Abdou Diouf nomme à la tête du nouveau
gouvernement Lamine Loum, précédemment ministre de l'Economie et
des Finances depuis janvier 1998. Ce choix est pour les contemporains une
surprise. Si le départ d'Habib Thiam était quasiment une
certitude 1, beaucoup d'observateurs pensaient que le choix de Diouf
pour la Primature se porterait sur Ousmane Tanor Dieng. Il semble que le chef
de l'Etat veuille attendre le scrutin de 2000 pour placer le secrétaire
national PS à ses cotés et lui offrir officiellement la direction
du gouvernement. Lamine Loum est par conséquent promis à une
occupation temporaire de la Primature. Technocrate de formation, sans aucun
charisme politique, cet homme de 46 ans doit sa renommée dans le pays
à la réussite de son action menée avec Ousmane Sakho pour
rétablir les équilibres financiers et budgétaires. Il a
ainsi favorisé une réconciliation entre le Sénégal
et les bailleurs de fonds. D'ailleurs, il a obtenu quelques semaines avant sa
prise de fonction un important rééchelonnement de la dette
sénégalaise au Club de Paris.
Nonobstant ses compétences technocratiques, Lamine
Loum parait être complètement sous la coupe de Tanor Dieng. Ce
dernier n'hésite pas à s'afficher à ses cotés lors
de son intronisation en tant que chef du gouvernement 2 . Cette
omniprésence du ministre d'Etat motive le départ de Moustapha
Niasse, pourtant l'un des hommes les plus populaires auprès de la base
socialiste. De plus, le désormais ancien ministre reproche au chef de
l'Etat de ne pas avoir été nommé à la Primature, et
pire, d'avoir été relégué dans l'ordre
ministériel derrière Tanor Dieng 3.
Les explications officielles de Niasse sont néanmoins
plus nuancées : "j'ai demandé une audience au
Président Abdou Diouf qui me l'a accordé. Je lui ai fait part de
mon intention de ne pas continuer mon expérience gouvernementale.
Déjà, en 1993, par amitié pour sa personne et mon pays,
j'avais accepté de me mettre au service du gouvernement pour deux ou
trois ans. J'y suis resté cinq ans (...) de la même
manière, je compte laissé mon siège de
député à mon suppléant" 4.
Les propos sont courtois. Niasse parait vouloir rester fidèle
à Diouf. Aucun désir de sédition n'est perceptible en
juillet 1998.
Pour le remplacer, le Président fait appel à
des personnes "neuves" et féminise le gouvernement. Cinq femmes sont
nommées ministre. Cette décision retranscrit les efforts de
promotion de la femme en politique. Efforts qui se sont accentués depuis
l'émergence du PDS et l'arrivée d'Abdou Diouf au pouvoir, comme
on peut le noter en analysant les effectifs de l'Assemblée nationale
depuis l'indépendance.
1 Le changement de Premier ministre est semble-t-il
motivé par la mauvaise entente entre Thiam et Tanor Dieng. Comme en
1984, Diouf tranche en faveur de son plus fidèle conseiller au
détriment de son vieil ami, ce qui fait dire à Thiam dans ses
mémoires : "lui le chef de l'Etat, devait bien souvent tenir compte,
au poste où il était, de ce qu 'il pouvait considérer
comme la raison d'Etat, même si celle-ci me causait, au plan purement
personnel, des préjudices ou me faisait mal". Habib Thiam, Par
devoir et amitié, pp.219, Paris, Rocher, 2001.
2 Habib Thiam, Par devoir et amitié, pp.197,
Paris, Rocher, 2001.
3 Habib Thiam, Par devoir et amitié, pp.198,
Paris, Rocher, 2001.
4 "Moustapha Niasse libéré à sa
demande", Le Soleil, 7 juillet 1998.
