depuis qu'on fait chambre à
part. Alors... (Silence vide, elle me regarde)
|
CHAPITRE 5 : DISCUSSION ET REFORMULATION DES HYPOTHESES
5.1. DISCUSSION ET REFORMULATION DE L'HYPOTHESE
1
L'hypothèse de départ est la suivante :
L'alcoolique est dans l'incapacité d'élaborer la perte d'un objet
car celle-ci vient créer une frustration insupportable
Cette hypothèse se vérifie au vu des
données recueillies puisque les deux patients sont en effet dans
l'incapacité à élaborer la perte d'un objet car celle-ci
viendrait créer une frustration interne intense. En effet, la perte du
bon objet les inscrit dans une quête insatiable de restauration
narcissique : la renarcissisation est essentielle pour retrouver une
complétude narcissique. Mr B présente un manque narcissique et
Mme E un manque du sein maternel et de ce qu'il représente au niveau
identitaire. La quête de comblage et de substitution est donc
prégnante chez les patients puisqu'ils sont en quête de
réparation narcissique pour éviter l'angoisse
dépressive.
La perte n'est que très peu élaborable, il leur
faut donc substituer cette perte au plus vite : l'alcool leur a permis
d'accéder à ces buts dans la mesure où Mr B y trouvait
l'effet renarcissisant du toxique et Mme E les sensations liées à
la relation au sein maternel. Cette liquide substance viendrait alors
atténuer l'angoisse liée à la frustration du manque et de
la séparation.
Cependant, la particularité de Mme E est
également la frustration liée à sa problématique
oedipienne : la réalisation fantasmée des désirs
oedipiens. Ainsi, la patiente ne chercherait pas à combler un vide, mais
à réparer ce qui est en défaut dans son monde
interne : son but serait également d'obtenir réparation de
cette transgression imaginée de l'inceste en annulant celle-ci à
l'aide des effets anesthésiants et psychotropes de l'alcool. Dans ce
sens, elle ne chercherait pas seulement à substituer l'alcool au sein
perdu, mais aussi à faire disparaître cette part
défaillante du Soi. Il en va de même pour Mr B, puisque l'alcool
se substitue lui aussi à cette part défaillante du Moi pour
permettre de faire disparaître celle-ci.
Dans ce sens, l'alcool viendrait donc bien se substituer
à la perte d'un objet, mais cet objet n'est pas nécessairement
réel, il peut également être fantasmé. Le
fétiche, lui, s'édifierait face à la réalité
perceptive de la frustration, alors que les données recueillies montrent
que cette réalité peut également être subjective
(imaginée).
Je peux donc proposer la reformulation suivante :
L'alcoolique est dans l'incapacité d'élaborer la
perte réelle ou fantasmée d'un objet car celle-ci vient
créer une frustration insupportable
5.2. DISCUSSION ET REFORMULATION DE L'HYPOTHESE
2
L'hypothèse de départ est la suivante :
L'alcoolique poursuivrait le même but que le
fétichiste : lutter contre une menace de castration narcissique en
déniant partiellement la réalité.
Les deux patients sont tous deux ancrés dans une
angoisse de castration : ils se sentent en effet menacés dans leur
intégrité narcissique. Mr B dit souffrir d'un sentiment de
faiblesse et Mme E est en quête de l'amour d'autrui. Cependant, comme
j'ai pu le repérer dans l'analyse qualitative des données, la
nature de l'angoisse est différente chez nos deux patients.
En effet, Mr B est tyrannisé par une angoisse de
castration narcissique : durant l'enfance, il n'a pu construire une image
de lui-même positive. Le père agressif et buveur lui a
renvoyé une image négative de lui-même, ne permettant pas
une unification satisfaisante de son Moi. Ecrasé par la toute-puissance
du père, le patient s'est englouti dans un sentiment de faiblesse et
d'impuissance qu'il n'a jamais pu élaborer et dépasser. Ainsi, la
symbolique de la fonction paternelle est castratrice : le
Nom-du-Père (Lacan) n'est pas intégré mais forclos et
dénié de façon partielle. Le patient cherche à se
venger de ce père tout-puissant en tentant de lui dérober cette
qualité par introjection : il boit comme lui et devient agressif
comme lui (donc aussi fort que lui). Cependant, ces qualités
incorporées sont insupportables pour lui puisqu'elles lui rappellent le
traumatisme originaire duquel il souffre. Mr B est ancré dans une
angoisse de castration phallique contre laquelle il tente de triompher, mais en
vain car cette vengeance même lui rappelle que ce triomphe est
impossible.
Mme E, quant à elle, est ancrée dans une
angoisse de castration génitale car l'accès à la fonction
maternelle lui donnerait l'impression d'avoir supplanter la mère et
obtenu du père un enfant. Les désirs oedipiens sont donc
conçus par elle comme réalisés et l'interdit de l'inceste
comme transgressé. Ceci crée alors une angoisse
intolérable puisqu'elle est tyrannisée par la sentence
sous-jacente à cette réalisation fantasmée de
l'inceste : la castration génitale, puis phallique (ce que
représente symboliquement le pénis pour son narcissisme). Elle
tente de se dédommager de cette faute imaginée en
réinvestissant un nouvel objet (l'amant) et pour se donner l'illusion
d'avoir réparé cette faute, elle aurait introjecté un
attribut de cet amant : en devenant alcoolique comme ce dernier, elle
continue à conserver ce lien à lui, comme pour prouver que son
amour n'est plus dirigé vers le père, mais vers cet autre homme.
Cependant, cela ne semble pas suffisant pour atténuer son angoisse. En
effet, l'acte de boire rappelle à lui seul cette transgression de
l'inceste vis-à-vis de laquelle elle tente de se dédommager.
Mr B et Mme E sont donc bien ancrés dans une angoisse
de castration mais celles-ci sont de nature différentes : elles
sont en lien avec les problématiques qui leur sont spécifiques
(Mr B, l'homosexualité, Mme E, névrose obsessionnelle
compulsive). Tous deux, cependant, tentent de se dédommager des menaces
sous-jacentes à leurs structures. Dans ce sens, la nature de l'angoisse
est différente mais la stratégie défensive est la
même, du moins, du point de vue du déni partiel : une partie
du Moi oeuvre à triompher de cette menace en tentant de faire comme si
elle n'avait pas lieu tandis que l'autre la reconnaît.
Ainsi, j'apporterai le remaniement suivant concernant la
première hypothèse : L'alcoolique et le
fétichiste poursuivent le même but : dénier
partiellement la réalité pour lutter contre les angoisses qui
leur sont propres.
5.4. TABLEAU RECAPITULATIF DE LA DISCUSSION DES
HYPOTHESES
|
Hypothèse 1
|
Hypothèse 2
|
|
Critère 1 : Intolérance de la
frustration
|
Critère 2 : Incapacité de deuil
et de séparation
|
Critère 3 : L'angoisse de
castration
|
Critère 4 : Le déni
partiel
|
Mr B
|
Le fantasme
|
Le Nom-du-Père
|
Angoisse de castration narcissique
|
La réalité
|
Mme E
|
La réalité
|
L'enfant du père et la mère rivale
|
Angoisse de castration génitale
|
Le fantasme
|
CONCLUSION
L'alcoolisme peut être comparé au
fétichisme dans la mesure où l'alcool vient, comme le
fétiche, se substituer à la perte d'un objet. La position
mélancolique se retrouve tant chez le fétichiste que chez
l'alcoolique puisque tous deux présentent une capacité de deuil
et de séparation défaillante. Tout comme le fétiche,
l'alcool permettrait de dénier partiellement la
réalité : une partie du Moi la reconnaîtrait tandis
que l'autre continuerait à faire comme si elle n'existait pas. De ce
fait, l'alcool possèderait les mêmes pouvoirs magiques que le
fétiche : il permettrait de faire exister ce qui est pourtant
réellement perdu. L'angoisse dépressive est ainsi
évincée dans les deux cas.
Cependant, l'objet à la source de la frustration chez
le fétichiste (le sexe féminin) n'est pas le même chez
l'alcoolique puisque l'alcoolisme est un trouble du comportement. Il n'est donc
pas spécifique à un type précis de structure
psychologique : les structures psychotique, limite, névrotique ou
encore perverse peuvent être concernées par l'alcoolisme. Pour Mr
B (perversion sexuelle), la frustration est celle de l'identification primaire
à la symbolique d'une fonction paternelle peu structurante, tandis que
Mme E (névrose obsessionnelle) est frustrée par la
réalité qu'elle ne peut contrôler et les objets d'amour
oedipiens. Mes rencontres avec les patients alcooliques m'ont permis de
vérifier encore et encore ce lien entre structure psychique et objet de
frustration spécifique. Et il est dommage que le temps imparti pour la
réalisation de ce travail n'ait pu me permettre d'exposer cela.
Il en va de même concernant l'angoisse contre laquelle
lutte l'alcoolique : elle dépend de la structure qui
caractérise le patient en question. Ainsi, Mme E est-elle hantée
par une angoisse de castration génitale et Mr B par une angoisse de
castration phallique. Le déni partiel est donc lui aussi
dépendant de la structure singulière au patient alcoolique :
Mr B dénie partiellement la réalité d'un père
castrateur et Mme E contre la réalité fantasmée de la
transgression de l'interdit de l'inceste.
Quoiqu'il en soit, cette recherche clinique a pu me montrer en
quoi l'objet ou la spécificité de l'addiction en question
justifie sa singularité sémiologique et nosographique. Mais elle
a pu également montrer qu'au-delà de ces objets et
spécificités, des liens peuvent être réalisés
entre deux formes d'addiction du point de vue des processus de
pensée : l'alcoolique et le fétichiste chercheraient
à luter contre une frustration menaçant leur
intégrité narcissique et identitaire.
Cependant, neuf mois d'étude n'on pas suffit à
satisfaire ma curiosité sur ce point car je pourrais interroger le lien
entre l'alcoolisme et d'autres formes de perversions sexuelles ou avec d'autres
addictions (boulimie avec vomissements par exemple).
Je ne peux donc prétendre avoir achevé cette
étude, ni même l'achever un jour, tant les questionnements en
appellent d'autres... Cette étude comparative entre l'alcoolisme et le
fétichisme, ou d'autres perversions sexuelles, pourrait faire l'objet
d'un projet de doctorat, que j'envisage d'entamer à la fin de cette
formation professionnelle.
BIBLIOGRAPHIE
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méthodes. PUF Que sais-je?.
ANNEXES
ANNEXE 1 : Mr B
Mr B : ENTRETIEN N° 1
Verbal / non-verbal
|
Eléments
contre-transférentiels
|
Hypothèses
|
Je présente mon cadre au patient et m'assure de son
consentement libre et éclairé.
-Oui, oui. J'accepte. Non, je n'ai pas de question à
poser. Sans problème (il me sourit). Non, aucune question.
|
Je tiens à présenter mon cadre pour veiller
à poser les limites et pour obtenir un consentement libre et
éclairé
|
Suggestibilité ?
|
-Très bien. Alors racontez-moi : qu'est-ce qui
vous amène à réaliser cette cure ?
-Ba je bois trop. (Silence,
j'acquiesce)....
|
|
Caractère pathologique : l'excès
|
...En fait, mon problème, c'est que je bois que le
week-end : la semaine je travaille, le week-end je bois.
A partir du vendredi soir, je bois.
-Vous ne buvez que le week-end de façon
régulière alors ?
-Oui, c'est ça.
|
J'ai du mal à croire qu'il ne boit que dans ce
contexte
|
Alcoolisation chronique dans un contexte festif
|
-Dans un cadre particulier ou chez vous ?
-Beaucoup avec les amis. En
boîte, on danse, on boit...
|
|
Alcoolisation dans un contexte festif (alcoolisme
d'entraînement ?)
|
-Vos amis boivent aussi ?
-Oui, mais eux ils savent se contrôler.
Ils boivent quelques verres.
|
|
Autrui : base de comparaison
|
-Et vous ?
-Moi... Moi c'est différent : je bois un verre,
je m'arrête plus après !
|
|
Perte de contrôle de la consommation
|
-Vous buvez beaucoup ?
-Oui. (Silence vide). Oui, beaucoup...
-C'est-à-dire ?
-Ba, en soirée... heu... ça peut aller
jusqu'à une bouteille ou deux...
|
|
Quantité d'alcool ingérée estimée
comme excessive.
Excès
|
-Oui, quand-même...Et lorsque vous ne sortez pas en
soirées, que se passe-t-il ?
-Je bois chez moi ou je rejoins les
amis : les cafés, les bars ou les repas,... tout
ça. (Silence plein)...
|
Ma réaction me surprend... Est-ce une attitude
neutre ?
|
La consommation peut être solitaire, mais
préférence pour le contexte festif. Alcool en tant que code
social ou autrui en tant que prétexte pour boire ?
|
... Je bois des litres et des litres aussi, c'est pareil.
C'est le premier verre, puis l'engrenage.
|
|
|
-Et quand est-ce que vous avez compris qu'il y avait un
problème ? Qu'est-ce qui vous a permis de juger que votre
consommation est pathologique ?
-Ba quand je bois, je suis très
agressif....
|
|
Agressivité quand alcoolisé
|
...Je fais n'importe quoi. Une autre
personne....
|
|
Sentiment de perte d'identité
|
...Le matin je ne me souviens même pas
de la soirée
|
Cela me rappelle certains lendemains de fête où
on ne se rappelle pas tout à fait.
|
Perte de mémoire
|
...Et de suite, quand je me lève, je
téléphone à mes amis :
« Alors, qu'est-ce que j'ai fait hier soir ?...
|
|
Le cercle amical : garant
|
- Ba tu t'es battu... encore ! ».
|
|
Caractère permanent/régulier du comportement
hétéro-agressif
|
-Vous ne vous reconnaissiez pas ?
