La théorie des droits permanents dans la jurisprudence du Tribunal administratif tunisien( Télécharger le fichier original )par Faycel Bouguerra Université Sciences Sociales Toulouse I - Master 2 Recherche Droit Public Comparé des Pays Francophones 2006 |
Paragraphe II : Les droits économiques, sociaux et culturelsOn va traiter de la spécificité matérielle (A) et formelle (B) de ces droits pour s'arrêter sur leur importance. A- La spécificité matérielle Ces droits bénéficient à l'individu en sa qualité "d'un citoyen et d'un être humain" qui est subordonné à l'État et qui bénéficie, en contre partie, de sa protection. Cette protection se met en oeuvre par l'appel fait par le citoyen aux appareils de l'État de fonctionner et de jouer un rôle actif dans son exercice et sa jouissance effective98(*). « Ces droits découlent de la dignité inhérente à la personne humaine »99(*). L'État octroie ces droits à chaque individu qui présente la qualité juridique qui lui permet de bénéficier de ce droit. Ainsi, l'administration est loin de créer un état de concurrence entre les demandeurs. En revanche, l'administration ne bénéficie pas d'un pouvoir discrétionnaire dans la prise de ses décisions. Cela explique le fait que cet octroi est parfois avancé comme une attestation ou un certificat en la jouissance. Cette forme de jouissance peut être mal vu et perçue par l'État qui voit son budget engagé et ses ressources amoindries. Du coup, il peut se montrer récalcitrant en leur exécution, ce qui explique l'appellation de ces droits comme "des droits-créances" car ils sont dûment réclamés par leurs bénéficiaires. On est en droit de se poser la question, avec Hanna Arendt, au sujet des droits de l'Homme dans ces termes : De quels droits et de quel Homme s'agit-t-il ? Ces droits portent, grosso modo, sur des choses, voire res, d'où vient leur appellation : "des droits à". De plus, ils sont dus à des personnes biens définies selon leur état physique, intellectuel, culturel, économique, social, ... Cela explique largement le fait que certains penseurs, comme Georges Burdeau, en voit "des droits de la personne située". Il est à noter que l'État peut, toutefois, retrouver son pouvoir discrétionnaire chaque fois que le droit se rapproche du privilège, avec cette remarque que le but de ce privilège doit être la réalisation du principe de l'égalité. Ainsi, ce principe peut être atteint en usant de la technique de la discrimination positive qui consiste à préférer une catégorie de personne, la plus désavantagée, à une autre catégorie plus aisée, et ce dans le but de les ramener tous à l'égalité. En effet, « les inégalités sociales et économiques doivent être organisées de façon à ce que, à la fois, elles apportent aux plus désavantagés les meilleures perspectives et elles soient attachées à des fonctions et à des positions ouvertes à tous, conformément à la juste égalité des chances »100(*). Ainsi, ce pouvoir discrétionnaire, freiné par le principe de la justice et de l'égalité, peut décider ex aequo et bono de l'octroi de ces pseudo-privilèges. Ce pouvoir discrétionnaire se trouve élargi par le fait que l'équité101(*) ne constitue point une source formelle de légalité qui peut entraver l'action juridique de l'administration car cette notion dépend largement de la conjoncture économique, politique et sociale. Or, dans le domaine des libertés, l'État est appelé davantage à garantir les conditions adéquates à l'exercice effectif d'une liberté économique, sociale ou culturelle. Il existe bel et bien des libertés à caractère économique comme la liberté du commerce et d'industrie. Or, ces libertés se rapprochent plus des libertés civiles où l'État est appelé à garantir l'exercice effectif et non pas de fournir des prestations et de participer de l'exécution même du droit. Toutefois, si l'on appréhende cette liberté du commerce et d'industrie du point de vue du droit, on peut la ramener au droit du travail ou au droit à l'emploi. Dans ce dernier droit, l'État est, par contre, appelé à participer activement à la réalisation du droit. Tel est le cas aussi du droit à l'enseignement. En effet, en tant que liberté culturelle, on parle mieux de liberté d'enseignement qui consiste à interdire à l'État d'intervenir et de s'immiscer dans la détermination ou le choix des matières qu'on veut enseigner, ... Ainsi, cette liberté s'approche de la liberté civile ou politique, et cela nous montre que chaque fois qu'on se trouve en présence d'un exercice d'une liberté sociale, économique ou culturelle, l'État doit faire défaut. Inversement, vu de l'angle d'un droit, le droit à l'éducation est l'appellation la plus adéquate à notre sens. Ainsi, l'individu appelle une intervention active de l'État pour lui fournir les conditions de la jouissance effective de ce droit (matériel, financement, lieux, ...). Du coup, on voit bien qu'à la présence de la jouissance d'un droit, l'État trouve son budget engagé. B- La spécificité formelle Ces droits ont été consacrés tardivement, et cela revient à leur caractère