3. Filles-mères et conflits familiaux
La survenance de la grossesse chez la fille
adolescente et sa maternité précoce bouleversent les rapports
sociaux au sein de sa famille. Comme nous l'ont montré les
résultats des enquêtes, elles génèrent des rapports
conflictuels de natures diverses entre les différents acteurs de la vie
familiale. Ces conflits brisent naturellement l'harmonie familiale et, le cas
échéant, peuvent entraîner la rupture de la famille tout
entière. Nous présenterons d'abord les enjeux de ces conflits et,
ensuite, leurs acteurs et leurs manifestations.
a. Enjeux des conflits familiaux
Il ressort de nos entretiens avec les filles-mères et
leurs parents que les conflits qui déchirent leurs familles se
structurent autour de trois enjeux majeurs d'importance, bien entendu,
différents.
Le premier enjeu est relatif à l'honorabilité
de la famille entamée par la grossesse et la maternité de la
fille adolescente. Celles-ci, du point de vue de parents et des autres membres,
ont jeté de l'opprobre à la famille du fait qu'elles sont
intervenues hors mariage, c'est-à-dire en dehors des normes
sociétales. Comme nous le savons, l'idéal de tout parent, surtout
africain, est de marier sa fille suivant les règles établies en
la matière. Ce qui procure au parent non seulement l'honneur pour avoir
fait preuve d'une bonne éducation assurée à sa fille mais
aussi tous les avantages matériels y relatifs au travers de la dot.
Mais, la fille adolescente qui tombe enceinte (précocement) et accouche
hors mariage (le mariage étant le seul espace idéal où se
consomme le sexe) montre par là sa mauvaise éducation et prive
les parents de la dot qui aurait couronné tous les sacrifices qu'ils ont
consentis en sa faveur. Cette situation ne peut qu'alimenter les conflits au
sein de la famille en mettant en opposition la fille mère et ses
parents.
Le deuxième enjeu tient à la nouvelle charge
socio-économique qu'introduit dans la famille la fille-mère. Il
sied de rappeler ici que la plupart des familles de la Commune de Bumbu en
général et du quartier Lieutenant Mbaki sont d'un faible niveau
de vie. Elles rencontrent des difficultés pour nouer les deux bouts de
mois. C'est par la débrouille qu'elles parviennent à survivre.
Si les parents éprouvent déjà des difficultés pour
subvenir aux besoins de leurs propres enfants, celles-ci se complexifient
davantage avec la maternité d'une fille adolescente qui par ce fait
accroît le nombre des personnes en charge. Car comme nous l'avons
indiquer dans les pages précédentes, les filles mères
ainsi que leurs progénitures sont à charge des parents, les
auteurs de leurs grossesses les abandonnant souvent. Cette situation
accroît la frustration des parents qui ne savent pas à quel saint
se vouer en cette période de basse conjoncture économique. Ainsi,
la pauvreté des parents autant qu'elle amène les adolescentes
à licence sexuelle qui les rend filles-mères, autant elles
suscitent les conflits entre parents et fille-mères.
Le troisième enjeu résulte des nouveaux rapports
sociaux introduits dans la famille à la suite de la progéniture
de la fille-mère. Celle-ci est une nouvelle donne avec laquelle les
autres membres de la famille doivent désormais compter. Elle rend grands
parents ceux qui étaient jusqu'ici parents, double des statuts de oncle
et tante ceux qui n'étaient que simple enfants. Ce qui appellent
de ces derniers des nouvelles attitudes et des nouveaux comportements
à l'égard du (de la) petit(e) fils ou fille, du neveu ou de la
nièce. Si ces rapports sont mal négociés, cela
entraîne généralement des frictions entre la mère
de l'enfant et les autres membres de la famille. De là les querelles qui
marquent au quotidien certaines familles. En définitive, l'enfant
devient l'enjeu même du conflit.
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