-Non, c'est ça : pas du tout.
|
|
|
-Mais, même sous alcool, vous restez la même
personne. L'alcool a un effet désinhibant donc ce que vous tenter de
contrôler en vous quand vous êtes lucide se libère quand
vous êtes alcoolisé.
-Oui, mais je suis pas comme ça
d'habitude. Je suis de nature calme, sympa et tout.
|
Je tente de faire prendre conscience au patient que l'alcool
joue sur une part de lui-même.
|
Décalage entre la personnalité quand
lucidité et alcoolisation
|
-Peut-être cherchez-vous à contrôler cette
part d'agressivité en vous même lorsque vous êtes
lucide ?
-Je sais pas. (Silence). Je fais beaucoup de sport
ici. De la musculation.
|
|
Activités sportives : besoin de dépense
physique ou modelage de l'image corporelle ?
|
-Cela peut être un moyen pour la contrôler.
-Je sais pas.
|
|
|
-A quoi vous permettait l'alcool ?
-A me sentir plus fort, moins faible.
(Silence vide, j'acquiesce). Oui, je me sens faible quand je bois pas.
|
|
Effet renarcissisant du toxique
|
-Mais en même temps, lorsque vous êtes plus fort,
vous vous battez...
-Oui... mais bon...
|
|
Force et agressivité
|
-Vous est-il arrivé d'avoir des soucis avec la loi
à cause de ces bagarres ?
-Oui. (Silence vide).
|
|
Comportement hétéro-agressif et problèmes
avec les forces de police
|
-Vous faisiez donc du mal aux autres...
-Oui. (Silence plein).
Oui, c'est ça.
|
Je ne sais pas sur quoi enchaîner...
|
Culpabilité ?
|
-Toujours de la même façon ?
-Oui, avec un couteau. J'ai
toujours un couteau sur moi : je suis maçon...
|
Je ne sais pas vraiment pourquoi je pose cette question...
|
Goût pour les armes blanches ?
Symbole phallique ?
|
... Donc je l'ai toujours sur moi : un
canif.
|
|
|
-Et vous est-il arrivé de vous faire du mal à
vous même ?
-Oui. (Silence plein). Intentionnellement
oui. ...
|
|
Comportement auto-agressif
|
...Mais c'est parce que je n'arrive pas
à faire le deuil de certaines choses.
|
|
Comportement auto-agressif mis en lien avec des deuils
non-résolus
|
-Voulez-vous en parler ou préférez-vous en
parler une autre fois ?
-Ba, en fait, c'est la mort de mon oncle...
|
Je n'ai pas envie de le bousculer pour le 1er
entretien
|
Problème de la perte
|
On était très proche, presque
le même âge. (J'acquiesce)...
|
|
Forte identification à l'Autre
|
...Et quand il était petit, il s'est
fait enlevé par des hommes. Ils lui
ont fait vivre plein de choses affreuses, des sévices
sexuels, physiques. Et ils l'ont assassiné.
|
Effectivement, ce n'est pas évident !
|
Problème du décalage entre enfant/adultes
Sexualité et agressivité
|
-Oui, effectivement, ce n'est pas évident à
vivre, ce genre de choses.
-Oui... Surtout que c'est pas comme
si il avait eu quelque chose ou... (Silence plein et larmes
aux yeux).
|
Je suis touchée par son émotion
|
Aucune préparation au deuil
Emotions passées encore d'actualité
|
-Et votre famille ?
-Elle en A....
|
Je veux savoir comment la famille l'a vécu mais le
patient évite le sujet
|
Eloignement familial
|
...J'ai vécu longtemps là-bas :
jusqu'à mes 25 ans.
|
|
Origine étrangère & vie à
l'étranger
|
...Après je suis venu ici.
|
L'adaptation dont a du faire preuve ce patient me rappelle la
mienne, Tunisie/France
|
Départ à 25 ans pour la France
|
-Vous ne la voyez pas souvent alors ?
-Bon... ça va... La dernière
fois... J'y suis allé à Noël, pour le nouvel an. Mais
ça faisait longtemps, oui.
|
|
Eloignement familial : déni partiel de la
difficulté de séparation
|
-Cela a du être un moment émouvant
alors ?
-Oui, ça s'est très bien passé :
j'ai revu le pays. (Silence plein).
|
Pays d'origine : source pensée
|
|
-Votre arrivée en France ? Comment s'est-elle
passée ?
-Oh, très bien. Très
très bien. Pourquoi ?
|
Première question qu'il me pose... cela me surprend
|
Adaptation en France décrite comme facile /
idéalisation +++
|
-Moi aussi, j'ai vécu dans le Maghreb. Et je ne suis en
France que depuis quelques années. Et ce n'est pas toujours facile, au
niveau de l'adaptation. Qu'en pensez-vous ?
-Oui, des fois... Les mentalités.
C'est pas pareil...
|
Débordement de ma part ? Ou moyen pour lui
signifier que je ne suis pas « dupe » ?
|
|
...Mais les amis, les sorties, tout ça... :
ça a été facile. Pas trop dur.
|
|
|
-Vous avez quitté l'Algérie alors ?
-Oui. (Silence plein). Des
mauvais souvenirs.
|
Pourquoi cet éloignement ?
|
Eloignement familial en lien avec souffrance
|
-Des mauvais ?
-J'ai fait mon service militaire
là-bas. Pendant 2 ans. Enfin... 2 ans et demi.
-Oui, les hommes font le service militaire à 20 ans,
dans le Maghreb, ou 21 ans, à la majorité...
|
On y forme les « hommes » !
|
Service militaire : 2 ans et demi
|
-Oui, les « hommes » (il
mime les guillemets). Au cas où...
|
Sa dérision me surprend...
|
Accès masculinité perturbé ?
|
-Au cas où... ?
-(Silence vide)
-... Une guerre ?
-Je pense. Ouais, une guerre... L'Algérie,
c'était difficile. (Silence plein).
|
Je suis intriguée par ce qu'il me semble être en
train de ma cacher
|
Souffrance vis-à-vis de la situation politique
algérienne ?
|
-Et qu'est-ce que vous conservez de douloureux, dans ces
souvenirs ?
-Ba, c'est l'injustice. Parce que les
chefs étaient... (Silence).
|
|
Problème lié à l'acceptation de la
hiérarchie
|
...Ils profitaient beaucoup. Ils
volaient tout, la nourriture et tout. On avait plus rien
à manger.
|
|
Problématique dominant/dominé
|
-C'était des abus de pouvoir, si je comprends
bien...
-Oui, complètement...
|
Aller à l'encontre des décisions
hiérarchiques aurait pu lui coûter plus cher dans ces
circonstances...
|
Problématique dominant/dominé
|
...Moi, j'étais dans les papiers. Je devais
tout noter, et je le marquais ça : untel a pris
ça, lui, il a pris ça, ça et ça...
|
|
Relevé régulier des abus de pouvoir
|
... Ils ne voulaient pas,...
|
|
Désobéissance des ordres émanant des
supérieurs
|
... mais moi, je suis juste. Je notais
tout... (Silence plein).
|
|
Décalage entre ses valeurs et celles des
supérieurs
|
-Vous trouviez leur comportement injuste ?
-Oui, oui. Et comme je faisais pas ce qu'ils
voulaient, ils m'ont ajouté 6 mois de plus.
Donc, en tout 2 ans et demi.
|
|
Prolongement du service militaire car
désobéissance (punition, castration ?)
|
[-Et comment avez-vous vécu
cela ?
-Ba... ça m `a... mais c'était une
leçon de vie.
|
|
|
-Leçon de vie ?
-Oui, sur ce qui se fait et se fait pas. Faut
être honnête, généreux... (Silence vide). Pas faire
de mal, tout ça. (Silence vide). C'était très
dur... Ouais, pas facile.
|
|
Service militaire : apprentissage du bien et du mal
(Surmoi ?)
Service militaire : expérience douloureuse
|
-Et comment avez-vous fait pour supporter tout
ça ?
-L'alcool. (Silence vide. J'acquiesce). Oui,
j'ai commencé là. A ce moment.
|
|
Alcool : début en Algérie (service)
Alcool aide à lutter contre la problématique
dominant/dominé
|
-Quel rôle a joué l'alcool à ce moment
là ?
-Oublier, à oublier,
...l'injustice...(Silence plein. Larmes aux
yeux).
|
Comment expliquer cette émotion ? Dois-je l'amener
à élaborer plus ?
|
Alcool : effet psychotrope
|
-Je peux constater une émotion intense, encore
aujourd'hui.
-Oui. (Silence plein). Ca m'a beaucoup
marqué... Je n'oublierai jamais.
|
|
Relation dominant/dominé : traumatisme ?
|
-Comment vous sentiez-vous face à ces abus
d'autorité ?
-Impuissant, faible.
|
|
Service militaire : origine du sentiment de faiblesse
actuel ?
Alcool : effet renarcissisant (se sentir moins
faible) ?
|
-Comme lorsque vous ne buvez pas ?
-Oui. Mais pire ! (Silence
plein. Larmes aux yeux). Vous savez, c'est un vrai
traumatisme ! Y en a qui s'en sont pas sortis, y en a qui
sont devenus fous !
|
Je veux lui faire mettre en lien
|
Service militaire : traumatisme car Moi et narcissisme
primaire trop faibles
|
-Et vous ?
-Moi, j'ai essayé de tenir le coup avec
l'alcool. Ca aura été dur. Mais j'ai tenu le
coup. (Il sourit).
|
|
Alcool : échappatoire de la folie
(médication)
|
-Donc, finalement, vous avez fait preuve de force : vous
même le dîtes, d'autres sont devenus « fous »,
vous, vous avez tenu le coup...
-Ouais, j'ai été fort...
(Il sourit).
|
Je veux dissocier force interne/alcool
|
Renarcissisation : effet positif ?
|
-L'alcool est apparu à ce moment. Mais je pense que la
force de caractère a beaucoup plus joué que l'alcool
lui-même, dans cette lutte contre la « folie », comme
vous dites...
-Je pensais que c'était grâce à
l'alcool... (Silence vide). Mais
peut-être...(Silence vide).
|
Recherche-t-il une autre renarcissisation ?
|
Alcool : effet renarcissisant (se sentir moins faible)
|
-Donc, alors, j'ai été fort...
(Il sourit). Oui, peut-être que j'étais
pas faible... (Silence plein).
|
L'ai-je poussé dans ses retranchements ?
|
Effet thérapeutique de la renarcissisation mais le
doute persiste encore
|
-C'est à vous d'y réfléchir et de vous
faire votre propre opinion sur ce sujet. (Il acquiesce). Nous allons nous
arrêter là pour aujourd'hui. (Il acquiesce). Nous avons
anordé pas mal de choses aujourd'hui (Il acquiesce, les larmes
aux yeux).
-Oui, des choses pas faciles. J'arrive pas à
oublier tout ça. C'est dur...
|
|
Sensibilité, émotivité ?
Echec du refoulement (Descombey JP, 2004)
|
-Le mieux est d'accepter les choses telles qu'elles se sont
présentées. Le terme « oublier » me
gêne : dans l'oubli, il y a aussi le souvenir.
-Oui, accepter alors ?
|
|
|
-Pour arriver à dépasser ces choses difficiles
et pour en faire quelque chose de moins négatif dans votre vie.
Souhaitez-vous d'autres entretiens ?
-Oui, oui. Je veux bien.
|
|
Demande un suivi psychologique
|
-Qu'attendez-vous de cette cure ?
-Retrouver une vie normale.
|
|
Motivation : retour cers la norme
|
-Normale ?
-Oui, sans alcool. Sans
agressivité. Etre normal. Mes amis, ma copine, je veux pas les
perdre. Je me suis disputé avec elle,
je veux plus tout ça !
|
Je cherche à évaluer sa demande et ses
motivations
|
Norme : pas d'addiction, pas de violence
Dispute avec compagne
|
-Je suis là pour vous accompagner dans cette
démarche. L'évolution de votre cure dépend d'abord de
vous : votre investissement et votre motivation.
-Oui, oui, je sais.
|
Je tente de lui faire comprendre qu'il doit investir sa
démarche de sevrage
|
|
-Bien, nous nous revoyons jeudi prochain à la
même heure ?
-10h30 ?
-C'est ça.
-Très bien, juste après la
muscu.
|
|
Sport : occupation ou entretien de la
musculature ?
|
Mr B : ENTRETIEN N°2
Verbal/non-verbal
|
Eléments
contre-transférentiels
|
Hypothèses
|
Alors, comment se déroule votre cure ?
-Super bien. Plus envie de
boire...
|
|
Cure positive : aucune envie de boire
|
Une vraie leçon de vie...
|
|
Leçon de vie, comme service militaire ?
|
...Avec les autres, ça se passe
très bien. (Silence vide, j'acquiesce)...
|
|
Importance du lien social
|
...Au départ, c'est difficile. Je
connaissais personne, je restais en retrait. Puis là,
je sors avec les autres en ballade, je discute avec eux. On rigole bien.
|
Son enthousiasme m'inquiète un peu et me rappelle les
dangers de la 1ère cure, toujours idéalisée et
source d'espoir...
|
Lien social en deux temps : timidité/
sociabilité
|
-Oui, donc, au début, c'est toujours un peu difficile de
trouver confiance et vous êtes plus timide ?
-Oui, voilà. Maintenant, ça va...
|
|
|
...La dernière fois, je suis sorti en permission. Je
suis allé au bar ou je vais d'habitude. On m'a
dit : « Tu veux boire ? - Non, un
café ! ». (Il sourit)...
|
Il me semble défier de sa démarche... alors
qu'elle me semble encore dangereuse au bout de 15 jours de cure
|
Défiance du toxique : problématique
dominant/dominé
Besoin de contrôle du toxique pour renarcissisation
|
...Mes amis buvaient une bière, moi,
un café. J'ai pas eu envie...
|
|
Contexte amical et festif important
|
...Puis je savais qu'ici, j'aurais été
contrôlé.
|
|
Importance du cadre institutionnel
|
-C'est donc ce contrôle éthylotest qui vous
freiné ?
