2 LES POLITIQUES EXOGÈNES FACE A LA GESTION
ENDOGÈNE : L'INCOMPREHENSION.
Quels sont les acteurs territoriaux exogènes ?
Quels sont leurs domaines d'intervention ? Comprendre les
représentations des individus et de leurs groupes vis à vis des
différents intervenants sur leur territoire nécessite
l'identification de ces derniers.
Ils sont en effet nombreux, principalement motivés par
des considérations économiques et politiques. Nous laisserons
volontairement de côté les opérateurs économiques
privés, dans la mesure où nous risquons de nous éloigner
de la problématique que nous nous sommes fixés. Toutefois, dans
le cadre d'une approche des faisceaux de représentations, il convient de
ne pas minimiser leur rôle ; bien au contraire dans la mesure où
il existe un potentiel d'exploitation d'une ressource commercialisable (bois,
minerais, cultures de rente...)
Nous nous attacherons à trois types d'intervenant : les
opérateurs de développement et de gestion de l'environnement
ainsi que les migrants (émigrants et immigrants).
Ces derniers occupent une place ambiguë entre acteurs
endogènes et acteurs exogènes. Pour les qualifier au sein de
l'unité socio-spatiale qu'est le territoire, Di Méo G, utilise le
terme < d'acteur allogène »
En effet les dynamiques des populations amènent
certains individus à migrer, essentiellement pour des raisons
économiques et sociales, et à s'installer loin de leur terre
d'origine. Le plus souvent, ces destinations sont de nos jours essentiellement
urbaines ; dans tous les cas, elles sont destinées à
améliorer les conditions de vie. Quels liens entretiennent-ils
avec leur territoire d'origine ? Sont ils les vecteurs de dynamiques
contemporaines ? Comment sont perçus les « expatriés »
?
Si nous prenons l'exemple des Hautes Terres de l'Ouest, nous
constatons que les expatriés (gra ffi) restent
viscéralement attachés à leur chefferie d'origine : <
On investit dans le Moungo devenue vraie région économique
Bamiléké, ou à Douala, on y vit, mais on y demeure pas
réellement. Le Pays rêvé et désiré est celui
où résident les crânes des Ancêtres. » (Morin,
S., 1996). Or les médiances paysagères
traditionnelles1, et donc le fonctionnement du système
aristocratique, traditionnel sont aujourd'hui remises en cause par les
élites extérieures qui, pour montrer leur réussite
à l'ensemble de la société, réinvestissent la
chefferie. Les graffi construisent ainsi des villas sur les hauteurs,
car < s'installer en haut, c'est être vu de tous.[... ].
Désormais, le haut devient symbole de richesse [...]. » (Morin, S.,
1996). Profitant de son pouvoir économique, de sa < modernité
»2, cette nouvelle aristocratie, groupée
1 Le commandement inverse : plus l'individu, son lignage et son
clan habitent près des bas-fonds, plus leur rang dans la
société est élevé.
2 Ce que Morin, S., (1996) nomme < la stratégie
d'accumulation ».
en association par chefferie, assigne à cette
dernière de nouvelles fonctions et en détournent ainsi le
fonctionnement à son profit.
En effet, les graffi se sont lancés dans une
véritable chasse à la notabilité, dans le sens où
pour être reconnus, il leur faut acquérir un titre de
notabilité. Auparavant distribués aux membres de la
société selon une tradition stricte par le Fon (Roi),
les titres et la propriété foncière deviennent un enjeu
mercantile où les intérêts financiers prennent le dessus
sur la tradition : « la chefferie, par le foncier et par ses titres
traditionnels, se recompose ainsi à partir des élites
extérieurs qui imposent de nouvelles représentations de l'espace
et de nouvelles médiances paysagères » (Morin, S., 1996). On
peut alors s'interroger sur la manière dont est perçue ce
phénomène social, notamment par l'aristocratie en place, car
même si certains en profitent, d'autres le dénoncent ouvertement :
« les élites ont de l'argent, mais elles n'ont pas le pouvoir et ne
sont pas respectées, c'est pourquoi elles veulent toutes un titre de
notabilité. »( (Momo 1er, chef des
Foto1, 1997). De toute évidence, pour certains aristocrates
traditionnels, cette forme de corruption de la tradition représente,
bien plus que la remise en cause de leur pouvoir, une déstructuration
sociale dont les signes révélateurs (érosion, exode rural,
...etc.) sont visibles dans les paysages.
