La politique étrangère américaine à l'épreuve des évènements du 11 septembre 2001: Le cas irakien( Télécharger le fichier original )par Mamadou DIA Université de Toulouse I Sciences Sociales - Master de Relations Internationales 2005 |
EPILOGUE : Un an après la guerre en Irak, le monde est-il pour autant plus sûr ?Devant le recours résolu au militaire, on ne peut se focaliser que sur la légitimité juridique internationale. Ce que le chancelier Schröder avait mis en lumière en avançant il y a plusieurs semaines que résolution de l'ONU ou non, il refuserait la participation militaire de l'Allemagne. L'intervention américaine envisagée sortirait clairement et ouvertement du droit international. Théoriquement, il s'agit de se prononcer sur les recours à la force, non pas pour réprimer un déviant, mais pour transformer des régimes politiques. La charte de l'ONU avait banni le recours à la force. L'URSS avait avancé que son intervention en Afghanistan en 79 visait à moderniser un régime archaïque. C'est dans cette ligne qu'il faut replacer les objectifs de Bush. On ne peut pas se limiter à la figure de l'adversaire - menace dans une lignée talibans, Irak, Soudan, Libye, Somalie, Corée du Nord... Il faut passer au recours à la force comme moyen de modernisation politique ou à l'occasion d'une stabilisation. Elle s'étend alors à des régimes comme l'Arabie Saoudite, l'Iran, pour des objectifs économiques (pétrole), mais aussi la Syrie, et pourquoi pas l'Egypte... Il faut aussi considérer la situation stratégique régionale issue d'une intervention. L'Irak de l'après Hussein est pensé comme démantelé entre une large autonomie au nord et un lien entre les chiites irakiens et l'Iran au sud. La Turquie (et éventuellement l'Iran) craint la constitution d'un Kurdistan réel qui réanimerait son opposition interne. La réaction des chiites irakiens du sud pourrait être plus nationale que religieuse, et l'Iran n'a pas envie d'être pris entre un Irak et un Afghanistan contrôlés par les Etats-Unis. La création de nouveaux fronts locaux est donc probable. Sharon, qui représente la majorité des Israéliens et joue sur leurs peurs, profitera de la situation pour éliminer les sites irakiens présentant des risques virtuels pour Israël. Il pourrait utiliser une décomposition du territoire irakien pour « inciter » les palestiniens à s'y installer, via la Jordanie. Il est peu probable que l'incendie s'étende au sous continent indien, lequel appartient à une autre aire stratégique. Mais l'Afghanistan « politique » est tout sauf stable. La pression des radicaux ne peut que s'accroître au Pakistan ou en Indonésie, accentuant les risques dans un autre espace mondial. L'hypothèse d'un soulèvement « régional » des rues arabes n'aurait pas de conséquences militaires, mais pourrait être fatal à plusieurs régimes « amis » des Etats-Unis. On peut cyniquement prétendre que c'est la seule solution pour renverser des régimes indéfendables. Avec le risque que Khomeiny succède au Shah. Enfin, les conséquences extérieures à la zone sont latentes. La « rue arabe » existe aussi en France et en Grande Bretagne et l'articulation avec la question palestinienne inévitable. La légitimité des actions américano-israéliennes sera impossible à défendre, non seulement dans les opinions, et dans les relations entre communautés ethnico-religieuses. Au total, un modèle américano-israélien de guerre se met en place, suscitant autant que suscité par le terrorisme. La Tchétchénie en est la version massive et brouillonne. Il diffère et bouscule le mode de gestion de la violence expérimentée par le s Européens. Face à ce déplacement d'objectifs les Etats tiers (et en particulier les alliés européens des Etats-Unis) sont contraints de se positionner, non plus sur les critères juridiques du droit positif ou même la faisabilité militaire, mais bien à la fois sur le retour à l'usage de la force et sur les conséquences dans le cas irakien et le moyen-oriental. En ce qui concerne l'évolution du système