-Aussi. (Silence vide). Mais en même
temps, j'avais pas envie. Je n'ai pas envie. Quand je vois les autres
ici, des loques ! (Silence vide). Enfin... ils sont vraiment
très mal. Moi, ça va, physiquement et
tout !... Moralement...Je suis bien.
|
Il me semble avoir un Ego surdimensionné et ça
m'irrite un peu
|
Cadre de la cure contient les rechutes
Comparaison à autrui différente du 1e
entretien : valorisation de Soi
|
-Finalement, vous avez pu vous comparer aux autres patients.
Vous vous n'êtes pas reconnu dans ce groupe, puisque vous trouver que
vous êtes différent. Mais de les voir vous a renvoyé
à ce que vous pourriez devenir...
-Ah oui, complètement. Voilà,
c'est tout à fait ça.
|
Je tente de lui faire prendre conscience qu'il n'est pas tant
différent, petit à petit...
Ses réponses me semblent toujours être les
mêmes... ça me fatigue...
|
Identification secondaire à Autrui
|
-C'est vrai que c'est différent : vous
n'êtes pas dans le même état. (Je lui fais un geste de haut
en bas pour lui montrer que je parle de son apparence). Vous êtes peu
marqué par l'alcool, voire pas du tout (il acquiesce). Cependant,
là où vous êtes comme les autres, c'est que vous ne pouvez
pas vous empêcher de boire...
-... (Il me coupe la parole). Oui, mais je bois pas
tous les jours du matin au soir... !
|
Je le recentre petit à petit vers son problème
addictif et la réalité de son trouble
Une réaction de révolte ? Tenterait-il de
s'affirmer ?
|
S'évalue différent de part le fait qu'il boive
que le week-end
|
-Oui, c'est vrai. Vous ne buvez que les week-end. Tous les
week-end. Et vous-même parliez d'un « engrenage »
l'autre fois. Donc, le caractère cyclique, régulier permanent
vous concerne également. Qu'en pensez-vous ?
-(Il ne répond presque pas, comme
inquiété)
|
Je culpabilise, mais en même temps, n'est-il pas
important de le confronter à cette réalité ?
|
La consistance du Moi semble assez sensible au jugement
d'autrui
|
-Vous êtes donc retourné au bar, celui où
vous aviez l'habitude d'aller ?
-Oui, pour voir si avec l'alcool c'est
fini.
|
|
Défi des limites des instances psychiques
(Moi/ça/Surmoi)
|
-Ne trouvez-vous pas cette situation un peu
dangereuse ?
-Non, puisque j'ai tenu. Quand je
veux pas boire, je bois pas.
|
|
Déni du risque ?
Alcool : question de volonté ?
|
-Je peux comprendre votre démarche, mais je la trouve
tout de même risquée : vous vous êtes mis dans une
situation à risque de rechute, de tentation...
-...(Il me coupe la parole) Oui, mais bon,
j'ai tenu.
|
|
Déni partiel de la situation à risque
|
-C'est bien, parce que vous avez réussi à vous
poser un interdit face à l'alcool. Mais il faut que vous soyez
prudent.
-De toutes les façons, il faut que j'arrête
tout ! Je veux pas... (Silence vide).
|
|
|
-Vous ne voulez pas... ?
-Pas devenir comme les autres. Là, ...
je suis bien. Je ne veux leur ressembler.
|
|
Abstinence motivée par identification secondaire
|
-Oui, comme vous disiez, c'est ce qui peut vous arriver demain
qui vous motive.
-Oui, c'est ça. (Silence
vide).
|
|
Appréhension (anxieuse ?) vis-à-vis de la
réalité du trouble sur long terme
|
-Et votre vie affective ? Vous me parliez d'une dispute
la dernière fois ?
-Oh, ba ça y est... C'est
arrangé ! C'est résolu.
|
|
Conflit sur le plan affectif (rapidement ?) résolu
et minimalisé
|
-Que ressentiez-vous face à cette dispute ?
-Je me sentais coupable (silence vide).
|
|
Minimalisation contradictoire avec affect de départ
|
-Coupable ? Pour quelles raisons ?
-Ba... en fait, c'est moi qui aie
cherché la petite bête. C'est moi qui ait
voulu ça.
|
|
Tension interne dans le couple recherché consciemment
(sado-masochisme moral ?)
|
-Comment ça ?
-Ba, j'ai cherché un prétexte
pour boire ce soir-là.
|
|
Alcoolisme où tout devient prétexte pour
boire... (Descombey JP)
|
-Et cette culpabilité aujourd'hui ?
-Je me sents plus coupable. C'est
résolu. C'est fini.
|
|
Culpabilité disparaissant face à la
résolution du conflit
|
Donc vous recherchiez un prétexte pour boire ?
-Oui, c'est devenu comme ça,
maintenant...
|
|
Caractère permanent du prétexte à
boire
|
...Et je veux plus. Je voulais boire, alors fallait une cause.
Maintenant, je veux arrêter ça. Avec ma copine,
je veux que ça dure ! Arrêter mes
bêtises !
|
|
Nouvel investissement : engagement dans la durée
sur le plan affectif
|
-(Silence, j'acquiesce et le laisse poursuivre)
-En fait, je veux aller au devant...
|
|
Projection vers l'avenir (nouveaux investissements)
|
Avant, j'étais entre
les hommes et les femmes : une fois les hommes, une fois les femmes.
(Silence vide)
|
Evalue-t-il mon ouverture d'esprit sur la question ?
|
Orientation sexuelle troublée (bisexualité)
|
-Vous aviez des difficultés à trouver votre
orientation sexuelle, si je comprends bien... ?
-Oui. J'ai eu des relations avec des hommes.
Je veux arrêter ça. Aujourd'hui, j'ai une
copine...
|
Pourquoi ce changement de choix d'objet ?
|
Antécédents : homosexualité
Aujourd'hui : hétérosexualité
|
-Vous avez eu des relations longues et sérieuses avec
des hommes ?
-Oui. (Silence plein). Ba 2
ans. (Silence plein)
|
|
2 ans de relation homosexuelle stable encore source de
« pensée » aujourd'hui
|
-Quel souvenir en gardez-vous ?
-C'était très bien. Une
bonne expérience (silence vide). Puis ça s'est
fini du jour au lendemain.
|
Cela me semble paradoxal
|
Rupture affective (imprévue ?) malgré les
bons rapports affectifs
|
-Du jour au lendemain ?
-Oui (silence plein).
-Qui a voulu cette rupture ?
-Moi. C'est moi (silence
plein).
|
|
Il brime sa pulsion homosexuelle
|
-Cela a été un moment difficile ?
-Oui (silence plein)
|
Je ne comprends pas bien
|
Rupture certainement forcée par des facteurs sociaux
|
-Quelles ont été vos motivations pour rompre
à cette époque ?
-Mes amis, autour de moi, ils ont une vie de
famille. Des femmes, des enfants. Une maison, et tout quoi ! ...
|
|
Rupture du choix homosexuel : étayage sur la norme
sociale : vie familiale avec couple hétérosexuelle
|
...Moi aussi, je veux regarder devant :
une femme, des enfants, une vie normale... (Silence
vide).
|
|
Désir de parentalité car identification
primaire
|
-Et cela n'aurait pas été possible avec un
homme ?
-Non, non. (Silence vide).
Non, je pense pas. (Silence plein)
|
|
Dénégation de la possible vie familiale avec un
couple homosexuel mais source de retranchement vers soi
|
-Silence plein que je soutiens sans
intervenir.
|
Ce silence commence à peser mais il faut que je
« tienne », que je respecte ce moment de repli sur soi
|
Remise en cause de sa théorie personnelle sur la norme
familiale ?
|
-Silence vide, il me regarde, je lui souris
et lui dis : « Que pensez-vous de ce
silence ? »
-Pardon ? J'ai pas entendu ?
|
Son regard me donne l'impression d'avoir son
« accord » pour intervenir
|
Processus de pensée où autrui trouve
difficilement sa place ?
|
-Que pensez-vous de ce silence ?
-Heu... (Silence plein). Je ne sais pas quoi
répondre à cette question.
|
|
Rétrécissement du dialogue ?
|
-Que ressentiez-vous face à ce silence ?
-Ba, j'aime bien quand je suis seul, comme ça. Je peux
réfléchir, penser. Mais
pourquoi cette question ?
|
Je cherche à voir si l'e vide est une situation
anxiogène pour lui mais c'est absurde puisque je suis encore
présente physiquement donc où est le vide ?
Je comprends sa question : où vais-je par cette
piste ?
|
Le repli sur soi équivaut à introspection
|
-Parce que les silences peuvent parfois être source de
malaise...
-Non, non. Moi non.
(Alternance silences plein/vide durant 1 ou 2 minutes). Donc
voilà. (Il rit).
|
J'ai du mal à comprendre ce silence et ce rire...
|
|
-Donc, oui, voilà... Vous vous sentez
guéri...
-Oui, plus fort. Je me suis
rendu compte que sans alcool, je suis pas faible.
|
|
Guérison : retrouvaille d'un Moi plus
consistant ?
|
-Donc finalement vous vous êtes retrouvé, c'est
ça ?
-Je fais plein de choses le matin, le Dr...
m'a laissé la permission de sortir un peu. Puis je vais
faire du sport, puis avec les autres, je suis
moins timide...
|
Serait-il un privilégié du service ?
|
Auto-médication : occupations et relations
sociales
|
...Je vois que je n'ai plus besoin
d'alcool.
|
|
Alcool : substance primaire (besoin)
|
-C'est bien, vous avez fait du chemin depuis votre
arrivée. Vous semblez avoir fait un travail sur vous. Vous semblez avoir
retrouvé confiance en vous.
-Oui... (silence vide, il me sourit).
|
Il aime les compliments
|
Regard de l'autre : influence estime de Soi
(renarcissisation)
|
-Mais il est important que vous vous questionnez sur l'origine
de ce sentiment de faiblesse que vous ressentiez. Pour être capable de la
mettre en lien avec quelque chose, pour la comprendre et en faire quelque
chose...
-... (Il me coupe la parole). C'est mon
père. Il buvait, en fait...
|
Il m' « impose » un
souvenir ? ou sait-il où je veux en venir ?
|
Antécédents familiaux (père) mis en lien
avec son sentiment de faiblesse
|
...(silence plein)
|
|
Emotions passées encore d'actualité
|
Je le laisse poursuivre :
-...Et quand il buvait, il devenait violent,
très agressif ...
|
Le lien identificatoire me rend davantage alerte
|
Identification primaire au père (agressivité
quand alcool)
|
-Comme vous lorsque vous buvez ?
-Oui, comme moi.
|
|
Identification primaire au père (agressivité
quand alcool)
|
(Silence vide). Il frappait ma mère,
il la battait.
|
Cela me semble un peu trop proche des scénarios
classiques
|
Agressivité dans le couple parental
|
-Ca a du être marquant.
-Oui... Traumatisant
même (il se replace sur sa chaise, comme s'il
était mal assis). Un vrai traumatisme ! (Silence plein,
larmes aux yeux)
|
|
Tonalité du souvenir dramatisée
Emotions passées encore d'actualité
|
-(Je reste silencieuse)
-Et ma mère restait avec lui quand
même ! Comme quoi... (il baisse les yeux au sol, puis me regarde).
C'est n'importe quoi !
|
|
Incompréhension du comportement de la mère
Jugement négatif de la mère (car passive) ?
|
Il poursuit : Ils sont encore ensemble
aujourd'hui... (il sourit). Comme quoi !
Mais mon père boit moins aujourd'hui...
|
Effectivement, malgré la violence conjugale, la
mère reste... Paradoxe, mais en même temps, la mère
a-t-elle le choix ?
|
Couple parental jamais séparé
Actuellement : alcoolisme du père en baisse
( ?)
|
-Et vous, vous étiez où durant ces
disputes ?
-Comment ? Je n'ai pas entendu (il
rapproche une de ses oreilles)
|
Aurai-je touché un point sensible ?
|
Problème d'audition ou repli sur soi le rendant un peu
« hermétique » ou acte manqué ?
|
-Etiez-vous témoin de ces disputes ?
-Oui.
|
|
|
-Et donc... que faisiez-vous ?
-Je ne pouvais rien faire. Un vrai
traumatisme (Silence vide).
|
|
|
-C'est peut-être ici que votre sentiment de faiblesse
trouve son origine, qu'en pensez-vous ?
-Oui... (Long silence plein). Je me sentais
impuissant. (Long silence plein). Alors
voilà.... (Silence vide).
|
Le patient ayant déjà mis en lien faiblesse
propre/force paternelle, je me permets d'interpréter...
Me demande-t-il de faire fonction méta ?
|
Moi écrasé par la toute-puissance phallique du
père
|
-Je comprends combien cela a du être dur pour vous.
-(Il acquiesce et ne dit rien, il me regarde).
-Pouviez-vous faire quelque chose ?
-Non... (il soupire). J'étais trop
petit.
|
|
Angoisse castration (génitale/ phallique ?)
|
-Vous l'avez sans doute fait : par l'amour de ses
enfants, elle s'est sentie protégée.
-Elle me disait la même chose. Mais
bon...
-Vous sentez-vous coupable ?
-Je n'ai pas l'impression de l'avoir...
-Comme vous le disiez, vous étiez trop petit. Alors
vous avez fait ce que vous pouviez avec vos moyens. Non ?