Cela dit, ces élites bénéficient souvent
d'une image positive auprès des populations, car leur rôle de
soutien économique au village est important, symboliquement, et
substantiellement. On le remarque également dans le FoutaDjalon : dans
un rayon de 30 km autour de Labé, 34% des personnes
enquêtées avouent recevoir de l'aide de « l'extérieur
», d'un fils ou d'un parent. Il est un devoir pour les expatriés de
participer à la vie de la communauté et à sa modernisation
(construction de forages, de dispensaires, de lieux de culte, aide aux plus
jeunes... etc.). Pour cela, à l'opposé de la méfiance du
pouvoir traditionnel, on constate que les émigrants jouissent d'une
image positive auprès des populations.
Par contre l'immigrant « étranger » ne
bénéficie pas d'une image tout aussi positive. L'antipathie
envers ces derniers draine souvent des paroles de haine et
d'incompréhension, significatives de représentations
négatives.
Dans l'Adamaoua, pourtant zone peu peuplée,
l'arrivée de migrants venus du Nord (notamment des Kirdi, dont beaucoup
se sont installés dans la vallée de la Bénoué),
n'est pas forcément vue d'un bon oeil par les populations fulbés
vivant sur place, qui craignent pour leur pouvoir coutumier aristocratique :
« Il faut les mater, c'est le seul moyen de les tenir en respect. Ils sont
nombreux et ils se sont fait de l'argent ; Cela peut donner des idées
» (auteur anonyme, Syfia international2, 1998). Les croyances
religieuses s'opposent : les pratiques et les coutumes animistes des migrants
ne plaisent pas aux peuls musulmans, ces derniers les obligeant à
vénérer le lamido3 : « Ou ils respectent
les volontés du chef, ou ils partent d'ici » (un dogari,
sbire du lamido) ». Certains n'ont pas attendu les menaces
des fulbés et ont quitté les rebord
1 Il règne sur une grande partie de la ville de Dschang et
ses environs, sur les Hautes Terres de l'Ouest Cameroun.
2 Propos relevés par Etienne Tassé
3 Le lamido est un chef traditionnel fulbé.
du massif pour s'installer à 150 km au Nord : < nous
nous sentons mieux ici. Là où nous étions, les gens du
lamido nous faisaient vivre un calvaire >,.
Ainsi, sur les hautes terres d'Afrique de l'Ouest et d'Afrique
Centrale, les problèmes de cohabitation entre populations migrantes et
autochtones sont répandus. En pays Bamoun1, les locaux se
plaignent que les Bamiléké se sont installés chez eux mais
qu'ils ne pratiquent pas l'Islam et ne votent pas comme eux. Mêmes griefs
des populations du littoral à l'encontre des Bamiléké
(D'après Tassé, E, 1998).
En Pays Mafa (Mont Mandara), < on distingue les vrais Mafa,
ceux qui sont nés ici, sur cette terre où est enterré leur
placenta (Posok), des nouveaux venus, étrangers sans racines,
les Kéda (Chiens) qui ne peuvent que cultiver des terres
attribuées de manière précaire. >, (Morin, S.,
1996).
Parmi les structures qui conçoivent et appliquent les
politiques de développement, on peut considérer deux grandes
familles : celles des opérateurs occidentaux et plus largement
étrangers2, et celle des intervenants nationaux. Souvent, ces
deux types d'acteurs sont liés dans les actions qu'ils mènent sur
le terrain. De quelles manière les communautés se
représentent-elles les différents opérateurs de projets et
de politiques nationaux et internationaux ? Comment apprécient-elles les
actions et les politiques menées ? De quelle manière se sont
construites ces représentations dans le temps ? Que représente
pour les sociétés la modernité ?
