2) Un temps et un contexte pour cuisiner au plus proche :
l'exemple des plats totems
La tentative de préparer en France des plats typiques
prend beaucoup de temps en raison des adaptations auxquelles le mangeur est
obligé en raison de la non-disponibilité de certains produits. Il
semble alors logique que ces pratiques soient restreintes à des
occasions particulières. Quelles sont les circonstances qui autorisent
un investissement en temps et en argent pour des préparations culinaires
?
En effet, il semble que les étudiants interrogés
préparent rarement pour eux seuls des plats originaires de leur pays.
Nous avons pu observer quotidiennement les pratiques culinaires de nos
colocataires italien et chinois. Il apparaît une stricte division des
préparations selon les contextes. Pour la cuisine de tous les jours, que
l'on est amené à manger seul, rapidement entre deux cours,
parfois dans sa chambre en consultant ses mails, on se contente de plats
rapides à faire, qui ne demandent pas une grande surveillance ni
dextérité culinaire. Souvent Shumeï mange sur un coin de
table une boite de filets de maquereaux avec du pain, ou du fromage, ou encore
cuit un filet de poisson à l'huile d'olive sans accompagnement. Ces
plats se différencient de ceux qu'elle prépare le soir, quand
elle a du temps. Ces derniers exigent souvent une préparation
préalable, notamment l'épluchage des légumes et leur
découpage en fins morceaux, une attention soutenue à la
préparation.
Lorsqu'on est en compagnie, les pratiques culinaires sont
modifiées. On prend plus de temps pour cuisiner et on change de
recettes. Giovanni a reçu un week-end sur deux et parfois plus sa petite
amie à Lyon, Shumeï a hébergé pendant deux semaines
une amie chinoise chez elle au mois d'avril. Dans ces deux situations, nos
colocataires passent de la vie solitaire à la vie à deux et
revoient leurs pratiques culinaires.
La comparaison des menus en période « normale
» et dans ces périodes particulières offrent deux
modalités de l'agissement du contexte : pour Giovanni, on assiste
à une très nette complexification des préparations
alimentaires qui passe par une modification du budget consacré aux
dépenses alimentaires, à un changement de registre alimentaire
avec notamment une cuisine de poisson prédominante. Avec Juliette, il
prépare des crevettes, des coquilles Saint-Jacques, des bulots, du
homard. Il ne mange du poisson que lorsqu'elle est là. Avec Shumeï,
nous assistons à l'apparition d'un registre nouveau des pratiques, des
préparations qu'elle qualifie cette fois-ci de typiquement chinoises,
compliquées et demandant du temps. A partir de la
célébration du Nouvel-an chinois, qu'elle avait passé
l'année d'avant en Chine, ses pratiques culinaires se sont
modifiées pour devenir plus typiquement chinoises. Elle a
préparé des plats non encore réalisés jusque
là et ce à plusieurs reprises, pour lesquels elle a dû se
rendre dans les magasins asiatiques.
La notion de plat
typique150
La définition du Petit Robert est la suivante «
Qui caractérise un type et lui seul; qui présente suffisamment
les caractères d'un type pour servir d'exemple, de repère (dans
une classification ».
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150 Le paragraphe intitulé Continuum alimentaire et
typicité des préparations culinaires permettra de prolonger le
début d'analyse proposé ici. Il s'agit juste à ce moment
de notre démonstration d'éclairer l'utilisation du terme typique
par quelques précisions qui seront complétées dans le
paragraphe indiqué.
Le mot typique (qui est à la fois un adjectif et un nom
féminin) est employé par les personnes que nous avons
interrogées à de multiples reprises. Utilisé comme
adjectif qualificatif, il est le plus souvent accolé au mot plat ou au
nom d'un plat (exemple « ça c'est le plat typique roumain »)
et sert à le caractériser. Ce terme sert aux étudiants
étrangers à comparer leurs pratiques culinaires en France et chez
eux dans leur pays d'origine. L'utilisation de ce terme induit l'idée de
classement, de hiérarchisation des préparations culinaires selon
qu'elles se rapprochent ou s'éloignent du modèle idéal que
constitue le plat préparé au pays.
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