-Je sais pas... (Silence vide).
|
Je tente de le déculpabiliser. Je ne veux pas laisser
le patient repartir avec un tel point d'angoisse ?
|
Incertitude concernant sa capacité à
protéger l'objet d'amour maternel (idem pour objets féminins
secondaires ?)
|
-Bien. Nous allons nous arrêter là pour
aujourd'hui. Je vous laisse y réfléchir à tête
reposée.
-Oui (il me sourit brièvement).
-Vous avez fait du chemin, il faut poursuivre dans cette
optique. Il faut que vous réfléchissiez aux situations à
risques de rechute et aux moyens que vous allez mettre en oeuvre.
-Je veux prolonger ma cure. Pour être
sûr que ça marche.
|
Il m'avoue une faiblesse
|
Défi du toxique car persistance du sentiment de
fragilité vis-à-vis du toxique ?
|
-Vous n'en êtes pas sûr ?
-Ba un mois... c'est court, j'aimerai un mois
de plus !
|
|
Appréhension du temps imparti pour la cure de
sevrage
|
-Oui, vous avez raison. Un prolongement de cure peut vous
aider à atteindre une meilleure garantie d'abstinence sur long terme (Il
hoche la tête). En avez-vous parlé au Dr... ?
-Non, pas encore.
|
|
Faible degré de la motivation du prolongement ?
|
-Il faut le faire, pour une raison de réservation de
votre place.
-Ah, d'accord (je le regarde un peu
soigneusement, son air me semble indifférent)
-En attendant, il faut réfléchir aux situations
pouvant vous placer dans une tentation de reboire. Ca vous permettra de penser
aux stratégies pour ne pas rechuter.
-Oui, même 10 ans après, y en a qui
rechutent !
-Oui, cela peut arriver.
|
Il me semble peu « convaincu », comme
détaché de ce que je lui dis
|
« Bon élève » ?
La maladie en tant que fatalité ?
|
Je lui demande s'il souhaite un autre entretien, il
répond que oui.
|
Je me demande pourquoi il souhaite un autre entretien
puisqu'il se considère guéri...
|
|
Mr B : ENTRETIEN N°3
Verbal / non-verbal
|
Eléments
contre-transférentiels
|
Hypothèses
|
Je vais chercher le patient dans le salon fumeur : On y
va ?
-Oui, oui, allez, on y va.
|
|
|
On marche en direction de sa chambre. J'entame le dialogue une
seconde fois :
-Désolée pour le retard. On devait se voir
à 10h30 mais la réunion a duré plus longtemps que
prévu (il me sourit, comme pour me dire que « ce n'est pas
grave »)
(Il s'arrête devant le bureau de
l'infirmerie).
|
Cela me gène de devoir changer de cadre, mais je n'ai
pas le choix : le bureau n'est pas libre.
|
Le patient et le cadre : l'habitude
|
-Non, nous allons faire l'entretien dans votre chambre
aujourd'hui. Les infirmiers ont besoin du bureau.
-Ah, oui. D'accord.
|
|
Le patient et le cadre : tolérance du
changement
|
Arrivés dans la chambre, l'agent de service fait son
ménage. Je lui demande :
-Vous en avez pour longtemps ?
-Ah oui ! Ce matin, c'est la
folie !
|
Elle semble affectée par ce matin : la Psychologue
lui avait demandé de remettre le ménage de la salle à
manger plus tard (réunion staff)
|
Femme de ménage : aucune coopération
|
Le patient me rapproche une chaise près de son lit et
me dit :
-Voilà, asseyez-vous.
-Disons que ça me dérange de faire l'entretien
pendant que la femme de ménage est là.
-Oh ! C'est pas grave. Rien de personnel à
dire.
|
Je me sents dépassée par la situation :
comment poser un cadre ?
|
Désinvesti du suivi psychologique ?
|
Je m'assoie et laisse un silence passer. J'attends que la
femme de ménage finisse de passer la serpillière.
|
Je me sents vraiment dépassée : j'ai
l'impression d'empiéter sur son espace de travail.
|
|
Le patient interrompt cette attente :
-Voilà. (Il me sourit). Tout
va très bien.
J'attends un peu avant de répondre, occupée par
la présence de la femme de ménage qui quitte (enfin) la chambre.
Je réponds au patient :
-Votre cure se déroule donc sans bémol ?
|
Impatience ou silence anxiogène ?
|
Patient s'estimant guéri
|
-Ah oui, très très bien. Je
fais du sport, les permissions se passent
très bien...
|
Mais à quoi puis-je servir dans ce cas ? Pourquoi
voulait-il prolonger sa cure ? Où m'amène-t-il ?
|
Déroulement de la cure idéalisé
|
...Les autres, avec eux, je suis bien. On
rigole bien.
|
|
Activités : sport, sorties, relations sociales
|
-Avez-vous ressenti des difficultés par rapport
à l'alcool ?
-Non, non. Rien.
(Je laisse un silence s'installer).
|
A quoi rime cette rencontre : sur quoi vais-je pouvoir
travailler ?
|
Dénégation ou réalité ?
|
-Vous est-il arrivé d'y repenser ?
-Non, pas du tout.
-La nuit, dans vos rêves, ou la journée ?
-Non, rien. C'est fini.
|
Il me semble peu coopératif, mais c'est peut-être
là-dessus que je vais me baser pour travailler
|
Alcool écarté de toute pensée
conscience : tentative de refoulement ?
|
-Vous vous considérez comme totalement guéri
alors ?
-Oui, complètement guéri. (Il
me sourit).
|
Sa réponse en miroir m'irrite un peu
|
Suggestibilité ? Séduction ?
|
Comment expliquez-vous cette rémission totale et sans
difficulté ?
-Par l'envie d'avancer dans la vie (il
sourit). Je n'ai pas envie de retoucher à l'alcool.
|
|
Abstinence et projets
|
-Qu'est-ce qui aurait motivé cette perte d'envie de
boire ?
-Ne pas regarder en arrière. Je vais
m'occuper une fois dehors. Comme ici. Et puis
je vais vite reprendre mon travail.
|
Pourquoi est-ce que je pose cette question, puisqu'il m'a
déjà répondu ? Le patient me désoriente...
|
Maintien abstinence par la substitution/étayage :
le travail et le sport
|
-Donc, votre clé contre l'alcool, ce serait des
occupations ?
-Oui, c'est ça. (Silence vide).
|
|
Toute puissance narcissique retrouvée ?
|
-En effet, ça peut être un bon moyen.
-Voilà. (Il sourit. Silence
vide).
|
|
Introspection semble impossible aujourd'hui
|
-Donc vous êtes guéri...
-Oui...
-Et pourtant, vous souhaitiez me revoir...
-Oui, parce que ça fait du bien de
parler. De dire les choses. Ne pas
garder en soi.
|
Il me remet à ma place de dépôt... Ce qui
me blesse un peu, mais en même temps, c'est aussi mon rôle
|
S'estime guéri de son addiction
Inverse l'asymétrie (dépôt)
|
--Vous avez des choses particulières à me
dire ? Des choses qui vous préoccupent ?
-Non. Plus rien. Je vous ai
tout dit. D'important... J'ai tout dit... (Il sourit). Mais
c'est vous raconter ce qui se passe dans mes
journées.
|
Je suis dans l'attente... mais en même temps, il me
livre déjà du matériel sur lequel travailler...
Le factuel... n'est-ce pas à ses amis qu'il doit le
livrer ?
|
Considère avoir fait le tour de la question de son
trouble
Nouveau matériel à livrer : le factuel
|
-Avec cet entourage, en avez-vous la
possibilité ?
-Oui, oui. J'ai de très bons amis. Ils
m'aident beaucoup. Je peux parler avec eux.
-Même de votre problème d'alcool ?
-Oui, oui. (Silence vide).
|
Je refuse d'exercer la même fonction que ses amis
|
Cercle amical fortement idéalisé
Alcool&amis : matière à penser
|
-Bon, et bien puisque tout semble aller, je vous propose de ne
pas vous donner de rendez-vous moi-même. Ce sera à vous de choisir
le prochain entretien. Je vous laisse la semaine pour y
réfléchir : soit mardi, soit jeudi matin.
-Oui, d'accord (il se lève).
-Vous viendrez me voir dès 9h00 pour fixer votre
entretien. On inverse les rôles cette fois-ci (je
sourit, l'air un peu ironique). D'accord ?
-Oui.
|
Etant perdue, je préfère écourter
l'entretien et lui donner la tâche de fixer le prochain entretien :
le but étant qu'il investisse plus le suivi
Cette ironie laisse parler ma volonté de
réintégrer l'asymétrie dans le bon sens
|
Répercussion sur autrui de son envie/tendance à
vouloir contrôler le toxique/l'environnement
Indifférence face au nouveau cadre ?
Suggestibilité ?
|
-Votre prolongement de cure : où en êtes
vous ?
-Non, non. Je ne veux plus prolonger.
|
Le risque de la 1è cure est souvent ce cas de figure
|
Sentiment de toute-puissance narcissique ?
|
-Et que vaut ce changement de décision ? Vous
vouliez prolonger l'autre fois, il me semble ?
-Non, maintenant, je veux plus : je suis
très bien, tout va très bien.
|
|
Idéalisation de Soi
|
-Donc la semaine prochaine vous sortez...
-Oui (il sourit).
-Bon, et bien, j'attends votre demande de rendez-vous. A la
semaine prochaine.
-Oui, la semaine prochaine. Bon week-end.
-Merci, vous aussi.(Je sors de la chambre)
|
|
Impatience face à la sortie ?
Séduction ?
|
Le patient n'est jamais venu demandé d'autres
entretiens. Lorsque je le relançais, il me disait aller pour le
mieux : « Je sais que je peux venir vous voir quand je veux,
quand ça va pas. Mais là ça va très
bien ». L'asymétrie clinicien/patient me semble
biaisée puisque le patient me laisse dans une place d'attente.
ANNEXE 2 : Mme E
Mme E : entretien n° 1 :
Matériel verbal/non-verbal
|
Eléments
contre-transférentiels
|
Hypothèses
|
-Alors, Qu'est-ce qui vous amène à
réaliser cette cure ?
-Oh ! Ba comme d'habitude. Toujours le
même problème : je ne comprends pas pourquoi
je bois.
|
|
Position passive face à la dépendance (la perte
de contrôle)
|
-Vous ne comprenez pas ?
-Oui. C'est étrange, vous
avouerez, cette façon que j'ai de boire seule
et de ne pas boire quand il y a du monde...
|
Elle tente de me faire partager son avis
|
Consommation solitaire inexpliquée puisque l'alcool
festif ou « social » ne l'intéresse pas
|
... même quand je sors en ville, à A., le Cours
M., je sais pas si vous connaissez...
-Oui, je connais cette ville.
|
Elle porte un intérêt sur ma compréhension
de son discours
|
|
-Et bien vous avez vu tous ces bars et
cafés ?
-Oui... (lui dis-je d'un ton un interrogatif).
|
Pourquoi dépense-t-elle tant d'énergie à
me rallier à son opinion ?
|
|
-Et bien, je ne prends pas d'alcool. Je commande une
orange pressée... pas d'alcool. Alors, c'est toujours la
même question : pourquoi je bois ?
|
Cette question me fatigue car la patiente me semble y trouver
les bénéfices d'un contre-investissement de sa
culpabilité
|
Importance de la boisson : si pas alcool alors autre
liquide
Recherche de l'étiologie : quête de
déculpabilisation ?
|
Je tiens à canaliser la patiente sur le réel
travail possible durant cette cure :
Oui, je comprends que c'est important pour vous de comprendre
pourquoi. Mais il me semble que comprendre ce qui vous
motive à boire et ce que vous apporte
l'alcool est le plus important. Peut-être
arriverons-nous à comprendre les causes de cette façon,
peut-être pas. Mais dans l'immédiat, l'essentiel est de comprendre
comment s'organise votre trouble.
|
|
|
-Votre mère adoptive ?
-Oui, j'ai été
abandonnée par ma mère biologique à
l'âge de 18 mois...
|
|
1er geste du matin : acte de boire
Mère adoptive et neuropathie
|
...Enfin abandonnée... elle ne pouvait
pas m'assumer...
|
|
Remâchage du terme "abandon" de la
mère
|
...Ensuite, je remonte chez moi pour faire
mon petit ménage...
|
Semble rassurée de voir que j'ai retenu certaines
choses
|
Les visites chez la mère : une
régression
Les moments d'indépendance : une
remontée
|
Et quand je fais mon repassage, il y a des moments où
je m'arrête pour aller de boire. Comme ça,
sans raison, sans rien...
|
Elle me donne du matériel mais non-traitable,
non-élaborable
|
Moments d'indépendance : consommation d'alcool
compulsive
|
... Je m'arrête et je vais boire quelques
gorgées. C'est grave quand même !?
-Pourriez-vous me dire ce que vous ressentiez : que se
passe-t-il à ce moment (une image particulière, une
sensation...) ?
|
J'ai l'impression qu'elle cherche à ce qu'autrui la
plaigne ou la qualifie de grande malade malgré elle, je m'y refuse
|
|
-Non. Rien. (Silence vide). Une impulsion,
c'est comme ça.
-Quelque chose de plus fort que vous,
d'incontrôlé ?
-Oui, voilà...
|
|
Compulsion permet de ne pas se responsabiliser face à
la consommation.
Tendance à banaliser cette souffrance issue de la
compulsion
|
... Alors après, je fais à manger pour
ma mère...
|
|
Fonction maternelle inversée par l'handicap de la
mère
|
« Mr E. » mange
avec nous...
|
Je suis surprise par ce recul face au conjoint
|
Triangulation oedipienne Mme E/mari/mère
|
... Mais ma mère et lui ne sont jamais
contents de ce que je fais à manger : ma mère dit
que je les nourris mal...
|
Je m'imagine le sale caractère de la mère...
|
Fonction maternelle de la patiente mise en échec par la
mère
Culpabilisation de la mère
|
... que je fais pas ce qu'ils aiment. Alors
je me demande toujours ce qu'ils veulent...
|
|
Jugement de la mère : effet négatif sur la
patiente
|
... mais elle n'est jamais contente :
elle préfère ce que lui fait la jeune fille qui
s'occupe d'elle ou ce que « Mr E »
veut.
|
|
Culpabilisation et rivalité avec les autres
|
-Donc, finalement, elle vous reproche de ne pas bien vous
occuper de vos proches ?
