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La dialectique de la reconnaissance chez Hegel

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par Dominique Mvogo Mvogo
Université Catholique d'Afrique Centrale - Maîtrise en Philosophie 2005
  

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I.1.3. Domination et Servitude : issue heureuse

La figure de domination et servitude utilisée par Hegel met aux prises deux consciences de soi. Il s'agit d'une relation spirituelle (dépendance et indépendance) qui s'articule en deux temps. D'un côté, le maître et de l'autre l'esclave. Il y ressort deux attitudes résumées dans le cas que nous avons évoqué plus haut : la courte durée du combat pour la et pour la mort. Il est de courte durée dès lors qu'un des adversaires, prenant conscience de son anéantissement, renonce au combat. Il choisit alors de vivre, quitte à se laisser dicter la loi par le protagoniste qu'il vient d'affronter. En termes beaucoup plus hégéliens, «il renonce à voir dans sa transcendance par rapport à son être la condition de l'affirmation de son être pour soi » (t.1, p.157). Et il choisit cet être  en abandonnant à l'autre son être-pour-soi ou sa liberté. C'est ainsi que naît «le côté de l'inégalité de deux [consciences de soi] » (Ibidem).

A partir de là, deux parties s'imposent à nous dans le texte de Hegel. Il y a d'une part le point de vue du maître et le point de vue de l'esclave. Car il n'est plus tellement question de reconnaissance, mais de la recherche d'une véritable autonomie. Essayons une analyse tour à tour de ces deux cas.

D'entrée de jeu, Hegel distingue trois termes, avons-nous dit, le premier, le maître se trouve toujours en position dominante. Le second est l'esclave. Entre les deux, et comme moyen terme, la choséité. Quel genre de rapports existe-t-il entre ces termes ? Le maître entretient une double relation de médiation avec les autres.

- Il contraint l'esclave à travailler le monde pour lui. Et puisque l'esclave s'était soumis à la choséité lorsqu'il a préféré la vie à la liberté, il se l'assujettit.

- Mais puisque l'esclave est entre lui et le monde, par le fait même de le dominer, il domine le monde. Il jouit de ses produits (t.1, p.162).

« Dans ces deux moments, poursuit alors Hegel, advient pour le maître son être-reconnu par une autre conscience » (Ibidem). De quelle sorte de reconnaissance s'agit-il à ce niveau ? Il y a dans le texte de Hegel une série d'opérations qui met en lumière l'ensemble des rapports ici en jeu.

- Le maître sursume l'esclave et celui-ci consent en se sursumant lui-même.

- L'action de l'esclave sur lui-même et sur le monde est une sorte de participation seconde à l'action du maître.

- L'absence de réciprocité de l'agir. Il manque encore un moment, dit Hegel : « celui dans lequel le maître fait sur lui-même ce qu'il fait sur l'autre individu, et celui dans lequel l'esclave fait sur le maître ce qu'il fait sur soi » (t.1, p. 162). Ainsi s'établit une reconnaissance unilatérale et inégale.

Le deuxième cas n'est pas énoncé, mais son importance n'est plus à démontrer. Car ici la figure centrale n'est plus celle du maître, mais celle de l'esclave. C'est en gros le problème de l'inégalité de la reconnaissance. Tout laisse croire que le maître deviendra esclave de l'esclave, et l'esclave le maître du maître. Or ce qu'il convient de poser ici, c'est la conscience de soi de l'esclave. Celle-ci va passer par une formation de l'homme à travers la peur, le service et le travail. En d'autres termes, il s'agit de l'autonomie qu'il faut acquérir et la rendre apte à une rencontre de vérité.

Comment la conscience servile peut-elle arriver à cette autonomie ? Tout d'abord, il faut récupérer son être-pour-soi. Une prise de conscience de ce que la peur qu'elle éprouve est l'expression seconde de la négativité radicale qu'elle est elle-même. L'analyse qui s'ensuit nous montre que l'esclave a senti l'angoisse primordiale, une fluidification absolue de toute substance. En acceptant l'esclavage, il a placé son idéal hors de lui-même. Mais l'angoisse lui a fait prendre conscience de son néant. Un néant qui est négativité. Cette négation de lui-même va se poursuivre dans le travail. Et par cette négation, l'esclave va exister pour un autre. C'est le service qui va faire de lui un homme en soi et pour soi. Il apprendra à maîtriser ses instincts. C'est une façon de monnayer sa peur. La peur d'être tué. Mais l'issue heureuse est qu'il n'a pas été tué. Il transforme le monde à partir de cette idée de la mort qui est une ébauche de la raison. Etre historique par son travail, il s'acheminera vers l'humain sur la voie de la technique.