- De 1957 à 1963 : 0 femme sur 80 députés,
soit 0%
- De 1963 à 1968 : 1 femme sur 80 députés,
soit 1,25 %
- De 1968 à 1973 : 2 femmes sur 80 députés,
soit 2,5 %
- De 1973 à 1978 : 4 femmes sur 80 députés,
soit 5 %
- De 1978 à 1983 : 8 femmes (dont 4 PDS) sur 100
députés, soit 8 %
- De 1983 à 1988 : 13 femmes (dont une PDS) sur 120
députés, soit 10,83 %
- De 1988 à 1993 : 18 femmes (dont 2 PDS) sur 120
députés, soit 15 %
- De 1993 à 1998 : 14 femmes (dont 5 PDS) sur 120
députés, soit 11,67 %
- De 1998 à 2001 : 18 femmes sur 140
députés, soit 12,86 %
Cette féminisation de la vie politique s'est
vérifiée en 1996 lors des élections municipales et
régionales. Pour la première fois dans l'histoire
du Sénégal, des femmes ont été élues maire
de communauté urbaine, comme Mbayang Laïty Ndiaye à
Linguère ou Aminata Mbengue
Ndiaye à Louga 5. Depuis 1996,
on recense ainsi : 61 femmes sur 470 conseillers régionaux (12,98 %) ;
783 femmes sur 4 338 conseillers municipaux (18,05 %) ; 720 femmes sur 9092
conseillers ruraux (7,92 %) ; 6 femmes sur 48 maires de communauté
urbaine (12,5 %) 6.
En outre, il est connu de tous au Sénégal que
les femmes votent plus que les hommes. Au vu du taux de participation
extrêmement faible des législatives, il va dans
l'intérêt d'Abdou Diouf
de "récompenser" l'implication de la gente
féminine7, d'autant plus qu'Aminata Mbengue Ndiaye est l'un
des plus fidèles soutien de Tanor Dieng. Cependant, les postes
réservés aux
femmes dans l'équipe Loum ne sont que des fonctions
secondaires : la première femme, Marie-Louise Correa, n'est
située qu'au quatorzième rang du gouvernement.
Ce gouvernement est aussi marqué par sa "tanorisation".
Le ministre d'Etat s'assure en effet le
contrôle de l'équipe ministérielle en
intégrant certains de ses proches comme Mohamed El Moustapha Diagne,
Khalifa Sall, Mme Aissata Tall Sall, Abdoulaye Maktar Diop, Souty
Touré, Abdoulaye Elimane Kane et Mame Bounama Sall
8 . L'équipe de Lamine Loum est donc à forte
coloration verte, seul Serigne Diop (PDS-R) étant affilié
à un parti autre que le PS. Le parti libéral "bis" confirme de ce
fait sa position de collaborateur et non d'opposant.
Voici ci-dessous le gouvernement de Lamine Loum 9
:
- Premier Ministre : Lamine Loum
- Ministre d'Etat, Ministre des Services et des Affaires
Présidentielles : Ousmane Tanor Dieng
- Ministre d'Etat, Ministre de l'Agriculture : Robert Sagna
- Ministre de la Justice, Garde des Sceaux : Serigne Diop
(PDS-R)
- Ministre des Affaires Etrangères et des
Sénégalais de l'Extérieur : Jacques Baudin
- Ministre de l'Intérieur : Le Général des
Corps Armés Lamine Cissé
- Ministre des Forces Armées : Cheikh Hamidou Kane
5 "Les maires s'installent", Le Soleil, 23
décembre 1996.
6 On note que les femmes ont plus de facilité à
siéger ou même à diriger en milieu urbain qu'en milieu
rural, certainement pour des questions d'ordre culturel. En effet, si 6 des 48
présidents de communautés urbaines sont des femmes, seules 2
femmes administrent l'une des... 320 communautés rurales, ce qui
représente un pourcentage de 0,62 %. "Collectivités locales :
ce qui handicape les femmes", Le Soleil, 2 décembre 1998 et
Momar-Coumba Diop, Gouverner le Sénégal, entre ajustement
structurel et développement durable, pp.239, Paris, Karthala,
2004.