-Oui, c'est ça. Alors moi, ça
m'énerve ! C'est pas
juste !...
|
|
Mère culpabilisante d'où sentiment d'injustice
et colère
|
... « Mr E » me dit
tout le temps que je ne lui fais jamais plaisir !...
|
|
Le mari comparé à la mère
|
... Mais ça dure depuis longtemps...
depuis qu'on fait chambre à part. Alors... (Silence
vide, elle me regarde)
|
|
Rupture dans la vie sentimentale (changement de mode de
vie)
Idem pour la mère ?
|
-Votre relation de couple est devenue difficile ?
-Oh oui ! (elle
rigole)
-Et comment pouvez-vous expliquer ce changement ?
|
J'ai du mal à trouver son rire approprié
à ce changement que j'estime majeur dans une relation de couple
|
Changement pris à la dérision ?
|
-Ba, « Mr E » a eu une autre vie
à côté. Il faisait sa vie et quand j'ai compris,
moi aussi j'ai fait ma vie.
|
|
Le don de l'échange : un donné pour un
rendu (la dette et la vengeance)
|
-Comment avez-vous réagi face à ses
infidélités ?
-J'ai été blessée. Oui.
Très blessée. Parce que je ne comprends
pas pourquoi il a fait ça, je comprends pas pourquoi.
|
|
Infidélités mari : souffrance
dramatisée chez la patiente relative à un sentiment
d'injustice
Difficultés de remise en cause ?
|
-Vous êtes vous sentie coupable de ses
infidélités ?
-Non. Parce que c'est
lui...
|
|
Aucune remise en cause : explication exogène
|
... Il est complètement
« schizo », vous
savez...
|
Tente de me rallier à son diagnostic
|
Cause des infidélités : la maladie mentale
du mari
|
... Un jour c'est blanc, un jour c'est noir.
Et il a toujours peur de ce qu'on peut dire sur lui...
|
|
Cause des infidélités : la
instabilité mentale et manque de confiance du mari
|
... Toujours en train de tout surveiller et
tout ça ! oufa ! je ne vous raconte pas, c'était
insupportable !
|
|
Lassitude chez la patiente ou description d'un rituel chez le
mari ?
Dramatisation du trouble du mari
|
-Qui vous a parlé de schizophrénie à son
égard ?
-Ba c'est moi... qui ai conclu ça.
Mais il est allé voir un psychiatre pendant longtemps,
parce qu'il était zinzin (signe de la main près
de la tempe) dans sa tête !...
|
|
Séduction : trouver les outils donnant la
crédibilité
|
... Et donc voilà, avec « Mr E »
c'est plus du tout pareil depuis longtemps !
|
|
Perte et changement
|
-Vous avez perdu confiance en lui ?
-Oui, totalement. Mais il faut dire qu'il est
spécial et qu'il m'aide pas à ne pas être
méfiante !
|
|
Justifie ses actes par des causes exogènes : perte
de confiance dans le couple à accuse du mari
|
-Comment ça ?
-Ba, l'autre fois quand il devait aller à M. pour faire
des courses et qu'il est revenu 10 minutes après sans courses,
sans rien m'expliquer ?
(Je la regarde sans répondre, j'acquiesce)
|
|
Incompréhension : menace & source de
l'activité fantasmatique
|
-Oui, et bien, si mon amie ne me ment pas,
mais elle me ment pas, j'ai confiance en elle, elle m'a dit
qu'il y avait des embouteillages de A. à M.. Il aurait pu me le dire
quand même ? Vous voyez ?
|
Cherche à me convaincre ou à obtenir un avis
extérieur ?
|
Confiance aux autres (amie) mais pas au mari
|
(Je ne réponds pas, j'acquiesce de la tête,
simplement)
-Alors voilà : entre ses
infidélités et tout ça ! Je ne lui fais plus
confiance.
|
|
Jalousie pathologique ?
|
-Et autrefois ? Vous ne m'avez pas parlé de votre
rencontre...
-Oh ! (elle sourit). J'étais
jeune ! J'avais 18 ans...
|
L'air me paraît un peu nostalgique
|
Rencontre du mari lorsque jeune
|
... Mes parents ont voulu que je me marie
vite. Il était plus âgé...
|
Comment a-t-elle pu supporter ?
|
Mariage sur la volonté parentale avec un homme plus
âgé (mari) Passivité ? ou éducation ?
|
... Sa famille me l'avait dit
avant le mariage : « T'es sûre ? Tu
veux l'épouser ? Tu sais, il est un peu
toc-toc ! »...
|
|
La belle-famille prise à témoin de la folie du
mari
|
... Alors bon, moi, j'y croyais pas, vous
savez, j'étais jeune, la naïveté
du début...
|
|
Causes exogènes à toute erreur de sa part
|
...Et puis, au début je ne voyais
rien : il était normal, du moins...
|
Se poserait-elle en tant que sujet ?
|
|
... Puis après on a eu trois enfants. Puis
je me suis mise à boire...
|
Le lien me frappe
|
Maternité / alcool
|
... et il a commencé à
contrôler mes planques. Et il trouvait
toujours ! (elle rigole).
|
Je ne trouve pas ce qu'il y a de drôle dans cette
attitude, mais je souris
|
Alcool : défi du mari, jeu ?
Mari : instance surmoïque vis-à-vis du
toxique
|
-Et vous pensez que l'alcool aurait pu joué dans votre
couple ?
-Oui, quand même, il
s'inquiétait beaucoup... Il voulait jeter toutes mes
bouteilles,...
|
|
Alcool : attirer l'attention du mari
|
...les vider et tout ça, vous savez...
Puis voilà...
|
Quelle signification peut avoir ce mot pour elle ?
|
|
-Il serait alors devenu votre gendarme...
-Comme vous dites... il est devenu
mon gendarme, plus mon mari.
|
Me signifie qu'elle retient des choses (effet gratifiant sur
moi)
|
Mari représente interdit (Surmoi ou interdit paternel
?)
|
-Et cela vous accommode ?
-Oh... quelque part oui. Mais en même
temps, non. (Silence vide)
|
|
Ambivalence affective vis-à-vis de sa propre
culpabilité : perversion ?
|
-Vous vous sentez au centre de son attention lorsqu'il cherche
vos cachettes ?
-Oui, je le mets à
l'épreuve...
|
|
Défiance du mari : test de ses limites affectives ?
|
...Je l'emprisonne...
|
|
Défiance mari : alcool comme moyen de l'accaparer
|
... Je sais que c'est pas bien (Elle se met
en arrière sur la chaise. Silence plein).
|
|
Reconnaissance de la notion déviante de son acte
|
-Vous m'avez l'air touchée par ce constat...
-(Elle me coupe la parole) Oui,
complètement !
|
|
Culpabilité et Surmoi rigide ?
|
-N'y aurait-il pas d'autres moyens pour qu'il vous
témoigne son affection ?
-Oui. Mais on ne sort plus beaucoup. Avant,
on faisait plein de choses...
|
|
Perte des loisirs au sein du couple
|
...Même au niveau intime...
|
|
Changement dans la vie sexuelle du couple
|
... Bon, au niveau intime, ça a toujours
été un peu difficile les 1er
temps...
|
|
Vie sexuelle dans le couple décrite comme difficile
durant les 1er temps (1er rapports sexuels de la patiente
?)
|
...Vous savez, mes parents sont
très vieille école : il faut coucher
qu'après le mariage !
|
|
Vie sexuelle tardive (mariage) car éducation parentale
conventionnelle
|
-Vous avez du découvrir la sexualité par
vous-même ?
-Oui, mais j'ai eu une amie qui m'a
aidée...
|
|
Cercle amical permet la découverte sexuelle
|
...Elle était plus dégourdie,
moins sous la pression de ses parents...
|
|
Cercle amical / patiente : décalage d'éducation
sexuelle
|
...Elle m'a montré certaines choses,
vous savez, les bisous et tout
ça...
|
Elle me semble gênée, mais ne s'agit-il pas d'un
passage normal de l'adolescence ?
|
Passage par des tendances homosexuelles pendant
l'adolescence
|
...Bon, j'étais un peu
perturbée et puis à 14 ans, j'étais
naïve, je ne savais pas que c'était
mal.
|
|
Culpabilité donc recours à la
naïveté et à l'immaturité pour se
déculpabiliser
Surmoi rigide ?
|
-Perturbée ?
-Perdue... (Silence vide, elle me
regarde).
|
|
Importance du regard de l'autre ?
|
-Dans la difficulté de trouver votre orientation
sexuelle ?
-Oui, c'est ça. Puis c'est elle qui
m'a fait comprendre les choses...
|
|
Tendance homosexuelles dans l'adolescence :
découverte de la génitalité
|
...Elle m'a sorti ces bêtises de la
tête ! Vous savez, ces histoires que les
parents racontent à leurs enfants ? ! ...
|
|
14 ans : théories sexuelles infantiles ?
|
... Ce sont des parents frustrés,
ça ! ...
|
|
Education sexuelle reçue justifiée par la
sexualité frustrée (imaginaire ?) des parents
|
...Elle m'a expliqué comment on faisait les
enfants, comment ils naissaient. Vous imaginez ? ! ...
|
|
Cercle amical permet la découverte de la
sexualité génitale
|
...A 14 ans, je pensais
encore que les enfants naissaient dans des boutons de roses ou de
choux !...
|
Effectivement, je trouve ça aberrent...
|
14 ans : théories sexuelles infantiles
|
... A l'école, en classe, une fois,
on s'est moqué de moi quand on m'a demandé
où j'étais née : j'ai répondu : dans un chou ! !
(Elle écarquille les yeux et hoche la tête, comme pour dire)
|
|
Décalage entre éducation sexuelle du cercle
amical / patiente menant à des difficultés sociales au
lycée
|
-Donc, finalement, vous avez mis du temps pour accéder
à votre féminité ?
-Oooh oui ! Ma mère
adoptive, elle ne l'a jamais fait ! ...
|
|
Féminité difficile d'accès car la
mère absente dans cette tâche
|
... Elle a toujours eu un problème
avec ça ! Alors j'ai découvert toute
seule ! (Elle lève le bras)
|
|
Mère distante sur le sujet de la sexualité donc
la fille apprend seule
|
-Et comment cela s'est passé pour vos 1er
rapports sexuels alors ?
-Oh, ba, je me suis laissée
porter...
|
|
1er rapports sexuels : passivité ?
|
... Et puis je connaissais quelques petites
choses...
|
|
1er rapports décrits comme peu
perturbants
|
... Mais moi, j'ai toujours été
contre cette éducation vieille école !
Mes enfants, je les ai pas éduqué comme
ça ! ...
|
|
Education sexuelle parentale reniée d'où son
éducation sexuelle parentale propre faite sur un autre mode
|
... Et aujourd'hui, ils vont très bien
!
|
|
Se gratifie de sa conception propre de l'éducation
sexuelle parentale
|
-Et vous ?
-Je bois (Elle soupire, comme usée)
|
Ce lien me frappe : est-ce un vrai lien ou une
déculpabilisation de son alcoolisme ? Je ne sais pas trop...
|
Lien éducation sexuelle parentale / alcoolisme
|
-Pensez-vous que l'alcool soit lié à votre
éducation reçue ?
-Oh.. Je ne sais pas... (Silence
plein)...
|
Ai-je touché un point sensible ?
|
Mise en lien partielle éducation sexuelle parentale /
alcoolisme
|
... Moi, je veux comprendre pourquoi !...
|
Cette question m'use
|
Psychorigidité ?
|
...Alors moi je pensais que c'était à
cause de ma mère biologique,...
|
|
Théorie personnelle : alcoolisme/abandon maternel
|
...Mais même pas, puisque je l'ai
rencontré ! et que ça n'a rien changé !
|
|
Théorie personnelle échouée
|
-Vous l'avez rencontré ?
-Oui, en 2003. Mais pas longtemps, elle est
décédée 3 mois après d'un cancer du
pancréas la pauvre...
|
|
Courtes retrouvailles avec la mère
|
-Vous avez été attristé par ce
décès ?
-Oh... c'était mieux pour
elle ! Vous savez, elle souffrait...
|
|
Minimalisation de la perte malgré l'identification de
la souffrance de l'autre
|
...Moi j'ai travaillé en tant
qu'infirmière en cardio, et je sais ce que c'est les
cancers !
|
|
Infirmière de profession (le soin)
|
(Je la regarde avec un air interrogatif)
...Eh oui ! Ils sont sous traitement chimio et tout ça,
ils se soignent mais ils savent qu'ils vont mourir !...
|
|
La fatalité du trouble : banalisation du
décès de la mère
|
...Alors, vous voyez, ma mère restait la seule
explication, et il s'avère que non puisque je bois encore !
|
|
Théorie personnelle : la nostalgie de la mère
biologique échouée
|
-Avant de comprendre les causes, il faut comprendre les
bénéfices et les motivations de votre consommation.
|
Je lui réexpose nos axes de travail, mais j'ai
l'impression qu'elle ne les entend pas
|
|
-Oui, mon suivi avec la psychologue au CCAA m'ont pas
permis de comprendre pourquoi je bois...
|
|
Echec de son suivi psychothérapeutique à
l'extérieur concernant les causes de son addiction à l'alcool
|
...Mais, en fait, avec Mme..., on a réussi à
traiter le fait que j'ai toujours le besoin de stocker
chez moi.
|
Un autre trouble addictif ?
|
Collectionnisme ou achats compulsifs ou les deux ?