international, l'hypothèse la plus plausible est celle d'un aboutissement du rôle hégémonique des Etats-Unis dans les affaires du monde, à la faveur de la lutte contre le terrorisme. Ce renforcement se traduirait à la fois par l'affaiblissement de ma souveraineté de la plupart des pays et, sur le plan territorial, par l'expansion de la présence militaire américaine. C'est ce mécanisme que Justin Vaïsse dénomme « appel d'empire ».175(*) La nature de la menace terroriste et de la guerre menée contre elle va inévitablement accentuer l'évolution du système international vers une plus grande confusion entre l'interétatique et l'interne. Les pressions américaines vont donc s'exercer dans des domaines qui touchent directement à la souveraineté étatique : police, justice, renseignement, recherche scientifique et éducation, etc. Nul doute qu'au nom de la défense commune contre le terrorisme, les Américains vont chercher à diffuser sur le terrain leurs normes de sécurité et leurs modes opératoires ; on pense par exemple au filtrage de l'immigration au Canada et au Mexique, dont les frontières avec les Etats-Unis sont ouvertes. On pense aussi aux méthodes de surveillance des suspects dans les pays où la justice laisse à désirer. L'affaiblissement de la souveraineté des Etats est l'effet de coalition, au demeurant bien connu. Pour Vaïsse, le mandat obtenu par Washington auprès de nombreux pays va inévitablement être interprété de manière extensive, et servir à justifier des demandes nouvelles. C'est le fameux raisonnement : « si vous êtes contre le terrorisme, alors vous êtes avec nous ; et il faut donc prendre telle ou telle mesure ». Si les alliés souhaitent démontrer leur solidité et leur fiabilité, il leur sera difficile de résister aux demandes de Washington en matière de police et de renseignement par exemple. On peut enfin poser l'hypothèse que l'implication des Etats-Unis en Asie du Sud pourrait les conduire à accroître leur présence militaire dans la région. Après tout, c'est ce qui s'est passé après la guerre du Golfe et l'intervention de l'OTAN dans les Balkans. A ce stade, il est difficile d'être plus précis ; mais on peut imaginer un stationnement discret (comme en Arabie Saoudite) qui se pérenniserait - soit dans un Afghanistan repris par la coalition du Nord, soit en Asie centrale. On retrouve ici un mécanisme historique classique : une puissance intervenant pour rétablir l'ordre et qui, pour les besoins de la cause, s'installe dans la région. Il n'en reste pas moins que ces développements pourraient paradoxalement offrir une réponse partielle aux défis de la mondialisation. De fait, on assisterait bien à une coopération accrue des Etats répondant aux problèmes transfrontaliers tels que le terrorisme et le blanchiment de l'argent sale... Sauf que cette coopération se ferait sous l'impulsion des Etats-Unis et en appliquant leurs modèles. Ainsi se rapprocherait-on, un peu plus, d'une « gouvernance mondiale », non pas par l'adoption d'un modèle coopératif interétatique de type onusien, mais par la projection de la puissance étatique des Etats-Unis. François Heisbourg le reconnaît en affirmant : «...Les Etats-Unis ne sont pas pour autant un empire exerçant son hégémonie. Ils ne peuvent pas occuper durablement un territoire, sauf à consentir des pertes de mobilité stratégique dans d'autres parties du monde. On voit donc leurs limites même en matière de défense. Politiquement, les Etats-Unis n'ont pas même pas pu convaincre leurs voisins les plus proches - le Canada et le Mexique- de les soutenir pendant la crise irakienne. Dés lors, nous sommes dans un système international où le pouvoir d'influence directe de l'une quelconque des puissances qui le compose est relativement faible, même s'il s'agit de la seule superpuissance que sont les Etats-Unis. » 176(*) * 175 Justin Vaïsse « L'Hyperpuissance au défi de l'Hyperterrorisme » Politique Etrangère Octobre 2001
* 176 Dossiers Européens, Décembre 2003 |
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