Des régimes coloniaux à nos jours, < les
individus et les communautés ont constaté, à leurs
dépens, que l'administration coloniale, le coopérant, l'expert,
le cadre national, ne sont pas infaillibles et que leurs pratiques varient au
gré du temps, des idéologies et des modes >, (Rossi, G.,
2000). En effet, il est rare qu `un projet s'installe sur un terrain
historiquement et technologiquement vierge. Les populations villageoises ont
une mémoire des opérateurs extérieurs qu'elles ont
développé au fil des alternances politiques et des passages des
projets. Les objectifs des organismes leur sont bien connus3, et les
propositions que formulent les acteurs exogènes suscitent la
méfiance des populations.
Conscientes néanmoins de l'intérêt
matériel et financier qu'elles peuvent en retirer -notamment les
élites locales- elles refusent rarement l'implantation d'un projet sur
leur territoire. Mais leurs stratégies restent prudentes face aux
innovations proposées : si ce qu'on leur propose se détache trop
de leurs logiques socioéconomiques, elles saboteront ou laisseront
stagner le projet. Les paysanneries se méfient des innovations <
sûres >, et < rentables >, du < développement durable
>,. Les actions exogènes représentent un
bénéfice certain, pour le projet en lui même
1 Sur les Hautes Terres de l'Ouest camerounais.
2 Le terme est employé ici dans son sens civique.
3 les leitmotivs des ces différentes politiques et
leurs application sur le terrain : l'ouverture à l'économie de
marché et la modernisation (intensification agricole, cultures de rente,
micro-industrie et artisanat... etc.), le désenclavement des espaces
montagnards et la gestion rationnelle des ressources.
ainsi que pour ses retombées, mais surtout un risque
potentiel, tant productif que social. Les communautés en font parfois la
douloureuse expérience.
Ainsi, comme le relate Rossi, G, (2000), sur les hauts
plateaux du Sud-Ouest Togo, l'introduction de la monoculture du caféier
par la force coloniale allemande au début du siècle fut
assimilée par les populations et intégrée au
système de production. Il permit jusque dans les années 1960 aux
producteurs d'accéder à une certaine évolution
économique et sociale. Devenu peu rentable et risquée au regard
des cours du marché, la culture de café fut progressivement
abandonnée ou insérée à un système
polycultural. Au début des années 1970, relancés par de
multiples projets sous couvert de l'administration, avec de nouvelles
variétés de café et des crédits ruraux, de nombreux
exploitants investirent toute leur exploitation en monoculture, au
détriment de la sécurité que représente la
complantation. Après des années d'efforts pour que produisent les
nouvelles parcelles, la sécheresse de 1983- 1984 dévasta les
parcelles de café « modernes » d'arabusta, mal conçues
d'un point de vue agronomique, et beaucoup d'agriculteurs furent ruinés.
Seul ceux qui avaient conservé en partie l'ancien système
réussirent à compenser le manque à gagner.
Si on s'attache au problème du foncier en Afrique, on
constate que par exemple des politiques de transition foncières ont
été, avec plus ou moins de vigueur, imposées aux
populations des hautes terres d'Afrique de l'Ouest. En Guinée
(Fouta-Djalon), les pratiques communautaires traditionnelles assuraient
à chacun l'accès à la terre, alors que l `évolution
en cours tend à faciliter la privatisation des espaces. Dans un contexte
où l'espace est fini1, la compétition foncière,
forte autour des zones urbaines (notamment dans les bas-fonds), cause de
nombreux conflits dont l'issue est rendue complexe par la superposition des
droits fonciers coutumiers, islamiques et modernes. « Aujourd'hui, la
question foncière se caractérise à l'échelle locale
par une pluralité des droits : cet éventail de normes fait
accroître l'insécurité foncière et favoriser les
conflits, parfois violents » (I. Boiro , 1996). La juxtaposition de droits
d'inspiration différente provoque une confusion, chacun faisant
prévaloir le droit qui l'avantage le plus en cas de litige.
Un autre exemple de politique nationale peut être
évoqué : les migrations forcées ou largement
incitées, qui déplacent des milliers d'hommes dans le monde, et
plus particulièrement dans les pays où l'Etat cherche à
avoir un contrôle territorial sur les populations nomades et
montagnardes.