Point de fixation : anal ?
|
-Stocker ?
-Oui, j'achète tout le temps, tout le temps
!...
|
|
Achats compulsifs
Dramatisation du trouble
|
...Pour stocker, garder en
réserve...
|
L'image me semble intéressante
|
Achats compulsifs liés à angoisse de vidage ? de
perte ? Instinct auto-conservation ?
|
... Là, maintenant, ça va
mieux, j'achète moins...
|
|
Evalue une évolution positive du trouble
|
...Je vais faire les courses qu'une fois par
semaine...
|
|
Evolution positive du trouble car caractère cyclique du
trouble en baisse
|
... Mais l'alcool, ça reste un
mystère !
-Je pense qu'il est nécessaire que vous fassiez un
travail sur vous-même pour parvenir à comprendre votre
dépendance. Les causes ne sont pas l'objet de notre travail.
|
Elle m'irrite de plus en plus
|
Hermétisme ?
|
-Oui, mais je ne comprends pas...
|
|
Acceptation partielle du travail que je lui propose :
hermétisme et psychorigidité
|
... C'est pas ma faute, c'est plus
fort que moi : c'est impulsif !
|
Cherche à me manipuler ?
|
Compulsion la dédouane de toute responsabilité
vis-à-vis de sa consommation d'alcool : victime
|
-Oui, je comprends, mais en même temps, nous ne pourrons
travailler ensemble si vous ne faites pas un effort sur vous-même pour
m'expliquer ce que sont ces pulsions incontrôlables...
-Oui, oui. C'est sûr
!...
|
Son hermétisme me met en colère, impression de
tourner en rond.
Comprend-elle ? Accepte-t-elle ?
|
|
...En plus, j'aime pas ne pas
comprendre...
|
|
Besoin de contrôle et d'emprise sur l'environnement
(fixation libidinale anale)
|
... Voyez, je suis toujours en train de tout
noter ! (elle me montre son cahier de textes).
|
|
|
-Ecrire est important pour vous ?
-Oui, ça laisse une trace.
|
|
Besoin de preuves ?
|
(Silence qui vient rompre la logorrhée de la
patiente).
-Votre consommation d'alcool date de combien de temps ?
-Oh...Je sais pas trop...depuis un moment
quand-même... !
|
Ce sujet semble la gêner
|
Parler de son alcoolisme : restriction du discours
|
-Approximativement ?
-Oh...(elle lève les yeux au plafonds
pour réfléchir). Environ 20 ans.
|
|
Alcoolisme persistant depuis 20 ans
|
-Et vous avez commencé dans un contexte particulier
?
-Un ami...
|
|
L'amant est déguisé en ami
|
-Que vous fréquentez toujours ?
-Non, non. On ne se fréquente plus.
(silence vide)
|
|
Le deuil de cet amant n'est pas verbalisé
|
-Quelles sont vos motivations concernant cette cure ?
-Comprendre, comprendre pourquoi je bois !
|
Cette question m'irrite, nous tournons en rond !
|
Idée fixe ?
|
-Bon, très bien, nous allons en rester là pour
aujourd'hui...
-D'accord. On se voit quand, à quelle heure
?
|
|
Demande RDV
|
-Le même jour, à la même heure. Cela vous
convient ?
-Non, le matin. Parce que l'animatrice de la
piscine n'est pas là, elle est en congé.
|
Me place-t-elle au même rang que l'animatrice ou besoin
de substituer son absence ?
|
Pose elle-même RDV et horaire
Substitut ?
|
-Très bien, le matin : 10h30.
-Très bien, voyez, je
note pour pas oublier !
|
|
Prise de notes : lutte contre angoisse, celle de manquer
quelque chose de prévu... à creuser
|
-Très bien, si cela vous rassure...
-Oui.
-Bien, à la semaine prochaine.
(Je lui tends la main, elle répond à ma
salutation en me souriant)
|
|
|
Mme E :entretien n° 2
Matériel verbal/non-verbal
|
Réactions
contre-tranférentielles
|
Hypothèses
|
Après avoir toqué à sa porte, elle me
propose d'entrer. Elle me prépare la chaise à côté
de son lit.
-Alors, depuis le dernier entretien ?
-Et bien, pas envie de boire. Plus
rien...
|
|
Evolution du trouble : aucune envie de boire
|
... Je suis vraiment contente...
|
|
Regard positif sur Soi : aucune envie de boire
|
... Mais c'est vrai que j'ai fait des
rêves où je buvais...
|
|
Déni partiel de l'envie de se réalcooliser
(rêves)
Rêves : les envies de boire encore sous forme
incontrôlée
|
... C'était horrible !
|
|
Souffrance liée à la rechute ?
|
-Ah ? Racontez-moi...
-Et bien hier soir, par exemple, j'ai rêvé que
j'étais chez moi, en bas...
|
|
Rêve : Bas : descente : alcool ?
|
... Je buvais. Je voulais
boire...
|
|
Rêve : Réalisation du souhait ou
pas ?
|
...Mais le bouchon de la bouteille
était mal fait...
|
|
Rêve : Défaillance de la bouteille
|
...L'alcool coulait pas, il coulait
mal, vous voyez (elle mime le geste : bouteille renversée
à la main)...
|
|
Rêve : Le liquide difficile d'accès
|
... Alors au bout d'un moment, j'ai dit : « Bon
tu vois bien, rien n'est fait pour que tu puisses
boire ! »...
|
|
Rêve : la bouteille ne se laisse pas faire face
à l'envie
|
... Alors j'ai laissé tomber...
|
|
Rêve : passivité face à la
bouteille
|
... Et j'ai essayé de ranger la
bouteille dans ma planque habituelle, dans un des
tiroirs...
|
|
Rêve : tentative de contrôler le produit
(comme d'habitude)
|
...Mais elle ne rentrait pas, toujours
quelque chose qui dépassait de la bouteille...
|
|
Rêve : échec de la tentative de
contrôle du produit
|
...Et je culpabilisais, je me suis rendu
compte que ce n'était pas bien.
|
J'ai l'impression qu'il y a une évolution depuis la
dernière fois : capable de verbaliser le ressenti
|
Culpabilité vis-à-vis de l'envie de boire ?
Ou parce qu'impuissance ?
|
-Ah, c'est intéressant... Et que concluez-vous sur ce
rêve ?
-Que boire c'est mal et que je ne
dois plus boire. C'est pas bien.
|
Le côté puéril me frappe : l'interdit
me semble perçu avec un regard d'enfant
|
Surmoi ?
|
-Ce qui est intéressant, c'est de voir que vous vous le
dîtes à vous-même.
-Oui (elle sourit). Le gendarme
-Oui, votre (je la pointe du doigt) gendarme
|
Serait-elle renarcissisée ?
|
|
-Et donc, dans vos journées, vos envies de boire...
-(Elle me coupe la parole) Non, pas du
tout.
|
|
Dénégation de l'envie de boire ?
|
-Et les permissions ?
-Ba très bien. Je suis sortie au
restaurant avec « Mr E ». (Silence vide,
j'acquiesce). Et bon, pas envie de boire, mais comme
d'habitude vous savez...Je ne bois que seule...
|
|
Le couple partage des sorties
Envie de boire en public : aucune
Envie de boire seule
|
...Vous savez, j'ai remarqué, sur les
tables, les gens boivent ou du
vin ou de l'eau, c'est drôle vous
avouerez...
|
|
Lien entre alcool/nourriture
Lien entre alcool/convivialité
|
-Vous me semblez observatrice...
-Oui, beaucoup ! Mais
bon, ça les regarde, hein ?... (Je ne réagis
pas)
|
|
Déni partiel de son envie de boire en public ?
|
...Moi, je ne fais qu'observer. C'est
tout...
|
|
Tendance voyeuriste ou comparaison à autrui ?
|
...Il faut dire ce qui est : il y a beaucoup de
français qui boivent !...
|
|
Banalisation & généralisation pour se
déculpabiliser
|
... La France ! Hein... Il ne faut pas
se leurrer !... Et l'alcool il y en a de partout !
|
|
Banalisation & généralisation pour se
déculpabiliser
|
-Oui, la France... Mais en quoi cela vous concerne ?
-Non, pas du tout ! Moi, j'observe c'est
tout !...
|
|
Dénégation de sa quête de
déculpabilisation ?
|
...Beaucoup de gens boivent...
|
|
Banalisation de la consommation d'alcool
|
...Même la société, elle
fait rien pour que ça
s'arrête !
|
Elle me paraît se positionner dans une position de
victime, ce qui m'irrite car elle se démet de ses
responsabilités
|
Victime de la société de consommation ?
|
-Oui, peut-être pourrions-nous être amenés
à critiquer la législation concernant la vente d'alcool. Mais il
me semble que beaucoup de prévention est faite, non ?
-Oh ! La
publicité ! (Lève les yeux en l'air). Je ne
sais pas... Non, je pense que pas grand chose est fait (elle
hoche la tête pour renforcer son opinion).
|
|
La prévention confondue avec consommation et pas
santé
|
-Pensez-vous être victime de cette
société ?
-Victime... Non ! Mais
en tout cas elle nous aide pas !...
|
|
Déni partiel de sa passivité
Attente d'une aide extérieure
|
...Avec cette vente libre, ces gens
qui boivent du vin au restaurant...
|
|
Le monde extérieur est source de tentation
|
...Avec « Mr E » on y va
plus...
|
|
Tentation du monde extérieur menant à une
réorganisation du quotidien (plus de sortie au restaurant)
|
... Avant on sortait mais
bon !
|
|
Déni partiel de la cause (tentation alcool à
l'extérieur) du changement de loisirs dans le couple
|
-Donc, quelque part, vous êtes sollicitée,
tentée de boire en société ?
-Non, non. Moi, je bois toute
seule...
|
|
Dénégation de la tentation extérieure
Alcool en société : gêne ?
|
... Vous savez, je vous l'ai dit !...
|
Me semble contrariée
|
|
... Mais j'observe, c'est
tout ! Vous voyez, je regarde les
gens... !
|
|
Tendance voyeuriste ?
|
-Oui, vous me semblez attentive...
-(Elle me coupe la parole). Oui, tout à fait. Des fois,
je me mets sur la terrasse d'un café, juste pour
ça !...
|
|
Plaisir scopique intense
|
... Regarder la mode,
regarder les gens...
|
|
Plaisir scopique intense
|
...Pas pour moi, parce qu'à mon
âge...heu... je ne peux plus changer de style vestimentaire !
|
J'ai du mal à comprendre pourquoi, alors...
|
|
-Et que voyez-vous, alors, en observant les passants ?
-Ba ils sont mal habillés...
|
|
Autrui idéalisé négativement
|
...Et ils sont un peu étrange, quand
même, vous avouerez !...
|
Cherche-t-elle à me rallier à sa cause ?
|
Autrui idéalisé négativement
|
...La dernière fois, je suis sortie en
permission...
|
Quelle transition ?
|
Transition car situation anxiogène ?
|
...En fait, je ne m'en souvenais plus, mais
oui, je suis allée en permission...
|
Je ne comprends pas le rapport !
|
Transition car situation anxiogène ?
|
...En fait, « Mr E » voulait qu'on se
voit, je n'avais pas envie...
|
|
Pas envie de boire : pas envie de voir le mari ?
|
...Je lui ai dit que j'étais
fatiguée...
|
|
Faux prétexte pour ne pas voir le mari
(manipulation ?)
|
...Mais ensuite, ma voisine
d'en face m'a proposé de sortir...
|
|
Motivation pour sortir est supérieure quand il s'agit
d'une amie
|
...Elle avait des places de cinéma en
trop : quatre en tout...
|
|
Sortie au cinéma est plus attrayante qu'une rencontre
avec le mari
|
...Alors elle nous a proposé à moi, et une autre
patiente, une copine...
|
|
Lieu de cure : lieu de nouvelles amitiés ?
|
...Alors on y est allé. C'est
gentil, hein ?
|
Pourquoi me retourne-t-elle la question ?
|
Patiente touchée par la générosité
d'autrui
|
-Oui, tout à fait... Et comment s'est
déroulé votre sortie ?
-Ba on a d'abord bu quelque chose avant
d'aller voir le film...
|
|
Sortie entre mais commence par acte de boire
|
...Moi un café, ma
copine a bu un café aussi. Celle qui nous a
invité a bu un Orangina...
|
Elle me montre qu'elles n'ont pas rechuté
|
Enumération & bonne mémorisation... (les
chiffres, les détails)
|
...Par contre, son mari, a bu une
bière...
|
|
Mari de la voisine de chambre : alcoolique&aucun
respect de la cure des patientes
|
...J'ai trouvé ça ! J'ai
trouvé ça déplacé (elle écarquille
les yeux)...
|
|
Patiente révoltée par cette attitude du mari de
la voisine
|
...Je lui ai demandé : `Mais
ça ne te gêne pas qu'il boive devant toi, comme
ça ? » et elle m'a dit :
« Non, moi, c'est que le vin », « Ma
foi ! » je lui ai dit !......Mais vous me
direz, son mari...heu...c'est pas...
|
Elle veut détailler pour me replonger dans ce
contexte
|
Mise en dialogue : investissement de la scène
Incompréhension de sa voisine ?
|
-Pas de coopération vis-à-vis de sa
femme ?
-Ah oui ! Tout à fait ! J'ai trouvé
ça déplacé !...Et lui aussi il a un
problème d'alcool ! C'est sûr !
|
|
Juge le mari de la voisine alcoolique
|
-Cela vous a donc dérangé alors ?
-Non... Moi ? non...
|
|
Dénégation de la tentation de boire dans milieu
social
|
...De toutes les façons, je ne bois pas en
société, je vous l'ai dit !
|
Elle me semble se répéter sans cesse cette
phrase pour y croire...
|
Elle se convint de son alcoolisme solitaire ?
|
-Pourtant, vous m'avez paru sensible à la bière
de ce monsieur, au vin des gens à tables, ...
