INTRODUCTION
Les travaux de la finance comportementale tentent,
depuis quelques années, d'expliquer certaines des anomalies
constatées, en abandonnant l'idée de rationalité de
l'investisseur, pourtant centrale à l'hypothèse d'efficience des
marchés.
Ce nouveau courant de recherche a proposé ainsi
des biais cognitifs relatifs aux connaissances des investisseurs qui sont
principalement l'ancrage mental et la comptabilité mentale.
Souvent, l'être humain a une difficulté
à traiter l'information qu'il a à disposition et à la
matérialiser par une décision claire et nette. Pour ne pas rester
hésitant, il utilise des artifices intellectuels qui le permettent de
trancher rapidement. L'ancrage mental en est un.
L'ancrage se définit par le fait que les gens,
lors de la formation de leurs jugements et la fixation de leurs
prévisions, ont généralement tendance à se
rattacher à des points de référence gardés au
tréfonds de leurs esprits.
Cet état de fait permet de ne pas hésiter
éternellement quand il s'agit de prendre une décision ou
d'émettre un avis. Néanmoins, il induit toutefois un ajustement
insuffisant des prévisions de la part des investisseurs qui s'attachent
trop à ces points de référence.
Ce biais conduit à une prise en compte insuffisant de
l'information nouvelle au détriment de l'information passée.
Le biais l'ancrage mental comporte plusieurs
déclinaisons telles que le biais de représentativité et le
biais de confirmation.
Si la théorie économique utilise comme
postulat de départ que nous disposons d'une capacité de
réflexion infinie pour résoudre les problèmes
économiques auxquels nous sommes confrontés tous les jours, les
psychologues, au contraire, ont mis en avant nos limites introduisant ainsi le
biais de la comptabilité mentale.
La comptabilité mentale assemble tous les trucs
qui permettent de simplifier la prise des décisions économiques
quotidiennes. Elle est composée de trois importantes composantes
à savoir l'utilité de transaction, la compartimentation
budgétaire et enfin la comptabilité temporelle.
L'explication de la comptabilité mentale nous
amène à parler au biais de la diversification.
Ce chapitre sera donc organisé comme
suit :
La première section sera consacrée à la
présentation du biais d'ancrage ainsi que ses déclinaisons.
La seconde section se focalisera sur l'étude du biais
de la comptabilité mentale ainsi que le biais de diversification.
SECTION 1 : L'ANCRAGE MENTAL
I. La notion d'ancrage mental (Anchoring)
L'ancrage est un outil que les investisseurs utilisent
pour résoudre des phénomènes complexes ; ce biais
s'explique par la sélection de points de référence lors de
la formation d'un avis ou la prise d'une décision.
I.1. Présentation et
caractéristiques du biais d'ancrage :
KAHNEMAN et TVERSKY (1974) montrent que lors de la
formation de leurs anticipations, les agents commencent
généralement par la fixation de quelques valeurs arbitraires
possibles autour des quels les prévisions seraient fixées.
En définissant l'ancrage mental, GREENFINCH
postule que les gens (et entre autres les investisseurs), gardent au
tréfonds de leur matière grise quelques points de
référence. Cela peut être lié, entre autres causes,
à une mémoire sélective, par exemple un cours d'action
précédent, ou une tendance de cours précédente.
MANGOT (2004) affirme qu'il existe un biais d'ancrage
numérique. Ce biais rend compte de la tendance à focaliser sur un
nombre et à l'utiliser comme point de référence au moment
de réaliser une estimation.
D'après cet auteur, les nombres pouvant influencer
l'évaluation des titres sont multiples ; ils peuvent être les
cours cotés, les ratios du marché, des nombres remarquables (tel
que le prix d'achat, le prix d'achat d'une connaissance), ou des cours qui ont
marqué l'attention (par exemple le titre est resté pendant trois
mois autour de 85 euros, pourquoi l'acheter maintenant à 95
euros ?)...
Cet auteur donne comme conséquence du biais d'ancrage
le fait que l'investisseur affiche des comportements similaires dans des
moments remarquables, par exemple les krachs boursiers.
Le matin même de krach de 1987, plusieurs quotidiens
Américains, tel que le Wall Street Journal, montraient des graphiques
superposant les performances des indices boursiers en 1929 et 1987,
suggérant la comparaison. MONGOT indique qu'« on peut imaginer que
cela a influencé la perception des évènements par les
investisseurs et a conditionné leurs opérations en Bourse
».
KAESTNER (2005) affirme que le biais d'ancrage traduit
le fait que les individus raisonnent par rapport à des valeurs de
référence passées. Le poids attribué à cette
information passée est excessivement élevé et
entraîne un ajustement insuffisant lors de l'arrivée d'une
information nouvelle différente.
L'ancrage peut conduire à des comportements de
sous-réaction ou de sur-réaction. En effet, quand arrive une
nouvelle information les investisseurs ajustent trop timidement ces
références en excluant les informations qui ne viennent pas dans
le sens de leurs croyances (la sous-réaction). Plus tard, au fur et
à mesure que ces informations sont confirmées par d'autres
allants dans le même sens, les investisseurs ajustent excessivement, et
même parfois brutalement, leurs références
(sur-réaction).
Donc les investisseurs ont tendance à extrapoler les
résultats à venir des résultats passés et à
ne corriger leurs anticipations en fonction des nouvelles informations que
très graduellement.
I.2. Les déclinaisons de
l'ancrage :
Le biais l'ancrage mental comporte plusieurs
déclinaisons telles que le biais de représentativité et le
biais de confirmation.
I.2.1. Le biais de
représentativité : (Representativeness Heuristic)
La règle de
représentativité représente l'éventualité la
plus simplificatrice aux investisseurs dans le contexte de l'imperfection des
marchés pour lequel le processus de prise de décision est de plus
en plus emblématique face à la multiplicité des
données.