Ainsi l'administration pousse les montagnards du Nord Cameroun
(Monts Mandara) à descendre dans la plaine. La progression de
l'économie monétaire a joué un grand rôle : cultures
de coton, opportunités de salariat urbain (Maroua), terroirs agricoles
disponibles... etc. Au départ, soupape du trop plein
démographique de la montagne, l'exode rural dépeuple aujourd'hui
les campagnes et vident les villages de leur force de travail : la plaine,
autrefois crainte, est devenue l'image de l'émancipation et du
progrès pour les jeunes. Même si l'organisation socioculturelle
des montagnards se maintient pour l'instant, cette descente progressive vers
les plaines et ses traductions paysagères est aussi synonyme
d'acculturation : « les migrations
1 « il n'y a plus depuis longtemps de terres sans
propriétaire dans le Fouta-Djalon » (C. LaugaSallenave, 1996)
urbaines s'accompagnent souvent de l'islamisation et d'un
renoncement à l'identité et au mode de vie montagnard
>>.
Sur notre terrain d'étude, on pourrait ainsi multiplier
les exemples de projets ou de politiques qui ont fortement
déstabilisés, voire déstructurés, des
communautés, ou qui ont parfois freinés les hommes dans leur
développement.
Par exemple, en ce qui concerne la gestion de l'environnement,
la conservation des espaces < naturels >> nous donne encore un exemple
du danger de la pensée écologique occidentale appliquée
dans les pays du sud. Dans les Monts Nimba, l'UNESCO et des organisations
écologiques américaines s'opposent à l'exploitation d'un
riche gisement de fer, pour protéger le biotope des seuls crapauds
vivipares au monde. La guinée est tout de même actuellement l'un
des pays les plus pauvres au monde : < à la limite de cette <
réserve de la biosphère >>, les populations vivent dans le
dénuement le plus extrême et un enfant sur quatre meurt avant
l'âge d'un an >> (Rossi, G., 2000). Que représente la limite
d'un parc pour les communautés chassées et interdites ? Comment
la population peut percevoir ce genre d'action qui hypothèque ses
perspectives d'avenir ?
Le même problème se pose au Togo, avec la
politique de gestion des aires naturelles au Togo. La conservation de la nature
se fait ici dans la force. La création de l'immense parc de la
Kéran (voir annexe 16), et son extension en 1981-1982, à
entraîné < le déplacement de près de 10000
personnes et l'intervention de l'armée qui détruisit les villages
à la grenade et au lance-flamme>>. (Rossi, G, 2000). Cette
situation explosive entre les autorités et les populations qui
revendiquent leur terres connut son apogée lors des troubles nationaux
de 19901 : < Les paysans déplacés ont
généralement perdu le territoire de leurs ancêtres et leurs
forêts sacrées >> (Deletage V., 1997) Cette
répression vigoureuse, pour protéger un < patrimoine de
l'humanité >>, a ainsi repoussé des populations aux marges
du Parc, notamment en pays Tamberma. Par ces afflux de populations, le rapport
hommesgestion de la ressource connaît ainsi des perturbations: < les
conséquences logiques sont un déboisement, une diminution des
jachères ; tout cela ayant des répercussions sur la
dégradation des sols [sur les versants atacoriens] >>. le
sentiment de frustration est double, pour les migrants et pour ceux qui les
accuei l lent.
L'interventionnisme exogène se caractérise par
un vocabulaire, un langage distant de celui des communautés
concernées (voir annexe 13). Ce que De Noray M-L., (1998) appelle les
< ravages du langage >> prend toute son ampleur dans des discours
stéréotypés que s'approprient même les agents
autochtones du développement: < ce projet entre dans le cadre de
l'appui aux populations locales dans le domaine de la santé ; il a pour
objectif la sensibilisation, la conscientisation et l'auto-promotion de ces
populations, et plus particulièrement des groupes cibles,
c'est-à-dire des mères. >> (agent de développement
malien, sur les ondes de RFI)..
1 jusque là < efficacement >>
protégée, la réserve a connu une recrudescence de
braconnage qui a entraîné la disparition d'une majorité des
animaux du parc. < Préservation de la biodiversité >>
?
1 Cette énumération pourrait être
élargie.