-Oui, mais là c'était parce
qu'il ne respecte pas sa cure...
|
|
Déni partiel de la tentation extérieure
|
... Et « Mr E », j'ai eu
peur qu'il téléphone pendant que j'étais
sortie !...
|
Pourquoi ne pas avoir dit au mari qu'elle ne voulait pas ou
qu'elle avait autre chose de prévu ?
|
Changement de thème car situation anxiogène
Refus sortie avec mari d'où mensonge (manipulation)
|
... Alors j'ai demandé à ma
voisine de chambre de me couvrir :
« Dis, tu pourras lui dire que je dors ? Ou que je suis
descendue à une activité ? »...
|
|
Objet extérieur au couple venant cacher le mensonge et
ce à quoi le désir aspire
|
...Elle m'a dit qu'il n'y avait pas de souci. Et il
appelé 5 minutes après que je sois rentrée
(éclats de rires)...
|
|
Situation avec éventuels conflits dans le couple :
source de satisfaction
|
...Ouf ! J'ai eu chaud !
(éclats de rires)
|
|
Infantilisme
|
-Donc, même durant votre cure, vous continuez à
lui cacher des choses ?
-Non, mais c'est pas ça !...
|
|
Déni partiel de sa tendance à manipuler le
mari
|
...Je ne voulais pas qu'il se vexe ou quoique
ce soit ! Vous voyez ?...
|
|
Manipulation (mensonge) pour protéger le mari dans son
narcissisme
|
...Il aurait été
déçu, si j'étais sortie sans
lui.
|
|
Manipulation (mensonge) pour protéger le mari dans son
narcissisme
Mari jaloux ou dans problème abandonnique ?
|
-Vous n'auriez pas pu lui expliquer les raisons pour...
-(Elle me coupe la parole) Non, il n'aurait
pas... Non, je n'avais pas envie.
|
Me laisse peu de place
|
Hermétisme ?
Difficultés à s'imposer en tant que sujet face
au mari ?
|
-Et donc, avec les autres patients... Vous entretenez de bons
rapports ?
-Oh, ba disons que je ne fréquente pas beaucoup
les autres ici...
|
|
Peu de liens avec les patients
|
...Vous voyez, ils sont bêtes et
méchants...
|
|
Patients décrits sous forme négative
|
...C'est comme la dernière fois : on devait aller
au groupe de parole. D'ailleurs les groupes de parole, on
parle toujours de la même chose !...
|
|
Groupe de parole : plainte sur les thèmes
récurrents
|
...Et puis y'en a pas beaucoup, pas
régulièrement !
|
|
Groupes de parole : frustration ?
|
-Comment ça ? Il y a un groupe de parole tous les
jours ?
-Oui, normalement, mais regardez (elle me
montre son cahier de textes)...
|
Elle me prend à témoin
|
|
...J'ai tout noté. Et on en a eu que
très peu des groupes de parole...
|
|
Persistance du collectionnisme ?
Prise de notes régulière des
éléments passés (importance du chiffre)
|
...Alors une fois c'est parce que l'infirmier
peut pas ou a pas le droit, une fois, je sais pas
quoi !...
|
|
Intolérance face à la frustration
Enumération importante
|
...Enfin, bref ! Il y a toujours une bonne
raison !
-Vous faites bien de ma le dire, je le signalerai à
l'équipe soignante.
|
|
Intolérance face au changement
|
-Oui, mais c'est qu'on attend, vous
voyez ! Et que jamais on est prévenu !
Toujours au dernier moment...
|
|
Frustration liée à l'attente
Intolérance face à la perte de contrôle
& à l'imprévu
|
...Il y a un manque d'information ! Je
ne vous dit même pas !...
|
|
Comme éducation parentale ?
|
...Et on attend pendant au moins 10
minutes ou ¼ d'heure ! C'est fatiguant,
non ?...(J'acquiesce)
|
Cherche à ce que je rejoigne son opinion ?
|
Frustration liée à l'attente
|
...Alors voilà, on nous laisse comme ça
pendant 10 minutes, ¼ d'heure, attendre, attendre...
|
|
Frustration liée à l'attente
|
...Alors, quand on nous a dit qu'il y avait pas de
groupe de parole, l'autre fois, ça m'a
énervée...
|
|
Intolérance face à la perte de contrôle
& à l'imprévu
|
...Et je ne me suis pas manquée de le
dire ! Haut et fort !...
|
|
Affirmation de sa colère, verbalisation
|
... Vous savez, je suis
honnête, je suis les choses comme elles viennent !
Honnête et spontanée !...
|
Cherche à me dévoiler une part d'elle-même
enfouie... ?
|
Se revendique honnête et spontanée
|
...Et un patient, un monsieur, m'a dit que
j'étais une « rabat-joie » !
Et que je n'étais jamais contente !...Alors, vous
voyez ?
|
|
Importance du jugement de l'autre
Décalage image de Soi/regard de l'autre
|
-Vous étiez déçue de ne pouvoir assister
à ce groupe, vous l'avez signalé et un patient vous a
reproché de le dire... Et qu'avez-vous...
-(Elle me coupe la parole) Oui, il me l'a
reproché ! Mais c'est normal que je le dise, ça,
non ?
|
Elle me laisse peu de place, ce qui est frustrant car j'ai
l'impression de ne pas pouvoir l'amener vers mes axes de travail
Cherche mon consentement
|
Importance du jugement d'autrui
|
-Qu'avez-vous ressenti lorsque ce patient vous a fait ce
reproche ?
-Ba j'ai été
déçue de voir, non,
énervée, de voir qu'il dise ça de
moi...
|
|
Jugement autrui : blessure narcissique
|
...Parce que c'est pas vrai. Moi, je
suis généreuse et agréable...
|
|
Décalage image de soi/regard d'aurtui
|
...Petite, j'étais une
rabat-joie, jamais contente...
|
|
Refus jugement car estime ne plus être dans position
infantile
|
...D'ailleurs, oulà ! Ca me fait penser
à mon enfance...
|
Pourquoi l'enfance est-elle réactivée par cet
épisode ?
|
|
...Il y avait un Mr qui faisait des photos sur un cheval. Vous
savez, les décors pour enfants ? (J'acquiesce)...
|
|
|
...(Elle rigole) Et bien jamais ma
mère n'a pu me convaincre de faire cette photo : rien
à faire ! je ne voulais pas !...
|
|
Bons souvenirs d'enfance
Enfant : hermétisme
|
...Je pleurais, je boudais ! Comme une
fois ! Oh, ça aussi !...
|
Le roman photo m'use un peu : c'est bientôt la fin
de l'entretien
|
Enfant : capricieuse (intolérance frustration)
|
...(Elle rigole) Sur le Cours B., il y avait un Mr qui avait
un manège. Vous savez, les manèges avec les grosses bouées
dans l'eau ?
-Oui, je pense (je réponds, un peu
désintéressée)
|
Attention flottante
|
|
-Voilà. Et bien moi, je voulais en faire.
Têtue comme j'étais, je
pleurais...
|
Je m'imagine l'enfant insupportable...
|
Enfant : hermétique et intolérance
frustration
|
... « Maman ! Je
veux faire du manège ! » (Elle mime la voix de
petite fille boudeuse). Alors ma mère est allée voir le
Mr et lui a demandé s'il pouvait ouvrir son manège...
|
La mère cède...La guerre d'usure ! Un petit
qui crie comme ça ! Forcément, il faut faire quelque
chose !
|
Appel à la mère pour réalisation des
souhaits
Mère passive face au caractère exigeant de
l'enfant
|
...Alors il a ouvert son manège.
Je ne me rappelle pas, c'est ma mère qui m'a dit
ça...
|
|
Tout le monde est passif face à l'enfant qu'elle
était mais doute ?
|
...Et moi, caguette comme j'étais ! J'ai eu peur,
j'ai pleuré ! « Maman,
je veux descendre ! » (Elle mime le cri de
détresse)...
|
La sale gosse !
|
Appel à la mère quand détresse
|
...Et ma mère : « S'il
vous plait, Mr, laissez-là
descendre ! »...
|
|
Forte identification de la mère aux affects de sa
fille
|
...Et il lui aurait dit : « Laissez-là,
au moins elle ne vous refera pas la même scène ! ».
Et il avait raison, plus jamais !
|
|
Interdit émanant de l'homme (fonction paternelle)
déterminant
|
-Vous étiez capricieuse alors ?
-Oui. Et tête dure aussi !
-Et aujourd'hui ?
-Aujourd'hui ? Oh non ! Plus
capricieuse !...
|
Heureusement, mais pas à sa manière ?
|
Enfant : hermétisme
Se considère changée (adulte)
|
...Et je suis généreuse
aujourd'hui ! Je rends service à TOUT le
monde ! (Silence vide, elle fouille dans un tiroir) Tenez, un
chocolat !
|
Le « tout » me marque, elle insiste
Elle me prouve sa générosité, dois-je
accepter ?
|
Actuellement : généreuse
Besoin de mettre en acte pour obtenir
crédibilité (le don)
|
-Non merci.
-Mais si, prenez, c'est pour
Pâques !
-Merci (je le mange).
|
Elle insiste, pourquoi pas ? Quelle limite
dépasserai-je ?
|
|
-Tenez, j'ai un bonbon aussi...
-Vous êtes gentille. Vous tenez à me prouver
votre générosité ?
-Oui, vous voyez ? Bon, généreuse
mais pas concernant l'argent !!
|
Elle me donne l'impression de m'envahir
|
Cherche à prouver sa générosité
Limites générosité : argent
|
-Ah... (Je lui souris). C'est intéressant, mais nous
devons en rester là pour aujourd'hui.
-Oui, je parle beaucoup, hein ?
-C'est la fin de la séance, j'ai d'autres RDV...
-Oui, je comprends. On se revoit
quand ?
|
Je ne veux pas répondre à sa question, vu la
fragilité du Moi face au regard de l'Autre
|
La patiente demande un rendez-vous
|
-La semaine prochaine, même jour, même
heure ?
-D'accord. Je le note, voyez (elle sort son cahier)
|
|
|
Mme E : entretien n° 3 :
Matériel verbal / non-verbal
|
Eléments
contre-transférentiels
|
Hypothèses
|
Je reçois la patiente dans le bureau de l'infirmerie.
Nous changeons de cadre. J'inities l'entretien :
-Alors ?
-Alors ? Et bien voilà, très
bien...
|
N'aurait-elle donc pas de plainte à formuler
aujourd'hui ? Je suis étonnée
|
Cure et état actuel qualifiés en fonction
positifs
|
...J'ai décidé de
réfléchir à mon prochain emploi
du temps...
|
Je suis étonnée
|
Réinvestissement de nouveaux objets possible &
quête de changement
|
...Je veux, en fait, réorganiser mes
journées...
|
|
Contrôle de son environnement
|
...Le matin, au lieu de prendre mon
café chez ma mère, je le prendrai chez
moi...
|
|
1er geste du matin : acte de boire chez la
mère ; changement : chez elle
|
...Et je lirai mon journal chez moi...
|
|
Quête autonomie et indépendance
|
...Vous savez, elle est
handicapée (J'acquiesce)...
|
Elle me répète les mêmes choses, mais cela
traduit ses craintes
|
Quête de changement entravé par la
culpabilité
|
...Je viendrai juste pour lui faire sa
vaisselle, et à manger aussi...
|
|
Réduit sa fonction maternelle inversée la
fonction nutritionnelle
|
...Vous savez, avec sa chaise roulante, elle peut pas
accéder à l'évier pour faire sa vaisselle, du
moins, j'ai peur qu'elle se fasse mal...
|
|
Culpabilité liée à l'état
d'invalidité de la mère qui appelle au holding maternel
|
...J'ai demandé à
« Mr E » s'il pouvait lui faire la
vaisselle, là...
|
|
Quête d'anaclitisme sur le mari pour partager cette
fonction maternelle
|
...Et il m'a dit que non : « Moi, je ne
fais pas la vaisselle ! » (Elle lève les yeux au
ciel pour témoigner son découragement)...
|
|
Déception dans sa quête d'anaclitisme sur le mari
(refus de ce dernier)
|
...Alors vous voyez, il n'y a que
moi qui m'occupe d'elle !
|
En effet, elle m'a convaincu
|
Elle devient une mère élevant seule son
enfant
|
-Personne ne peut vous aider ?
-Non, vous voyez bien la
réaction de « Mr E »...
|
Elle tente de me convaincre
|
Elle se sent seule
|
...Bon, il y a la jeune aide-soignante...
|
|
|
...Mais elle n'est pas là toute la
journée, alors voilà...
|
Est-ce que cela aurait changé quelque chose ?
|
Culpabilité liée à la solitude de sa
mère
|
...Je vais faire comme ça...
|
|
|
...Le matin, je descendrai après mon
café...
|
|
Aspire à faire passer sa mère après
elle-même (quête indépendance)
|
...Puis, l'après-midi, je regarderai
mes films sur la 6 à la maison...
|
Elle me fait penser à ces vieilles dames suivant de
façon coriace toutes les séries B
|
Réorganisation de l'emploi du temps, journée
très rythmée
|
...Bon, elle restera sur la terrasse, mais si j'y ne
suis pas, elle reste pas...
|
|
Mère envahissante : régression de la
mère vers l'infantile
|
...Elle ne veut pas que je la laisse seule
sur la terrasse, elle veut que je sois tout le temps
là...
|
J'aurais eu une mère comme la sienne, je crois que je
l'aurais autant mal vécu... (identification)
|
Mère envahissante
|
-Et donc, aujourd'hui, vous avez décidé de
mettre une distance entre votre mère et vous, c'est ça ?
