PRESENTATION DU MEMOIRE
Honorables membres du Jury,
A travers l'étude du thème La dialectique de
la reconnaissance chez Hegel, nous avons voulu montrer comment l'homme
part de la nature et aboutit à la culture et par ce fait accède
à l'humanité. Le modèle hégélien de lutte
pour la reconnaissance nous a ainsi servi de cadre d'essai. Ce projet nous a
été suggéré par le professeur Gabriel Ndinga avec
pour objectifs de :
- Nous réintroduire dans le rationalisme moderne et
l'idéalisme allemand,
- Acquérir une connaissance articulée du
système dialectique de Hegel et de pouvoir en rendre compte,
- Comprendre l'impact philosophique et intellectuel de
l'hégélianisme sur la modernité et les débats que
suscite son oeuvre.
Avant de nous appesantir sur l'objet de notre étude, il
nous semble nécessaire de donner un ramassis de la pensée de
Hegel.
Disons d'entrée de jeu que Hegel est partisan de
l'idéalisme absolu. Son ambition est de concilier la pensée et la
réalité, l'universel et le particulier, sous les auspices d'une
logique : la dialectique.
`'Ce qui est rationnel est réel et ce qui est
réel est rationnel'' (Préface de Principes de la
Philosophie du droit, paris, Gallimard, 1972). Tel est à notre
avis l'idée maîtresse chez Hegel. C'est à cet effet que la
Phénoménologie de l'esprit décrit
l'évolution progressive de la conscience. Elle va de l'opposition
première d'avec le monde sensible jusqu'au savoir absolu qui est savoir
de l'être dans sa totalité. Dans cette oeuvre, la dialectique
hégélienne (dialectique de la reconnaissance) se veut être
le mouvement même de la pensée et de la réalité.
Elle postule que toute chose se développe par contradiction
surmontée (synthèse), en dépassant la négation
(antithèse), qu'elle oppose à elle-même (thèse). La
raison, loin de proscrire la contradiction, se nourrit ici de l'unité
des contraires. Ainsi l'affirmation de la conscience comme conscience de soi
passe par l'affrontement d'avec l'autre. Il s'ensuit un combat pour la mort et
pour la vie dont l'issue heureuse est la reconnaissance mutuelle des
adversaires. Le premier nommé maître préfère la
liberté à la vie et le second esclave, préfère la
vie à la liberté.
Dans cette perspective, Hegel nous introduit dans l'histoire.
Celle-ci doit être comprise comme l'épopée de la raison.
Car, les individus, en poursuivant leurs passions particulières,
réalisent à leur insu les grands desseins de l'Esprit universel
qui gouverne le monde (Dieu).
Dans un second point, nous présentons
l'intérêt de ce travail et le problème que pose la
dialectique hégélienne.
La dialectique de la domination et de la servitude
vulgairement connue par dialectique du maître et de l'esclave (A.
Kojève, Introduction à la lecture de Hegel, Gallimard,
1947), est et reste d'actualité. Elle est valable en tout temps pour que
l'homme soit homme, dira Abel Jeannière (Anthropologie sociale et
politique, 1989, p.102). C'est dans ce sens qu'elle peut s'appliquer au
passage de la nature à la culture, mieux de l'animalité à
l'humanité. Ceci a suscité en nous une question qui est au
fondement de l'histoire humaine : comment l'homme émerge-t-il
actuellement, comment a-t-il toujours émergé de la nature pour
s'inscrire à la culture et par-là même accède
à l'humanité ?
La recherche de réponse à cette question nous
fait poser le problème du rapport dialectique entre deux consciences. Le
noeud de ce problème est le conflit. Celui-ci implique les
libertés, car il s'agit de la conquête de l'humanité
s'exprimant à un double niveau spirituel et historique. Et dans cet
affrontement nécessaire des libertés, peut-on dépasser
l'antagonisme pour accéder à une certaine forme d'identité
caractérisée par le dialogue, l'ouverture à l'autre,
l'accueil de l'altérité ?
L'essai de solution que nous nous proposons s'inscrit à
l'intérieur du processus de la reconnaissance mutuelle des parties en
conflit. Hegel pour le faire va dépasser le premier niveau qui est
purement gnoséologique. Il nous fait arriver à un second niveau
qui est la considération de `'l'individu universel, l'esprit
conscient de soi dans son processus de culture''
(Phénoménologie de l'esprit, 1941, T. 1, p.25).