2
3 Encore faut-il que la compréhension soit
véritablement souhaitée ou même envisagée.
« la langue du Blanc )).
Ainsi, « l'animation rurale )), « l'encadrement )),
« les organisations paysannes )), « l'approche sectorielle )) et
« participative )), « la micro-finance )), « la
biodiversité )), « la conservation de la nature )), ou encore
« le développement durable ))1 sont biens connus des
individus et de leurs groupes. Comment les individus interprètent ces
propos ? Vide de sens à leurs yeux, ils se méfient de ce genre de
vocabulaire, car culturellement il ne le comprennent pas : « autour de
moi, on dit que maintenant que j'ai appris le touba b2 , je
n'arrive plus à parler normalement des gens... Alors moi je leur dis :
mais je passe ma vie à parler de nos frères, à leur venir
en aide. On me rétorque : tes frères, c`est nous, c'est pas les
populations, c'est Moussa, Adama, Mariétou, et les autres. Explique-nous
comment tu nous viens en aide. )) (Un opérateur de développement
malien, 1998). La communication et la compréhension ne sont effectives
que si les différents acteurs territoriaux se
comprennent3.
Au final, les courtiers en développement, les
élites économiques, l'aristocratie traditionnelle et le paysan de
base, ont tous une certaine représentation de l'acteur exogène,
qu'il soit national ou étranger. L'administration et colonisation se
confondent par leurs méthodes et par les représentations
auprès de la population : « l'administration, c'est la colonisation
)) (Mamadou Bobo Bah, M'Balbé, Lombonnah, enquêtes personnelles
2000). Souvent les deux se confondent comme au Cameroun où
l'administration est appelée « le Blanc )). Les
représentations varient en fonction de l'intérêt que
l'individu et le groupe portent à l'opération, à la
manière dont elle est amenée et mise en place. On constate
cependant que l'image de l'acteur exogène n'est pas très positive
(voir annexe 15), ou du moins ambiguë :
Il existe un mot inuit qui caractérise les sentiments
que les blancs leur inspirent. Ce mot est Ilira et il n'est pas facile
à traduire. C'est une sorte de peur, un mélange de respect et
d'intimidation... Ilira est cette tendance en chacun de nous à
donner les réponses que les puissants attendent de nous et non ce que
nous croyons vraiment. Ainsi, quand on demanda à des pères et
mères inuit s'ils souhaitaient que leur enfants poursuivent leur
scolarité en internat, ce qui signifiait qu'ils seraient sortis de leur
environnement et de leur langue maternelle, la plupart ont répondu
« oui )) alors que chaque fibre de leur être désirait
répondre « non )).
Martin O'Malley, 1999
Il paraît complexe de vouloir qualifier «
objectivement )) les représentations des individus et des populations
à l'égard des acteurs exogènes, car dans ce domaine on ne
peut ni analyser dans le détail, ni généraliser. Nous
pouvons seulement constater combien l'image de l'acteur exogène peut
véhiculer de sens
auprès des sociétés, en fonction des
intérêts de chacun et de la réussite de l`action
menée. En effet, même si nous insistons ici sur les
problèmes et les échecs de ce type d'opération, certaines
opérations contribuent au mieux être des sociétés
concernées : aménagement de l'hydraulique villageoise (forages,
pompes), programmes d'amélioration de la santé... etc.
Nous pouvons déplorer que les réussites ne
soient pas suffisamment nombreuses dans le domaine du développement
rural et dans la gestion des environnements écologiques. Les
dérives d'un système de coopération et du tout Etat
laissent des stigmates dans les consciences individuelles et collectives, que
nous pouvons aborder à travers la clé d'entrée des
représentations, dont nous venons de proposer un essai de grille de
lecture.
Aujourd'hui, face à un système politique,
économique et culturel exogène qui leur pèse de plus en
plus, les choix des sociétés sont limités : bien souvent
pour les communautés s'affrontent la nécessité d'une
ouverture au monde (par choix ou par force), avec la logique du Marché
et l'individualisme économique qui risquent de mettre en péril la
vie de la communauté, et la volonté de préserver un
fonctionnement social (souvent communautaire), garant de la
pérennité du groupe sur son espace. Le fait qu'on voit de nos
jours se développer la participation autochtone, ce qu'on peut
considérer comme progrès des sciences sociales, ne remet pas en
cause les rapports développeurs/développés.