dissipateur des finances de l'État. Cette consécration tardive a entrainé la classification des droits en des générations où ils y occupent le classement de "la deuxième génération". En droit positif tunisien, on peut ressortir quelques textes juridiques qui les ont consacrés. Ainsi, on a par exemple pour ce qui est du droit à la pension de retraite l'article 80 de la Constitution du Royaume de la Tunisie qui prévoit que : « Tout fonctionnaire civil ou militaire qui aura servi l'État pendant trente ans, aura droit de demander sa retraite (pension), qui lui sera accordée d'après une loi spéciale qu'on élaborera à ce sujet ». Ce droit implique aussi ceux relatifs à la santé, à sa dignité, à la qualité de vie, ... On trouve des traces de ces droits dans les articles 5 et 7 de la Constitution du 1er juin 1959, ainsi que des dispositions générales de son Préambule102(*). Dans le Pacte national du 7 novembre 1988, tant soit sans valeur juridique, il est prévu que « aux fins de garantir la pérennité et la continuité de la démocratie, il nous faut impérativement traiter les problèmes du vécu de notre peuple et assurer une existence honorable au citoyen, de manière à garantir son droit légitime à pourvoir à ses besoins fondamentaux tels que la nourriture suffisante, le logement décent, instruction, culture, santé, travail ». De plus, « la large participation des masses populaires à l'identification des objectifs et des instruments du développement, et la répartition équitable des fruits de la production, sont deux conditions fondamentales pour la fiabilité de l'action de développement et pour l'établissement de relations sociales parfaitement saines et dénuées de tout facteur de tension ». Plus encore, « de telles relations sont tributaires d'un ensemble de conditions dont l'équité dans la répartition des sacrifices à consentir entre les différentes couches de la population, la diffusion de l'esprit de solidarité nationale, loin des intérêts sectaires et étroits ». Ainsi, il est important « de procéder équitablement à la distribution de la production entre les régions et les catégories sociales en donnant la priorité aux poches de pauvreté et aux régions déshéritées, en améliorant le niveau de vie des travailleurs et des salariés, de manière à ce qu'ils aient leur part équitable et légitime des fruits du développement ». Sur le plan international, une consécration se vérifie dans la Déclaration universelle des droits de l'Homme du 10 décembre 1948, et ce dans ses articles 21 alinéa 2, 22, 23, 25 et 26103(*). Le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels de 1966 les consacre de son article 6 à son article 13104(*). Pour ce qui est des textes les plus importants qui réglementent la matière de la sécurité sociale et des pensions de retraite dans le secteur public en Tunisie, on cite : Loi n° 59-18 du 5 février 1959, fixant le régime des pensions civiles et militaires de retraite, Décret n° 74-572 du 22 mai 1974, relatif au capital-décès, La Loi n° 85-12 du 5 mars 1985, portant régime des pensions civiles et militaires de retraite et des survivants dans le secteur public. En France, le Préambule de la Constitution du 27 octobre 1946 en fait un vrai catalogue105(*). De plus, la France a ratifié aussi la Charte sociale européenne, dite de Turin, signée dans sa version initiale le 18 octobre 1961 et entrée en vigueur le 26 février 1965, et dont la version révisée, adoptée le 3 mai 1996, est entrée en vigueur le 1er juillet 1999. Or, les textes ne suffisent pas à eux seuls, car loin d'être Rousseauiste, et de tomber dans une sacralisation et un culte de la loi, car l'histoire nous enseigne de ne plus croire en le mythe de la complétude de la loi et que le législateur peut toujours avoir tort, il faut avoir aussi une bonne administration de la justice qui garantit la jouissance de ces droits permanents. * 98 T.A., 5ème Ch., Déc. n° 1/10010 du 26 février 2005, `Halima Ejdidi veuve de Mourad c/ CNRPS, Inédite : « (...) en application des principes de l'État de droit qui visent à parvenir les droits à leurs bénéficiaires de façon complète (...) ». * 99 Le Préambule du Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels du 1966. * 100 Rawls (John), Théorie de la justice, Éditions du Seuil, 2000, p. 115. Selon Rawls, l'idée de l'ouverture des carrières aux talents conduit à "une société de méritocratie", à cela il propose comme correctif le principe de la juste égalité des chances et la justice procédurale pure. * 101 Ibid, p.p. 138-144. * 102 « Nous
proclamons que le régime républicain constitue : la meilleure
garantie pour le respect des droits de l'Homme, pour l'instauration de
l'égalité des citoyens en droits et en devoirs, pour la
réalisation de la prospérité du pays par le
développement économique et l'exploitation des richesses
nationales au profit du peuple, * 103 Voir annexe. * 104 Voir annexe. * 105 Voir dans l'annexe les alinéas 5, 10, 11 et 13 du Préambule de la Constitution du 27 octobre 1946. |
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