La tentation hagiographique dans les biographies de Pascal( Télécharger le fichier original )par Karine Lanini Université Paris III-Sorbonne nouvelle - 1996 |
2. Pascal, nouveau saint du panthéon littéraire : Chateaubriand et Barrès« Il y avait un homme qui, à douze ans, avec des barres et des ronds, avait créé les mathématiques ; qui, à seize ans, avait fait le plus savant traité des coniques qu'on eût vu depuis l'antiquité ; qui, à dix-neuf ans, réduisit en machine une science qui existe toute entière dans l'entendement ; qui, à vingt-trois ans, démontra les phénomènes de la pesanteur de l'air, et détruisit une des grandes erreurs de l'ancienne physique ; qui, à cet âge où les autres hommes commencent à peine à naître, ayant achevé de parcourir le cercle des sciences humaines, s'aperçut de leur néant et tourna ses pensées vers la religion ; qui, depuis ce moment jusqu'à sa mort, arrivée dans sa trente-neuvième année, toujours infirme et souffrant, fixa la langue que parlèrent Bossuet et Racine, donna le modèle de la plus parfaite plaisanterie comme du raisonnement le plus fort ; enfin, qui, dans les courts intervalles de ses maux, résolut par distraction un des plus hauts problèmes de la géométrie et jeta sur le papier des pensées qui tiennent autant du dieu que de l'homme. Cet effrayant génie se nommait Blaise Pascal »43(*). « Je n'étudierai pas le Pascal des savants et des philosophes. Mais celui qui nous intéresse, l'homme passionné, le poète, un cas magnifique de poésie, un témoignage d'héroïsme... au juste un chrétien sublime. » « Il y a de la vénération, un perpétuel espoir d'acquisition, un perpétuel étonnement dans mon amour pour Pascal. C'est un homme de qui l'on n'ose pas dire qu'on l'aime, car il est un héros et un martyr plus encore qu'un écrivain. Plus qu'aucun solitaire de ce Port-Royal qui détestait la familiarité, il décourage d'un regard toute médiocrité, mais on se groupe autour de lui comme autour d'un foyer dans la nuit. On veille non loin de lui, sans oser l'approcher, sur une sorte de Mont des Oliviers »44(*). Dans un cas comme dans l'autre, on retrouve les topoï, insufflés par Gilberte, qui canonisent Pascal, et cette permanence est d'autant plus intéressante que cette fois, la réécriture de la vie du saint a bien pour fonction de cristalliser les perceptions d'une conscience collective : quand Chateaubriand ou Barrès découvrent Pascal, le texte de Gilberte a eu le temps de créer son public ; Pascal est un saint, dans l'histoire duquel Chateaubriand ou Barrès trouvent la quintessence de leur propres aspirations. Il sera donc leur saint, et ils écriront et transmettront l'histoire de sa vie comme symbole de ce qui réunit tous les croisés de la foi. Sur la foi d'une vie de saint `truquée', ils jettent les bornes d'une véritable hagiographie.
* 43 Chateaubriand * 44 Maurice Barrès, Cahier Pascal, in Mes cahiers |
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