La technicité, le marché et la
préservation de la ressource selon des valeurs exocentrées par
rapport à celles des communautés territoriales montrent leurs
limites dans les systèmes socio-spatiaux territoriaux des hautes terres
d'Afrique de l'Ouest et d'Afrique Centrale. Ces sociétés ne
répondent pas aux mêmes logiques sociospatiales et donc aux
mêmes stratégies dans le temps. Les modes de gestion du groupe et
de sa ressource sont élaborés et adaptés selon des
rationalités que les intervenants extérieurs ne savent pas
toujours décrypter et analyser. Nous pensons que l'étude des
représentations apporte des connaissances fondamentales pour la
compréhension de ces logiques socio-spatiales, et qu'une
véritable carence -parmi d'autres- existe dans ce domaine : « les
représentations et les pratiques de l'espace de nombreuses populations
d'Afrique sont très éloignées des logiques de
découpage caractéristiques des représentations
territoriales modernes » (Pourtier, R.).
Tambour sacré du village de Nadhel (Fouta-Djalon),
utilisé pour la prière qui clôture le jeûne musulman,
le ramadan.
Les progrès des sciences sociales ont poussé les
géographes à s'intéresser aux représentations, non
pas comme un objet d'étude, mais comme un outil de compréhension
des dynamiques socio-spatiales des individus et des sociétés.
Deux approches se dégagent dans l'étude des
représentations : l'analyse des liens entre l'image et le réel
connu, et la variance entre les diverses représentations. Ces
dernières peuvent être abordées selon plusieurs
échelles, et leur complexité amène le géographe
à adopter des points de vue variés pour pouvoir en cerner le
contenu et la signification.
Pour identifier les représentations, l'approche
territoriale s'avère (en théorie) efficace : nettement
identifiable dans les sociétés du Sud, les territoires
apparaissent comme de précieux indicateurs sur la manière dont
les groupes humains construisent et signent dans les paysages leur propre
réalité géographique, culturelle et
socioéconomique.
Quand le Nord perd le Sud... (Henry, J.R., 1995)
L'analyse des représentations produites et
véhiculées par les groupes sociaux est un moyen de parvenir
à une meilleure connaissance des enjeux dont l'espace est l'objet et le
support. Une connaissance qui reste aujourd'hui sous-utilisée dans la
compréhension des logiques socio-spatiales des sociétés
tropicales.
L'exemple des hautes terres d'Afrique de l'ouest et d'Afrique
Centrale est significatif du rôle important que jouent les
représentations dans les dynamiques socio-spatiales des hommes sur leurs
territoires.
Marqués par les écosystèmes d'altitudes
(selon certains gradients), les groupes humains présentent de multiples
facettes socio-culturelles et paysagères qui témoignent de leurs
capacités d'adaptation et de leurs représentations.
Ces sociétés sont attachées à leur
identité culturelle et religieuse -comme beaucoup d'autres en Afrique-
et s'organisent selon des rationalités endogènes
sous-estimées par les opérateurs de « l'extérieur
». A la lumière des expériences malheureuses et
coûteuses, nous pouvons nous interroger sur les méthodes
employées pour accompagner les hommes vers le
bien-être social, et sur les raisons d'être d'un système
qu'ils subissent ou détournent.
Face à la divergence entre les intérêts
extérieurs et les communautés locales, à
l'incompréhension mutuelle des différents acteurs
territoriaux,
La vision occidentale, notamment par l'étude des
représentations, commence à changer. Mais les discours des
chercheurs restent sans écho dans la conception et la réalisation
de projets ou de politiques.
Les méthodologies d'approche des populations et de leurs
logiques sociospatiales sont à repenser dans les sens des
communautés.
La problématique des représentations est au
coeur de plusieurs enjeux sociaux, économiques et politiques auxquels
les différents opérateurs du développement et de la
gestion de l'environnement ne peuvent rester indifférents dans les pays
du Sud.
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