De ce fait, l'accès à l'humanité devient évident. Car la conscience servile va cesser d'être mue par ses désirs. Dès lors, il apprend une sagesse que le maître ignore. Il apprend à distinguer son moi de sa vie biologique. Et G. Fessard nous en donne une explication :

« Si l'esclave est devenu tel, c'est parce que son attachement à l'existence lui a fait dire : tout et même la servitude que la mort. Mais l'angoisse que le maître continue de faire peser sur lui pour obtenir son obéissance va lui apprendre d'abord que cette existence naturelle à laquelle il tenait tant est en réalité sans valeur pour lui, et que la liberté seule vaut la peine de vivre. Par-là déjà, l'esclave commence de devenir l'égal du maître qui lui-même n'est devenu tel que pour avoir dit dans le combat : tout et même la mort plutôt que l'esclavage » (1960 : 145).

C'est donc ainsi que le travail (parce que servile) est formation et culture au sens de Hegel. De plus, exercé sur la nature qu'il humanise, le travail est aussi transformation de l'esclave en homme. C'est une voie d'accès pour la reconnaissance. L'esclave est véritablement dépendant du monde parce que attaché à la vie. Il vit l'angoisse de la mort. Mais travaillant la terre, il la transforme. Et dans ce travail, il se révèle au maître comme conscience essentielle. Et comme conscience indépendante, l'esclave l'est parce qu'il peut vivre des ressources de son travail. Or, le maître est essentiellement dépendant. L'esclave se manifeste comme conscience formatrice parce qu'il peut transformer la terre. Conséquence, le vrai patron c'est lui. Le travail révèle à l'esclave son autonomie.

L'esclave, par peur de perdre sa vie, est considéré par l'héroïque maître comme une chose servile, comme un matériel utile. Pour preuve, le maître se réfère à lui comme une médiation entre lui et le monde. D'où, l'esclave est considéré comme une chose de la nature. Mais, c'est une médiation entre les choses et les besoins du maître. En sorte que s'il n'existait pas les choses, le maître n'aurait pas besoin de l'esclave. Ainsi, le type de rapport de la conscience indépendante (être pour soi) se spécifie :

- immédiatement à l'esclave et aux choses

- médiatement à chacun par la médiation de l'autre

L'indépendance du maître entraîne la double dépendance de l'esclave c'est-à-dire envers le maître (présent et futur) et envers les choses. Et pour le signifier Hegel écrit :

« ...le maître se rapporte médiatement à la chose par l'intermédiaire de l'esclave ; l'esclave comme conscience de soi en général, se comporte négativement à l'égard de la chose et la supprime ; mais elle est en même temps indépendante pour lui, il ne peut donc pas par son acte de nier venir à bout de la chose et l'anéantir ;  l'esclave transforme donc seulement par le travail »(t.1, p.162).

Le maître lui, veut seulement jouir des fruits du travail de l'esclave et c'est ici qu'émerge la dialectique de la reconnaissance du maître comme tel. Le maître se considère comme une conscience patronale et indépendante. Ceci est dû au fait que les deux consciences ne se reconnaissent pas réciproquement comme sujets vivants, égaux en pouvoir. « A donc pris seulement naissance une reconnaissance unilatérale et inégale » (t.1, p.163). Voilà pourquoi, à partir de l'esclave, la dialectique de la reconnaissance prend une autre tournure. Dans cette perspective, il résulte que le vrai maître c'est l'esclave. Ceci tient au fait que le patron se rend compte que sans l'esclave il ne peut rien faire. L'autre lui est reconnaissant parce qu'il vit. Notre auteur renchérit en affirmant :

« La conscience inessentielle est ainsi, pour le maître, l'objet qui constitue la vérité de sa certitude de soi-même. Il est pourtant clair que cet objet ne correspond pas à son concept ; mais il est clair que là où le maître s'est réalisé complètement il trouve tout autre chose qu'une conscience indépendante ; ce qui est pour lui ce n'est pas une conscience indépendante, mais plutôt une conscience dépendante » (Ibidem).

Les moments de ce processus sont la peur de la mort, le service et le travail qui ouvre sur la culture. Précisément pour l'esclave, l'essence c'est le seigneur et donc : « La vérité de la conscience indépendante est la conscience servile. Sans doute, cette conscience servile apparaît d'abord à l'extérieur de soi et comme n'étant pas la vérité de la conscience de soi » (t.1, p.163).

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"En amour, en art, en politique, il faut nous arranger pour que notre légèreté pèse lourd dans la balance."   Sacha Guitry