Nous avons divisé ce travail en trois
parties :
Dans la première, nous restituons ce que Hegel
lui-même prescrit `'pour parvenir au savoir proprement dit ou
engendrer l'élément de la science qui est son pur concept, le
savoir doit parcourir laborieusement un long chemin'' (Préface de la
phénoménologie de l'esprit, 1966, p.69). Ce chemin est celui
qui va de la conscience à l'autoconscience.
Comment s'effectue ce passage ?
C'est le désir qui permet de passer réellement
de la conscience à l'autoconscience. Quand deux consciences se
rencontrent, elles tendent à entrer en conflit pour se faire
reconnaître. Et tandis que le maître accepte le risque de la mort,
l'esclave reste attache à la vie. C'est en risquant sa vie que l'on
parvient à la conscience authentique de soi-même. Telle est cette
négativité hégélienne, pensée et assomption
de la mort qui donne sens a la vie.
La seconde partie est le développement de la relation
du maître et de l'esclave. Il s'agit de restituer la relation humaine
dans son principe et en ressortir le thème majeur qui est celui de la
reconnaissance. Le chemin que nous montre Hegel est constitué de trois
moments fondamentaux qui sont aussi trois impasses. Il y a le stoïcisme
où l'on se contente d'une liberté abstraite et
indépendante du monde. Le scepticisme où la liberté
demeure encore illusoire et intérieure. La conscience malheureuse qui ne
peut connaître l'apaisement et le repos. Cette conscience est malheureuse
parce qu'elle se découvre elle-même comme déchirée.
D'où sa douleur. Ici, la dialectique hégélienne trouve sa
véritable expression tragique et existentielle. La
négativité est le mouvement même d'un esprit allant
au-delà de lui-même et souffrant. Ainsi donc, la conscience
malheureuse nous fait accéder non seulement au
déséquilibre profond de l'âme humaine, mais aussi celui de
toute l'humanité. Au-delà de ces figures, Hegel en vient à
une synthèse de la conscience et de la conscience de soi au moyen de la
raison.
La troisième partie concerne notre apport personnel en
qualité de limites et contributions à la dialectique de Hegel. A
travers Abel Jeannière et Francis Fukuyama, nous avons montré que
le travail est source de libération. On accède à
l'humanité par le travail et la culture. Ainsi, l'esclave qui a cesse
d'être mu par les désirs accède à
l'humanité. `'Il devient homme de façon plus radicale que le
maître, qui suivant les mots de Kojève, n'aura
été que le catalyseur indispensable de l'humanité. Il
apprend une sagesse que le maître ignore'' (A. Jeannière,
Anthropologie sociale et politique, 1989, p.112).
Avec la dialectique de Hegel, nous découvrons que les
choses changent, et non pas seulement d'un changement calme et paisible, mais
en opposition et rupture. Ainsi, tout progrès de la connaissance exige
le niveau logique précédent pour se constituer comme objet. Ce
n'est qu'après cela que la connaissance est possible. Nous constatons
aussi que la supériorité de la dialectique n'est pas dans son
épistémologie historiciste, mais son enseignement moral et
politique. C'est le processus par lequel le positif jaillit de la
négation de la négation.
Partant du thème de notre recherche, nous retenons que
la philosophie de Hegel n'est pas une sorte de quintessence
d'intelligibilité abstraite. Elle n'est pas non plus une exaltation du
concept. A travers elle ce qui est en cause n'est pas la simple
représentation, mais l'idée considérée comme
concept concret. Il se met en place un mouvement de cette réalité
qui réalise du même coup le savoir. Il en ressort une logique
dialectique qui épouse l'histoire. Et puisque l'idée est
l'histoire, il n'y a aucune opposition entre ce qui intelligible et ce qui est
réel : `'tout ce qui est réel est rationnel, tout ce qui
est rationnel est réel'', avons-nous dit, et `'l'histoire n'est
que la manifestation de la raison'' (Hegel, Préface de la
philosophie de droit, 1972 : 12).
Les difficultés n'ont pas manqué dans
l'élaboration de ce travail. Voila pourquoi nous devons vous avouer que
nous avons peiné. Sous les auspices de notre Directeur, sur à
peine cinquante pages du texte hégélien que nous avons du relire
plusieurs fois avant de pouvoir prétendre à une
compréhension même minimale. Nous avons entretenu une propension
à abonder dans le sens de Jean-Luc Gouin qui dit : `'Lire Hegel
jusqu'à ce qu'on le comprenne est une discipline qui équivaut
à se flageller jusqu'à ce qu'on devienne possédé
par le Saint-Esprit'' (Hegel ou de la raison intégrale,
Bellarmin, Montréal, 1999, p.84).
Nous vous remercions...
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