-Oui, vraiment, c'est
fatiguant !...
|
Je veux bien le croire...
|
Pas la 1ère tentative de distance avec la
mère ? Relation à la mère : usure
|
...Elle me reproche toujours quelque chose, il y a
toujours quelque chose qui ne va pas.
|
|
Récurrence du thème de la mère
culpabilisante
|
-L'éternelle insatisfaite ?
-Ah oui, même avec
« Mr E »...
|
Comment peut-elle supporter que sa mère s'introduise
dans son couple ?
|
La mère entre le couple Mme et Mr E
|
...Quand je vais avec lui à Casino et que
j'achète une pompe, vous savez, ces gâteaux ?
-Oui...
|
|
|
-Et bien je coupe une petite part pour « Mr
E » parce qu'il est
pré-diabétique...
|
|
Inquiétude ou sensibilité à l'état
de santé du mari
|
...alors, il faut faire attention avec le
sucre, vous voyez... (J'acquiesce)
|
|
Vigilance face à l'état de santé de ses
proches, elle est celle qui prévient et soigne (infirmière)
|
...Et bien non ! Ma mère m'accuse
de ne pas bien m'occuper de lui !...
|
|
Mère culpabilisante
|
...Alors j'essaie de lui expliquer
mais elle comprend pas !...
|
|
Tentative vaine de s'imposer face à la mère
(hermétique)
|
...Alors je cède !
|
|
Résignation face aux reproches de la mère
|
-Oui, je comprends, elle vous fait culpabiliser souvent...
-...(Elle me coupe la parole) Ah oui,
j'en ai assez. Je veux mette de la distance, prendre du
recul...
|
Sujet trop anxiogène ?
|
Quête de changement liée à un sentiment
d'usure
|
-En effet, cela pourra certainement dans votre
quotidien : vous aurez moins de responsabilité à assumer
- Oui, c'est pour ça...
|
|
Quête d'indépendance
|
...Je serai moins fatiguée...
(silence plein qui coupe sa logorrhée, je n'interviens
pas)
|
Je suis moi-même reposée par ce moment
d'introspection
|
Quête de repos (physique et psychique)
|
Elle poursuit :
...J'ai mal dormi hier soir...
|
|
Sommeil perturbé la veille
|
...Déjà que d'habitude je ne
dors bien qu'un soir sur deux !...
|
|
Sommeil régulièrement perturbé
|
...Ma nouvelle voisine de chambre a beaucoup
ronflé !...
|
Je repense à la rechute intra-cure de sa voisine de
chambre et du débat qui a été soulevé dans
l'équipe par rapport à son renvoi immédiat par le
médecin chef
|
Nouvelle voisine de chambre durant la cure
|
...Alors j'ai essayé de prendre sur moi, mais
au bout d'un moment...
|
Sa patience a des limites...
|
Faible tolérance à la frustration
|
...Je l'ai appelé, je lui ai tiré un peu le drap
(elle s'enroule dans sa couette)... (Elle me mime la position)
|
|
Tentative de contrôle des évènements
|
...J'ai essayé de la lever, mais rien à
faire, elle se réveillait pas !...
|
|
Echec de la tentative de contrôle, donc frustration
|
...J'en ai parlé à l'infirmier
et l'aide-soignante, mais bon, toutes les chambres seules sont
réservées !...
|
|
Echec donc cherche une aide extérieure, elle-même
décevante...
|
...Et en plus elle dort avec la
télé allumée !...
|
Le discours plaintif commence...Je suis un peu
fatiguée, sensation de psychasthénie
|
Accumulation des évènements frustrants :
idéalisation négative de la voisine avec tendance à
intellectualiser
|
...Je suis sûre qu'elle a pris la
télé juste pour pouvoir s'endormir avec,
vous voyez un peu !...
|
Elle tente de me convaincre
|
Intellectualisation et tonalité paranoïde dans le
récit
|
...Alors, bon, moi, des fois, je me lève dans la nuit
pour aller faire mon pipi, vous savez...
|
L'expression me semble puérile
|
|
...Alors vous voyez, c`est moi qui doit
l'éteindre...
|
|
La contrainte de la voisine : entrave à son
indépendance
|
...Enfin, bref, avec l'autre voisine, c'était
mieux ! En plus, avec elle, on se parle pas !
|
|
Difficile réinvestissement de nouveaux objets
|
-Donc, vous avez une nouvelle voisine...
-Eh, oui ! L'ancienne, elle a fait une grosse
bêtise !
|
Je joue sur la carte de la naïveté pour voir
comment elle a vécu cette séparation et le comportement de sa
voisine
L'expression me semble puérile
|
|
-Ah, que s'est-il passé ?
-Ba, en fait...heu...Elle a ramené de
l'alcool dans le service (air un peu
désolée par son pincement de lèvres). Elle a
bu. De l'alcool à 90. Alors on l'a renvoyée.
|
Elle me semble culpabiliser pour elle
|
|
-Et qu'en avez-vous pensé ?
-Et bien que c'est une bêtise...
|
Je cherche à voir sa relation avec le cadre
|
Reconnaît le comportement hors norme de son ancienne
voisine
|
...On le sait quand on arrive...
|
|
Intégration du cadre de la cure
|
...Mais je me doutais ce jour-là qu'elle avait bu...
|
|
|
...Elle est venue me voir à midi, à table, pour
me dire : « j'ai retiré de l'argent, 100
euros, tu crois que ça suffit pour 15
jours ? »...
|
Le thème de l'argent... Il faut que je pense à
la relancer dessus après...
|
L'ancienne voisine lui demande conseille pour la gestion de
son argent
|
...Elle a mis 50 euros dans une enveloppe, pour ses enfants.
J'ai vu les billets : 2 de 20, 1 de 10...
|
|
Attentive à l'argent
|
...Elle a laissé l'enveloppe dans ses baskets,
sous la table, dans la chambre puis elle est allée fumer dans le
salon, là-bas (elle dirige son bras vers le lieu)...
|
|
Attentive aux moindres faits et gestes de sa voisine
|
... « Ca me suffit si j'ai 45 euros
pour la fin de la cure ? », je lui ai dit :
« oui, si tu prends un café, que tu achètes, je sais
pas moi... des bonbons... », vous voyez...
(J'acquiesce)
|
Je suis surprise par son puérilisme
|
L'ancienne voisine lui demande conseille pour la gestion de
son argent
Régression de la patiente ?
|
...Mais sur 100 euros, ça ne faisait que
95, alors où sont passés les autres 5
euros ?...
|
|
Le calcul
|
...Et puis, elle est rentrée avec une bouteille
d'Ice Tea, vous savez (j'acquiesce) et c'est bizarre parce qu'elle
l'avait mise dans la salle de bains avec les shampoings...
|
Serait-elle complice ?
|
|
...Et quand elle a perdu son enveloppe
d'argent, elle est devenue folle, elle a tout
démonté dans la chambre !...
|
|
Perte d'argent de la voisine
|
...Et j'avais peur qu'elle m'accuse, comme je
fume pas, je reste tout le temps dans la chambre ! Et
j'étais la seule personne à savoir où était
son argent...
|
Culpabilité justifiée ?
|
Perte d'argent de la voisine et culpabilité de la
patiente
|
...Et je me rappelais qu'en groupe de parole elle
disait qu'elle faisait n'importe quoi quand elle boit et
là, j'ai compris : elle avait rebu...
|
|
Réaction de détresse de la voisine face à
la perte de son argent jugée inappropriée, donc lien avec la
rechute
|
...Et l'infirmier a compris aussi, alors il a
fait souffler tout le monde...
|
Elle savait donc avant tout le monde ?
|
Se positionne au même niveau que l'infirmier mais tente
d'être un peu au-dessus...
|
...Et ils l'ont renvoyée, elle a tout
avoué.
|
|
Renvoi de l'ancienne voisine suite à des aveux
|
-Qu'en avez-vous pensé ?
-Ba disons que j'ai trouvé que c'était
trop strict.
|
|
Perception du cadre : rigidité
|
-Ce sont les mêmes règles pour tout le monde,
non ?
-Oui, mais bon, ils auraient pu attendre, une
nouvelle chance...Elle est malade et elle a des
enfants...
|
Je me rappelle que la patiente a été
hospitalisée à Montperrin pendant plus de 2 ans et la psychologue
référente tenait le même discours que la patiente
|
Déni partiel du cadre en tant que limite protectrice
Compassion pour la patiente
|
-Les règes sont les mêmes pour tout le
monde : toute rechute vaut une exclusion
-Oui, mais bon... (silence vide, je hoche la
tête pour lui montrer ma persévérance)
|
|
Tolérance partielle du cadre
|
...Enfin voilà, je sors bientôt.
-Oui, c'est bientôt. Comment vous sentez-vous face
à cette sortie ?
|
|
|
-Ba ça va être difficile, mais
bon...
|
|
Reconnaissance partielle de la difficulté liée
à l'abstinence
|
...En fait, ici, on est
protégé, alors j'ai pas ressenti le
manque...
|
|
|
...Moi qui m'imaginais que j'allais faire un
délire tremens pendant la cure !...
|
|
Représentation préalable négative de la
cure
|
...Et finalement ça s'est bien
passé, c'est dans la tête tout ça !...L'alcool
aussi c'est dans la tête !
|
|
Vécu de la cure désenclave appréhension
de départ, alcool : question de volonté
|
-Et donc, par rapport à votre sortie, qu'en
concluez-vous ?
-Ba qu'il faut que je me contrôle, c'est
tout !...
|
|
Comprend que l'alcool est un objet à
contrôler : position active désormais ?
|
...Enfin, c'et facile à dire, ça !
parce qu'ici, je suis contrôlée, alors c'est
facile !
|
|
Surmoi extérieur (le cadre)
|
-Peut-être qu'il serait bon de vous servir du cadre
d'ici pour vous contrôler vous-mêmes ?
_Oui, je crois que je vais faire mon
propre gendarme...
|
|
Confiance faible en son surmoi
|
...Et puis bon, il y a encore « Mr
E »... (elle lève les yeux au ciel)
|
|
Réassurance par la présence du mari-interdit
|
-Votre interdit à vous, c'est plus important, je
pense
-Oui, même pour le couple...
|
|
Distance posée envers le mari
|
...Mais le plus dur, c'est de pas acheter d'alcool quand je
suis toute seule...
|
|
Alcool et solitude
|
...Et c'est quand je reviens de la piscine,
moi j'adore nager, « Mr E » pas du
tout...
|
|
Alcool, solitude et piscine : rappel de la perte du monde
intra-utérin ?
|
...Quand je fais les courses pour la maison, je sais qu'il
m'aide à tout remonter donc, j'achète pas
d'alcool.
|
|
Quand cadre extérieur : aucun achat d'alcool
|
-Pensez-vous parvenir à rester abstinente ?
-Ba justement, mes autres cures n'ont pas
marché, alors bon...
|
|
Hésitation face à sa capacité
d'abstinence car alcool a toujours été le dominant
|
...Mais bon, maintenant je n'achète
plus rien...
|
|
Alcool & achats compulsifs
|
...D'ailleurs je vais faire un tri en
rentrant : trop de bibelots, trop de petites choses...
|
|
Quête de libération vis-à-vis de son
collectionnisme
|
...Figurez-vous, mes bijoux, je les range en fonction
des couleurs : la boîte bleue pour les perles bleues, le
rouge pour le rouge, ... Vous voyez ? (J'acquiesce)
|
J'imagine !
|
Description du collectionnisme : TOC ou minutie ?
|
-En tous les cas, il est important que vous continuiez
à aller au CCAA, une fois rentrée chez vous...
-Oui, oui, c'est ce que je voulais faire
|
|
|
-Vous avez repris RDV déjà ?
-Non, pas encore
|
|
Faible investissement d'un suivi post-cure
|
-Il faut que vous le fassiez avant votre sortie pour avoir la
garantie de trouver de l'aide en cas de besoin à votre sortie et pour
continuer ce que nous avons commencé.
-Oui, c'est vrai. Je sais, je dois continuer.
Je vais téléphoner.
|
|
Investissement du suivi post-cure ?
|
-Bon, et bien, notre suivi s'arrête là. (Je me
lève) Alors je vous souhaite un bon retour chez vous
-Ba merci pour tout ce que vous avez
fait...
-Il ne faut pas me remercier, c'est normal
-Oui. Aurevoir (elle me tend
la main)
-Aurevoir (je réponds à sa salutation)
|
Elle initie elle-même la fin définitive du
suivi
|
Séduction ? ou dette ?
|
RESUME
« L'alcoolique et son
fétiche » est le fruit d'une longue réflexion sur
le lien possible entre deux formes d'addiction distinctes de par leurs
sémiologies respectives et de par le domaine de la vie instinctuelle
qu'elles concernent. Cependant, mon regard de clinicienne porte peu
d'intérêt à la nature de l'objet, mais bien plus à
ce qui amène un individu à le choisir. Ainsi, en me questionnant
sur les processus de pensée de ces deux types d'addiction, j'ai pu y
voir quelques convergences. Ainsi, au-delà des divergences
nosographiques, je me suis mise en quête des possibles convergences entre
l'alcoolique et le fétichiste : l'alcool peut-il être
comparable à un fétiche et poursuivrait-il les mêmes buts
?
SUMMARY
« The alcoholic and his fetish» are the fruit
of a long reflexion on the possible place between two forms of addiction
distinct from their respective semiologies and the field from the instinctual
life which they relate to. However, my glance of clinician carries little
interest to the nature of the object, but much more with what leads an
individual to choose it. There thus, by questioning me on the processes of
thought of these two types of addiction, I could see some convergences. Thus,
beyond the nosographic divergences, I put myself in search of possible
convergences between the alcoholic and the fetishist: alcohol with a fetish and
can would work towards be comparable the same aims?
|
|