7 Cette récompense se traduit aussi par des lois
votées à la fin de l'année 1998 en faveur des femmes. A
cette occasion, l'excision, les violences conjugales et le harcèlement
sexuel sont criminalisés avec des peines allant de 1 à 5 ans de
prison. "A vancée pour les droits de l'homme", Le Soleil, 23
décembre 1998.
8 "Tanor for vice-président ? ", Lettre du
continent, 9 juillet 1998.
9 Le Soleil, 7 juillet 1998.
- Ministre de l'Education Nationale : André Sonko
- Ministre de l'Economie, des Finances et du Plan : Mohamed El
Moustapha Diagne
- Ministre de l'Hydraulique : Mamadou Faye
- Ministre de l'Energie, des Mines et de l'Industrie : Magued
Diouf
- Ministre de l'Environnement et de la Protection de la Nature :
Souty Touré
- Ministre de l'Equipement et des Transports Terrestres :
Landing Sané
- Ministre de la Pêche et des Transports Maritimes :
Alassane Dialy Ndiaye
- Ministre du Travail et de l'Emploi : Mme Marie-Louise
Correa
- Ministre de la Culture : Abdoulaye Elimane Kane
- Ministre de la Jeunesse et des Sports : Iba Gueye
- Ministre du Commerce et de l'Artisanat : Khalifa Sall
- Ministre de la Communication : Mme Aissata Tall Sall
- Ministre de l'Urbanisme et de l'Habitat : Abdourahmane Sow
- Ministre de la Santé : Assane Diop
- Ministre de la Famille, de l'Action Sociale et de la
Solidarité Nationale : Mme Aminata Mbengue Ndiaye
- Ministre de la Recherche Scientifique et de la Technologie :
Balla Moussa Daffé
- Ministre de la Modernisation de l'Etat : Abdoulaye Makhtar
Diop
- Ministre de l'Elevage : Sanghé Mballo :
- Ministre délégué auprès du Premier
Ministre, chargé des Relations avec les Assemblées : Papa Babacar
Mbaye
- Ministre délégué auprès du Premier
Ministre, chargé de l'Intégration Economique Africaine : Mme
Aminata Abibatou Mbaye
- Ministre délégué auprès du
Ministre de l'intérieur, chargé de la décentralisation :
Chérif Macky Sall
- Ministre délégué auprès du
Ministre de l'Education Nationale, chargé de l'Education de Base et des
Langues Nationales : Mame Bounama Sall
- Ministre délégué auprès du
Ministre de l'Economie, chargé du Budget : Mme Aissatou Niang Ndiaye
- Ministre délégué auprès du
Ministre de l'Economie, chargé du Plan : El Hadji Ibrahima Sall
Au cours de sa déclaration de politique
générale aux députés en août 1998, Lamine
Loum présente les grands objectifs de sa Primature. Il insiste sur la
modernisation et l'intensification agricole (la sécheresse et les
mauvaises récoltes ayant entraîné dans les régions
du nord une
quasi-famine), le maintien de l'unité du territoire, le
renforcement des moyens de supervision de l'ONEL, la protection des femmes, le
soutien du gouvernement aux troupes envoyées en
Guinée-Bissau etc. Il souligne aussi la
nécessité pour le Sénégal de maintenir une
croissance forte, aux alentours de 6 %, et une inflation faible, en dessous de
3% 10.
Par conséquent, Lamine Loum table sur la
notoriété qu'il a acquise grâce au redressement de
l'économie sénégalaise pour se faire
accepter des députés. Or, dès sa première prise de
parole, il est chahuté par l'opposition qui lui reproche "d'avoir
été choisi parce qu 'il est le Monsieur
ajustement du Sénégal" et de n'être
que le baobab qui cache le véritable chef du gouvernement, Ousmane Tanor
Dieng. Cette nouvelle législature s'annonce donc difficile
pour les socialistes, puisqu'en dépit d'une très
large majorité, ils se heurtent maintenant à des partis
d'opposition organisés et "belliqueux", prêts à rompre avec
la léthargie qui régnait
jusqu'alors dans l'hémicycle.