Ce biais se focalise par le fait que les agents
évaluent la probabilité d'un événement futur
incertain par le degré avec lequel cet événement ressemble
à un phénomène récemment observé.
Ce biais heuristique a été
identifié par TVERSKY et KAHNEMAN (1975) qui postulent dans leur
étude que lors de la formation de leurs jugements les individus ont
généralement tendance à ne pas tenir compte des
probabilités établies et à juger uniquement en fonction
des similarités observées avec des modèles connus.
Dans leur étude, GRIFFIN et TVERSKY (1992)
montrent que les agents sujets au biais de représentativité
ajustent leur modèle en considérant les événements
passés comme étant typiques ou représentatifs d'une classe
spécifique d'événements et effectuent leurs
prévisions en se basant sur les caractéristiques de ces
derniers.
MANGOT (2004) indique qu'il existe deux types de
représentativité : une temporelle et l'autre spatiale.
· La représentativité temporelle :
Les investisseurs considèrent souvent que ce qui
s'est produit dans le passé récent peut se reproduire dans le
futur proche avec une probabilité bien plus grande qu'en
réalité.
Les investisseurs se référent ainsi à
leurs modèles antérieurs et effectuent une analyse très
sélective des informations récentes dans le but de
détecter une éventuelle similarité.
La conséquence de cette représentativité
est que l'investisseur a tendance à se porter acheteur sur un titre
quand il a déjà gagné grâce à lui dans le
passé.
· La représentativité spatiale :
L'investisseur considère que ce qui se produit
autour de lui doit se produire également à grande
échelle.
Pour montrer l'existence de ce type de
représentativité MANGOT (2004) a posé le question suivant
« qui ne penserait pas que le taux de divorce grimpe en flèche si
trois couples d'amis proches annoncent leur divorce dans un intervalle de deux
mois ?».
Le même raisonnement est applicable aussi par les
investisseurs. Ces derniers peuvent considérer que ce qui arrive
à leurs titres arrive au marché tout entier ou que leurs
réflexions sont largement partagées par les autres
investisseurs.
Que ce soit dans sa forme temporelle ou spatiale, le
biais de représentativité est toujours un sophisme (raisonnement
faux) qui s'explique par une méconnaissance ou par l'oubli.
I.2.2. Le biais de confirmation :
Cette fois, n'est pas influencée par ce que
l'investisseur a vu dans un passé récent ou ce qu'il
expérimente directement mais par la première impression.
RUSSO, professeur de marketing à Cornell University, a
par exemple réalisé une expérience dans laquelle il a
été demandé à des étudiants de choisir entre
deux restaurants à partir de la comparaison de leurs menus respectifs.
L'expérience est faite de telle sorte que lorsque la comparaison a
porté sur les menus considérés dans leur
intégralité, l'échantillon s'est réparti
équitablement entre les deux restaurants. Mais quand il s'est agit de
choisir après une comparaison détaillée des menus, plat
par plat, 84% des étudiants ont alors opté pour le restaurant qui
obtint leur préférence lors de la première comparaison de
plats.
De même en Bourse, l'investisseur se porte plus
volontiers acheteur d'un titre quand il en a eu une première impression
favorable et inversement. Dès lors les décisions d'achat et de
vente ne sont plus commandées par des évaluations objectives,
avec les risques que cela suppose.
Parmi toutes les informations qui parviennent, toutes ne
sont pas traitées équitablement. L'investisseur présente
une tendance à surévaluer celles qui vont dans le sens de sa
première idée et à minimiser celles qui s'y opposent.
II. Les diagnostics et les remèdes de
l'ancrage
II.1. Les diagnostics de
l'ancrage :
D'après MANGOT (2004), on prend conscient qu'un
investisseur est sujet au biais d'ancrage ou à ses corollaires
si :
- Il négocie très rarement avec les commerciaux
ou inversement il est persuadé d'être un très bon
négociateur alors qu'il n'est pas commercial et n'a jamais reçu
une quelconque formation en négociation ;
- Il est client de la même banque depuis longtemps, sans
trop savoir pourquoi ;
- Il est particulièrement sûr de sa façon
de gérer son portefeuille ;
- Il prend ses décisions d'achat et de vente
très rapidement, à partir de quelques informations
seulement ;
- Il a un titre sur lequel il se renforce
régulièrement et qui représente aujourd'hui plus du tiers
de son portefeuille ;
- Il ne réinvestisse jamais sue une valeur avec
laquelle il a perdu de l'argent ;
- Il attend qu'un titre qui a beaucoup baissé revienne
à son cours d'achat pour le vendre.
II.2. Les remèdes de
l'ancrage :
D'après MANGOT (2004), un premier pas vers la
rationalité serait de faire en sorte de s'accrocher à des ancres
plus rationnelles.
Cet auteur affirme que l'investisseur peut largement corriger
ce biais :
- En tenant une comptabilité rigoureuse de ses
réussites et de ses échecs ;
- En recueillant le maximum d'informations sur les prix de
marché de manière à avoir une ancre légitime, que
ce soit pour des comparaisons statiques (par rapport aux valeurs comparables)
et dynamiques (par rapport aux valorisations historiques) ;
- En confrontant son point de vue à celui d'autres
investisseurs pour voir si sa première intuition est justifiable. Il
faut néanmoins faire attention à ce que les interlocuteurs aient
des avis contradictoires si non le risque est grand de se conforter les uns les
autres et de s'encourager à prendre des positions encore plus
tranchées ;
- En multipliant les conseillers. Car eux-mêmes peuvent
être sujets au biais de confirmation et avoir des analyses
viciées.
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